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Article de revue

Une dictionnairique possible pour les nouveaux dictionnaires

Pages 37 à 47

Notes

  • [1]
    Nous remercions Massimo Palumbo, informaticien, avec lequel nous nous sommes confrontée pour évaluer la correction des informations techniques à notre disposition.
  • [2]
    C’est bien le cas de dictionnaires produits par des groupes de recherche publiquement subventionnés pour leur publication même en ligne, mais non pas pour leur mise à jours.
  • [3]
    À la difficulté d’achat des dictionnaires il faut ajouter aussi la méfiance qu’encore une grande partie des utilisateurs de la toile nourri pour les achats en ligne, pas toujours sécurisées et souvent engendrant des démarches ennuyantes pour des imports minimaux.

INTRODUCTION

1 Le désir de classer, posséder, maîtriser les mots se perd dans la nuit des temps. Dès les premiers lexicographes, souvent de bons observateurs de la langue avant d’être d’excellents chercheurs, jusqu’aux plus performants ingénieurs linguistes computationnels chargés d’imaginer et d’expérimenter les innovations les plus audacieuses, la dictionnairique, d’une manière cachée ou plus avouée, a toujours gardé une grande place dans la confection de tous les dictionnaires. D’ailleurs, les premiers ingénieurs linguistes computationnels avec l’aide des informaticiens nous ont bien habitués aux transformations. Des fiches perforées des premières archives électroniques à la conception de véritables dictionnaires électroniques jusqu’à la possibilité de compacter tout le savoir de 2000 pages dans un cédérom, maintenant remplacé par les logiciels ou les connexions virtuelles, même sans la nommer, la dictionnairique a tenu son rôle dans cette alternance de possibilités et de limitations.

2 D’ailleurs, au fil du temps, l’ampleur des informations à gérer et la variété des supports ont fini pour imposer une séparation supplémentaire :

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La dictionnairique externe s’occupe du choix des éléments à introduire dans un dictionnaire, la dictionnairique interne se focalise sur le contenu et l’organisation des espaces attribués aux éléments introduits. (Lo Nostro, 2012a : 99)

4 Cette séparation est apte à gérer la conjonction des trois axes autour desquels s’articulent, à notre avis, les dictionnaires :

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À savoir : l’axe linguistique concernant le choix de la ou des langues objet du dictionnaire (monolingue, bilingue, plurilingue) ; l’axe quantitatif traitant du catalogage des dictionnaires selon des critères tels que quantitativement restrictif ou extensif et général ou spécialisé et l’axe qualitatif intéressant deux sous axes englobant la qualité de l’information choisie (de langue ou encyclopédique) et la forme compte tenu de la typologie du lecteur cible (qualitativement restrictif ou extensif, de dépannage, junior ou d’apprentissage, adulte). (Lo Nostro, 2012a : 53)

6 Les études théoriques ont souvent dû laisser le dernier mot à leur application pratique particulièrement là où la possible disparition de tous les supports papiers devenait, au fur et à mesure, plus probable même si elle reste toujours très discutée (Lo Nostro, 2013). De fait :

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Le 18 octobre (2012), le magazine Newsweek informe ses lecteurs qu’il bascule au tout numérique. Le 7 novembre (2012), Macmillan Dictionary informe la presse de son abandon du papier au profit du numérique. Et le 13 novembre (2012) l’Encyclopedia Universalis annonce qu’elle troque le papier pour le numérique. Bref, en moins d’un mois, trois grandes institutions délaissent le papier pour le numérique. (Anonyme, 2012)

8 Mise à part la conviction des plus nostalgiques, dont nous faisons partie, les frais de publication, la baisse d’un public fidèle et les indéniables aspects pratiques concernant les supports numériques poussent sans arrêt à un passage presque exclusif au numérique.

9 Une transformation apparemment rapide et presque automatique, mais qui, de fait, cache, comme nous le verrons ensemble, des problèmes et des conséquences risquées.

1. UNE PRISE DE CONSCIENCE NÉCESSAIRE

10 Dans les dernières décennies, comme nous venons de le constater, le passage du papier à l’électronique a été annoncé et parfois souhaité à maintes reprises. La perception des atouts, pas encore bien exploités mais possibles, a joué un grand rôle. Parmi les possibilités que l’informatique ouvre à la lexicographie, l’espace – la contrainte la plus pressante – a souvent permis de mettre de côté les risques cachés derrière les raisons des plus nostalgiques. Les atouts techniques ont donc permis d’accepter instantanément la perte d’informations, le manque d’organisation du matériel, la désaffection à la recherche du goût du mot et de son sens, etc.

