Notes
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[1]
« Geografia do movimento » en brésilien.
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[2]
« Mas há esses tempos determinados concomitantemente pela natureza do território e pelas formas de exploração, ritmos de certa forma ‘interiores’, somam-se as flutuações da conjuntura exterior » en brésilien.
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[3]
Université de São Paulo.
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[4]
« À l’origine de cette étonnante proposition [venir au Brésil], il y avait un autre des vieux messieurs de l’Université de ce temps-là, le philosophe et psychologue Georges Dumas, qui était l’homme de confiance des Brésiliens, et qui avait été chargé par eux de recruter de jeunes professeurs. […] j’ai dit : Je suis tout à fait à vos ordres, s’il faut partir. Je n’allais pas rater l’occasion d’aller passer ce que je croyais être six mois au Brésil » (Monbeig cité par Bataillon, 1991, p. 29).
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[5]
« If tropical agriculture in South America is carried on under exceptionally difficult conditions of enervating climate and deficient labor supply […] I think one need not regard the tropics as a pioneer land that will some day have a development akin to that of the temperate lands with which this book deals in the main ».
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[6]
Ce dernier avait commencé une thèse de géographie, transformée ensuite en thèse d’histoire. Pour autant, après la guerre il dira avoir alors deviné, « plus ou moins confusément » à quel point « les grandes questions » du siècle lui semblaient n’être posées « qu’à travers les questions de [ses] maîtres géographes » (Vilar, 1962).
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[7]
« Donos de meio continente, tendo de mobilizar riquezas e criar uma civilização própria, já não podemos permanecer em atitude passiva » en brésilien.
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[8]
« Para reajustar o organismo politico as necessidades econômicas do país e garantir as medidas apontadas » en brésilien.
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[9]
Notre traduction : « l’État nouveau ».
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[10]
Notre traduction : « Marche vers l’ouest »
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[11]
Au Brésil, le sertão est le domaine de la vie précaire qui mêle genres de vie indigènes (agriculture pauvre et itinérante sur brûlis) à ceux de vieux colons européens appauvris.
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[12]
Notre traduction : Conseil national de géographie.
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[13]
Institut brésilien de géographie et statistique [notre traduction].
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[14]
Santos e a Geografia Humana do litoral paulista (Santos et la géographie humaine du littoral pauliste) [notre traduction] de Maria da Conceição Vicente de Carvalho (1944) ; Estudo sôbre o clima da bacia de São Paulo (Étude sur le climat du bassin de São Paulo) par Ary França (1945) ; Tipos de sitiante em algumas regiões do estado de São Paulo (Études sur les contreforts occidentaux de la Mantiqueira) [notre traduction], de João Dias da Silveira (1946) ; enfin Sítios e sitiantes no estado de São Paulo (Sites de la petite agriculture dans l’État de São Paulo) [notre traduction] de Nice Lecoq Müller (1946). Comme la plupart des travaux de Monbeig d’alors, ces thèses — à l’exception de celle d’Ary França qui traite du climat de la région de São Paulo — portaient sur la zone de modernisation du Brésil, autour de São Paulo.
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[15]
« Our discussion of the various parts of Brazil indicates that pioneer lands which satisfy these requirements are by no means easy to find » (James, 1950, p. 521). Notre traduction : « Notre analyse des différentes régions du Brésil montre que les terres pionnières qui satisfont à ces exigences ne sont pas faciles à trouver »
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[16]
« […] É particularmente agradável dizer aqui que o Cng do Brasil tem a preocupação de seguir, nesses trabalhos, a orientação da ciência geográfica americana. Até há pouco tempo, a influência da escola europeia nos trabalhos geográficos no Brasil era quase absoluta, quanto ao material e quanto aos métodos. Hoje, graças à atuação do Cng, já se manifesta a influência americana que tem a meritória vantagem de dar à Geografia sentido de utilidade » en brésilien.
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[17]
Association des géographes brésiliens.
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[18]
Pierre Monbeig a construit un vaste réseau de relations. Il a maintenu ses contacts avec l’élite pauliste démocratique mais n’a eu de cesse de répondre aux demandes de développement varguistes. Il a préservé son indépendance, en conversant tant avec Varga qu’avec l’élite pauliste mais aussi avec des communistes comme Caio Prado Jr. Il fréquentait diverses communautés de la société pauliste. Ainsi, le 20 mars 1937, il a participé à un hommage à Júlio de Mesquita Fils, adversaire de Vargas (O Estado de São Paulo, 20 mars 1937, p. 7) et en 1946 à un hommage fait à Paulo Duarte, qui revenait d’exil. Cet intellectuel, militant de gauche, responsable de la venue de Lévi-Strauss à l’université de São Paulo et membre originel du groupe qui discutait de la formulation du projet de l’USP, a eu des différends avec Júlio de Mesquita Fils (O Estado de São Paulo, 22 février 1946, p. 2). Pour la période de guerre, voir aussi ses engagements à distance ainsi que ses interventions pour les sciences de l’homme et aux côtés des écrivains dans Angotti Salgueiro, 2021.
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[19]
« Torna-se necessário dar aos estudos da Faculdade uma finalidade prática […] » en brésilen.
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[20]
« Aberta a sessão, o sr. Moraes Rego pediu a palavra estendendo-se em considerações sobre a importância e papel prático da Associação na expansão econômica do Est. de São Paulo e sua penetração nos estados vizinhos seus tributários naturais: Paraná, Mato Grosso, Goiaz e mesmo Triangulo Mineiro. Tal expansão depende antes de tudo de um 20 (suite). conhecimento preciso do terreno geográfico em que ela vai se operar » en brésilien.
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[21]
« Depois dos estudos da American Geographical Society sobre as zonas pioneiras australiana, canadense, manchuriana e outras ». Monbeig s’appuie très probablement sur le livre collectif (Joerg, 1932) recensé aussi par Demangeon en 1932, dont les monographies portent sur le Canada, l’Alaska, le Grand Chaco, la Patagonie, l’Afrique du Sud, l’Afrique du Nord, la Russie, la Mongolie, la Mandchourie et la Nouvelle-Zélande.
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[22]
Entre 1937 et 1945, le régime de Getúlio Vargas est autoritaire et populiste. On peut être surpris par le soutien de Monbeig à ce type de régime mais dans le contexte brésilien de l’époque, Vargas apparaît comme un président pouvant lutter contre l’oligarchie brésilienne et promouvoir de réelles avancées sociales. Il est soutenu par de nombreux intellectuels progressistes (Neto, 2013).
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[23]
« Temos a honra levar conhecimento Vossencia que a Associação Geógrafos Brasileiros com sede São Paulo deliberou unanimamente hipotecar irrestrita solidariedade patriótica atitude assumida governo Vossencia aguardando ordens para poder prestar serviços defesa do Brasil » en brésilien.
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[24]
Notre traduction: Plan de colonisation de la vallée de São Francisco.
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[25]
Notre traduction: Compagnie hydro-électrique de São Francisco.
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[26]
« Contou com o apoio financeiro do CNG e do Instituto do Açúcar e do Álcool (IAA), autarquia federal criada por Getúlio Vargas, em 1933, para planejara expansa o dos canaviais, o financiamento das usinas e organizar a produção, funcionando como um mecanismo de regulação do mercado ».
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[27]
« […] O Conselho Nacional de Geografia elaborou recentemente uma divisão regional geográfica do país. […]. É um ponto de partida, e foi submetido a animada discussão crítica […] » en brésilien.
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[28]
Habitants de l’état du Minas Gerais.
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[29]
Congrès brésilien de géographie.
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[30]
Les schémas présentés sont une interprétation graphique du texte de Monbeig.
