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Article de revue

Processus et stratégies de formation à la recherche en didactique des langues-cultures

Pages 393 à 418

Notes

  • [1]
    Voir à ce sujet, par exemple, Puren, Ch. 1994a, pp. 32-41.
  • [2]
    Pour les lecteurs non initiés à cette terminologie (un peu ancienne il est vrai), « sgaviste » est l’adjectif qui correspond à « SGAV », initiales de « structuro-globale-audiovisuelle », qualificatif qui désigne historiquement la méthodologie mise au point par le CRÉDIF à la fin des années 50, et dont le cours prototypique a été Voix et Images de France (1re éd. expérimentale 1958,1re éd. commerciale 1961).
  • [3]
    Il manque encore en langue française le terme adéquat pour cette activité intellectuelle : stricto sensu, en effet, on n’« applique » pas un modèle, simplement on le « fait fonctionner » dans le sens où l’on « fait tourner » un programme informatique. C’est-à-dire que l’évaluation des résultats qu’il produit se fait pragmatiquement et a posteriori, et n’est aucunement lié à une adéquation que l’on postulerait a priori entre le modèle et la réalité.
  • [4]
    On remarquera que cette description peut a priori s’appliquer tout aussi bien à la formation qu’à l’enseignement.
  • [5]
    « Le principe dialogique consiste à faire jouer ensemble de façon complémentaire des notions qui, prises absolument, seraient antagonistes et se rejetteraient les unes les autres » (Morin, E. 1991, p. 292). Ce principe correspond à l’une des formes les plus caractéristiques de la pensée complexe, à savoir la logique dite « récursive ».
  • [6]
    Un module d’initiation à la DLE est offert en France aux étudiants de dernière année de licence de langues étrangères dans le cadre de la préparation à l’entrée dans les IUFM.
  • [7]
    On retrouve en formation les deux premières opérations fondamentales de l’enseignement, à savoir la sélection et la gradation des contenus. La réflexion sur ce que donnerait l’application systématique à la formation de la suite du processus didactique (présentation, explication, exercisation, évaluation) ne manquerait pas non plus d’intérêt…
  • [8]
    J’emprunte cette expression à A.M. Huberman et M.B. Miles (1991), qui parlent de « constructs » que le chercheur va devoir relier dans des « cadres conceptuels » (ou « théories ») de plus en plus larges. Voir la présentation des idées de ces deux auteurs dans mon article de 1997.
  • [9]
    Le critère d’une bonne thèse, cependant, est que l’étudiant ait suffisamment problématisé son sujet tout au long de sa recherche pour se retrouver obligé en fin de travail à complexifier sa configuration conceptuelle de départ : en d’autres termes, une bonne thèse se mesure à l’aune de ses « gains conceptuels ». J’aurais tendance à penser, sur la base il est vrai de ma seule expérience, que le thème du jeu en DLE est d’un intérêt très limité en formation à la recherche, les conclusions des mémoires de DEA et thèses que j’ai lus sur ce sujet n’apportant nul gain de ce type par rapport aux introductions correspondantes. Cette remarque ne vaut bien sûr aucunement pour le jeu dans la formation à l’enseignement…
  • [10]
    Robert Galisson, par exemple, organisait systématiquement des « pré-soutenances de thèse » devant ses étudiants en formation doctorale.
  • [11]
    Pour la présentation de ces trois phases historiques, voir Puren, Ch. 1994b et 1999.
  • [12]
    Ces croisements étaient représentés graphiquement par des « tableaux structuraux ».
  • [13]
    Sur la présentation des trois niveaux de conceptualisation didactique, et des concepts de différents degrés qui y sont produits, voir Puren, Ch. 1997.
  • [14]
    Pour une présentation plus générale de la problématique éthique en DLE, voir Puren, Ch. 1994c.
  • [15]
    Pour une présentation de ces différents critères en partie contradictoires, voir Puren, Ch. 1995.
  • [16]
    J’utilise ce concept dans le sens d’unité minimale de cohérence méthodologique correspondant dans les pratiques d’enseignement/apprentissage à un ensemble de manières de faire mettant en œuvre un principe unique. Pour l’utilisation de ce concept en analyse didactique, voir Puren, Ch. 2000.
  • [17]
    Dans les instructions officielles de l’Éducation nationale française, par exemple, « mémorisation » est encore fréquemment utilisé dans le sens d’« assimilation » (voir note suivante).
  • [18]
    Je signale au passage que pour la même raison d’autres définitions plus ponctuelles devront elles aussi se faire sur la base d’une description des comportements correspondants. On définira ainsi le concept d’« assimilation » en disant : « Il y a assimilation lorsqu’une structure peut être réemployée spontanément pour l’expression personnelle en situation de communication authentique. ». On « encapsule » ainsi les problèmes spécifiques que pose aux psycholinguistes et neurologues la description du processus psychologique et des traces neurobiologiques correspondantes.
  • [19]
    Je m’appuie également pour ce faire sur mon expérience de directeur et membre de jury de thèses en DLE.
  • [20]
    J’ai développé longuement mes idées sur l’éclectisme actuel en DLE dans mon ouvrage de 1994 (a).
  • [21]
    Sur ce point, voir par ex. Puren Ch. 1994a, pp. 32-41.
  • [22]
    Voir, dans le n° 79 des ÉLA (juil.-sept. 1990) qui recueille tous ces articles, les tableaux respectivement des pages 145,126,114 et 13-24 (à consulter dans cet ordre, les articles étant classés par ordre chronologique inverse).
  • [23]
    Voir en Partie 2, Figure 2 de Formation en questions une modélisation par niveaux des différentes activités d’« explication de textes ».
  • [24]
    Cf. la conception par certains didacticiens canadiens d’un « curriculum multidimensionnel ».
  • [25]
    Voir l’apparition en DLE, dans les années 70, de la problématique dite de « l’analyse des besoins ».
  • [26]
    Bien que les recherches peinent à les mettre en évidence, il y a consensus pour les considérer comme nombreuses et diversifiées.
  • [27]
    Dans les types de supports, on est passé en didactique du FLE des dialogues fabriqués à une grande diversité de documents authentiques. En ce qui concerne les tâches, l’une des hypothèses actuelles des psychologues cognitivistes concerne la diversité des opérations mentales effectuées par les apprenants suivant chaque type de tâches (d’où l’intérêt des tâches variées et complexes en classe).
  • [28]
    Prise ici dans le sens précis qu’elle a dans l’expression « conceptualisation grammaticale », c’est-à-dire celui de construction d’une représentation mentale (en l’occurrence, celle d’une organisation sémantique ou morphologique, ou d’une règle de fonctionnement syntaxique).
  • [29]
    « De circonstance » dans le sens positif que la langue française n’attribue malheureusement pas à ce mot, celui de « parfaitement adapté aux circonstances », de « contextualisé ».
  • [30]
    Dans la formation à la recherche, sujet de cet article, mais l’analyse vaut globalement tout autant pour la formation à l’enseignement.
  • [31]
    Étant donné les conditions dans lesquelles Robert Galisson a pris sa retraite, j’échappe au moins à l’autre soupçon possible, celui de cultiver ici un quelconque intérêt en termes de carrière personnelle…
  • [32]
    Les enseignants de langues en milieu scolaire le savent bien, à qui la société confie la difficile mission d’« ouvrir à l’altérité » des adolescents qui en sont à un moment où ils ne peuvent se poser qu’en s’opposant, et qui se cherchent dans le regard des autres qu’ils essayent en même temps de provoquer.
English version
Les scientifiques, aujourd’hui, chassent pour la plupart en meute. Lorsque l’on parle de la raison scientifique, réductrice, destructrice de toute singularité, capable seulement de ramener le singulier au cas particulier d’une règle générale, c’est à la pratique de la meute, je crois, bien plus qu’à une quelconque identité de la raison que l’on se réfère.
(Isabelle Stengers et Judith Schlanger 1989, pp. 161-162)

INTRODUCTION

1On sait toute l’importance stratégique que Robert Galisson a accordée, dans ses publications et dans ses pratiques universitaires, au processus de formation comme instrument de conquête, par la « didactiquedidactologie des langues-cultures étrangères » (pour laquelle j’utiliserai dans la suite de cet article le sigle plus commun « DLE », « didactique des langues étrangères), de son autonomie et de sa légitimité disciplinaires ; tant en ce qui concerne la formation des enseignants – qui leur permet de se libérer du « prêt à enseigner » des manuels – que la formation des chercheurs – qui leur permet de se libérer du « prêt à chercher » des modèles applicationnistes.

2Son dernier ouvrage en témoigne encore, qui s’intitule La formation en questions (CLE international, 1999). Il se trouve qu’il m’a fait le grand honneur d’y collaborer, et c’est pourquoi j’ai eu l’idée, pour à la fois l’en remercier et participer à ma manière à l’hommage qui lui est ici rendu, d’écrire un article qui prolonge les deux chapitres que j’y ai rédigés, en me plaçant cette fois non plus dans la perspective de la formation à l’enseignement, mais dans celle de la formation à la recherche, recherche et formation à laquelle il a consacré la plus grande part de sa carrière universitaire. Robert Galisson considère très justement qu’un enseignant doit être un chercheur, mais il admettra sans doute avec moi que les formations de l’un et de l’autre n’en ont pas moins leurs spécificités, ne serait-ce que parce que l’objet naturel de recherche du premier, c’est la relation entre ses propres pratiques d’enseignement et les pratiques d’apprentissage de ses élèves, et parce que les contextes de formation de l’un et de l’autre sont radicalement différents : or on sait aussi l’importance qu’accorde Robert Galisson – tout aussi justement – à la « contextualisation ».