11 Toutefois, l’idée d’une possible substitution totale était pourtant toujours repoussée grâce au fait qu’aucun dictionnaire n’avait été pensé exclusivement pour son exploitation numérique. Dans la plupart des cas il ne s’agissait que de passer un contenu d’un support à l’autre (Lo Nostro, 2012 : 75-91) sans le concevoir pour les possibilités réelles d’un outil capable de pallier le manque d’espace, à des recherches parfois longues et vaines et à l’impossibilité d’introduire des éléments paratextuels.

12 La dichotomie entre tradition et innovation, entre difficulté d’application et transformations parfois trop rapides, a souvent inquiété les experts toujours très vigilants par rapport au risque de perdre le patrimoine papier. Pourtant, obnubilés par la guerre papier/numérique on a ignoré un risque encore plus grand, celui de voir disparaître la lexicographie face aux moteurs de recherche dont la consultation est toujours plus rapide et parfois fautive.

13 Hélas, les dictionnaires sont de moins en moins achetés et utilisés. L’habitude d’acheter un dictionnaire, en relation avec l’inscription à un cours, des écoles primaires aux grandes écoles, et la présence de cet objet sur les bureaux de nos maisons, sur les bancs des élèves et étudiants, sont toujours plus rares. Sans compter que sans doute, le déjà plus rapide, mais parfois peu pratique, dictionnaire numérique qu’il soit hors ligne ou en ligne, risque fort de disparaître complètement pour laisser sa place aux moteurs de recherche.

14 « Re-concevoir le dictionnaire à partir des supports » (Lo Nostro 2012a : 116), donc ne peut que devenir l’impératif pour tous ceux qui aiment, étudient et cherchent à concevoir les dictionnaires dont on puisse bénéficier le plus.

2. UNE PROMENADE DU PASSÉ AU PRÉSENT [1]

15 Dans ce décor où le support physique devient toujours moins perceptible et que la confusion parmi les différents supports électroniques, les langages informatiques, les logiciels et les applications est fort possible, on commence à percevoir cet outil toujours moins réel au point d’avoir presque la perception de « virtuels ». Toutefois, même si l’idée peut sembler séduisante, elle n’est pas tout à fait correcte par rapport aux dictionnaires sur support électronique. En effet, le mot virtuel signifie « qui n’existe pas encore et qui ne peut que l’être en puissance » et dans le milieu informatique il se rapporte surtout à une réalité virtuelle, c’est-à-dire à cette réalité créée artificiellement et représentée à travers l’ordinateur, en tant que représentation d’une réalité vraie mais reconstruite à travers des informations acquises numériquement (par exemple la reconstruction numérique du cerveau) ou d’une réalité imagée ou vraisemblable (ex. le film Avatar).

16 Il est indéniable que les dictionnaires d’aujourd’hui sont les dictionnaires virtuels d’il y a cinquante ans et qu’ils pourront faire face à bien d’autres évolutions. Cependant, avant d’évaluer les possibles décors du monde lexicographique dans l’ère de la technologie, nous pensons qu’il est nécessaire de parcourir les étapes qui nous ont porté de l’analogique au web 1.0 et 2.0.

17 En effet, les informations étaient d’abord traitées de manière analogique. Avec le passage au numérique les caractères et les mots imprimés on dû être traités sous forme numérique, c’est-à-dire traduits dans un langage informatique, qui utilise le « digit » (0 ou 1) comme unité lexicale fondamentale pour les représenter.

18 Pour bien comprendre quel peut être l’apport de la dictionnairique dans l’ère de la technologie il faut aussi comprendre ce qui différencie les deux supports.

19 Ce qui distingue les dictionnaires traditionnels, papiers des dictionnaires numériques, et qui nous intéresse le plus en tant que dictionnaristes, c’est la manière dont les informations sont codifiées, à travers les caractères imprimés, dans le premier cas et à travers les « digits » et les « bits » dans le second. Ce processus influence beaucoup la manière avec laquelle on peut utiliser un dictionnaire, c’est-à-dire, ses modalités de consultation.

20 Alors que de manière traditionnelle, on ne pouvait que feuilleter le dictionnaire et effectuer une recherche de type séquentielle-alphabétique, le système numérique permet un plus grand nombre de possibilités de recherche, mais aussi de risques d’accumulation et de dispersion.

