Couverture de ELA_169

Article de revue

Comptes rendus d'ouvrages

Pages 111 à 121

English version

Jean-Louis Massourre, Le gascon, les mots et le système, Préface de Thomas Field, Honoré Champion, Collection Lexica, 2012, 422 pages.

1 Deux préliminaires s’imposent pour comprendre l’intérêt de l’ouvrage et sa portée. On ne pourrait mieux exprimer le premier de ces préliminaires qu’en citant les toutes premières lignes de la Préface de Thomas Field, coordinateur de l’Honors Modern Languages and Linguistics, de l’Université du Maryland. « Le Gascon revêt habituellement un air de mystère – sa spécificité, ses liens avec le basque, son implantation géographique dans des terres à l’écart des préoccupations modernes – autant de lieux communs qui constituent trop souvent la totalité des connaissances dont font preuve les linguistes à l’égard de cette langue. », telle est de fait la première réflexion suivie de celle-ci qui, en somme, justifie l’ouvrage : « On mentionne le gascon, mais on l’étudie peu. »

2 Le second préliminaire relève de la biographie même de l’auteur, Jean-Louis Massourre, né à Chèze, un village du bassin supérieur du Gave de Pau, en Haute-Bigorre, définissant de facto un auteur qui, si l’on peut dire, sait « ce dont il parle », puisque, dès l’enfance, il a en effet, rappelle-t-il, usé quotidiennement d’« une forme du gascon haut-pyrénéen ». L’Agrégé et le Docteur ès lettres ne l’oublieront jamais, et il consacrera ainsi son existence à l’étude des langues romanes, et notamment, du gascon.

3 Le gascon, les mots et le système représente aux yeux de Jean-Louis Massourre un essai permettant de « renouveler la description de cette langue romane et la vision que l’on peut en avoir ». En réalité, ce n’est pas un essai, mais un profond renouvellement de l’étude du gascon qui est ici proposé. On disposait jusqu’alors de l’étude célèbre de Gerhard Rohlfs, Le gascon. Études de philologie pyrénéenne, mais cet ouvrage datant de 1935, et la seconde édition (1970) comme la troisième (1976) n’ayant pour ainsi dire pas tenu compte de la publication en six volumes de l’Atlas linguistique et ethnographique de la Gascogne, il importait de remettre à plat la réflexion sur le gascon.

4 Peut-être ne connaît-on d’ailleurs pas assez cet Atlas et ses précieux apports : il s’agit en effet d’un travail magistral qui a eu pour objectif de cartographier sur le terrain, à travers 2531 cartes, le lexique d’une région. Véritable somme linguistique, il est aujourd’hui impossible d’en faire l’économie dès qu’on aborde scientifiquement l’étude du gascon. C’est bien ce qu’a mis en œuvre Jean-Louis Massourre en offrant une recherche qui ne se présente pas seulement comme une description de grande qualité, intégrant ces nouvelles données, mais comme une configuration nouvelle des cartes de cet Atlas, pour mieux montrer, « à l’image des clichés radiographiques », comment certains processus occupent le même espace, ou s’y distribuent, ou bien encore s’excluent. De là, des interprétations inédites qui concernent des phénomènes marquants de l’idiome.

5 Par ailleurs, trois développements ont semblé impossibles à éviter pour l’auteur, « locuteur natif gascon », avancerons-nous : tout d’abord, la position exceptionnelle qu’occupe le gascon dans le domaine vaste des langues d’oc ; ensuite l’étude des sources dudit lexique ; enfin, la situation de cet idiome, aujourd’hui et demain.

6 C’est donc un ouvrage très complet sur le sujet, avec énormément de cartes éloquentes, une précision absolue des références, un appareil d’index très riche, et ce qui ne gâte rien à cette « somme », une clarté de l’expression qui tout en étant scientifique se montre chaleureuse.