3Ses amis savent enfin qu’il n’aime guère les célébrations, qui sont tournées vers le passé. Et c’est l’autre raison décisive pour laquelle j’ai choisi ce thème de la formation à la recherche, qui a donné lieu jusqu’à présent dans notre discipline à peu d’analyses et de propositions (on verra d’ailleurs pourquoi), et qui fournit par conséquent un bon thème prospectif, tourné vers l’avenir.

4Les deux thèses que je vais défendre dans le présent article sont les suivantes :

  1. Depuis les vingt-cinq dernières années, la réflexion sur la formation n’a pas avancé au rythme de la réflexion sur l’apprentissage, et on se retrouve avec un décalage fort dommageable entre d’une part la conception actuelle de l’enseignement/apprentissage (dominée par le sujet apprenant) et d’autre part la conception de la formation à l’enseignement ainsi que de la formation à la recherche, conception toujours dominée, selon l’ancien modèle, par la centration sur l’objet de formation. On a ainsi continué à former à l’approche communicative selon les mêmes principes et les mêmes méthodes avec lesquelles on formait auparavant à la méthodologie audiovisuelle, sans prendre en compte l’exigence nouvelle : si l’on veut former à la centration sur l’apprenant, il faut impérativement appliquer à l’intérieur d’une telle formation la centration sur le « se-formant ». En formation à la recherche, voilà déjà de nombreuses années que j’entends Robert Galisson répéter qu’il ne se considère pas comme un « directeur », mais simplement comme un « accompagnateur » de thèse. Il ne s’agit pas seulement de la cohérence interne que se doivent de rechercher les formateurs entre les objectifs, les contenus et les méthodes de la formation, mais aussi de leur crédibilité aux yeux des étudiants ou stagiaires, et plus encore de l’efficacité de la formation.
  2. L’hypothèse cognitiviste et l’épistémologie constructiviste actuellement dominantes ont amené à considérer comme des moyens efficaces d’améliorer le processus d’apprentissage, d’une part la réflexion de l’apprenant sur ses propres stratégies d’apprentissage, d’autre part la réflexion sur son « interlangue » (au moyen d’une « conceptualisation grammaticale » appliquée par l’apprenant à ses propres productions langagières en tant que traces de la construction de sa « grammaire intermédiaire »). Ces orientations doivent être appliquées également au domaine de la formation à l’enseignement et à la recherche, et elles amènent à y attribuer la même efficacité à la réflexion des étudiants et des stagiaires sur leurs propres stratégies de formation ainsi que sur leur processus de construction de leur compétence personnelle en enseignement ou en recherche, processus que j’appellerai ici « l’interformation ».

5Cette réflexion des étudiants et des stagiaires en formation demande bien évidemment que l’on dispose de modèles de représentation aussi bien du fonctionnement de ce type de processus d’interformation que des stratégies correspondantes. Or, à ma connaissance, ces modèles n’ont, jusqu’à présent, fait l’objet d’aucun programme de recherche. La raison me paraît claire, et identique en ce qui concerne la formation à l’enseignement et la formation à la recherche.

La formation à l’enseignement

6Jusqu’à l’époque encore récente des méthodologies constituées dominantes (y compris l’approche communicative, même si celle-ci s’est voulue, en tant qu’« approche », une méthodologie « ouverte »), former/se former à l’enseignement c’était former/se former à l’utilisation de la nouvelle méthodologie de référence. L’expression encore communément utilisée pour désigner les stages de formation continue, celle de « recyclage », est fort symptomatique si l’on pense à ses connotations actuelles : on garde la matière première humaine (l’enseignant, qu’il faut bien de toutes manières réutiliser, surtout si c’est un fonctionnaire titulaire…), mais on lui fait subir un traitement suffisamment vigoureux et rigoureux pour qu’il en sorte l’équivalent d’un produit neuf, en l’occurrence un « enseignant nouveau ». Cette conception globale de la formation – assez similaire en définitive à celle qui prévaut en France dans la promotion annuelle du « Beaujolais nouveau » – entraînait deux conséquences importantes :

  1. Les objectifs, les contenus et les méthodes de formation continue ne pouvaient être fondamentalement différents de ceux de la formation initiale (d’où l’impression fréquente de régression ressentie par les enseignants stagiaires). Il est par exemple symptomatique, là aussi, que l’intensité des débats passés sur la notion de progression d’enseignement/ apprentissage ne se soit guère retrouvée – c’est le moins que l’on puisse dire – sur la question de la progression de formation; ou encore que la notion de « stratégies individuelles d’apprentissage » ait donné lieu sinon à de nombreuses recherches, du moins à de nombreuses références en DLE, mais aucunement celle de « stratégies individuelles de formation ».
  2. Les objectifs, les contenus et les méthodes des deux processus que j’appellerai ici d’« hétéroformation » (l’agent de formation est externe à la personne concernée) et ceux d’« autoformation » (l’agent de formation est la personne concernée elle-même) n’étaient pas plus différenciés ; seuls l’étaient les moyens utilisés (activités collectives animées par des formateurs pour l’un; lectures d’articles et d’ouvrages de didactique, assistance à des colloques ou congrès pour l’autre). Là encore, il est symptomatique que l’on ne dispose même pas, pour la formation en DLE, de l’équivalent du couple « enseignement/apprentissage » (d’où ma proposition, pour cet équivalent, du couple de néologismes « hétéroformation/-autoformation »), sans parler des raffinements conceptuels divers que l’on a fait subir à la relation sujet-objet d’apprentissage avec des notions telles que « acquisition » et autres « appropriations »…

7De toute évidence, les formateurs en didactique des langues se sont jusqu’à présent beaucoup moins interrogés eux-mêmes sur les processus d’hétéroformation/autoformation, qu’ils n’ont demandé à leurs enseignants-stagiaires de s’interroger sur les processus d’enseignement/apprentissage.

8La formation à la recherche La situation était forcément identique dans la formation à la recherche : former/se former à la recherche, c’était former/se former au développement de la méthodologie de référence (à son élaboration interne, conceptuelle), à son implémentation (à son adaptation à différents contextes et à sa mise en œuvre concrète dans les matériels didactiques et les modèles de pratiques d’enseignement/apprentissage) et à sa diffusion (à la formation correspondante des enseignants par la rédaction d’articles ou d’ouvrages, l’intervention dans des stages, les communications orales dans des colloques ou congrès).

9La situation éclectique actuelle, aussi bien que les phénomènes brutaux d’élargissement du cadre conceptuel de la DLE qui ont marqué l’arrivée de l’approche communicative dans les années 70 [1] – tout à fait impressionnants si l’on se souvient des quelques articles de foi de la doctrine sgaviste [2] des années 60 – obligent, me semble-t-il, à repenser entièrement la formation à l’enseignement et à la recherche, et il n’est envisageable de le faire qu’en cohérence avec les conceptions actuelles de l’apprentissage de la langue-culture, c’est-à-dire, comme je le signalais plus haut, en fonction de l’hypothèse cognitiviste et de l’épistémologie constructiviste.

10J’ai dit aussi plus haut qu’il s’agissait ici d’un article prospectif : ce n’est donc pas seulement pour des raisons de place, mais d’abord de compétence, que je me limiterai à une première approche de quatre problématiques qui me paraissent centrales dans la réflexion nécessaire sur la formation à la recherche : 1) le processus de formation, 2) la progression formative, 3) la conceptualisation didactique et 4) les stratégies de formation.

1. LE PROCESSUS DE FORMATION À LA RECHERCHE

11Pour représenter le processus de formation à la recherche, je reprendrai mon modèle de complexification des problématiques didactiques, que j’ai présenté et utilisé dans un article de 1998 puis dans le chapitre I de l’ouvrage publié en 1999 en collaboration avec Robert Galisson. Ce modèle abstrait est constitué de deux éléments, à savoir 1) une opposition binaire entre l’objet (ici l’ensemble des savoirs constitués concernant la recherche en DLE) et le sujet (ici chacun des étudiants ou enseignants-stagiaires en formation à la recherche en DLE), et 2) une typologie complexe de relations (le continuum, l’opposition, l’évolution, le contact, l’instrumentalisation et la dialogique) entre les différents positionnements repérables à l’intérieur de l’opposition entre les deux bornes extrêmes (en l’occurrence, ici, l’hétéroformation et l’autoformation).

tableau im1
Le processus complexe de formation à la recherche OBJET SUJET HÉTÉROFORMATION INTERFORMATION AUTOFORMATION le formateur le formateur le formateur le formateur forme gère avec aide et accompagne laisse les étudiants à la les étudiants le les étudiants dans les étudiants déverecherche en fonc- contact entre la le développement lopper leur projet tion de la discipline discipline constituée de leur projet de individuel de constituée « didac- « didactique des recherche recherche tique des langues- langues-cultures » et cultures » leur projet de recherche

12L’« application » de ce modèle [3] permet de générer mécaniquement les différentes descriptions suivantes du fonctionnement du processus de formation à la recherche [4] :

