1. INTRODUCTION ET POSTULATS DE DEPART
1La classe d’accueil est un vivier, un domaine expérimental d’enseignement dont on a noté les particularités depuis quelques années. On se querelle et se complète sur les appellations d’origine que certains jugent non contrôlées de FLE, FLS, FLES, FLSCO, L1, L2. L’enjeu est de percevoir une situation didactique originale, ancienne, qui a été laissée en friche longtemps. Le premier manuel pour ces classes (F. Davin et al., Entrée en matière, 2005) vient de paraître, le matériel pédagogique est majoritairement dû à la création et à l’invention des professeurs qui, selon leur académie, sont plus ou moins seuls face aux disparités des situations didactiques et pédagogiques particulières. On compare parfois la CLAD (classe d’adaptation) à la classe unique et derrière des relents des Cho ristes, on s’imagine un locus insulaire, une représentation en miniature de l’ONU, le pouvoir en moins. Et pourtant. Les réalités qui ont été décrites ici par de nombreux contributeurs sont rudes : hétérogénéité des âges, des sexes, des profils d’apprentissages, des histoires scolaires, du rapport à la langue cible, des cultures, du rapport à l’enseignant. À cela s’ajoutent les cas non rares d’enfants souffrant de différents handicaps physiques, psychologiques et cognitifs.
2Ce tableau, un peu « cour des Miracles », est la réalité des classes, mais loin d’amener au défaitisme ou au pessimisme, ces classes amènent à l’invention à l’exploration de terrains inhabituels, non consensuels, expérimentaux…
1.1. Nécessité d’une « démarche communicative spécifique »
3Michèle Verdelhan Bourgade (2002) dans son ouvrage sur le Français de scolarisation fixe bien les différentes visées du français dans ce type de classe : apprentissage d’un code différent, structuration de la pensée et des connaissances, apprentissages fondamentaux oraux et écrits, réussite sociale, formation et intégration citoyennes.
4Dans le chapitre V, où elle présente les principes méthodologiques généraux, elle insiste sur « une démarche communicative spécifique ».
5C’est dans cette optique qu’actuellement les pratiques artistiques sont intervenues d’abord timidement, puis de façon massive dans mes pratiques pédagogiques.
1.2. Refus d’une pédagogie de compensation
6Tout d’abord, je voudrais aussi souligner comme bien d’autres que je différencie un réel travail didactique et pédagogique à travers, avec, et pour l’art, de toutes les animations pédagogiques et esthétiques à caractère dit culturel. Je ne veux pas attaquer certaines bonnes volontés à « surcharge d’investissement affectif » caractéristiques des « pédagogies de la compensation », comme le signale Martine Abdallah Pretceille (1999 : 49). Je suis pourtant farouchement opposée aux bons sentiments, et à l’attitude folkloriste et stéréotypée de certaines productions « culturelles » à laquelle on fait participer les élèves des classes d’accueil… et les autres d’ailleurs. Je n’ai rien contre les kermesses, mais je les différencie des pratiques dites artistiques.
1.3. L’art comme surprise
7L’art suppose un réel support artistique, un travail artistique, ou une production artistique. Ainsi la culture prend l’art dans son antre, elle épouse la poésie, les littératures, la lecture spectacle, la mise en geste, en voix, en jeu. Le théâtre, la peinture, la sculpture sont ces voix de l’homme qui peuvent toucher l’invi sible. Pour le travail que je souhaite présenter, nous pouvons partir de la définition provisoire selon laquelle l’art est une perception du réel non fonctionnel, qui vise une surprise, un autre, ou peut-être un ailleurs, le vide, une intention de dire.
8Nous verrons dans un premier temps comment les pratiques artistiques créent un lien, une passerelle, un tremplin entre langue première et langue seconde. Puis nous verrons que les pratiques artistiques permettent aux apprenants d’investir une parole individuelle. Nous aborderons dans un troisième temps l’art comme pratique impertinente de l’apprentissage de la langue et enfin nous verrons ce que l’approche esthétique peut apporter à un apprenant des classes d’accueil en termes « humanistes ». Chacun des points sera illustré par l’exemple de pratiques artistiques.
2. L’ART : LIEN, TREMPLIN, PASSERELLE ENTRE LANGUE PREMIÈRE ET LANGUE SECONDE.
9Le premier point que je veux développer concerne le fait que l’apprentissage de la langue par l’art crée le tremplin, la passerelle ou le lien – la métaphore dépend de l’individu – entre la langue maternelle (ou première) et la langue seconde, que j’appellerai aussi la langue de l’exil.
2.1. L’approche sensorielle de l’art : devenir sujet
10Patrick Anderson, insiste sur le fait que le rapport à l’autre langue est d’abord « sensoriel. » (2003 : 351). Gisèle Pierra, dans un article intitulé « Le poème entre les langues : le corps, la voix, le texte » affirme : « tenter de rejoindre les mots par le corps et le corps par les mots, tel est, il me semble le pari de l’accès esthétique au langage par le poème » (2003 : 360). Elle ajoute : « en atteignant son objectif esthétique il [l’apprenant] retrouve sa puissance de sujet parlant dans et par l’autre langue » (2003 : 361).