7 Pour souligner combien il s’agit d’une étude exemplaire qui peut d’ailleurs servir de modèle à d’autres entreprises de ce type, voici par exemple les titres de chapitres qui charpentent l’ouvrage : 1. Le gascon, origine, spécificités, limites ; 2. Phonétique et phonologie ; 3. Morphologie, les invariables ; 4. Morphologie verbale ; 5. Notes de syntaxe ; 6. Lexique ; 7. Le gascon aujourd’hui, ombres et lumières (ici, une coquille s’est glissée dans la table des matières, où l’on passe en chiffres romains du chapitre VI au chapitre IX, en fait VII…).

8 Ajoutons-y l’appareil exceptionnel des index proposés : Index des étymons latins cités ; Index lexical des mots cités ; Index des auteurs cités ; Table des cartes.

9 En conclusion, il ne fait aucun doute que cet ouvrage représente non seulement l’étude la plus aboutie actuellement sur le sujet, mais qu’il illustre aussi une méthode et une rigueur propres à offrir un modèle très pertinent pour d’autres idiome. On reprendra sans hésiter la conclusion de la préface de Thomas Field : « La recherche sur le gascon avait besoin d’un point de départ solide et fiable : le voici. »

10 Emmeline Le Gall

Alice Krieg-Planque, Analyser les discours institutionnels, Armand Colin, série « discours et communication », 2012.

11 Destiné particulièrement aux étudiants en Sciences humaines et sociales (SHS), l’ouvrage d’Alice Krieg-Planque, Analyser les discours institutionnels, propose en 238 pages une méthode d’analyse du discours prenant pour objet les discours institutionnels, émanant de partis politiques, d’associations et d’organisations publiques ou privées. Organisé en 6 chapitres, l’ouvrage publié en 2012 aux éditions Armand Colin dans la série « Discours et communication » dirigée par Dominique Maingueneau, « entend prioritairement rendre service aux étudiants qui, à l’intérieur de formations souvent pluridisciplinaires, sont amenés à considérer des textes et des documents dans le cadre d’études de cas, de mémoires de stage ou de mémoires de recherche […] » (p. 1). Cet ouvrage se caractérise notamment par un nombre important d’illustrations textuelles très récentes puisque des citations de la campagne présidentielle 2012 sont régulièrement utilisées. Le style employé par l’auteure est parfaitement adapté au public concerné par l’ouvrage. En effet, les étudiants en SHS ciblés par ce manuel verront leur lecture facilitée par le faible recours aux termes techniques qui sont systématiquement définis lors de leur introduction.

12 Le premier chapitre, intitulé « Le discours : enjeux et méthodes » (p. 14-47) permet à l’auteure de cerner les notions majeures telles que la notion de discours, en prenant la vision particulière du discours institutionnel, au sein de la vie politique et sociale. Ce chapitre introductif entend fournir un cadre d’étude permettant de « se mettre d’accord sur ce que l’on pourra faire (et ne pas faire) avec les textes et les énoncés ainsi observés, et expliciter les vertus et les limites de l’analyse du discours, comme étude du réel des discours dans leurs observables en contexte et en situation » (p. 14).

13 Le second chapitre aborde les relations entre les « Actes de langage et institutions : l’efficacité de la parole légitime » (p. 48-79). Il s’agit de définir, au sein des analyses discursives, la notion de pragmatique, en mettant l’accent sur le rapport entre paroles et actes, sur les énoncés performatifs en particulier. Ces rapports sont également explorés par un examen des différentes valeurs d’action attribuables aux discours, notamment les valeurs illocutoire et perlocutoire « qui occupent l’analyse des discours politiques et institutionnels » (p. 67) qui incarnent le sujet d’étude central de l’ouvrage. Ici, l’auteur développe une véritable méthodologie, particulièrement adaptée aux étudiants ou aux chercheurs non familiers des méthodes d’analyse du discours, articulant ainsi « linguistique, sociologie et anthropologie des institutions » (p. 48).

