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Article de revue

Le débat sur Rome capitale. Géohistoire d'un choix de localisation

Pages 367 à 380

Notes

  • [1]
    « Delusione di Roma » : « Aujourd’hui, il n’y a pas de problème de Rome, si l’on ne tient pas compte du fait que les Italiens pensent que Rome devrait être une capitale, et qu’au contraire Rome n’en est pas une et ne semble pas destinée à en devenir une dans le futur ».
  • [2]
    « …le droit de choisir la capitale s’exerce avant tout dans les moments de grandes révolutions quand un nouveau système d’idées se trouve subitement en contradiction avec tout le système des communications, des routes, des centres, avec l’ancienne distribution des villes ».
  • [3]
    Ce débat est intéressant dans la mesure où le choix en faveur de Florence capitale peut être effectué par des pro comme par des anti-Romains, selon l’interprétation faite de la convention de septembre.
  • [4]
    « Les capitales sont un fait : les capitales, personne ne les crée, elles découlent naturellement des conditions économiques, morales, sociales, historiques d’un pays, les capitales surgissent d’elles-mêmes.
    Les Parlements ne les font pas, ils les reconnaissent ».
  • [5]
    « La question de la capitale ne se détermine, Messieurs, ni pour des raisons de climat, ni de topographie, ni même pour des raisons stratégiques. […] Le choix de la capitale est déterminé par de grandes raisons morales. C’est le sentiment des peuples qui tranche les questions qui lui sont relatives ».
  • [6]
    « Aujourd’hui, Messieurs, à Rome concourent toutes les circonstances historiques, intellectuelles, morales qui doivent déterminer les conditions de la capitale d’un grand État ».
  • [7]
    « Animer d’un seul souffle tant de provinces diverses », « fondre ensemble toutes les différences », « unifier les divisions multiples ».
  • [8]
    « Les capitales, ce ne sont pas les Décrets qui les créent, mais la nécessité et la convenance, déduites de faits véritables et existants ».
  • [9]
    « Qu’est-ce-que Rome ? Rome est la ville par excellence, Alma parens ; ce n’est pas que nous ayons à l’ériger capitale, c’est la Capitale : sur ce point, il y a peu à discuter ».
  • [10]
    « Toute l’histoire de Rome du temps des Césars au jour d’aujourd’hui est l’histoire d’une ville dont l’importance s’étend infiniment au-delà de son territoire, d’une ville pour ainsi dire destinée à être la capitale d’un grand État ».
  • [11]
    Le Député d’Ondes-Reggio s’exclame en 1864 : « Ti saluto, o Roma, regina del mondo, non perchè fosti la sede dei Cesari, ma perchè sei stata la sede dei Papi ! » (« Je te salue, Rome, reine du monde, non parce que tu fus le siège des Césars, mais parce que tu as été le siège des Papes !»).
  • [12]
    « Sur quelles bases se fonde la civilisation de l’Italie nouvelle ? Sur les deux antiques emblèmes des tyrannies les plus vieilles et les plus redoutables, le glaive et la pastorale ? ».
  • [13]
    Ainsi Jacini déclare-t-il en 1871 : « Per me la storia romana è una gloria della stirpe nostra ; ma non ha nulla a che fare col movimento nazionale italiano che è un’idea dei secoli moderni » (« Pour moi, l’histoire romaine est une gloire de notre race, mais elle n’a rien à voir avec le mouvement national italien qui est une idée des siècles modernes »).
  • [14]
    « Nous savons bien que Rome antique fut capitale […]. Mais son empire a cessé depuis longtemps, et aujourd’hui, la vérité est – et l’histoire le confirme – que depuis des siècles, et avant même que le Royaume subalpin n’existe, les papes sont les Seigneurs de Rome ».
  • [15]
    « …est plus jeune, c’est la nouvelle Rome […]. C’est la mère de la civilisation moderne en Italie et aussi en Europe ».
  • [16]
    Ce courant, illustré par Rosmini et Gioberti, espère l’unité de la papauté.
  • [17]
    Qui ne redevient capitale qu’en 1917.
  • [18]
    Ce au moins jusqu’aux efforts hygiénistes de la junte municipale dirigée par le maire radical Nathan (1907-1913) et les bonifications du régime fasciste.
  • [19]
    Même si le député Sineo fait remarquer en 1864 que « L’Italia non è fatta a circolo ».
  • [20]
    « La cesssion de Nice et de la Savoie, la nouvelle délimitation de nos frontières avec la France ne permettent plus que Turin soit la capitale ».
  • [21]
    « Je crois […] que la première condition à remplir pour une capitale est d’occuper une position relativement centrale, de sorte que les divers services administratifs puissent facilement rayonner du centre vers les autres parties du royaume. Une capitale est le cœur de l’État, l’endroit où se concentre la vie d’une nation, et d’où part toute sa force […]. Le cœur d’un homme pourrait-il se trouver aux pieds ou à la tête ? De même, le cœur d’une nation ne peut se trouver à une des extrémités de son territoire sans que son existence en soit gravement compromise ».
  • [22]
    « Savez-vous ce que signifie la capitale à Turin aux yeux des Italiens ? Cela signifie la conquête. Savez-vous ce que signifie le transfert à Florence ? Cela signifie la liberté, le choix ».
  • [23]
    « Écartons donc de la concurrence au rang de capitale les villes à la situation insatisfaisante ; écartons Turin, l’élégante capitale provisoire, écartons Milan la Parisienne, Venise la belle, Gênes la superbe, villes toutes aussi peu adaptées à devenir capitales de l’Italie que Palerme ou Naples, qui possède la population la plus considérable, dont la situation est trop méridionale. Que reste-t-il ? Rome, désignée par la majorité, et Florence ».
  • [24]
    La première exception qu’il identifie concerne les « Stati ad essempio marittimi, la cui potenza si stenda sul mare, e sia più grande fuori che dentro » (« États par exemple maritimes, dont la puissance s’exerce sur mer, et est plus grande à l’extérieur qu’à l’intérieur »), dans lesquels « la capitale deve trovarsi collocata là dove più facili divengono le relazioni esteriori » (« la capitale doit se trouver à l’endroit qui facilite au maximum les relations avec l’extérieur »).
    Casati fournit à cet égard les exemples de Londres et de Copenhague.
  • [25]
    « …où un État s’agrandit peu à peu », où « il n’a pas toujours la possibilité de changer de capitale, il peut se trouver forcé de conserver une capitale située de façon incongrue ».
  • [26]
    « L’histoire de la capitale est longue en Italie […] ; en un mot nous avons expérimenté toutes les capitales possibles dès avant 1848 ».
  • [27]
    « L’idea stessa d’una capitale preponderante fu sempre risolutamente respinta da tutti. Mille volte fu ripetuto non vogliamo una Parigi italiana, non vogliamo una Londra italiana ; nessuno ha mai immaginato di fondare una nuova Babilonia sul Tevere, nessuno se lo è sognato » («L’idée même d’une capitale prépondérante fut toujours résolument repoussée par tous. Mille fois fut répété que nous ne voulons pas un Paris italien, nous ne voulons pas un Londres italien ; personne n’a jamais imaginé fonder une nouvelle Babylone sur le Tigre, personne ne l’a jamais rêvé »).
  • [28]
    « L’Italie n’est pas un pays comme les autres. […] L’Italie a le privilège de ne pas avoir besoin de capitale ».
  • [29]
    « Les pays ont des centres autour desquels ils gravitent naturellement. L’Italie a son centre philologique, qui est Florence, son centre religieux, qui est Rome, et elle a son centre politique et militaire, qui est le Piémont et les Alpes ».
  • [30]
    « …les capitales sont de nature diverse : les unes règnent à cause de leur force, de leur prépondérance ; les autres, au contraire, tirent leur raison d’être de leur faiblesse même. Certainement, Rome ne menace aucune capitale italienne : ni Naples, quatre fois plus grande ; ni Turin, deux fois plus grande ; ni Milan également deux fois plus grande ; ni aucune autre ville. Toutes s’inclinent avec humilité et, je dirais avec hypocrisie, devant Rome ».
  • [31]
    « …c’est vrai, de Turin on ne gouverne pas l’Italie. Mais pourquoi ? La cause réside dans le système […]. Sans changer de capitale, pour bien gouverner, savez-vous bien ce que vous devez faire ? Changez le système, et vous gouvernerez l’Italie non seulement de Turin, mais de Pékin. Vous ne voulez pas changer de système ? II est inutile de changer de capitale. Avec le même système, où que vous soyez, le pays sera mal gouverné. […] Ici ce mauvais système s’appelle piémontisme parce que nous sommes à Turin capitale du Piémont, si nous allons en Toscane il s’appellera toscanisme, à Naples napolitanisme, à Rome romanisme ».
  • [32]
    « L’Italie se trouve dans une condition pour ainsi dire semblable à celle des États-Unis d’Amérique qui n’avaient pas de capitale car ils formaient, avant de s’unir en une fédération, des États distincts possédant chacun leur capitale ».
« Ora tutto il problema di Roma non esiste se non si tiene conto del fatto che gli Italiani pensano che Roma dovrebbe essere una capitale e che Roma invece non lo è è ne’ sembra avviata a diventarlo nel futuro ». [1]
a. moravia (1975, p. 8)

