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Article de revue

L’article 3 de la directive 2010/64/UE : la traduction écrite en matière pénale devient un droit à part entière

Pages 281 à 295

Notes

  • [1]
    Kamasinski c. Autriche, 19 décembre 1989, série A no 168 ; la Cour y a notamment conclu (§ 74) que « [l]e droit, proclamé au paragraphe 3 e) de l’article 6, à l’assistance gratuite d’un interprète ne vaut pas pour les seules déclarations orales à l’audience, mais aussi pour les pièces écrites et pour l’instruction préparatoire », en identifiant comme pièce essentielle à traduire l’acte d’accusation (§ 79), surtout à la lumière du paragraphe 3 a), mais en précisant que « [l]e paragraphe 3 e) ne va pourtant pas jusqu’à exiger une traduction écrite de toute preuve documentaire ou pièce officielle du dossier ». (La jurisprudence citée dans le présent article est celle de la Cour européenne des droits de l’homme.)
  • [2]
    Brozicek c. Italie, 19 décembre 1989, série A no 167.
  • [3]
    L’article 6 § 3 énonce : « Tout accusé a droit notamment à : e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience ». Pour une analyse de la jurisprudence pertinente de Strasbourg, voir Fragkou, 2012, et Brannan, 2012.
  • [4]
    Directive 2010/64/UE du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2010 relative au droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales (applicable aux États membres de l’UE sauf le Danemark) ; JO L 280 du 26 octobre 2010. Pour l’article 3, voir le texte en annexe.
  • [5]
    Spronken, Vermeulen, Vocht et Puyenbroeck, 2009 : 90-95 ; voir également Ortega Herráez, Giambruno et Hertog, 2013 : 105-106.
  • [6]
    Les termes anglais dans l’étude sont « charge or indictment », comme dans la directive 2010/64/ UE. En droit français, il s’agit surtout de l’ordonnance ou l’arrêt de renvoi pour indictment (« acte d’accusation » dans la jurisprudence Kamasinski) et la notion de charge au sens large correspond à tout acte informant l’intéressé des faits reprochés (« accusation » en français, au sens de l’article 6 de la CEDH).
  • [7]
    Charge : 12 États ; indictment : 13 États ; motifs de mise en détention : 9 États ; jugement ou arrêt définitif : 11 États.
  • [8]
    Cape et al., 2010 : 239-240 ; chapitre sur la France de P. Descarpes (une jurisprudence interne de 1998 précise que la traduction de certaines pièces du dossier n’est pas obligatoire).
  • [9]
    Marembert, 2013 : 245 : « La pratique actuelle des tribunaux français est que, si le prévenu, alors même qu’il a été assisté par un interprète pendant toute l’instruction, ce qui démontre sa méconnaissance du français, ne demande pas expressément la traduction des ordonnances de renvoi ou citations directes qui l’accusent, elles ne lui sont pas traduites ; et encore, certains présidents acceptent d’y procéder dès qu’on le leur demande, mais d’autres renâclent encore ! »
  • [10]
    Article 407 : « Dans le cas où le prévenu, la partie civile ou le témoin ne parle pas suffisamment la langue française, ou s’il est nécessaire de traduire un document versé aux débats, le président désigne d’office un interprète… » (l’article 344 s’appliquant à la cour d’assises).
  • [11]
    Voir Ortega Herráez et al., 2013 : 98-99.
  • [12]
    Voir la recommandation de la Commission européenne dans son Livre Vert sur les « Garanties procédurales accordées aux suspects et aux personnes mises en cause dans des procédures pénales dans l’Union européenne », 19 février 2003, COM (2003) 75 final, p. 26 : « Bien que généralement associés, les interprètes et les traducteurs doivent être considérés comme appartenant à deux catégories professionnelles distinctes du fait de leurs compétences différentes et des rôles propres qu’ils jouent au cours de l’instance pénale.… Tous les registres nationaux doivent tenir compte de cette distinction. Il serait peut-être même plus efficace pour les États membres de tenir deux registres distincts. »
  • [13]
    En Finlande (service privé de traductions certifiées), en Hongrie (une autorité publique), et en Lettonie (agents du service des poursuites) ; voir Spronken et Attinger, 2005 : 182, 185 et 188.
  • [14]
    Par exemple en Espagne et en Estonie (voir Ortega Herráez et al., 2013 : 102).
  • [15]
    Voir, par exemple, Monjean-Decaudin, 2011, 763-781 ; aussi : Cras et de Matteis, 2010.
  • [16]
    Proposition de décision-cadre du Conseil relative au droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales, le 8 juillet 2009, COM (2009) 338 final. Quelques années plus tôt, la proposition de décision-cadre du Conseil relative à certains droits procéduraux accordés dans le cadre des procédures pénales dans l’Union européenne, du 28 avril 2004, COM (2004) 328 final, contenait également un article 7 intitulé « Droit à la traduction gratuite des documents utiles ».
  • [17]
    Voir Cras et de Matteis, 2010 (les délégations nationales craignaient l’impact financier d’un volume important de traductions).
  • [18]
    Proposition de directive de la Commission européenne, 9 mars 2010, COM (2010) 82 final, Article 3 § 3.
  • [19]
    Voir le rapport du 20 janvier 2010 de la commission des affaires européennes de la chambre des communes (House of Commons, European Scrutiny Committee) au point 7.16 http://www.publications.parliament.uk/pa/cm200910/cmselect/cmeuleg/5-vii/509.htm (consulté le 14 septembre 2015).
  • [20]
    Dans la proposition de décision-cadre de 2009 le terme « droit de recours » était la traduction de « right of appeal », notion rejetée par le gouvernement britannique (voir le document cité à la note précédente, points 7.15 et 7.16).
  • [21]
    Cras et de Matteis, 2010 : 159-160. De telles preuves documentaires pourraient comprendre, par exemple, certains rapports d’experts, les transcriptions d’écoutes téléphoniques, les déclarations écrites de témoins…
  • [22]
    Directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales.
  • [23]
    Deux des traductions officielles ne distinguent pas les termes « charge » et « indictment » : l’espagnol indique simplement « escrito de acusación », et l’allemand « Anklageschrift » ; nous avons déjà évoqué la traduction de ces termes en français dans une note ci-dessus, et l’emploi de « charges » dans la version française pourrait d’ailleurs prêter à confusion.
  • [24]
    Le projet de loi du 20 février 2013 adopté en France énumère en annexe un nombre important de pièces qui pourraient potentiellement faire l’objet d’une traduction, chiffrant le coût total de la traduction écrite à au moins 23 millions d’euros par an ; Assemblée nationale XIVe législature, doc. n° 736.
  • [25]
    Voir la décision H.K. c. Belgique, n° 22738/08, 12 janvier 2010 : « Quant à la circonstance selon laquelle la traduction est de mauvaise qualité… il ressort clairement du dossier… que le sens général du texte des réquisitions est accessible dans une langue qu’il comprend même si la précision de certains termes a pu lui échapper ».
  • [26]
    Voir Kamasinski, arrêt précité, § 74 : « L’obligation des autorités compétentes ne se limite donc pas à désigner un interprète : il leur incombe en outre, une fois alertées dans un cas donné, d’exercer un certain contrôle ultérieur de la valeur de l’interprétation assurée ».
  • [27]
    Dans l’affaire Amer c. Turquie, n° 25720/02, 13 janvier 2009 (violation de l’article 6), le requérant n’avait pas besoin d’un interprète pendant sa garde à vue, mais avait des problèmes pour comprendre à l’écrit ses propres déclarations telles que transcrites dans la langue nationale.
  • [28]
    La possibilité de renoncer à une traduction écrite est admise dans la jurisprudence de Strasbourg (voir par exemple, Kamasinski, arrêt précité, § 80).
  • [29]
    Interprétation suggérée par Cras et de Matteis, 2010 : 160.