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[31]
Dans sa thèse principale, Pierre Monbeig intègre une bibliographie anglophone classique et nouvelle sur le Brésil. On y trouve notamment : Bowman I. (1931). The Pioneer Fringe. New York : American geographical Society ; Bowman I. (1937). Limits of land settlement. Council for Foreign Relations, New York ; Davis H. (1935). « Brazil’s Political and Economic Problems ». Foreign Policy Reports 11, no 1, p. 2-3 ; James P.E. (1932). « The coffee lands of Southeastern Brazil » Geographical Review, vol. 22, no 2, p. 225-244 ; Platt R.S. (1942). Latin American, Countrysides and United Regions. MacGraw-Hill Book Company; Waibel L. (1948). « Vegetation and land use in the Planalto Central of Brazil ». Geographical Review, vol. 38, no 4, p. 529-554.
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[32]
Notre traduction : « Géographie, Science d’utilité publique ».
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[33]
En 1952, Monbeig a opté pour cette institution d’enseignement moins académique que les universités, qui semble l’avoir intéressé pour cette raison (Bataillon, 1991). En 1957, il a été choisi comme directeur du nouvel Institut des hautes études d’Amérique latine (Iheal), une unité pluridisciplinaire de recherche. Il a confirmé son intérêt pour une carrière de géographe peu conventionnelle en acceptant en 1963 d’occuper au Cnrs le poste de directeur adjoint pour les sciences humaines, créé alors (Picard, 1991).
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[34]
« A grande lavoura é, do ponto de vista geográfico, uma forma de exploração destrutiva das riquezas naturais; é especulativa e depredadora, principalmente quando não se sente limitada pela falta de espaço. »
1« Nous sommes tombés dans un poème surréaliste ! » se dit Pierre Monbeig en entrant dans un salon décoré de pingouins, à l’hôtel Terminus de São Paulo. Ce 3 mars 1935, il vient d’arriver au Brésil et sa surprise est grande. Claude Lévi-Strauss, présent sur place depuis quelque temps déjà, lui explique alors que la nuit précédente était le mercredi des Cendres, le dernier jour du carnaval brésilien (Lapouge, 1984). Cette scène illustre le défi que doivent relever les jeunes intellectuels français, Fernand Braudel, Pierre Monbeig, Claude Lévi-Strauss notamment, qui participent à une mission pour fonder la première université brésilienne, l’université de São Paulo. Ce défi, c’est aussi pour Monbeig (1908-1987) (photo 1) celui de la confrontation à un espace dont la taille, les structures, les caractéristiques, relèvent d’autres logiques que celles de sa formation et de son précédent terrain de recherche.
Pierre Monbeig jeune
Pierre Monbeig jeune
Un portrait figurant dans le Guide commémoratif sur les soixante-dix ans des études de géographie, Faculté de philosophie, lettres et sciences humaines, 2004.2Le but de cet article est d’étudier la construction d’une relation entre un terrain et une activité intellectuelle, plus précisément de montrer comment le terrain et le contexte brésilien ont participé à une évolution des conceptions géographiques de Monbeig. Cette relation met en tension deux mondes et deux manières de faire de la géographie. Monbeig s’est formé à la géographie dans la France de l’entre-deux-guerres, une France peu dynamique sur le plan démographique et sur le plan économique, où les campagnes jouent encore un rôle essentiel, avec des villes de province atones face à une capitale hypertrophiée. Avec le Brésil, il découvre un grand espace encore peu aménagé mais aux dynamiques plurielles, scène et laboratoire des courants aménagistes auxquels les géographes brésiliens sont en train de se former sous l’influence de leurs collègues étasuniens.
3Monbeig tente de concilier sa formation classique et le paradigme de la monographie régionale avec les exigences et les besoins du terrain brésilien. Il va intégrer certains travaux des géographes étatsuniens dont certains s’investissent sur les zones pionnières, comme Isaiah Bowman, tout en étant réticent à aborder les fronts pionniers en tant que notion générale.
4Ma perspective méthodologique consiste à croiser des dimensions à la fois biographiques, contextuelles, intellectuelles et géographiques, souvent séparées dans le domaine de l’histoire des idées (Livingstone, 2003). Cette perspective permet en particulier de revenir sur la question des dynamiques et du mouvement dans la géographie de Monbeig. Dès l’introduction de sa thèse, il fait part de sa confrontation à l’altérité et à un terrain nouveau: « Les transformations sont si rapides que tout ce qu’on peut en écrire est déjà de l’histoire. Aussi est-ce le mouvement même que j’ai tenté de décrire et d’expliquer » (Monbeig, 1952, p. 9).
5Heliana Angotti Salgueiro parle de la géographie de Monbeig comme d’une « géographie du mouvement » [1] [notre traduction] (Angotti Salgueiro, 2006a, p. 90). Mais cette expression renvoie à une interprétation générale de l’œuvre. Comment cette géographie du mouvement se manifeste-t-elle dans l’analyse spatio-temporelle formulée par Monbeig?
6Dans ses travaux, Marcel Roncayolo a mis surtout l’accent sur la dimension temporelle de ce mouvement (Roncayolo, 2006), mais sans la lier aux dynamiques spatiales de la frange pionnière étudiée par Monbeig : « Mais à ces temps déterminés à la fois par la nature du territoire et par les formes d’exploitation, les rythmes d’épuisement du sol, s’ajoutent les fluctuations de la conjoncture extérieure » [notre traduction] [2] (Roncayolo, 2006, p. 120-121). J’ai essayé de reconstruire les temporalités de la frange pionnière et de montrer la capacité de Monbeig à relier des phénomènes à différentes échelles (l’espace pauliste, le Brésil, le Monde) et avec différents acteurs, mais sans perdre de vue une approche régionale. En ce sens, cette réflexion géographique est marquée par l’hybridation de deux approches.
7Enfin, ma démarche cherche à mettre en évidence les différents plans de la trajectoire de Monbeig, entre le global et le local, traditionnellement peu articulés par l’historiographie. Certes H. Angotti Salgueiro (2006b) étudie Monbeig à travers les échanges interdisciplinaires, notamment pour comprendre la relation profonde qu’il avait avec les historiens des Annales mais, pour ce qui concerne la géographie, elle cherche surtout à voir l’exceptionnalité de l’expérience de Monbeig au Brésil. Sans perdre de vue l’apport de ses travaux, je voudrais montrer l’insertion de Monbeig dans le mouvement de renouvellement des sciences humaines françaises et les apports d’une production géographique originale à partir d’une confrontation entre le personnage, l’œuvre, le terrain et le contexte.
8Après avoir présenté son parcours de formation jusqu’à son arrivée au Brésil puis le contexte brésilien d’alors, je montrerai comment Monbeig intègre peu à peu dans ses pratiques et surtout ses conceptions de la géographie les perspectives de l’aménagement et de la mise en valeur que requiert un pays neuf, et comment, pour interpréter ce terrain en constante transformation, il développe au sein de sa thèse une réflexion dynamique privilégiant les mises en relation.
Des îles Baléares à l’université de São Paulo
9En 1925, Pierre Monbeig entra à la Sorbonne pour étudier l’histoire et la géographie. Il dit avoir été alors très attiré par les enseignements des disciples de Paul Vidal de la Blache (Albert Demangeon, Emmanuel de Martonne, Lucien Gallois et Augustin Bernard). En 1928, il fut titulaire d’un diplôme d’études supérieures (des) effectué sous la direction d’Albert Demangeon et consacré au « pays d’Yveline ». L’année suivante, il fut reçu à l’agrégation. Il n’avait pas encore 21 ans.