11Cet aspect, au carrefour de différentes disciplines, nous semble essentiel pour le public des classes d’accueil. Devenir sujet est une gageure universelle, devenir sujet dans une langue autre l’est encore plus ; les enjeux psychologiques, sociaux, conscients et inconscients sont fondamentaux. Quel domaine peut être à même d’apporter des réponses mêmes provisoires ? Dans l’ouvrage, Le Corps, la voix, le texte. Arts du langage en langue étrangère, Gisèle Pierra fonde à travers ses analyses et son expérience une authentique réflexion sur ce « jeu des je » :
L’important sera de comprendre comment se dit et est dit le sujet dans cette expérience,
que ce soit par les paroles d’une écriture, à savoir esthétiquement, par les paroles des
autres, et par ses propres paroles au cours d’échanges authentiques non dépourvus
d’affects. (2006 : 23)
13Être sujet dans une langue autre constitue une étape nécessaire à l’apprentissage ; l’approche sensorielle établie par l’approche artistique en scelle l’amorce.
14En tant qu’enseignante dans les classes d’accueil depuis dix ans, j’ai eu l’occasion d’expérimenter cette approche particulière. Les arts du langage ont d’abord été un secours pour aider les apprenants à devenir des sujets de leur apprentissage. De façon empirique puis plus réfléchie, j’ai utilisé cette particularité des supports artistiques. Le lien entre les « je » se double d’un dialogue entre les langues.
2.2. L’art comme dialogues des langues
15Apprendre c’est répéter, dire, le français. Pour les élèves des CLAD, c’est répéter chaque jour, « je suis parti », « on est parti », « je ne suis plus là-bas ». On parle beaucoup du « moi » et de « l’autre », de l’apprentissage de l’altérité dans la pratique culturelle et artistique. Mais le dialogue se fait aussi entre ici et là-bas. Et souvent ici, c’est un nomadisme et là-bas c’est un no man’s land.
16Le refus conscient ou inconscient d’apprendre la nouvelle langue imposée est très courant en classe d’accueil. Ceci peut s’expliquer par l’histoire de la famille, de l’apprenant orphelin, ou séparé du père ou de la mère. Les situations sont multiples et varient selon les classes. Ceci nous semble un problème non négligeable dans la scolarisation des élèves. C’est là où l’apatride, le « homeless », peut, dans la culture, l’usage de l’art, trouver une patrie entre-deux. La langue seconde s’immisce parce que l’on ne demande pas à l’apprenant d’apprendre mais on l’autorise à jouer.
17Le jeu est central dans l’approche des supports artistiques et c’est le jeu qui permet de dialoguer entre là-bas et ici, je et l’autre. L’art est un espace de jeu libre parce qu’il est un espace d’interprétation.
18C’est ce que montre Martine Abdallah Pretceille (1999 : 101) :
Le théâtre permet de vivre des expériences qui servent de miroir et nous permet de modifier notre rapport aux réalités quotidiennes. La fiction autorise de vivre des rencontres interculturelles sans la culpabilité ou la menace.
2.3. L’art : une patrie « entre deux »
20La plupart du temps dans les manuels offrant des didactisations de textes littéraires, l’approche est souvent sémantique, axée sur la vérification de la compréhension. Souvent le texte devient simplement prétexte à « faire du français ». Ce n’est pas la démarche que nous proposons. L’approche de la littérature et des supports artistiques se fonde souvent sur des jeux d’analyse.
21C’est le premier travail que nous avons mené avec le recueil de poèmes de Jean-Pierre Siméon, Sans frontières fixes. D’ailleurs la poésie me semble le langage premier avec celui du corps pour se dire l’autre et dire comme ça fait mal d’être là même si l’on a échappé au pire en quittant le là-bas.
22Le caractère anxiogène de l’apprentissage est adouci dans la poésie, et la langue ennemie est maîtrisée parce qu’inoffensive : la poésie attend le lecteur, elle ne demande rien. Et c’est là toute la tendresse et la délicatesse de l’art, je dirai même l’élégance de l’art et des pratiques artistiques aussi modestes soient-elles. Il est un hôte poli qui attend l’appropriation de l’individu, du groupe et de l’histoire de l’homme.
23La littérature fait partie, certes, des documents authentiques mais ne peut être considérée comme un document de civilisation comme un autre, ou comme un témoignage de communication réservé à une élite.
24Les apprenants débutants peuvent réellement lire et sentir les textes littéraires ou les œuvres artistiques. La création et l’interprétation permettent à l’enfant d’être acteur, le fait qu’il y ait non-domination de la culture cible peut créer une véritable relation interculturelle. Chaque apprenant est libre d’apporter et de dire ce qu’il veut raconter de son pays mais son approche ne sera pas stéréotypée, il ne dira pas ce que l’on attend mais ce que la pratique artistique a pu créer d’écho en lui. L’art peut devenir une patrie entre-deux.
2.4. Exemple 1 : La lecture à haute voix d’un texte poétique.
25L’objectif est d’apprécier l’enjeu littéraire du texte et d’être capable de le mettre en voix collectivement.
