Notes
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[1]
Les analyse et données présentées dans cet article reprennent les éléments de notre ouvrage, La presse des jeunes, Repères La Découverte, Paris, 2002.
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[2]
Seul le Japon, avec les mangas, connaît un secteur d’édition de presse abondant et prospère de publications pour la jeunesse, dont les caractéristiques sont aussi très différentes.
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[3]
Histoire de la presse des jeunes et des journaux d’enfants (1768-1988), Éditions Eoles, Paris, 1987.
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[4]
Le premier titre spécialisé s’adressant aux femmes, L’Almanach ou recueil des jolies coiffures à la mode de Paris, paraît dix ans plus tard en 1778, suivi du Cabinet des modes en 1885.
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[5]
Exploités par Opéra Mundi, la maison d’édition de Paul Winkler, qui sera cédée par la lui au groupe Hachette.
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[6]
Cf. François de Coustin, « Grandeur et décadence de la presse de bande dessinée : le cas Tintin et Pilote », Médiaspouvoirs, n° 25, Paris, janvier 1992.
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[7]
Service rattaché au Premier Ministre, chargé notamment de l'établissement des statistiques de la presse française.
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[8]
Pour une publication qui propose une histoire, écrite par un auteur, dans chacun de ses numéros.
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[9]
Qui est désormais la seule forme de presse des jeunes à proposer des publications quotidiennes, avec Quoti, Le Petit Quotidien, Mon Quotidien et L’Actu, édités par le très jeune groupe Play Bac.
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[10]
Sciences & Vie réalise une audience de 1 095 000 lecteurs chez les 9-18 ans, Première de 558 000, et Play Station Magazine de 936 000.
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[11]
Développement culturel n° 131, décembre 1999.
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[12]
Ces chiffres concernent toutes les formes de presse écrite, hormis les hebdomadaires de télévision, qui ont tendance doper artificiellement les statistiques de lecture.
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[13]
Le Journal des Enfants notamment a été largement plébiscité par les instituteurs, qui abonnèrent nombre de leurs classes, au travers des budgets de coopérative. Un phénomène comparable semble se reproduire en faveur de Mon Quotidien et du Petit Quotidien, dont on pourra également souligner qu’ils bénéficient chaque soir de la relecture critique d’un professeur des écoles, avant de donner le bon à tirer.
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[14]
Initialement lancé par le magazine Pif, du groupe Vaillant, dans les années 70.
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[15]
Sans parler du problème de systèmes postaux aux performances et aux tarifs parfois peu compatibles également.
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[16]
Bayard presse, Fleurus et Edifa sont de sensibilité catholique, Milan est né dans un contexte de militantisme laïque, fortement appuyé par un noyau d’universitaires toulousains, Mango presse a absorbé récemment les PEMF, issues du mouvement Freinet, sans parler du rôle original joué par la presse de mouvement.
1Chaque Français lorsqu’il se remémore ses premières émotions de lecteur ne peut s’empêcher d’évoquer quelques héros, quelques aventures, les planches de bandes dessinées, de quelques-uns des titres de la presse jeune qui ont accompagné son enfance et bien souvent son adolescence. Devenu adulte et parent, il n’a pu que constater, que transformée, cette presse est toujours là, avec des titres nouveaux, démultipliés aussi, au point de susciter quelque perplexité, au moment du choix, face à des rayonnages qui peuvent proposer plus d’une centaine de publications différentes. La chose peut paraître banale et naturelle, elle est pourtant la manifestation d’une « exception française », car si la littérature jeunesse fleurit un peu partout à travers le monde, en revanche la France est pratiquement le seul pays [2] à disposer d’un secteur de presse spécifiquement destiné aux jeunes.
2Exception ou singularité française, la presse des jeunes est aussi le produit d’une longue histoire, puisqu’il s’agit de l’une des premières formes de spécialisation de la presse, à la veille de la Révolution, dix ans avant même que soit proposé le premier titre s’adressant spécifiquement au public féminin. Sur un peu plus de deux siècles, l’histoire de la presse des jeunes accompagne les grandes ruptures sociales, culturelles, politiques ou économiques, à commencer par le grand mouvement qui conduira à la scolarisation de tous les enfants. Elle est en prise avec le mouvement des idées. Les grands débats y trouvent leur place. Elle participe de l’évolution des formes d’expression, avec par exemple la montée du visuel. Elle saura accueillir les grands noms de la littérature, certains d’entre eux, à commencer par Jules Verne, y feront leurs premières armes. Bien que parfois un peu dédaignée par l’école et ses maîtres, elle est aujourd’hui beaucoup plus présente au moins dans le primaire. Certains titres, tels le Journal des Enfants, n’auraient sans doute pas connu un succès équivalent, sans l’accueil qu’ont su lui réserver bien des instituteurs, avec de multiples abonnements par les classes elles-mêmes. Il n’en reste pas moins que la presse jeune, en tant qu’écrit, est loin de bénéficier de la légitimité du livre.