10Demangeon l’encouragea à engager une thèse sur la géographie humaine des îles Baléares (Clout, 2013). Monbeig accepta et Demangeon devint son directeur de recherche. Le séjour en Espagne fut sa première expérience de construction d’un regard géographique hors de France. Cette pratique de formation hors des frontières nationales n’était pas isolée : les années 1920 sont une période pendant laquelle les géographes français s’insèrent dans le développement d’institutions de coopération culturelle à l’étranger sous l’impulsion notamment d’Emmanuel de Martonne (Delfosse, 2001). Ainsi, en 1930 et 1931, Pierre Monbeig est en Espagne, logé à la Casa Velàzquez. Il y rencontra notamment Pierre Vilar et Maurice Legendre, d’autres chercheurs en situation de déplacement géographique et intellectuel (Gómez Mendoza, 2015).
11Cette trajectoire de recherche fut brutalement interrompue par une proposition : il fut sollicité pour donner des cours de géographie et d’histoire au sein d’une « mission française » à l’université récemment créée à São Paulo, l’Universidade de São Paulo (USP) [3]. Voyant cela comme une aventure, mais aussi comme la possibilité de gagner plus d’argent pour financer ses travaux de terrain en Espagne (Bataillon, 1991), il accepta sans beaucoup d’hésitations et partit pour le Brésil en pensant y rester quelques mois [4] (Angotti Salgueiro, 2006b).
Le Brésil et la concurrence des grandes puissances
12Cette mission relevait de la diplomatie culturelle française et, à l’époque, du choix du monde latin et latino-américain notamment, comme aire d’intervention. Mais l’intérêt pour l’Amérique latine ne se limitait pas à la France. Après la Première Guerre mondiale, les grands espaces latino-américains furent également un enjeu géopolitique pour d’autres grandes puissances : l’Allemagne et le Japon, qui avaient de nombreux ressortissants au Brésil, et surtout les États-Unis. Pour ces derniers, le Brésil était vu avant tout comme un espace à mettre en valeur et cela explique la présence de géographes étatsuniens au Brésil durant cette période (Smith, 2003). Ce n’était pas exactement le projet de la « mission française » dont les finalités étaient plus intellectuelles que pratiques. Mais, en s’installant durablement au Brésil, Monbeig a progressivement intégré ces préoccupations aménagistes dans ses recherches.
Un enjeu géopolitique et intellectuel
13Ces enjeux géopolitiques eurent des effets sur la communauté des géographes. Depuis qu’Albrecht Penck avait lancé le projet de la carte du monde au millionième lors du 5e Congrès géographique international tenu à Berne en 1891, de nombreuses tractations entre géographes représentant les grandes puissances avaient porté sur la construction de cette carte. La question du méridien de référence ou celle des méthodes d’arpentage suscitèrent des débats animés lors des congrès géographiques internationaux de Londres (1895), Berlin (1899), Washington (1904) et Genève (1908) (Pearson et al., 2006). Mais il est un autre enjeu relatif aux rapports de pouvoir entre territoires. Il s’agissait de savoir qui établirait les cartes des colonies et du reste du monde non occidental. Ainsi, Vidal de la Blache, appuyé par les représentants de l’État français, défendit l’idée que les colonies françaises soient cartographiées par les Français, empêchant ainsi certains rivaux d’avoir accès à une connaissance précise du terrain (Vidal de la Blache, 1910). Ce débat concerna aussi le Brésil qui devait faire la preuve de sa capacité à cartographier son propre territoire. Entre 1913 et 1914, le maréchal Cândido Rondon, accompagné de Franklin Roosevelt, futur président des États-Unis, ainsi que de militaires et de scientifiques brésiliens (Smith, 2003), dressa des cartes afin de planifier la création d’un réseau télégraphique. Cette expertise fut mise à profit et le Brésil cartographia ses espaces peu connus pour la carte du monde au millionième. Le pays montrait ainsi qu’il avait des techniciens à la hauteur de la mission de modernisation de l’image du monde par la cartographie (Duarte, 2018) et obtint la reconnaissance des grandes puissances.
14Les intérêts scientifiques des géographes s’exerçaient aussi relativement à des spécificités des pays neufs en général et du Brésil en particulier. Ainsi, en 1930, l’influent géographe étatsunien Isaiah Bowman lança, en relation avec le Foreign Affairs (Smith, 2003), un programme international d’études sur les régions pionnières du monde (Bowman, 1931), et il en fit une présentation remarquée à Paris, au Congrès international de l’Union géographique internationale (Ugi) où Monbeig, qui débutait sa thèse, était présent. Bowman assurait, selon les termes d’Halford Mackinder, que le monde devenait enfin clos. L’Amérique latine, et le Brésil en particulier, était une des rares régions du monde, rappelait Bowman, qui avait encore des fronts pionniers, c’est-à-dire des espaces ouverts à la mise en valeur (fig. 1).
« World map of pioneer belts » [Carte mondiale des zones pionnières]
« World map of pioneer belts » [Carte mondiale des zones pionnières]
15Isaiah Bowman divise son premier ouvrage sur les régions pionnières du monde (1931) en deux grandes parties, une partie générale suivie de descriptions régionales. Il décrivait les zones pionnières comme des « zones expérimentales » qui permettent d’augmenter considérablement l’offre de nouveaux produits sur le marché mondial, même si, en ce qui concerne la zone tropicale, ce potentiel était relativement limité : « Si l’agriculture tropicale en Amérique du Sud se pratique dans des conditions climatiques exceptionnellement difficiles et avec une faible offre de main-d’œuvre […] je pense qu’il n’est pas nécessaire de considérer les tropiques comme une terre pionnière qui aura un jour un développement similaire à celui des terres tempérées dont ce livre traite essentiellement » [notre traduction] [5] (Bowman, 1931, p. 317). Selon lui, la géographie devait se consacrer plus largement à ces enjeux (ibidem, vi).
16Certains intellectuels français avaient déjà pris conscience de l’intérêt d’étudier le Brésil et l’Amérique latine. En 1929, l’historien Lucien Febvre qualifiait l’Amérique du Sud et ses espaces en transformation rapide de « champ privilégié d’études » (Febvre, 1929). Après le congrès de Paris, Albert Demangeon publia dans les Annales de géographie un long compte rendu des travaux rédigés ou suscités par Bowman, où il soulignait la pertinence de telles études sur les « pionniers et fronts de colonisation » du monde (Demangeon, 1932).
17Ces évolutions s’inscrivent dans un contexte intellectuel nouveau. En effet, après la Première Guerre mondiale, les géographes prirent plus de place dans les médias, agissant en experts et répondant aux questions qui émergeaient dans l’opinion publique, d’une part à l’échelle locale et en lien avec la guerre et les traités (Ginsburger, 2010), mais aussi, pendant les années trente, pour accompagner le développement de politiques d’intervention territoriale (Robic, 2006, 2009). Dans ce contexte international, la propension des géographes français à s’orienter vers l’action fut timide, mais effective (ibid.).
18La génération des élèves de Demangeon allait contribuer à l’évolution de la discipline à partir de problématiques plus engagées vers les nouvelles questions économiques d’échelle mondiale (Ginsburger, 2010). Parallèlement, on assistait à un mouvement de rapprochement au sein des sciences humaines. Avec le lancement de la revue Annales d’histoire économique et sociale en 1929, en association avec la géographie, mais aussi la sociologie et l’économie, un mouvement se développa sous l’impulsion de Lucien Febvre et de Marc Bloch (Dosse, 2003). De jeunes géographes, tels Pierre Monbeig et Pierre Vilar [6], y participèrent.