  • [30]
    Voir Monjean-Decaudin, 2012 : 150.
  • [31]
    Observations du secrétariat du Conseil de l’Europe sur le projet de directive, 29 janvier 2010.
  • [32]
    En France, le décret d’application n° 2013-958 du 25 octobre 2013 prévoit que « [l]es passages pertinents… sont déterminés, selon le stade de la procédure, par le procureur de la République, par le juge d’instruction ou par la juridiction de jugement saisie ». Selon le projet de loi du 20 février 2013 (précité, p. 70) : « le traitement de la demande d’une traduction écrite alourdira le traitement du dossier par le greffe et nécessitera le cas échéant l’intervention du juge pour identifier la partie du document à traduire.… la durée de traitement des difficultés liées à la demande par le juge [est] estimée à 5 minutes (s’il s’agit de vérifier les éléments qui doivent être traduits dans le cas de traduction écrite partielle) ».
  • [33]
    Voir Cras et de Matteis, 2010 : 160.
  • [34]
    Hermi c. Italie [Grande Chambre], no 18114/02, CEDH 2006 XII, § 70 : « il convient de noter que le texte de la disposition en question fait référence à un “interprète”, et non à un “traducteur”. Cela donne à penser qu’une assistance linguistique orale peut satisfaire aux exigences de la Convention ».
  • [35]
    Le critère décisif étant que « l’assistance prêtée en matière d’interprétation [ou de traduction] doit permettre à l’accusé de savoir ce qu’on lui reproche et de se défendre, notamment en livrant au tribunal sa version des événements » (Hermi, arrêt précité) ; voir Justice Forum Meeting on Procedural Rights, Background Document, 9 novembre 2009 : http://www.ecba.org/extdocserv/projects/JusticeForum/JF_PR_background.pdf (consulté le 14 septembre 2015).
  • [36]
    Parlement européen, 14 juin 2010, explications de vote.
  • [37]
    Observations du secrétariat du Conseil de l’Europe sur le projet de directive, précitées : « this provision raises concerns and risks of violations of Article 6 in it simplementation at the domestic level. As the cases and circumstances in which an ‘oral summary’ could be, as a matter of principle, a valid substitute for a written translation seem quite limited, this Article should be applied in very specific circumstances ».
  • [38]
    Observations de l’Union syndicale des magistrats, 20 mars 2013 : http://www.union-syndicale-magistrats.org/web/upload_fich/publication/rapports/2013/ddai20mars13.pdf (consulté le 14 septembre 2015).
  • [39]
    Devant le Parlement européen, lors de la première lecture susmentionnée de la directive, la baronne Ludford a annoncé : « We secured the right to limit recourse to partial translation, so all essential material must be translated and oral exceptions must indeed be exceptions, and that the suspect should not be allowed to waive the right to translation without prior advice ». Ce point a par ailleurs été souligné par Mme A. Girardin devant l’Assemblée nationale, le 15 mai 2013 : « Il faut en effet se féliciter que les députés européens aient obtenu la limitation par principe du recours à des traductions partielles ou orales – le suspect ne pouvant, par ailleurs, renoncer à ce droit sans avoir bénéficié d’un conseil juridique préalable ».
  • [40]
    Loi n° 2013-711 du 5 août 2013 portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France ; pour un commentaire plus complet sur l’aspect pertinent de cette loi, voir Daoud et Rennuit-Alezra, 2013 : 527, et Chavent-Leclère, 2013 : 25.
  • [41]
    Le texte du décret d’application n° 2013-958, du 25 octobre 2013, a été publié le 27 octobre.
  • [42]
    Rapport n° 840 déposé le 27 mars 2013, par Mme M. Karamanli au nom de la Commission des lois (XIIIe législature).
  • [43]
    Lorsque la copie en a été demandée en application de l’article 114 du Code de procédure pénale, qui prévoit que « les avocats des parties peuvent se faire délivrer, à leurs frais, copie de tout ou partie des pièces et actes du dossier ». La directive prévoit que les pièces qui sont toujours « essentielles » soient traduites d’office et gratuitement, deux conditions qui ne semblent pas réunies en l’espèce.
  • [44]
    Comme nous l’avons déjà constaté, la version anglaise de la directive emploie le terme « charge », qui relève d’un acte préliminaire de poursuite dans les pays concernés ; en Angleterre et au Pays de Galles, où cet acte est accompli par la police, il est donc prévu de fournir, à l’issue de la garde à vue, une traduction écrite du constat d’infraction et des procès-verbaux d’interrogatoire ; voir « Revised PACE Code C », Annexe M. : https://www.gov.uk/government/consultations/revised-pace-codes-of-practice-c-and-h (consulté le 14 septembre 2015).
  • [45]
    Le décret d’application précise que le délai tiendra compte « du nombre et de la complexité des documents à traduire, et de la langue dans laquelle ils doivent être traduits » ; autrement dit, un délai plus long serait justifié dans certains cas et notamment pour certaines langues « exotiques ».
  • [46]
    Voir la section 1, paragraphe 1, du décret d’application n° 2013-958.
  • [47]
    Voir le projet de loi, précité, p. 23 : « Le juge devra vérifier la qualité de l’interprétation et de la traduction, qui doit garantir le caractère équitable de la procédure ». Voir aussi Schaller, 2013 : 236. La directive prévoit, par ailleurs, à l’article 6, une formation des magistrats afin de les sensibiliser aux questions linguistiques.
  • [48]
    Voir l’observation de Daoud et Rennuit-Alezra (2013 : 530-531), au sujet de la loi française : « … en introduisant une exception à la traduction écrite des documents essentiels, sans définir les contours et les modalités d’application de celle-ci, l’on peut craindre que cette possibilité de traduction orale dépasse la simple application exceptionnelle ». Le décret d’application n’apporte guère de précision à ce sujet.
  • [49]
    Comme le constate le magistrat français B. Lavielle (2011 : 443) : « Absence d’interprète inscrit dans telle langue ou dialecte, manque de disponibilité d’un traducteur habituel, absence de formation aux tournures et formules judiciaires, règlement tardif des honoraires, tout concourt à la pénurie… ».
  • [50]
    Cass. crim., 7 janv. 2015, pourvoi n° 14-86226.
  • [51]
    Cela, s’il s’avérait impossible de trouver un traducteur (assermenté) en langue hongroise ; par ailleurs, il est courant au Royaume-Uni pour l’interprète de procéder à une traduction écrite à l’issue de la garde à vue.
  • [52]
    Voir Hermi c. Italie [GC], arrêt précité, § 72 : « … même si la conduite de la défense appartient pour l’essentiel à l’accusé et à son avocat, commis au titre de l’aide judiciaire ou rétribué par son client…, les tribunaux internes sont les ultimes garants de l’équité de la procédure, y compris en ce qui concerne l’absence éventuelle de traduction ou d’interprétation en faveur d’un accusé étranger… » (voir aussi Katritsch c. France, n° 22575/08, 4 novembre 2010, § 44).
  • [53]
    Voir, par exemple, Husain c. Italie (décision), n° 18913/03, 24 février 2005 : « L’intéressé n’a par ailleurs pas contesté la qualité de cette traduction, ce qui a pu amener les autorités à penser qu’il avait compris le contenu du document litigieux ». Dans l’arrêt Katritsch (arrêt précité, § 45), la Cour a retenu que le requérant « n’a formulé aucune demande d’interprétariat » ; voir aussi Protopapa c. Turquie, n° 16084/90, 2009, et Horvath c. Belgique (décision), n° 6224/07, 2012.
  • [54]
    Une demande de décision préjudicielle a été formée par un tribunal allemand le 30 avril 2014 (CJUE, affaire C-216/14, procédure pénale contre G. Covaci), sur la question, entre autres, de savoir si la directive 2010/64/UE doit s’entendre comme imposant la traduction d’un recours en langue étrangère vers la langue nationale.
English version