  1. le continuum : un formateur doit être capable de mettre en œuvre tous ces modes d’intervention, du plus directif au moins directif, parce que chacun d’eux peut être le plus adéquat à tel ou tel moment de la formation pour tel ou tel étudiant;
  2. l’opposition : dans une certaine mesure, une formation trop directive (uniquement centrée sur l’objet) peut gêner voire bloquer le processus d’autoformation en ne permettant pas l’émergence ou la maturation, chez tel ou tel étudiant, de son propre projet de recherche;
  3. l’évolution : tout formateur doit intégrer à tout moment dans ses pratiques l’objectif premier d’autonomisation de ses étudiants ou enseignants-stagiaires, en d’autres termes il doit veiller à ce que son « curseur » se déplace globalement de l’hétéroformation vers l’autoformation; le principe fondamental de l’université française de « formation à la recherche par la recherche » demande donc à être précisé en terme de progression : en tant que moyen de formation, on attend que la recherche passe du statut de produit (les résultats disponibles des recherches déjà réalisées par d’autres) à celui de processus (la recherche menée par l’étudiant lui-même) ;
  4. le contact : la confrontation dynamique entre les résultats acquis des recherches déjà réalisées en DLE et le projet de recherche de l’étudiant génère un phénomène d’« interformation » comparable à celui d’« interculturel » (généré par le contact entre la culture de l’élève et la culture étrangère) et à celui d’« interlangue » (généré par le contact chez l’apprenant entre sa langue maternelle et la langue étrangère) ;
  5. l’instrumentalisation : l’étudiant reprend consciemment dans ses cours et pour ses exposés à l’université les objectifs, les contenus et les méthodes qu’il sait attendus par ses formateurs (regroupons commodément tous ces éléments sous le terme de « culture universitaire »), mais pour son propre projet, il est capable de revenir tout aussi consciemment à sa seule culture personnelle, laquelle correspond en partie, dans le cas (fréquent en FLE) d’un étudiant étranger en France, à sa culture universitaire d’origine;
  6. la dialogique[5] : le processus d’hétéroformation à la recherche produit un effet sur le processus d’autoformation des étudiants ou des stagiaires, lequel, ainsi modifié, devrait à son tour influencer le premier, et ainsi de suite, récursivement.

2. LA PROGRESSION EN FORMATION À LA RECHERCHE

13Le modèle que je propose ci-dessous reprend du modèle antérieur les trois concepts d’hétéroformation, interformation et autoformation reliés selon le mode de l’évolution, en croisant celui-ci avec les trois modes de conceptualisation didactique caractéristiques de chacune des phases.

tableau im2
La progression en formation à la recherche PHASE 1 PHASE 2 PHASE 3 HÉTÉROFORMATION INTERFORMATION AUTOFORMATION « CONCEPTS - PRODUITS » « CONCEPTS - PROCESSUS » « CONCEPTS - CONSTRUITS » modules de préprofes- maîtrise, DEA, CAPES thèse Niveau(x) sionnalisation, licence, 2e année, formation CAPES 1e année continue Acteur(s) formateur formateur et étudiant étudiant Objectif(s) savoir analyse/synthèse recherche Projet transmission construction action Opération information conceptualisation modélisation Critère exactitude pertinence efficacité Nota bene : Le niveau, l’acteur, l’objectif, le projet, l’opération ou le critère apparaissant dans la colonne verticale de chaque phase n’a pas à y être considéré comme l’élément exclusif, mais de référence.

14Phase 1
La simple transmission par les formateurs aux étudiants ou aux stagiaires de savoirs disciplinaires constitués (les « concepts-produits ») est certainement utile et indispensable dans un premier temps (par exemple en licence de français langue étrangère, ou encore dans les cours de pré-professionnalisation des licences de langues [6] ). Elle est possible parce que dans cette première phase la quantité d’informations doit être limitée, et elle est légitime parce qu’elle doit être graduée dans le temps de la formation, ce que seul le formateur est en mesure de faire [7].

15Phase 2
Par contre, dans la phase suivante de la formation (d’« interformation »), la simple transmission prise en charge par les formateurs n’est plus possible – les informations s’élargissant, elle ne pourrait donner de la DLE que la représentation éclatée d’une mosaïque de problématiques juxtaposées – et elle n’est plus légitime en raison d’un processus de formation qui se centre désormais plus sur le sujet que sur l’objet. Les trois seules autres options globales a priori envisageables au cours de cette seconde phase (au niveau de la maîtrise et sans doute aussi du DEA, ainsi que dans le cadre de la formation continue) seraient encore moins satisfaisantes, qui sont : 1) la présentation trompeuse d’une théorie didactique unifiée; 2) la spécialisation prématurée des étudiants; et 3) le « parcours à la carte », qui évacue le problème de la cohérence globale de la formation pour les formateurs, mais le laisse entier pour les étudiants…

16L’état actuel de la DLE me semble à la fois exiger (c’est une contrainte historique) et permettre (c’est une chance historique) que la formation à la recherche se poursuive dans cette seconde phase par un travail à la fois individuel et collectif de conceptualisation (d’où l’expression que je propose, de « concepts-processus »). Puisque formateurs et étudiants ne peuvent plus se référer à une organisation globale, forte, permanente et reconnue d’un nombre relativement limité de concepts stables et précis, la seule stratégie possible est celle d’un travail permanent de (re)conceptualisation et de (re)construction de configurations conceptuelles entre individus à la recherche de ce « consensus intersubjectif » dont parlent A.M. Huberman et M.B. Miles (1991, p. 37). L’enjeu actuel de la formation à la recherche en didactique est en définitive semblable à celui que définit Pierre Lévy (1994) pour l’« ère post-médias » qu’il voit s’annoncer : il s’agit de « filtrer les flux de connaissances, naviguer dans le savoir et penser ensemble plutôt que charrier des masses d’informations ».

17Phase 3
Dans une dernière phase enfin, lorsque chaque étudiant en sera arrivé à la réalisation de sa propre recherche (en cours de DEA, puis en thèse), non seulement il pourra sans inconvénients mais il devra construire ses propres concepts (d’où l’expression que je propose, de « concepts-construits » [8] ) et les relier dans des modélisations personnelles du champ didactique élaborées selon les besoins précis et limités de son propre projet.

18La modélisation en tant que processus (le fait de modéliser) consiste à sélectionner un nombre limité de concepts et à définir un nombre limité de modes d’articulation entre ces concepts. Lorsque cette opération porte sur l’ensemble du champ didactique, l’objectif est d’en maîtriser la complexité en se donnant les moyens de la reconstituer soi-même de manière contrôlée, c’est-à-dire en particulier progressive : on peut ainsi commenter pendant des heures le modèle « SOMA » (Sujet apprenant; Objet, Milieu et Agent d’apprentissage) de Renald Legendre en s’en servant comme d’une sorte de plan détaillé visuel de toute la problématique didactique. Ce qui n’y apparaît pas peut être verbalisé en raison même de cette absence que l’on commentera, une telle opération de reconstruction conceptuelle à partir d’un modèle visuel fonctionnant dans les sciences humaines comme l’équivalent de la reconstruction de la réalité opérée en laboratoire par les sciences expérimentales.

19Lorsqu’un étudiant-chercheur modélise le cadre conceptuel de sa thèse, il le fait très légitimement en fonction de la seule délimitation et de la seule cohérence de son sujet de recherche. C’est ainsi que les quelques six ou sept thèses et mémoires de DEA sur le thème du jeu qu’il m’a été donné de lire peuvent être modélisées simplement (i.e. brièvement et linéairement) de la manière suivante – les parenthèses signalent les concepts, et les crochets les articulations entre concepts – : (jeu/jouer) [provoque] (plaisir/créativité) [provoque] (motivation/participation) [provoque] (accélération/amélioration de l’apprentissage)[9].

20Mais tous les auteurs de ces recherches sur le jeu, pour répondre aux exigences « scientifiques » qu’on leur avait imposées ou qu’ils s’étaient eux-mêmes imaginé (et certains de ces étudiants étaient les miens…), en sont restés à la phase des « concepts-produits », et ils se sont efforcé par conséquent de définir avec rigueur et précision le concept de « jeu », alors que l’on sait depuis longtemps que cette entreprise est vouée à l’échec. Voici ce qu’en disait déjà Wittgenstein dans quelques lignes parmi les plus célèbres de ses Philosophical Investigations :

21

Réfléchissez, par exemple, à ce que nous appelons des « jeux ». Je veux parler des jeux sur l’échiquier, des jeux de cartes, des Jeux Olympiques, etc. Qu’ont-ils en commun ? Ne répondez pas : « Ils doivent avoir quelque chose en commun, sans quoi nous ne les appellerions pas “jeux” », mais cherchez vraiment ce qu’ils peuvent avoir de commun. Car ce que vous trouverez, si vous les examinez, ce n’est pas un élément commun à tous, mais une longue série de similitudes et de relations. (Cité d’après Johnson-Laird P.N. 1994, pp. 259-260)

22C’est donc d’un cadre conceptuel du jeu en classe de langue construit ad hoc, et non de définitions a priori empruntées à telle ou telle autre discipline (la psychologie, la psychanalyse, voire l’économie…), dont un didacticien chercheur a besoin sur ce thème.

