Notes
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[1]
L’enquête a été réalisée en face à face auprès d’un échantillon représentatif de 5 000 personnes, stratifié selon des critères géographiques garantissant une représentativité des pratiques de l’espace et des représentations qui lui sont associées (rural, urbain, littoral, plaine, montagne, centre-ville, périphérie, etc.).
-
[2]
La question est : « Pouvez-vous situer sur cette carte les principaux endroits où vous vous rendez à pied depuis votre logement et où vous vous sentez bien ? ».
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[3]
La question est ainsi posée : « Pouvez-vous m’aider à retrouver sur cette carte les principaux endroits où vous vous rendez généralement à pied à partir de chez vous, quel qu’en soit le motif, ainsi que les trajets que vous suivez pour y aller ? ».
-
[4]
Cette information n’étant pas codée systématiquement, elle ne peut être exploitée dans l’analyse faite sur l’ensemble des urbains.
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[5]
En modalités illustratives, on a retenu un ensemble de caractéristiques concernant peu de personnes mais pouvant être déterminantes des pratiques spatiales : posséder un chien, se rendre à pied à son travail, partir en week-end, vivre chez ses parents.
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[6]
Cette analyse a été réalisée en collaboration avec B. Garnier (INED) avec le logiciel SPAD. L’analyse effectuée est une analyse des correspondances multiples suivie d’une classification ascendante hiérarchique sur les facteurs de l’ACM avec l’utilisation d’une distance euclidienne. La description et l’utilité de cette méthode sont présentées dans l’ouvrage de L. Lebart, A. Morineau et M. Piron (1995), Statistique exploratoire multidimensionnelle.
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[7]
L’analyse des mots caractéristiques repose sur la comparaison de la fréquence d’apparition d’un mot dans une classe à sa fréquence dans l’ensemble du corpus.
-
[8]
Le premier chiffre indiqué donne la proportion de la modalité dans la classe et le second, la proportion pour l’ensemble des urbains.
« Le territoire existerait-il sans le support des espaces de vie, sans les déplacements individuels, les cheminements et les pratiques routinières du quotidien, qui donnent corps et consistance à toutes les formes de rapports spatiaux ? »
1 Chaque individu construit autour du lieu où il réside un territoire familier qui est le sien, en fonction de ses différentes activités, et qu’il modifie continuellement à partir des perceptions qu’il en a. La construction de ce territoire se nourrit d’informations dont il dispose et d’expériences personnelles qu’il accumule et qui contribuent à modifier en retour ses perceptions et sa pratique de l’espace. C’est l’investissement de cet espace proche, son appropriation par chacun, qui conduit à la détermination d’un territoire de proximité. D’un individu à l’autre, les pratiques dans l’espace situé à proximité du logement sont extrêmement variées que ce soit par leur étendue, le rythme auquel elles s’effectuent et les motivations qui les sous-tendent. Cette variété des pratiques spatiales confère aux territoires de proximité des morphologies différenciées : de forme circulaire si l’espace est pratiqué de manière quasi exhaustive à des distances équivalentes, de forme linéaire lorsque les déplacements privilégient un ou plusieurs axes, parfois de taille extrêmement réduite, limitée à un tronçon de rue, voire même inexistante.
2 L’analyse des déplacements dans l’espace de proximité est une perspective intéressante du rapport à l’espace des populations. L’espace qui environne le logement est le premier espace avec lequel un individu entretient une relation. En cela, il constitue une première entrée dans la détermination de l’espace de vie des populations. La notion d’espace de vie a été proposée par Armand Frémont et Jacques Chevalier dans de nombreux travaux de géographie sociale, comme « espace fréquenté par chacun de nous, avec ses lieux attractifs, ses nœuds autour desquels se construit l’existence individuelle : le logis, la maison, les lieux de travail et de loisirs… C’est l’espace concret du quotidien » (Di Méo, 1991). La géographie de la perception a enrichi l’étude des espaces de vie en introduisant la notion d’espace vécu fait de représentations et de perceptions : « intégrer toute la charge des valeurs qui se projettent des hommes aux lieux et des lieux aux hommes » (Chevalier, 1974). M.-J. Bertrand (1974) propose de distinguer « espace perçu » et « espace vécu » de la façon suivante : le premier serait ce qui est vu, entendu, senti dans le cadre de vie ; l’espace vécu ce qui est utilisé, approprié et ressenti.
