1Alors que Nelson Mandela avait été libéré de prison en 1990 et élu président de la République en 1994, les trois principaux aéroports du pays honoraient toujours, en 1995, des personnalités comme Jan C. Smuts à Johannesburg, Louis Botha à Durban, qui prôna la réconciliation entre Anglais et Afrikaners mais sur la base d’un compromis établi au détriment des Africains, voire Daniel F. Malan à Durban dont le principal fait d’armes fut d’avoir mis en œuvre la politique de l’apartheid à partir de 1948... Les dénominations furent changées en 1996, dans le sens d’une objectivité factuelle (Johannesburg International Airport, Cape Town International, etc.), puis réappropriées par la nouvelle Afrique du Sud en 2006, puisque l’aéroport de Johannesburg porte désormais le nom de Oliver R. Tambo, le compagnon de route de Nelson Mandela et Président de l’ANC en exil durant les années de la lutte. Notons toutefois que l’ancienne Afrique du Sud est toujours honorée à... Paris en 2008. Dans le xxe arrondissement, une rue Louis Botha débouche dans la rue du Transvaal.
2Les neuf provinces, qui constituent désormais la maille administrative supérieure de l’Afrique du Sud sont pour la plupart des créations nouvelles, appelant de fait des noms nouveaux. Mais le pays, dont les contours territoriaux n’ont pas changé, à la fin du régime de l’apartheid, s’appelle toujours, lui, l’Afrique du Sud et non pas l’Azanie, toponyme qui n’a jamais rencontré l’adhésion de qui que ce soit, hormis chez les tenants du très minoritaire Pan African Congress Party (PAC). Par contraste, tous les pays voisins de l’Afrique du Sud ont promptement changé leurs toponymes nationaux, lors de la décolonisation (Botswana, Lesotho, Namibie, Zambie, etc.), ou lors du changement de régime après l’épisode de la déclaration unilatérale d’indépendance (Zimbabwe) Qui se souvient encore du Bechuanaland, du Basutoland, de la Rhodésie du Sud, ou du Sud-Ouest africain ? Personne n’a donc touché à la toponymie nationale de l’Afrique du Sud pour cause de naming et de branding. Cela aurait pu obérer la notoriété du pays et affecter son puissant lobby touristique mais cela ramène aussi l’impact de la nouvelle toponymie à de plus humbles proportions.
3Néanmoins, il faudrait ouvrir une incidente sur ce qu’on pourrait appeler « les vecteurs nomades de la nouvelle toponymie provinciale ». Depuis l’apparition de l’automobile, les plaques d’immatriculation des véhicules à moteur contribuent, presque partout dans le monde, à la promotion des territoires. Elles véhiculent à la fois du symbole, de la sémiologie et de l’identité. Contrairement aux lieux, par essence fixes, ces vecteurs font circuler et propagent l’identité d’appartenance territoriale des conducteurs… du fait précisément de la mobilité de leurs engins…, ce « qui oblige à traiter l’espace, comme un système d’actions et d’objets et non comme une surface d’enregistrement » (Retaillé, 2005).
4Les plaques minéralogiques sud-africaines relèvent de l’autorité provinciale et devraient participer donc d’une certaine manière à la mobilisation des populations en faveur des nouveaux choix toponymiques provinciaux. La plupart des provinces ont sauté progressivement le pas pour transcrire en abrégé les nouvelles toponymies provinciales sur les plaques d’immatriculation (GP pour Gauteng Province ; NC pour Northern Cape ; EC pour Eastern Cape ; MP pour Mpumalanga ; NW pour North West Province, FS pour le Free State). Le Limpopo, malgré sa nouvelle toponymie, s’accroche toujours à sa toponymie intermédiaire (N pour Province du Nord), mais au grand étonnement de tous, deux provinces (et non des moindres) campent toujours, en 2007, sur des positions anciennes, le Western Cape et le KwaZulu Natal qui manifestent des formes de désynchronisation entre le temps (celui des nouvelles appellations) et l’espace (celui de leur diffusion).
5Plus de treize années après les changements toponymiques, ces deux provinces ont gardé les anciennes appellations des plaques minéralogiques : N pour Natal, avec une déclinaison pour les lieux plus ciblés (ND pour Durban – lequel renvoie à la fois au Natal et à Durban, appellations toutes les deux modifiées –, NN pour Newcastle, NUR pour Umhlanga Rocks, NRB pour Richards Bay, etc). Foin donc de KwaZulu, restons au Natal ! De même que, dans la province du Western Cap, la lettre C désigne toujours l’ex-province du Cap, avec ses déclinaisons localisées (CA pour Le Cap, CL pour Stellenbosch, etc.), malgré sa disparition et sa division en trois entités distinctes.
6Toutefois, pourvu que vous en ayez les moyens, vous pouvez obtenir, contre monnaie sonnante et trébuchante, des plaques minéralogiques personnalisées et donc acheter en quasi-exclusivité (en fonction du statut et des ressources) la nouvelle appellation territoriale. Les nouveaux sigles désignant la WP (Western Province) ou le KZN (KwaZulu-Natal) sont ainsi disponibles pour quelques privilégiés qui marquent leur différence de statut (WINE WP pour un marchand de vin, A4 QTRO WP pour le propriétaire d’un véhicule haut de gamme de marque Audi, KINGDOM KZN pour rappeler l’existence d’un royaume précolonial) !
7De plus en plus, les plaques minéralogiques des véhicules à moteur affichent un motif, un paysage, voire des armoiries qui constituent une riche sémiologie identitaire provinciale, hautement colorée et chargée de propager l’image de ces nouveaux territoires administratifs. Eastern Cape (EC) affiche ainsi un éléphant, en référence à l’Addo Elephant Park ; le Gauteng (GP), ses armoiries de fabrication récente ; le Mpumalanga (MP), un soleil levant ; le Limpopo, toujours attaché à l’appellation Northern Province (N), un baobab ; le Northern Cape (NC), un paysage brun avec un « Gemsbok », petite antilope des zones arides, alors que la Northwest Province (NW) ne se contente pas d’un motif mais raconte une véritable saga, à la fois rurale et minière faite d’un épi de maïs, d’une fleur de tournesol d’un buffle et d’un puits de mine…
8Le débat reste ouvert en France, et la perspective d’un changement généralisé du système d’immatriculation des véhicules en 2009, sans la référence à l’espace territorial du département et à ses cent référents chiffrés suscite déjà la controverse sur le mode « comment allons-nous désormais apprendre la géographie à nos enfants dans les embouteillages ? ».
Bibliographie
Références
- Retaillé D. (2005). « L’espace mobile ». In Antheaume B., Giraut F. (dir.), Le Territoire est mort. Vive les territoires ! Paris : Éditions de l’IRD, p. 175-202.