21 En ce qui concerne le format numérique, il faut tout d’abord considérer une idée fondamentale : il existe une division claire entre les informations et la manière de les présenter. Pour mieux nous expliquer, on peut imaginer les informations comme l’ensemble des connaissances qu’on peut extraire et visualiser de manière différente. Par exemple, on connaît la signification d’un mot et cette signification est fixée dans la mémoire comme une information. Dans ce cas-là, l’individu qui a mémorisé l’information fonctionne comme un ordinateur. Si, par exemple, un étudiant demande à son professeur de lui expliquer la signification d’un mot, le professeur peut choisir de lui répondre oralement ou de le transcrire au tableau noir. L’information enregistrée par le cerveau est la même, ce qui change, c’est la manière de l’exprimer.

22 Dans ce cas-là, c’est l’étudiant-utilisateur qui utilise, le professeur-ordinateur, pour faire sa recherche. La modalité choisie, orale ou écrite engendre une série d’opérations différentes. Ces opérations correspondent à ce qui, pour les ordinateurs, constituent les logiciels nécessaires pour montrer les informations requises. Nous avons donc parlé d’information (unique) et de modalité de présentation (qui sont multiples).

23 La manière avec laquelle l’information est organisée et stockée, définit les modalités de représentation à utiliser et les opérations exécutables sur celle-ci. En revenant à l’exemple de l’étudiant, si l’information concerne une illustration, il est plus facile de choisir de la dessiner plutôt que de la décrire. De même il peut demander la signification d’un mot à travers le terme, mais il peut aussi le chercher à travers une flexion ou un synonyme ou un sens expliqué à travers un contexte. Le processus mental qu’on utilisera pour comprendre quelle est la parole demandée, constitue la modalité de recherche. Finalement, on pourra choisir de fournir la description complète du terme, l’emploi dans un contexte précis et ainsi de suite. En ce qui concerne le discours « dictionnaire en ligne » plutôt que les logiciels téléchargeables, la question doit être considérée dans une vision différente.

24 Aujourd’hui, dans l’ère du WEB 2.0 quand on consulte avec le web browser un site, et on est sur une page précise d’un moteur de recherche, d’un dictionnaire en ligne ou d’un journal, on est en train d’utiliser non seulement le logiciel de navigation, comme firefox par exemple, mais aussi un logiciel qui demeure dans le server du site qui est en train d’interpréter les informations requises, il cherche les informations stockées dans ses bases de données et les propose selon une modalité précise de visualisation. Pour cette raison la différence entre un dictionnaire en ligne et un dictionnaire téléchargeable, à l’exception de quelques limitations, ne demeure pas dans la modalité de fonctionnement du programme, mais dans le lieu dans lequel demeurent les informations et les programmes de recherche.

25 Toujours à travers le parallèle enseignant/étudiant, ordinateur/utilisateur, on peut comparer un cours en présence à un système de « dictionnaire hors ligne », où les logiciels et les données demeurent localement dans l’ordinateur (l’enseignant) qui possède directement les données à consultation directe de l’utilisateur (l’étudiant) qui fait des recherches. Si, par contre, l’enseignant donne un cours en ligne, entre l’étudiant et l’enseignant il y a un intermédiaire qui a la tâche de collecter les informations demandées par l’étudiant et de les envoyer, d’attendre une réponse et de les rendre à l’étudiant. Si l’enseignant est l’ordinateur qui possède les données, l’intermédiaire constitue la liaison en ligne entre l’étudiant et l’enseignant, même dans ce cas là, l’étudiant est l’utilisateur final. Ce système « dictionnaire en ligne » se différencie du premier seulement par la typologie de lien à l’enseignant/ordinateur.

26 Quand les ordinateurs n’étaient pas aussi puissants qu’aujourd’hui, et quand les connections internet n’étaient pas si rapides et courantes, il y avait une bonne raison pour diffuser les dictionnaires numériques en ligne, c’est-à-dire des logiciels et des données qui demeuraient dans l’ordinateur de l’utilisateur. À l’heure actuelle, la situation est bien différente. Avec l’arrivée du WEB 2.0 on a vu un premier changement fondamental déjà dans la consultation des dictionnaires en ligne.

