Notes
-
[1]
Dans D’hier à aujourd’hui la didactique générale des langues étrangères, CLE international, Paris, 1980, p. 123. Le titre reste d’actualité !
-
[2]
Je fais référence ici aux années 1970-1980.
-
[3]
Il me revient en mémoire en écrivant ces lignes le conseil que me donnait alors un inspecteur auquel je confiais, à l’issue d’une leçon, mon envie d’en savoir un peu plus sur la didactique des langues étrangères : « Oui, bien entendu, c’est très beau tout cela, mais ne vous éloignez pas de la discipline et pensez plutôt à l’agrégation ». Il n’avait sans doute pas tort, mais en quoi pouvais-je aider mes élèves à mieux réussir avec une agrégation ?
-
[4]
Un élève germaniste était obligatoirement un bon élève. On peut évaluer à présent le mal qu’ont entraîné cette conviction et un certain élitisme chez les enseignants d’allemand.
-
[5]
Je pense ici plus précisément aux séances de conseils de classe qui dans leur évaluation sommative ne laissent plus d’espace de remédiation… si tant est qu’il y en ait eu un avant !
-
[6]
Ce terme qui équivaut aux traductions de Learner ou Lerner, et que l’on a substitué au terme ancien d’« élève », serait en soi porteur si les « apprenants » apprenaient vraiment. Mais comme le dit si justement Philippe Meirieu : « Il ne suffit pas d’enseigner pour que les élèves apprennent ».
-
[7]
On pourrait plagier La Fontaine : … font plus que force ni que rage.
-
[8]
…dont on dit qu’elles permettent l’apprentissage de l’autonomie, et qui font pourtant cruellement défaut aux apprenants pour qu’ils parviennent à une réelle autonomie de l’apprentissage.
-
[9]
En effet, pour montrer leur gratitude, les élèves me donnaient parfois des réponses trop parfaites, et dans le travail de recherches qui m’occupait, je me devais de rester honnête et lucide.
-
[10]
Celui du savoir, bien entendu, mais sans doute aussi celui de la notation.
1J’ai découvert cette phrase, je devrais dire ce conseil sage et éclairé de R. Galisson en 1980 [1], et je dois avouer qu’immédiatement il a éveillé en moi l’envie de le mettre en pratique. Sous les mots a priori modestes se cache en fait une des clés de la réussite de l’enseignement/apprentissage pour les gens de terrain que nous avons été et les formateurs d’enseignants que nous sommes aujourd’hui. Je vais tenter ici-même d’exposer brièvement comment la patience et la prudence de l’enseignant qui ose expérimenter avec ses apprenants permettent de créer des espaces d’apprentissage fructueux dont il est question dans les orientations officielles, mais qui restent souvent lettre morte, sans doute parce que le retour des expérimentations individuelles du terrain font gravement défaut, ou encore parce que les solutions toutes faites n’existent (heureusement) pas.
2J’aurais aimé être renseigné dans mes premières années d’enseignement [2] sur la manière dont un enseignant de base pouvait installer ses élèves au centre d’un dispositif d’éducabilité cognitive et affective. J’ai longtemps cherché et n’ai rien trouvé. Rien de cela où que ce soit. Seule référence de l’époque : les instructions ministérielles et disciplinaires que les inspecteurs avaient mission d’expliciter et, rappelez-vous, « Hors de la discipline point de salut… » [3] Et pourtant commençaient à poindre dans de nombreux ouvrages, et parfois même dans les discours pédagogiques, les notions de différenciation, de profils d’apprentissage, de centration sur l’apprenant, de droit à l’erreur et d’autonomie. Comment donc faire pour mettre en œuvre ces beaux concepts qui donnent bonne conscience à ceux qui les manient verbalement, mais qui demeurent inopérants ? C’est la petite phrase « banale » de R. Galisson qui, à mon avis, apportait une réponse. Elle donnait libre cours au volontarisme de l’enseignant et lui permettait en même temps de se qualifier en tant que professionnel. Il suffisait de se transformer en défricheur sur le terrain pédagogique pour expérimenter des ouvertures nouvelles, non pas seul en tant qu’enseignant retranché derrière son savoir-savant, mais dans l’échange qui naît au sein du groupe-classe dans l’apprentissage dispensé et partagé au quotidien. Bien entendu, la tâche demandait un certain investissement personnel, mais plus encore que l’investissement, une certaine foi dans la collaboration honnête entre apprenants et enseignants pour qu’enfin puisse être mise en avant la notion de réussite et gommée celle de l’insuccès.