3La presse des jeunes offre pourtant une incomparable diversité et variété, une exceptionnelle invitation à l’ouverture sur les autres et sur le monde. Elle bénéficie des conseils et des apports constants des spécialistes de l’enfance, de la famille, des apprentissages (psychologues, sociologues, pédopsychiatres, pédagogues, éducateurs, etc.). Chacun doit être conscient que si la presse des jeunes est aujourd’hui largement diffusée et concerne pratiquement tous les enfants dans les premières années de leur scolarité, elle n’en connaît pas moins une redoutable concurrence et des fragilités qui tiennent à une économie très particulière sur lesquelles il faut aussi prêter attention. C’est pourquoi l’analyse proposée ici reviendra sur l’histoire, décrira ses formes contemporaines, situera sa place dans la pratique de son public, tout en attirant l’attention sur les conditions qui dessineront ses formes et sa place dans l’avenir. La question est d’autant plus importante que le débat contemporain accorde beaucoup plus de place au rôle de la télévision ou à l’attrait que peuvent exercer des moyens qui bénéficient de la séduction de la modernité, sinon des modes, tels que le multimédia ou l’Internet.
1. DEUX SIÈCLES D’UNE HISTOIRE MOUVEMENTÉE
4En un peu plus de deux siècles la presse des jeunes a connu des périodes et des formes d’organisation extrêmement différentes. Chacune de celles-ci ont constitué un apport, un enrichissement, dont les fruits sont encore présents dans les publications contemporaines. Sans pouvoir les évoquer tous, ici, il est intéressant de s’arrêter sur quelques-uns des moments et des mouvements les plus significatifs. Le lecteur particulièrement intéressé par cette histoire riche et passionnante pourra se reporter à l’ouvrage de Alain Fourment, qui fait référence dans ce domaine [3].
1.1. Une des plus anciennes formes de spécialisation de la presse
5La première publication de presse, s’adressant aux jeunes, paraît en 1768 [4], soit près d’un siècle et demi après le lancement de La Gazette de Renaudot, le premier périodique français (1631). Le Journal d’éducation se présente sous la forme d’un petit opuscule de 32 pages de format 17,7 x 10. C’est-à-dire qu’il a plutôt l’apparence d’un simple cahier de livre, qui aurait été détaché. Il bénéficie déjà d’illustrations qui ne sont pas sans rappeler celles de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. La Révolution Française donne naissance à une impulsion de ce type de publication et l’on assiste en quelques années à une floraison de nouveaux titres. Le premier périodique à s’adresser aux filles, paraît dès 1790, sous le titre, Les Annales de l’éducation du sexe ou Journal des demoiselles.
1.2. La préoccupation éducative
6Le choix du titre, Journal d’Éducation, est sans ambiguïté, dès son origine, la presse des jeunes entend participer à l’enseignement des connaissances. Elle est très directement influencée par l’esprit des lumières et la manière de traiter des connaissances de l’Encyclopédie. La spécificité de cette presse des jeunes est de s’appuyer, dès le départ sur « l’amusement » et l’illustration pour faire progresser l’enfant en connaissance, mais aussi en sens moral et en vertu. L’accent mis sur le dessin est revendiqué comme une volonté de « parler aux yeux » qui serait « le plus sûr moyen de captiver l’attention de l’enfance et de lui déguiser l’instruction sous la forme d’un simple amusement ».
7Logiquement le rythme de création de titres va s’accélérer avec le mouvement qui conduira à la généralisation de l’enseignement et de la lecture. Pas moins de 55 titres sont créés entre 1832 et 1856. Certains tels Le Journal des enfants ou Le Journal des demoiselles auront une existence prolongée (soit un siècle). L’illustration s’enrichit et se colore. Les premières histoires racontées avec plusieurs images par page, font leur apparition. Gavarny en est le précurseur, alors que Christophe invente pour Le Petit Français Illustré, la première bande dessinée, avec la Famille Fenouillard, puis Le Sapeur Camembert…
1.3. L’ouverture aux grands courants de la connaissance et de la création
8La presse des jeunes accueille, au fil des décennies tous les grands domaines de la connaissance, qu’il s’agisse de la botanique, des sciences naturelles, de l’histoire, de la géographie, de l’économie, etc. Les grands faits politiques y sont aussi abordés, tout comme les questions liées aux religions, à la vie citoyenne. Logiquement la presse des jeunes va accueillir aussi les grands noms de la littérature de Lamartine à Musset, en passant par Chateaubriand ou Alexandre Dumas. Ceux-ci en retour lui apporteront souvent un soutien marqué, à la manière de Balzac qui soutiendra avec force Le Journal des enfants auquel collabore sa propre sœur, sous le nom de plume de Lélio.
9Le poids de la fiction fait naître des auteurs qui écrivent spécifiquement au départ pour cette forme de presse. Ce sera d’abord le cas de la Comtesse de Ségur, qui publie « Les Malheurs de Sophie », puis « Le Bon petit diable » dans La semaine des enfants, avant que ceux-ci paraissent dans la « Bibliothèque rose ». De son côté Jules Verne, traitera d’abord de sciences et de découvertes dans Le Magasin d’éducation de Hetzel et Jean Macé, avant que ceux-ci lui commandent, chaque année, deux nouveaux romans d’aventure. Il collaborera vingt-trois ans à ce même titre, chacun de ses romans paraissant d’abord dans Le Magasin d’Éducation avant d’être publié en livre. Logiquement ce sont alors les grandes maisons d’édition de livres qui publient également des titres de presse, destinés aux jeunes. L’influence de ces éditeurs se marquera par des exigences particulières, qu’il s’agisse de la qualité des histoires, de l’écriture, de l’illustration, comme de la mise en page et de l’impression. Elles mettent en place des comités de lecture attentifs. Elles peuvent aussi déployer des moyens commerciaux et matériels importants, comme Armand Colin qui tirera à 900 000 exemplaires le premier numéro du Petit Français Illustré.