14 Les chapitres suivants concernent des aspects plus particuliers de l’analyse du discours. Ainsi, le chapitre trois « Formules, slogans, figements : du lexique à la phraséologie » investigue les notions de mot, phrase et texte en tant qu’unités linguistiques. Dans les discours institutionnels, ces unités s’actualisent en autant d’« expressions toutes faites, jargon technocratique, clichés, langue de bois… » (p. 81), formant des régularités qui peuvent s’analyser sous le jour d’une étude linguistique. C’est à travers la notion de figement qu’A. Krieg-Planque propose dans ce chapitre « de rendre compte de ces différents modes de stabilisation des discours qui, dans certains contextes, leur confèrent une dimension prévisible » (ibid.).

15 Le quatrième chapitre est consacré aux « Présupposés et sous-entendus : l’implicite » (p. 118-154). Les notions d’implicite, de présupposé et de sous-entendus sont définis à la lumière des outils disponibles en analyse du discours, tels que les travaux d’Oswald Ducrot en ce qui concerne les présupposés. De nombreux exemples illustrent les principes linguistiques exposés dans le chapitre, afin de fournir un éclairage systématique sur les notions et les méthodes d’analyse présentées.

16 Le chapitre cinq « Flou et équivoque : les ressources des locuteurs » (p. 155-185) dresse un panorama des différents mécanismes auxquels les locuteurs peuvent avoir recours pour rendre leurs énoncés flous ou créer l’équivoque. Le chapitre ne vise pas à résoudre les ambiguïtés, mais à livrer les moyens de les analyser et de les décrire : « […] analyser – ou même produire – un texte ne consiste pas à en “lever les ambiguïtés”, mais suppose d’identifier ses multiples points d’équivocité, d’en décrire les effets discursifs, et d’en interpréter les enjeux » (p. 155). Ainsi, différents mécanismes discursifs permettant de créer le flou dans un énoncé sont examinés : des moyens syntaxiques comme une construction mettant en jeu une proposition relative appositive ou déterminante, l’utilisation de pronoms personnels et de déterminants possessifs, l’emploi de tournures concessives ou de sigles.

17 Le sixième et dernier chapitre aborde finalement la question de la « Polyphonie, dialogisme, interdiscours : l’ouverture du discours » (p. 186- 213). A. Krieg-Planque rappelle à l’occasion de ce chapitre qu’« […] au-delà d’éventuelles “stratégies de citation”, l’ouverture du discours vers ses extérieurs amène à réfléchir sur ce que notre parole signale et produit d’appartenances ou de dépossession » (p. 188). Ce sont ainsi les phénomènes de reprise et de défigement, la notion de connotation ou encore de préconstruit qui sont abordées. Comme pour chaque notion technique, une définition assortie d’exemples et documentée par des références scientifiques (à l’image des travaux de Michel Pêcheux pour la notion de préconstruit) offre un solide cadre de lecture permettant de guider le lecteur à travers l’ensemble de l’ouvrage, sans le contraindre à se munir de multiples dictionnaires de linguistique ou d’analyse du discours.

18 La « Conclusion » (p. 214-217) est suivie d’une « Bibliographie de l’ouvrage » (p. 218-224) thématisée, permettant notamment aux étudiants de naviguer entre les différentes ressources bibliographiques proposées par A. Krieg-Planque pour compléter la lecture de son ouvrage. Cette bibliographie ne manque pas de rassembler les ouvrages les plus significatifs dans la discipline d’analyse du discours de manière générale, tout en livrant des références plus générales relatives aux sciences du langage. La rubrique consacrée aux revues trahit la nature clairement pédagogique et méthodologique de l’ouvrage, sa présentation s’adressant directement aux étudiants en SHS.

19 Un indispensable « Index des notions en sciences du langage » (p. 225- 228) ainsi qu’un « Index des pratiques discursives » (p. 229-230) précèdent la « Table des matières » (p. 231-238). Ces index sont particulièrement précieux dans la mesure où l’ouvrage est destiné en priorité aux étudiants. La division entre les notions propres aux sciences du langage d’une part et aux pratiques discursives d’autre part est tout à fait judicieuse puisque Analyser les discours institutionnels n’est pas une lecture réservée aux seuls étudiants en linguistique, mais bien à l’ensemble de la communauté scientifique en SHS. Analyser les discours institutionnels représente donc un manuel tout à fait stimulant qui intéressera tant les étudiants que la communauté scientifique en SHS de façon plus générale.

