Notes
-
[1]
Dans le cas du guaraní, nous avons affaire à une langue à prédominance orale qui accéda à l’écriture d’abord aux XVIIe et XVIIIe siècles avec les Franciscains, puis les Jésuites jusqu’à leur expulsion. Des religieux des deux ordres produisirent, dans le domaine linguistique, des grammaires et des dictionnaires, et dans le domaine religieux – des traductions en guarani de manuels de catéchèse, sermons et prières. Ensuite au XIXe le guarani fut langue de création littéraire, de discours politique et de quelques journaux, surtout en période de guerre. Enfin au XXe, il y a eu normativisation de l’orthographe et accès marginal à l’écriture, essentiellement dans le domaine de la création littéraire.
-
[2]
Montoya, 1639 cité par Bartomeu Meliá (1992 : 36).
-
[3]
Dans ce recensement publié par la Direction générale des statistiques, enquêtes et recensements en 2003, il s’agit de statistiques portant sur l’usage à la maison de l’une et/ou l’autre langue (guarani et espagnol). Le terme monolinguisme y désigne l’usage domestique d’une seule langue. Comme la Constitution Nationale, qui stipule que le Paraguay est un pays bilingue, G. Corvalán affirme ce bilinguisme national, en additionnant les pourcentages de monolingues – implicitement bilingues même s’ils ne pratiquent qu’une langue à la maison – et de bilingues déclarés – ie qui pratiquent les deux langues à la maison – pour obtenir ces chiffres. Cependant jusqu’à aujourd’hui il n’y a pas eu d’enquête sur les compétences linguistiques des Paraguayens dans les deux langues. On peut cependant admettre que les monolingues ont une compétence au moins passive dans l’autre langue. Cela est encore plus vrai pour le guaranophone, largement exposé à l’espagnol (radio, télévision, communication publique, école) que pour l’hispanophone, davantage urbain, pour lequel l’exposition au guarani est surtout orale, privée et grégaire. Tous les spécialistes s’accordent donc à dire que l’immense majorité des Paraguayens est bilingue même si leur compétence est très variable.
-
[4]
Meliá, 2004 : 360.
-
[5]
Carrera, Carlos (2004) « Diversidad cultural y desarrollo humano : una caracterización de los diversos grupos lingüístico-culturales del Paraguay ». Asunción, PNUD, 2004.
-
[6]
Un sociolinguiste ne saurait affirmer sérieusement que « le guarani constitue une langue dominante » (Rodriguez-Alcalá 2002 : 58), à moins de confondre, ce qui semble être souvent le cas, deux critères : l’un démolinguistique, l’autre sociolinguistique. Le guarani est certes la langue majoritairement parlée au Paraguay, mais aussi bien du point de vue des représentations que du point de vue des domaines d’usage, c’est l’espagnol qui, jusqu’à ce jour est la langue dominante. C’est une situation originale dont peut rendre compte la formulation paradoxale citée de B. Melià. Le guarani est majoritaire mais il reste minoré.
-
[7]
Cependant l’auteur de l’enquête reconnaît que, pas plus que d’autres enquêtes, celle-ci, bien que réalisée à partir d’une population de 650 individus, « ne répond pas au critère d’un échantillon aléatoire et indépendant » (Gynan 2003 : 62).
-
[8]
La référence à cette pratique au Paraguay est rapportée par un écrivain du XIXe, Centurion : son témoignage se situe sous le gouvernement de Carlos Antonio Lopez 1842-1861, dont le slogan Progrès, Civilisation, Liberté résume l’idéal modernisateur et qui instaurera le caractère obligatoire de l’école primaire. « Il était défendu de parler guarani pendant les heures de classe, et afin de rendre effective cette interdiction, on avait distribué aux surveillants des petits anneaux en bronze, qu’ils remettaient au premier élève qu’ils surprenaient en train de parler guarani. [… le samedi…] on demandait la restitution des anneaux et ceux qui en détenaient recevaient en punition de leur délit, quatre à cinq coups de fouet » [Centurión, 1894, (cité par Melia, 1992 : 166) (nous traduisons)].
-
[9]
À différencier, semble-t-il, du jehe’a, mélange des deux langues, comme dans le mot « escuelape » « à l’école », formé de l’espagnol « escuela » et de « pe » signifiant « à » en guarani.
-
[10]
On dénombre 5 familles linguistiques (Tupi Guarani, Maskoy, Mataco-Mataguayo, Zamuco, Toba Guaicuru) et un total de dix-sept à dix-neuf langues, selon les linguistes, parlées par un total estimé à 50 000 locuteurs. Cinq langues comptent moins de 1000 locuteurs. (Zanardini 2004 : 18-21 et 50) en cite cinq en péril d’extinction. La langue guana (groupe Maskoy) parlée à l’époque du recensement par moins de 100 locuteurs peut être considérée comme « disparue » puisque son dernier locuteur est décédé en 2006 (Demelenne, entretien 2006). (Recensement cité par Gynan, 127 et Basabé Palma, 34).
-
[11]
Villagra Batoux (2002 : 367) rappelle que c’est au cours de la deuxième réunion spéciale du Mercosur Culturel, qui eut lieu à Asunción en juin 1995, que fut adopté officiellement le guarani comme l’une des langues historiques du Mercosur. Les Ministres se prononcèrent également en faveur de sa revalorisation et de sa promotion. La revendication d’officialité du Paraguay, récemment adoptée par les Ministres de la Culture du Mercosur pourrait bien être adoptée en janvier 2006, obligeant ainsi les états membres à traduire en guarani l’ensemble des textes officiels et discours. Si la portée symbolique de cette décision est indéniable, on peut cependant douter de sa réelle application à court terme, étant donné que l’intégration éducative, juridique et économique marque le pas et que le Mercosur est l’objet de nombreuses remises en cause de la part de ses propres membres.
-
[12]
La dépense publique en éducation est passée de 2 à 4 pour cent, la scolarisation au niveau initial de moins de 5 pour cent en 1989 à 60 pour cent, la scolarisation au niveau lycée atteint pour cent (CONEC, 2004 : 34-35).
-
[13]
La dépense publique en éducation est passée de 2 à 4 pour cent, la scolarisation au niveau initial de moins de 5 % en 1989 à 60 %, la scolarisation au niveau lycée atteint 40 % (CONEC, 2004 : 34-35).
-
[14]
À partir de la première année de l’école primaire.
-
[15]
À cet égard il est très intéressant de noter qu’au cours d’une allocution prononcée le 25 novembre 2006, à l’occasion de l’inauguration d’un centre modèle d’élevage porcin, le Président du Paraguay, Nicanor Duarte Frutos (Parti Colorado) dans un discours alternant l’espagnol et le guarani, se moquait d’un sénateur libéral – Mateo Balmelli – pour sa piètre connaissance du guarani « Il ne parle même pas guarani et il veut être président (de la République) ».
-
[16]
Zucolillo citant des entretiens avec l’historienne Milda Rivarola.
-
[17]
L’Educación Escolar Básica, l’éducation scolaire de base obligatoire, est l’équivalent du primaire et du collège en France, elle dure neuf années.
-
[18]
Ministerio de Educación, 1991.
-
[19]
La Educación bilingüe en la reforma Educativa Paraguaya, 2003.
-
[20]
C’est la proportion retenue par les autorités éducatives.
-
[21]
Une enquête publiée par le MEC sur les besoins et attentes des secteurs professionnels et sociaux en ce qui concerne le guarani (MEC, Consultas a sectores sociales y profesionales acerca de sus necesidades y expectativas hacia el guaraní, 2001 : 53) cite par ordre de priorité : 1. les professionnels de la santé, du droit, les agronomes vétérinaires, acteurs politiques et religieux 2. ceux des sciences sociales : sociologues, travailleurs sociaux, enseignants, artistes, policiers… 3. ingénieurs, architectes, milieux d’affaires, pour lesquels le guarani a une importance relative.
-
[22]
Par opposition non seulement au guarani parlé dans d’autres pays, mais également au guarani ethnique et ses dialectes.
-
[23]
Villagra Batoux : 2002,368.
-
[24]
Ministerio de Educación, La educación bilingüe en la Reforma Educativa del Paraguay : 48.
-
[25]
Dénomination bilingue espagnol/guarani : École Vivante/pour une vie meilleure.