1.4. Affrontement idéologique
10Très tôt les grandes familles de pensée vont s’employer à créer leurs titres jeunes, convaincues de l’importance d’apporter très tôt leur message aux jeunes lecteurs : La maison d’édition catholique Mame crée d’abord Noël, auxquels succéderont L’Écho de Noël, puis Bernadette, Cœur Vaillant. Les protestants s’appuieront davantage sur les mouvements de jeunesse (Éclaireurs unionistes). Les mouvements laïques tels la Ligue de l’Enseignement, créée par Jean Macé, ne resteront pas non plus inactifs. Cette émulation dans le débat va virer à l’affrontement à l’aube du XX e siècle, puis pratiquement jusqu’aux lendemains de la seconde guerre mondiales. Les mouvements de jeunesse, scouts, éclaireurs, guides, pionniers, etc. créent et animent leurs propres titres. Enfin les partis politiques eux-mêmes se lancent dans la bataille avec Petits Bonhommes pour les socialistes et Mon Camarade pour le Parti Communiste, qui fondera plus tard les Éditions Vaillant, qui publieront durant l’occupation Jeune Patriote, rebaptisé Vaillant, avant de se muer enfin en Pif.
1.5. Les « illustrés » et le défi du « populaire »
11L’entrée dans le XX e siècle va se marquer progressivement par le retrait des maisons d’éditions de livres de la presse jeunesse, alors que se constituent progressivement des entreprises d’édition de presse pour les jeunes. Le phénomène va être particulièrement évident avec l’apparition d’une nouvelle forme de publications aux ambitions purement distractives et très populaires, les « illustrés ». C’est, en effet, une toute autre démarche qui va animer des éditeurs tels que Offenstadt qui lance Le Petit Illustré en 1904, puis L’Épatant, avec les fameux « Pieds Nickelés », en 1908. Ceux-ci entendent alors s’appuyer sur le succès acquis par la bande dessinée (notamment nord américaine, les comics) pour multiplier des titres purement distractifs, basés sur les aventures dont les héros n’ont plus aucune préoccupation éducative ou morale, tels les Pieds Nickelés ou autres Superman, Batman, etc. La conquête de publics populaires, passe comme pour les quotidiens (trente ans plus tôt), par des prix et donc des coûts très bas, quitte à publier sur un papier médiocre des histoires déjà amorties sur d’autres marchés (nord américains, italiens, etc.). L’illustration et l’impression sont de faible qualité, le caractère totalement endiablés et insolites des aventures publiées devant compenser ce handicap pour des lecteurs à la recherche d’un simple divertissement.
12Paul Winkler, appuyé par la Librairie Hachette, de son côté, importe les héros de Disney. Il lance, en 1934, le Journal de Mickey, dont la diffusion atteindra rapidement les 500 000 exemplaires. L’après-guerre verra refleurir les illustrés, avec notamment, toute une veine, dite, belge, ou franco-belge, avec Spirou (1946), Tintin (1948) puis Pilote (1059); avec également, toujours les titres sous licence Disney [5] (Donald en 1947, qui reprendra le titre de Journal de Mickey, en 1953, puis à partir de 1972, Picsou Magazine, etc.), sans oublier le phénomène Pif, issu de Vaillant, et son gadget (460 000 ex. en 1979). Toutefois les années soixante voient s’amorcer le déclin de ces titres, dont la diffusion ne cesse de s’éroder conduisant la plupart à la disparition ou à la marginalisation [6].
1.6. Protection des mineurs et protection face à « l’invasion étrangère »
13L’amoralité de nombre des héros d’illustrés va conduire, dès les années trente, à un vif débat relatif à un texte législatif ayant vocation à protéger la jeunesse. Le débat va rebondir au lendemain de la guerre, avec des motivations qui mêlent la protection de l’enfance, mais aussi une volonté de défendre la création française face à l’invasion des comics américains. Dans ce débat, le groupe communiste à l’Assemblée joue un rôle moteur. Il va finalement déboucher sur l’adoption de la loi du 16 juillet 1949, qui installe une « Commission chargée de la surveillance et du contrôle des publications destinées à l’enfance et à l’adolescence ». De lourdes sanctions sont prévues, qui peuvent conduire jusqu’à l’interdiction provisoire ou définitive des titres contrevenants.
1.7. Illustrés – presse éducative – magazines ados
14Les années soixante vont donner naissance à deux nouvelles formes de presse pour les jeunes. La première dite « éducative » prend naissance dans le courant laïque (les Francas), avec Jeunes Années, et catholique (Fleurus) avec Perlin et Pinpin. L’objectif est ici l’épanouissement de l’individu, dans sa relation à son environnement familial, scolaire, de voisinage. L’accent est mis sur l’activité, la relation, une écriture des textes et du visuel très travaillée. Il est désormais question de s’adresser à un jeune d’une tranche d’âge précise. Les premiers chaînages voient le jour à la fin des années soixante chez Bayard, avec la création de Pomme d’Api, suivi d’Okapi, Astrapi, etc. Fleurus, puis Milan, voire certains titres de Disney Hachette Presse se situent dans cette catégorie.