Un enjeu d’aménagement
19L’intérêt de l’État brésilien, comme des chercheurs étatsuniens, était plus pratique et pragmatique que celui des intellectuels français. « Propriétaires d’un demi-continent, devant mobiliser les richesses et créer notre propre civilisation, nous ne pouvons plus rester dans une attitude passive » [notre traduction] [7]. C’est ainsi que le président Getúlio Vargas (cité par d’Araujo, 2011, p. 372-373) exprimait en 1934 la nécessité de mettre en œuvre un plan d’aménagement et de mise en valeur du territoire. Cela justifiait à ses yeux la mise en place d’un État autoritaire en 1938 car selon lui la démocratie ne permettrait pas de résoudre des problèmes territoriaux de grande ampleur (Neto, 2013) « pour réajuster le corps politique aux besoins économiques du pays et garantir les mesures indiquées » [notre traduction] [8] (cité par d’Araujo, 2011, p. 365). Cela déboucha sur la période de l’Estado Novo [9] à partir de 1938 avec d’importants plans sociaux et territoriaux. Immédiatement, Vargas entama le mouvement de la Marcha para Oeste [10] pour planifier la mise en valeur du sertão [11]. C’est dans ce contexte que deux institutions géographiques furent créées en 1938, le Conselho nacional de geografia [12] (Cng) et l’Instituto brasileiro de geografia e estatística [13] (Ibge) afin de soutenir scientifiquement ce projet.
20Cette volonté aménagiste met en contraste deux orientations concurrentes pour la géographie. L’une est portée par les géographes étatsuniens, l’autre initialement par Pierre Deffontaines, qui avait été le premier géographe à participer à la « mission française » en 1934 (Delfosse 1998), puis par son successeur Pierre Monbeig. Initialement les choses semblaient claires : les professeurs français étaient là pour participer à la structuration de l’université de São Paulo et secondairement pour développer la recherche universitaire au Brésil. On peut esquisser un bilan de ces actions pour la géographie. À l’université de São Paulo, 91 étudiants ont suivi les cours de licence de géographie de Monbeig entre 1936 et 1942. Il a aussi dirigé quatre thèses entre 1935 et 1946 [14].
21Mais la « mission française » avait des opposants internes et n’était en outre que partiellement soutenue par le régime de Vargas, même si celui-ci mesurait bien l’importance des universités pour la modernisation du pays. C’était aussi une question d’image; pour les Brésiliens, un chercheur français était « un type d’artiste pur, inapte à l’action, incapable de dominer les difficultés pratiques » (Arbousse-Bastide cité par Suppo, 2002, p. 178).
22Dans le champ de la géographie, mais en marge du monde universitaire, les chercheurs étatsuniens présents au Brésil paraissaient plus pragmatiques et avaient les faveurs de leurs collègues brésiliens dont ils rejoignaient les préoccupations aménagistes. Ainsi, le géographe Preston James, un chercheur du groupe de Bowman, voyagea à travers l’Amérique latine dans les années 1940 et ne cachait pas ses intentions de participer à la mise en valeur du territoire [15] (James, 1950). Dès le début des années 1930, dans cette même perspective, il travailla sur les régions caféières du sud-est du Brésil et en tira un article (James, 1932) que Monbeig utiliserait pour sa thèse. Lors de la 4e assemblée du Congrès américain annuel de topographie et de cartographie, qui se tint le 3 juin 1943, le secrétaire général du Cng proclama avec fierté l’émergence d’un nouveau pôle d’influence pour l’école brésilienne de géographie : « […] il est particulièrement agréable de dire ici que le Cng a le souci de suivre, dans ces travaux, l’orientation de la science géographique américaine. Jusqu’à récemment, l’influence de l’école européenne dans les travaux géographiques au Brésil était presque absolue, en termes de matériel et de méthodes. Aujourd’hui, grâce aux travaux du Cng, l’influence américaine est déjà évidente, ce qui a l’avantage méritoire de donner à la géographie un sens d’utilité » [notre traduction] [16] (cité par Penha, 1993, p. 90). Le gouvernement nord-américain facilita aussi la réalisation de travaux de maîtrise et de doctorat par des géographes de l’Ibge et du Cng tout au long des années 1940. De jeunes géographes brésiliens furent envoyés aux États-Unis pour des études doctorales dans le Wisconsin, aux universités du Northwestern et de Chicago (Camargo, 2009).
Les pratiques hybrides de Pierre Monbeig
23C’est dans ce contexte polarisé que Monbeig s’installa au Brésil, développa son propre itinéraire de recherche, participa à la création de structures locales et s’inscrivit dans le champ politique brésilien. Les institutions françaises servirent de modèle notamment pour les cours de géographie de l’USP ; l’Associação dos geógrafos brasileiros [17] (Agb), fondée en 1934 par Pierre Deffontaines était inspirée de l’Association de géographes français (Agf) (Delfosse, 1998). Pour sa part, Monbeig joua aussi un rôle important dans la fondation du Cng et de l’Ibge en 1938. Il développa des échanges intellectuels dans diverses directions, tant sur le plan scientifique avec des collègues et étudiants brésiliens, que politique [18]. Enfin, il s’est fréquemment impliqué dans les médias brésiliens avec la publication de nombreux articles.
24Monbeig est arrivé au Brésil avec une vision très littéraire, descriptive, de la géographie, liée à sa formation à la Sorbonne, mais il s’est rapidement rendu compte de la nécessité de s’adapter à un autre environnement et à des exigences de recherche plus pratiques. Ainsi, dès 1938, il réorienta la bibliographie de ses cours – d’abord très française – en y intégrant des références aux travaux de Bowman (Lira, 2017a). Même au sein de l’Université, il fut amené à former des géographes participant à des projets d’aménagement plus qu’à des activités purement académiques : « Il devient nécessaire de donner aux études de la Faculté une finalité pratique […] » [notre traduction] [19] (Monbeig, 1937, p. 114). Cet enjeu était déjà présent dans la communauté des géographes brésiliens avant l’arrivée de Monbeig comme le montre une discussion de 1935 sur les zones pionnières de l’État de São Paulo au sein de l’Agb. Les connaissances scientifiques apparaissent comme étroitement liées aux enjeux pratiques. Cette idée figure dans le procès-verbal de la réunion de l’Agb du 4 février 1935 : « La session est ouverte et M. Moraes Rego demande la parole, en étendant les considérations sur l’importance et le rôle pratique de l’Association dans l’expansion économique de l’État de São Paulo et sa pénétration dans les États voisins en relations naturelles : Paraná, Mato Grosso, Goiás et même Triangulo Mineiro. Cette expansion dépend avant tout d’une connaissance précise du terrain géographique dans lequel elle va opérer » [notre traduction] [20] (Fonds Caio Prado Jr, 1935, n.p.). Monbeig s’installa à São Paulo un mois après cette réunion ; il reprit immédiatement ces perspectives dans son premier article publié au Brésil écrit « après les études de l’American Geographical Society sur les zones pionnières australienne, canadienne, mandchoue et autres » [notre traduction] [21] (Monbeig, 1935, p. 221).