1 Le divorce entre les Italiens et leur capitale qu’exprime le recueil de nouvelles dirigé par Alberto Moravia (1975), intitulé avec un brin de provocation Contro Roma, est un trait structurel de la géographie italienne. Pour comprendre cette centralité incomplète de Rome et les représentations ambivalentes auxquelles elle donne lieu, il faut se replacer plus d’un siècle en arrière, à la fin de l’unification de l’Italie, au moment du débat sur Rome capitale qui domine la vie politique de 1860 à 1871.

2 Nous nous proposons d’analyser en géographe ce débat connu des historiens (Caracciolo, 1957 ; Piovani, 1970 ; Chabod, 1971) : nous relisons les sources de l’époque, et en particulier les actes parlementaires, dans une perspective non plus politico-diplomatique, mais territoriale. L’étude des logiques de localisation à l’œuvre dans le choix d’une capitale, événement localisé-localisant déterminant pour un jeune État-nation, cherche à introduire une problématique géographique dans le thème des capitales que les historiens investissent actuellement (Charle, Roche, 2002).

Les enjeux géo-politiques de la « question romaine »

3 La « question romaine » chère à l’historiographie du Risorgimento présente une remarquable intrication des enjeux politiques (au sens large) et géographiques.

L’imbroglio romain

Télescopages d’échelles et de centralités

4 Rappelons que l’achèvement de l’unité italienne, processus dans lequel la monarchie sarde joue un rôle moteur depuis 1848, se heurte militairement et diplomatiquement à l’enclave des États pontificaux (fig. 1). Quoique le pouvoir temporel du pape ait été remis en cause par trois fois depuis la Révolution française (en 1798, 1831 et 1849), le territoire national en construction est confronté à l’alliance du territoire régional romain et du réseau international chrétien, dont l’État français de Napoléon III se fait le bras armé. La papauté, défendue par des garnisons françaises et par une troupe internationale de volontaires qu’a immortalisée P. Claudel dans Le Père humilié (1920, rééd. 1997), refuse l’absorption dans le royaume d’Italie, proclamé en 1860, qui signifierait la limitation de son pouvoir au réseau spirituel.

Fig. 1

Les étapes de l’unification italiennne

Fig. 1

Les étapes de l’unification italiennne

D’après source modifiée : Pécout, 1997, p. 153.

Les trois capitales de l’Italie

« …il diritto di scegliere la capitale si esercita sopratutto nei momenti delle grandi rivoluzioni ».
Giuseppe Ferrari (1864) [2]

5 Cette situation inédite explique l’exception italienne en matière de capitale, exception théorisée par le député Ferrari, qui insiste sur le lien entre changement politique et changement de capitale, changement social et changement spatial. Le royaume voit ainsi se succéder trois capitales en dix ans : Turin, Florence et Rome (encadré 1). Lors de la proclamation du royaume d’Italie, la capitale de l’État moteur de l’unité devient la capitale de l’État-nation, comme la capitale de la Prusse deviendra capitale de l’Allemagne, expliquant la situation très excentrée de Berlin. Mais en 1865, à la suite de la convention de septembre passée avec la France, les institutions centrales sont déplacées vers la capitale toscane. En échange du retrait dans les deux ans de la garnison française défendant Rome, les Italiens s’engagent à respecter l’indépendance des États pontificaux et à transférer leur capitale à Florence. Un débat s’engage alors parmi les parlementaires italiens : Florence constitue-t-elle une étape vers Rome ou un renoncement à Rome ? Ce n’est que la chute du Second Empire qui permet à l’Italie d’achever son unification et d’adopter Rome pour capitale. Le 20 septembre, date de la bataille de Porta Pia au terme de laquelle les troupes italiennes entrent dans Rome, devient une fête nationale.

Rome objectif des Républicains italiens

6 Par-delà un événementiel exceptionnel, la compréhension du choix de la capitale italienne suppose une reconstitution des représentations que les acteurs politiques du xix e siècle se faisaient de Rome.

L’expérience de la République romaine

7 Pour les nationalistes de gauche, le choix de Rome est lié à une double référence historique : sur le long terme, ils se réfèrent à l’Antiquité, comme les révolutionnaires français l’avaient fait à la fin du xviii e siècle (Giardina, Vauchez, 2000) ; sur le court terme, ils évoquent l’expérience de la République romaine de 1849. En effet, le printemps des peuples s’est manifesté à Rome par l’éviction du pape et par l’institution d’un pouvoir républicain, dirigé par le triumvirat de Mazzini, Armellini et Saffi. Si l’expérience a tourné court, à la suite de l’intervention française, elle constitue l’événement fondateur pour la gauche italienne qui associe la revendication de Rome capitale et l’espoir d’un Risorgimento démocratique.

Encadré 1/ Le risorgimento et le débat sur les capitales d’Italie

Mars 1848 : début de la première guerre d’indépendance contre l’Autriche.
9 février 1849 : proclamation de la République romaine.
29 mars 1849 : triumvirat Mazzini-Armellini-Saffi à la tête de la République romaine.
3 juillet 1849 : prise de Rome par les Français.
4 juillet 1849 : rétablissement du pouvoir temporel du pape.
6 août 1849 : fin de la première guerre d’indépendance.
mai 1859 : début de la deuxième guerre d’indépendance contre l’Autriche.
8 juillet 1859 : paix de Villafranca.
mai 1860 : début de l’expédition en Sicile des volontaires garibaldiens, dite expédition des Mille.
I - Turin capitale de l’Italie
Mars 1861 : proclamation du royaume d’Italie ; vote en faveur de Rome capitale.
1862 : défaite garibaldienne d’Aspromonte face aux troupes gouvernementales italiennes.
II - Florence capitale de l’Italie
1864 : convention de septembre entre la France et l’Italie (retrait des troupes françaises de Rome sous deux ans contre respect des frontières du Latium pontifical et transfert de la capitale à Florence).
1865 : transfert de la capitale à Florence.
juin-octobre 1866 : troisième guerre d’indépendance contre l’Autriche.
1867 : défaite garibaldienne de Mentana face aux troupes françaises.
III - Rome capitale de l’Italie
20 septembre 1870 : entrée dans Rome des troupes royales par la brèche de la Porta Pia.
1870 : plébiscite pour le rattachement de Rome et de sa province à l’Italie (écrasante majorité de oui).
3 février 1871 : vote de la loi pour le transfert de la capitale de Florence à Rome.
13 mai 1871 : loi des Garanties (accordées par l’État italien au pape, qui refuse).
30 juin 1871 : transfert officiel de la capitale à Rome.
27 novembre 1871 : 1re session romaine du Parlement.
11 février 1929 : accords du Latran (concordat et création de l’État du Vatican).