INTRODUCTION

1 La question du droit à la traduction (écrite) en matière pénale est souvent reléguée à un niveau secondaire par rapport à celle du droit à l’interprétation (orale), que ce soit dans l’ordre juridique interne ou dans la jurisprudence de Strasbourg. Si un tel droit existe bien, au moins en théorie, sur le continent européen depuis de nombreuses années, surtout depuis sa consécration par la Cour européenne des droits de l’homme dans les arrêts Kamasinski c. Autriche[1] et Brozicekc. Italie[2], tous deux de 1989, ce droit n’a pas toujours été garanti de manière efficace et cohérente au niveau national. Force est de constater que le droit au traducteur n’est pas distingué du droit à l’interprète dans l’article 6 § 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) [3], sans que la jurisprudence ait permis de clarifier la distinction. Il est souvent admis par la Cour qu’un document soit traduit verbalement par un interprète ; et même cette solution de rechange n’est pas toujours exigée si l’information requise est disponible par d’autres biais. Un pas important a donc été franchi avec la consécration en droit européen du « droit à la traduction des documents essentiels » dans l’article 3 de la directive 2010/64/UE, adoptée en octobre 2010, relative au droit non seulement à l’interprétation mais aussi à la traduction [4]. L’on peut s’attendre à un renforcement de cette garantie dans les États membres de l’Union européenne, pourvu que les dispositions pertinentes soient transposées de façon fidèle et effective. Comme l’observe S. Monjean-Decaudin (2012 : 150) : « La transposition de ces dispositions va inévitablement conduire à une augmentation substantielle des traductions dans le cadre des procédures pénales des États membres ».

1. ÉTAT DES LIEUX EN MATIÈRE DE TRADUCTION DES PIÈCES

2 La traduction gratuite de documents au cours des procédures pénales est restée limitée dans de nombreux pays européens, y compris la France. Une étude sollicitée par la Commission européenne en 2009 [5] a conclu que le droit à une traduction écrite n’était pas du tout garanti dans cinq États membres de l’Union (Autriche, Bulgarie, France, Lettonie, Portugal) ; autrement dit, dans ces pays une telle traduction peut seulement être fournie occasionnellement et sur demande. Dans les États où ce droit était garanti de façon systématique, ou aurait dû l’être, le volume des pièces traduites restait minime. Selon l’étude européenne en question, si les faits reprochés au prévenu [6] étaient traduits dans la majorité de ces États, en revanche le jugement ou l’arrêt définitif ou les motifs de mise en détention n’étaient traduits que dans moins de la moitié [7]. Très peu d’États disposaient d’une procédure en vue d’identifier le besoin d’une telle traduction, en cas de doute sur les compétences linguistiques de l’intéressé. Une autre étude (Cape, Namoradze, Smith et Spronken, 2010 : 592-596), concernant un nombre plus réduit d’États européens, a également identifié une variété de pratiques en la matière. Dans certains pays le jugement ou l’arrêt n’était jamais traduit – dans le cas de l’Italie, par exemple, parce qu’il s’agit d’un document public (seules les pièces transmises directement et personnellement au prévenu étaient traduites) – ou bien les autorités s’en remettaient à l’avocat, comme en Allemagne. S’agissant de la France, l’étude de 2010 a identifié de nombreuses lacunes, relevant que même si un prévenu ou un accusé devait recevoir certaines pièces écrites pendant la procédure, ces pièces étaient rarement traduites d’office pour les étrangers : l’intéressé ou son avocat devait en faire la demande [8]. Dans un article à ce sujet publié en 2013, un avocat français regrette cette absence de traduction systématique, ajoutant que même les demandes expresses dans ce sens ne sont pas toujours accueillies favorablement [9]. Comme le souligne B. Lavielle (2009 : 443), la traduction des actes de la procédure pénale n’est garantie qu’au moment de l’audience devant la juridiction de jugement. Ce magistrat regrette que la réforme de 2000 en France ne se soit pas étendue à la traduction écrite en cours de procédure. Dans le cadre de la transposition en France de la directive 2010/64/UE, F. Schaller (2013 : 235), du ministère de la Justice, évoque ainsi « l’obligation de traduction gratuite de documents, qui n’existait que très peu voire pas du tout et qui sera très coûteuse pour l’État ».

3 De façon générale, le rôle du traducteur au service de la justice n’est pas distingué de celui de l’interprète dans les pratiques nationales. En France, bien que les listes des experts judiciaires fassent la distinction entre interprètes et traducteurs (au moins depuis 2004), la vaste majorité d’entre eux sont inscrits sous les deux rubriques. Force est de constater, du reste, que la législation française confond les deux professions dans les articles 344 et 407 du Code de procédure pénale [10]. Dans plusieurs États, une telle distinction n’existe même pas dans les faits [11]. Il semble souhaitable que les registres nationaux, d’ailleurs évoqués par la directive 2010/64/UE dans son article 5, établissent non seulement des catégories séparées, mais également des conditions distinctes de formation ou d’expérience, voire une procédure spécifique d’habilitation pour les traducteurs [12]. Dans certains États, la traduction de documents est confiée à des agences, publiques ou privées ; parfois elle est effectuée par des agents du ministère public [13] ou du tribunal [14]. On peut se demander si une telle solution serait jugée compatible avec l’exigence de la directive en question (dans son article 5 § 2) selon laquelle les interprètes et les traducteurs, inscrits sur les registres nationaux, doivent être « indépendants ».

2. PORTÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA DIRECTIVE 2010/64/UE

4 L’historique de la directive 2010/64/UE a déjà fait l’objet de quelques commentaires [15]. Il suffit ici de constater qu’un article intitulé « Droit à la traduction des documents essentiels » figurait déjà dans un projet antérieur, en l’occurrence une proposition de décision-cadre élaborée en 2009 avant l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne [16], quoique ses dispositions fussent légèrement différentes. On y trouvait notamment, dans l’énumération sommaire des documents essentiels à traduire, les « preuves documentaires essentielles », et les États membres y étaient tenus de « veiller à l’instauration d’un droit de recours contre toute décision refusant la traduction de[s] documents visés ». Que ce soit dans le projet initial de la directive, présenté le 11 décembre 2009 par 13 États membres, ou dans sa version finale, adoptée le 20 octobre 2010, son article 3 se limite à indiquer (au paragraphe 2) les documents suivants : « toute décision privative de liberté, toutes charges ou tout acte d’accusation, et tout jugement ». S’il avait été proposé, par la Commission européenne et le comité « LIBE » du Parlement européen, notamment, d’insérer la notion de « preuves documentaires », les États n’ont jamais accepté le rajout de cette mention à l’article 3 [17]. D’autres propositions, par exemple la traduction obligatoire des « normes applicables aux conditions de détention » (y compris des informations sur les voies de recours), ou des conseils juridiques prodigués par écrit [18], ont également été rejetées. En particulier, le gouvernement britannique s’était montré satisfait de la rédaction plutôt minimaliste de la disposition, indiquant que dans la tradition de la common law le volume des pièces écrites était, de toute façon, moins important : par exemple, il n’existe pas toujours un « jugement » écrit ; ceci expliquerait l’usage de « tout » (any), plutôt que l’article défini, dans la liste des pièces essentielles au paragraphe 2 [19].