3Je me souviens que dans ces années-là un élève qui ne réussissait pas était un élève sans savoir-faire [4]. Car un bon élève possédait des outils mentaux et savait décrypter de manière intuitive, sans doute grâce aux vertus du lait du biberon, les attentes de ses enseignants. J’eus la chance de rencontrer des élèves en difficulté dans ma discipline, et pour lesquels il m’importait de trouver des issues gratifiantes. Et la petite phrase me poussa à l’action. En effet, n’est-il pas trop facile de déclarer de manière péremptoire, a fortiori lorsque le chemin est devenu irréversible [5], que tel groupe d’apprenants manque de méthode, qu’il ne donne pas satisfaction, qu’il n’arrive pas à atteindre des résultats dignes de tel ou tel niveau, que la plupart des apprenants [6] manquent d’autonomie, etc., alors que l’on ne sait pas toujours très précisément ce qu’il faut placer sous l’étiquette « méthode », que la notion de niveau est une notion très arbitraire d’un groupe à l’autre et que l’autonomie est un de ces jolis concepts cités par tous mais que personne ne sait mettre en pratique. Comment donc faire pour qu’enseignement et apprentissage coexistent et se renforcent, pour qu’enseignants et apprenants avancent ensemble même si la cadence de l’un des membres de la communauté d’apprentissage diffère de celle de l’autre ? Cette question est toujours d’actualité, particulièrement lorsque l’on est en formation initiale. Patience et prudence… [7]. Partons à la découverte des chemins les plus sûrs !
4Et c’est là précisément que le terme de « chemin » employé par R. Galisson revêt toute son importance : en effet, le terme n’est pas neutre, loin s’en faut. Si l’on se penche sur l’étymologie du mot « méthode », on découvre qu’il se traduit par deux mots indissociables : « chemin avec », soit le chemin que doit parcourir tout apprenant pour parvenir à un quelconque savoir ou savoir-faire. Et le « avec »?, me direz-vous, le fameux cum latin de « com-prendre », qu’en fait-on ? Eh bien, on ne le laisse pas de côté. Car, dans la sphère de l’apprentissage, que l’on soit enseignant ou apprenant, on ne chemine pas seul, on chemine ensemble. Pourquoi l’ou-blie-t-on encore si souvent ? Pourquoi aussi parfois le chemin est-il occulté ? Cette envie de marcher avec mes élèves d’autrefois et avec mes étudiants et stagiaires aujourd’hui me fut insufflée par cette petite phrase toute simple. Cette phrase me donna l’occasion de réfléchir sur la mission de celui qui enseigne aux autres, elle me poussa à sortir des chemins battus pour essayer de trouver des accès fiables et sécurisants vers les fameuses « méthodes de travail » [8] devenues les arlésiennes de la pédagogie, et dont les enseignants attendent la génération spontanée tout en déplorant chroniquement leur absence. Aujourd’hui cette petite phrase, d’apparence anodine, c’est sans doute le meilleur cadeau que je puisse transmettre à mes stagiaires en formation, à ces futurs collègues qui vont devoir cheminer sur d’autres nouvelles pistes.
5Et si l’enseignant décidait de parler de sa discipline, s’il sondait les représentations qu’en ont les apprenants, s’il cherchait à établir un dialogue avec ceux qui en principe aiment cette discipline mais aussi bien entendu avec ceux qui la redoutent, s’il montrait qu’il va servir de guide et que son rôle est de les aider à franchir les étapes cognitives par lesquelles ils vont devoir passer pour atteindre le savoir, s’il annonçait qu’il est en mesure de fabriquer des outils diversifiés que les uns et les autres utiliseront (ou non) dans leur démarche vers la connaissance, s’il aidait véritablement ses apprenants à apprendre, s’il expliquait qu’il est utile de faire des erreurs car on ne peut apprendre sans se tromper, s’il commentait les démarches cognitives sa spécialité en montrant qu’il va se mettre à la portée de ceux qui ont tout à apprendre ? En un mot, s’il expérimentait avec son groupeclasse sans démagogie, mais avec conviction, prudence et patience ?
6Ce fut ma première ouverture : je proposais des voies, les apprenants pouvaient ou non les suivre, ils choisissaient ce qui leur paraissait profitable, de sorte que la classe devenait le lieu où l’on négocie le projet avec l’enseignant, le lieu aussi où l’on parle de la « méthode ». Ce n’est pas pour autant que les résultats progressèrent qualitativement, mais il me semble que chaque candidat germaniste était renvoyé à sa conscience d’apprenant, tandis que je dressais pas à pas le bilan de mon action d’enseignement. Ceci m’entraîna sur des chemins que je n’aurais jamais pensé emprunter : puisqu’il est possible d’aider les apprenants à mieux apprendre en les plaçant dans un cadre qui facilite leur apprentissage, pourquoi ne pas également s’intéresser à la manière dont se déroule l’apprentissage, pourquoi donc en langues vivantes ne pas essayer de suivre le tracé que chacun se construit pour intégrer le système de la langue ? L’idée me semblait généreuse, elle fut bien accueillie par mes élèves qui s’efforcèrent de donner le meilleur d’eux-mêmes au point de parfois faire mentir les recueils de données et les statistiques [9]. En revanche, je me fis dire par la hiérarchie à plusieurs reprises sur le ton du reproche que ma démarche était cognitiviste, donc vraisemblablement déplacée pour un germaniste. Mais peu importe, j’expérimentais, je vivais mon enseignement avec enthousiasme et mes élèves avaient plaisir à apprendre l’allemand. Qu’aurais-je pu souhaiter de plus ?
