1Martin GIRAUDEAU, LA FABRIQUE DE L’AVENIR. UNE SOCIOLOGIE HISTORIQUE DES BUSINESS PLANS, Thèse de doctorat de sociologie, sous la direction de Franck Cochoy, soutenue à l’Université de Toulouse II le 18 mars 2010
2Les développements récents de la sociologie économique, et notamment ceux consacrés aux acteurs, aux objets et aux institutions qui peuplent et équipent les marchés, appellent une nouvelle rencontre entre la sociologie, l’histoire et les sciences de gestion. C’est ce à quoi s’emploie la thèse de Martin Giraudeau.
3Le mémoire en est composé de cinq chapitres indépendants, les deux premiers sont consacrés à Pierre-Samuel Du Pont de Nemours et à son fils à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, le suivant à l’étude des manuels de business planning depuis 1945, le quatrième porte sur la formulation du projet dans le cadre du dispositif ACCRE (Aide aux chômeurs créateurs et repreneurs d’entreprises) entre 1987 et 1997, le dernier sur la planification stratégique de Renault au Brésil (1994-1998). Ces « coups de sonde » sont au service d’un propos ambitieux : étudier la genèse du business plan comme forme standardisée ayant colonisé de nombreux domaines de la vie économique et sociale et inscrire une telle étude dans le programme d’une sociologie attentive aux rapports entre réalités, virtualités et actualités, ou, pour reprendre une formule de l’auteur, attentive autant aux effets sociaux du passé qu’à ceux de l’avenir. Cette dernière formulation, brillante mais peut-être un trop ostensiblement placée sous l’égide d’un Tarde (faux nez de Latour) apôtre d’une sociologie de l’avenir contre les sociologies « des tombes et des cimetières », est sans doute moins prometteuse que les chantiers empiriques qu’ouvre cette thèse. Ainsi, l’étude des projets d’installations en Amérique de Pierre-Samuel Du Pont, biographie sociologique sous la forme d’un passionnant voyage dans les esquisses et projets, mémoires et propositions successifs, est un récit haletant visant à mettre en relief une sorte de première germination du plan d’affaires. Ensuite, avec l’étude des manuels de business plan entre 1916 et 2008 Martin Giraudeau nous montre l’émergence progressive d’un outil standardisé. En une époque d’individuation et d’incertitude, le plan apparaît, nous dit Martin Giraudeau, en même temps que d’autres pédagogies du self help. Progressivement des outils se formalisent – la check list, la work sheet – en même temps que se mettent en place des organismes chargés d’aider et d’accompagner les créateurs d’entreprises, jusqu’à l’âge d’or des années 1980 – avec une formalisation progressivement standard – et la critique contemporaine. Ces outils, souvent dédiés à la création de petites affaires commerciales (épicerie, pompiste, fleuriste, etc.) dans des périodes de chômage (retour des vétérans), nous racontent au fond une autre histoire de la rationalisation pratique du capitalisme que celle qui fait dépendre la planification de l’organisation des grandes entreprises.
4Dans un tout autre contexte historique (la France des années 1990-2000), Martin Giraudeau étudie les usages des formulaires de l’ACCRE et montre comment une politique publique d’aide aux chômeurs créateurs d’entreprise repose sur des outils qui vont formaliser un travail collectif, lequel va ensuite équiper le porteur de projet. De la régulation des flux de projets au filtrage et au modelage collectif, la description est attentive à une planification décentralisée par les « petites formules performatives » du formulaire du dossier ACRRE.
5Le dernier chapitre analyse des projets d’entreprises et des cas de planifications stratégiques, notamment à partir du cas de Renault au Brésil dans les années 1990 (mais en passant par Fayol et Mattern chez Peugeot) ; il montre à cette occasion que le plan n’est jamais une stabilisation qui fige mais plutôt, avec les circulations qu’il organise, une ouverture vers d’autres possibles, vers une réflexivité et une certaine inventivité.
6Dans sa conclusion Martin Giraudeau souligne l’ancienneté d’un long travail de planification de l’avenir qui conduit à sa dissémination et sa colonisation de la vie sociale. Un des résultats de la thèse est que, même standardisé, le plan est d’abord la thématisation d’un travail d’exploration et donc un lieu d’expérimentation et de simulation, par quoi cette thèse conforte certains travaux en sciences de gestion (sur la dualité exploitation / exploration ou sur l’entreprise ambidextre).