26La lecture polyphonique d’un poème ne force aucune porte de l’intimité, en apparence, et finalement permet à l’apprenant de se glisser dans le groupe et dans la langue avec légèreté :
- on demande à un élève de dire le premier mot/vers du poème. Il a le droit de le dire comme il veut : doucement, fort, en articulant, en le bafouillant, en le brisant. Il a le droit de dire son mot ;
- un autre élève enchaîne sur la diction d’un vers ou d’un mot ;
- le poème va ainsi se déployer, parfois deux élèves diront le même mot, parfois toute la classe répétera un mot qui possède une valeur centrale dans le poème ;
- les répétitions ad lib, permettent aux apprenants de donner leur lecture du poème en s’appuyant sur la démarche interprétative qui a précédé cette lecture.
27La contrainte est de parler au bon moment, après ou avec tel ou tel élève. Il est quand même rare que toute une classe refuse d’apprendre, donc l’enthousiasme des uns finit par engager les autres et le poème répété indéfiniment commence à donner tout son suc. Si les élèves commencent par réciter, ils affinent au cours des répétitions leur diction et leur investissement corporel et vocal. En outre, les élèves font des propositions de mise en scène et de mise en voix qui montrent leur compréhension et mieux encore l’interprétation qu’ils ont faite du texte.
2.5. Exemple 2 : Spectacle Poésie-Conte-Percussions Africaines
28Lorsque j’ai mis en place l’atelier poésie-conte-percussions africaines, il n’y avait pas d’élève issu des populations noires-africaines. Il est important de le noter dans la mesure où tout pouvait apparaître comme « étranger » à chacun. Cet atelier hebdomadaire, je le partageais avec Roland Yulu, danseur, conteur, musicien de la compagnie Biemb’art de Vichy.
29Ce travail complexe a suivi différentes étapes :
- l’analyse du film Yaaba d’Idrissa Ouedraogo (Burkina Faso) ;
- l’analyse d’un conte issu d’un album Sauvés par les animaux ;
- analyse d’un groupement de textes : une comptine « Ma main » offerte par Roland Yulu de Biembart, un chant funèbre pygmée recueilli par R.P. Trilles, « Au loin » un poème tibétain, un aphorisme « Dans mon pays » de Tahar Ben Jelloun, un autre poème « Ton cœur, Mon cœur » de Gana Kebe M’Baye et le Conte « Le lion, la hyène et le chacal » recueilli par le centre de Recherche de Kinshasa ;
- ensuite Roland Yulu a appris aux élèves des rythmes sur différents instruments de percussions ;
- tout le travail de création a demandé aux apprenants d’enchaîner des contes dits à plusieurs voix, les poèmes, des rythmes.
30Les élèves étaient sujets et acteurs parce qu’ils devaient choisir la parole qu’ils voulaient. Ils ont choisi les textes, l’intention de création et ont donné la tonalité qu’ils voulaient à la représentation. Ceci a construit chez les apprenants une connivence particulière entre leur nouvelle langue, une culture que nous découvrions tous de façon intérieure, une parole qui prenait de la place et qu’ils avaient le droit de présenter. Roland Yulu est lui-même un homme exilé et il était très intéressant de voir avec quel humour les élèves jouaient avec son accent. Ici la valeur de l’aphorisme, de l’écriture du conte dans la veillée, le récit comme transmission, la poésie comme chant ont donné tout leur sens. Le rapport entre le processus d’apprentissage et la création est aussi une dialectique.
L’important, à cet égard consiste à établir, entre ces cultures, des connexions, des relations, des articulations, des passages, des échanges. Il ne s’agit pas seulement de gérer au mieux la juxtaposition de diverses cultures mais de les mettre en dynamisme réciproque, de les valoriser par le contact. (Porcher, 1995 : 53)
32Ces exemples montrent que le contact est d’abord sensoriel puis la démarche d’interprétation et la fréquentation des pratiques artistiques créent le dialogue des langues et une patrie « entre-deux ».
33L’autre et le là-bas trouvent des sens dans la pratique artistique, mais cette douceur est parfois nuancée de conflits, heureusement, l’art n’est pas une caresse, il déconstruit parfois mais promet la reconstruction. Et ceci aide l’apprenant à trouver sa place entre, ce qu’il est, croit être, l’autre, et là-bas.
34Martine Abdallah Pretceille affirme que « l’identité, loin d’être une catégorie, est surtout une dynamique, une construction permanente, elle est source d’ajustements, de contradictions, voire de conflits, de manipulations, de dysfonctionnements » (1999 : 14).
3. LA PRATIQUE ARTISTIQUE : UN MOYEN POUR LA RÉALISA-TION DE LA PAROLE INDIVIDUELLE.
35Depuis ma nomination en classe d’accueil, j’ai pratiqué le jeu de rôle, tel qu’il m’avait été enseigné en maîtrise FLE, j’ai aussi mis en place ces jeux de communication deux à deux, de questions réponses. Ou encore tous les modes d’interactions verbales de la classe de langue où le professeur essaie de parler le moins possible… Cependant, restait à chaque fois une insatisfaction face à un côté artificiel souligné par les didacticiens et accepté conventionnellement par tous les acteurs de l’acte pédagogique : l’absence d’une parole réellement individuelle.