-
[26]
Zanardini : 2004,37.
-
[27]
Ibid. : 31.
-
[28]
Projet émanant de la Commission Nationale de Bilinguisme, qui a donné lieu à une vaste concertation dans l’ensemble du pays.
1. LE PLURILINGUISME PARAGUAYEN
1.1. Un cas sous observation
1Le Paraguay présente un cas de configuration linguistique où l’on peut observer une diglossie. L’une des modélisations canoniques en la matière, celle de J. A. Fishman, considère que dans la communauté linguistique paraguayenne « existent la diglossie et le bilinguisme ». Pour Fishman, citant Joan Rubin, « une telle situation exige un bilinguisme fort répandu, – sinon omniprésent – et, en conséquence, peu de nations sont à la fois bilingues et diglossiques. Un pays qui y tend est le Paraguay où plus de la moitié de la population parle aussi bien l’espagnol et le guarani. Une part importante de la population, naguère rurale et monolingue, a ajouté l’espagnol à son répertoire en relation avec les domaines de l’éducation, de la religion, du gouvernement et de la culture, – bien qu’à la campagne le guarani puisse toujours être préféré pour exprimer la distance sociale ou l’importance de la position sociale. D’autre part, la grande majorité des citadins, – venus plus ou moins récemment de la campagne, – conservent le guarani pour les conversations familières ou pour exprimer leur solidarité de groupe, même dans leur nouveau milieu espagnol urbanisé » (Fishman 1971 : 89). On verra que la situation évoquée par Fishman (une évocation sûrement réductrice), a évolué sous l’impact d’une politique éducative mise en œuvre dans la dernière décennie du XXe siècle est peut-être en voie de transformation.
2On sait par ailleurs que la modélisation théorique de Fishman, tout comme celle de Ferguson (1959), relève d’une conception strictement synchroniste et fonctionnaliste des contacts de langues et surtout qu’à l’exception du recours (parfois discutable, comme c’est le cas à propos de la situation sociolinguistique en Suisse alémanique) à la notion de prestige, elle ne s’interroge pas sérieusement sur la dynamique des représentations en situation diglos sique. C’est contre une telle modélisation que se sont inscrits les sociolin guistes natifs des domaines catalan et occitan dans les années 60-70 du XXe siècle en requalifiant la situation de coexistence asymétrique de deux langues au sein d’une même communauté sous la dénomination de conflit diglossique. Car pour cette sociolinguistique périphérique, en effet, il ne peut s’agir que d’une coexistence concurrentielle et inégalitaire (comme en Espagne entre le catalan et le castillan, par exemple, durant la dictature franquiste), dans laquelle une langue dominante tend à exclure des domaines communicationnels publics (écrits en premier lieu) une langue dominée [1], ce qui entraîne un état de minorisation pour cette dernière, minorisation qui, à plus ou moins long terme, peut conduire à sa disparition, si la dynamique conflictuelle de la diglossie se développe sans résistance (Boyer éd. 1997). Dans une telle configuration linguistique, il a été démontré que le jeu des représentations est décisif, en particulier pour occulter sa nature conflictuelle (Ninyoles 1972 et 1976, Lafont 1971 et 1979, Gardy et Lafont 1981, Boyer 1991). Il y a ainsi idéologisation de la diglossie : face à une représentation ouverte, plus ou moins complexe mais surtout très positive de la langue dominante, la représentation de la langue dominée tend à se fossiliser en deux stéréotypes opposés (mais solidaires) : l’un positif, qui conduit à idéaliser la langue dominée (langue ancestrale), l’autre négatif, qui conduit au dénigrement de la même langue (langue plébéienne) (Boyer 2005). C’est ce stéréotypage ambivalent au sein de l’imaginaire communautaire des langues en présence qui semble être l’indicateur principal du caractère conflictuel d’une configuration linguistique de type diglossique. C’est du reste ce qui semble se dégager d’une analyse fine de la situation paraguayenne, « situation paradoxale dans laquelle la langue qui jouit d’un moindre prestige [le guarani] est porteuse de valeurs de loyauté et de fierté, en même temps qu’elle est l’objet d’attitudes de rejet » (Corvalán 1977-1981 : 68, rendant compte de l’étude souvent citée de J. Rubin ; nous traduisons). Cette ambivalence est illustrée au cours de l’histoire du Paraguay : l’admiration des religieux, Jésuites ou Franciscains, pour une langue « des plus riches et élégantes qui soient au monde et qui avec raison peut rivaliser avec les plus célèbres […] qui n’a presque rien à envier au grec… » [2] s’oppose au dénigrement de certaines élites éclairées qui, après l’Indépendance, stigmatisaient le guarani pour son incapacité supposée à exprimer des concepts et à épouser la modernité.
1.2. Quel diagnostic sociolinguistique ?
3Le diagnostic sociolinguistique face à une configuration linguistique plurilingue concrète requiert, selon moi, et en droite ligne de la modélisation
proposée par la sociolinguistique périphérique, une démarche qui prenne en
compte toute la complexité et la dynamique de la situation de contact/conflit
des langues en présence. Il me semble que cette démarche doit embrasser
conjointement trois pôles de questionnements (Boyer 1997) :
• Celui des usages et des répertoires linguistiques
4Il convient bien entendu de s’interroger en premier lieu sur l’exercice objectif des langues en présence.
5• Celui de l’imaginaire des langues en présence.
6Il convient ici de s’interroger (et ce point a été soulevé plus haut) sur la nature des représentations des langues pratiquées dans la communauté, représentations plus ou moins abondantes, à contenu plus ou moins normatif, plus ou moins prégnantes. Existe-t-il et si oui quel est leur impact, des idéologies linguistiques au sens de « système (réseau) de représentations en interconnexion » (Mannoni 1998 : 54), constructions socio-cognitives à teneur coercitive, susceptibles de légitimer des discours de nature performative (Boyer 2003 : 17). Existe-t-il également des stéréotypes (issus d’un figement représentationnel à forte valeur consensuelle) concernant telle(s) langue(s), telle(s) variété(s) de telle(s) langue(s) ?
7Quelles attitudes ces idéologies, représentations, stéréotypes inspirent-ils concernant les langues en contact/conflit ? Attitudes de valorisation ou/et de stigmatisation ? Et donc de loyauté, de fierté… collectives envers telle(s) langue(s), ou/et de rejet, de mépris… collectives envers telle(s) autre(s) ?
8• Celui des pratiques symtômales, révélatrices de tension(s) au sein du pôle des usages et répertoires et de celui des représentations/stéréotypes-atti-tudes : les comportements verbaux (et donc des opinions) et non-verbaux, qui sont autant de traductions, de manifestations plus ou moins spectaculaires des attitudes dont il vient d’être question.
9Le cas du Paraguay, où le guarani, langue amérindienne, est en relation diglossique avec l’espagnol (le glossonyme « castillan » est aussi utilisé par certains linguistes) est un cas de configuration de type diglossique particulièrement intéressant… Le pays, proclamé aujourd’hui officiellement bilingue et multiculturel (depuis la Constitution de 1992) présente en effet des caractéristiques sociolinguistiques qui pourraient laisser penser que la diglossie y est plus conforme au modèle « classique » nord-américain (Ferguson-Fish-man-Gumperz) qu’au modèle catalano-occitan, avec 59,2 % de foyers où le guarani est langue usuelle, pourcentage supérieur à celui des foyers où c’est le castillan qui est usuel – 35,7 % – et un total de 94,9 % de la population parlant les deux langues, selon l’analyse faite par G. Corvalán (2006 : 15-16) [3] à partir des données fournies par le dernier recensement officiel de la population, effectué en 2002. D’autres analyses, telle que celles de Meliá [4] ou Carrera [5], effectuées à partir des mêmes données, mettent l’accent sur le caractère largement majoritaire du guarani, en s’appuyant sur les pourcentages cumulés des guaranophones exclusifs et des bilingues, guarani-castillan ou castillan-guarani, soit 86 % de locuteurs de guarani. Ces interprétations de données démolinguistiques reflètent l’affrontement entre les tenants du bilinguisme majoritaire et les tenants du guarani majoritaire, qui traversent tous les débats autour du statut réel des deux langues, depuis le retour à la démocratie.