20 Arnaud Léturgie

Hervé Adami et Véronique Leclercq (dir.), Les Migrants face aux langues des pays d’accueil, acquisition en milieu naturel et formation, Presses universitaires du Septentrion, collection « Les Savoirs mieux », 2012, 292 pages.

21 Il est des ouvrages dont les titres et sous-titres sont explicites : c’est ici le cas. Il en va de même des introductions, certaines noient le poisson. Il n’en est rien avec cet ouvrage au titre clair, auquel correspond une introduction précise, une description immédiate de la situation : celle des adultes migrants face aux langues des pays d’accueil. L’introduction est conjointe, signée par Véronique Leclercq et Hervé Adami.

22 D’un côté, avec Véronique Leclercq, on bénéficie en fait de l’expérience du professeur en sciences de l’éducation de l’Université de Lille 1, du laboratoire CIREL, avec des recherches portant sur les pratiques didactiques en formation de base, mais aussi une riche expérience des publics peu qualifiés et faiblement scolarisés. De l’autre, avec Hervé Adami, on profite des recherches de l’ATILF et donc du CNRS, au sein l’Université de Lorraine, ses travaux portant notamment sur l’intégration et la formation linguistiques des migrants mais également sur les formes d’insécurité langagière chez les adultes.

23 Neuf contributions charpentent l’ouvrage fondé sur un constat : la maîtrise des langues des pays d’accueil représente un des principaux vecteurs de l’intégration des migrants, par un apprentissage « sur le tas », selon la formule des auteurs, ou en formation. D’où le sentiment qu’une synthèse des connaissances sur ce sujet sensible était nécessaire, « l’immigration étant au centre des débats publics et politiques » depuis plusieurs décennies en France mais aussi de façon plus générale en Europe. Extirper les partis-pris, exprimer des réalités, définir le rôle de la langue dans le processus d’intégration, c’est bien l’objectif de cet ouvrage. Sans occulter des questions cruciales, par exemple : « comment apprend-on une langue sans passer par un apprentissage formel » ? Enfin, « quels sont les dispositifs mis en place pour assurer la formation linguistique des migrants et selon quelles logiques politiques ou institutionnelles » ?

24 Pour bien répondre à ces différentes problématiques, c’est tout d’abord Henri Tyne, de l’Université de Perpignan, spécialisé en Sciences du langage, qui s’intéresse à l’« acquisition d’une langue seconde en milieu naturel », avec ses « contextes et enjeux ». C’est ensuite Hervé Adami, déjà présenté, qui aborde les « Aspects socio-langagiers de l’acquisition d’une langue étrangère en milieu social ». Puis Josianne Veillette, de l’Université suisse de Fribourg dont le doctorat porte sur le plurilinguisme didactique des langues étrangères, et Aline Gohard-Radenkovic, de la même université et professeur spécialisé dans le plurilinguisme et la didactique des langues étrangères, présentent le « parcours d’intégration d’étrangers en milieux plurilingues » à partir du « cas du Canton de Fribourg ». Notons au passage que l’ouvrage, de par la diversité géographique des contributeurs, n’est pas franco-français, mais bel et bien à l’échelle de l’Europe, en bénéficiant donc d’un regard pluriel.

25 Vient ensuite une contribution de Claire Extramania, chargée de mission à la Délégation générale à la langue française et aux langues de France, institution dont on sait l’excellent travail dans la valorisation de la langue française et dans la construction des terminologies. Sont exposées dans ce cadre « les politiques linguistiques concernant les adultes migrants », en tant que « perspective européenne ». C’est alors au tour de Piet Van Avermaet, chercheur au Centre pour la diversité et l’apprentissage, à l’Université de Gand, d’offrir une analyse critique de « l’intégration linguistique en Europe ». Véronique Leclercq, codirectrice de cet ouvrage collectif, prend ensuite le relai en analysant alors « la formation des migrants en France depuis l’alphabétisation des années 60 ». Puis Anne Vicher, professeur associé à l’Université Paris Ouest Nanterre la Défense, qui assure également la fonction de directrice du cabinet Ecrimed, nous fait partager son analyse des retombées des travaux des vingt dernières années correspondant aux « politiques, dispositifs et pratiques de formation linguistique des migrants en France ».