23Ce que Wittgenstein décrit dans ce passage, c’est la nature des « concepts ordinaires », et non celle des concepts « scientifiques ». Mais l’une des particularités épistémologiques de la DLE – surtout depuis que l’enseignant est censé se centrer sur les apprenants – est sans doute que la plupart des concepts nécessaires à cette discipline – c’est-à-dire concrètement ceux qui vont être utilisés dans les relations entre l’enseignant et ses élèves – doivent être ces concepts ordinaires des élèves, c’est-à-dire des concepts qui ne comportent pas de conditions nécessaires et suffisantes et entre lesquels il n’y a pas de frontières claires et nettes. Je n’ai abordé dans ce chapitre 2 qu’un seul critère de progression formative, celui de la centration sur l’objet le sujet de la formation. Il est bien évident qu’il en existe d’autres. Outre les critères de pédagogie générale (concepts, ensembles de concepts et problématiques plus ou moins connus, fréquents, utiles, faciles…), on peut penser par exemple aux suivants :

  • le passage de la reconnaissance à la production : de même qu’en formation à l’enseignement on commence par faire analyser des matériels didactiques par des stagiaires avant de leur en faire produire, et par leur faire observer des classes avant de les mettre à enseigner eux-mêmes, en formation à la recherche, on peut faire analyser des recherches effectuées ou en cours de réalisation avant que l’étudiant n’ait commencé sa propre recherche [10];
  • le passage de l’histoire à l’actualité didactique, qui me semble indispensable, en ces temps d’éclectisme, pour donner aux étudiants les outils nécessaires à l’analyse de la complexité présente de la DLE tant en ce qui concerne l’enseignement que la recherche;
  • ou encore une progression globale de type méthodologie didactique didactologie, qui amène les étudiants à repasser par les phases successives de complexification par laquelle la discipline est elle-même passée pour se constituer tout au long du XX e siècle [11].

24Comme dans la progression d’enseignement/apprentissage, il est clair que tous ces critères sont hétérogènes et en partie contradictoires, et qu’en formation à la recherche, aussi, leur combinaison et leur articulation relèveront de compromis partiels et instables.

3. LA CONCEPTUALISATION DIDACTIQUE

25Comme je l’ai dit plus haut, l’hypothèse cognitive et l’épistémologie constructiviste amènent à accorder une place centrale, dans la formation à la recherche, à la réflexion des étudiants ou stagiaires eux-mêmes. Sur le continuum des conceptions possibles du processus de formation à la recherche présenté au point 1, c’est la position centrale, d’« interformation », qui est la plus favorable à cette réflexion, puisque c’est là que la prise de conscience des stratégies personnelles de formation sera facilitée par le contact avec les stratégies utilisées par le formateur, et que les étudiants ou stagiaires commenceront à élaborer leurs propres concepts de recherche (« concepts-processus ») au contact des concepts présentés par les formateurs (« concepts-produits »). L’objectif essentiel de cette phase d’interformation est que les étudiants ou stagiaires parviennent à (re)construire eux-mêmes les concepts de la DLE, et à les manipuler de manière à les (ré)agencer dans des conceptualisations de second degré de plus en plus larges jusqu’à parvenir à une théorisation personnelle du champ de la DLE concerné par leur projet de recherche. Or d’une part on ne maîtrise les concepts qu’à force de les manipuler soi-même; d’autre part, de même que le concept se forge par manipulations intellectuelles de données empiriques (abstraction), la théorisation s’effectue au moyen de manipulations de concepts.

26Un programme urgent de recherche sur la formation à la recherche en DLE consisterait donc à étudier, pour les présenter et les faire travailler de manière concrète aux étudiants ou enseignants-stagiaires, toutes les formes et modes possibles de manipulation des concepts didactiques. On pourrait sans doute, pour les présenter de manière claire sans en réduire la complexité, le faire à partir de trois couples d’opérations de base en rapport dialogique, c’est-à-dire à la fois complémentaire et contradictoire : la réduction/l’extension, la différenciation/le rapprochement et la juxtaposition/l’organisation. Ces différents couples d’opérations, seuls ou en combinaison les uns avec les autres, permettent en effet d’aboutir à toutes les configurations conceptuelles plus ou moins complexes telles que celles que j’ai présentées dans la Partie 2 de Formation en questions, à savoir la série, le tableau, le processus et le réseau.

27Ainsi, pour ne prendre comme exemple que la première de ces configurations, la série est le résultat à la fois :

  • de l’opération de réduction/extension : elle est un dénombrement, une énumération, un inventaire à la fois critérié (c’est la réduction : on sélectionne les concepts à partir de certains critères parmi l’ensemble des concepts didactiques) et systématique (c’est l’extension : on en cherche le plus grand nombre répondant aux critères, voire la liste exhaustive) ;
  • de l’opération de rapprochement/différenciation : tous les concepts ont pu être regroupés dans la même série parce qu’ils partagent une ou plusieurs caractéristiques communes qui les différencient de ceux qui en ont été exclus ;
  • enfin de l’opération de juxtaposition/organisation : une fois les concepts simplement « listés », le travail de conceptualisation va consister à voir comment il est possible de les organiser (en subdivisant la liste, et en reliant les concepts ou les sous-listes selon différents modes logiques).

28 Les séries ont été constamment utilisées en DLE, que ce soit pour conceptualiser la morphologie verbale ou grammaticale (conjugaisons et paradigmes grammaticaux), le vocabulaire (listes par origines étymologiques ou particularités morphologiques ou grammaticales dans la méthodologie traditionnelle, centres d’intérêt dans la méthodologie directe, listes sur l’axe paradigmatique croisées avec une structure sur l’axe syntagmatique dans la méthodologie audio-orale [12] ), ou des expressions ou phrases toutes faites (listes de réalisations différentes d’actes de parole dans l’approche notionnelle-fonctionnelle).

29Dans un travail de conceptualisation en formation à la recherche didactique, la série est la configuration de base à laquelle on aboutit tout naturellement à la fin d’une opération d’extension, parce que c’est sur elle que pourront être effectuées à la suite d’autres opérations de plus en plus complexes. On voit bien, par exemple, que les composantes de la liste suivante (données ici par ordre alphabétique et, pour des raisons de place, à l’horizontale) :

30

analyse de besoins, centres d’intérêt, enquêtes, interviews, lexiques, listes de fréquence, listes notionnelles-fonctionnelles, niveaux-seuils, points de grammaire, programmes officiels, relevés, sondages, thèmes de civilisation, vocabulaires spécialisés

31présentent une caractéristique commune, à savoir un certain rapport avec l’opération de sélection/description des contenus d’un cours de langue; mais on voit bien aussi que ce regroupement ne peut être utile à la réflexion didactique des étudiants ou des stagiaires que si l’on y opère ensuite des classements et mises en relation internes.

32Pour des raisons de dimension de cet article, je me limiterai ici à l’illustration concrète des seules opérations de réduction/extension réalisées uniquement sur la série.

3.1. L’opération de réduction

33G. Bachelard a été le premier épistémologue français à définir la démarche scientifique comme une simplification heuristique, au sein de laquelle on retrouve une opération indispensable pour tout type de connaissance, comme le rappelle Edgar Morin, à savoir « [la] sélection de données significatives et [le] rejet de données non significatives » (1990, p. 16). Il n’est donc pas étonnant que ce type de réduction se trouve au départ de cette technique de « condensation » qui constitue pour A.M. Huberman et M.B. Miles la première des méthodes mises en œuvre dans l’analyse qualitative : « La condensation est une forme d’analyse qui consiste à élaguer, trier, distinguer, rejeter et organiser les données de telle sorte qu’on puisse en tirer des conclusions “finales” pour les vérifier » (1991, p. 35, je souligne).

34Cette réduction doit déjà être effectuée, bien entendu, au premier degré de la conceptualisation, à savoir sur les données empiriques [13]. Dans la phase 3 de la formation à la recherche en DLE, l’opération de réduction devra aussi être effectuée au niveau de la conceptualisation de second degré, à savoir sur le nombre des concepts premiers et seconds retenus pour construire des théorisations partielles personnelles de la didactique : c’est ce type même de réduction qui caractérise en particulier l’opération de « modélisation », où l’enjeu est moins la connaissance (de la DLE) que l’action (dans le domaine de la DLE), où l’on ne recherche pas l’exhaustivité mais l’efficacité (voir le tableau supra). Dans les « sciences de l’imprécis » en effet, comme les appelle A.A. Moles (et la DLE est bien une « science de l’imprécis » !…), il faut, si l’on veut être efficace, « remplacer le compliqué – de nombreuses catégories d’éléments – par le complexe : un grand nombre d’éléments de variétés très simples qui sont assemblés » (1990, p. 146).

35On retrouve cette opération de réduction en bonne place dans une activité qui présente de fortes homologies avec celle des étudiants ou stagiaires en phase 2 de la formation à la recherche en didactique, à savoir l’enquête journalistique. Gilles Lipovetsky écrit ainsi en 1992 :

36

La dissolution de l’information dans la « communication » a conduit les journalistes soucieux de leur mission à rappeler que l’information était d’abord un travail d’élaboration et de construction destiné à faire comprendre le sens des événements, que leur responsabilité était d’opérer la sélection des informations, de réintroduire de la distance, de mettre en relief les événements. (p. 244, je souligne)

37G. Lipovetsky considère que la nécessité ressentie d’un tel travail explique « l’émergence de l’interrogation déontologique » dans le journalisme contemporain. L’éthique formative en DLE [14] autorise et même demande sans doute que ce soient les formateurs qui opèrent en toute responsabilité une telle sélection en phase 1 de la formation; mais en phase 2, caractérisée par l’afflux massif d’informations, l’enjeu est bien que les étudiants ou stagiaires puissent élaborer ces connaissances eux-mêmes pour eux-mêmes afin de leur donner sens et se les approprier, et la responsabilité des formateurs est alors de les aider à acquérir les moyens d’opérer leurs propres sélections.