27 Avec le WEB 1.0 la recherche d’un terme à travers une page web consistait dans le fait d’introduire un terme dans une case de recherche et d’envoyer la demande au serveur qui élaborait la page entière. Pour mieux nous expliquer, à chaque envoi des données la page était relue par le serveur avec les nouvelles informations.

28 Avec le WEB 2.0, par contre, la communication avec le serveur est simultanée. Ce processus est bien visible à travers une fonction automatique d’ajouts/suggestions sur la page d’un moteur de recherche. Au fur et à mesure des premières lettres frappées dans la case de recherche, des mots/suggestions possibles apparaissent. Ces mots constituent le résultat obtenu à travers les serveurs du moteur de recherche en correspondance à ce qu’on vient d’écrire. Sans même devoir ré-télécharger la page, chaque fois qu’on écrit une lettre le browser envoie une demande au server du moteur de recherche et reçoit des réponses et met à jour la page. Qu’il s agisse de suggestions de recherche ou de signifiés d’un mot, le mécanisme est le même.

29 Avec le WEB 2.0 le browser devient similaire à un logiciel qui tourne dans les différents systèmes d’exploitation des ordinateurs en outre la disponibilité et la rapidité des connexions internet et la puissance des ordinateurs rendent presque indifférent le fait que les données demeurent dans l’ordinateur ou dans un serveur. En outre la technologie (les langages de programmation) avec lesquels on réalise les pages WEB 2.0 et les logiciels pour les ordinateurs sont plus ou moins les mêmes, ce qui fait qu’un logiciel pour la consultation en ligne d’un dictionnaire, avec peu de modifications, peut être utilisable en autonomie sur un ordinateur ou sur un téléphone.

30 L’accès au réseau permet que la distribution et la mise à jour des logiciels et des données demeurant dans les ordinateurs soit plus simple et rapide. De cette façon les coûts de gestion des maisons d’édition des dictionnaires numériques sont beaucoup plus accessibles, étant donné qu’il ne faut pas gérer plusieurs plate formes ou systèmes différents.

31 Toutes ces évolutions, par rapport à notre domaine de recherche, impliquent que, si avant on assistait à une forte différence entre les dictionnaires digitaux hors ligne et en ligne, aujourd’hui cette différence se réduit, d’un point de vue d’interface et de modalité de fonctionnement et d’un point de vue de typologie et de nature des informations. Autrefois, avec l’ordinateur connecté à internet, c’était le programme même, le dictionnaire numérique hors ligne qui se connectait au server et contrôlait s’il y avait des mises à jour et les téléchargeait dans l’ordinateur, de manière à garantir une correspondance presque synchronique entre la version en ligne et celle hors ligne. La tendance, aujourd’hui est donc de fournir une seule plate-forme pour permettre de consulter le même dictionnaire en ligne et hors ligne. Ce que sont en train de faire toutes les plus grandes maisons d’édition de dictionnaires. Elles fournissent de nouvelles plateformes permettant de consulter le dictionnaire sans connexion internet téléchargeant la version hors ligne ou dans tous les dispositifs (portables, tablettes, ordinateurs) partout, à travers la version en ligne.

32 Il est évident que tout ce que nous venons d’évoquer est valide aussi pour les systèmes d’intégration des dictionnaires dans les différentes applications de lecture ou d’écriture. La séparation, l’indépendance et la standardisation des procès de codification et de mémorisation des données de recherche et de représentation, permettent de changer aisément seulement un des sous-systèmes. Pour simplifier, encore maintenant les informaticiens maintiennent inaltéré le système de mémorisation des données et les systèmes d’interrogation, donc le cœur d’un dictionnaire numérique peut être utilisé avec une remarquable économie aussi bien pour l’emploi en ligne que pour l’emploi hors ligne, en modalité web ou en modalité bureau, pour la modalité app, android ou iphone et pour la modalité intégrée d’autres logiciels comme par exemple la liseuse Kindle.

3. LA PLACE DE LA DICTIONNAIRIQUE

33 À la lumière de ces évolutions et des prochaines tendant d’avantage à l’exploitation presque infinie de l’espace virtuel, la dictionnairique qui depuis toujours à vu sa tâche souvent limitée à l’organisation typographique pour mieux gérer les espaces contraignants des dictionnaires papiers et des premiers numériques sur CD-ROM, a-t-elle encore une place dans le domaine de la lexicographie ?

34 Après une réflexion, possible seulement à la lumière de la longue description de l’état de l’art dans le domaine informatique, que nous venons de partager, il est indéniable que la réponse est encore une fois, et toujours plus, affirmative.