25Progressivement, il combina sa culture géographique classique avec les approches aménagistes des chercheurs étatsuniens comme brésiliens et répondit ainsi aux attentes des autorités brésiliennes. Son insertion dans le milieu intellectuel et politique brésilien fut renforcée par son poste de président de l’Agb (il remplaça Deffontaines dès 1935). C’est ainsi qu’à partir de cette position institutionnelle, il apporta son soutien au gouvernement de Vargas et à ses projets d’aménagement [22] en 1942: « Nous avons l’honneur de porter à votre connaissance que l’Association des géographes brésiliens réunie à São Paulo a voté à l’unanimité l’adoption d’une attitude de solidarité patriotique sans restriction pour votre gouvernement. Nous attendons des ordres pour pouvoir fournir nos meilleurs services de défense au Brésil » [notre traduction] [23] (Monbeig et al., 1942, n.p.). C’est dans ce contexte qu’il participa, en 1944, avec ses étudiants de doctorat, à un important voyage dans le Nordeste dans la perspective d’un « Plano de Colonização do Vale do São Francisco » [24] inspiré des travaux de la Tennessee Valley Authority qui déboucha sur la création de la Companhia hidro elétrica do São Francisco [25] (Adas, 2006). Ce voyage « a bénéficié du soutien financier de la Cng et de l’Institut do açúcar e do álcool (Iaa), une agence fédérale créée par Getúlio Vargas en 1933, pour planifier l’expansion des champs de canne à sucre, le financement des moulins et organiser la production, fonctionnant comme un mécanisme de régulation du marché » [notre traduction] [26] (Nogueira, 2013, p. 111).
26Pour autant, Monbeig n’abandonna pas son regard de géographe formé à l’école vidalienne : dans son carnet du voyage au Nordeste, il continue à faire de beaux croquis paysagers. En 1946, il participa aussi à une controverse avec les géographes brésiliens formés aux États-Unis (Jorge Zarur, Fábio de Macedo Soares Guimarães, Orlando Valverde, José Veríssimo da Costa Pereira, Lúcio de Castro Soares et Lindalvo Bezerra) à propos du nouveau découpage régional du Brésil : « […] le Conseil national de géographie a récemment établi un découpage géographique régional du pays […]. Il s’agit d’un point de départ, qui a fait l’objet d’une vive discussion critique […] » [notre traduction] [27] (Monbeig, 1946, p. 4). Il défendait lui-même une vision géohistorique et économique, selon laquelle les régions seraient divisées en fonction de leur degré d’humanisation, tandis que les géographes du Cng voulaient diviser le pays selon des critères uniquement naturalistes, dans l’idée que ce serait plus utile à l’aménagement (Lira, 2017b).
Une réflexion géographique renouvelée
27Si dès son arrivée, Monbeig montra son intérêt pour les zones pionnières de l’État de São Paulo en publiant un article sur le sujet (Monbeig, 1935), il semble néanmoins qu’il ne renonça à son projet de thèse sur les îles Baléares que l’année suivante lorsqu’il comprit que l’éclatement de la guerre civile en Espagne rendrait son travail compliqué. Sans doute perçut-il aussi qu’une thèse sur un pays neuf et ses enjeux aurait un intérêt plus grand en termes de carrière. Mais cela nécessitait une adaptation.
Dynamiques spatiales et mises en relation
28Monbeig changea donc de sujet en 1936, mais toujours sous la direction de Demangeon, avec une recherche intitulée en 1937 Les Zones pionnières de São Paulo, dont le titre de soutenance mettrait l’accent sur les dynamiques spatiales : Marche du peuplement et zones pionnières de São Paulo (Brésil), et qui serait ultérieurement publiée sous un intitulé mettant plus en lumière les acteurs : Pionniers et planteurs de São Paulo. Il proposait une lecture fine des processus spatiaux et des dynamiques des franges pionnières de l’État de São Paulo conduits par divers acteurs (populations indigènes, Mineiros [28], planteurs, banquiers…). « Partant des municipes de la dépression périphérique, les grands planteurs avancèrent en suivant les voies de pénétration naturelle qui s’ouvraient devant eux. […] ils y découvrirent une tache étendue de terra roxa aux environs de Jaú et furent les initiateurs de la caféiculture dans cette région. Des premières plantations très modestes y avaient été faites par les gens de Minas […] Mais, ne se contentant pas de terres déjà partiellement occupées, il [le grand planteur Almeida Prado] partit en 1891 dans le sertão dos Coroados, aux sources du rio Feio, et s’en rendit acquéreur. Accompagné du Suisse Luiz Wolf, il y planta les premiers caféiers dans les fazendas de Faca et Bella-Vista. Aussitôt, il procéda à l’équipement de ses fazendas, construisant les terreiros pour le séchage du café, faisant ouvrir une route depuis la station de chemin de fer la plus proche (elle était à 20 lieues !) et transporter les machines à dépulper en chars à bœufs. Plus tard, après la construction de la voie ferrée de Bauru au Mato Grosso, il contribua au développement de la ville de Pirajuí et fut le créateur d’Albuquerque Lins. En 1923, il possédait un million de pieds de café. » (Monbeig, 1952, p. 121-122) (fig. 2).
Carte de localisation : « L’expansion du café à l’époque de Pierre Monbeig »
Carte de localisation : « L’expansion du café à l’époque de Pierre Monbeig »
29Parallèlement à sa préoccupation pour les acteurs, il est attentif aux dynamiques spatiales. Il présente pour la première fois l’idée d’un « cycle urbain » (Monbeig, 1941, p. 546) lors du 9e Congresso brasileiro de geografía [29] en 1941. Selon lui, le fonctionnement de la frange pionnière est un mouvement spatial des populations lié aux actions et rétroactions du marché en fonction de la réponse à la dynamique des cycles économiques externes (les demandes du marché international pour le café) ou des cycles locaux, pédologique (épuisement du sol) et urbain (agrandissement des villes). La frange pionnière s’est constituée par ces allers et retours comme une réponse au fonctionnement cyclique du marché extérieur (Alves de Lira, 2017a). Sans reprendre la notion de « cycle urbain », il mobilise ce raisonnement dans sa thèse.
30En combinant les apports des thèses principale et secondaire (sur la croissance de São Paulo) de Monbeig et d’autres de ses travaux (Monbeig, 1941, 1952, 1953a), il est possible de représenter de manière schématique la progression spatio-temporelle de la frange pionnière mais aussi les structures spatiales et les acteurs, les relations villes-campagne, l’échelle locale et l’échelle globale.
31Avec la thèse principale, Monbeig décrit principalement les avancées ; avec la thèse secondaire, il montre les mouvements de repli de la frange pionnière et de croissance de la ville de São Paulo. Ce double mouvement est présenté ainsi : « Quoique São Paulo soit maintenant fort distant des zones pionnières, il en est toujours solidaire: sa croissance, l’évolution de ses fonctions sont complémentaires des transformations de la frange pionnière. Marche pionnière et croissance de la capitale sont les deux panneaux d’un diptyque. » (Monbeig, 1953a, 5).
32Pour ce qui concerne l’État de São Paulo, deux mouvements sont selon lui possibles en fonction de ces évolutions économiques. Le premier est un mouvement vers l’ouest à partir du port de Santos lorsque la demande internationale touche le pays et que d’autres conditions sont réunies (comme l’accumulation suffisante de capitaux). L’objectif est d’avancer vers l’intérieur du pays. Cela débouche sur le développement de voies ferrées et la naissance des nouvelles villes (encadré 1, situation 1) [30]. L’impulsion modernisatrice étant sélective, les villes sont choisies non pas en fonction de leur passé colonial et de leur site, mais de leur situation en lien avec le réseau hydrographique et les voies de passage. Par la suite, les villes de l’arrière-pays ne sont plus l’objet d’investissements et sont condamnées à ne plus vivre que de leurs propres ressources. Les nouvelles villes deviennent des boca do sertão (point de rencontre entre la zone « civilisée » et l’hinterland et touchée par les logiques capitalistes). Elles gagnent un statut de marché à la charnière de l’espace habité et industrialisé, et du sertão. Elles concentrent divers types de marchandises (manufacturées ou non) et servent d’attracteur de main d’œuvre pour les besoins agricoles. Les premières récoltes sont souvent exceptionnelles et sont exportées par la voie ferrée.