15La seconde est impulsée par le phénomène des « copains », l’adhésion à une mode musicale, un style de vie, d’abord symbolisé par l’émission Salut les Copains, sur Europe 1, que ses animateurs Daniel Filipacchi et Frank Ténot, vont transformer en magazine à succès : SLC (1962). Ils seront imités et rejoints par d’autres titres de même conception, Mademoiselle Âge Tendre, Hit, Podium (lancé lui par le chanteur Claude François), dont des titres plus récents Star Club et Miss sont les continuateurs de cette veine de presse dite « Ados ». Les illustrés, transformés, agrémentés de rubriques, enrichis en contenus, parfois en partie empruntés à la presse éducative, vont perpétuer une famille plutôt déclinante, dite « distractive », emmenée principalement par Disney Hachette Presse.
2. LA PRESSE DES JEUNES, AUJOURD’HUI
16Les statistiques de la Direction du Développement des Médias [7] recensent quelque 105 titres différents, relevant de la presse des jeunes. Ceux-ci diffusent quelque 108 millions d’exemplaires par an. Ils génèrent 228 millions d’Euros de chiffre d’affaires, soit un peu plus de 2 % du chiffre d’affaire global de la presse française. Une grosse dizaine d’éditeurs publient des titres de presse pour les jeunes, parmi lesquels se retrouvent des groupes comme Disney Hachette Presse, Bayard ou Milan. Aux côtés de ceux-ci, et c’est une originalité de cette forme de presse, figurent également cinq mouvements de scoutisme ou de solidarité. La presse des jeunes s’adresse aujourd’hui à un public évalué à quelques de 13,5 millions lecteurs potentiels.
2.1. Les trois grands segments.
17La presse des jeunes se présente aujourd’hui, toujours organisée, en trois grands genres, apparus dans les années soixante : presse éducative, presse distractive, presse « ados ». Chacun de ceux-ci comporte des caractéristiques qui lui sont particulières, alors même que son évolution, notamment en terme d’économie et de diffusion se trouve marquée par des mouvements très différents.
18La presse éducative se définit par une démarche éditoriale qui entend jouer un rôle actif dans l’évolution psychologique et intellectuelle du jeune lecteur. Elle prétend contribuer à l’éveil de celui-ci, lui faire découvrir les autres et son environnement. Une place particulière est donnée à la question de la maîtrise de la lecture, ainsi que du développement du goût de celle-ci. L’éventail des thèmes de contenu et des genres pratiqués est très large. L’écriture et l’illustration font l’objet d’une très grande attention. Les pédagogues, les psychologues, les spécialistes de l’enfant apportent depuis l’origine leur contribution à cette forme de presse jeune. Ils ont joué un rôle sub-stantiel dans chacune de ses évolutions. Bayard presse, Milan presse et Fleurus, sont les trois éditeurs qui dominent la presse éducative. Parmi les principaux titres il est possible de citer des titres aussi différents que J’aime lire, Pomme d’api, Toboggan, Sciences & vie junior, P’tites sorcière ou Julie, etc.
19L’approche de la presse distractive est, elle, l’héritière des illustrés. Il s’agit, par des histoires, traitées principalement sous forme de bandes dessinées, ainsi que des jeux, des concours, etc. d’apporter un moment d’évasion, d’amusement, de plaisir, de distraction. Certains éditeurs, tel Semic Tournon, n’entendent et ne prétendent absolument pas, élargir cette vocation. En revanche, Disney Hachette Presse, leader de ce segment, n’a eu de cesse de compléter, ces dernières années, les contenus de ses titres par des rubriques, des formes de récits, des modes de dialogues, souvent empruntés à la presse éducative. Les derniers gros tirages se situent dans cette catégorie, avec : Le Journal de Mickey, Picsou Magazine, etc. avec aussi des titres éphémères issus des comics comme Ninja, Pockémon, Batman, Superman. La presse ados, s’appuie sur les modes musicales et les chanteurs, les plus emblématiques pour les adolescents (en fait, de plus en plus, préadolescents), à un moment donné. Il s’agit d’accompagner les modes de socialisation, chez des lecteurs qui vivent une profonde mutation psychologique, physique, intellectuelle, etc. en s’appuyant sur des communautés de goûts, d’aspiration et de comportement. Au-delà des reportages, histoires, photos, posters, mettant en valeur les « vedettes » du moment, une place importante est consacrée à un dialogue avec les adolescents, leurs interrogations, leurs questions, leurs problèmes (affectifs, relationnels, physiques, médicaux, etc.). Des espaces d’expression leurs sont offerts, des réponses leurs sont proposées. Le genre est surtout représenté aujourd’hui par le groupe Edi-Presse qui publie Salut, Star Club, Miss.
20Dans les dernières années chacune des formes de presse jeune a été conduite à emprunter aux formes voisines. Disney Hachette Presse a créé des titres à partir de personnages de la presse distractive, tout en enrichissant leur contenus de thématiques éducatives, par exemple Minnie. Un titre comme Okapi qui s’adresse aux préadolescents, accorde une place importante aux courants musicaux et à leurs vedettes, avec des formes de traitement qui peuvent rappeler parfois la presse ados. Cette dernière peut aborder les problèmes relationnels, psychologiques exprimés par ses lecteurs, avec des espaces d’expression et des formes de réponses s’apparentant à la presse éducative. Les influences et les emprunts réciproques sont évidents, ils soulignent l’atout que représente pour chaque éditeur, le fait d’intervenir à l’intérieur d’un secteur (un marché) de presse des jeunes, aussi important, diversifié et évolutif.