35 L’expansion désormais sans limites de la capacité de contenir des informations n’a jamais correspondu et jamais ne correspondra à la capacité d’exploiter, de trier et de contenir toutes les informations cherchées par l’utilisateur. Les mots, dans les dictionnaires bilingues, encore plus que dans les dictionnaires monolingues – mais souvent moins utilisés par les non-natifs – apparaissent d’habitude hors contexte et interchangeables indifféremment.

36 Pour cette raison et bien d’autres que nous allons présenter, la distinction est désormais nécessaire. L’éventualité d’occulter une distinction entre les deux branches n’est chose possible que pour peu de monde (Lo Nostro, 2012 : 25).

37 L’approche, comme dans le passage papier/informatique, a bien changé. Il y a toujours moins de chercheurs qui s’attellent à la confection du dictionnaire à travers une formation sur le terrain. Les lexicographes sont d’avantage obligés d’occuper d’autres domaines que la lexicographie, la lexicologie, l’histoire de la langue et toutes les autres disciplines concernant les mots. La connaissance, plus ou moins approfondie de l’informatique, et non seulement de la linguistique computationnelle, ainsi que des stratégies de recherche et pourquoi pas de marketing deviennent de fait un nouvel impératif.

38 Si la technologie a, de quelque manière, libéré l’utilisateur de l’exploitation d’un outil parfois lourd et difficile à utiliser, de l’autre côté elle l’a jeté dans l’océan des mots sans l’accompagner d’un sextant pour se repérer dans la navigation. C’est ainsi que l’utilisateur – qui n’a jamais perdu l’envie forte de recevoir la bonne réponse en temps record et au plus bas prix – se retrouve dans les îles de divers moteurs de recherche qu’ils échangent par dictionnaires, dans les archipels des sources en libre accès conçus par des amateurs bénévoles où les données échappent à tout contrôle d’experts.

39 Loin de tout tableau catastrophique, nous sommes persuadée qu’incombe à la dictionnairique la tâche de se poser en catalyseur des exigences du public, de la gestion des données et des possibilités réelles de la technologie. Pour commencer, son rôle principal consiste sans doute à accorder une attention spéciale au fait d’éviter la plupart des situations d’accumulation. La possibilité de disposer d’un espace presque illimité est sans aucun doute le danger le plus grand pour un chercheur. Un nombre encombrant de données mal disposées, non seulement éloigne le lecteur, mais peut constituer aussi un problème pour les moteurs de recherche. Bien que les modalités de recherche avancée soient toujours plus performantes, les possibilités d’occurrences peuvent également donner origine à des résultats complexes et parfois contradictoires, incapables de dissiper les doutes du lecteur. S’impose assurément une extrême rigueur dans la présentation typographique (Bernard-Paul Eminet, s.d.) sur les supports papiers, ainsi que hors ligne et en ligne.

40

La typographie règle, comme un chorégraphe, le ballet de tous les éléments indispensables pour la bonne compréhension et la contextualisation correcte du mot. Omniprésente même si invisible, la typographie constitue, de la jaquette aux marques, le premier et le dernier détail qui touchent l’œil tombant sur n’importe quelle partie du dictionnaire. Elle semble être un paramètre négligeable et sans importance, pourtant son influence, en matière de choix est incontestable. Combien de fois avons-nous choisi un livre plutôt qu’un autre rien que pour l’illustration de la jaquette, pour la taille des caractères ou tout simplement pour une sensation au toucher ?… Le dictionnaire est sans doute un objet capable de susciter plusieurs émotions. Finalement, même si on ne les connaît pas bien on ne les choisit jamais par hasard. Il y a toujours quelque chose, un tout petit élément qui nous capture plus que les autres, le prix, le format, le contenu, tout contribue à définir celui sur lequel s’arrêtera notre choix.
La sectorisation des différents éléments, pour permettre une analyse approfondie et technique sans enlever le charme que l’outil suscite en tous ses passionnés, a été notre plus grande difficulté.
On ne peut pas, objectivement, considérer qu’un seul aspect d’un dictionnaire dont les multiples facettes nous incitent, au contraire, à élargir notre vision. Tous les éléments qui le composent prévoient une appréhension globale et une perception analytique, un bon dictionnaire est le résultat d’une bonne harmonie des deux. La typographie est cette donnée qui amalgame texte et paratexte, forme et contenu, œil et cœur. (Lo Nostro, 2012a : 135-136)

41 D’ailleurs, non seulement il a été démontré que la lecture sur l’écran est beaucoup moins facile que sur le papier (Anonyme, 2009), mais l’homogénéité d’une présentation universelle permettrait aussi de mieux se familiariser avec les informations trouvées et d’accélérer le processus de recherche (Lo Nostro, 2012a : 136-157).