26 Avant-dernière contribution, « l’Approche actionnelle et la formation en linguistique en contexte migratoire » est présentée par Katia Vandermeulen, de l’Université de Lille 1 et plus précisément du CUEEP (le Centre université-économie-éducation-permanente). Enfin, la dernière facette de ce sujet riche et nourri, revient à Hervé Adami et Virginie André, spécialiste des sciences du langage et maître de conférences à l’ATILF, avec un titre programmatique : « Vers le Français Langue d’Intégration et d’Insertion (FL.21) ».

27 On sort de la lecture de toutes ces contributions indéniablement muni d’une réflexion ouverte, libéré de toutes les fausses idées qui polluent le sujet et conscient que l’ouvrage n’a pas été conçu pour un public étroit. Spécialistes ou non spécialistes du domaine, étudiants, qui souhaitent disposer d’un état des savoirs, ou encore trouver des pistes de réflexion et de recherche, en feront en effet leur miel. « Il s’adresse également à tous les acteurs du champ de la formation des adultes qui souhaitent enrichir leurs connaissances pour améliorer l’action dans le quotidien des pratiques ».

28 Aucun doute, voilà un ouvrage qui fait honneur au titre de la collection « Savoir mieux » ! Ajoutons un dernier argument qui ne doit pas être oublié pour comprendre que cet ouvrage collectif est aussi matériellement accessible à tous : avouons-le, 15 euros pour ne plus dire de bêtises sur le sujet, c’est assurément attractif !

29 Jean PRUVOST

Benoît Meyer, Dictionnaire du football. Le ballon rond dans tous ses sens, Préface par Lilian Thuram, Champion les dictionnaires, 496 pages, 2012.

30 Fruit de l’érudition et de la passion du sport de son auteur, ce Dictionnaire du football, paru en 2012, représente un projet lexicographique ambitieux et réussi dans la mesure où il parvient à conjuguer deux exigences étroitement liées : la facilité de la recherche, assurée par le classement par ordre alphabétique et la richesse des renseignements fournis à travers une démarche encyclopédique.

31 C’est Benoît Meyer lui-même, dans l’avant-propos, qui justifie et valorise son entreprise, en éclairant la méthode suivie pour rédiger son ouvrage et en soulignant la nécessité de consacrer au « sport le plus populaire en Europe » [p. 18] un dictionnaire qui puisse simplifier l’assimilation des nuances et des métaphores d’un langage fort loin d’être intelligible pour les profanes du ballon rond. C’est ainsi que le dispositif employé vise à révéler « toutes les facettes et l’évolution des mots du football » [p. 19], en s’adressant aussi bien aux spécialistes de ce sport qu’à un public composé de passionnés, qui peuvent bénéficier non seulement d’une richesse linguistique remarquable, mais encore de l’histoire et des anecdotes du ballon.

32 Dans sa préface, Lilian Thuram, champion du monde de l’équipe de France en 1998, lie le projet lexicographique à l’aspect social du football, capable d’effacer les différences linguistiques, culturelles et religieuses et de parvenir à une véritable reliance qui est « à la base d’une extraordinaire alchimie qui se produit entre les spectateurs, les supporteurs et les joueurs » [p. 15]. En évoquant des souvenirs d’enfance et de sa longue carrière, il lance un message d’espoir et de fraternité, d’autant plus louable que les valeurs du football, aujourd’hui, sont menacées par la pression écrasante de l’argent et des médias.

33 Le dictionnaire est précédé par une chronologie du football s’étalant de 1848, date des Règles de Cambridge, à savoir les premières règles mises en place pour le dribbling Game, à 2010, qui voit l’équipe espagnole conquérir pour la première fois le titre de champion du monde en Afrique du Sud. Par le biais de l’histoire le lecteur peut donc revivre les émotions du passé et satisfaire sa curiosité concernant les origines du football.