2.2. Thématiques et chaînages
21La presse distractive se veut généraliste et ne s’est que tardivement adaptée à une démarche visant à s’adresser à des tranches d’âge différentes. La presse ados « cible » implicitement un âge particulier, englobant en fait une partie des préadolescents et les adolescents. Elle a en revanche très tôt proposé des titres spécifiquement destinés explicitement aux filles avec Mademoiselle Âge Tendre, et maintenant Miss. La presse éducative connaît, elle une évolution beaucoup plus significative de ses contenus. Après avoir dès son origine distingué très précisément les âges des lecteurs auxquels elle s’adressait, elle s’est engagée, dès les années soixante-dix, dans des formes de spécialisation ou de thématisation de ses contenus, dont la première fut dite de « lecture » [8]. C’est-à-dire qu’à côté de titres généralistes offrant une large diversité de contenu, les éditeurs proposent une série de thématiques, qui sont allées en se multipliant.
22Aujourd’hui l’éventail est très large – soit une dizaine – dont les principales sont : la lecture (J’aime lire, Je lis déjà, etc.), les « Mouvements » (Louveteau, Cap Levant, etc.), l’actualité [9] (Les Clés de l’actualité, Mon Quotidien, etc.), les filles (Julie, Muteen, etc.), la nature et les animaux (Wapiti, etc.), la découverte et la vulgarisation scientifique (Sciences & Vie Junior, Images Doc, etc.), la religion (Grain de Soleil, Mon Journal Arc en Ciel, etc.), les activités pratiques (Petites Mains, Oxebo, etc.), les langues (Today in English, Mini-Schools Magazine, etc.), le multimédia (Toboclic, Mobiclic). Cette liste correspondant aux thématiques actuelles reste ouverte. Les éditeurs s’emploient à en prospecter de nouvelles, tels les arts, par Mango presse (Dada). D’autres peuvent naître d’une spécialisation dans des contenus présents dans les titres précédants, tels que les jeux ou encore découler de combinaisons de thématiques plus anciennes, à la manière des P’tites sorcières qui font converger les thématiques, lecture et filles.
23Il est possible de se féliciter d’un tel mouvement qui a permis de gagner sans cesse des publics nouveaux ou a permis de conserver un lectorat aussi important. Il ne faut pourtant pas se cacher qu’il pose une question de fond quant au projet éducatif initial qui pensait ouvrir le jeune à des questions très diversifiées, à lui faire découvrir des univers éloignés de son propre environnement familial ou scolaire, alors qu’aujourd’hui la tendance est, de fait, plutôt à le conforter dans ses pôles d’intérêts initiaux (personnels, familiaux, propres à son milieu). De la même manière l’ouverture de la thématique fille, tend à revenir sur une idée fondatrice de la presse éducative qui était celle de la mixité.
24L’offre de la même conception d’une publication pour des âges différents, au travers de titres successifs est appelée, « chaînage », par les éditeurs de presse des jeunes. Le principe visant à concevoir un titre spécifique pour un âge particulier, puis d’accompagner le lecteur avec de nouveaux titres développant la même philosophie, la même ambiance, les mêmes valeurs, au gré de son évolution et ses apprentissages fut constitutif de la presse éducative. Depuis lors la tendance est à raccourcir ces tranches d’âge de 3 ans en 3 ans, voire de 2 ans en 2 ans. Le chaînage généraliste de Bayard jeunesse, qui est le plus complet, s’échelonne ainsi, de Popi (un an) à Phosphore (15-18 ans), en passant par Pomme d’api, Astrapi, etc. Progressivement des chaînages ont fait leur apparition dans plusieurs thématiques, telles que la lecture (Je lis déjà, Je lis des histoires vraies, etc.), l’actualité (Les Clés de l’actualité junior, Les Clés de l’actualité), lecture, les filles (Julie, Lolie), sciences et découverte (Découverte, Sciences & Vie Junior), etc. Le développement du phénomène du chaînage favorise le développement de groupes qui sont les seuls à pouvoir développer ainsi de véritables gammes de titres, souvent plusieurs, d’ailleurs, en parallèle.
2.3. Concurrence
25S’adressant à un public pour lequel les loisirs, la communication, la découverte du monde et des autres jouent un rôle extrêmement important, la presse des jeunes ne peut qu’intervenir dans un contexte de concurrence très vif et très diversifié qui met en scène d’autres médias, des contenus culturels, ainsi que divers modes de divertissement. En matière de média la télévision est bien sûr le plus sévère concurrent. Son offre s’est considérablement enrichie, par la multiplication des chaînes généralistes, ainsi que les chaînes thématiques du câble et du satellite (Disney Chanel, etc.). Des enfants aux adolescents, la durée d’écoute de la télévision ne cesse de progresser, avec plusieurs heures par jour (de 1 h 20 par jour chez les 2-4 ans à plus de deux heures dès 11 ans). La radio, ne doit pas non plus être sous-estimée à partir de l’adolescence, voir même une partie des préadolescents, avec l’impact de stations comme Skyrock ou Fun (avec là aussi des moyennes de 1 h 30 par jour dès 15 ans). Enfin chez ces mêmes adolescents d’autres formes de presse sont également très présentes, de très grosses audiences étant réalisées par des titres comme Sciences & vie, Onze Mondial, Play station Magazine ou Première) [10].