33L’autre mouvement est orienté vers l’est lorsque la demande du marché extérieur est en baisse, les pionniers reviennent vers les villes de l’arrière. Dans tous les cas, comme le mouvement pionnier n’est pas seulement un système d’allers mais aussi de retours, un marché interne peut se former dans la métropole de São Paulo et concurrencer le grand courant d’échanges du marché international (encadré 1, situation 2).
34Au fil du temps, lorsque des conditions favorables sont de nouveau réunies, le mouvement vers l’ouest reprend mais exige d’aller plus loin qu’auparavant. En effet, les sols s’épuisent et les pionniers n’ont pas d’autres solutions, pour continuer à faire des profits rapides, que de changer de lieu d’exploitation pour mettre en valeur de nouvelles terres et répondre aux demandes nouvelles du marché extérieur. Sous cette double pression pédologique et économique, la marche en avant se poursuit au détriment de la préservation et de l’entretien des sols déjà exploités.
35Les pionniers pauvres sont les premiers à partir, dès que les conditions économiques s’améliorent. Toutefois, même s’ils partent précocement, en imaginant obtenir des terres qui sont dites « vierges », ils ne sont pas conscients du fait qu’elles ont quand même des propriétaires qui, au lieu de leur vendre des terres, les embauchent, alors que ces pionniers pauvres nourrissaient des rêves de propriété. Les capitalistes anticipent l’idée de l’avancement vers un nouveau front à travers la spéculation foncière basée sur des informations privilégiées : ils profitent de leurs contacts au sein du gouvernement de São Paulo pour faire la promotion de l’installation sur des « terres vierges » et la masse pionnière se déplace en fonction de cette propagande puis se consacre à la déforestation des terres pour les rendre cultivables en échange d’un salaire. Mais la plupart de ces pionniers s’endettent pour acquérir une petite propriété et, après avoir nettoyé le terrain, ils doivent souvent vendre et aller travailler dans les grandes exploitations qui profitent de l’arrivée de la voie ferrée et des investissements (encadré 1, situation 3).
Encadré 1/ La frange pionnière de São Paulo en quatre schémas. Représentation de l’auteur selon la description de Pierre Monbeig, 1941, 1952 et 1953
« Ainsi à l’orée du XXe siècle, entrent en pleine production de gigantesques plantations dont la distribution géographique correspond de façon frappante à celle des terres violettes ».
Situation 2 : évolutions de la frange pionnière vers 1900« En direction du Paranapanema, en direction du Rio Grande et jusqu’au Rio Parana, les rails avaient poussé plus avant ».
« De plus la crise, on l’a vu, marque un ralentissement de l’avance pionnière, en même temps qu’elle porte les germes d’une nouvelle phase ».
« C’est donc avant tout à l’appauvrissement des sols qu’il faut attribuer l’état de choses constaté ».
Situation 3 : évolutions de la frange pionnière vers 1920« Au temps où la Light se mettait à l’œuvre, les circonstances étaient favorables pour la naissance de la fonction industrielle. En 1900 et 1906 sévissait une crise de surproduction de café. Il parut alors indispensable de ne plus lier l’économie du pays tout entier à une seule culture commerciale ».
« En effet, la construction de voies ferrées dans des régions encore peu peuplées n’avait pas été arrêté par la crise caféière ».
Situation 4 : évolutions de la frange pionnière vers 1930« L’après-guerre ramena une situation de prospérité analogue à celle de la fin du siècle précédent. Les marchés étrangers retrouvaient leur capacité d’achat et même le grand consommateur de café brésilien, les États-Unis, augmentait sa demande ».
« L’étude de la situation au moment de chacune des deux graves crises qu’a souffertes l’économie pauliste, celle de 1900-1905 d’abord, puis celle de 1928-1930 ensuite, doit donc permettre d’apprécier les tendances qui se manisfestaient alors, les modifications par rapport aux phases antérieures et les directions nouvelles ».
« […] la catastrophe économique de 1929 a trop profondément bouleversé l’économie et la société paulistes, pour que la poussée pionnière ait pu rester fidèle au café […] ».
36Lorsque le krach boursier se produit en 1929, c’est dans la ville de São Paulo que des résistances économiques à l’effondrement du marché local dû à la crise globale sont possibles en raison de structures institutionnelles et économiques solides (le gouvernement a pu appliquer des mesures de protection du marché) et d’un marché intérieur plus important. Pour la première fois au Brésil, le marché local l’emporte sur les dynamiques capitalistes externes. C’est le moment aussi où émerge une nouvelle classe dirigeante pour le pays : la bourgeoisie industrielle. Il s’agit, comme Monbeig le rappelle, d’une nouvelle migration des classes dirigeantes de la frange pionnière vers la ville de São Paulo. Cette relation entre la frange pionnière et la capitale, en relation avec les événements de 1929, est analysée dans sa thèse principale puis reprise dans sa thèse complémentaire, La Croissance de la ville de São Paulo (1953a) (encadré 1, situation 4).
37La thèse de Monbeig dépasse une simple description des mutations spatiales dans l’état de São Paulo. Avec cette recherche, il propose une interprétation de l’avancée des franges pionnières qui pourrait être pertinente pour l’ensemble du territoire brésilien comme le confirmeront les travaux de ses doctorants dans d’autres régions du pays. Pour autant, contrairement à Bowman, Monbeig ne propose pas de généralisation explicite sur ce sujet [31] et ne se situe pas non plus dans une perspective aménagiste comme pourraient le laisser supposer les nécessités du contexte brésilien. Je n’ai de fait pas trouvé de liens directs entre les recherches de Monbeig et les travaux d’aménagement, même si ses nombreuses publications dans l’une des principales revues de géographie appliquée brésilienne, le Boletim Geográfico, ainsi que dans la presse pauliste, laissent supposer que ses recherches étaient connues des aménageurs (fig. 3).
Supports de publication de Pierre Monbeig entre 1929 et 1953
Supports de publication de Pierre Monbeig entre 1929 et 1953
38Le terrain brésilien le conduisit à intégrer les idées de dynamique et de mise en relation spatiale dans ses interprétations de l’espace pauliste. Si formuler ces idées dans les années 1950 ne pouvait se faire à la manière des « nouveaux géographes » français des années 1970, adeptes notamment d’approches systémiques, Monbeig a montré ultérieurement son intérêt pour ces approches en relisant à leur lumière ses travaux brésiliens : dans une lettre du 21 mai 1979 à Raymond Pébayle (Pébayle, 1974 ; Fonds Pierre Monbeig, 1979), il utilise un vocabulaire renouvelé, parlant du Brésil comme un « système ouvert » où règnent des « déséquilibres » avec des « phases de paroxysmes et des rémissions » du marché extérieur (Fonds Pierre Monbeig, 1979 n.p.).
Conclusion
39Au Brésil, Monbeig fut donc soumis à des tensions intellectuelles et politiques, mais aussi à des tensions liées au terrain brésilien : à son altérité aux yeux d’un Européen et à la relative réserve d’un géographe français en matière de science appliquée. Quittant la France au milieu des années trente pour y revenir à la fin de la guerre, Monbeig aurait-il acquis au Brésil de nouvelles expériences déterminantes de géographe?
40Le titre d’un article qu’il a publié en 1940 est exemplaire de son ouverture vers la pratique : « A Geografia ciência de utilidade pública » [32]. On retrouve cette notion d’utilité de la science dans le cours inaugural qu’il a prononcé au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) [33] en novembre 1952 (Monbeig, ([1952], 1991), l’« utilité pratique » de la géographie résidant, selon lui, dans « sa capacité d’enquêtes », par laquelle, sans se substituer à la décision politique, elle fournit une « documentation plus qu’une solution » (Robic, 2006 et 2009).