3.1. L’urgence de l’acquisition d’une prise de parole individuelle.
36L’enjeu des CLAD est un enjeu de vie qui paramètre l’acte pédagogique différemment des autres cours de français que l’on peut donner à des étrangers : la réussite ou l’échec en temps réel, l’intégration dans des classes ordinaires, la nécessité d’intégrer la langue de l’école, et tous ces implicites culturels qui échappent par définition aux enseignants de langue maternelle.
37Les interactions verbales telles qu’elles sont présentées dans les manuels de FLE et dans les ouvrages portant sur le sujet sont insuffisantes pour répondre au contexte des ENAF. Les dialogues fabriqués sont réducteurs et offrent parfois une description du réel difficilement manipulable par les élèves d’accueil. Après avoir dépassé, au maximum au bout d’une semaine, la présentation et la description des goûts, ces dialogues se révèlent indigents dans la perspective du FLS et du FLSCO.
38C’est ainsi que j’ai mis en place, dans le cadre des apprentissages, l’écriture et la lecture de dialogues inspirés et extraits de la littérature. Un dialogue de théâtre, un poème (toujours polyphonique) recèlent tout ce que l’on peut demander à la prise de parole individuelle. Ce peut être même un dialogue poétique entre un narrateur et son lecteur. La posture du lecteur est plus authentique que celle présente dans les dialogues fabriqués. Tout d’abord, elle est individuelle parce que distanciée.
3.2. La parole distanciée : le hors-là
39La parole distanciée comme celle du comédien désincarné (telle que la conçoit Jouvet), permet de ce point de vue un investissement authentique de la parole individuelle. L’apprenant jouant un rôle non fonctionnel mais appartenant à un univers esthétique, un hors-là, s’approprie de façon certaine l’acte langagier et sa forme linguistique. Il incarne une parole qu’il sait esthétique non pas forcément grâce à sa maîtrise linguistique mais à cette sensibilité universelle qu’est le sentiment esthétique ou même la perception de l’étrangeté que nous développerons en dernière partie.
40La parole distanciée, c’est la parole que je possède et que je peux malmener, sublimer, transformer, rejeter. Le mode d’approche est toujours le jeu et le registre qui est très facilement adapté au niveau débutant est l’absurde. Tous les jeux d’écriture ou d’expression artistique qui visent l’absurde permettent cette parole distanciée et une richesse d’interprétation que l’on n’aurait pas imaginée à ce niveau linguistique. C’est aussi en cela que le théâtre peut apporter une prise de parole individuelle authentique. Geneviève Zarate, (1986 : 39), écrit : « La classe de langue invite à une prise de conscience des mécanismes de l’identité : dans la confrontation avec l’autre, c’est une définition de soi qui se construit. »
41Ceci est mis en œuvre en particulier dans les pratiques artistiques.
3.3. La parole authentique
42Les exercices de théâtre qui peuvent se transformer en exercice d’écriture permettent à l’individu de s’approprier une culture sans la subir ou en être un réceptacle « reconnaissant » parce « qu’accueilli » : il est actif. En outre, il me semble, la culture, qu’ici je définirai par inclusion dans les arts du langage et les pratiques artistiques, fait l’individu. Laisser s’exprimer la culture, l’art (au lieu parfois d’ersatz de culture ou même de communication), laisser s’exprimer l’art, c’est aussi laisser l’individu s’exprimer.
43Les tours de paroles sont guidés par les mots et la mise en scène rend authentique la prise de parole. Les élèves timides et réservés ont leur mot à dire au sens premier de l’expression et n’hésitent pas. La parole est répartie, individuelle et forme une construction collective unique. La classe n’est plus un espace artificiel de convention mais un hors-espace où la parole est vraie, parce que créatrice de jeu d’émotions que l’apprenant sait authentique. Le jeu de dupes est tacitement maîtrisé et distancié.
44C’est la part la plus immédiate de l’utilisation de la pratique des arts du langage (verbal et non verbal) qui respecte l’individu et ne plaque pas de façon violente un enseignement prévu et pensé par l’enseignant. De ce point de vue, la véritable démarche interculturelle n’est pas un arrachement mais un don, un droit : l’apprenant a le droit de donner des mots et de les piétiner. Du coup de la même façon, pourrait-on dire, il est son propre truchement et ce à travers les pratiques artistiques. J’aime cette phrase de Todorov : « Un sujet fait toujours entendre, à travers son discours, plusieurs voix […] » (1985 : 12).
45Pour lui « parler dans une autre langue c’est aussi être un personnage, un autre, un alter que l’on ne soupçonne pas », « parler une autre langue c’est pour ainsi dire me glisser dans la peau d’un Autre que je découvre être moi, c’est exposer mon corps aux semblants d’un miroir linguistique qui le transfigure et me renvoie l’image de mimiques étrangères qui sont pourtant les miennes et où je ne me reconnais pas » (1985 : 12).
46La pratique artistique sublime cela et permet une pratique de l’oral authentique, elle permet à l’apprenant d’investir réellement sa parole. Ainsi, il s’agit, dans la pratique artistique de favoriser la parole de l’individu, tant dans sa relation à la langue étrangère ou seconde que dans sa relation à l’intervention dans la classe c’est aussi ce qu’appelle joliment Todorov « la pédagogie de la rencontre » (1985 : 12).