5 Il est également intéressant de noter que le texte définitif du paragraphe 5 de l’article 3 parle d’un droit de « contester » le refus de fournir une traduction, l’idée d’instaurer « un droit de recours » ayant été rejetée par les États qui, comme le Royaume-Uni, ne voulaient pas mettre en place un mécanisme séparé pour de tels griefs (voir aussi le paragraphe 25 du préambule), et préféraient un libellé plus général afin d’inclure toute contestation éventuelle hors du cadre judiciaire [20].

6 La disposition générale au premier paragraphe, qui exige une traduction de « tous les documents essentiels pour… permettre [aux intéressés] d’exercer leurs droits de défense et pour garantir le caractère équitable de la procédure », est, dans une certaine mesure, circonscrite ou atténuée par les paragraphes suivants. L’article 3 laisse aux autorités une certaine marge d’appréciation, car en dehors des quelques documents énumérés, elles peuvent décider « au cas par cas si tout autre document est essentiel » (article 3, par. 3, et préambule, par. 30). Par conséquent, une personne ayant besoin d’une traduction reste, en principe, dans une position désavantageuse par rapport à celle qui comprend la langue de la procédure. Néanmoins, à la différence de la situation actuelle dans la plupart des pays, les autorités devraient être proactives dans l’identification des documents essentiels, et l’intéressé ou son avocat pourront faire des demandes spécifiques en ce sens. L’importance de ces garanties a d’ailleurs été soulignée par le Conseil de l’Europe dans ses observations du 29 janvier 2010 sur le projet de directive. Cras et de Matteis, du Conseil de l’Union européenne, suggèrent que certaines « preuves documentaires », bien que ce terme ne figure pas à l’article 3, par. 2, seront forcément considérées comme faisant partie des documents essentiels [21]. Il est à noter que, conformément à l’article 1, par. 4, le droit à la traduction peut être circonscrit également par le droit interne en matière d’accès au dossier ; cependant, la question de l’accès aux documents fait l’objet d’une directive distincte, sur le droit à l’information [22], dont les dispositions devront étendre les garanties à cet égard (surtout en matière de garde à vue).

7 S’agissant des pièces qui sont spécifiées à l’article 3 comme étant toujours « essentielles », il est important de rappeler, d’une part, que cette disposition a été traduite, au stade du projet, de l’anglais vers les autres langues officielles de l’Union, et que, d’autre part, dans le cadre de la transposition il restait à identifier les actes concrets en question [23]. En France, par exemple, la notion de « charges » pourrait donner lieu à une interprétation minimaliste (se limitant à un simple procès-verbal policier) ou bien des écrits plus détaillés (comme les réquisitions du procureur) seraient (aussi) à traduire [24]. Par ailleurs, la « décision privative de liberté » englobe des situations autres que la mise en détention ou le renouvellement d’une telle mesure, s’étendant potentiellement à l’assignation à résidence ou au placement sous surveillance électronique. Une disposition spécifique, le paragraphe 6 de l’article 3, prévoit la traduction du mandat d’arrêt européen. Cette traduction avait déjà été prévue par la décision-cadre du 13 juin 2002 (article 8, par. 2), mais seulement vers la langue de l’État d’exécution ; la directive garantit désormais la même prestation vers la langue de la personne remise, au cas où elle serait différente.

8 De façon générale, on peut dire que les dispositions de l’article 3 vont plus loin que la jurisprudence de Strasbourg en la matière, même si elles reflètent certaines limitations de celle-ci. Comme le constate S. Monjean-Decaudin (2012 : 149) : « Le droit à la traduction… était reconnu jusqu’alors par une interprétation extensive par la CEDH du droit à un interprète prévu à l’article 6 de la Convention. La directive, quant à elle, régit séparément le droit à l’interprétation et le droit à la traduction, leur donnant ainsi une autonomie normative ». Le texte final de l’article 3 est, certes, le reflet inévitable de certains aménagements obtenus par les États pendant les négociations (les points faibles seront analysés ci-dessous). Néanmoins, pour citer la conclusion d’une brève analyse des travaux préparatoires pertinents (Gilliaux, 2012 : 874-875), « la directive 2010/64 renforce le droit à la traduction des documents utiles à la défense de l’accusé par rapport aux quelques développements jurisprudentiels [de la Cour européenne des droits de l’homme], et cela malgré les régressions que le texte a connues au cours de son parcours législatif ». Il faut souligner, en outre, que l’article 3, dans son paragraphe 9, exige une traduction de qualité, exigence qui n’apparaît pas clairement dans la jurisprudence de Strasbourg [25], en partie parce que, dans son analyse en la matière, la Cour apprécie l’équité de la procédure dans son ensemble. Si cette exigence de qualité au paragraphe 9 reste plutôt vague, les précisions de l’article 5 de la directive, « Qualité de l’interprétation et de la traduction », sont plus concrètes, imposant des obligations qui incombent aux autorités en amont de la prestation, alors que la Cour de Strasbourg se limite à prévoir un contrôle a posteriori[26].

3. POINTS FAIBLES DE L’ARTICLE 3 DE LA DIRECTIVE

9 Tandis que l’article 2, par. 4, de la directive prévoit la mise en place d’une « procédure ou d’un mécanisme » afin de « vérifier si les suspects ou les personnes poursuivies parlent et comprennent la langue de la procédure pénale et s’ils ont besoin de l’assistance d’un interprète », une telle disposition est absente de l’article 3 s’agissant du besoin d’un traducteur (c’est-à-dire le besoin de traduction écrite en général, non pas le besoin de documents spécifiques). Si, dans la plupart des cas, on peut supposer que la procédure établissant le besoin d’interprétation s’appliquerait également à la traduction, il n’est pas à exclure que vienne à se présenter une personne qui, plus à l’aise à l’oral qu’à l’écrit, aurait besoin d’une traduction de certaines pièces tout en pouvant se passer de la présence d’un interprète [27]. On peut donc regretter que l’article 3 omette de prévoir un mécanisme distinct pour apprécier le besoin de traduction écrite, au moins dans un souci de cohérence. Bien entendu, les États seront libres de mettre en place une vérification de la compréhension écrite, éventuellement en même temps que celle de la compréhension orale. Comme question connexe, on peut se demander dans quelles conditions une traduction pourra être fournie dans une langue autre que la langue maternelle de l’intéressé, et comment la compréhension de cette langue sera appréciée. Il s’agit en effet d’une solution envisagée par le paragraphe 22 du préambule de la directive ; or, dans le cas d’une traduction écrite, ce choix d’une langue de substitution sera d’autant plus délicat.

10 Par ailleurs, le droit à la traduction consacré par l’article 3 est atténué de façon plus concrète par les dispositions des paragraphes 4, 7 et 8 : l’absence d’obligation de traduire « les passages des documents essentiels qui ne sont pas pertinents… » (par. 4), la possibilité d’une simple « traduction orale ou [d’]un résumé oral des documents essentiels » (par. 7), et l’éventualité d’une « renonciation au droit » à la traduction écrite sous certaines conditions (par. 8).