41En fait, comme le suggèrent tant ses textes brésiliens que sa thèse et ses publications des années 1950, Monbeig a dû dessiner sa propre voie entre les héritages de la géographie française et les idées aménagistes venues des États-Unis et en vogue au Brésil. Par exemple, alors qu’il travaillait à sa thèse sur les Pionniers et Planteurs de São Paulo, il mobilisa les propositions de Bowman avec une relative autonomie par rapport à la notion de « front pionnier » utilisée par Demangeon, expression qui figeait selon lui le caractère instable de ces « zones neuves » où « [t]out est grouillant, tout est confusion, tout est dynamisme » (Monbeig, 1952, p. 13). Il montra aussi son indépendance à l’égard de la géographie régionale française : « terre sans passé, la frange pionnière n’a pas encore vu l’épanouissement des régions […] » (Monbeig cité par Théry, 2009, p. 55). Mais une telle cristallisation régionale pouvait-elle se produire dans un pays neuf ? Monbeig avertit, dans l’avant-propos de sa thèse, que cette étude de géographie humaine n’était ni une « monographie régionale » ni une « étude de genre de vie ».
42Nous ne connaissons de la soutenance de thèse que ce témoignage tardif de Monbeig : à son grand désappointement, aucun des membres du jury n’avait commenté le rôle qu’il accordait à la psychologie des acteurs (Bataillon, 1981, p. 136 ; Ozouf-Marignier, 2006, p. 57). Ses écrits montrent qu’à la même date il prenait position, parmi les géographes français de l’après-guerre, en faveur d’une science plus ouverte qu’elle ne l’était aux facteurs moraux et psychologiques : « Le géographe attentif d’abord aux techniques, observateur scrupuleux des façons de vivre matérielles [doit aussi l’être] aux modes de sentir et aux modes de penser » (Monbeig, 1953b, p. 105). Il appuyait explicitement son plaidoyer sur des études de cas étrangers, sur sa propre expérience de recherche au Brésil et sur des analyses qu’il importait d’autres domaines des sciences de l’homme, histoire et sociologie. Les arguments et les références auctoriales qu’il mobilise (soit, dans ce court article, Roger Caillois, Lucien Febvre, Georges Friedmann) montrent combien Monbeig est imprégné d’un bagage intellectuel ouvert. Parmi ses convictions figurent son souci de décloisonner les sciences de l’homme et sa volonté de les promouvoir comme guide d’action. Ces convictions, il les a affirmées au Brésil durant la guerre, s’appuyant à la fois sur son analyse des désastres écologiques constitutifs des fronts pionniers, sur une critique de l’instrumentalisation des sciences par les politiques et sur la nécessité de prendre en compte l’homme total, selon la formule de Marcel Mauss, et donc sur un nécessaire décloisonnement des sciences humaines (Monbeig, 1943 ; Angotti Salgueiro, 2021). Dans sa thèse, il affirme que la solution à ces désastres — épuisement des sols, déboisement radical, etc. — réside dans « l’éducation des planteurs », afin de passer d’un régime de pionniers à celui d’agriculteurs (Monbeig, 1952, p. 80).
43Si l’expérience brésilienne ouvrit le géographe à cette réflexivité, elle transforma aussi l’homme. Au fil du temps, il semble que Monbeig développa des regards de plus en plus critiques sur les héritages des situations de domination à partir du Brésil. Une critique très commune depuis les années 1930 porte sur l’extension démesurée des latifundios, un héritage colonial. Depuis 1944, Monbeig souscrivait à ces critiques : « La grande exploitation est, du point de vue géographique, une forme d’exploitation destructive des richesses naturelles ; elle est spéculative et prédatrice, principalement quand elle n’est pas limitée par le manque d’espace » [notre traduction] [34] (Monbeig, 1944, p. 21). Parmi ses contemporains, réinstallé en France, il est au moins de ceux qui ont attiré l’attention des chercheurs sur l’altérité : « Le péché d’européocentrisme, si courant dans les études de géographie physique, est encore plus redoutable pour le géographe humain qui s’éloigne de notre continent. […] L’appréhension d’un mode de penser radicalement différent du nôtre exige, sinon une certaine convivance, pour le moins un effort sérieux du chercheur. » (Monbeig, 1953b, p. 109) Pour autant Monbeig fut-il sensible à la contradiction liée à sa présence au Brésil et au fait d’apporter des compétences venant d’une puissance dominante dans un pays qui souhaitait prendre en main son propre destin?
Remerciements
Je remercie Marie-Claire Robic de m’avoir accompagnée dans la rédaction de cet article, Hervé Théry pour l’aimable autorisation de publication de sa carte, la FAPESP pour le financement de ma recherche, le département de géographie de l’université de São Paulo où j’ai mené cette recherche, l’université fédérale du Minas Gerais où j’étais professeure invitée, et l’équipe GGH-Terres (Ehess), l’équipe Ehgo et l’Umr Géographie-cités pour leur accueil pendant mes séjours en France.Références
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- Waibel L. (1948). « Vegetation and land use in the Planalto Central of Brazil ». Geographical Review, vol. 38, no 4, p. 529-554.
Suggestion de la rédaction
- Rivière d’Arc H. (2007). « Le ‘‘réseau’’ Amérique latine ». La Revue pour l’histoire du Cnrs, no 18, p. 24-28.
- Théry H. (2018). « Les sciences humaines et sociales dans les relations scientifiques France-Brésil ». Histoire de la recherche contemporaine, t. vii, no 2, 156-167.
https://doi.org/10.4000/hrc.2362. http://journals.openedition.org/hrc/2362
Mots-clés éditeurs : aménagement, Brésil, histoire spatiale des savoirs, frange pionnier, géographie classique
Date de mise en ligne : 31/08/2021
https://doi.org/10.3917/eg.493.0269Notes
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[1]
« Geografia do movimento » en brésilien.
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[2]
« Mas há esses tempos determinados concomitantemente pela natureza do território e pelas formas de exploração, ritmos de certa forma ‘interiores’, somam-se as flutuações da conjuntura exterior » en brésilien.
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[3]
Université de São Paulo.
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[4]
« À l’origine de cette étonnante proposition [venir au Brésil], il y avait un autre des vieux messieurs de l’Université de ce temps-là, le philosophe et psychologue Georges Dumas, qui était l’homme de confiance des Brésiliens, et qui avait été chargé par eux de recruter de jeunes professeurs. […] j’ai dit : Je suis tout à fait à vos ordres, s’il faut partir. Je n’allais pas rater l’occasion d’aller passer ce que je croyais être six mois au Brésil » (Monbeig cité par Bataillon, 1991, p. 29).
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[5]
« If tropical agriculture in South America is carried on under exceptionally difficult conditions of enervating climate and deficient labor supply […] I think one need not regard the tropics as a pioneer land that will some day have a development akin to that of the temperate lands with which this book deals in the main ».
-
[6]
Ce dernier avait commencé une thèse de géographie, transformée ensuite en thèse d’histoire. Pour autant, après la guerre il dira avoir alors deviné, « plus ou moins confusément » à quel point « les grandes questions » du siècle lui semblaient n’être posées « qu’à travers les questions de [ses] maîtres géographes » (Vilar, 1962).
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[7]
« Donos de meio continente, tendo de mobilizar riquezas e criar uma civilização própria, já não podemos permanecer em atitude passiva » en brésilien.
-
[8]
« Para reajustar o organismo politico as necessidades econômicas do país e garantir as medidas apontadas » en brésilien.