10C’est dire si la configuration linguistique en question, du point de vue des répertoires et des usages, est atypique au sein de l’ensemble de l’hispanophonie latino-américaine, où la langue du colonisateur, l’espagnol, est généralement dominante, voire exclusive. Une telle configuration, où le guarani a pu être qualifié de dominant et dominé (Melià 1988,1997) [6], est en pleine évolution avec la mise en œuvre d’une Réforme Éducative depuis 1994, dont les enjeux majeurs sont la démocratisation de l’accès à l’éducation obligatoire et la promotion de l’Éducation Bilingue dans tout le pays. Certes, aucune loi linguistique n’a encore vu le jour, mais des avant-projets ont été rédigés et c’est une question débattue au sein d’un abondant interdiscours épilinguistique. Cependant, malgré tous les indices d’une rupture avec une longue période de minorisation au cours de laquelle le guarani était clairement exclu de l’école, on peut se demander si l’attitude ambivalente à l’égard du guarani : symbole célébré d’unité nationale, mais marginalisé (L. Manrique Castañeda cité dans Melià 1988,1997) appartient désormais effectivement au passé. En effet, notre propre observation et les témoignages recueillis nous incitent à penser que le stéréotypage ambivalent dont a été victime le guarani, comme langue dominée, n’a pas vraiment disparu, même s’il est sûrement concurrencé par une construction plus complexifiante, beaucoup plus de l’ordre de la représentation que du stéréotype. C’est ce que semblent indiquer du reste les résultats d’une enquête à propos des perceptions du guarani par ses propres usagers, enquête certes officielle (elle est publiée par les soins du Ministère de l’Éducation et de la Culture) mais qui présente toutes les garanties de rigueur scientifique (Penner coord. 2001). Les opinions recueillies font état, entre autres, de l’utilité du guarani comme moyen de communication effectif et général mais aussi du point de vue social (procurant des avantages dans diverses situations) même si c’est dans la sphère familiale et grégaire qu’il est le plus étendu. Ces mêmes opinions expriment une valorisation, l’idée que l’étranger admire la langue des Paraguayens, langue de la nation paraguayenne, que ces derniers se doivent de parler. Par ailleurs près de 50 % des enquêtés considèrent que le guarani peut très bien être parlé par ses usagers à l’extérieur de son espace naturel.
11Une autre enquête a également mis clairement en évidence la permanence de représentations et donc d’attitudes ambivalentes (Gynan 2003 : 76-80) [7]. Ainsi alors que 77,6 % des enquêtés sont en désaccord avec l’affirmation selon laquelle « Au Paraguay c’est bien de ne savoir parler que le guarani », et alors que 33,4 % seulement sont d’accord avec l’affirmation selon laquelle « pour progresser économiquement il faut savoir parler guarani », 81,3 % considèrent que « la langue guarani est dans [leur] sang », résultat qui confirme l’accord avec l’affirmation : « Pour être authentiquement Paraguayen, il faut savoir parler guarani » (71,3 %). Une donnée représentationnelle majeure est bien le fait que le guarani est au cœur d’un interdiscours épilinguistique qui célèbre la nation paraguayenne, fière d’avoir conservé et aujourd’hui d’avoir élevé au rang de langue co-officielle une langue indigène. G. Corvalán (1977-1981 : 41 ; nous traduisons) observe ainsi le « haut degré de nationalisme qui naît de l’usage du guarani ».
12Le conflit diglossique paraguayen, dont la violence s’est largement atténuée depuis au moins deux décennies, n’en demeure pas moins un conflit (Boyer 1997) : mais les sociolinguistes paraguayens qui reconnaissent l’existence du conflit diglossique considèrent, à l’instar de G. Corvalán, qu’« il est préférable de vivre ensemble au lieu d’être en concurrence lorsque le contact de langues existe entre une langue standard, dont la première fonction sert comme symbole d’identité nationale [le guarani], qui s’oppose à l’usage de l’autre langue standard, l’espagnol, dont la fonction de prestige est supérieure à celle du guarani » (Corvalán 2006 : 11). Le conflit sociolinguistique est bien évoqué dans le préambule d’un ouvrage du grand spécialiste Bartomeu Melià, au titre on ne peut plus explicite : « Éloge de la langue guarani » (Melià 1995 : 8) : « Sans exagérer on peut dire que les langues du Paraguay sont le lieu d’une passion et d’un conflit. D’amours et de frustrations ». Car le conflit ne concerne pas uniquement (même si c’est la donnée quantitative majeure de la configuration paraguayenne) la coexistence du guarani et de l’espagnol mais également selon certains sociolinguistes entre le guarani et les autres langues indigènes présentes sur le territoire du Paraguay. Et bien que la coexistence du guarani et de l’espagnol soit le thème central de l’interdiscours épilinguistique paraguayen, des pratiques métalinguistiques et de plus en plus d’interventions glottopolitiques intéressent les autres langues amérindiennes (pour certaines très minoritaires) en usage au Paraguay. Mais c’est bien le guarani paraguayen qui focalise l’essentiel des préoccupations sociolinguistiques de la société paraguayenne. Ce même guarani a été, dans le passé, comme de nombreuses langues dominées dans le monde (en Europe et en France singulièrement), stigmatisées par l’École, dont l’une des missions au XIXe était de l’éliminer. On signale à ce propos l’existence d’une pratique scolaire connue en France sous le nom de « signal » et qui consistait à faire circuler parmi les élèves, au gré des apparitions incontrôlées du guarani, un objet identificateur en vue de sanctionner la « faute » sociolinguis tique (Boyer 1991) [8].
13Outre les ingrédients traditionnels d’un conflit diglossique (minorisation du guarani – langue de la ruralité – en même temps que loyauté à son égard et célébration comme attribut de la nation) la configuration linguistique paraguayenne, officiellement qualifiée de « bilingue » (et pluriculturelle), présente les caractéristiques d’une évolution avancée vers un complexus diglossique qui ne va pas sans poser quelques problèmes théoriques… et pratiques.
14En effet, un objet sociolinguistique tend à s’imposer au sein de l’interdiscours épilinguistique qui ne cesse de circuler au sein de la société paraguayenne : le jopará. Le terme désigne l’alternance des langues (et singulièrement la présence de l’espagnol) au sein du guarani paraguayen (différent du guarani ethnique dans ses diverses variantes, en usage sur le territoire de plusieurs États) comme dans l’énoncé :
« Agueru pete? silla plegadiza che sype » (j’apporte une chaise pliante pour ma mère)
16où « silla plegadiza » est un emprunt à l’espagnol [9]. Cependant la brève définition du jopará qui vient d’être donnée n’est pas la seule en circulation : on peut très bien désigner par le même treme une autre alternance de langues : la présence du guarani au sein de l’espagnol paraguayen. Cependant c’est l’autre alternance qui semble plus nettement être ainsi catégorisée. À n’en pas douter le jopará est une modalité interlectale, voire un interlecte (Prudent 1981, Boyer 1991.) – d’aucuns le considèrent même comme une troisième langue –, aux côtés du guarani et de l’espagnol.
17Le jopará, qui pour certains Paraguayens (en premier lieu bon nombre d’acteurs de la politique linguistique et éducative) n’est pas le « bon » guarani, est assurément le « langage commun et quotidien », et « un phénomène linguistique qui accepte n’importe quelle hybridation (mélange et combinaison) : c’est une lingua franca que n’importe qui peut utiliser puisque le critère du bien/mal parler n’a pas de pertinence, mais seulement la plus grande capacité pragmatique à se faire comprendre. En ce sens le jopara est une langue imparfaite dans la double acception du mot, il n’est pas établi et il se maintient constamment dans la dynamique du développement. À la différence des langues établies, le jopara possède deux caractéristiques qui permettent son dynamisme et qui configurent ce dynamisme de manière différente : en premier lieu l’absence de standardisation et en second lieu le contact permanent entre deux langues fondamentalement différentes (Penner coord. 2001 : 94-95 ; nous traduisons).