38On retrouve également la même opération de réduction dans une discipline elle aussi proche à beaucoup d’égards de la DLE, à savoir l’économie :

39

Une théorie [économique] doit être une représentation à la fois exacte et inexacte de la réalité; elle est inexacte parce qu’elle est partielle et incomplète, parce qu’elle est sélection, simplification, schématisation, abstraction, parfois caricature du réel; cela est nécessaire pour qu’elle puisse être saisie par les moyens de connaissance humains (quelque assistés qu’ils soient) : elle doit se contenter des traits du monde qui importent le plus pour le problème considéré (une carte à l’échelle 1 est rarement utile et ce n’est d’ailleurs pas possible pour une échelle assez grande) ; cela étant, cette représentation doit être la plus juste possible. (Kolm S.C., 1986, p. 123, je souligne)

40Citation doublement intéressante pour nous. D’une part parce qu’elle nous rappelle que l’étudiant chercheur doit effectuer l’opération de réduction tout au long de son travail de recherche – non seulement sur les données empiriques mais aussi sur les concepts de premier et second degrés et sur les conceptualisations partielles de son champ d’analyse – s’il veut parvenir à une « théorie », c’est-à-dire à « un petit nombre d’éléments conceptuels généraux qui subsument une multitude de situations particulières » (A.M. Huberman et M.B. Miles 1991, p. 48). D’autre part parce qu’elle permet de filer la métaphore, utilisée aussi par ces derniers auteurs, de la théorie comme « carte du territoire exploré par le chercheur » : si les étudiants ou stagiaires se perdent souvent dans le vaste territoire de la DLE, c’est qu’ils n’ont pas pu y opérer les simplifications qui leur auraient permis de s’en fabriquer une carte à une échelle suffisamment réduite pour leurs capacités et objectifs présents d’exploration, d’occupation et d’aménagement.

3.2. L’opération d’extension

41J’utilise ici le terme d’« extension » dans le sens où il est par exemple employé dans l’expression « définition en extension », c’est-à-dire comme synonyme d’énumération, dénombrement ou inventaire. Il s’agira par exemple de la liste des explications possibles d’un fait, des acteurs impliqués dans le champ didactique, des procédés de mise en œuvre en classe d’une méthode ou d’une technique, des composantes ou des emplois d’un concept, des données ou des solutions d’un problème, des aspects ou dimensions d’une problématique, des variables d’un phénomène, des paramètres d’une situation, des activités ou fonctions de l’enseignant, des implications d’un principe, des types d’opérations didactiques, des critères utilisés dans une opération didactique, des objectifs poursuivis dans un type d’enseignement, des types d’exercices, des étapes d’un processus, des approches ou démarches utilisables selon le type de support et l’objectif visé, des niveaux d’une analyse, des conséquences d’un choix méthodologique, des points de vue sur une question, des compétences à mettre en œuvre pour réaliser une tâche, des types d’apprenants, des stratégies d’apprentissage. (Je viens dans les lignes ci-dessus de définir en extension le concept d’« extension »…) L’opération d’extension aboutit ainsi à des regroupements systématiques de données ou de concepts dans des colonnes verticales sous forme de séries plus ou moins exhaustives.

3.2.1. Extension et « sciences de l’imprécis »

42La « méthode de la complexité », telle que la définit E. Morin, demande en particulier de « ne jamais clore les concepts » (1990, p. 178). La définition en extension est sans doute, du moins en DLE, l’une des techniques les plus efficaces pour faire apparaître (a) la multiplicité, (b) la diversité, (c) la variabilité aléatoire, (d) l’hétérogénéité et souvent (e) la contradiction qui se trouvent sous les mots renvoyant au premier abord à la réalité la plus simple et la plus évidente. L’enjeu d’une formation à l’enseignement ou à la recherche en DLE, c’est de se rendre compte, par exemple (je reprends dans l’ordre les composantes de la complexité présentées dans les lignes ci-dessus) :

43

  1. que l’objectif d’apprentissage de la langue comme instrument de communication n’est que l’un des nombreux objectifs de l’enseignement scolaire des langues ;
  2. que des activités telles que la lecture ou la compréhension orale demandent la mise en œuvre de capacités très diverses ;
  3. que certains paramètres de la situation d’enseignement/apprentissage, tels que la disponibilité psychologique des apprenants et leur degré de motivation, peuvent varier fortement d’une heure de classe à l’autre de manière imprévisible;
  4. que le choix d’un texte travaillé en intégration didactique doit se faire en fonction de critères hétérogènes tels que la longueur, les contenus lexicaux et grammaticaux, le degré de représentativité culturelle, l’intérêt thématique, l’adaptation à des questions ouvertes, l’adéquation aux programmes officiels ;
  5. que parmi les critères d’évaluation, certains, centrés sur l’apprenant (progrès, effort, motivation, « plus » personnel par rapport aux exigences collectives de l’enseignant), s’opposent à d’autres centrés sur le groupe (niveau moyen de la classe), sur le matériel (contenus des leçons étudiées dans le manuel) ou sur l’institution (niveau requis, contenus et modalités de l’examen officiel préparé) [15]

44Un grand nombre de concepts de la DLE ne peuvent être définis rigoureusement par un noyau sémantique central, mais de manière extensive en faisant une liste des différents types, composantes, exemples, cas, activités, niveaux, dimensions, approches, acceptions, etc.

45

  1. C’est le cas de toutes les « méthodes »  [16]. La « méthode intuitive » sera ainsi définie comme l’ensemble des techniques mises en œuvre pour aider les apprenants à deviner la signification d’un mot inconnu à partir d’une situation présentée en langue étrangère; ou à comprendre globalement le sens d’un dialogue à la première audition; ou à faire des hypothèses à partir du peu qu’ils ont compris à la première lecture d’un texte; ou encore à expliciter le fonctionnement d’une structure à partir de quelques exemples mis au tableau.
  2. On dira que la compréhension « globale » d’un texte correspond au niveau de compréhension qui permet de donner une réponse aux principales questions factuelles (qui ? quoi ? où ? quand ? comment ? pourquoi ? avec quel résultat ?); ou de repérer l’intention du locuteur, ou les arguments principaux, ou encore la chronologie.
  3. Un concept tel que celui de « mémorisation » demandera une présentation historique et comparatiste, son utilisation dans les textes actuels renvoyant à des usages différents selon les époques et les langues [17].
  4. « Automatisation » obligera à se référer successivement aux théories de référence (le béhaviorisme et l’analyse distributionnelle), à la méthodologie (la méthodologie audio-orale et l’enseignement programmé) et à la mise en œuvre pratique (les exercices structuraux). D’autres concepts enfin, tel celui d’« explication de textes », obligeront à utiliser simultanément toutes les approches différentes signalées ci-dessus.

46J’ai choisi ces exemples parce qu’ils illustrent quelques raisons pour lesquelles les définitions en extension sous forme de séries s’imposent fréquemment en DLE :

  1. le fait que le cerveau de l’apprenant reste pour l’essentiel une « boîte noire » dont on ne peut que décrire les entrées et les sorties sous forme d’observations diverses portant sur les comportements observables [18];
  2. le croisement fréquent de plusieurs problématiques (dans l’exemple correspondant, il y a croisement des types de compréhension globale avec les types de textes) ;
  3. les différentes acceptions historiques des mêmes concepts didactiques ;
  4. l’existence de plusieurs niveaux de définition. Ce qui fait qu’en DLE il est le plus souvent impossible de faire la distinction entre la définition d’un concept et son « illustration », c’est-à-dire, étymologiquement, son « éclaircissement » : dans une « science de l’imprécis » telle que la DLE, l’enjeu de la formation est moins de définir les concepts avec rigueur et précision qu’avec clarté, c’est-à-dire (comme j’ai tenté de le faire moi-même dans ce chapitre 3.2.1.) en multipliant les « exemples » qui vont constituer autant d’éclairages différents.

3.2.2. Extension et analyse qualitative

47Comme nous l’avons vu dans la Partie 2, l’analyse qualitative, telle du moins que la définissent M. Huberman et M.B. Miles (1991), s’appuie sur des textes traités par la démarche inductive, ne vise pas l’objectivité des sciences dites « exactes » mais le consensus intersubjectif. C’est pourquoi elle est particulièrement sensible aux différents biais qui peuvent affaiblir ou invalider les résultats des recherches. En reprenant partiellement l’ouvrage de ces deux auteurs (p. 416), je présenterai ainsi (dans un ordre non significatif) les six archétypes de biais qui me semblent particulièrement à l’œuvre dans la conceptualisation en formation à la recherche en DLE [19] :

  1. Le biais holiste : il consiste à accorder a priori une certaine cohérence aux ensembles de données recueillies, aux dépens de la recherche des hétérogénéités et contradictions.
  2. Le biais universaliste, qui fonctionne en relais du biais holiste : il consiste à rechercher systématiquement de nouvelles données et à construire de nouvelles conceptualisations dans le but d’élargir au maximum l’aire de validité du principe de cohérence retenu. Ce biais est particulièrement repérable dans l’écriture de nombreuses thèses : alors même que leurs auteurs se situent dans une perspective de spécialisation qui justifierait amplement qu’ils limitent l’aire de validité de leurs propositions, ils se comportent souvent comme s’ils étaient persuadés que la défense de leurs propositions impliquait nécessairement l’affirmation de leur validité universelle. Tous les auteurs des différentes thèses qu’il m’a été donné de lire sur le jeu, par exemple, affirment ou suggèrent que cette technique (et parfois même un type précis de jeu) pourrait et même devrait être généralisée à tous les publics, domaines, activités, niveaux, objectifs et situations d’enseignement/apprentissage.
  3. Le biais élitiste : accorder a priori une portée particulière aux données/concepts/conceptualisations exposés dans des textes publiés, en particulier les écrits de didacticiens reconnus et/ou se réclamant d’autres disciplines plus reconnues dans l’Université.
  4. Le biais d’innovation : accorder a priori une importance et un intérêt supérieurs aux données/, concepts/, conceptualisations nouvellement apparus dans la discipline.
  5. Le biais individualiste : accorder a priori une fiabilité et un poids privilégiés aux données provenant de son expérience ou de ses observations personnelles.
  6. Le biais de proximité : privilégier les données/, concepts/, conceptualisations recueillis ou rencontrés le plus récemment.