34 Commence alors le dictionnaire, dont la première partie est consacrée aux chiffres, qui révèlent les nombreux modules tactiques employés par les équipes et gérés par les entraîneurs, soit les plus prudents, à vocation défensive (5-2-1-2), soit les plus audacieux, voués à l’attaque (2-3-5). Cette section est précieuse pour acquérir des connaissances techniques, telles que les dimensions du terrain de jeu, et pour assouvir quelques curiosités. En fouillant dans cette partie, en effet, on découvre que le numéro 14, ayant été retiré en l’honneur de Johan Cruyff, ne peut plus être utilisé par aucun joueur à l’Ajax d’Amsterdam, et que le numéro 42, apparemment anodin, désigne « le nombre de points minimum qu’une équipe devait compter en fin de saison du championnat de France pour être assurée du maintien » [p. 36].

35 Le dictionnaire contient une nomenclature très riche : plus de 1700 entrées sont présentées avec leur définition, leur évolution et des exemples tirés souvent de la presse sportive spécialisée dans le football. Comme l’affirme l’auteur, « le terrain du football représente un véritable champ de bataille où les artilleurs, les attaquants, passent à l’offensive » [p. 17]. Il va sans dire que le lexique du football contient alors une pléthore des termes issus du langage militaire, ce qui relève d’une sémantique fondée sur un système d’offense et de défense. Le premier est représenté par les mots, assaut, attaque, attaquant, avant-poste, baroud d’honneur, canonnier, capitaine, embuscade, fusiller, qui signifie par extension « frapper au but sèchement et victorieusement à la vitesse d’une balle expulsée d’une arme » ou par l’expression figurée envoyer à l’abattoir, qui évoque les soldats envoyés sur le front et qui désigne l’action « d’envoyer des ballons très difficiles à réceptionner pour le coéquipier, comme si on lui demandait de faire l’impossible » [p. 39]. Le champ lexical de la défense est symbolisé par l’expression ligne maginot, qui désigne une défense infranchissable ou par le verbe quadriller, qui signifie « occuper de façon rationnelle les zones du terrain afin d’empêcher toutes les actions de l’adversaire » [p. 241].

36 Le lexique du football révèle un dynamisme et une richesse culturelle surprenants. Nombreux sont les termes issus des autres langages de spécialité : l’alpinisme, par exemple, a fourni le mot dévisser, le langage hippique a donné chevaucher, derby et écurie, le lexique du tennis a apporté break et lob, la terminologie du théâtre acte et lever de rideau, l’agriculture faucher, le monde animal antilopes noires, aile de pigeon, canaris, corbeau, crapaud, grenouillard, mule, la littérature anthologie, le langage musical beatles, le cyclisme bicyclette, la boxe boxer, le langage médical chirurgical et colonne vertébrale.

37 Les mots empruntés aux langues étrangères pullulent dans la nomenclature. Il va de soi que l’Angleterre, lieu de naissance du football, a fourni la plupart de ces termes : coach, combination, corner, forcing, k.o., leader, match, outsider, play-off, shoot ont été assimilés par le langage du football depuis longtemps. Remarquable l’apport de l’italien, qui a fourni calcio, capo, catenaccio, maestria, mercato, tifoso, mais aussi de l’espagnol (bronca, clasico, espaldinha, merengues, pibe d’oro, pichichi, sombrero), de l’allemand (bundesliga), du portugais (brasileirao, torcidores), de l’arabe (baraka), du catalan (blaugrana) et du provençal (mascotte).

38 Tous ces termes appartenant à de nombreux niveaux d’usage (populaire, familier, argotique, régionale) et créés à partir de différents processus (métaphore, antonomase, onomatopées, métonymie, siglaison, etc.), témoignent de la capacité extraordinaire du lexique du football à accueillir et intégrer les autres langues, ce qui dote les journalistes, les joueurs mais aussi les spectateurs d’une très large panoplie lexicale.