18Et dans l’enquête déjà citée, les enquêtés invités à donner leur opinion sur le jopara sont partagés : 32,2 % pensent qu’il s’agit de « la langue qui est véritablement parlée », 43,2 % que c’est « une forme qui viole les règles du guarani et du castillan », et 23,7 % qu’il s’agit d’« une troisième langue à côté du castillan et du guarani » ; mais en fin de comptes ils sont donc 55,9 %, donc une majorité, à « percevoir le jopara comme légitime » (ibid. : 100-101 ; nous traduisons). Quant à la définition du phénomène, il est clair qu’elle n’est pas uniforme : pour 35,6 % des enquêtés il est question de jopara « quand parle parfois castillan et parfois guarani, quant on entremêle », pour 38,9 % « quand en parlant guarani on utilise des mots du castillan bien qu’il existe les équivalents en guarani » et pour 23,9 % le jopara « est une forme spontanée qui s’adapte aux nécessités immédiates des personnes » (ibid : 102 ; nous traduisons).
19Il y a bien absence de consensus dans la perception du jopara [10], y compris chez les linguistes et décideurs en matière glottopolitique. Ainsi si pour G. De Granda (cité par Gynan 2003), il s’agit d’un « espagnol fortement guaranisé », plusieurs autres réalités sociolinguistiques sont susceptibles d’être désignées par « jopara », selon S. N. Gynan (2003 : 57 ; nous traduisons) :
- « une troisième langue qu’on trouve dans la bouche des enfants monolingues en guarani, produit d’une convergence »,
- « le guarani parlé par des non-natifs, castillano-parlants »,
- « le guarani des bilingues caractérisé par le changement de code »,
- « le guarani paraguayen, avec des emprunts linguistiques au castillan ».
20On peut aisément déduire des diverses observations, opinions et positions qu’on a bien ici affaire à un complexus diglossique dans lequel un ensemble interlectal, à géométrie variable, s’intègre dans un continuum sociolinguistique où le guarani et le castillan (aux standards de nature très différente) occupent chacun un pôle de référence. Selon des modalités variables en fonction des diverses aires géolinguistiques du pays, ce complexus intègre également dix-sept à dix-neuf langues (sans compter les dialectes) indigènes [11] parlées par des communautés plus ou moins réduites, de moins de mille locuteurs à plusieurs milliers : ces communautés sont reconnues par la Constitution et officiellement préservées dans leurs droits, même si, nous le verrons plus loin, le droit à l’alphabétisation est prévu en guarani ou en espagnol, langues officielles, et non dans les autres langues nationales.
21Et l’on peut comprendre que cette configuration ne soit pas sans poser quelques problèmes à l’entreprise de politique linguistique et éducative en cours. Comme le fait observer G. Corvalán, « il convient de différencier l’usage et l’enseignement du “jopara” comme variante linguistique à l’intérieur du système, dans une perspective conceptuellle et une autre pratique, malgré l’étroite relation entre les deux […] L’usage est la manifestation la plus importante d’une langue vivante. Pour autant, enseigner en ou le “jopara” c’est transmettre un système linguistique en constante situation de changement, si l’on veut bien considérer que les interférences, emprunts et transferts au sein du discours, dans une situation de contact intime, n’ont pas de limites » (Corvalán 2006 : 14 ; nous traduisons). Il ne s’agit pas d’un problème secondaire sur le chemin épineux de l’Éducation Bilingue, comme nous le verrons plus loin.
22La mise en œuvre d’un traitement du conflit diglossique paraguayen, qualifié de « bilinguisme », via l’éducation nationale est en effet désormais inscrite dans les orientations politiques de l’État paraguayen à travers le Plan d’Éducation Bilingue de la Réforme Éducative, initié en 1994. Il faut souligner la pérennité de cette politique malgré les changements ministériels, 12 entre 1994 et 2003. Certes la Loi de normalisation linguistique tant attendue tarde à être votée mais il existe des textes législatifs et réglementaires qui sont autant de dispositions officielles en vigueur. La récente approbation par les Ministres de la Culture du Mercosur de la proposition du Paraguay d’officialiser le guarani aux côtés de l’espagnol et du portugais (22 novembre 2006) au sein de cet espace d’intégration, met en évidence la vitalité de cette identité culturelle et linguistique commune, revendiquée par les pays dont les frontières traversent l’ancienne nation guarani : cette demande sera présentée à l’approbation des chefs d’États du Mercosur en janvier 2007 [12].
23Cependant il convient de rappeler que si la dimension éducative (enseignementapprentissage) de toute politique linguistique est fondamentale, elle ne saurait se passer de deux autres volets non moins fondamentaux : la normativisation linguistique qui concerne surtout la langue dominée, minorisée (planification du corpus) qui suppose standardisation/codificationaménagement et la normalisation sociolinguistique (planification du statut) qui concerne les fonctionnements socioculturels des langues en conflit : leurs statuts respectifs et, pour ce qui concerne la langue jusqu’alors marginalisée, la généralisation de ses emplois dans tous les compartiments communicationnels de la vie communautaire (Boyer 2001). Dans la situation actuelle du Paraguay c’est le volet éducatif qui est en première ligne et fait l’objet de bien des débats.
1.3. Dispositions et dispositifs
24La prise en compte de la coexistence généralisée de deux langues (nationales), même si une seule, l’espagnol, ait le statut de langue officielle, et l’exigence de protéger le guarani et de promouvoir son enseignement, sont inscrites dans la Constitution de 1967 (Article 5). Néanmoins on peut dire que le point de départ pour un authentique traitement institutionnel de la diglossie paraguayenne est la Constitution de 1992, bien que la Loi n° 68 de 1990, promulguée après la chute de la dictature, rendait déjà obligatoire l’enseignement des deux langues nationales (article 1) et prévoyait « des programmes d’enseignement pour l’emploi correct de la langue guarani » et « des mesures destinées à promouvoir sa diffusion et son prestige ». (Article 2 ; nous traduisons.)
25La nouvelle constitution démocratique promulguée en 1992 représente bien une rupture dans le traitement officiel du plurilinguisme eu Paraguay et même en Amérique Latine. En effet le castillan et le guarani y sont déclarés conjointement « langues officielles » (et non plus seulement nationales) et « les langues indigènes, ainsi que celles des autres minorités, [comme faisant] partie du patrimoine culturel de la nation » (article 140). Le Paraguay y est proclamé « pays pluriculturel et bilingue » (nous traduisons). L’enseignement obligatoire de la langue maternelle est prévu (article 77). Une Loi votée la même année (n° 28 de 1992) stipule que « l’enseignement des langues officielles, castillan et guarani, est obligatoire à tous les niveaux du système éducatif paraguayen : primaire, secondaire et universitaire » (nous traduisons).
26La Loi Générale d’Éducation de 1998 précise un certain nombre de dispositions concernant cet engagement éducatif. La nouvelle politique éducative est placée sous l’autorité du Ministère de l’Éducation et de la Culture et la Loi précise le rôle d’un Conseil National d’Éducation et Culture (CONEC), chargé en particulier de « proposer les politiques culturelles [et] la réforme du système éducatif national » (Article 92 ; nous traduisons). L’éducation bilingue sera la colonne vertébrale de la réforme éducative envisagée (González Ramos de Benítez 2006 : 9-14). Et planifiée, bien que les avis sur son état d’avancement et les résultats obtenus depuis sa programmation soient contestés/divergent. La Commission Nationale de Bilinguisme, organisme de réflexion auprès du Ministère d’Éducation et de Culture, composée d’éminentes personnalités qualifiées, installée depuis 1994, n’a proposé qu’en 2006 au Parlement son avant-projet de loi concernant les langues du Paraguay (« Ley de lenguas de la República del Paraguay ») qui a reçu un avis favorable fin 2006 de la part de la Commission Éducation, Culture et Culte de la Chambre des Députés. Il n’en est pas moins vrai que s’il y a eu incontestablement rupture en matière glottopolitique, elle n’est somme doute que de fraîche date et sa concrétisation a dû affronter bien des obstacles, à commencer par les représentations héritées d’un long passé diglossique. Car il me semble que le défi de l’État paraguayen est bien dans la réussite d’un dépassement du conflit diglossique : et l’on peut comprendre que ce dépassement ne va pas de soi.
2. CONDITIONS, MODALITÉS ET PÉRIPÉTIES DE L’ENSEIGNE-MENT DES/EN LANGUES CO-OFFICIELLES ET EN/DES LAN-GUES INDIGÈNES AU PARAGUAY
2.1. Les antécédents à la co-officialité du guarani
27Si la politique de scolarisation massive qui a suivi le retour à la démocratie en 1992 [13] est le plus grand défi qu’aient relevé les autorités éducatives, la mise en œuvre d’une éducation bilingue obligatoire est sans doute le chantier le plus ardu, le plus passionnant et le plus débattu de la Réforme éducative de 1994.