11 S’agissant de cette dernière éventualité, on peut constater qu’elle n’est pas envisagée du tout pour le droit à l’interprétation, mais seulement pour la traduction des pièces. Les conditions d’une telle renonciation reflètent d’ailleurs celles imposées par la jurisprudence de Strasbourg : elle doit être précédée d’une information adéquate et doit être claire et sans équivoque [28]. En ce qui concerne les autres dispositions limitatives, il s’agit sans doute de solutions de compromis imposés par certains États membres pour des raisons principalement de coût. D’abord, l’idée de sélectionner les passages d’un document, pour en exclure ceux qui ne sont pas pertinents, n’est pas présentée comme une exception (à la différence de la possibilité de traduction orale). La définition de la non-pertinence n’est pas du tout précisée : on pourrait dire, par exemple, qu’il est possible d’exclure des passages qui ne concernent pas directement le destinataire de la traduction, par exemple en cas de pluralité de prévenus [29], mais les autorités seront libres d’aller plus loin. Cette disposition a fait l’objet de critiques, car il existe un risque évident de traduction parcellaire [30]. Le Conseil de l’Europe [31] a ainsi identifié un risque de non-conformité avec la jurisprudence de Strasbourg dans la mesure où les autorités pourront décider de ce qui est pertinent au cas par cas comme bon leur semble. Une décision de traduction partielle peut néanmoins faire l’objet d’une contestation en application du paragraphe 5. On peut imaginer que le destinataire de la traduction souhaiterait savoir ce qui a été omis et pourquoi ; en outre, l’omission de certains passages pourra créer des difficultés pour le traducteur, d’autant plus que la sélection sera déterminée, dans la plupart des cas, par des magistrats et non par des linguistes, et sans doute de façon expéditive [32].

12 L’alternative de la « traduction orale » (article 3, par. 7), y compris sous la forme d’un simple résumé, est apparue pendant les négociations comme un compromis essentiel par lequel les États membres cherchaient à limiter les coûts et les délais, tout en soulignant la conformité de cette solution avec la jurisprudence de Strasbourg [33]. Les États en question ont invoqué l’arrêt Hermi c. Italie[34] où la Cour a indiqué qu’une assistance linguistique orale pouvait satisfaire aux exigences de la Convention ; la Commission a répliqué que si une traduction orale peut dans certains cas être satisfaisante, a contrario, dans d’autres cas elle ne le sera pas [35]. Le texte final de la directive prévoit donc que cette solution reste une exception, mais encore une fois le choix est laissé à l’appréciation des autorités. Lors de la première lecture du projet de directive en juin 2010 devant le Parlement européen, cette disposition a été critiquée en ces termes par le député Jean-Luc Mélenchon : « Il n’est pas plus acceptable qu’on puisse proposer une traduction orale en lieu et fait d’une traduction écrite. Chaque suspect doit pouvoir réétudier tous les éléments de son dossier à sa guise. Sans cela, un procès juste et équitable est une vue de l’esprit. » [36] S. Monjean-Decaudin (2012 : 150) exprime la crainte de voir un recours abusif à une telle solution de rechange, ouvrant ainsi une brèche dans le droit à la traduction des documents essentiels : « Il ne faudrait pas que les États membres profitent de cette faculté pour éluder le droit à la traduction consacré, pour la première fois, comme un droit à part entière dans les procédures pénales ». Le Conseil de l’Europe, dans ses observations sur le projet de directive, avait aussi exprimé des doutes à ce sujet [37]. Un syndicat de magistrats français, apparemment soucieux des questions de coût et de délai, estime, pour sa part, que la solution orale sera « indispensable » pour les procédures rapides, surtout pour les langues rares [38]. On peut s’attendre à des litiges au niveau national ou européen sur la question de savoir, au cas par cas, si une traduction orale ou un résumé oral « ne portent pas atteinte au caractère équitable de la procédure ». Pour conclure cette partie, si l’on peut regretter l’insertion de ces solutions de compromis, on voit qu’elles sont néanmoins entourées d’un certain nombre de garde-fous [39].

4. VERS UNE TRANSPOSITION FIDÈLE DE L’ARTICLE 3 ?

13 Le législateur français a choisi d’adopter une loi afin de transposer la directive 2010/64/UE en droit français, suivie d’un décret d’application. Le délai de transposition ayant été fixé au 27 octobre 2013, la loi en question a été promulguée le 5 août 2013 [40] et le décret date du 25 octobre 2013 [41]. La loi modifie l’article préliminaire du Code de procédure pénale et crée un article 803-5. Dans sa forme initiale, le projet de loi ajoutait simplement un alinéa concernant le droit à la traduction des pièces essentielles, dans la mesure où le droit à l’interprète était déjà consacré par le code. Dans la discussion du projet à l’Assemblée nationale, le 15 mai 2013, la Garde des Sceaux a expliqué que « [n]os lois et notre jurisprudence imposent déjà le recours à un interprète ; cette disposition européenne ajoute l’obligation de traduction, à même de protéger les justiciables, qui doivent avoir pleinement connaissance des actes essentiels établis dans le cadre d’une procédure pénale ». Suite aux différents amendements, la disposition initiale très brève prévoyant la traduction de pièces, insérée à l’article préliminaire du code, a été complétée par une référence générale à l’interprétation et par l’indication qu’il est possible de renoncer au droit à la traduction sous certaines conditions :

14

Si la personne suspectée ou poursuivie ne comprend pas la langue française, elle a droit, dans une langue qu’elle comprend et jusqu’au terme de la procédure, à l’assistance d’un interprète, …, et, sauf renonciation expresse et éclairée de sa part, à la traduction des pièces essentielles à l’exercice de sa défense et à la garantie du caractère équitable du procès qui doivent, à ce titre, lui être remises ou notifiées en application du présent code.

15 En outre, le nouvel article 803-5 consacre la possibilité « exceptionnelle » d’une simple assistance linguistique orale :

16

À titre exceptionnel, il peut être effectué une traduction orale ou un résumé oral des pièces essentielles qui doivent lui être remises ou notifiées en application du présent code.

17 Par ailleurs, la rapporteure de la Commission des lois a présenté comme suit le contenu du décret d’application en ce qui concerne la traduction de pièces [42] :

18

Le projet de décret d’application… précise ce que recouvre la notion [de documents essentiels] en droit français, en indiquant que constituent notamment des documents essentiels donnant droit à leur traduction les décisions relatives au contrôle judiciaire, à l’assignation à résidence sous surveillance électronique et à la détention provisoire de la personne, les décisions de renvoi devant la juridiction de jugement, les décisions exposant les charges retenues à son encontre ainsi que les décisions de condamnation.

19 Force est de constater que la bonne transposition de l’article 3 de la directive en France dépendra de la mise en œuvre du décret d’application, qui, dans sa section 2, définit les « modalités d’application des dispositions concernant la traduction des pièces essentielles à l’exercice de la défense ». Cette section comprend une énumération plutôt a minima des traductions obligatoires, où l’on peut voir, notamment, que les pièces qualifiées par la rapporteure de la Commission des lois de « décisions exposant les charges retenues » (voir ci-dessus) se limitent finalement au « procès-verbal de première comparution ou de mise en examen supplétive » [43]. Il nous semble que la notion de « charges », au sens de la directive, correspondrait de façon plus générale au procès-verbal de constat d’infraction, voire aux réquisitions du procureur, le cas échéant [44]. Quant aux « décisions de renvoi », le décret parle finalement des « décisions de saisine » de la juridiction de jugement ; l’on peut penser que cette catégorie s’étend au-delà de la saisine par les juridictions d’instruction, pour englober la citation directe devant le tribunal correctionnel ainsi que la saisine par le parquet, y compris théoriquement dans le cadre de la comparution immédiate, ce qui risque d’être problématique au niveau du délai, à supposer qu’il existe une pièce pertinente à traduire.