Encadré 2/ Les trois Rome selon Giuseppe Mazzini (1805-1872), chantre de Rome capitale

Discours du 6 mars 1849 (Mazzini se présente pour la première fois à l’Assemblée constituante de Rome)
« Roma fu sempre una specie di talismano per me : giovanetto, io studiava la storia d’Italia, e trovai che mentre in tutte le altre storie tutte le nazioni nascevano, crescevano, recitavano una parte nel mondo, cadevano per non ricomparire più nella prima potenza, una sola città era privilegiata da Dio del potere di morire, e di risorgere più grande di prima ad adempiere una missione nel mondo, più grande della prima adempiuta. Io vedeva sorgere prima la Roma degli Imperatori, e colla conquista stendersi dai confini dell’Affrica ai confini dell’Asia ; io vedeva Roma perir cancellata dai barbari […] ; io la vedeva risorgere, […] ravvivando dal suo sepolcro il germe dell’incivilimento ; e la vedeva risorgere più grande a muovere colla conquista non delle armi, ma della parola, risorgere nel nome dei Papi a ripetere le sue grandi missioni. Io diceva in mio cuore : è impossibile che una città, la quale ha avuto sola nel mondo due vite grandi, una più grande dell’altra, non ne abbia una terza. Dopo la Roma che operò colla conquista delle armi, dopo la Roma che operò colla conquista della parola, verrà, io diceva a me stesso, verrà la Roma che opererà colla virtù dell’esempio : dopo la Roma degl’Imperatori, dopo la Roma dei Papi, verrà la Roma del Popolo ».
« Rome fut toujours pour moi une sorte de talisman : tout jeune homme, j’étudiais l’histoire de l’Italie, et je trouvai que dans les autres histoires toutes les nations naissaient, croissaient, jouaient un rôle dans le monde. Elles chutaient pour ne plus réapparaître au premier rang. Une seule ville tenait de Dieu le privilège de mourir et de ressusciter plus grande qu’avant pour remplir une mission dans le monde, plus grande que la mission précédemment accomplie. Je voyais d’abord surgir la Rome des Empereurs, et avec la conquête s’étendre des confins de l’Afrique aux confins de l’Asie, je voyais Rome périr sous les coups des barbares […] ; je la voyais ressusciter […] ranimant de son sépulcre le germe de la civilisation ; et je la voyais ressusciter plus grande, pour conquérir non plus par les armes, mais par la parole, ressusciter au nom des Papes pour répéter ses grandes missions. Je me disais : il est impossible qu’une ville qui a été la seule au monde à vivre deux vies, l’une plus grande que l’autre, n’en n’ait pas une troisième. Après la Rome qui agit en conquérant par les armes, après la Rome qui agit en conquérant par la parole, viendra, me disais-je, viendra la Rome qui agira par la vertu de l’exemple, après la Rome des Empereurs, après la Rome des Papes, viendra la Rome du Peuple ».

Le messianisme romain de Mazzini et Garibaldi

8 Les deux principales figures de ce courant développent un véritable messianisme de Rome, nourri de réminiscences historiques. Le passé glorieux est le gage d’un futur régénéré grâce à l’insurrection populaire. Le nom de la « ville éternelle » se fait l’emblème et le résumé d’un programme politique alternatif à celui de la monarchie parlementaire piémontaise. Le slogan garibaldien Roma o morte illustre cette fusion entre un objectif spatial (ou plutôt spatio-temporel, compte tenu de l’importance de la référence antique) et un objectif politique. Le discours tenu par Mazzini en mars 1849, lorsqu’il se présente pour la première fois devant l’Assemblée constituante de Rome (encadré 2), illustre avec exemplarité cette rhétorique romaine. Le lien personnel entre l’homme politique, fondateur du parti et du journal de la Giovine Italia en 1831, et la ville personnifiée en muse, débouche sur une évocation lyrique de l’histoire urbaine. Le cosmopolite Mazzini, également fondateur de la Giovine Europa en 1834, allie l’exceptionnalisme (souligné par l’opposition liminaire entre l’histoire de toutes les nations et celle d’une seule ville) et l’universalisme romain. Le messianisme révolutionnaire fait de Rome l’épicentre d’une philosophie de l’histoire ternaire : l’ample période citée exprime la dématérialisation de la puissance, les progrès de la civilisation et inscrit téléologiquement la « Rome du peuple » à venir dans la lignée impériale et pontificale. Le verbe risorgere occupe une place centrale dans le discours du maître à penser de la génération de 1848 : la renaissance de la nation italienne passe par la reproduction de la centralité romaine. Cependant, les espoirs placés en Rome par la gauche italienne ne se réalisent pas : les soulèvements fomentés par Mazzini échouent, les expéditions militaires des Garibaldiens pour conquérir Rome sont vaincues par les armées françaises (à Mentana en 1867) et même italiennes (à Aspromonte en 1862), car elles contrecarrent la politique gouvernementale de temporisation.

Cavour ou la récupération monarchiste de Rome

9 Mais face à la revendication de Rome capitale, la politique gouvernementale ne se réduit pas à la répression. Le président du Conseil turinois de centre-droit Camillo Cavour (1810-1861) provoque juste avant sa mort un tournant décisif. Ses célèbres discours du 25 et du 27 mars à la Chambre des députés, et du 9 avril 1861 au Sénat (Scoppola, 1971) conduisent à un vote de l’Assemblée en faveur de Rome capitale, alors même que Rome ne fait pas partie de l’État italien !

Reprise du choix spatial déconnecté du choix politique de la gauche

10 Il s’agit d’un véritable coup de maître politique. En effet, la reprise du choix spatial de la Gauche la prive de l’une de ses revendications principales, alors même que ce choix perd le contenu démocratique qui lui était initialement lié : Rome capitale ne sera pas la Rome du peuple. De plus, pour ménager l’allié français, Cavour pose, comme condition à la réunion de Rome à l’Italie, d’agir de concert avec la France.

La division de la droite face au « dogme » de Rome capitale

11 Cependant, le choix de Rome capitale ne fait pas l’unanimité à droite, d’autant que Cavour a posé pour deuxième condition le principe séparatiste « Libera Chiesa in libero Stato ». Malgré son argumentaire en faveur de la séparation du spirituel et du temporel, les catholiques conservateurs ne conçoivent pas le réseau religieux sans territoire pontifical. Le débat italien des capitales présente donc un clivage politique complexe, opposant la majorité de la gauche, de la droite et du centre aux parlementaires catholiques et à quelques personnalités, en particulier Ferrari, « considéré comme l’un des premiers porte-parole du ‘socialisme risorgimental’ » (Pécout, 1997, p. 13).