7L’ambition de la démarche de Martin Giraudeau a ses revers : la trame de la thèse souffre parfois d’une maille un peu large pour attraper des questions souvent vastes, les notations relevant de l’histoire ancienne ou moderne auraient mérité des développements plus sûrs et l’auteur abuse parfois d’un goût pour le jeu de mots théorique. Mais de nombreux indices (comme l’annonce de développements non intégrés à la thèse sur les archives de Georges Doriot par exemple) donnent à penser que Martin Giraudeau a bien d’autres matériaux pour densifier à l’avenir son archéologie. Car cette thèse fait partie de ces travaux qui ouvrent des voies de recherche nouvelles et tous les spécialistes des sciences sociales de l’entreprise devront désormais compter, au fil des publications, avec les analyses toujours stimulantes de Martin Giraudeau.
8Pierre-Paul ZALIO
9Professeur de sociologie
10IDHE
11École Normale Supérieure de Cachan
Claire LEYMONERIE, DES FORMES À CONSOMMER. PENSÉES ET PRATIQUES DU DESIGN INDUSTRIEL EN FRANCE (1945-1980), Thèse de doctorat d’histoire, sous la codirection de Franck Cochoy et Patrick Fridenson, soutenue à l’EHESS le mardi 14 décembre 2010, 633 pages
12Claire Leymonerie a mené à bien un projet de recherche ambitieux. En s’attachant à comprendre l’émergence et l’essor du design industriel en France, elle a pris à bras le corps l’histoire d’un ensemble d’activités et de relations complexe et flou, qui peut constituer un pont entre entreprises de production, sociétés de distribution, salons et lieux d’exposition, médias, établissements d’enseignement supérieur, organisations de consommateurs et pouvoirs publics. En choisissant comme terrain d’application du design le petit électroménager, elle a rassemblé quelques emblèmes de la société des Trente Glorieuses : l’électricité, le plastique, les rapports changeants entre féminin et masculin.
13Le terme de design industriel fait lui-même question. Dans la période les acteurs parlent d’abord d’esthétique industrielle puis passent au concept de design industriel. Ce terme est flou lui aussi. Il suffit de consulter le Trésor de la Langue Française pour voir qu’il ne contient pas le mot design. On finit par trouver ailleurs la définition élaborée par le Conseil international des sociétés de design industriel : « Le design industriel est une activité créatrice dont le but est de présenter les multiples facettes de la qualité des objets, des procédés et des systèmes dans lesquels ils sont intégrés au cours de leur cycle de vie. C’est pourquoi il constitue le principal facteur d’humanisation innovante des technologies et un moteur essentiel dans les échanges économiques et culturels ». Cette définition conçue par les professionnels d’aujourd’hui est intéressante à un double titre. D’une part elle associe fonction, objets et valeurs. D’autre part elle est très récente, ce qui incite les historiens à se demander par quel itinéraire sinueux ont été finalement réunis en France les éléments de cette caractérisation.
14Pour analyser cet itinéraire en partant de l’entre-deux-guerres, Claire Leymonerie a pu s’appuyer sur les travaux récents des historiens de l’art. Les historiens de l’art français ont ainsi cerné l’importance des arts décoratifs dans notre pays (ou des arts appliqués, chers par exemple à Stéphane Laurent), souvent rendue responsable du décalage dans l’émergence du design industriel par rapport à d’autres pays, et l’œuvre de designers marquants comme Jacques Viénot (étudié par Jocelyne Le Bœuf). Des historiennes de l’art américaines ont montré la contribution de l’art moderne à l’américaine à la reformulation de l’identité nationale (Wanda Corn, The Great American Thing. Modern Art and National Identity, 1915-35) ou l’émergence du design comme un art de vivre dans une société française partagée entre art de vivre et mouvements sociaux (Mary McLeod sur Charlotte Perriand). D’autres ont approfondi la genèse du Bauhaus en Allemagne et ses migrations en Europe et en Amérique. Sans ces travaux la recherche de Claire Leymonerie aurait été impossible. À partir d’eux, en mêlant histoire des techniques, histoire des entreprises, histoire de la consommation, sociologie économique et gestion, elle a pu éclairer d’autres mouvements et d’autres créateurs et développer une thèse d’ensemble originale qui peut se décomposer en quatre points.