20 Par ailleurs, il reste certaines questions générales d’ordre pratique. Ainsi, il sera nécessaire d’établir, aux différentes étapes de la procédure, quel organe sera compétent pour trouver un traducteur et à quel moment. Il est important de fournir la traduction en temps utile, en tenant compte surtout des délais de recours [45]. Il faudra garantir la possibilité de se plaindre de l’absence ou de la qualité d’une traduction écrite ; le décret d’application reste, d’ailleurs, muet à ce sujet, contrairement à ce qui est prévu pour des plaintes concernant « l’absence d’interprète ou la qualité de l’interprétation » [46]. S’agissant, justement, de la question fondamentale de la qualité, il semblerait indispensable de faire appel à des linguistes professionnels en cas de litige. On peut se demander si un juge, le cas échéant, serait compétent pour trancher un tel litige sans l’avis d’un expert [47]. En ce qui concerne la possibilité d’une traduction orale ou d’un résumé oral, il faudra qu’elle demeure l’exception plutôt que la règle [48]. Enfin, en France, comme dans bien d’autres pays européens, on ne devra pas sous-estimer la pénurie de traducteurs compétents et disponibles, ni le problème connexe de leur rémunération [49].

21 Nous ne saurions conclure cette analyse sans évoquer le récent arrêt de la Cour de cassation [50] du 7 janvier 2015, qui tend à confirmer la crainte que l’automaticité de la traduction écrite des pièces essentielles, telle que prévue par l’article 3 de la directive, ne soit pas garantie de façon effective en droit interne. Pour la Cour, en l’absence de disposition expresse qui imposerait l’écrit à peine de nullité, la traduction orale des pièces est permise « dès lors que n’ont pas été compromis les droits de la défense et la faculté d’exercer une voie de recours ». En l’espèce, un Hongrois, qui avait été remis aux autorités françaises en exécution d’un mandat d’arrêt européen, avait saisi la chambre de l’instruction d’une requête en nullité dudit mandat, ainsi que du mandat français, de son interrogatoire de première comparution et de la décision de le placer en détention provisoire. Aucune des pièces en question – pourtant au nombre de celles désignées comme essentielles par la directive – n’avait fait l’objet d’une traduction écrite. Dans l’esprit de la directive, les autorités doivent faire procéder à ces traductions de leur propre initiative, sans que l’intéressé ait à le demander. Si l’exception « orale » peut se concevoir pour les situations d’urgence, en l’espèce on aurait pu faire effectuer les traductions requises, par exemple par l’interprète lui-même [51], dans un « délai raisonnable » après la traduction orale en question. Le droit consacré par l’article 3 de la directive sera vidé de son sens si le juge peut simplement se dispenser de fournir ces traductions, sans même prendre une décision motivée concluant à leur inutilité. L’arrêt est donc quelque peu décevant, comme le résume bien le commentaire de Chavent-Leclère (2015) :

22

Alors que l’occasion lui était donnée de consacrer ici un véritable droit à la traduction des pièces essentielles de la procédure, à travers un régime de nullités substantielles et sans grief, sur le modèle de celui existant pour la garde à vue, la Cour de cassation reste bien en deçà de la vision européenne, voire de la loi elle-même.

CONCLUSION

23 Comme le démontre la jurisprudence de Strasbourg, il incombe souvent à l’avocat de s’assurer que son client bénéficie d’une assistance linguistique, même si le juge reste « l’ultime garant » de l’équité de la procédure [52]. Il est clair que le « conseil juridique » aura un rôle clé, surtout dans la mesure où il peut solliciter des traductions spécifiques en application du paragraphe 3 de l’article 3 de la directive (voir aussi le paragraphe 30 du préambule), tout en veillant à ce que la traduction systématique à l’écrit des pièces essentielles énumérées soit bien effectuée. Alors que la Cour de Strasbourg a souvent retenu le fait que le requérant n’avait pas demandé d’assistance linguistique, ou ne s’était pas plaint à ce sujet, pour conclure que la prestation litigieuse ne devait pas lui être indispensable [53], la directive impose aux autorités une obligation positive de fournir certaines traductions d’office. Il incombera également à l’avocat, le cas échéant, de conseiller à son client de ne pas renoncer à une traduction écrite ; il ne faudrait pas que les autorités incitent à la renonciation, au prétexte, par exemple, d’accélérer la procédure.

24 En définitive, si l’article 3 est, sans aucun doute, l’un des atouts majeurs de la directive 2010/64/UE par rapport à la situation préexistante, sa transposition effective dans tous les États membres n’est pas acquise, au moins à court terme. Certaines de ses dispositions ne seront guère suivies d’effet, car on peut craindre une interprétation minimaliste de la part des autorités. Il serait intéressant que de telles questions fassent l’objet d’un renvoi préjudiciel devant la Cour de Luxembourg [54]. En tout état de cause, les États se verront obligés de trouver des solutions pratiques pour répondre aux différentes questions qui ne manqueront pas de se poser au quotidien dans l’ordre juridique interne.


ANNEXE : ARTICLE 3 DE LA DIRECTIVE 2010/64/UE DROIT À LA TRADUCTION DES DOCUMENTS ESSENTIELS

25

  1. Les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies qui ne comprennent pas la langue de la procédure pénale concernée bénéficient, dans un délai raisonnable, de la traduction écrite de tous les documents essentiels pour leur permettre d’exercer leurs droits de défense et pour garantir le caractère équitable de la procédure.
  2. Parmi ces documents essentiels figurent toute décision privative de liberté, toutes charges ou tout acte d’accusation, et tout jugement.
  3. Les autorités compétentes décident au cas par cas si tout autre document est essentiel. Les suspects ou les personnes poursuivies, ou leur conseil juridique, peuvent présenter une demande motivée à cet effet.
  4. Il n’est pas obligatoire de traduire les passages des documents essentiels qui ne sont pas pertinents pour permettre aux suspects ou aux personnes poursuivies d’avoir connaissance des faits qui leur sont reprochés.
  5. Les États membres veillent à ce que, conformément aux procédures prévues par le droit national, les suspects ou les personnes poursuivies aient le droit de contester la décision concluant à l’inutilité de traduire des documents ou des passages de ces documents et que, lorsqu’une traduction est fournie, ils aient la possibilité de se plaindre de ce que la qualité de la traduction ne permet pas de garantir le caractère équitable de la procédure.
  6. Dans les procédures relatives à l’exécution d’un mandat d’arrêt européen, l’État membre d’exécution veille à ce que ses autorités compétentes fournissent à toute personne visée par une telle procédure qui ne comprend pas la langue dans laquelle le mandat d’arrêt européen est établi, ou dans laquelle il a été traduit par l’État membre d’émission, une traduction écrite de celui-ci.
  7. À titre d’exception aux règles générales fixées aux paragraphes 1, 2, 3 et 6, une traduction orale ou un résumé oral des documents essentiels peuvent être fournis à la place d’une traduction écrite, à condition que cette traduction orale ou ce résumé oral ne portent pas atteinte au caractère équitable de la procédure.
  8. En cas de renonciation au droit à la traduction des documents visés au présent article, les suspects ou les personnes poursuivies doivent avoir préalablement été conseillés juridiquement ou informés pleinement par tout autre moyen des conséquences de cette renonciation, et celle-ci doit être sans équivoque et formulée de plein gré.
  9. La traduction prévue par le présent article est d’une qualité suffisante pour garantir le caractère équitable de la procédure, notamment en veillant à ce que les suspects ou les personnes poursuivies dans le cadre d’une procédure pénale aient connaissance des faits qui leur sont reprochés et soient en mesure d’exercer leurs droits de défense.