48Dans la pratique, différents biais peuvent se combiner et se renforcer l’un l’autre. Il est par exemple très fréquent dans les thèses de jeunes chercheurs que les biais 1,2 et 3 se conjuguent dans un usage des citations qui réduit la pensée de leurs auteurs pour occulter (consciemment ou inconsciemment) les divergences entre eux. Autre exemple : dans les discussions collectives en séminaire de formation, les données ou idées relevant d’une expérience personnelle récente tendront à prendre une importance excessive (biais 5 et 6).

49Quoi qu’il en soit, on voit bien que la méthode sans doute la plus puissante pour lutter simultanément contre tous ces types de biais, c’est l’activité que j’ai appelée d’« extension », réalisée sous forme de recherche et de confrontation d’un maximum de données/, concepts/, conceptualisations provenant de sources les plus diversifiées possible.

3.2.3. Extension et éclectisme

50[20] Les deux dernières décennies ont été marquées en DLE par deux phénomènes conjoints :

  1. Les problématiques se sont multipliées au rythme de la différenciation des objectifs, publics, niveaux et contextes d’enseignement pris en compte, ce qui a provoqué une grande diversification des disciplines et des concepts auxquels les didacticiens font plus ou moins systématiquement appel [21]. Il n’est que de voir, par exemple, la progressive complexification des cadres conceptuels de la DLE proposés par Robert Galisson en 1972,1977,1985 puis 1990 [22].
  2. Les méthodologies constituées avaient fonctionné dans le passé comme des cadres conceptuels de référence pour l’analyse et la construction didactiques (c’est d’ailleurs pour cette raison que ce que nous appelons maintenant la « didactique » tendait à se limiter à la méthodologie). Leur disparition laisse les didacticiens désarmés pour construire une nouvelle cohérence méthodologique et didactique globale, confrontés qu’ils sont à des problématiques multiples difficiles à relier entre elles. Dans l’état actuel des choses, pour prendre deux exemples parmi les plus évidents, tant la problématique de l’enseignement et celle de l’apprentissage de la langue, d’une part, que la problématique de l’enseignement et celle de l’apprentissage de la culture, d’autre part, restent pour l’essentiel juxtaposées.

51Les exceptions sont encore rares, telles que les recherches (difficiles à opérationnaliser) portant sur la manière dont l’enseignant peut enseigner à apprendre, ou encore les propositions de Robert Galisson sur la lexiculture (voir par ex. son ouvrage de 1991). La permanence de l’explication de textes traditionnelle en second cycle scolaire, malgré toutes les critiques qui lui sont adressées de tous côtés depuis des décennies, tient essentiellement, à mon avis, au fait qu’elle fournit un modèle très rustique – mais pour cette même raison très simple, résistant et passe-partout – d’articulation forte entre d’une part enseignement et apprentissage (l’explication de textes traditionnelle est le moyen utilisé par l’enseignant pour que les élèves apprennent à faire une explication de texte traditionnelle), et d’autre part entre enseignement de la langue et enseignement de la culture (au moyen de l’un de ses postulats de base emprunté à la conception traditionnelle de la littérature, à savoir l’adéquation entre la forme et le fond) [23]. Les modèles d’analyse de textes directement inspirés de la linguistique ont au contraire en DLE l’inconvénient d’être complexes et d’un rapport efficacité/coût très variable selon les élèves et les textes. Alors que les linguistes universitaires ont tout le loisir de choisir leurs textes en fonction de leur modèle d’analyse (et ils ne s’en privent pas), les enseignants se retrouvent à l’inverse obligés d’utiliser des modèles différents adaptés à la diversité de leurs élèves et à la variété de leurs textes.

52Or l’opération d’extension se trouve tout particulièrement sollicitée en période éclectique dans les trois opérations didactiques fondamentales que sont l’analyse, la construction et la pratique :

  1. En ce qui concerne l’analyse didactique, l’éclectisme actuel est très influencé par la pensée dite « environnementaliste », qui amène les didacticiens à privilégier la prise en compte de la complexité et donc en particulier le très grand nombre de paramètres des situations d’enseignement/apprentissage et de leurs composantes : contextes et objectifs institutionnels [24], statuts de la langue et de la culture cibles et représentations les concernant, attentes, besoins et motivations des apprenants [25], stratégies d’apprentissage [26], types de supports et de tâches [27]. Il est significatif, à ce propos, que les premiers travaux du Conseil de l’Europe, à l’origine de l’approche communicative, se soient réclamés de l’approche systémique, outil inventé pour la gestion de la complexité.
  2. ce qui concerne la construction didactique, l’éclectisme actuel se traduit principalement par des propositions de diversification maximale des procédures didactiques mises en œuvre, et l’on peut constater, dans les manuels de français langue étrangère de ces quinze dernières années, comment les concepteurs de cours vont jusqu’à reprendre et juxtaposer types de supports, procédés, approches et démarches provenant de méthodologies différentes.
  3. En ce qui concerne la pratique didactique, enfin, l’influence des deux éléments ci-dessus a et b, mais aussi l’obsolescence de ces formidables machines à réduire la diversité méthodologique que sont les méthodologies dominantes, font que la variété et la variation méthodologiques ne peuvent plus être désormais considérées comme des traitements spécifiques de situations particulières (classes hétérogènes ou objectifs d’apprentissage différenciés, par exemple), mais comme le mode normal de tout enseignement.

4. STRATÉGIES DE FORMATION

53Je propose d’appeler « stratégies », en DLE, les méthodes que le sujet conçoit de manière explicite et qu’il utilise de manière raisonnée en fonction de ses préférences, compétences ou objectifs ainsi que de l’ensemble de son environnement perçu (dont font partie les stratégies mises en œuvre par les autres – en l’occurrence, par les autres étudiants ou stagiaires et formateurs).

4.1. Opérations de réduction/extension et stratégies de formation

54Certains pourraient penser que la didactique, en tant que discipline d’intervention orientée vers l’action, doit privilégier la simplification aux dépens de la complexification, la réduction aux dépens de l’extension. Ce serait oublier les exigences liées à la nature de sa problématique. Edgar Morin signale justement que dans la perspective de l’action en milieu complexe (et c’est bien le cas en DLE), simplification et complexification sont à penser dans un rapport dialogique :

55

Là où il y a multiplicité d’événements et de phénomènes, d’aléas et d’incertitudes, les stratégies cognitives visent de façon complémentaire (et antagoniste) à simplifier et à complexifier la connaissance.
La simplification : a) sélectionne ce qui présente de l’intérêt pour le connaissant et élimine tout ce qui est étranger à ses finalités ; b) compute le stable, le déterminé, le certain, et évite l’incertain et l’ambigu; c) produit une connaissance qui peut être aisément traitée pour et par l’action.
La complexification, également au service de l’efficacité de l’action : a) cherche à tenir compte du maximum de données et d’informations concrètes ; b) cherche à reconnaître et computer le varié, le variable, l’ambigu, l’aléatoire, l’incertain.
La mission vitale de la connaissance comporte ainsi la double, contradictoire et complémentaire exigence : simplifier et complexifier, et les stratégies cognitives doivent combiner, alterner, choisir la voie de la simplification et de la complexification. (1986, pp. 63-64, je souligne)

56Il est intéressant de constater que A.M. Huberman et M.B. Miles affirment eux aussi la nécessité de combiner ces deux opérations pour la recherche qualitative en général, et ils notent que les enseignants, en particulier, les combinent spontanément dans leur pratique professionnelle :

57

Dans sa forme la plus achevée, la méthode [de l’analyse qualitative] combine deux cycles imbriqués. Le premier s’intitule « induction par énumération », qui consiste à recueillir des exemples nombreux et variés allant tous dans la même direction. Le second est l’« induction par élimination », où l’on teste son hypothèse en la confrontant à d’autres, et où l’on cherche soigneusement les éléments pouvant limiter la généralité de sa démonstration. […] La logique du « modus operandi » utilisé comme outil de localisation de problèmes dans plusieurs professions – médecins légistes, garagistes, cliniciens, officiers de police, enseignants – reflète bien ce va-et-vient entre l’induction par énumération et l’induction par élimination. (1991, pp. 412-413, je souligne)

58Dans la phase 2 de la formation à la DLE (d’interformation), il me semble que c’est l’opération d’extension qui doit être non seulement chronologiquement première, mais même constamment privilégiée par les formateurs, et ceci pour plusieurs raisons :

  1. permet de lutter à leur source contre les différents biais signalés ci-dessus.
  2. constitue un préalable obligé à la théorisation didactique, dans la mesure où c’est elle qui va fournir les inventaires systématiques sur lesquels ensuite vont pouvoir être effectuées les conceptualisations de premier et de second degré. Pour filer une métaphore déjà utilisée, je dirai que même si la carte d’un territoire est une version simplifiée de la réalité, elle est cependant d’autant plus juste que les données recueillies sur le terrain ont été nombreuses.
  3. permet la mise en œuvre d’une stratégie autoformative plus active (les étudiants ou stagiaires sont invités à ne pas se contenter des exemples donnés par les « spécialistes » de la question, mais à rechercher d’autres exemples et contre-exemples) et plus autonomisante (ils sont invités à repérer les réductions opérées par les didacticiens et à se constituer eux-mêmes un ensemble complexe de données, concepts et cadres conceptuels).
  4. situe d’emblée le travail de conceptualisation didactique dans le cadre épistémologique le mieux approprié aux spécificités de la DLE et à la situation éclectique actuelle, en imposant dès le départ la prise en compte de la complexité dans les différents domaines didactiques. Elle apparaît d’autant plus nécessaire en formation que chez certains didacticiens domine encore le paradigme de simplification, et que la manière la plus efficace de contrer celui-ci est d’inviter les étudiants ou stagiaires à se constituer des inventaires les plus exhaustifs possible.