15Le premier est la mise en évidence d’un design industriel fort en France dans cette période, que Raymond Guidot avait été, en 2004, le premier à présenter. Ici Claire Leymonerie se différencie de nombreux auteurs antérieurs qui, pour ces années, se concentrent sur les designers étrangers. Sa démonstration converge avec le témoignage récent d’acteurs d’une autre industrie, l’automobile, qui dans un ouvrage paru en octobre 2010 sur L’automobile française 1945-1975 : du style au design écrivent : « L’idée de cet ouvrage est née de l’exaspération de Jean-Paul [Manceau] et moi-même [Alfred Moustacchi] à l’égard du mépris dans lequel est tenu le design français depuis la deuxième guerre. Si notre but est atteint, le lecteur pourra constater que tout autant que [le] design italien ou allemand, la France peut être fière de ses réalisations, qui parfois ont largement dépassé celles de ses concurrents ». La thèse ne se situe pas sur le terrain des revendications, en revanche elle illustre la contribution française à la montée mondiale du design industriel et elle élargit le champ des designers importants.
16Le second point est que ce design industriel à part entière s’accommode et se nourrit de circulations intellectuelles intenses. Comme dans l’entre-deux-guerres, les échanges internationaux se font notamment avec l’Allemagne, l’Italie et les Etats-Unis (avec au premier plan Raymond Loewy et sa Compagnie d’esthétique industrielle, mais aussi Harold Barnett). Mais les échanges se font aussi au plan national, avec des universitaires spécialistes de sciences sociales en expansion auxquels deux chapitres sont consacrés, le moins étudié jusqu’ici par les historiens étant Abraham Moles, saisi entre Ulm, Strasbourg et Compiègne.
17Le troisième point de la thèse est que « l’émergence du design français ne passe pas d’abord par la création d’institutions, mais par une présence sur le marché » (p. 531). Cette conclusion est étayée par des analyses nourries d’une part sur deux repères de l’espace marchand : le Salon des Arts ménagers et sur le label Beauté France, l’un et l’autre utilisés pour mettre en valeur des produits exemplaires, et d’autre part sur la faiblesse marquée des institutions propres au groupe professionnel en émergence. On pourrait cependant la nuancer, car le marché dans la France de cette période est un espace social rempli non seulement de consommateurs et de firmes, mais encore d’institutions, et pas seulement privées mais aussi publiques. Les institutions du marché jouent donc un rôle dans le processus. On s’en rend compte à l’occasion lorsque la thèse étudie de façon très fine les rapports intellectuels, pratiques et marchands entre les designers et trois entreprises industrielles : Calor, Moulinex et SEB. La thèse est centrée de manière approfondie sur des entreprises de design ou sur des partenariats privilégiés. Il manque sans doute à ce travail d’avoir un cas de design interne, intégré au marketing ou à l’ingénierie. En outre, si l’appel au designer est le gage d’une possible innovation, il n’est pas la garantie du succès commercial à tout coup, comme Stephen Bayley l’a montré à propos de Raymond Loewy. En tout état de cause, la thèse apporte ici une contribution bienvenue à l’ardent débat actuel chez les sociologues entre deux interprétations de la professionnalisation : luttes pour la constitution d’une profession ou émergence de groupes professionnels.