42 Mise à part donc l’analyse de la lisibilité qui a fait partie d’une autre de nos études (Lo Nostro, à paraître) il est évident que la gestion de la dictionnairique externe ouvre un éventail de possibilités auquel on confie la lourde tâche d’attirer de nouveau le public vers cet outil de plus en plus négligé et mal employé. Le manque de limite théorique ne facilite pas l’exploitation et encore moins l’organisation du sens ou les exigences réelles d’un public si hétérogène. La possibilité de mieux gérer les articles longs, ne fournissant que des informations de base, mais avec la possibilité d’approfondir la recherche hypertextuelle en touchant l’écran n’est plus une utopie mais mises à part les hypothétiques possibilités de gestion unifiée des différents supports, il reste encore une incompatibilité, parmi les différents supports, liée à des exigences de marketing :

43

Parfois, la lisibilité reste souvent anéantie dans les labyrinthes des différentes versions et formats (e-pub, mobi, azw3, fb2, htmlz, lit, lrf, pdb, pdf, pmlz, rb, rtf, snb, tcr, txt, txtz, zip). Ainsi, même dans les nouveaux, peut-on, par exemple, lire un numérique sur une tablette ou sur une liseuse, mais pas automatiquement sur toutes les deux à chaque fois. Sans oublier qu’à ce risque d’incompatibilité s’ajoute l’incompatibilité voulue par les maisons de diffusion telles qu’Amazon ou Fnac pour garantir la vente des e-books qu’elles diffusent. Il s’agit d’une sorte de protection des droits de reproduction qui empêche encore, dans les liseuses, la transmission de certains fichiers pdf, ou word et le manque d’audio, une option désormais essentielle pour des dictionnaires numériques. (Lo Nostro, à paraître).

44 En l’état actuel le panorama des dictionnaires numériques offre donc une double possibilité. D’un côté une possibilité souvent gratuite, mais sans contrôle et par conséquent souvent de très basse qualité ou dans le meilleur des cas sans mises à jours [2]. De l’autre, la possibilité de produits toujours plus performants, mais dont le coût, tout raisonnable qu’il peut être, favorise la désaffection de la source « dictionnaire », jusqu’à il y a une dizaine d’années, jugées officielles et inaliénables. Toutefois, sachant, que tout changement, dans sa vague déstabilisatrice, garde un monde infini de ressources, c’est plutôt avec une grande vision d’ensemble vers les stratégies mises en acte dans d’autres domaines craignant un manque de fidélisation et un fort piratage, tels que le secteur musical et cinématographique, qu’il faut diriger notre regard avec une grande attention.

45 Avant de discuter encore une fois sur tous les éléments à introduire ou à éviter, nous sommes persuadée qu’il faut s’interroger sur la nécessité de fidéliser un public toujours plus distrait et désaffectionné et de plus en plus moins disponible à payer pour des informations de qualité alors qu’il peut recevoir des informations moyennes rapidement et sans coûts ajoutés [3].

CONCLUSION

46 Comme nous avons pu le constater au cours de ces pages, pour faire face à l’éventuelle prédominance totale des supports électroniques, comme nous l’avons déjà affirmé :

47

nous tous lexicographes, dictionnaristes, chercheurs nous sommes appelés à trouver encore une fois des solutions claires et bien lisibles pour qu’au moins cela nous permette de revenir toujours plus à une profitable consulecture (Rey, 2011 : 249) à travers un LECTOCONSULTATION pour retrouver pour retrouver le plaisir de la lecture, de la langue et de la culture. (Lo Nostro, à paraître)

48 La peur de la perte des données, de notre patrimoine linguistique, culturel, social, ne peut pas être affranchie à travers la défense à outrance de vieux systèmes et d’anciennes habitudes. Il faut se laisser imprégner par ce mélange d’ancien et de nouveau, risquer de se perdre comme plusieurs d’entre nous ont failli le faire maintes fois dans nos forêts des mots, nos aimables dictionnaires, pour partir à la découverte. Voilà pourquoi, avec toujours plus de confiance, nous souhaitons que ce passage, entre lecture et consultation devenant de plus en plus direct et rapide, constitue la charnière d’unification pour la conception et la confection d’une nouvelle ère de dictionnaires.