59Dans une discipline d’intervention comme la DLE, il est certain que l’opération d’extension/complexification tend à se réaliser aux dépens de l’opérationnalité. Un bon exemple me semble être l’adaptation de la taxonomie de D’Hainaut proposée par G. Dalgalian, S. Lieutaud et F. Weiss (1981, pp. 69-74), trop détaillée pour être effectivement utilisable aussi bien dans la conception et l’analyse des matériels didactiques que dans l’observation et la pratique des classes de langue. Mais il me semble que la réduction, en formation à la DLE, ne devrait intervenir principalement que dans la phase 3 (d’autoformation), où elle est alors indispensable parce que directement et consciemment liée aux exigences méthodologiques de la recherche, aux projets d’intervention et aux contraintes de l’action.

60Un consensus entre les formateurs sur ce principe devrait leur permettre de dégager en commun un certain nombre d’orientations méthodologiques pour la phase 2 de la formation à l’enseignement et à la recherche en DLE. En ce qui concerne le recueil de données empiriques et de concepts, on peut penser par exemple à des observations de classe, à des échanges d’expériences, à des séances de brainstorming, à l’organisation d’alternances entre recherche individuelle et mise en commun, à des activités prenant appui sur les index et les tables de matières d’ouvrages et de revues de didactique, etc. En ce qui concerne la manipulation proprement dite de ces données et concepts, on pourra sans doute s’inspirer de la typologie des exercices grammaticaux utilisés depuis des décennies en DLE (repérage/reconnaissance, conceptualisation [28], application, entraînement, réemploi) pour imaginer, en formation des étudiants ou stagiaires, toute une gamme d’activités correspondantes.

4.2. Typologie des stratégies de formation

61En l’absence d’études connues sur la question, je ne puis pour l’instant que me baser sur ma seule expérience de formateur à la recherche en DLE pour proposer une typologie des stratégies personnelles d’autoformation à statut par conséquent moins descriptif qu’heuristique. Fidèle à mon orientation épistémologique, je fais l’hypothèse qu’une formation complexe, c’est-à-dire une formation à la complexité de la (recherche en) DLE, caractéristique de la phase d’« interformation », doit se faire en s’appuyant sur la stratégie de référence de chaque étudiant, tout en l’amenant à la fois à diversifier au maximum les stratégies utilisées et à les faire servir à son autonomisation. Le rôle du formateur est donc le même que celui attendu de l’enseignant vis-à-vis des stratégies d’apprentissage de ses élèves.

62Les « exemples » présentés dans ce tableau sont soit bien connus en didactique (en gras), soit empruntés à mes productions de ces dernières années (en italique), certains de ces derniers exemples étant repris dans le présent article (en italique + gras).

tableau im3
Stratégies de formation PANORAMIQUE TRANSVERSALE « MÉTA » PERSONNELLE métaphore le « balisage » la « coupe » la « perspective » le « parcours » donner une vue donner des élé- donner un point permettre un d’ensemble sur la ments ou des de vue sur un cheminement totalité des outils d’analyse ensemble de personnel parmi problématiques communs à de problématiques les problémaobjectif didactiques nombreuses pro- en fournissant tiques didactiques blématiques une perspective didactiques diffé- extérieure rentes – schémas géné- – méthodes et – modèle « pers- – cursus de raux du champ noyaux durs pective objet et formation par de la DLE méthodologiques perspective sujet » modules optatifs – tableau général – intégration – modèle des probléma- didactique « méthodologie/-tiques didactiques – oppositions didactique/-exemples – schéma général méthodologiques didactologie » de l’évolution des fondamentales conceptions de l’enseignement/- apprentissage culturel

CONCLUSION

63Les lecteurs auront compris qu’au-delà de mon objectif personnel d’hommage à mon ami Robert Galisson – que j’ai voulu aussi appuyé qu’il est sincère et mérité –, je me suis donné dans cet article un autre objectif « de circonstance » [29], à savoir un appel tout aussi appuyé en faveur d’un programme de recherche et d’action sur la formation à la recherche en DLE. J’ai voulu y montrer que le décalage entre d’une part la recherche sur la relation enseignement/apprentissage et d’autre part la recherche sur la relation hétéroformation/autoformation [30] est devenu préoccupant, et qu’il est urgent de se mettre à réfléchir collectivement sur les moyens de le combler. Dans un article célèbre auquel il est fait allusion ailleurs dans ce numéro, Robert Galisson attirait l’attention sur le décalage existant entre les contenus de la recherche en didactique et les pratiques d’enseignement : il existe parallèlement un décalage tout aussi inquiétant entre les contenus et les pratiques de la formation à l’enseignement et les contenus et pratiques de la formation à la recherche, et ces deux décalages doivent être combattus simultanément parce qu’ils se justifient et se renforcent l’un l’autre.

64Pour la DLE, il ne s’agit pas seulement de tactique conjoncturelle, celle que Robert Galisson s’est souvent retrouvé obligé à mettre en œuvre ces dernières années pour contrer les prétentions des applicationnistes de tous bords. Il s’agit aussi, comme par ailleurs il le dit et l’écrit depuis longtemps :

  • d’une question de crédibilité disciplinaire : toute discipline, pour répondre aux exigences liées à ses trois dimensions fondamentales – épistémologique, idéologique et déontologique – doit intégrer une réflexion-produit (un projet interne) et une réflexion-processus (un débat interne) sur les objectifs, les contenus et les méthodes de cette dimension fondamentale que constitue sa formation professionnelle;
  • et d’une question de survie disciplinaire : un domaine tel que celui de la DLE n’a d’avenir institutionnel que s’il intègre fortement, en tant que condition de sa reproduction universitaire, la problématique de la formation de ses propres enseignants-chercheurs.

65Cet article d’hommage, comme les autres de ce numéro spécial, est rédigé à l’occasion d’un départ à la retraite, et il ne peut pas, puisqu’il s’est voulu tourné vers le futur, ne pas conclure sur la question de la poursuite de l’œuvre de Robert Galisson et de l’avenir de ses idées, et sur la question plus générale de la relève de tous ces didacticiens français qui ont fait partie de la génération des créateurs historiques de la discipline « didactique du FLE » dans les années 60-70.

66Il m’est particulièrement délicat d’en parler : je suis en effet très « partie prenante » sur la question parce que je partage et défends, comme tous les lecteurs ont pu le constater, sa conception de notre discipline; et à la fois très « partie prise » parce que, comme sans doute la plupart des lecteurs ne le savent pas, Robert Galisson avait souhaité que je prenne sa succession à l’université de Paris-III. Ses collègues de la commission de recrutement en ont décidé autrement, et il en a conçu un tel ressentiment qu’il n’a pas souhaité que lui soit rendu, dans sa propre Université, cet hommage aussi amical que traditionnel que l’on appelle familièrement le « pot d’adieu ». Paradoxalement, c’est à l’étranger, en Italie, que lui aura été rendu pour l’instant le seul hommage « présenciel », à l’Université de Turin qui l’a fait solennellement Doctor honoris causa le 23 avril 2001. Et pourtant, au risque d’être soupçonné de régler ici des comptes personnels [31], je me sens moralement obligé d’en parler en ce moment, non seulement par amitié envers lui, mais aussi parce que je sais qu’aucun autre le fera, alors que cet échec dans la gestion de sa propre succession lui a causé, au-delà d’une forte amertume personnelle, une grande inquiétude sur l’avenir d’une didactique des langues-cultures telle qu’il l’avait souhaitée, ouverte généreusement à tous les acteurs – qu’ils soient chercheurs universitaires, formateurs ou enseignants « de terrain » –, à toutes les langues (la formation doctorale qu’il a créée en septembre 1985 à l’université de Paris-III s’intitule « Didactologie des langues-cultures »), à tous les contextes, et même à toutes les autres disciplines « contributoires ». C’est essentiellement pour cette dernière ouverture qu’il la voulait autonome : au niveau d’un individu ou d’une collectivité (qu’elle soit ethnique, culturelle, politique ou universitaire), on ne s’ouvre aux autres de manière profitable que si l’on dispose déjà d’une identité assumée en interne et reconnue en externe [32].

67Certains collègues, au nom d’une vision que je considère pour ma part comme fort abstraite et idéaliste des relations interdisciplinaires au sein de l’Université française, reprochent à Robert Galisson ainsi qu’à moi-même – et certains le font, comme c’est leur droit, dans le présent numéro – de nous opposer d’une manière à leurs yeux obsessionnelle et polémique – comme je vais encore le faire dans les lignes suivantes –, à tous ceux qui, linguistes, sociolinguistes, psycholinguistes et autres mutants applicationnistes présents ou à venir, prétendent intervenir en tant que tels à l’intérieur de notre discipline.