3.4. Exemple 3 : l’exercice du questionnement ou le dialogue de fous
47Dans l’atelier théâtre que j’ai inscrit à l’emploi du temps des élèves, et où je travaille en collaboration avec une artiste, intermittente du spectacle, danseuse et chorégraphe Sylvie Amblard, nous avons en début d’année, avec un public débutant très hétérogène du point de vue du degré de scolarisation, travaillé un exercice de mise en jeu théâtral à travers le questionnement.
48L’objectif est de mémoriser et d’utiliser les différents modes de questionnement abordés au début de l’apprentissage. En outre on demande aux apprenants de jouer avec les questions pour créer des situations qui créent un sens nouveau :
- les apprenants ont proposé des questions et des réponses qu’ils ont rédigées ;
- ces papiers sont mis en commun, nous séparons questions et réponses. Des élèves piochent dans l’une ou l’autre catégorie ;
- ensuite sur le plateau de jeu, l’un pose sa question et l’autre propose sa réponse ;
- le « dialogue de fou » s’est rapidement installé. Ce qui pouvait produire des rencontres « fortuites » agréables : « Comment tu t’appelles ? Il est huit heures » ou encore « Tu viens de quel pays ? J’ai mal à la tête » ;
- lorsque ces associations étaient établies, Sylvie Amblard a proposé d’insérer ces dialogues dans une mise en espace. L’artiste leur a demandé de dire leur dialogue en fonction de l’espace proposé : Sylvie Amblard les a placés dans une salle d’attente, chez le coiffeur, et même sur un terrain de football ! ;
- chacun sans ordre préconçu a dû formuler ses questions et ses réponses. Nous étions ici dans l’improvisation et dans la recherche consciente de l’incongru ;
- un groupe qui observait prenait des notes ;
- après est intervenu un travail d’écriture où la recherche de l’absurde était centrale.
49Si tout commence par un jeu, la suite du travail se veut une pratique artistique dans la mesure où les élèves ont travaillé sur le « dépassement du dit » et l’investissement de chacun a montré que les interactions verbales non seulement étaient prises en compte dans leurs aspects pragmatiques mais aussi linguistiques et enfin esthétiques. Le mouvement est toujours le même : d’abord le regard qui marque le lien soit avec les autres « acteurs » soit avec le spectateur, puis la maîtrise du silence, la diction du texte, et enfin la répétition de ce mouvement qui va fixer ensemble les différentes étapes.
4. LES PRATIQUES ARTISTIQUES : UN APPRENTISSAGE DE LA LANGUE EFFICACE ET PROFOND
50C’est le troisième point que je veux développer parce que la pratique artistique dans mon enseignement n’est ni spectaculaire ni anecdotique, même si l’un et l’autre sont tout à fait honorables. Ce que je veux montrer maintenant c’est comment cette pratique régulière quotidienne, permet un apprentissage linguistique efficace et profond. Les auteurs notent l’importance de la création d’une grammaire personnelle appelée communément « inter langue ». Cette grammaire qui a pour caractéristique d’être mobile, transitoire et instable peut s’adjoindre de l’adjectif impertinente.
4.1. L’art comme détournement linguistique
51Les jeux théâtraux précédemment cités permettent un détournement de la pragmatique et des actes de langage. Ce détournement permet d’interroger la contextualisation linguistique. Partons tout d’abord d’une partie de la définition de la fonction poétique du langage de Jakobson (1963 : 220) : il montre un mouvement « de l’axe de sélection sur l’axe de combinaison ». Ajoutons à cela quelques titres d’Umberto Eco : dans Lector In Fabula, chapitre V, il traite des isotopies, des disjonctions phrastiques et discursives sur le plan syntagmatique et sur le plan paradigmatique, et dans la partie VIII des mondes possibles (1985).
52Ce sont ces mouvements, ces disjonctions qui créent les mondes pos sibles de l’art.
53Ce qui fait la différence entre un énoncé littéraire et un énoncé scientifique pourrait se concentrer dans les aspects pragmatiques de ces énoncés. Pourtant, l’un peut emprunter à l’autre certaines spécificités. Lorsque le poète-peintre écrit « ceci est une pipe », la littérarité tient tant au fait que l’utilisation de l’auxiliaire « être » est détournée que de la non-correspondance entre les mots et l’image. Dans l’apprentissage d’une langue ces détournements me semblent très efficaces pour l’apprentissage et ce, même au niveau débutant.
4.2. L’art comme manipulation des axes paradigmatique et syntagmatique
54Ce qui m’intéresse justement dans les pratiques artistiques c’est d’agir pour que les apprenants puissent être à même de manipuler ces axes et ces plans. L’art a cette particularité à mon avis d’être un lieu de manipulation dans tous les sens du terme ; loin de moi l’idée d’instrumentaliser l’art, mais de créer une dynamique créatrice pour un apprentissage de la langue efficace et utile.