28Il faut s’arrêter ne serait-ce que brièvement sur les avatars du statut du guarani au cours de l’histoire du Paraguay, pour saisir toute la portée du Plan d’Éducation Bilingue (PEB), qui s’étend sur les neuf années de l’éducation obligatoire [14] et constitue l’axe principal de la Réforme éducative.
29À l’époque coloniale, la population indienne ou métisse était numériquement supérieure à la population espagnole car le territoire de l’actuel Paraguay, dépourvu d’or, éloigné des flux du grand commerce et privé d’un accès à la mer, ne justifiait pas une colonisation numériquement importante. C’est pourquoi même si l’espagnol était officiellement la langue des colonies de la Couronne, le guarani créole était dominant. Pour sa part, le guarani jésuitique était une langue écrite, normalisée et standardisée grâce aux Franciscains puis aux Jésuites qui « contribuèrent à conférer (au guarani) un rang de langue cultivée » (Melia 1992 : 68). Avec l’expulsion des Jésuites en 1767, le guarani jésuitique se désagrégea et le guarani créole ou paraguayen déjà dévalorisé, fut dès lors considéré comme une langue pauvre ; le Paraguay lui-même étant dépeint comme une société pauvre dans laquelle quasiment toute la population parlait le guarani.
30Le guarani langue dominante, servit à diffuser l’idéologie qui mena à l’Indépendance de 1811.
31Les vingt-sept années du règne du dictateur Rodriguez de Francia, (1813-1840) scellèrent l’association de l’identité nationale et du guarani (Villagra Batoux 2002 : 285). La traduction en guarani des textes publics et des décrets était systématique. Le rejet de toute influence espagnole et de la modernisation renforcèrent l’usage du guarani même si la seule langue d’enseignement était le castillan, dans les écoles laïques, gratuites et obligatoires (Ibid. 285-287). Au cours des gouvernements suivants l’éducation fut mise au service des ambitions économiques, industrielles et politiques nationales et le castillan « devint la seule langue vecteur de progrès […] La pratique du guarani dans les établissements scolaires fut interdite et toute infraction pénalisée » (Villagra Batoux 2002 : 290)
32Avec la Guerre de la Triple Alliance de 1870 on assista à nouveau à la revitalisation du guarani associé au sentiment patriotique (chansons, journaux de campagne, gazettes en guarani) : comme le soulignent les spécialistes, c’est quand il faut générer un sentiment nationaliste que la langue guarani est exaltée et revalorisée pour sa fonction grégaire. Il semble que la stigmatisation du guarani se soit renforcée dans l’opposition entre le Parti Libéral et le Parti Colorado, issus des factions qui s’affrontèrent au sein de l’Assemblée Constituante de 1870 : de nombreux spécialistes considèrent que c’est dans cet affrontement qu’est né l’antagonisme castillan/guarani. Cela étant, la conscience de classe des élites politiques de quelque bord qu’elles soient, jouera contre le guarani, langue de la classe socio-culturellement basse, pauvre et rurale et évidemment exclue du pouvoir politique. Même si, comme le souligne Rubin, tous les présidents du Paraguay ont parlé le guarani [15]. Il faut ajouter que l’Église et l’Armée ont conservé le guarani tout au long de leur histoire [16].
33C’est avec la dictature du général Stroessner, qui débuta en 1954, qu’il sera fait appel à la langue guarani pour reconstruire une identité nationale, cependant l’espagnol resta la langue de l’institution scolaire et le guarani y était proscrit. En 1983, fut tentée au niveau primaire, une première expérience d’éducation bilingue selon le modèle dit « de transition » : c’est-à-dire qu’il ne s’agissait pas d’enseigner en/le guarani mais d’utiliser les compétences linguistiques orales en guarani pour faciliter l’acquisition de l’espagnol chez les enfants monolingues guarani et obtenir ainsi un meilleur rendement scolaire : cette expérience fut un échec total (Corvalán, 2006 : 77 et Gonzalez Ramos de Benitez 2006)
2.2. Le Plan d’Éducation Bilingue dans l’Éducation scolaire de base (Educación Escolar Básica [17] )
Les fondements
34Dans les débats auxquels donna lieu la question de l’officialisation du guarani les membres de l’Assemblée Constituante de 1992 (Zucolillo 2000) parvinrent à un consensus sur cette question ainsi que sur le rôle du système éducatif pour instaurer le bilinguisme chez tous les citoyens et renforcer l’identité nationale.
35Il est essentiel à cet égard de souligner combien la Réforme Éducative s’inscrit dans un projet de démocratisation politique et sociale. La première motivation avancée par les autorités éducatives en faveur de l’enseignement en langue maternelle officielle est que les monolingues guarani puissent accéder au bilinguisme coordonné, par l’éducation afin d’accéder à une formation qui leur permette d’être pleinement intégrés dans la société paraguayenne [18], l’égalité des chances passant par l’acquisition de l’espagnol pour tous.
36S’appuyant sur Pierre Bourdieu, Pic Gillard (2004 : 73,91) rappelle à cet égard combien le marché linguistique est étroitement lié au marché scolaire. Ce qui domine à l’école ce sont les produits linguistiques de la classe dominante : l’introduction du guarani à l’école démocratique a donc forcément une rentabilité sociale, économique et politique. Dans le cas du Paraguay, le diagnostic éducatif qui préside à l’élaboration du Plan d’Éducation Bilingue (PEB) met en évidence un haut pourcentage d’absentéisme dans les écoles, de désertion scolaire et d’analphabétisme estimé à 65 % (analphabétisme et illettrisme). C’est dire si l’éducation dispensée jusque-là en langue espagnole ne permettait pas aux monolingues guarani de réussir à l’école.
2.3. Les phases du Plan d’Enseignement Bilingue depuis sa programmation. Polémiques. Révisions
37C’est donc sur cette base constitutionnelle que s’appuie le PEB. Ses grandes lignes ont été définies durant le Congrès National d’Éducation essentiellement consacré au bilinguisme, qui eut lieu la même année que l’Assemblée Constituante. L’objectif du Plan d’éducation bilingue étant qu’au terme de l’éducation obligatoire tous les enfants soient bilingues coordonnés, à l’horizon 2020.
La reconnaissance de la condition de langues officielles pour l’espagnol comme pour
le guarani […] obligera à utiliser la langue maternelle comme instrument au début de
l’alphabétisation et l’usage des deux langues dans le système scolaire […] afin que
devienne réalité la condition de communauté bilingue et d’assumer pleinement notre
identité de société métisse […]. [19]
39Pour le Ministère d’Éducation et de Culture (MEC) [20] ce Plan se fonde sur :
- le recensement de 1992, qui met en évidence le bilinguisme de la moitié de la population [21] et l’exposition directe aux deux langues chez la majorité des enfants. Le MEC souligne la nécessité de tirer parti de cette réalité sociolinguistique.
- La co-officialité du castillan et du guarani stipulée par la Constitution
- Les dispositions légales quant au caractère obligatoire de l’enseignement en langue maternelle officielle
- L’échec du modèle dit « de transition » auquel nous avons fait allusion, dans lequel seul l’espagnol était utilisé à l’écrit.
40Les grandes lignes du curriculum mis en place pour l’EEB sont les suivantes :
- Traitement différencié des deux langues dans les deux premières années de l’école primaire en donnant davantage d’importance à la langue maternelle et en incorporant graduellement et systématiquement la deuxième langue sans perdre l’usage de la langue maternelle.
- Les deux langues sont langues enseignées et langues d’enseignement.
- Dans les deux premiers cycles l’éducation bilingue tient compte de la langue maternelle des enfants : on met en œuvre deux modalités éducatives : la modalité guaranihablante (guaranophone) et la modalité castellanohablante (hispanophone). Les contenus d’enseignement sont les mêmes dans les deux modalités. Au niveau du troisième cycle, la distinction entre les deux modalités disparaît.