RÉFÉRENCES BIIBLIOGRAPHIQUES ET SITOGRAPHIQUES

  • ANONYME. 2012. « Du papier au numérique. Petite revue de presse - Dossier d’information », Fondation littéraire Fleurs de Lys, Article mis en ligne le 10 novembre 2012 http://manuscritdepot.com/internet-litteraire/actualite.423.htm
  • COLLINOT, A. MAZIÈRE, F. 1997. Un prêt à parler : le dictionnaire, Paris, PUF.
  • SZENDE, T. 2003. Les écarts culturels dans les dictionnaires bilingues, Paris, Honoré Champion.
  • CELOTTI, N. 2002. « La culture dans les dictionnaires bilingues : où, comment, laquelle ? », Ela, n. 128.
  • DE GIOVANNI, C. 2011. « Pragmatique et didactique du dictionnaire quelques réflexions », Les Cahiers du dictionnaire, Paris, Garnier, vol. 2, pp.93-104.
  • DOTOLI, G. 2011. « Quel dictionnaire demain ? », Les cahiers du dicionnaire, Paris, Garnier, vol. 1, pp.13-22.
  • — . 2012. Le dictionnaire de la langue françaises. Théorie, pratique, utopie, Paris, Hermann.
  • KLARE, G. R. 1996. The Measurement of Readability, Iowa state University Press.
  • LO NOSTRO, M. 2005. « Enquête : les dictionnaires et leur public », Annali della Facoltà di lingue e letterature straniere terza serie 2004-2005, Fasano, Schena editore, 197-217.
  • — . 2012a. La dictionnairique bilingue analyses et suggestions Paris, Hermann.
  • — . 2012b. « Le dictionnaire que j’achèterai », in Giovanni Dotoli, Celeste Boccuzzi, Mariadomenica Lo Nostro, Le dictionnaire bilingue, tradition/innovation, coll. Linguistica, n. 59, p. 171-182.
  • — . 2013. « Dictionnaire a vocation didactique primaire et dictionnaire à vocation didactique secondaire », Les cahiers du dictionnaire, Classique Garnier, n. 5, p. 365-368.
  • — . À paraître. « La lisibilité dans les nouveaux dictionnaires de poche : les liseuses », Les Cahiers du dictionnaire.
  • MORVIN, D. 2001. « Le dictionnaire dans le temps d’internet », Giovanni Dotoli et Celeste Boccuzzi, Le temps du dictionnaire synchronie-diachronie, Fasano-Paris Schena-Alain Boudry et Cie, coll. Linguistica, n. 57, pp.31-38.
  • PORCHEZ, J.F. 2008. « La typographie, c’est l’invisible », in La typographie du livre français, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, p. 87-101.
  • PRUVOST, J. 1995. Les dictionnaires de langue française et l’informatique, Cergy-Pontoise, Centre de recherche texte/histoire.
  • — . 2002. Les dictionnaires de la langue française, Paris, PUF.
  • REY, A. 2011. Dictionnaire amoureux des Dictionnaires, Paris, Plon.
  • — . 2014. « La langue française en dictionnaires une mutation périlleuse » (p. 31) Cahiers de l’association internationale des études françaises. L’avenir du dictionnaire en langue française, le roman-fleuve, vitalité. Variétés et valeurs de la littérature de jeunesse, mai 2014, n. 66, p. 21-31.
  • SPIEZIA, R. 2007. La lisibilité entre théorie et pratique, Fasano-Paris, Schena Baudry.
  • Sitographie


Date de mise en ligne : 17/07/2015

https://doi.org/10.3917/ela.177.0037

Notes

  • [1]
    Nous remercions Massimo Palumbo, informaticien, avec lequel nous nous sommes confrontée pour évaluer la correction des informations techniques à notre disposition.
  • [2]
    C’est bien le cas de dictionnaires produits par des groupes de recherche publiquement subventionnés pour leur publication même en ligne, mais non pas pour leur mise à jours.
  • [3]
    À la difficulté d’achat des dictionnaires il faut ajouter aussi la méfiance qu’encore une grande partie des utilisateurs de la toile nourri pour les achats en ligne, pas toujours sécurisées et souvent engendrant des démarches ennuyantes pour des imports minimaux.

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