55En effet l’art du langage même à travers des exercices permet des écarts qui provoquent comique, surprise, nouveauté et ceci est sensible même par un débutant. Les arts du langage (verbaux ou non verbaux) sont capables de rendre compte d’un apprentissage linguistique constructif et opératoire. Pour cela on peut utiliser différents modèles textuels, Martine Abdallah Pretceille et Louis Porcher, proposent une grammaire d’une rhétorique culturelle :
Ainsi il ne serait pas incongru d’élaborer des productions d’une signification culturelle à l’instar des figures traditionnelles déjà répertoriées comme l’ellipse, l’allusion, l’emphase, la condensation, la réduction, l’insinuation, l’amplification, l’invention, l’ornement, la métaphore, la métonymie, etc. (1996 : 124)
57Chacune de ces figures peut être une entrée dans la langue dès lors que l’on utilise une pratique artistique. De ce fait l’apprentissage de la langue et de la grammaire est d’autant plus efficace que la norme est détournée. La métaphore est « un écart ». Cette figure crée du réel en modifiant les mondes possibles. C’est une façon peu commune de concevoir « la règle » mais elle est opératoire. De nombreux collègues de français signalent que les élèves ayant bénéficié de cette pratique, étaient « plus fins » et comprenaient bien les textes littéraires alors que leur « valise linguistique » récente était peu chargée.
4.3. Exemple 4 : le récit d’une journée
58L’objectif à travers un jeu théâtral était de mettre en place les principes de cohérence et de cohésion textuelles, ainsi que de l’utilisation de l’emploi des temps :
- il s’agissait pour un apprenant de faire le récit de ce « qu’il fait tous les jours », de ce « qu’il a fait hier » ou de ce « qu’il fera demain » (selon son niveau) ;
- un autre apprenant devait interpréter sans parole ce que racontait le premier apprenant ;
- du discours conventionnel que l’on peut trouver dans les méthodes sur la description d’une journée, les apprenants ont eu vite envie de dire des choses qu’ils n’avaient pas faites, pas dites mais qui étaient jouissives à dire ;
- le second apprenant de plus en plus embarrassé pour mimer s’est détaché du discours du premier et finalement en improvisant a créé un langage non verbal dégagé des conventions et des gestes prétendus universaux qui parfois sclérosent la pratique.
60Les objectifs linguistiques étaient atteints, et même dépassés, les apprenants ont réussi à fixer ensemble ensuite ce qu’était un texte cohérent et ce en s’interrogeant sur les productions orales et gestuelles des autres élèves. Ils se sont appliqués à comprendre pourquoi telle ou telle intervention verbale ou non verbale était drôle, pourquoi le mot « après » ou un autre connecteur de temps n’avait pas de sens dans un contexte particulier… Ils ont réussi à noter ce qui faisait le sens et ce qui faisait le non-sens ; et mieux encore, ils ont exposé une manière de faire du sens ainsi qu’une autre pour le changer et atteindre le non-sens. Ce type d’exercice peut intervenir au stade du réinvestissement mais peut tout aussi bien être déclencheur. L’idée, c’est de laisser l’apprenant s’interroger sur le sens en le manipulant à sa guise et en interaction avec les autres.
4.4. Exemple 5 : le jeu de la guêpe
61L’exercice théâtral peut être plus fidèle et ne pas prétexter toujours le détournement.
62L’objectif était de réinvestir un travail entrepris en Sciences de la Vie et de la Terre sur le lexique du corps humain :
- Sylvie Amblard a proposé un exercice, celui de la guêpe : le déclencheur verbal était : « Attention il y a une guêpe sur… » ;
- l’un des élèves devait poursuivre la phrase déclencheur : « Attention, il y a une guêpe sur ton bras » ;
- un autre devait essayer d’échapper à la guêpe, de la chasser de la main. Certains ont même entrepris des contorsions brisant le mimétisme corporel. Lorsque tous les élèves étaient passés, l’on pouvait entendre bourdonner l’insecte !
63Sans s’apparenter au sens strict à une pratique artistique, cet exercice corporel peut être un entraînement ou une étape vers la pratique artistique. Ce qui est intéressant c’est de détourner la description scientifique et de la réinvestir de façon irréelle en favorisant le comique de geste. La gestuelle hyperbolique utilisée par certains apprenants allait vers une interprétation symbolique de la guêpe comme image de la folie obsessionnelle ou paranoïaque.
5. LE SENTIMENT ESTHÉTIQUE : UN ACCÈS À UNE COMPRÉ-HENSION DU MONDE
Dans la confrontation avec l’altérité, les membres d’une communauté recherchent
d’abord le plaisir des retrouvailles avec eux-mêmes, la permanence de leur vision du
monde. (Zarate, 1986 : 27)
65Le dernier point que je voudrais aborder et qui n’est pas des moindres c’est la pratique artistique du point de vue humaniste, quasiment comme l’entendait Rabelais, au fronton de l’abbaye de Thélème. Même si le « fais ce que voudras », cet idéal d’apprentissage où la liberté guide plus que le maître, je ne l’ai pas trouvé ; je pense que les pratiques artistiques sont le médiateur de cette liberté et le dernier « bastion de la communication » comme l’écrivent Louis Porcher et Martine Abdallah Pretceille (1996 : 160).