41Le dispositif est le suivant :
-
1er cycle (1re, 2e et 3e année, enfants de 6 à 8 ans)
Utilisation de la LM comme langue enseignée et langue d’enseignement dans toutes les matières. Utilisation de la L2 comme langue enseignée en Communication -
2e cycle (4e, 5e et 6e année, enfants de 9 à 11 ans)
Utilisation de la LM comme langue enseignée et langue d’enseignement dans toutes les matières.
Utilisation de la L2 comme langue enseignée dans certaines matières -
3e cycle (7e, 8e et 9e année, enfants de 12 à 14 ans)
Utilisation du castillan et du guarani comme langues enseignées et langues d’enseignement dans toutes les matières.
42Nous nous arrêterons très brièvement sur l’Enseñanza media (EM) – Enseignement intermédiaire – cycle de trois années qui fait suite à l’EEB obligatoire, qui est censé préparer les jeunes soit à leur insertion sur le marché du travail soit à leur accès à l’université ou à une formation professionnelle. L’EM surtout implanté dans les villes, concerne environ 4 jeunes sur 10 actuellement car ce niveau éducatif n’a pas la capacité de scolariser tous les jeunes qui sortent de l’EEB ; de plus l’EM représente un coût élevé pour les familles, pour l’achat des livres en particulier, qui ne sont plus fournis par le MEC.
43L’enseignement du/en guarani, outre qu’il touche moins de la moitié des jeunes en âge d’être scolarisés à ce niveau, pâtit tout d’abord de l’autonomie laissée aux institutions éducatives de l’EM qui peuvent adapter les programmes officiels aux réalités locales et aux attentes des familles, surtout urbaines, lesquelles on s’en doute privilégient le castillan. L’absence de matériels pédagogiques (méthodes et autres outils) et leur coût sont également un frein important à l’utilisation du guarani comme langue d’enseignement.
44Corvalán résume ainsi les écueils et les limites actuelles de l’enseignement du/en guarani :
Il est urgent de résoudre des questions qui concernent les variantes, l’alphabet et surtout les besoins conceptuels pour accéder au monde de la science, de la technologie et de la modernité des milieux urbains où se développe pour l’instant l’Éducation Intermédiaire […] L’usage du guarani par rapport au niveau actuel de développement de son corpus linguistique est sans aucun doute le premier et grand obstacle que doit affronter le Réforme de l’Éducation Intermédiaire. (Corvalán, 2006 : 68)
46Le guarani est le grand absent à l’Université en tant que langue d’enseignement et objet de recherches, et ce malgré les besoins exprimés par les différents secteurs professionnels [22] et les lacunes récurrentes dans la formation des enseignants, acteurs de la réforme éducative.
2.4. Les limites de l’EEB
47Comme le souligne D. Demelenne (2006 : 4) « dans la pratique dans la quasi totalité des écoles du pays ce fut la modalité espagnol LM qui s’imposa comme système d’enseignement et cela pour plusieurs motifs : le manque de matériels didactiques en guarani, le manque de formation des enseignants (qui savent parler le guarani mais pas forcément l’écrire) et le rejet des parents (qui pensent que l’espagnol est plus important pour leurs enfants), etc.) »
– La formation des enseignants et les matériels didactiques
48La question de la formation des professeurs d’espagnol et/ou de guarani n’échappe pas à la problématique générale de la formation des enseignants depuis les débuts de la Réforme éducative et du financement de celle-ci. Le rapport 2004 du Consejo Nacional de Educación y Cultura (CONEC) souligne en particulier :
- l’hétérogénéité du recrutement : l’immense besoin en enseignants a élargi le recrutement à des personnes dont le niveau scolaire et socio-culturel peut être plus faible.
- le contrôle insuffisant de la qualité des centres de formation – on est passé de 14 centres de formation à 120 pour faire face à la nécessité de former rapidement un grand nombre d’enseignants
- l’insuffisance des salaires qui représentent 97 % du budget de l’Éducation. 14 000 enseignants enseignent ad honorem.
49De fait les maîtres chargés de mettre en œuvre le PEB n’ont pas eu le temps de recevoir de formation initiale en didactique de la deuxième langue (Pic-Gillard 2004 : 152). Ils n’ont pas reçu non plus de formation pédagogique à l’apprentissage oral d’une langue ;
50Pour Corvalán (2006 : 20) les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre du Plan ont davantage tenu aux lacunes méthodologiques qu’à la langue en elle-même (représentations et absence de norme). En ce qui concerne les matériels pédagogiques on constate en particulier l’absence de matériels authentiques en guarani
– Quel guarani enseigner ? Réalités et représentations du guarani enseigné/langue d’enseignement. Standard et normes
51L’absence d’instance qui normativise et normalise le guarani, langue enseignée et langue d’enseignement, plus de dix ans après la mise en œuvre de l’EEB n’est pas de nature, on s’en doute, à faciliter le travail des maîtres et des élèves. Cette situation a obligé le MEC à l’époque de la mise en œuvre du PEB, à élaborer des matériels pédagogiques en laissant au libre-arbitre des auteurs la création lexicologique en guarani, ce qui a engendré bien des incompréhensions et des rejets dans l’institution scolaire et en dehors durant les années quatre-vingt-dix. Depuis lors, reconnaissant les erreurs qui avaient été commises et soucieux d’expliquer, de guider et de rassurer les maîtres, le MEC a adopté une position pragmatique que l’on peut résumer ainsi :
- le guarani enseigné et langue d’enseignement est le guarani paraguayen [23] c’est-à-dire « la variété qui favorise de communication dans la vie scolaire et socioculturelle des enfants » (La Educación bilingüe en la reforma Educativa Paraguaya, 2003 : 40)
- « la langue guarani possède les ressources lexicologiques qui permettent la construction de concepts » (ibid.).
52Pour le 1er et le 2e cycle, MEC a opté désormais pour la création terminologique propre dans les matériels pédagogiques qu’il édite. Pour le troisième cycle il a été amené à revoir cette position face au rejet de cette terminologie tant au sein de l’institution scolaire que dans les familles et la société tout entière : il préconise la « fabrication autochtone » à visée fonctionnelle et l’emprunt au castillan quand la création n’est pas possible, et ce dans le respect de normes orthographiques rappelées dans ce document. « Ce qui peut sembler à certains un chaos ou une confusion n’est qu’une phase que nous devons inévitablement traverser avant d’arriver à la consolidation de la variété que nous considérons comme fonctionnelle et solide pour répondre à nos besoins en tant que locuteurs » (ibid.).
53En ce qui concerne la transcription des emprunts, le MEC souligne la nécessité du respect des normes orthographiques du guarani soit 35 signes dont trois - d- f-ll - sont empruntés à l’alphabet espagnol.
54À l’égard du jopara, dans l’acception de guarani paraguayen, avec des emprunts linguistiques au castillan, plus répandu dans la capitale qu’à la campagne, il ne semble pas que nous ayons à faire à une troisième langue mais plutôt au produit d’interférences linguistiques résultant des déficiences de la politique linguistique [24] mise en œuvre depuis 1992.
55Le Ministère de l’Éducation a publié des précisions terminologiques en la matière, prouvant par là même que la distinction n’est pas aisée ni les maîtres ni a fortiori l’ensemble des locuteurs :
« jopara » s’entend ici comme l’emprunt lexicologique non intégré à la structure phonologique et/ou morphosyntaxique du guarani, qui peut être utilisé de deux manières :
Outre le jopara lexicologique, on rencontre le jopara syntaxique ou discursif. Le jopara syntaxique renvoie au mélange des codes […] au sein d’un même énoncé. Le jopara discursif se réfère à l’utilisation alternée du castillan et du guarani dans l’énonciation d’un seul texte » [25]. Le MEC définit le jehe’a comme « l’emprunt lexicologique intégré à la structure phono-morphosyntaxique du guarani. En s’intégrant à cette structure, il fait alors partie du corpus lexical du guarani et respecte les normes orthographiques de cette langue.
- pour remplacer dans un texte, un terme existant et fonctionnel en guarani
- pour désigner un référent culturel nouveau
2.5. Le programme de renforcement de l’éducation bilingue Escuela Viva Hekokatuva comme réponse sociolinguistique et didactique
57Escuela Viva Hekokatuva [26] est un programme d’appui à la Réforme Éducative qui bénéficie de financements propres multilatéraux (BID, Banque interaméricaine de développement) Ce programme concerne exclusivement l’EEB.