Comment choisir une capitale à l’Italie ? Genèse d’un choix de localisation

12 L’opposition de ces deux camps, malgré leur déséquilibre numérique, se développe en un ample argumentaire, à l’occasion de trois votes : le vote de 1861 en faveur de Rome capitale ; le vote de 1864 sur le transfert de la capitale à Florence [3], et le vote de 1871 sur le transfert de la capitale à Rome. Notons que le rattachement de Rome et des environs au royaume italien fait l’objet d’un plébiscite, mais pas le choix de la capitale. Seuls les anti-Romains distinguent la Rome italienne de la Rome capitale.

Le choix de la capitale entre logique territoriale et logique spatiale

« Le capitali sono un fatto : le capitali niuno le crea, esse sono il portato naturale delle condizioni economiche, morali, sociali, storiche di un paese, le capitali sorgono da sè, i Parlamenti non le fanno, le riconoscono » [4].
Député Coppino (1864)

13 Le choix à rebondissements de la capitale occupe les esprits des parlementaires pendant une décennie, et donne lieu à une polémique publique, dont le pamphlet anti-romain de M. d’Azeglio, Questioni urgenti (1861), constitue la publication la plus célèbre. Notons qu’à l’époque, le volontarisme de la capitale n’est pas assumé, comme il a pu l’être au xx e siècle de l’aménagement du territoire et des créations de capitales ex nihilo. Si un certain Napoleone Tettamanzi propose vers 1863 un projet de ville idéale pour « La nuova capitale d’Italia » (Carozzi, Mioni, 1970, p. 530), la classe politique prétend globalement non pas tant choisir la capitale, que la « reconnaître ». Le débat ne porte donc pas seulement sur le choix d’une ville, mais aussi sur les caractéristiques d’une candidate aux fonctions de capitale. Ce présupposé téléologique est partagé par la majorité des protagonistes. Les uns prônent Rome « capitale naturelle » de l’Italie, tandis que les autres insistent sur la centralité d’autres villes. Aussi le débat emboîte-t-il les échelles d’argumentation : les acteurs (et notamment les anti-Romains, opposés à l’argument de l’exceptionnalisme romain) font du raisonnement général sur la localisation des capitales, appuyé sur des exemples récurrents (Paris, Washington, Saint-Pétersbourg…), une arme rhétorique ; ils réfléchissent également à la spécificité géohistorique de l’Italie, pour déterminer les critères nationaux de choix de la capitale – et nous fournissent ainsi une précieuse image des représentations de l’espace au moment de la constitution de l’État-nation. Enfin, le débat se déroule à une échelle urbaine, puisqu’il implique une comparaison des grandes villes italiennes. Le télescopage scalaire est bien sûr fréquent, la théorisation constituant une justification a posteriori d’un choix de localisation très politique, comme nous l’avons vu.

Les critères de choix d’une capitale : argumentaire historico-politique versus argumentaire géo-politique

14 Les critères pour reconnaître la capitale ne font pas l’unanimité. Deux écoles s’affrontent : les pro-Romains s’appuient sur un argumentaire historico-politique, conforme à l’éducation des élites du xix e siècle, alors que les anti-Romains choisissent plutôt des arguments géo-politiques. Deux conceptions de la centralité politique s’opposent. Pour Cavour, « La questione della capitale non si scoglie, o signori, per ragioni né di clima, né di topografia, neanche per ragioni strategiche […] La scelta della capitale è determinata da grandi ragioni morali. E il sentimento dei popoli quello che decide le questioni ad essa relative » [5] (Scoppola, 1971, p. 42-43). Il disqualifie la pertinence des critères géographiques défavorables à Rome, pour se focaliser sur la relation historique entre la ville et la nation : « Ora, o signori, in Roma concorronno tutte le circostanze storiche, intellettuali, morali, che devono determinare le condizioni della capitale di un grande Stato » [6] (ibidem). Le choix du critère historique constitue en réalité un choix territorial, soucieux de l’appropriation de la jeune Italie, qui prime sur les arguments spatiaux, attentifs aux situations relatives, que développent surtout les anti-Romains. Le concept de capitale, désignant la relation entre un État, un réseau urbain et un territoire, nous place ainsi au cœur des interactions entre l’espace et le territoire, mais aussi entre l’histoire et la géographie.

15 Le choix de Rome vise à résoudre le problème du manque d’unité et d’identité de l’Italie, simple « expression géographique », selon la formule de Metternich, fragmentée politiquement pendant des siècles, État en quête de nation qui sort à peine de guerres qui ont tourné au Sud à la guerre civile. La capitale de l’Italie doit faire l’un avec le multiple et selon l’expression de Casati, « animare con un sol soffio tante diverse provincie », « fondere tutte le differenze », « unificare le molteplici divisioni » [7] (1861, p. 7). Lorsque Cavour, ensuite repris par de nombreux parlementaires, affirme que « sans Rome capitale d’Italie, l’Italie ne peut se constituer », il choisit de fonder l’identité problématique du nouvel État-nation sur la continuité historique. Seul l’universalisme romain peut selon lui servir de creuset à l’Italie, et éviter le triomphe des forces centrifuges.

16 En revanche, pour Massimo d’Azeglio, célèbre sénateur de droite qui souligne que « le capitali non le creano i Decreti, bensì la necessità e la convenienza, desunte da fatti veri ed esistenti » [8] (1861), la capitale doit être une ville centrale, choisie selon une logique géographique. Tandis que la majorité se réfère à la « rente de situation temporelle », une minorité défend la rente de situation spatiale.

Rome objet d’une « querelle des Anciens et des Modernes »

« Si le choix de l’Italie nouvelle n’avait été dominé par des considérations historiques, c’est à Milan qu’elle aurait dû placer sa capitale ».
Vidal de La Blache (1887)

17 Aussi le débat sur Rome capitale est-il traversé par une véritable « querelle des Anciens et des Modernes », qui porte sur le statut et l’importance de la référence antique dans la détermination de la capitale de l’Italie. Pour la majorité, le passé glorieux antique, mais aussi pontifical, justifie le choix de Rome, vitrine du nouvel État qui cherche à se légitimer et à s’affirmer en Europe par la filiation historique remontant jusqu’à l’Urbs, symbole civilisationnel de la centralité. Pour le sénateur Errante (1871) comme pour beaucoup, « Che cosa è Roma ? Roma è la città per eccellenza, Alma parens ; non è che l’abbiamo da erigere noi, è la Capitale : su questo punto pare ci sia poco da discutere » [9]. Dès le discours de Cavour à la Chambre, Rome, dont l’histoire se caractériserait par une importance dépassant très largement son territoire, serait prédestinée à devenir capitale : « tutta la storia di Roma dal tempo dei Cesari al giorno d’oggi è la storia di una città la cui importanza si estende infinitamente al di là del suo territorio, di una città, cioè, destinata ad essere la capitale di un grande Stato » [10] (Azeglio, 1861, p. 43). Rome s’insère dans la reconstruction a posteriori de l’histoire italienne, qui fait naître la nation avec l’Empire. Ce choix prétendument « nécessaire » s’inscrit dans la tentative étatique de production de la nation, de l’identité italienne. Dans cette stratégie historico-politique, le choix de Rome relève d’un nominalisme qui fait appel aux représentations collectives. La ville est choisie pour l’ambivalence de son appellation, Rome évoquant dans notre civilisation autant voire moins une ville qu’une époque.