5.1 Le sentiment esthétique modifie les stéréotypes
La littérature permet d’étudier l’homme dans sa complexité et sa variabilité. C’est
cette dimension humaniste qui curieusement resurgit et est directement interpellée en
didactique des cultures ainsi qu’en formation générale. (Abdallah-Pretceille, Porcher,
1996 : 139)
67« La littérature stabilise, produit, actualise et anticipe certaines visions du monde, elle est en ce sens un “boulevard”, “un tremplin” pour les études culturelles. Elle permet d’expliquer une pluralité de personnages, de situations, de cultures, etc. et ainsi d’éviter la référence à un seul modèle érigé en vérité universelle » (ibid.). On pourrait élargir cette citation aux pratiques artistiques en général.
68Le sentiment du beau, esthétique, quoi qu’on dise sur son aspect relatif, est une forme de permanence par l’individu et dans la construction de la vision du nouveau monde dans lequel il vit. Ce qui est beau n’est pas forcément joli. J’appelle beau ce qui dérange, ce qui n’est pas fonctionnel, ce qui crée l’écart et la surprise, ce qui est inattendu et modifie les représentations, les préjugés, les attentes, etc. Il est certes difficile d’obtenir dans la classe la gratuité que requiert l’art, mais on peut comme nous le prescrit Pennac lire pour lire, dire pour dire. Et de là, le pas vers l’universel singulier est vite franchi, comme le précisent les deux auteurs cités, « les œuvres littéraires parlent d’elles-mêmes, parlent des autres en parlant de nous, parlent du monde comme il change et ne change pas, et elles sont les seules à pouvoir le faire » (1996 : 143).
69Dans une classe de langue, on se méfie de l’œuvre littéraire en tant qu’objet d’enseignement et on est fasciné par elle en tant que plaisir ultime de la pratique linguistique. Cet écart persiste et s’accentue pour les niveaux débutants. C’est une ressource peu exploitée.
5.2 La compréhension du monde à travers le sentiment esthétique est un universel-singulier
70L’art permet de comprendre le chaos que peut ressentir un élève d’accueil. Il comprend l’Autre parce qu’il se comprend lui-même et apprend à comprendre le monde qui l’entoure et celui d’où il vient.
71L’art est un accès, une passerelle dérobée de Babel que les dieux n’auraient pas vue ou auraient laissée par empathie. Et cette connaissance du monde n’est pas une connaissance élitiste. C’est la condition de l’empathie. La littérature intervient comme un truchement de soi et un truchement du monde. C’est un élève à peine alphabétisé, au comportement très peu scolaire, Qassim, qui m’a fait prendre conscience de cela. En 1997, j’étais en train de lire le début d’un mythe à une élève turque que je voulais intégrer en 5e, cela faisait quelques mois qu’elle était dans la classe. Les autres élèves travaillaient chacun sur un autre document en autonomie. Qassim m’interrompt dans la lecture et me demande : « Pourquoi nous, on n’a pas le droit d’avoir ça ? » Lorsque je l’interrogeai sur les raisons de sa question, il m’a donné, je crois, les fondements de mon engagement pour l’utilisation de la littérature et l’art en général pour tous les élèves : analphabètes, débutants, scolarisés antérieurement ou pas.
72Les pratiques artistiques permettent et fondent ce qui pour moi est la relation essentielle à instaurer avec la langue pour un public de classe d’accueil ; la relation esthétique à la langue. Le beau est un sentiment qui n’est pas élitiste et réservé au seul détenteur de la langue (niveau avancé) mais au contraire une immédiateté souvent négligée dans les progressions de FLES. Et surtout pour les débutants. Le fonctionnel apparaît comme essentiel, pour moi l’esthétique l’est autant. On peut utiliser le titre d’une œuvre d’Umberto Eco « L’œuvre ouverte » comme modèle opératoire d’enseignement. L’art est une œuvre ouverte qui permet toutes les autres ouvertures : personnelles et linguistiques. Le « beau » au sens où l’entend Baudelaire dans sa fameuse phrase « le beau est toujours étonnant » (salon 1859), offre ce que Martine Abdallah-Pretceille et Louis Porcher appellent « une compréhension et un usage du monde » (1996 : 109).
73Bernard Mallet dans un article « la langue mise en bouche » montre que « Le sujet a besoin d’histoires, de récits, pour pouvoir se signifier à lui-même la structure du monde, la place qu’il y occupe et celle de l’autre. Par leur truchement le monde devient son monde, les objets ses objets » (2003 : 302).