39 Trois sections supplémentaires ont été consacrées aux quatre-vingts pays qui ont participé au moins une fois à une phase de la Coupe du monde entre 1930 et 2010, aux clubs les plus célébrés de France, d’Europe, d’Afrique et d’Amérique du sud et aux stades les plus illustres du monde entier, décrits avec une précision remarquable.

40 Outil précieux pour le lexicographe mais aussi pour les passionnés et les amoureux du ballon rond, le Dictionnaire du football reflète la complexité de ce sport. Les chiffres, les termes techniques, les stades et les clubs, analysés et décrits de manière fine et éloquente, y trouvent leur place, ce qui permet de restituer le dynamisme et la vitalité de la terminologie du sport le plus suivi au monde. Ce livre doit faire partie d’une bibliothèque de lexicologue. Nul doute que Robert Galisson l’aura apprécié.

41 Valerio EMANUELE

Mirella Conenna, La Salle de cours. Questions/réponses sur la grammaire française, Peter Lang, 2010, 195 p.

42 Professeur de langue française à l’Université de Bari « Aldo Moro » (Italie), Mirella Conenna a réuni dans La salle de cours les transcriptions d’une série d’entretiens avec onze linguistes francisants invités à Bari pour un cycle de leçons destinées aux étudiants italiens. S’inspirant des sujets abordés dans leurs leçons, Conenna a posé à tous ses invités les mêmes questions afin d’obtenir un corpus autant que possible homogène. « Pour ma première question, j’ai donné à mes interviewés la possibilité de reprendre les grandes lignes de chaque leçon, d’en souligner les points forts exposés aux étudiants et qui correspondent souvent à la quintessence de leurs recherches. L’enchaînement des autres questions m’a permis de solliciter un rappel de la carrière de l’intervenant (2) avant d’aborder la question très directe concernant l’apport de chacun à la linguistique (4). Les autres questions visent à extraire les opinions des grammairiens sur la grammaire elle-même ; cela, grâce à une question plus technique (3), et à une question bien plus générale (5), destinée à dresser la carte des études grammaticales actuelles en France et ailleurs » (p. 6-7). C’est bien le problème primordial « Qu’est-ce que la grammaire ? » que les cinq questions posées aux linguistes interviewés entreprennent d’éclaircir dans le but à la fois d’établir « un état des lieux des tendances actuelles de la grammaire française » et d’offrir « une réflexion approfondie dans une optique contrastive français-italien, destinée aussi bien aux enseignants qu’aux apprenants » (p. 1).

43 L’ouvrage est divisé en trois parties : une introduction à caractère méthodologique, onze chapitres correspondant aux onze entretiens avec les linguistes invités, et une annexe contenant la liste complète des travaux de tous les auteurs.

44 Dans l’introduction (p. 1-30), Conenna présente d’abord la méthodologie qu’elle a suivie pour donner corps à son idée de faire le point sur la grammaire française ? et notamment sur la question incontournable pour tout professeur de français : « Comment faire un cours de grammaire ? » ? par une série d’entretiens avec onze linguistes parmi les plus réputés à l’heure actuelle. Après une brève présentation de chaque linguiste basée sur les notes de cours que Conenna elle-même a prises lors des leçons destinées à ses étudiants, l’introduction se clôt par un bilan global des résultats des entretiens : c’est surtout la deuxième question (Qu’est-ce qui t’a amené à t’intéresser à ce sujet ?), demandant aux linguistes « de revivre en pensée les débuts académiques, les chances, les difficultés, les joies et les surprises liées à la recherche », qui a déclenché « les réactions les plus significatives » permettant ainsi au lecteur de saisir « le regard que chaque grammairien a porté sur lui-même, sur sa carrière et sur son œuvre » (p. 27). Mais avant de donner la parole à ses invités, Conenna se doit de faire l’éloge de son maître, Maurice Gross, disparu en 2001, dont la présence est constante dans tout le livre.

45 La deuxième partie (p. 31-120) comprend les onze entretiens de Conenna avec ses invités : « À chaque auteur est consacré un chapitre où le texte de l’entretien est précédé d’une brève note de présentation dans laquelle je résume le parcours scientifique de l’interviewé par la mise en évidence de quelques aspects de sa formation et de ses recherches » (p. 26).