18 Ce n’est donc pas un hasard si c’est le même M. d’Azeglio, auquel la tradition attribue le mot « l’Italie est faite, il reste à faire les Italiens », qui dénonce cette récupération de l’histoire en se référant au célèbre « Qui nous délivrera des Grecs et des Romains ? » et en qualifiant le choix de Rome capitale de « concetto rettorico-classico » (1861). Nous proposons de nommer, en hommage à G. Grass l’usage de l’histoire des pro-Romains « méthode comprimante », dans la mesure où ceux-ci rapprochent les heures de gloire du passé d’un présent et d’un futur qui s’en trouvent légitimés, produisant de la continuité avec de la discontinuité. Face à cette « méthode », dont l’usage généralisé conduit à présenter Rome comme la « capitale naturelle » de l’Italie, les anti-Romains adoptent trois stratégies.

19 La première consiste à réinterpréter l’histoire romaine, soit en insistant sur la Rome pontificale au détriment de la Rome antique [11], soit en contestant le caractère glorieux de cette histoire. Ainsi M. d’Azeglio (1861, p. 42) dénonce-t-il des références anti-démocratiques : « Su quali basi si fonda la civiltà dell’Italia nuova ? Si fonda forse sui due antichi emblemi delle più vecchie e più fatali tirannidi, la spada e il pastorale ? » [12]. La seconde souligne la distance entre l’Antiquité et le Risorgimento[13], parfois au profit d’une insistance sur la continuité du pouvoir pontifical – ainsi le sénateur Di Castagnetto rétorque en 1870 : « Noi sappiamo che Roma antica fu la capitale […]. Ma il suo dominio è cessato da molto tempo, ed ora la verità è, e la storia ce lo conferma, che da molti secoli, e prima ancora che il Regno subalpino esistesse, i Papi sono i Signori di Roma » [14] – ou d’une valorisation de l’époque moderne – Casati revendique le legs historique de Florence, qui « …è più giovane, è la novella Roma […]. E la madre della civilizazione moderna in Italia ed anche in Europa » [15] (Azeglio, 1861, p. 10). La dernière s’attaque à la légitimité de la justification historique elle-même. Le sénateur Correale dénonce en 1870 la substitution du fantasme à la réalité, et la confusion des temps. Quant à Carlo Casati (1861), il dénonce les origines littéraires du mythe de Rome, s’attachant à démontrer que les avantages de son site vantés par Tite-Live ne sont plus d’actualité dans cette ville morte ! Le sénateur Jacini va plus loin dans la prise de distance : il retrace en 1871 la genèse du « dogme » de Rome capitale, auquel il attribue trois causes principales : l’éducation rhétorique classique des politiciens ; le néo-guelfisme [16] ; les discours de Cavour.

20 Prenant néanmoins acte de la force de ce « dogme », Jacini propose une solution de compromis faisant de Rome la capitale honorifique, servant au couronnement du roi et aux solennités étatiques, et de Florence le siège du gouvernement. Il puise cette idée digne des Pays-Bas actuels dans l’ancienne dualité de Reims et de Paris, et dans la dualité qui existe à son époque entre Moscou [17] et Saint-Pétersbourg, Koenisberg et Berlin.

La centralité et la capitale

21 Cette proposition sans lendemain tient compte à la fois de la dimension spatiale et de la dimension territoriale de la capitale. Les anti-Romains accumulent pour leur part les arguments du premier type, tandis que les pro-Romains s’aventurent sur ce terrain, servis par la quasi-centralité géométrique de leur candidate au sein de la péninsule. Le débat sur Rome capitale donne ainsi lieu à une réflexion sur la centralité, et ses différentes composantes. Fondamentalement, les pro-Romains défendent la centralité historique, les anti-Romains le non-cumul des centralités politique et religieuse, et la centralité fonctionnelle.

22 Cependant, les débats s’orientent d’abord vers la question multiscalaire de la situation urbaine. En outre, les anti-Romains insistent sur le site, thème général qui leur permet de dénoncer l’insalubrité de la région romaine, ravagée de façon endémique par la malaria [18]. Il s’agit également de choisir pour vitrine une ville à l’urbanisme et aux monuments flatteurs, thème qui fournit l’occasion de vanter la beauté de Rome ou de Florence. Mais c’est l’échelle nationale qui retient l’attention de plusieurs parlementaires. Pour la plupart, la capitale doit se trouver au centre géométrique du pays [19], pour la facilité des communications. Ainsi le sénateur Cialdini affirme-t-il en 1864 que « La cessione di Nizza e Savoia, la nuova delimitazione delle nostre frontiere verso la Francia non permettono più che la capitale sia Torino » [20]. Mais c’est Carlo Casati qui développe le plus cette conception, justifiant son raisonnement spatial par la métaphore organiciste du cœur : « Credo […] che, la prima condizione da adempiersi per una capitale sia l’occupare una posizione relativamente centrale, acciò i diversi servizi dell’amministrazione possano agevolmente raggiare dal centro alle varie parti del regno. Una capitale è il cuor dello Stato ove concentrasi la vita d’una nazione, e donde parte ogni sua forza, ivi debbe rianimarsi come riviene al cuore il sangue nel corpo umano per vivif icarsi. Potrebbe forse il cuor d’un uomo trovarsi alla calcagna od all’occipite ? Parimente il cuor d’una nazione non può trovarsi all’una delle estremità del suo territorio senza che l’esistenza sur venga gravemente compromessa » [21].

23 Si C. Casati s’appuie étrangement sur une théorie de la centralité géométrique pour justifier la candidature de Florence (plus précisément, il considère que cette règle disqualifie toutes les villes italiennes autres que Rome et Florence, en faveur de laquelle il argumente ensuite), les anti-Romains proposent en général d’autres conceptions de la centralité. Jacini considère la capitale non pas comme centre d’un territoire, mais centre d’une population, et prône donc le choix du centre démographique, id est Florence dans une Italie dont le principal noyau de population occupe la plaine du Pô. Quant au député Petrucelli, il considère le centre non pas comme un lieu géométrique, mais comme un carrefour. Et de prôner une capitale littorale, conforme à la « vocation maritime » de l’Italie. La proximité de la mer et la distance aux frontières constituent les critères de localisation les plus cités, dans des optiques différentes. Tandis que les uns vantent la situation littorale, les autres valorisent la situation de fond d’estuaire, comme juste milieu entre le littoral et l’intérieur dans un pays péninsulaire. Alors que les uns considèrent que la sécurité impose de s’éloigner des frontières, les autres font valoir qu’une situation frontalière facilite la guerre à mener au nord.

La géohistoire italienne au miroir du débat des capitales

24 Lorsque les parlementaires cherchent à appliquer à l’échelle nationale les critères généraux qu’ils ont dégagés, ils soulignent la spécificité de la géographie italienne, et insistent sur deux traits principaux.

Le clivage Nord-Sud apparaît dans les représentations

25 Le premier est l’opposition et le décalage de développement entre le Nord et le Sud du pays : l’unification, en créant la « question méridionale », fait naître une représentation duale de l’Italie. Dans ce contexte, le choix de Rome fait figure de localisation intermédiaire, ni « trop au nord » ni « trop au sud » pour les uns, « pas assez au nord » ou « pas assez au sud » pour les autres. L’argument géométrique cache alors un problème territorial majeur.