26En matière de contenus culturels, dès le plus jeune âge la presse jeune se trouve face au livre, dont la créativité, la qualité visuelle, le prix, sans parler parfois des héros, sont très proches. Un peu plus tard, avec la préadolescence, interviennent le disque, le cinéma, ainsi que certains contenus multimédias. L’écoute de disques ou de cassettes est placée au tout premier rang des pratiques, dans l’étude du ministère de la culture sur « les préférences et pratiques des jeunes de 9 à 18 ans » [11]. « Lire un livre » ou une bande dessinée se situent à un niveau comparable à la lecture de la presse, dans cette même étude. La gamme des divertissements est, quant à elle, évidemment, très étendue, sachant que l’étude du ministère de la culture, situe très haut des activités telles que « discuter avec des amis », « faire du sport », « se promener », sans parler de la place des jeux vidéo ou de la pratique ludique ou communicationnelle du portable et d’Internet.
3. LE PUBLIC ET SES CONTRAINTES
3.1. Un public limité et segmenté par tranches d’âge
27Le public global des jeunes est par définition plus limité que celui des médias tous publics. Il représente un peu plus de 13,5 millions d’individus, se renouvellant régulièrement, obligeant les éditeurs à gagner sans cesse leurs nouveaux lecteurs. La segmentation par tranches d’âge de plus en plus étroites, conduit la plupart des titres à devoir se situer vis-à-vis de cibles potentielles ne représentant guère plus de 2 millions d’individus, la thématisation par sexe les réduisant au million, sans parler des thématisations par goûts ou pôles d’intérêts. Concrètement cette évolution a conduit à voir disparaître progressivement les très grosses diffusions (500 000 pour le Journal de Mickey des années 30, voire de l’ordre du million, pour Salut les copains de 1965 à 1967). Les leaders se situent désormais à 352 000 pour Star Club ou 287000 pour Super Picsou Géant ou encore 267000 pour J’aime Lire. La plupart des titres se situant plutôt autour des 50 000 exemplaires.
28Les études de lectorat mettent en évidence une pratique de la presse jeune tout à fait intéressante dans laquelle interviennent conjointement le contexte familial et l’école. Jusqu’à l’apprentissage de la lecture, 72 % des petits enfants (2 à 7 ans) « lisent » au moins un titre correspondant à leur âge, avec le soutien d’un parent ou d’un enfant plus âgé. Dans cette tranche d’âge, logiquement, les facteurs sociologiques vont intervenir nettement. 74 % des 2 à 7 ans dont les parents sont dans la catégorie « Cadres et affaires » lisent de la presse jeune, alors que ce chiffre tombe 56 % pour les enfants d’ouvriers. Ce que la scolarisation va ensuite largement atténuer ramenant la différence de 85 % à 77 %. Les enfants, puis préadolescents sont les plus forts lecteurs avec 92 et 93 % de lecteurs, pour revenir à 84 % pour les adolescents [12]. Tant que l’enfant est surtout dans le cadre du foyer familial, il lit moins de titres différents (3,1 en moyenne), alors que la scolarisation et son inscription dans un environnement plus ouvert, développe cette diversité pour l’amener à 7,8 titres pour les préadolescents.
3.2. Le lecteur n’est pas toujours l’acheteur
29Bien que le budget « argent de poche » du public jeune, soit loin d’être insignifiant – de l’ordre de 155 millions d’Euros – il n’est pas consacré qu’à l’achat de magazines jeunes. En réalité, l’achat de la presse des jeunes est jusqu’à l’adolescence essentiellement réalisé par les adultes, en priorité les parents et grands parents, et, pour une moindre part, les enseignants. Ces derniers ont, par exemple, joué un rôle décisif dans le succès initial, puis le développement de la thématique « Actualité » [13]. Cet achat par les adultes donne une large place à l’abonnement. Les mailings envoyés au domicile des parents, sont alors l’occasion de développer les principaux arguments d’ordre pédagogiques et culturels, de chacun des titres. En milieu scolaire des méthodes de vente, originales, se sont imposées, reposant sur des « animatrices » faisant la promotion des titres et de la lecture de la presse, directement dans les classes, qui acceptent de les accueillir.
30L’achat au numéro est lui, davantage, à l’initiative du jeune lui-même qui devra exprimer son choix à l’adulte qui l’accompagne. Mais ce choix, bute sur la question délicate de la multiplicité des titres offerts. Ceux-ci souvent très proches dans leur conception, entassés dans de trop faibles espaces des boutiques de presse et kiosques, confrontent bien souvent le futur lecteur ou ses parents à une grande incertitude quant au titre qui lui conviendra le mieux. C’est ce qui a conduit à la montée du gadget, appelé « Plus produit » [14] dans l’argument de vente. Cela ne va pas sans conduire à l’augmentation du coût du magazine, pour l’éditeur, sans parler de la perversité d’une démarche conduisant à motiver l’achat par un objet ludique sans lien direct avec le contenu du magazine qui l’accompagne.