74Entre le degré zéro de connotation et ce que Proust appelle « la qualité inconnue d’un monde unique » (1923 : 376) (définition du génie), il y a la littérature, l’art. C’est aussi ce que définit Todorov (1974 : 15) par le terme littérarité : « Aussi l’objet de la science de la littérature n’est pas la littérature mais la “littérarité”, c’est-à-dire d’une œuvre donnée une œuvre littéraire. »
5.3 Exemple 6 : Atelier d’écriture et la lecture à haute voix.
75L’objectif est d’aider les apprenants à percevoir certaines modalités de la littérarité de textes (Pérec, Baudelaire, Pennac, Rimbaud, Voltaire), et de la lecture interprétative de tableaux (Chirico) ou de bande dessinée (Enki Bilal). En outre il est attendu que les élèves s’appuient sur cette lecture pour écrire eux-mêmes des textes :
- cet atelier d’écriture est réservé aux élèves d’accueil de l’année en cours de l’établissement (environ une trentaine d’élèves). Le niveau est très hétérogène, de l’élève analphabète, à l’élève niveau intermédiaire (B1) ;
- le thème de l’Atelier est ; « Jeu et moi dans la ville » et il s’agit d’une co-animation avec une aide-éducatrice, Melle Marie Alme. Le thème n’est pas original, la démarche ne l’est sans doute pas, mais les productions toujours ;
- l’atelier a commencé par une lecture analytique du fameux texte de Pérec « L’immeuble » que j’ai lu à haute voix ;
- ensuite, j’ai pris en notes toutes les observations des élèves au tableau, en essayant de classer leurs remarques : remarques littérales, remarques interprétatives, remarques sur la forme face aux analyses. Dans cet échange, la parole est libre et je n’interviens que pour rapprocher ou opposer des points de vue du groupe. La participation génère elle-même de la participation ;
- lorsque finalement, ils ont montré, concernant le texte de Pérec, qu’il y avait un jeu de point de vue et de focalisation, que les structures syntaxiques étaient essentiellement sur le mode de la litanie, que cette litanie pouvait être gaie ou triste, je leur ai demandé d’écrire à la manière de Pérec ;
- ce texte en premier jet a été retravaillé pour atteindre selon le niveau entre 5 et 20 lignes. Là encore, l’essentiel était dans les différentes écritures intermédiaires. Corriger, s’auto-corriger et corriger les pairs, dicter à l’adulte où aux autres élèves constituent les différentes manières d’aborder l’écrit intermédiaire. Ce travail individuel et collectif sur le brouillon permet de s’éloigner de la matrice pour arriver à une écriture personnelle ;
- ensuite avec une lectrice professionnelle Mariecke De Bussac de la compagnie les Guetteurs d’Ombres, les élèves ont appris à lire à haute voix leur propre production. L’enjeu textuel a été perçu dans la lecture de Pérec et l’enjeu énonciatif et interprétatif est rendu par la lecture.
76Ce que je cherche dans cet atelier d’écriture ce sont « les étonnements du texte » (Cuq, Gruca, 2003 : 383). Parfois ce sont des images qui sont déclencheurs ou encore des mots, des photos, la représentation des élèves ; ce qui est essentiel c’est d’amener l’apprenant à avoir une distance particulière avec la forme pour en apprécier le sens, l’effet.
77Cet atelier extensif intitulé « Jeu et moi dans la ville » permettra une appropriation détournée des itinéraires, de la description, de l’expression du point de vue, de l’usage des figures de styles etc. Tout cela pour moi c’est une manière de comprendre le monde. Ne pas être passif, transformer, ne pas se laisser berner par une hyperbole, réagir à une métaphore, maîtriser la métonymie, est aussi important que l’utilisation de la négation même si cette dernière reçoit dans les manuels une place de choix qui lui est encore sans doute due.
6. PARTIS PRIS
78Les pratiques artistiques intégrées aux enseignements du FLES, permettent de « ne pas chercher à fixer, à chosifier l’étrangeté de l’étranger » comme le prescrit Julia Kristeva (1988 : 11). S’il faut éduquer la perception interculturelle comme l’écrit Henri Besse (1993 : 44) dans son fameux article, il faut aussi enseigner le flou, l’oblique, la chicane. Peut-être une nouvelle branche de l’enseignement des langues : le FOC ! L’enjeu sera de composer entre une approche sémiotique et une approche esthétique, entre réception et effet. L’art et l’homme peuvent être envisagés selon une « partition » comme l’écrit Rifaterre (1979 :11), une partition qui va prendre dans ses lignes, le paradoxe de l’unique et de l’universel, une temporalité mythique, une langue cryptée secrète, l’exploration du quotidien et de l’intime, des voix anonymes. Les voix de la multitude sont dans l’art et donnent la parole à l’individu. L’enfant peut être expert et ne pas être dominé par la culture cible. Il n’est jamais abaissé parce qu’accueilli dans l’art. Le corps, le verbal et le non verbal peuvent jouer ce rôle de passerelle dont on a tellement besoin avec ces classes. La France est leur nouveau réel et je n’ai rien trouvé de mieux que l’art pour le leur montrer. Fuyons la fameuse « pédagogie du couscous » et écoutons la voix de l’écrivain Tournier qui écrit dans le vent Paraclet « l’âme humaine se forme de la mythologie qui est dans l’air » (1977 : 191). Ou encore, comme l’écrit Meschonnic, proposons : « la poésie comme Habitation à Lyrisme Modéré » (2001 : 76). Habiter en poète une langue qui n’est pas la sienne, c’est le pari didactique que je propose. Le second est un travail de connaissance. Définissant le travail du poète, Franc Ducros (2006 : 78) écrit « […] il s’agit de la connaissance de ce qu’il y a d’inconnu en soi, de ce qui nous habite et nous constitue, mais que nous ne savons pas ».
79Peut-être est-ce cela accueillir ?
Bibliographie
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