58Ce programme a été lancé suite à une évaluation du MEC réalisée en 2000, qui faisait apparaître que 75 % des écoles se trouvaient en contexte linguistique LM guarani : au 3e cycle de l’école obligatoire, le bilinguisme n’était pas atteint malgré les deux modalités d’éducation mises en œuvre : la guaranophone et l’hispanophone. Le guarani scolaire était mal accepté. Il n’y avait pas d’analyse de la réalité linguistique ni de tests de compétence linguistique préalables à la scolarisation. Cette évaluation mettait également en exergue l’exclusion du champ de la Réforme éducative des écoles indigènes. Dix ans après la mise en œuvre de l’EEB, il s’agissait d’adapter l’éducation bilingue à la réalité sociolinguistique.
59Le plan de renforcement de l’éducation bilingue Escuela Viva Hekokatuva comprend quatre axes : la recherche en éducation, la formation des enseignants et l’actualisation des connaissances, l’information et la communication avec la société et l’élaboration de textes et matériels éducatifs.
- L’axe recherche a donné lieu en particulier à l’élaboration et la distribution de tests pilote d’évaluation des compétences linguistiques des enfants lors de l’entrée à l’école primaire, à l’Atlas sociolinguistique guarani – roman, première étude de terrain diatopique, diagénérationnelle et diastratique d’envergure au Paraguay tant sur les perceptions que sur les attitudes des locuteurs
- L’axe formation a permis la conception de contenus de formation adaptés aux besoins des maîtres, et la mise en place par démultiplication des savoirs et savoir faire d’un réseau de formateurs bilingues et d’écoles bilingues pilotes. En 2006 une nouvelle expérience pilote est en cours : elle concerne 80 personnes (directeurs, responsables pédagogiques et formateurs de formateurs). Leur formation allie théorie et pratique. Ces 80 futurs formateurs sont incités à mettre en œuvre une pédagogie différenciée dans leurs groupes classes et à élaborer eux-mêmes des matériels pédagogiques. L’évaluation de cette expérience est prévue pour fin 2006.
- L’axe information et communication sociale visent une meilleure acceptation de l’EEB chez les parents et dans la société, en particulier en ce qui concerne l’acceptation du guarani comme langue écrite et d’enseignement.
- Enfin l’axe élaboration de matériels concerne la production de guides didactiques pour les maîtres en exercice mais surtout de nouveaux matériels pédagogiques en guarani dans quatre matières : communication, mathématiques, environnement et santé et vie sociale et travail
61Escuela Viva Hekokatuva touche actuellement 1000 écoles rurales, 150 urbaines, 30 écoles indigènes et 40 instituts de formation. L’organisme publie une revue éducative et pédagogique Desde el aula (« En direct de la classe ») tirée à près de 50 000 exemplaires, distribués à toutes les écoles. Fin 2006, elle sera à double entrée et proposera des contenus pédagogiques en espagnol et en guarani.
2.6. Les autres langues indigènes
62L’école publique paraguayenne scolarise dans l’une des langues officielles de la République : rien n’est prévu dans la Constitution ni dans la réforme éducative sur l’enseignement des/en d’autres langues des communautés du Paraguay qui sont au nombre de 400, pour 17 à 19 ethnies, soit actuellement une douzaine de langues encore transmises [27]. Dans le rapport qui lui a été demandé par le Conseil National d’Éducation et de Culture (CONEC), Zanardini note d’ailleurs que rien n’est dit sur le droit à l’organisation éducative. L’article 63 de la Constitution stipule en effet seulement que « les peuples indigènes ont le droit d’appliquer librement leurs systèmes d’organisation politique, sociale, économique, culturelle et religieuse ».
63Zanardini rappelle que depuis la colonisation jusque dans les années 80, c’était l’idéologie éducative publique ou privée qui présidait à la création d’écoles indigènes et aux choix éducatifs qui y étaient faits. Avant 1981 en effet, avec l’approbation de la Loi sur le statut des Communautés indigènes, l’initiative était laissée aux communautés religieuses et aux ONG.
64Zanardini [28] souligne la volonté et les réels efforts du MEC depuis le retour à la démocratie de traiter la question de l’éducation indigène, tant en termes pédagogiques que financiers et organisationnels. Du côté des communautés, il remarque que le niveau de conscience est élevé quant à l’importance de la scolarisation pour les enfants ainsi que de l’alphabétisation et de la formation pour les adultes.
65Dans le cadre du 1er Congrès d’Éducation indigène en 2001, le MEC et les maîtres indigènes avaient défini ensemble des lignes d’action significatives qui sont mises en œuvre jusqu’à aujourd’hui par le département Écoles indigènes du programme Escuela Viva Hekokatuva, en particulier :
- le dialogue permanent entre les maîtres indigènes des communautés et le MEC
- l’inventaire et la valorisation des expériences et des matériels didactiques existants en matière d’éducation en langue maternelle
- la formation des enseignants.
66Avec des moyens et une portée encore très limités, on constate cependant que l’éducation indigène n’est pas négligée par les autorités éducatives. Les responsables du MEC, anthropologues et linguistes de formation qui sont en charge du programme, travaillent avec les responsables des communautés et les maîtres indigènes pour élaborer des matériels didactiques, les tester et mettre en place des formules éducatives qui répondent à la fois aux attentes des communautés et à celles de l’institution.
CONCLUSION
67L’éducation bilingue au Paraguay apparaît comme un formidable laboratoire/champ d’expérimentation où l’on assiste à un va-et-vient constant entre les propositions, les pratiques et les réajustements. Comme le souligne C. Pic-Gillard « l’éducation bilingue a instauré un climat intéressant entre les maîtres, les obligeant à une réflexion sur leur enseignement, une réactualisation de leur pédagogie […] et un changement dans leurs attitudes linguistiques […] Elle permet au guarani de sortir de l’oralité et contribue à son actualisation lexicale » (Pic-Gillard 2004 : 151). Elle devrait lui permettre de sortir d’un bilinguisme diglossique qui a jusqu’à présent maintenu le guarani dans un état de minorisation. Mais il manque aux actions mises officiellement en œuvre l’apport décisif d’une loi de politique linguistique de normalisation digne de ce nom qui seule peut permettre, à partir d’un dispositif central s’appuyant sur les dispositifs locaux et leurs acquis, de rendre la co-officialité entre le guarani et l’espagnol effective. Car scolarisation ne signifie pas normalisation. L’école à elle seule ne peut (et encore !) changer les représentations que chez son public et partiellement auprès de la communauté dans laquelle elle s’insère.
68Le projet de Loi sur les langues a déjà reçu l’aval du Parlement fin 2006 : la création d’une instance indépendante de normativisation et d’une structure centrale de gestion glottopolitique, la présence du guarani dans les media et les institutions sont les mesures indispensables si on veut aller plus loin dans le changement des attitudes vis-à-vis du guarani paraguayen.
69Si une politique linguistique volontariste ne donne pas au guarani (à partir d’une normativisation incontestable) les moyens institutionnels d’être une langue de plein exercice dans tous les compartiments de la communication sociale, la co-officialité linguistique constitutionnelle restera au Paraguay un vœu pieu.
70Par ailleurs ce qui se fait au niveau expérimental dans les écoles indigènes est une ouverture au dialogue interculturel, une transition vers un plurilinguisme social assumé et démontre que « l’exercice de […] la tolérance envers l’hétérogénéité des groupes culturels et linguistiques qui constituent la société paraguayennne », (Rodríguez-Alcalá 2002 : 87) au premier chef son héritage amérindien, n’est pas incompatible avec le fait d’associer la nation au guarani. L’articulation entre éducation bilingue et enseignement bilingue guarani~espagnol au sein de Escuela Viva Hekokatuva est sûrement un signe sociolinguistique fort. Cependant il faut sûrement une Loi sur l’éducation indigène, réclamée, de façon à prendre en compte les revendications et les expériences positives. Il faut aussi davantage de moyens humains et financiers.
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- ZUCOLILLO, G. 2000. Lengua y nación : el rol de la élites morales en la oficialización del guaraní en 1992, Mémoire d’anthropologie, Université de Buenos Aires.