18Le quatrième point de la thèse est « l’échec des designers français à définir des catégories et des dispositifs de jugement qui permettent de mettre en avant la dimension spécifique de leur activité », celle-ci étant, pour Claire Leymonerie, « la dimension subjective du jugement sur les formes?» (p. 533). De fait, les designers du Centre de Création Industrielle, centre qui est un service public, ne se limitent pas à produire une revue effervescente, ils développent surtout une activité de classification et d’information sur les produits susceptibles de satisfaire des besoins. Ils font ainsi partie d’un effort d’information entrepris depuis les années 1950 par la presse, des entreprises comme la FNAC ou des organisations de consommateurs. On pourrait là aussi nuancer cette interprétation en prenant appui sur de nombreux éléments présents dans la thèse. Il s’agirait de comparer les positions successives et les relations entre différentes professions intellectuelles qui peuvent à la fois converger et s’affronter : architectes, ingénieurs, designers et marketers. Le designer a en commun avec l’architecte et l’ingénieur la capacité de concevoir des objets, connus ou inconnus. Mais, comme l’a suggéré Armand Hatchuel en 2006, il s’agit d’objets susceptibles à la fois de plaire et de surprendre. Sur ces thématiques, on peut ajouter qu’il rencontre le zèle ou la concurrence du marketer. Un célèbre professeur français de gestion de production qui avait fait toute sa carrière aux Etats-Unis, à Harvard, Georges Doriot, avait exprimé avec beaucoup de justesse l’idée que le design industriel associe la conception et la mise en forme dans une conférence non publiée donnée le 15 novembre 1961 où il se réfère explicitement à la cybernétique et à l’informatique. « It is not science or art, it is science and art ». Tout ceci suggère que la valeur apportée par le designer ne se réduit pas à la fonction au sens étroit du mot. Les designers étrangers ou français opérant dans notre pays durant la période sont-ils vraiment différents ?
19Au total, on a là une thèse au contenu vigoureux appuyée sur des sources très riches, attentive à la fois aux techniques, aux objets, à l’esthétique et aux représentants des consommateurs, bien écrite et offrant des portraits incisifs de personnalités françaises et étrangères du design, de l’industrie et des milieux universitaires autant qu’une démonstration très ferme. Globalement l’objectif a été atteint : la thèse éclaire de façon neuve la place et le rôle du design industriel en France, elle apporte une contribution de premier plan à l’histoire des professions intellectuelles, des entreprises, de la consommation et des arts du XXe siècle.
20Patrick FRIDENSON
21Directeur d’études
22École des Hautes Études en Sciences Sociales
Marco BERTILORENZI, LE CONTROLE DE LA SURPRODUCTION. LES CARTELS INTERNATIONAUX DANS L’INDUSTRIE DE L’ALUMINIUM EN PERSPECTIVE HISTORIQUE (1886-1945), Thèse de doctorat d’histoire en co-tutelle sous la direction conjointe de Dominique Barjot et Luciano Segreto, soutenue à l’Université de Florence le lundi 21 juin 2010, 391 pages
23La thèse de Marco Bertilorenzi traite d’un sujet original et important. Ayant réalisé l’essentiel de ses recherches en France, grâce à une bourse franco-italienne Vinci et une seconde, complémentaire, de l’Institut pour l’Histoire de l’Aluminium, M. Bertilorenzi a mené à bien sa thèse dans des délais assez courts (trois ans). Adoptant une approche institutionnelle assez élaborée, il a réalisé un ouvrage vraiment comparatif. En dépit d’un certain nombre de faiblesses formelles (difficultés ponctuelles de maîtrise du français, insignifiance de l’analyse économique et statistique), l’on peut admettre aisément son choix d’une approche institutionnaliste (donc par les structures), plutôt que comportementale (par les performances) des stratégies des cartels de l’aluminium.
24L’approche convainc. L’aluminium apparaît durablement et profondément marqué par les cartels internationaux : entre 1886 et 1973, s’y sont mises en place des formes de coopération internationales de plus en plus élaborées. L’aluminium est une industrie dont les caractéristiques (capital and energy–intensive, oligopolistique, standardisée) favorisent la cartellisation, surtout dans la grande phase d’apogée des cartels de la fin du XIXe siècle à 1939. Fondée sur la consultation d’abondantes archives privées (entreprises, agences gérant les cartels) et publiques (États, institutions internationales), la thèse de Marco Bertilorenzi s’articule en trois périodes : « des brevets aux cartels (1886 – 1914) » ; « l’âge d’or : rivalités, compétition et coopération sur une base européenne (1914 – 1930) », « l’ascension et le déclin du système Alliance : de la finance company mondiale à la régulation étatique (1930 – 1945) ».