26 La majorité des parlementaires, y compris beaucoup des anti-Romains, s’accorde sur la nécessité de quitter le Nord de l’Italie, même si certains nostalgiques de Turin, capitale dynastique, et quelques partisans de Milan, puissante métropole économique, s’expriment. La doctrine anti-turinoise cherche une justification spatiale (la capitale se trouve excentrée par rapport au nouvel État, comme la capitale de la Prusse un peu plus tard en Allemagne), mais s’avère fondamentalement territoriale : l’unification ne doit pas faire figure de colonisation piémontaise. Plusieurs acteurs du débat l’expriment ingénuement, à l’instar du sénateur Durando en 1864 : « Sapete cosa vuol dire la capitale a Torino agli occhi degli italiani ? Vuol dire la conquista. Sapete cosa vuol dire il trasferimento a Firenze ? Vuol dire la libertà, vuol dire la scelta » [22]. Le raisonnement par élimination de Casati l’illustre, qui renvoie dos à dos les métropoles septentrionales et méridionales : « Si scartino adunque dalla concorrenza al rango di capitale quelle città insussistenti per lor posizione ; si scarti Torino l’elegante capitale provvisoria, si scarti la parigina Milano, Venezia la bella, Genova la superba, città tutte a divenir la capitale dell’Italia, non più adatte di Palermo o Napoli la cui popolazione è la più considerevole, ma la situazione ne è troppo meridionale. Che resta ? Roma, dalla maggior parte designata, e Firenze » [23] (Azeglio, 1861, p. 7). C’est pourquoi le pamphlétaire n’applique pas à l’Italie la seconde des exceptions [24] à la localisation centrale de la capitale qu’il a lui-même théorisées, alors que son pays se trouve précisément dans le cas « ove uno Stato s’ingrandisca poco a poco », où « non è sempre nella possibilità di cangiare di capitale, può esser forzato di conservare una capitale in un modo incongruo situata » [25] (ibidem, p. 6). Le choix final de Rome constitue donc un choix partiellement négatif. L’avenir de la capitale sera largement lié à l’évolution du rapport entre le Nord et le Sud de l’Italie.

Le polycentrisme italien complique le choix de la capitale

27 La seconde caractéristique dégagée par les parlementaires réside dans le polycentrisme urbain qui complique le choix d’une capitale au « pays des cent cités ». D’une part, de nombreuses villes perdent leur rang de capitale en s’insérant dans le royaume italien. Comme le rappelle en 1864 le député Berti Domenico, « La storia della capitale è lunga in Italia […] ; in una parola abbiamo sperimentato tutte le capitali possibili già prima del 1848 » [26]. Or le choix de la capitale exacerbe l’identité urbaine, renforcée par la tradition municipale. Ainsi Turin a connu de violentes émeutes à l’annonce de la perte de la fonction de capitale. Les pro-Romains insistent sur le poids de l’argument historique dans ce contexte. Quant aux anti-Romains, ils rétorquent que la « question romaine » fait de ce choix le contraire d’une solution d’apaisement. Pourtant, Ferrari est un des rares parlementaires à évoquer en 1864 un fédéralisme qui ne s’esquissera qu’après la seconde guerre mondiale avec la régionalisation, et à déplacer la question de la localisation de la capitale au rapport entre la capitale et le territoire, qu’il refuse de penser sur le modèle français [27].

28 D’autre part, le polycentrisme italien, quoiqu’il soit exploité par l’orgueil national (ainsi M. d’Azeglio (1861, p. 47) se targue-t-il du fait que « l’Italia non è un paese come un altro. […] L’Italia ha il privilegio di non aver bisogno di capitale » [28]), pose problème en multipliant les métropoles incomplètes. Aux yeux des parlementaires, chaque grande ville possède une centralité (encadré 3), mais aucune ne détient une primauté hiérarchique incontestable, et aucune ne représente la centralité, comme le font Paris ou Londres, modèles souvent évoqués. Ainsi le député Berti Domenico expose-t-il en 1864 que « I paesi hanno centri intormo a cui gravitano naturalmente. L’Italia ha il suo centro filologico, che è Firenze, ha il suo centro religioso, che è Roma, ed ha il suo centro politico e militare, che è il Piemonte e le Alpe » [29]. Dans ces conditions, les candidates au rang de capitale sont de l’ordre d’une dizaine, même si les trois capitales successives sont les seules sérieusement envisagées.

Encadré 3/ Le polycentrisme italien et le problème des capitales dans l’argument des parlementaires

L’émiettement de la centralité en Italie vu par les parlementaires italiens

Capitale spatiale (composante de la centralité) Ville(s) italienne(s) ou régions la/les mieux placée(s)
Démographie Naples
Économie Nord
Politique Turin
Linguistique Florence
Histoire Rome, Florence
Géométrie Rome
Situation par rapport à la population Florence
Situation de synapse Ville portuaire du Nord (Gênes, Venise)

L’émiettement de la centralité en Italie vu par les parlementaires italiens

Avantages et inconvénients des principales candidates au statut de capitale selon les parlementaires italiens

Principale candidate au statut de capitale Capitale spatiale accumulée Capitale spatiale déficitaire
Turin Centralité politique et économique Situation excentrée, capitale antécédente, histoire régionale et non nationale
Florence Centralité linguistique, historique, centre de gravité démographique Faible centralité démographique et économique
Rome Centralité géométrique et historique Faible centralité démographique et économique, manque de tradition politique libérale
Naples Centralité démographique, capitale du Sud Faible centralité économique, situation au Sud, manque de tradition politique libérale

Avantages et inconvénients des principales candidates au statut de capitale selon les parlementaires italiens

29 Parmi elles, le choix de Rome apparaît comme un paradoxe du point de vue de la centralité. En termes démographique, logistique et économique, elle n’est pas la ville la plus avancée. En matière de population, Naples domine nettement au moment où les assemblées se prononcent en faveur de Rome (fig. 2 et 3), qui ne devient la première ville italienne qu’en 1921 provisoirement, et en 1936 plus durablement. En matière de communications, le gouvernement pontifical a retardé le développement du réseau de chemin de fer centré sur Rome, à l’heure où un véritable réseau régional commence à desservir le Nord de la péninsule, retard qui sera partiellement comblé en 1876 (fig. 4, 5, 6) (Carozzi, Mioni, 1970). D’ailleurs, lors de la séance de vote de la loi faisant de Rome la capitale du royaume, le ministre des Travaux publics, Guglielmo Acton, précise devant le Sénat qu’un tel choix rend nécessaire l’amélioration des communications entre les principaux centres urbains et notamment l’accélération des chemins de fer reliant Rome. Enfin, en termes économiques, A. Caracciolo (1954, p. 184) a montré que les années précédant l’intégration à l’Italie voyaient le dépérissement de l’économie et de la société féodales, sans que de nouvelles forces émergent réellement. Les statistiques de la première moitié du xix e siècle n’ont jamais identifié à Rome plus de 500 entreprises manufacturières, dont la majorité relevait en fait de l’artisanat (ibidem, p. 185). La faiblesse de l’arrière-pays agricole, la propriété latifundiaire et ecclésiastique du Latium empêchent l’affirmation d’une industrie moderne (ibidem, p. 191-192). La Monografia della città di Roma e della Campagna Romana (1881) pointait déjà le problème d’une ville consommatrice et très peu productrice. Au contraire, Milan, si elle n’est pas encore la capitale économique de l’Italie, constitue déjà, à la terminaison de la dorsale européenne, le centre industriel et commercial le plus important (Dalmasso, 1969, p. 139) dans lequel est créée entre 1871 et 1873 la première société industrielle par action du pays (ibidem, p. 148).

Fig. 2 et 3

La population des villes italiennes aux recensements de décembre 1861 et 1871

Fig. 2 et 3

La population des villes italiennes aux recensements de décembre 1861 et 1871

D’après source modifiée : Carozzi, Mioni, 1970, p. 32 et 34.
Fig. 4, 5, 6

Le réseau ferré d’Italie en 1860, 1865 et 1876

Fig. 4, 5, 6

Le réseau ferré d’Italie en 1860, 1865 et 1876

D’après source modifiée : Carozzi, Mioni, 1970, p 291, 293 et 295.