68Mais comment ne pas réagir ainsi, lorsque nous voyons ces représentants d’autres disciplines littéralement « squatter » les formations universitaires françaises à l’enseignement et à la recherche en DLE dans le seul but de se procurer un nombre d’étudiants et d’heures de cours qu’ils n’obtiendraient jamais sous leur propre bannière ?

69Comment ne pas réagir ainsi, lorsque nous constatons année après année que ces représentants d’autres disciplines contrôlent étroitement les commissions universitaires d’habilitation et de recrutement sur les postes de formateurs en DLE au profit exclusif de leurs pairs et de leurs étudiants, et aux dépens de ceux qui ont pris le risque de se former et de se déclarer comme de véritables (et donc de « simples ») didacticiens de langues ?

70Sur cette question de l’applicationnisme, le souhait le plus vif que je formule personnellement pour notre discipline, de manière paradoxale pour un article d’hommage, c’est que le combat pour lequel Robert Galisson a dû dépenser une trop grande partie de son énergie soit le plus vite possible complètement dépassé. Parce que cela signifierait que les jeunes didacticiens qui prendront notre relève pourraient enfin se consacrer pleinement et sereinement au développement d’une DLE capable de faire vivre, dans le domaine des Sciences humaines qu’ils pourraient se construire en toute responsabilité – c’est-à-dire en toute liberté –, les valeurs qui sont les leurs et qui sont aussi celles de tous ceux qui, en lisant ces lignes, m’ont accompagné en pensée dans cet hommage à notre ami commun.

71Merci, Robert, au nom de tous ces collègues et en mon nom personnel, pour avoir ainsi consacré avec une telle constance la force de tes convictions personnelles au service de ce projet collectif. L’expérience des luttes que toutes les disciplines nouvelles ont dû livrer par le passé, et parfois pendant très longtemps, pour imposer leur légitimité universitaire au nom de leur utilité sociale, nous donne l’intime conviction que l’histoire te donnera raison.

Bibliographie

BIBLIOGRAPHIE

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Notes

  • [1]
    Voir à ce sujet, par exemple, Puren, Ch. 1994a, pp. 32-41.
  • [2]
    Pour les lecteurs non initiés à cette terminologie (un peu ancienne il est vrai), « sgaviste » est l’adjectif qui correspond à « SGAV », initiales de « structuro-globale-audiovisuelle », qualificatif qui désigne historiquement la méthodologie mise au point par le CRÉDIF à la fin des années 50, et dont le cours prototypique a été Voix et Images de France (1re éd. expérimentale 1958,1re éd. commerciale 1961).
  • [3]
    Il manque encore en langue française le terme adéquat pour cette activité intellectuelle : stricto sensu, en effet, on n’« applique » pas un modèle, simplement on le « fait fonctionner » dans le sens où l’on « fait tourner » un programme informatique. C’est-à-dire que l’évaluation des résultats qu’il produit se fait pragmatiquement et a posteriori, et n’est aucunement lié à une adéquation que l’on postulerait a priori entre le modèle et la réalité.
  • [4]
    On remarquera que cette description peut a priori s’appliquer tout aussi bien à la formation qu’à l’enseignement.
  • [5]
    « Le principe dialogique consiste à faire jouer ensemble de façon complémentaire des notions qui, prises absolument, seraient antagonistes et se rejetteraient les unes les autres » (Morin, E. 1991, p. 292). Ce principe correspond à l’une des formes les plus caractéristiques de la pensée complexe, à savoir la logique dite « récursive ».
  • [6]
    Un module d’initiation à la DLE est offert en France aux étudiants de dernière année de licence de langues étrangères dans le cadre de la préparation à l’entrée dans les IUFM.
  • [7]
    On retrouve en formation les deux premières opérations fondamentales de l’enseignement, à savoir la sélection et la gradation des contenus. La réflexion sur ce que donnerait l’application systématique à la formation de la suite du processus didactique (présentation, explication, exercisation, évaluation) ne manquerait pas non plus d’intérêt…
  • [8]
    J’emprunte cette expression à A.M. Huberman et M.B. Miles (1991), qui parlent de « constructs » que le chercheur va devoir relier dans des « cadres conceptuels » (ou « théories ») de plus en plus larges. Voir la présentation des idées de ces deux auteurs dans mon article de 1997.
  • [9]
    Le critère d’une bonne thèse, cependant, est que l’étudiant ait suffisamment problématisé son sujet tout au long de sa recherche pour se retrouver obligé en fin de travail à complexifier sa configuration conceptuelle de départ : en d’autres termes, une bonne thèse se mesure à l’aune de ses « gains conceptuels ». J’aurais tendance à penser, sur la base il est vrai de ma seule expérience, que le thème du jeu en DLE est d’un intérêt très limité en formation à la recherche, les conclusions des mémoires de DEA et thèses que j’ai lus sur ce sujet n’apportant nul gain de ce type par rapport aux introductions correspondantes. Cette remarque ne vaut bien sûr aucunement pour le jeu dans la formation à l’enseignement…
  • [10]
    Robert Galisson, par exemple, organisait systématiquement des « pré-soutenances de thèse » devant ses étudiants en formation doctorale.
  • [11]
    Pour la présentation de ces trois phases historiques, voir Puren, Ch. 1994b et 1999.
  • [12]
    Ces croisements étaient représentés graphiquement par des « tableaux structuraux ».
  • [13]
    Sur la présentation des trois niveaux de conceptualisation didactique, et des concepts de différents degrés qui y sont produits, voir Puren, Ch. 1997.
  • [14]
    Pour une présentation plus générale de la problématique éthique en DLE, voir Puren, Ch. 1994c.
  • [15]
    Pour une présentation de ces différents critères en partie contradictoires, voir Puren, Ch. 1995.
  • [16]
    J’utilise ce concept dans le sens d’unité minimale de cohérence méthodologique correspondant dans les pratiques d’enseignement/apprentissage à un ensemble de manières de faire mettant en œuvre un principe unique. Pour l’utilisation de ce concept en analyse didactique, voir Puren, Ch. 2000.
  • [17]
    Dans les instructions officielles de l’Éducation nationale française, par exemple, « mémorisation » est encore fréquemment utilisé dans le sens d’« assimilation » (voir note suivante).
  • [18]
    Je signale au passage que pour la même raison d’autres définitions plus ponctuelles devront elles aussi se faire sur la base d’une description des comportements correspondants. On définira ainsi le concept d’« assimilation » en disant : « Il y a assimilation lorsqu’une structure peut être réemployée spontanément pour l’expression personnelle en situation de communication authentique. ». On « encapsule » ainsi les problèmes spécifiques que pose aux psycholinguistes et neurologues la description du processus psychologique et des traces neurobiologiques correspondantes.
  • [19]
    Je m’appuie également pour ce faire sur mon expérience de directeur et membre de jury de thèses en DLE.
  • [20]
    J’ai développé longuement mes idées sur l’éclectisme actuel en DLE dans mon ouvrage de 1994 (a).
  • [21]
    Sur ce point, voir par ex. Puren Ch. 1994a, pp. 32-41.
  • [22]
    Voir, dans le n° 79 des ÉLA (juil.-sept. 1990) qui recueille tous ces articles, les tableaux respectivement des pages 145,126,114 et 13-24 (à consulter dans cet ordre, les articles étant classés par ordre chronologique inverse).
  • [23]
    Voir en Partie 2, Figure 2 de Formation en questions une modélisation par niveaux des différentes activités d’« explication de textes ».
  • [24]
    Cf. la conception par certains didacticiens canadiens d’un « curriculum multidimensionnel ».
  • [25]
    Voir l’apparition en DLE, dans les années 70, de la problématique dite de « l’analyse des besoins ».
  • [26]
    Bien que les recherches peinent à les mettre en évidence, il y a consensus pour les considérer comme nombreuses et diversifiées.
  • [27]
    Dans les types de supports, on est passé en didactique du FLE des dialogues fabriqués à une grande diversité de documents authentiques. En ce qui concerne les tâches, l’une des hypothèses actuelles des psychologues cognitivistes concerne la diversité des opérations mentales effectuées par les apprenants suivant chaque type de tâches (d’où l’intérêt des tâches variées et complexes en classe).
  • [28]
    Prise ici dans le sens précis qu’elle a dans l’expression « conceptualisation grammaticale », c’est-à-dire celui de construction d’une représentation mentale (en l’occurrence, celle d’une organisation sémantique ou morphologique, ou d’une règle de fonctionnement syntaxique).
  • [29]
    « De circonstance » dans le sens positif que la langue française n’attribue malheureusement pas à ce mot, celui de « parfaitement adapté aux circonstances », de « contextualisé ».
  • [30]
    Dans la formation à la recherche, sujet de cet article, mais l’analyse vaut globalement tout autant pour la formation à l’enseignement.
  • [31]
    Étant donné les conditions dans lesquelles Robert Galisson a pris sa retraite, j’échappe au moins à l’autre soupçon possible, celui de cultiver ici un quelconque intérêt en termes de carrière personnelle…
  • [32]
    Les enseignants de langues en milieu scolaire le savent bien, à qui la société confie la difficile mission d’« ouvrir à l’altérité » des adolescents qui en sont à un moment où ils ne peuvent se poser qu’en s’opposant, et qui se cherchent dans le regard des autres qu’ils essayent en même temps de provoquer.
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