25La période 1886 – 1914 est dominée par la difficulté de l’aluminium à se placer sur le marché des non-ferreux. C’est le point de départ d’une stratégie d’accords sur les brevets ouvrant la voie à un véritable cartel international (partie 1). Le tournant date de 1886 avec la mise au point, simultanée et indépendante du procédé de réduction électrolytique de l’aluminium (par Héroult et Hall). Deux entreprises, l’une américaine : PMC puis Alcoa et l’autre suisse : SMG puis AIAG, démarrant des stratégies de scale and scope (chapitre 1). La menace de la surproduction conduit AIAG à réunir tous les producteurs au sein de l’Aluminium Association (1901 – 1908) (chapitre 2). L’arrivée de nouveaux producteurs comme le français PCAC aboutit à la dissolution de ce premier cartel, à la création de l’Aluminium français (AF), unissant tous les producteurs nationaux, puis à la constitution, à l’initiative de PCAC et avec la participation d’AIAG, d’une seconde Aluminium Association (1908 – 1914).
26La période 1914 – 1930 est dominée par le refus d’Alcoa d’entrer dans le cartel (partie 2). Le contexte change dès 1912, l’Aluminium Association se dissout en raison de la saturation du marché (essor de la Norvège et des Etats-Unis) (chapitre 4). La multiplication des usages militaires aboutit durant la Première Guerre mondiale à un triplement de la production. En dépit de la tentative de BACO et de l’Aluminium français de prendre le contrôle d’AIAG, la politique de coopération internationale redémarre dès 1921. Les compagnies continuant d’accroître leurs capacités de production, un nouveau cartel se reconstitue en 1925, sur une base européenne mais sans conflit avec Alcoa (chapitre 5). Des menaces sur l’équilibre du marché apparaissent en 1927 avec la construction par Alcoa de la grande mine d’Arvida au Canada (chapitre 6). La constitution d’une filiale canadienne (future Alcan) oblige le cartel à modifier sa stratégie : entre 1928 et 1930, sur chaque marché, il s’agit de n’opposer qu’un seul vendeur à Alcoa (principe du pooling).
27Avec la crise mondiale, s’ouvre une période d’apogée, puis de déclin du système de l’Alliance (1931 – 1945) (partie 3). La cartellisation change de visage avec l’entrée du groupe canadien dans une entente en contournant la législation antitrust, la création d’un système nouveau pour gérer la surproduction et la dislocation de la cartellisation par l’initiative étatique. En effet, née en 1931 d’une initiative canadienne, l’Alliance Aluminium Company (AAC) repose sur la création d’une finance company régulant l’écoulement de la production, par la réduction des volumes et non la fixation des prix, tout en autorisant la poursuite d’une recherche-développement en commun, comme dans le précédent cartel (1931 – 1935) (chapitre 7). À partir de 1935, la mise en place de systèmes économiques autarciques entraîne une grave crise de l’AAC (1935–1939) (chapitre 8). L’aluminium étant de plus en plus indispensable pour les productions d’avions, l’AAC ne devient plus qu’une simple agence commerciale. Le cartel ne survit pas à la Seconde Guerre mondiale (1940 – 1945), sous la double pression du gouvernement allemand et de son homologue américain (chapitre 9). Hostiles à la poursuite du monopole d’Alcoa et désireux d’investissements massifs, il les démarre lui-même. Désormais le contrôle de la production et de ses moyens est assuré par les gouvernements et non plus par les industries privées.
28La thèse de Marco Bertilorenzi débouche sur trois conclusions :
- La clef de l’action du cartel réside dans le contrôle de la surproduction. Parce que l’aluminium est une industrie à rendements d’échelle croissants, la nécessaire coordination entre les entreprises contraint à une organisation de plus en plus élaborée.
- Le contrôle exercé par les entreprises a été progressivement remplacé par les plans et les stratégies des gouvernements, notamment sous l’effet de la planification militaire, d’où une stabilité plus grande de la production mondiale d’aluminium.
- Le système de gestion des stocks constitue la clef du système. Il s’agit d’une préoccupation constante des entreprises. Par-delà le passage d’un contrôle privé (à fondement économique) à un contrôle public répondant à des objectifs stratégiques et économiques, la discontinuité des acteurs masque la continuité des stratégies.
29Dominique BARJOT
30Professeur d’histoire économique
31Université Paris-Sorbonne (Paris IV)