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Date de mise en ligne : 01/02/2017

https://doi.org/10.3917/ela.183.0281

Notes

  • [1]
    Kamasinski c. Autriche, 19 décembre 1989, série A no 168 ; la Cour y a notamment conclu (§ 74) que « [l]e droit, proclamé au paragraphe 3 e) de l’article 6, à l’assistance gratuite d’un interprète ne vaut pas pour les seules déclarations orales à l’audience, mais aussi pour les pièces écrites et pour l’instruction préparatoire », en identifiant comme pièce essentielle à traduire l’acte d’accusation (§ 79), surtout à la lumière du paragraphe 3 a), mais en précisant que « [l]e paragraphe 3 e) ne va pourtant pas jusqu’à exiger une traduction écrite de toute preuve documentaire ou pièce officielle du dossier ». (La jurisprudence citée dans le présent article est celle de la Cour européenne des droits de l’homme.)
  • [2]
    Brozicek c. Italie, 19 décembre 1989, série A no 167.
  • [3]
    L’article 6 § 3 énonce : « Tout accusé a droit notamment à : e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience ». Pour une analyse de la jurisprudence pertinente de Strasbourg, voir Fragkou, 2012, et Brannan, 2012.
  • [4]
    Directive 2010/64/UE du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2010 relative au droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales (applicable aux États membres de l’UE sauf le Danemark) ; JO L 280 du 26 octobre 2010. Pour l’article 3, voir le texte en annexe.
  • [5]
    Spronken, Vermeulen, Vocht et Puyenbroeck, 2009 : 90-95 ; voir également Ortega Herráez, Giambruno et Hertog, 2013 : 105-106.
  • [6]
    Les termes anglais dans l’étude sont « charge or indictment », comme dans la directive 2010/64/ UE. En droit français, il s’agit surtout de l’ordonnance ou l’arrêt de renvoi pour indictment (« acte d’accusation » dans la jurisprudence Kamasinski) et la notion de charge au sens large correspond à tout acte informant l’intéressé des faits reprochés (« accusation » en français, au sens de l’article 6 de la CEDH).
  • [7]
    Charge : 12 États ; indictment : 13 États ; motifs de mise en détention : 9 États ; jugement ou arrêt définitif : 11 États.
  • [8]
    Cape et al., 2010 : 239-240 ; chapitre sur la France de P. Descarpes (une jurisprudence interne de 1998 précise que la traduction de certaines pièces du dossier n’est pas obligatoire).
  • [9]
    Marembert, 2013 : 245 : « La pratique actuelle des tribunaux français est que, si le prévenu, alors même qu’il a été assisté par un interprète pendant toute l’instruction, ce qui démontre sa méconnaissance du français, ne demande pas expressément la traduction des ordonnances de renvoi ou citations directes qui l’accusent, elles ne lui sont pas traduites ; et encore, certains présidents acceptent d’y procéder dès qu’on le leur demande, mais d’autres renâclent encore ! »
  • [10]
    Article 407 : « Dans le cas où le prévenu, la partie civile ou le témoin ne parle pas suffisamment la langue française, ou s’il est nécessaire de traduire un document versé aux débats, le président désigne d’office un interprète… » (l’article 344 s’appliquant à la cour d’assises).
  • [11]
    Voir Ortega Herráez et al., 2013 : 98-99.
  • [12]
    Voir la recommandation de la Commission européenne dans son Livre Vert sur les « Garanties procédurales accordées aux suspects et aux personnes mises en cause dans des procédures pénales dans l’Union européenne », 19 février 2003, COM (2003) 75 final, p. 26 : « Bien que généralement associés, les interprètes et les traducteurs doivent être considérés comme appartenant à deux catégories professionnelles distinctes du fait de leurs compétences différentes et des rôles propres qu’ils jouent au cours de l’instance pénale.… Tous les registres nationaux doivent tenir compte de cette distinction. Il serait peut-être même plus efficace pour les États membres de tenir deux registres distincts. »
  • [13]
    En Finlande (service privé de traductions certifiées), en Hongrie (une autorité publique), et en Lettonie (agents du service des poursuites) ; voir Spronken et Attinger, 2005 : 182, 185 et 188.
  • [14]
    Par exemple en Espagne et en Estonie (voir Ortega Herráez et al., 2013 : 102).
  • [15]
    Voir, par exemple, Monjean-Decaudin, 2011, 763-781 ; aussi : Cras et de Matteis, 2010.
  • [16]
    Proposition de décision-cadre du Conseil relative au droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales, le 8 juillet 2009, COM (2009) 338 final. Quelques années plus tôt, la proposition de décision-cadre du Conseil relative à certains droits procéduraux accordés dans le cadre des procédures pénales dans l’Union européenne, du 28 avril 2004, COM (2004) 328 final, contenait également un article 7 intitulé « Droit à la traduction gratuite des documents utiles ».
  • [17]
    Voir Cras et de Matteis, 2010 (les délégations nationales craignaient l’impact financier d’un volume important de traductions).
  • [18]
    Proposition de directive de la Commission européenne, 9 mars 2010, COM (2010) 82 final, Article 3 § 3.
  • [19]
    Voir le rapport du 20 janvier 2010 de la commission des affaires européennes de la chambre des communes (House of Commons, European Scrutiny Committee) au point 7.16 http://www.publications.parliament.uk/pa/cm200910/cmselect/cmeuleg/5-vii/509.htm (consulté le 14 septembre 2015).
  • [20]
    Dans la proposition de décision-cadre de 2009 le terme « droit de recours » était la traduction de « right of appeal », notion rejetée par le gouvernement britannique (voir le document cité à la note précédente, points 7.15 et 7.16).
  • [21]
    Cras et de Matteis, 2010 : 159-160. De telles preuves documentaires pourraient comprendre, par exemple, certains rapports d’experts, les transcriptions d’écoutes téléphoniques, les déclarations écrites de témoins…
  • [22]
    Directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales.
  • [23]
    Deux des traductions officielles ne distinguent pas les termes « charge » et « indictment » : l’espagnol indique simplement « escrito de acusación », et l’allemand « Anklageschrift » ; nous avons déjà évoqué la traduction de ces termes en français dans une note ci-dessus, et l’emploi de « charges » dans la version française pourrait d’ailleurs prêter à confusion.
  • [24]
    Le projet de loi du 20 février 2013 adopté en France énumère en annexe un nombre important de pièces qui pourraient potentiellement faire l’objet d’une traduction, chiffrant le coût total de la traduction écrite à au moins 23 millions d’euros par an ; Assemblée nationale XIVe législature, doc. n° 736.
  • [25]
    Voir la décision H.K. c. Belgique, n° 22738/08, 12 janvier 2010 : « Quant à la circonstance selon laquelle la traduction est de mauvaise qualité… il ressort clairement du dossier… que le sens général du texte des réquisitions est accessible dans une langue qu’il comprend même si la précision de certains termes a pu lui échapper ».
  • [26]
    Voir Kamasinski, arrêt précité, § 74 : « L’obligation des autorités compétentes ne se limite donc pas à désigner un interprète : il leur incombe en outre, une fois alertées dans un cas donné, d’exercer un certain contrôle ultérieur de la valeur de l’interprétation assurée ».
  • [27]
    Dans l’affaire Amer c. Turquie, n° 25720/02, 13 janvier 2009 (violation de l’article 6), le requérant n’avait pas besoin d’un interprète pendant sa garde à vue, mais avait des problèmes pour comprendre à l’écrit ses propres déclarations telles que transcrites dans la langue nationale.
  • [28]
    La possibilité de renoncer à une traduction écrite est admise dans la jurisprudence de Strasbourg (voir par exemple, Kamasinski, arrêt précité, § 80).
  • [29]
    Interprétation suggérée par Cras et de Matteis, 2010 : 160.
  • [30]
    Voir Monjean-Decaudin, 2012 : 150.
  • [31]