Rome : le choix d’une capitale neutre

30 Aussi Rome joue-t-elle le rôle de capitale neutre, catégorie qui prendra de l’ampleur au xx e siècle, avec la multiplication des fondations de capitale. Dès 1861, le député Ferrari ironise sur ce choix, qu’il dénonce comme un refus de choisir : « le capitali sono di varia natura : le une regnano a causa della loro forza, della loro preponderanza, le altre, al contrario, prendono la loro ragion d’essere nella loro propria debolezza. Al certo, Roma non minaccia nessuna capitale italiana : nè Napoli, quatro volta superiore, né Torino, due volte superiore, nè Milano equalmente due volte superiore, nè alcuna altra città. Tutti s’inchinano umilmente e, direi anche, ipocritamente verso Roma » [30].

31 En outre, la notion de « ville neutre » recouvre un choix politique conservateur. Selon M. Birindelli (1978) qui replace Rome capitale dans le contexte de l’hausmannisation, le pouvoir fuyait, en gagnant le Latium, les conflits sociaux qui se multipliaient dans le Nord industriel et urbain. Le partage entre le Nord, centre économique, et Rome, centre politique, ne résulte donc pas seulement de la localisation de l’Italie en Europe (avec un Nord central et un Sud périphérique), mais aussi d’une volonté politique. Le sénateur Arrivabene dès 1864 ne proposait-il pas de favoriser la transformation de Turin en ville industrielle et commerciale, pour qu’elle souffre le moins possible de la perte de la capitale ? La compensation trahit un implicite partage des centralités.

32 L’intrication de la politique et de la géographie, manifeste dans le choix d’une capitale, explique que certains s’inquiètent de l’instrumentalisation de la question de la localisation. Ainsi, le député de gauche Musolino « déterritorialise » les problèmes politiques italiens et prédit en 1864 : « è vero, da Torino non si governa l’Italia. Ma perchè ? La causa sta nel sistema […]. Senza cambiar capitale, per governare bene sapete che cosa devete fare ? cambiate il sistema, e governerete l’Italia nonchè da Torino, da Pechino. Non volete cambiare sistema ? È inutile cambiare la capitale. Col medesimo sistema dovunque andrete sgovernerete sempre egualmente il paese. […] Qui questo cattivo sistema si chiama piemontismo perchè siamo in Torino capitale del Piemonte, andando in Toscana si chiamerà toscanismo, a Napoli napolitanismo, a Roma romanismo » [31]. L’avenir lui a donné raison, qui associe peu à l’unité la nouvelle capitale de la corruption et de l’inefficacité, sous le nom de « maladie romaine », dans des représentations collectives qui en appellent à Milan, « capitale morale de l’Italie ».

Pour une géohistoire comparatiste des capitales

33 La « question romaine » ne prend fin qu’en 1929, avec les accords du Latran qui créent l’État du Vatican, faisant de Rome une double capitale unique au monde. Mais Rome continue jusqu’à nos jours de poser problème aux Italiens, comme le rappelle le recueil d’A. Moravia : « à capitale peu centrale, réseau urbain bicéphale ». Cette étude de cas permet ainsi d’éclairer les enjeux qui ont présidé au choix non évident de Rome. Elle incite en outre à poursuivre l’investigation dans une direction comparatiste.

34 Les protagonistes du débat se référaient eux-mêmes à différents choix de localisation, en particulier aux choix de Madrid, Versailles, Saint Pétersbourg, Washington, qui associent volontarisme et recherche d’une ville « neutre », façonnée largement ou totalement par le pouvoir politique. Ainsi d’Ondes-Reggio compare-t-il la situation de l’Italie en 1864 à celle des États-Unis à la fin du xviii e siècle : « l’Italia si trova in una condizione, direi, simili agli Stati Uniti d’America, che non avavano una capitale perchè erano, pria di stringersi in federazione, Stati distinti ciascuno colla capitale sua » [32]. Après le débat sur Rome capitale, le xx e siècle, siècle de la décolonisation et de l’aménagement du territoire, est abondamment confronté à la question de la capitale. L’étude des cas australien, brésilien, ivoirien, pour ne citer que quelques exemples emblématiques, permettrait de replacer le cas italien dans une série signifiante. La rhétorique des exemples mise en œuvre dans le débat italien plaide donc en faveur d’une investigation géohistorique systématique du thème des capitales, fondée sur le va-et-vient du général et du particulier, qui favoriserait la compréhension des interactions entre géographie et politique.

Références

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  • Birindelli M. (1978). Roma italiana. Come fare una capitale e disfare una città. Rome : Savelli, 80 p.
  • Caracciolo A. (1954). « Continuità della struttura economica di Roma ». Nuova rivista storica. 1re partie, dal 1830 al 1870, anno xxxviii, fasc. 1, p. 182-206.
  • Caracciolo A. (1957). Roma capitale. Rome : Editori Riuniti, 309 p.
  • Carozzi C., Mioni A. (1970). L’Italia in formazione. Ricerche e saggi sullo sviluppo urbanistico del territorio nazionale. Bologne : De Donato Editore, 538 p.
  • Casati C. (1861). Roma o Firenze. Qual esser debba la capitale dell’Italia ? Turin-Florence : Unione Tipografico Editrice, Lapi, Papini e Compagnia, 16 p.
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  • Dalmasso É. (1969). Milan, capitale économique de l’Italie. Paris : Ophrys, 583 p.
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  • Grass G. (1995, 1997). Ein weites Feld/Toute une histoire. Paris : Le Seuil, 722 p.
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  • Ministero di Agricoltura, Industria e Commercio (Direzione della Statistica generale) (1881). Monografia della città di Roma e della Campagna Romana. Rome : Tipografia Elzeviriana, t. I : 389 p., t. II : 573 p.
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  • Piovani P. (dir.) (1970). Un secolo da Porta Pia. Naples : Guida Editori, 347 p.
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  • Vidal de La Blache P. (1887). États et nations de l’Europe. Autour de la France. Paris : Delagrave (4e édition), 567 p.