3.3. Faiblesse de la publicité et prix de vente
31La place de la publicité dans la presse des jeunes est des plus limitées. Elle représente rarement 10 % des recettes, la grande majorité des titres se situant plutôt à 2 ou 3 %. Les annonceurs, n’ont certes pas perdu de vue que le public jeune est aussi acheteur et prescripteur d’achat, mais ils ont, dans leur très grande majorité, reporté la quasi totalité de leurs budgets sur la télévision. Cela tient, au fait qu’à tort ou à raison ils sont convaincus de la plus grande efficacité de ce support en direction des enfants et préadolescents, ainsi qu’à la très grande difficulté de s’y retrouver face à un média beaucoup trop atomisé, en plus d’une centaine de titres.
32Les parents acheteurs, des magazines ne sont pas non plus sans révéler une attitude plutôt ambiguë sur le sujet. Dans les études, ils se disent plutôt hostiles à voir la publicité occuper une place trop grande dans une presse dont ils attendent plutôt une fonction pédagogique, formatrice pour leurs enfants. Ils s’affirment d’autant plus réticents à un encombrement publicitaire que cette presse est chère. Or précisément cette presse est d’autant plus chère qu’elle ne bénéficie quasiment pas de la ressource publicitaire. Si le Journal de Mickey est vendu à 1,5 Euro, la fourchette des prix se situe plutôt entre 3 et 5,3 Euros, pour les hebdomadaires et les mensuels. C’est ce qui devait conduire un éditeur comme Fleurus à envisager de renoncer, purement et simplement, à la publicité, quitte à en faire un argument de vente. Mais, nouveau paradoxe, les études devaient montrer que les enfants, eux-mêmes, acceptaient mal la disparition de la publicité, qui pour eux est la marque d’un média, à part entière, alors même qu’ils apprécient souvent le caractère ludique du discours publicitaire.
4. UNE ÉCONOMIE SOUS FORTES CONTRAINTES
33Il peut paraître déplacé dans une réflexion sur le phénomène de la presse des jeunes, de faire un détour, quelque peu appuyé, sur des considérations d’ordre purement économique et industriel. Il faut pourtant insister ici sur le fait que l’exception dont bénéficient le public des jeunes français, et par extension leurs parents et éducateurs, repose sur une équation économique délicate, relativement fragile, qui ne perdure que grâce à l’opiniâtreté et à l’inventivité d’une poignée d’éditeurs.
4.1. Atomisation et coûts de production prohibitifs
34Il découle des contraintes liées au public de la presse jeune, une tendance à l’atomisation des titres. Le phénomène est d’autant plus délicat à maîtriser qu’il s’agit d’une forme de presse, qui par nature, suppose des coûts élevés de conception, de création (auteurs, illustrateurs, maquette, études et conseils de spécialistes de l’enfance, etc.) et de fabrication (qualité graphique, du support matériel). Cette tension pousse au maintien de prix de vente élevés, dont il est en même temps difficile d’augmenter encore le niveau. Cela devait conduire au développement d’une forme d’organisation de l’entreprise éditrice de presse jeune que l’on peu qualifier « d’entreprise réseau ». Dans celle-ci l’essentiel des créatifs, fabricants, comme des commerciaux sont contraints à intervenir comme sous-traitants : illustrateurs, photographes et auteurs indépendants, journalistes pigistes, régies publicitaires externes, imprimeurs, sociétés de routages, etc. C’est à ce prix que peuvent être suffisamment compressés l’ensemble des coûts. Il faut, cependant, avoir conscience qu’une telle option économique à des conséquences sérieuses sur des professionnels tels que les illustrateurs, photographes, auteurs, journalistes, directeurs artistiques, maquettistes confrontés à une précarité qui pose de graves problèmes de continuité et de renouvellement de leur activité.
4.2. Faibles perspectives d’internationalisation des titres
35A priori l’internationalisation des titres, qui est une réalité assez répandue en presse magazine, pourrait permettre d’amortir les coûts de création sur des marchés plus larges, et donc d’assurer une meilleure rémunération et davantage de commandes auprès des différents créatifs. Assez logiquement la plupart des éditeurs français s’orientèrent donc dans cette voie, dès les années quatre-vingt. Elle pouvait paraître d’autant plus prometteuse, que l’absence de toute presse jeune dans des pays comparables à la France permettait d’espérer de très larges marges de développement.
36Hélas ces espoirs devaient buter sur des difficultés mal appréciées, au départ. En premier lieu l’idée même de magazines pour un public jeune devait être expliquée, défendue, alors que l’image de la presse pouvait être éloignée de l’idée même de pédagogie et de formation. Alors aussi, que le livre de jeunesse occupe largement cet espace dans beaucoup de pays. Il n’existait donc pas de partenaires locaux prêts à accompagner les éditeurs français, or ceux-ci constituent toujours le mode le plus classique d’internationalisation, en phase initiale. En second lieu il n’existait pas non plus de milieu professionnel spécialisé et créatif pour ce type de contenu. Enfin se posait, cruellement, le problème de l’absence de structures pour diffuser ou commercialiser cette forme de presse dans nombre de pays, tout comme de compétence en matière de promotion et gestion des abonnements [15]. Il fallait donc tout faire, tout inventer parfois. Il en résultait des coûts et des risques extrêmement élevés, longs à amortir, avec un niveau de risque important. Seuls Bayard presse et les partenaires de Disney en Europe ont pu résoudre l’ensemble de ces exigences, aujourd’hui.