    Observations du secrétariat du Conseil de l’Europe sur le projet de directive, 29 janvier 2010.
  • [32]
    En France, le décret d’application n° 2013-958 du 25 octobre 2013 prévoit que « [l]es passages pertinents… sont déterminés, selon le stade de la procédure, par le procureur de la République, par le juge d’instruction ou par la juridiction de jugement saisie ». Selon le projet de loi du 20 février 2013 (précité, p. 70) : « le traitement de la demande d’une traduction écrite alourdira le traitement du dossier par le greffe et nécessitera le cas échéant l’intervention du juge pour identifier la partie du document à traduire.… la durée de traitement des difficultés liées à la demande par le juge [est] estimée à 5 minutes (s’il s’agit de vérifier les éléments qui doivent être traduits dans le cas de traduction écrite partielle) ».
  • [33]
    Voir Cras et de Matteis, 2010 : 160.
  • [34]
    Hermi c. Italie [Grande Chambre], no 18114/02, CEDH 2006 XII, § 70 : « il convient de noter que le texte de la disposition en question fait référence à un “interprète”, et non à un “traducteur”. Cela donne à penser qu’une assistance linguistique orale peut satisfaire aux exigences de la Convention ».
  • [35]
    Le critère décisif étant que « l’assistance prêtée en matière d’interprétation [ou de traduction] doit permettre à l’accusé de savoir ce qu’on lui reproche et de se défendre, notamment en livrant au tribunal sa version des événements » (Hermi, arrêt précité) ; voir Justice Forum Meeting on Procedural Rights, Background Document, 9 novembre 2009 : http://www.ecba.org/extdocserv/projects/JusticeForum/JF_PR_background.pdf (consulté le 14 septembre 2015).
  • [36]
    Parlement européen, 14 juin 2010, explications de vote.
  • [37]
    Observations du secrétariat du Conseil de l’Europe sur le projet de directive, précitées : « this provision raises concerns and risks of violations of Article 6 in it simplementation at the domestic level. As the cases and circumstances in which an ‘oral summary’ could be, as a matter of principle, a valid substitute for a written translation seem quite limited, this Article should be applied in very specific circumstances ».
  • [38]
    Observations de l’Union syndicale des magistrats, 20 mars 2013 : http://www.union-syndicale-magistrats.org/web/upload_fich/publication/rapports/2013/ddai20mars13.pdf (consulté le 14 septembre 2015).
  • [39]
    Devant le Parlement européen, lors de la première lecture susmentionnée de la directive, la baronne Ludford a annoncé : « We secured the right to limit recourse to partial translation, so all essential material must be translated and oral exceptions must indeed be exceptions, and that the suspect should not be allowed to waive the right to translation without prior advice ». Ce point a par ailleurs été souligné par Mme A. Girardin devant l’Assemblée nationale, le 15 mai 2013 : « Il faut en effet se féliciter que les députés européens aient obtenu la limitation par principe du recours à des traductions partielles ou orales – le suspect ne pouvant, par ailleurs, renoncer à ce droit sans avoir bénéficié d’un conseil juridique préalable ».
  • [40]
    Loi n° 2013-711 du 5 août 2013 portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France ; pour un commentaire plus complet sur l’aspect pertinent de cette loi, voir Daoud et Rennuit-Alezra, 2013 : 527, et Chavent-Leclère, 2013 : 25.
  • [41]
    Le texte du décret d’application n° 2013-958, du 25 octobre 2013, a été publié le 27 octobre.
  • [42]
    Rapport n° 840 déposé le 27 mars 2013, par Mme M. Karamanli au nom de la Commission des lois (XIIIe législature).
  • [43]
    Lorsque la copie en a été demandée en application de l’article 114 du Code de procédure pénale, qui prévoit que « les avocats des parties peuvent se faire délivrer, à leurs frais, copie de tout ou partie des pièces et actes du dossier ». La directive prévoit que les pièces qui sont toujours « essentielles » soient traduites d’office et gratuitement, deux conditions qui ne semblent pas réunies en l’espèce.
  • [44]
    Comme nous l’avons déjà constaté, la version anglaise de la directive emploie le terme « charge », qui relève d’un acte préliminaire de poursuite dans les pays concernés ; en Angleterre et au Pays de Galles, où cet acte est accompli par la police, il est donc prévu de fournir, à l’issue de la garde à vue, une traduction écrite du constat d’infraction et des procès-verbaux d’interrogatoire ; voir « Revised PACE Code C », Annexe M. : https://www.gov.uk/government/consultations/revised-pace-codes-of-practice-c-and-h (consulté le 14 septembre 2015).
  • [45]
    Le décret d’application précise que le délai tiendra compte « du nombre et de la complexité des documents à traduire, et de la langue dans laquelle ils doivent être traduits » ; autrement dit, un délai plus long serait justifié dans certains cas et notamment pour certaines langues « exotiques ».
  • [46]
    Voir la section 1, paragraphe 1, du décret d’application n° 2013-958.
  • [47]
    Voir le projet de loi, précité, p. 23 : « Le juge devra vérifier la qualité de l’interprétation et de la traduction, qui doit garantir le caractère équitable de la procédure ». Voir aussi Schaller, 2013 : 236. La directive prévoit, par ailleurs, à l’article 6, une formation des magistrats afin de les sensibiliser aux questions linguistiques.
  • [48]
    Voir l’observation de Daoud et Rennuit-Alezra (2013 : 530-531), au sujet de la loi française : « … en introduisant une exception à la traduction écrite des documents essentiels, sans définir les contours et les modalités d’application de celle-ci, l’on peut craindre que cette possibilité de traduction orale dépasse la simple application exceptionnelle ». Le décret d’application n’apporte guère de précision à ce sujet.
  • [49]
    Comme le constate le magistrat français B. Lavielle (2011 : 443) : « Absence d’interprète inscrit dans telle langue ou dialecte, manque de disponibilité d’un traducteur habituel, absence de formation aux tournures et formules judiciaires, règlement tardif des honoraires, tout concourt à la pénurie… ».
  • [50]
    Cass. crim., 7 janv. 2015, pourvoi n° 14-86226.
  • [51]
    Cela, s’il s’avérait impossible de trouver un traducteur (assermenté) en langue hongroise ; par ailleurs, il est courant au Royaume-Uni pour l’interprète de procéder à une traduction écrite à l’issue de la garde à vue.
  • [52]
    Voir Hermi c. Italie [GC], arrêt précité, § 72 : « … même si la conduite de la défense appartient pour l’essentiel à l’accusé et à son avocat, commis au titre de l’aide judiciaire ou rétribué par son client…, les tribunaux internes sont les ultimes garants de l’équité de la procédure, y compris en ce qui concerne l’absence éventuelle de traduction ou d’interprétation en faveur d’un accusé étranger… » (voir aussi Katritsch c. France, n° 22575/08, 4 novembre 2010, § 44).
  • [53]
    Voir, par exemple, Husain c. Italie (décision), n° 18913/03, 24 février 2005 : « L’intéressé n’a par ailleurs pas contesté la qualité de cette traduction, ce qui a pu amener les autorités à penser qu’il avait compris le contenu du document litigieux ». Dans l’arrêt Katritsch (arrêt précité, § 45), la Cour a retenu que le requérant « n’a formulé aucune demande d’interprétariat » ; voir aussi Protopapa c. Turquie, n° 16084/90, 2009, et Horvath c. Belgique (décision), n° 6224/07, 2012.
  • [54]
    Une demande de décision préjudicielle a été formée par un tribunal allemand le 30 avril 2014 (CJUE, affaire C-216/14, procédure pénale contre G. Covaci), sur la question, entre autres, de savoir si la directive 2010/64/UE doit s’entendre comme imposant la traduction d’un recours en langue étrangère vers la langue nationale.

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