-
[9]
Notre traduction : « l’État nouveau ».
-
[10]
Notre traduction : « Marche vers l’ouest »
-
[11]
Au Brésil, le sertão est le domaine de la vie précaire qui mêle genres de vie indigènes (agriculture pauvre et itinérante sur brûlis) à ceux de vieux colons européens appauvris.
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[12]
Notre traduction : Conseil national de géographie.
-
[13]
Institut brésilien de géographie et statistique [notre traduction].
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[14]
Santos e a Geografia Humana do litoral paulista (Santos et la géographie humaine du littoral pauliste) [notre traduction] de Maria da Conceição Vicente de Carvalho (1944) ; Estudo sôbre o clima da bacia de São Paulo (Étude sur le climat du bassin de São Paulo) par Ary França (1945) ; Tipos de sitiante em algumas regiões do estado de São Paulo (Études sur les contreforts occidentaux de la Mantiqueira) [notre traduction], de João Dias da Silveira (1946) ; enfin Sítios e sitiantes no estado de São Paulo (Sites de la petite agriculture dans l’État de São Paulo) [notre traduction] de Nice Lecoq Müller (1946). Comme la plupart des travaux de Monbeig d’alors, ces thèses — à l’exception de celle d’Ary França qui traite du climat de la région de São Paulo — portaient sur la zone de modernisation du Brésil, autour de São Paulo.
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[15]
« Our discussion of the various parts of Brazil indicates that pioneer lands which satisfy these requirements are by no means easy to find » (James, 1950, p. 521). Notre traduction : « Notre analyse des différentes régions du Brésil montre que les terres pionnières qui satisfont à ces exigences ne sont pas faciles à trouver »
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[16]
« […] É particularmente agradável dizer aqui que o Cng do Brasil tem a preocupação de seguir, nesses trabalhos, a orientação da ciência geográfica americana. Até há pouco tempo, a influência da escola europeia nos trabalhos geográficos no Brasil era quase absoluta, quanto ao material e quanto aos métodos. Hoje, graças à atuação do Cng, já se manifesta a influência americana que tem a meritória vantagem de dar à Geografia sentido de utilidade » en brésilien.
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[17]
Association des géographes brésiliens.
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[18]
Pierre Monbeig a construit un vaste réseau de relations. Il a maintenu ses contacts avec l’élite pauliste démocratique mais n’a eu de cesse de répondre aux demandes de développement varguistes. Il a préservé son indépendance, en conversant tant avec Varga qu’avec l’élite pauliste mais aussi avec des communistes comme Caio Prado Jr. Il fréquentait diverses communautés de la société pauliste. Ainsi, le 20 mars 1937, il a participé à un hommage à Júlio de Mesquita Fils, adversaire de Vargas (O Estado de São Paulo, 20 mars 1937, p. 7) et en 1946 à un hommage fait à Paulo Duarte, qui revenait d’exil. Cet intellectuel, militant de gauche, responsable de la venue de Lévi-Strauss à l’université de São Paulo et membre originel du groupe qui discutait de la formulation du projet de l’USP, a eu des différends avec Júlio de Mesquita Fils (O Estado de São Paulo, 22 février 1946, p. 2). Pour la période de guerre, voir aussi ses engagements à distance ainsi que ses interventions pour les sciences de l’homme et aux côtés des écrivains dans Angotti Salgueiro, 2021.
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[19]
« Torna-se necessário dar aos estudos da Faculdade uma finalidade prática […] » en brésilen.
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[20]
« Aberta a sessão, o sr. Moraes Rego pediu a palavra estendendo-se em considerações sobre a importância e papel prático da Associação na expansão econômica do Est. de São Paulo e sua penetração nos estados vizinhos seus tributários naturais: Paraná, Mato Grosso, Goiaz e mesmo Triangulo Mineiro. Tal expansão depende antes de tudo de um 20 (suite). conhecimento preciso do terreno geográfico em que ela vai se operar » en brésilien.
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[21]
« Depois dos estudos da American Geographical Society sobre as zonas pioneiras australiana, canadense, manchuriana e outras ». Monbeig s’appuie très probablement sur le livre collectif (Joerg, 1932) recensé aussi par Demangeon en 1932, dont les monographies portent sur le Canada, l’Alaska, le Grand Chaco, la Patagonie, l’Afrique du Sud, l’Afrique du Nord, la Russie, la Mongolie, la Mandchourie et la Nouvelle-Zélande.
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[22]
Entre 1937 et 1945, le régime de Getúlio Vargas est autoritaire et populiste. On peut être surpris par le soutien de Monbeig à ce type de régime mais dans le contexte brésilien de l’époque, Vargas apparaît comme un président pouvant lutter contre l’oligarchie brésilienne et promouvoir de réelles avancées sociales. Il est soutenu par de nombreux intellectuels progressistes (Neto, 2013).
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[23]
« Temos a honra levar conhecimento Vossencia que a Associação Geógrafos Brasileiros com sede São Paulo deliberou unanimamente hipotecar irrestrita solidariedade patriótica atitude assumida governo Vossencia aguardando ordens para poder prestar serviços defesa do Brasil » en brésilien.
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[24]
Notre traduction: Plan de colonisation de la vallée de São Francisco.
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[25]
Notre traduction: Compagnie hydro-électrique de São Francisco.
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[26]
« Contou com o apoio financeiro do CNG e do Instituto do Açúcar e do Álcool (IAA), autarquia federal criada por Getúlio Vargas, em 1933, para planejara expansa o dos canaviais, o financiamento das usinas e organizar a produção, funcionando como um mecanismo de regulação do mercado ».
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[27]
« […] O Conselho Nacional de Geografia elaborou recentemente uma divisão regional geográfica do país. […]. É um ponto de partida, e foi submetido a animada discussão crítica […] » en brésilien.
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[28]
Habitants de l’état du Minas Gerais.
-
[29]
Congrès brésilien de géographie.
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[30]
Les schémas présentés sont une interprétation graphique du texte de Monbeig.
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[31]
Dans sa thèse principale, Pierre Monbeig intègre une bibliographie anglophone classique et nouvelle sur le Brésil. On y trouve notamment : Bowman I. (1931). The Pioneer Fringe. New York : American geographical Society ; Bowman I. (1937). Limits of land settlement. Council for Foreign Relations, New York ; Davis H. (1935). « Brazil’s Political and Economic Problems ». Foreign Policy Reports 11, no 1, p. 2-3 ; James P.E. (1932). « The coffee lands of Southeastern Brazil » Geographical Review, vol. 22, no 2, p. 225-244 ; Platt R.S. (1942). Latin American, Countrysides and United Regions. MacGraw-Hill Book Company; Waibel L. (1948). « Vegetation and land use in the Planalto Central of Brazil ». Geographical Review, vol. 38, no 4, p. 529-554.
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[32]
Notre traduction : « Géographie, Science d’utilité publique ».
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[33]
En 1952, Monbeig a opté pour cette institution d’enseignement moins académique que les universités, qui semble l’avoir intéressé pour cette raison (Bataillon, 1991). En 1957, il a été choisi comme directeur du nouvel Institut des hautes études d’Amérique latine (Iheal), une unité pluridisciplinaire de recherche. Il a confirmé son intérêt pour une carrière de géographe peu conventionnelle en acceptant en 1963 d’occuper au Cnrs le poste de directeur adjoint pour les sciences humaines, créé alors (Picard, 1991).
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[34]
« A grande lavoura é, do ponto de vista geográfico, uma forma de exploração destrutiva das riquezas naturais; é especulativa e depredadora, principalmente quando não se sente limitada pela falta de espaço. »