46 Au chapitre 1, Pierre Cadiot présente brièvement, à partir de deux cas concrets (la préposition chez et les verbes de mouvement) sa théorie des formes sémantiques. Le chapitre 2 est consacré à Jean-Claude Chevalier, grand spécialiste de l’histoire de la grammaire française ainsi qu’auteur, avec C. Blanche-Benveniste, M. Arrivé et J. Peytard, de la Grammaire Larousse du français contemporain (1965). Benoît de Cornulier, dont l’entretien occupe le chapitre 3, est en revanche un linguiste qui a abordé tour à tour le problème des incises, les régularités rythmiques de la langue française et certaines problématiques de la phonologie et de la pragmatique. C’est autour de la notion de « classe d’objet », i.e. des paradigmes d’éléments qui peuvent jouer le rôle d’arguments d’un prédicat donné, que tourne au chapitre 4 l’entretien avec Gaston Gross, fondateur à l’Université Paris XIII du laboratoire LLI (Laboratoire de linguistique informatique), devenu ensuite LDI (Lexiques, dictionnaires, informatique), sous la direction de Salah Mejri, à qui est en revanche consacré le chapitre 9, portant sur les problématiques de la terminologie et du figement. Le chapitre 5 contient l’entretien avec Georges Kleiber qui porte sur deux sujets différents : la référence et la parémiologie, dont Conenna est une spécialiste internationalement reconnue. C’est justement à Jean René Klein, qui codirige avec Conenna le projet DicAuPro (Dictionnaire automatique et philologique des proverbes français) que le chapitre suivant est consacré : il y aborde le problème de la grammaire d’un point de vue historique. Les chapitres 7 et 8 sont consacrés à deux linguistes issus du LADL, le laboratoire fondé par Maurice Gross : au chapitre 7, Jacques Labelle discute de l’application de la méthodologie du lexique-grammaire aux problèmes de la variation en français tandis qu’au chapitre 8, Éric Laporte présente brièvement le lexique-grammaire des adjectifs ainsi que les problèmes posés par la construction et la mise à jour d’un lexique électronique. Les deux derniers chapitres sont enfin consacrés à deux linguistes célèbres pour leurs grammaires de la langue française : au chapitre 10, Martin Riegel, auteur avec J.-C. Pellat et R. Rioul de la Grammaire méthodique du français (1994), aborde le sujet d’une « grammaire globale » du français et plus particulièrement d’une grammaire des constructions attributives ; au chapitre 11, Marc Wilmet, auteur d’une Grammaire critique du français (1997), aborde le système des articles français et l’accord du participe passé.

47 En Annexe (p. 121-195), M. Conenna a eu l’excellente idée de publier la liste complète des travaux de chaque auteur interviewé, offrant ainsi au lecteur la possibilité de « suivre l’itinéraire des linguistes ainsi qu’une éventuelle diversification de leurs intérêts, laissant découvrir à côté des textes les plus connus, des écrits inattendus et significatifs restés par ailleurs dans l’ombre, voire des curiosités » (p. 26).

48 Avec La Salle de cours, Mirella Conenna a offert non seulement au public des spécialistes mais aussi à celui des enseignants et des étudiants une introduction stimulante et agréable aux multiples approches qui caractérisent la linguistique française d’aujourd’hui : grâce aussi aux bibliographies complètes des auteurs publiées en annexe, ce livre est une intelligente invitation à poursuivre le travail des linguistes qui nous ont précédés. C’est précisément ce que souhaite Georges Kleiber à la fin de son entretien : « Je suis pour une linguistique cumulative, c’est-à-dire une linguistique qui ne réinvente pas la roue tous les matins. Si la linguistique est vraiment une science empirique, on devrait progresser à petits pas simples, avec parfois, c’est vrai, de grands sauts. […] C’est quelque chose qui me tient profondément à cœur : la cumulativité en linguistique, j’y tiens vraiment » (p. 67-68).

49 Alberto BRAMATI

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