7En me penchant sur ces années passées, il m’apparaît que le fait d’expérimenter avec audace me donnait un avantage incontestable : nul ne pouvait me reprocher de rester volontairement vague dans la définition des objectifs, flou et arbitraire dans la manière d’évaluer, et si d’aventure un apprentissage ne se faisait pas, la responsabilité de l’échec ne n’incombait plus entièrement. L’apprentissage était enfin partagé entre l’enseignant et les apprenants. Mais ceci va naturellement plus vite à relater qu’à mettre en place sur le terrain. Car il fallut du temps et du doigté pour faire passer cette envie de collaboration aux uns et aux autres, le changement ne s’opérant que lentement. Vous ne serez pas étonnés de lire que ce sont les apprenants et leurs parents qui furent les plus enthousiastes vis-à-vis de ces expérimentations, car les collègues, sans me l’exprimer directement, commençaient à trouver ma démarche embarrassante : j’en faisais sans doute trop, je dérangeais l’ordre établi, je devais peut-être même leur faire de l’ombre par le simple fait d’expliciter ma démarche. Afficher la transparence leur faisait certainement craindre que le fameux pouvoir de l’enseignant [10] ne finisse par être remis en question. Quant à l’administration, elle ne souhaitait pas non plus être forcée de réviser trop vite des procédures d’évaluation qui se perpétuaient confortablement depuis des décennies, et à propos desquelles personne n’avait jamais trouvé à redire.
8Les temps changent. On ne peut plus véhiculer en ce début de XXI e siècle des schémas de classe éculés auxquels les élèves ne peuvent plus adhérer. Il faut sortir de ces limites et proposer des ouvertures enthousiasmantes pour les uns et les autres. Il échoit aux IUFM d’enseigner aux futurs collègues les bienfaits de l’expérimentation partagée. Nous devons convaincre les professeurs de demain qu’en termes de pédagogie et de didactique rien n’est jamais figé, et qu’il est essentiel d’expérimenter et d’intervenir par soi-même pour éviter une routine stérilisante. Si tel est le cas, alors la petite phrase de R. Galisson, sorte de sonate pédagogique, trouvera son accomplissement total en étant jouée et orchestrée conjointement par tous les membres de la communauté scolaire.
Notes
-
[1]
Dans D’hier à aujourd’hui la didactique générale des langues étrangères, CLE international, Paris, 1980, p. 123. Le titre reste d’actualité !
-
[2]
Je fais référence ici aux années 1970-1980.
-
[3]
Il me revient en mémoire en écrivant ces lignes le conseil que me donnait alors un inspecteur auquel je confiais, à l’issue d’une leçon, mon envie d’en savoir un peu plus sur la didactique des langues étrangères : « Oui, bien entendu, c’est très beau tout cela, mais ne vous éloignez pas de la discipline et pensez plutôt à l’agrégation ». Il n’avait sans doute pas tort, mais en quoi pouvais-je aider mes élèves à mieux réussir avec une agrégation ?
-
[4]
Un élève germaniste était obligatoirement un bon élève. On peut évaluer à présent le mal qu’ont entraîné cette conviction et un certain élitisme chez les enseignants d’allemand.
-
[5]
Je pense ici plus précisément aux séances de conseils de classe qui dans leur évaluation sommative ne laissent plus d’espace de remédiation… si tant est qu’il y en ait eu un avant !
-
[6]
Ce terme qui équivaut aux traductions de Learner ou Lerner, et que l’on a substitué au terme ancien d’« élève », serait en soi porteur si les « apprenants » apprenaient vraiment. Mais comme le dit si justement Philippe Meirieu : « Il ne suffit pas d’enseigner pour que les élèves apprennent ».
-
[7]
On pourrait plagier La Fontaine : … font plus que force ni que rage.
-
[8]
…dont on dit qu’elles permettent l’apprentissage de l’autonomie, et qui font pourtant cruellement défaut aux apprenants pour qu’ils parviennent à une réelle autonomie de l’apprentissage.
-
[9]
En effet, pour montrer leur gratitude, les élèves me donnaient parfois des réponses trop parfaites, et dans le travail de recherches qui m’occupait, je me devais de rester honnête et lucide.
-
[10]
Celui du savoir, bien entendu, mais sans doute aussi celui de la notation.