Notes
-
[1]
Dans le cas du guaraní, nous avons affaire à une langue à prédominance orale qui accéda à l’écriture d’abord aux XVIIe et XVIIIe siècles avec les Franciscains, puis les Jésuites jusqu’à leur expulsion. Des religieux des deux ordres produisirent, dans le domaine linguistique, des grammaires et des dictionnaires, et dans le domaine religieux – des traductions en guarani de manuels de catéchèse, sermons et prières. Ensuite au XIXe le guarani fut langue de création littéraire, de discours politique et de quelques journaux, surtout en période de guerre. Enfin au XXe, il y a eu normativisation de l’orthographe et accès marginal à l’écriture, essentiellement dans le domaine de la création littéraire.
-
[2]
Montoya, 1639 cité par Bartomeu Meliá (1992 : 36).
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[3]
Dans ce recensement publié par la Direction générale des statistiques, enquêtes et recensements en 2003, il s’agit de statistiques portant sur l’usage à la maison de l’une et/ou l’autre langue (guarani et espagnol). Le terme monolinguisme y désigne l’usage domestique d’une seule langue. Comme la Constitution Nationale, qui stipule que le Paraguay est un pays bilingue, G. Corvalán affirme ce bilinguisme national, en additionnant les pourcentages de monolingues – implicitement bilingues même s’ils ne pratiquent qu’une langue à la maison – et de bilingues déclarés – ie qui pratiquent les deux langues à la maison – pour obtenir ces chiffres. Cependant jusqu’à aujourd’hui il n’y a pas eu d’enquête sur les compétences linguistiques des Paraguayens dans les deux langues. On peut cependant admettre que les monolingues ont une compétence au moins passive dans l’autre langue. Cela est encore plus vrai pour le guaranophone, largement exposé à l’espagnol (radio, télévision, communication publique, école) que pour l’hispanophone, davantage urbain, pour lequel l’exposition au guarani est surtout orale, privée et grégaire. Tous les spécialistes s’accordent donc à dire que l’immense majorité des Paraguayens est bilingue même si leur compétence est très variable.
-
[4]
Meliá, 2004 : 360.
-
[5]
Carrera, Carlos (2004) « Diversidad cultural y desarrollo humano : una caracterización de los diversos grupos lingüístico-culturales del Paraguay ». Asunción, PNUD, 2004.
-
[6]
Un sociolinguiste ne saurait affirmer sérieusement que « le guarani constitue une langue dominante » (Rodriguez-Alcalá 2002 : 58), à moins de confondre, ce qui semble être souvent le cas, deux critères : l’un démolinguistique, l’autre sociolinguistique. Le guarani est certes la langue majoritairement parlée au Paraguay, mais aussi bien du point de vue des représentations que du point de vue des domaines d’usage, c’est l’espagnol qui, jusqu’à ce jour est la langue dominante. C’est une situation originale dont peut rendre compte la formulation paradoxale citée de B. Melià. Le guarani est majoritaire mais il reste minoré.
-
[7]
Cependant l’auteur de l’enquête reconnaît que, pas plus que d’autres enquêtes, celle-ci, bien que réalisée à partir d’une population de 650 individus, « ne répond pas au critère d’un échantillon aléatoire et indépendant » (Gynan 2003 : 62).
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[8]
La référence à cette pratique au Paraguay est rapportée par un écrivain du XIXe, Centurion : son témoignage se situe sous le gouvernement de Carlos Antonio Lopez 1842-1861, dont le slogan Progrès, Civilisation, Liberté résume l’idéal modernisateur et qui instaurera le caractère obligatoire de l’école primaire. « Il était défendu de parler guarani pendant les heures de classe, et afin de rendre effective cette interdiction, on avait distribué aux surveillants des petits anneaux en bronze, qu’ils remettaient au premier élève qu’ils surprenaient en train de parler guarani. [… le samedi…] on demandait la restitution des anneaux et ceux qui en détenaient recevaient en punition de leur délit, quatre à cinq coups de fouet » [Centurión, 1894, (cité par Melia, 1992 : 166) (nous traduisons)].
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[9]
À différencier, semble-t-il, du jehe’a, mélange des deux langues, comme dans le mot « escuelape » « à l’école », formé de l’espagnol « escuela » et de « pe » signifiant « à » en guarani.
-
[10]
On dénombre 5 familles linguistiques (Tupi Guarani, Maskoy, Mataco-Mataguayo, Zamuco, Toba Guaicuru) et un total de dix-sept à dix-neuf langues, selon les linguistes, parlées par un total estimé à 50 000 locuteurs. Cinq langues comptent moins de 1000 locuteurs. (Zanardini 2004 : 18-21 et 50) en cite cinq en péril d’extinction. La langue guana (groupe Maskoy) parlée à l’époque du recensement par moins de 100 locuteurs peut être considérée comme « disparue » puisque son dernier locuteur est décédé en 2006 (Demelenne, entretien 2006). (Recensement cité par Gynan, 127 et Basabé Palma, 34).
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[11]
Villagra Batoux (2002 : 367) rappelle que c’est au cours de la deuxième réunion spéciale du Mercosur Culturel, qui eut lieu à Asunción en juin 1995, que fut adopté officiellement le guarani comme l’une des langues historiques du Mercosur. Les Ministres se prononcèrent également en faveur de sa revalorisation et de sa promotion. La revendication d’officialité du Paraguay, récemment adoptée par les Ministres de la Culture du Mercosur pourrait bien être adoptée en janvier 2006, obligeant ainsi les états membres à traduire en guarani l’ensemble des textes officiels et discours. Si la portée symbolique de cette décision est indéniable, on peut cependant douter de sa réelle application à court terme, étant donné que l’intégration éducative, juridique et économique marque le pas et que le Mercosur est l’objet de nombreuses remises en cause de la part de ses propres membres.
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[12]
La dépense publique en éducation est passée de 2 à 4 pour cent, la scolarisation au niveau initial de moins de 5 pour cent en 1989 à 60 pour cent, la scolarisation au niveau lycée atteint pour cent (CONEC, 2004 : 34-35).
-
[13]
La dépense publique en éducation est passée de 2 à 4 pour cent, la scolarisation au niveau initial de moins de 5 % en 1989 à 60 %, la scolarisation au niveau lycée atteint 40 % (CONEC, 2004 : 34-35).
-
[14]
À partir de la première année de l’école primaire.
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[15]
À cet égard il est très intéressant de noter qu’au cours d’une allocution prononcée le 25 novembre 2006, à l’occasion de l’inauguration d’un centre modèle d’élevage porcin, le Président du Paraguay, Nicanor Duarte Frutos (Parti Colorado) dans un discours alternant l’espagnol et le guarani, se moquait d’un sénateur libéral – Mateo Balmelli – pour sa piètre connaissance du guarani « Il ne parle même pas guarani et il veut être président (de la République) ».
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[16]
Zucolillo citant des entretiens avec l’historienne Milda Rivarola.
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[17]
L’Educación Escolar Básica, l’éducation scolaire de base obligatoire, est l’équivalent du primaire et du collège en France, elle dure neuf années.
-
[18]
Ministerio de Educación, 1991.
-
[19]
La Educación bilingüe en la reforma Educativa Paraguaya, 2003.
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[20]
C’est la proportion retenue par les autorités éducatives.
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[21]
Une enquête publiée par le MEC sur les besoins et attentes des secteurs professionnels et sociaux en ce qui concerne le guarani (MEC, Consultas a sectores sociales y profesionales acerca de sus necesidades y expectativas hacia el guaraní, 2001 : 53) cite par ordre de priorité : 1. les professionnels de la santé, du droit, les agronomes vétérinaires, acteurs politiques et religieux 2. ceux des sciences sociales : sociologues, travailleurs sociaux, enseignants, artistes, policiers… 3. ingénieurs, architectes, milieux d’affaires, pour lesquels le guarani a une importance relative.
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[22]
Par opposition non seulement au guarani parlé dans d’autres pays, mais également au guarani ethnique et ses dialectes.
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[23]
Villagra Batoux : 2002,368.
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[24]
Ministerio de Educación, La educación bilingüe en la Reforma Educativa del Paraguay : 48.
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[25]
Dénomination bilingue espagnol/guarani : École Vivante/pour une vie meilleure.
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[26]
Zanardini : 2004,37.
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[27]
Ibid. : 31.
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[28]
Projet émanant de la Commission Nationale de Bilinguisme, qui a donné lieu à une vaste concertation dans l’ensemble du pays.