Mots-clés éditeurs : capitale, Rome, centralité, Italie

https://doi.org/10.3917/eg.344.0367

Notes

  • [1]
    « Delusione di Roma » : « Aujourd’hui, il n’y a pas de problème de Rome, si l’on ne tient pas compte du fait que les Italiens pensent que Rome devrait être une capitale, et qu’au contraire Rome n’en est pas une et ne semble pas destinée à en devenir une dans le futur ».
  • [2]
    « …le droit de choisir la capitale s’exerce avant tout dans les moments de grandes révolutions quand un nouveau système d’idées se trouve subitement en contradiction avec tout le système des communications, des routes, des centres, avec l’ancienne distribution des villes ».
  • [3]
    Ce débat est intéressant dans la mesure où le choix en faveur de Florence capitale peut être effectué par des pro comme par des anti-Romains, selon l’interprétation faite de la convention de septembre.
  • [4]
    « Les capitales sont un fait : les capitales, personne ne les crée, elles découlent naturellement des conditions économiques, morales, sociales, historiques d’un pays, les capitales surgissent d’elles-mêmes.
    Les Parlements ne les font pas, ils les reconnaissent ».
  • [5]
    « La question de la capitale ne se détermine, Messieurs, ni pour des raisons de climat, ni de topographie, ni même pour des raisons stratégiques. […] Le choix de la capitale est déterminé par de grandes raisons morales. C’est le sentiment des peuples qui tranche les questions qui lui sont relatives ».
  • [6]
    « Aujourd’hui, Messieurs, à Rome concourent toutes les circonstances historiques, intellectuelles, morales qui doivent déterminer les conditions de la capitale d’un grand État ».
  • [7]
    « Animer d’un seul souffle tant de provinces diverses », « fondre ensemble toutes les différences », « unifier les divisions multiples ».
  • [8]
    « Les capitales, ce ne sont pas les Décrets qui les créent, mais la nécessité et la convenance, déduites de faits véritables et existants ».
  • [9]
    « Qu’est-ce-que Rome ? Rome est la ville par excellence, Alma parens ; ce n’est pas que nous ayons à l’ériger capitale, c’est la Capitale : sur ce point, il y a peu à discuter ».
  • [10]
    « Toute l’histoire de Rome du temps des Césars au jour d’aujourd’hui est l’histoire d’une ville dont l’importance s’étend infiniment au-delà de son territoire, d’une ville pour ainsi dire destinée à être la capitale d’un grand État ».
  • [11]
    Le Député d’Ondes-Reggio s’exclame en 1864 : « Ti saluto, o Roma, regina del mondo, non perchè fosti la sede dei Cesari, ma perchè sei stata la sede dei Papi ! » (« Je te salue, Rome, reine du monde, non parce que tu fus le siège des Césars, mais parce que tu as été le siège des Papes !»).
  • [12]
    « Sur quelles bases se fonde la civilisation de l’Italie nouvelle ? Sur les deux antiques emblèmes des tyrannies les plus vieilles et les plus redoutables, le glaive et la pastorale ? ».
  • [13]
    Ainsi Jacini déclare-t-il en 1871 : « Per me la storia romana è una gloria della stirpe nostra ; ma non ha nulla a che fare col movimento nazionale italiano che è un’idea dei secoli moderni » (« Pour moi, l’histoire romaine est une gloire de notre race, mais elle n’a rien à voir avec le mouvement national italien qui est une idée des siècles modernes »).
  • [14]
    « Nous savons bien que Rome antique fut capitale […]. Mais son empire a cessé depuis longtemps, et aujourd’hui, la vérité est – et l’histoire le confirme – que depuis des siècles, et avant même que le Royaume subalpin n’existe, les papes sont les Seigneurs de Rome ».
  • [15]
    « …est plus jeune, c’est la nouvelle Rome […]. C’est la mère de la civilisation moderne en Italie et aussi en Europe ».
  • [16]
    Ce courant, illustré par Rosmini et Gioberti, espère l’unité de la papauté.
  • [17]
    Qui ne redevient capitale qu’en 1917.
  • [18]
    Ce au moins jusqu’aux efforts hygiénistes de la junte municipale dirigée par le maire radical Nathan (1907-1913) et les bonifications du régime fasciste.
  • [19]
    Même si le député Sineo fait remarquer en 1864 que « L’Italia non è fatta a circolo ».
  • [20]
    « La cesssion de Nice et de la Savoie, la nouvelle délimitation de nos frontières avec la France ne permettent plus que Turin soit la capitale ».
  • [21]
    « Je crois […] que la première condition à remplir pour une capitale est d’occuper une position relativement centrale, de sorte que les divers services administratifs puissent facilement rayonner du centre vers les autres parties du royaume. Une capitale est le cœur de l’État, l’endroit où se concentre la vie d’une nation, et d’où part toute sa force […]. Le cœur d’un homme pourrait-il se trouver aux pieds ou à la tête ? De même, le cœur d’une nation ne peut se trouver à une des extrémités de son territoire sans que son existence en soit gravement compromise ».
  • [22]
    « Savez-vous ce que signifie la capitale à Turin aux yeux des Italiens ? Cela signifie la conquête. Savez-vous ce que signifie le transfert à Florence ? Cela signifie la liberté, le choix ».
  • [23]
    « Écartons donc de la concurrence au rang de capitale les villes à la situation insatisfaisante ; écartons Turin, l’élégante capitale provisoire, écartons Milan la Parisienne, Venise la belle, Gênes la superbe, villes toutes aussi peu adaptées à devenir capitales de l’Italie que Palerme ou Naples, qui possède la population la plus considérable, dont la situation est trop méridionale. Que reste-t-il ? Rome, désignée par la majorité, et Florence ».
  • [24]
    La première exception qu’il identifie concerne les « Stati ad essempio marittimi, la cui potenza si stenda sul mare, e sia più grande fuori che dentro » (« États par exemple maritimes, dont la puissance s’exerce sur mer, et est plus grande à l’extérieur qu’à l’intérieur »), dans lesquels « la capitale deve trovarsi collocata là dove più facili divengono le relazioni esteriori » (« la capitale doit se trouver à l’endroit qui facilite au maximum les relations avec l’extérieur »).
    Casati fournit à cet égard les exemples de Londres et de Copenhague.
  • [25]
    « …où un État s’agrandit peu à peu », où « il n’a pas toujours la possibilité de changer de capitale, il peut se trouver forcé de conserver une capitale située de façon incongrue ».
  • [26]
    « L’histoire de la capitale est longue en Italie […] ; en un mot nous avons expérimenté toutes les capitales possibles dès avant 1848 ».
  • [27]
    « L’idea stessa d’una capitale preponderante fu sempre risolutamente respinta da tutti. Mille volte fu ripetuto non vogliamo una Parigi italiana, non vogliamo una Londra italiana ; nessuno ha mai immaginato di fondare una nuova Babilonia sul Tevere, nessuno se lo è sognato » («L’idée même d’une capitale prépondérante fut toujours résolument repoussée par tous. Mille fois fut répété que nous ne voulons pas un Paris italien, nous ne voulons pas un Londres italien ; personne n’a jamais imaginé fonder une nouvelle Babylone sur le Tigre, personne ne l’a jamais rêvé »).
  • [28]
    « L’Italie n’est pas un pays comme les autres. […] L’Italie a le privilège de ne pas avoir besoin de capitale ».
  • [29]
    « Les pays ont des centres autour desquels ils gravitent naturellement. L’Italie a son centre philologique, qui est Florence, son centre religieux, qui est Rome, et elle a son centre politique et militaire, qui est le Piémont et les Alpes ».
  • [30]
    « …les capitales sont de nature diverse : les unes règnent à cause de leur force, de leur prépondérance ; les autres, au contraire, tirent leur raison d’être de leur faiblesse même. Certainement, Rome ne menace aucune capitale italienne : ni Naples, quatre fois plus grande ; ni Turin, deux fois plus grande ; ni Milan également deux fois plus grande ; ni aucune autre ville. Toutes s’inclinent avec humilité et, je dirais avec hypocrisie, devant Rome ».
  • [31]
    « …c’est vrai, de Turin on ne gouverne pas l’Italie. Mais pourquoi ? La cause réside dans le système […]. Sans changer de capitale, pour bien gouverner, savez-vous bien ce que vous devez faire ? Changez le système, et vous gouvernerez l’Italie non seulement de Turin, mais de Pékin. Vous ne voulez pas changer de système ? II est inutile de changer de capitale. Avec le même système, où que vous soyez, le pays sera mal gouverné. […] Ici ce mauvais système s’appelle piémontisme parce que nous sommes à Turin capitale du Piémont, si nous allons en Toscane il s’appellera toscanisme, à Naples napolitanisme, à Rome romanisme ».
  • [32]
    « L’Italie se trouve dans une condition pour ainsi dire semblable à celle des États-Unis d’Amérique qui n’avaient pas de capitale car ils formaient, avant de s’unir en une fédération, des États distincts possédant chacun leur capitale ».

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