4.3. Une économie sous pression
37Il faut donc être conscient que la presse jeune connaît une économie sous très forte pression. Cela se traduit par des niveaux de rentabilité assez faibles et des passages fréquents par des périodes de déficits sur certains titres. Il faut sans doute voir ici l’explication du fait que les éditeurs de presse des jeunes sont aujourd’hui des éditeurs de taille moyenne, animés de fortes convictions éditoriales [16], qui associent leur secteur jeunesse à d’autres sortes de magazines (vulgarisation scientifique, presse senior, presse de territoire, etc.), ainsi qu’à d’autres formes de publications destinées à ce même public (livre jeunesse et multimédia). Ces éditeurs n’ont, de toute façon, pas d’autres stratégies possibles que de jouer au maximum sur la créativité, la flexibilité des structures et l’apport des technologies nouvelles. Sans ces dernières, il est probable qu’aujourd’hui nombre d’éditeurs de presse jeune n’existeraient plus. Il n’est pas exagéré, non plus, de penser, que sans celles-ci, jamais un éditeur comme Milan presse n’aurait pu voir le jour, au début des années quatre-vingt.
5. L’IMPÉRATIF DE CRÉATIVITÉ
38En conclusion, il faut être conscient que la clé de l’avenir de la presse jeune se situe dans son haut niveau de créativité. Ce dernier doit être permanent et à tous les niveaux : la définition de nouveaux titres, la conception du contenu, les structures de réalisation et de fabrication, la commercialisation auprès des annonceurs, comme des lecteurs. Cela impose de donner les moyens de vivre aux professions créatives. Se pose alors de manière aiguë le problème des conditions qui permettent à un milieu créatif de s’exprimer, soit, au départ, de les attirer vers les magazines jeunesse, puis de leur permettre d’en vivre et de s’y renouveler. Les plus gros éditeurs s’y emploient par l’internationalisation – avec les limites que l’on a vu – et la diversification, vers le livre jeunesse (Bayard et Milan), voire le multimédia. Le problème est renforcé par le fait que cette créativité doit s’exprimer dans le cadre d’entreprises souvent moyennes, voire de démarches militantes. Ces dernières n’ont souvent d’autres alternatives que de constituer des viviers de talents et d’idées (cf. le rôle de Jeunes années et des Francas, dans les prémices de la presse éducative) qui ne feront que passer dans leurs titres pour ensuite se professionnaliser chez les éditeurs traditionnels.
Notes
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[1]
Les analyse et données présentées dans cet article reprennent les éléments de notre ouvrage, La presse des jeunes, Repères La Découverte, Paris, 2002.
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[2]
Seul le Japon, avec les mangas, connaît un secteur d’édition de presse abondant et prospère de publications pour la jeunesse, dont les caractéristiques sont aussi très différentes.
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[3]
Histoire de la presse des jeunes et des journaux d’enfants (1768-1988), Éditions Eoles, Paris, 1987.
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[4]
Le premier titre spécialisé s’adressant aux femmes, L’Almanach ou recueil des jolies coiffures à la mode de Paris, paraît dix ans plus tard en 1778, suivi du Cabinet des modes en 1885.
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[5]
Exploités par Opéra Mundi, la maison d’édition de Paul Winkler, qui sera cédée par la lui au groupe Hachette.
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[6]
Cf. François de Coustin, « Grandeur et décadence de la presse de bande dessinée : le cas Tintin et Pilote », Médiaspouvoirs, n° 25, Paris, janvier 1992.
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[7]
Service rattaché au Premier Ministre, chargé notamment de l'établissement des statistiques de la presse française.
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[8]
Pour une publication qui propose une histoire, écrite par un auteur, dans chacun de ses numéros.
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[9]
Qui est désormais la seule forme de presse des jeunes à proposer des publications quotidiennes, avec Quoti, Le Petit Quotidien, Mon Quotidien et L’Actu, édités par le très jeune groupe Play Bac.
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[10]
Sciences & Vie réalise une audience de 1 095 000 lecteurs chez les 9-18 ans, Première de 558 000, et Play Station Magazine de 936 000.
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[11]
Développement culturel n° 131, décembre 1999.
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[12]
Ces chiffres concernent toutes les formes de presse écrite, hormis les hebdomadaires de télévision, qui ont tendance doper artificiellement les statistiques de lecture.
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[13]
Le Journal des Enfants notamment a été largement plébiscité par les instituteurs, qui abonnèrent nombre de leurs classes, au travers des budgets de coopérative. Un phénomène comparable semble se reproduire en faveur de Mon Quotidien et du Petit Quotidien, dont on pourra également souligner qu’ils bénéficient chaque soir de la relecture critique d’un professeur des écoles, avant de donner le bon à tirer.
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[14]
Initialement lancé par le magazine Pif, du groupe Vaillant, dans les années 70.
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[15]
Sans parler du problème de systèmes postaux aux performances et aux tarifs parfois peu compatibles également.
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[16]
Bayard presse, Fleurus et Edifa sont de sensibilité catholique, Milan est né dans un contexte de militantisme laïque, fortement appuyé par un noyau d’universitaires toulousains, Mango presse a absorbé récemment les PEMF, issues du mouvement Freinet, sans parler du rôle original joué par la presse de mouvement.