3 Dans cette étude, nous nous intéressons aux pratiques spatiales des populations à travers le recueil des déplacements pédestres des citadins depuis leur logement. L’espace de proximité est envisagé ici de manière très large comme espace entourant le logement. C’est par le recueil des trajets routiniers et des motifs qui y sont associés que nous appréhenderons la perception de l’espace proche et la notion de territoire de proximité. Di Méo (1999) émet l’hypothèse que la « territorialité n’existerait guère sans un minimum de pratiques spatiales répétitives, même si les représentations spatiales territoriales ne se calquent jamais fidèlement, ni exclusivement, sur les cheminements routiniers du quotidien ». De la même manière, on considère que si des déplacements s’inscrivent dans l’espace de proximité, de manière régulière, celui-ci est alors investi puis approprié et prend le sens de territoire de proximité. Cette approche diffère fortement de celle employée dans le recueil des « cartes mentales » dont l’objectif est de faire émerger l’espace vécu, « suffisamment connu et fréquenté pour être représenté de mémoire » (Metton, Bertrand, 1974), en mettant en évidence notamment les pôles de l’espace qui structurent les représentations individuelles. Le dessin réalisé par les individus a souvent peu de lien avec la réalité, car la position relative des lieux et la distance qui les sépare sont modifiées (Gould, 1966 ; Gould, White, 1974). Dans les années 1960, K. Lynch s’est intéressé à la façon dont l’esprit structure l’espace qu’il perçoit et a montré « que l’image spatiale manque de cohésion et de continuité — tout n’est pas saisi, il y a des lacunes, des trous dans ce qui est retenu » (Chevalier, 1974).
4 Dans l’enquête analysée ici, on tente d’approcher les représentations qui se superposent à la pratique de l’espace de proximité à travers l’étude des motifs qui sont associés aux déplacements dans cet espace. Plus largement, c’est le rapport des populations à l’espace qui les environne que nous cherchons à étudier.
Espace de proximité et espace de vie dans l’enquête « Populations, espaces de vie, environnements »
5 L’objectif de l’enquête « Populations, espaces de vie, environnements » (INED, 1992) est d’analyser l’univers des représentations individuelles liées à l’environnement, non pas uniquement à partir de questions relatives aux opinions ou aux perceptions individuelles, mais en reliant celles-ci aux pratiques quotidiennes et plus particulièrement à celles qui ont trait à l’espace [1] (Collomb, Guérin-Pace, 1998). Une partie importante du questionnaire de l’enquête est ainsi consacrée à la collecte de l’espace pratiqué à pied autour du logement. Au moyen d’une carte détaillée (plan Blay ou carte IGN), centrée sur le lieu d’habitation de la personne interrogée, l’enquêteur recueille tous les déplacements effectués régulièrement à pied depuis le logement. La pratique spatiale est limitée au relevé des déplacements pédestres afin que ceux-ci puissent être recueillis de manière exhaustive. La première constatation confirme les observations faites sur la réalisation de cartes mentales. C’est celle de la difficulté qu’éprouvent les personnes interrogées à se repérer sur un plan, même dans un espace qui leur est familier. Une fois le logement situé, il est nécessaire d’identifier quelques repères propres à la personne interrogée avant que celle-ci puisse restituer ses trajets familiers. Dans un premier temps, on a recueilli les déplacements, trajets ou lieux, où la personne déclare se sentir bien [2]. Cette information est ensuite complétée par le recueil de l’ensemble de l’espace pratiqué à pied, quels que soient les motifs et l’appréciation qui l’accompagnent [3].
6 Une fois le territoire individuel reconstitué, il est décomposé en deux parties, une proche du logement et une plus éloignée. Pour cela, l’enquêteur mesure sur la carte la distance au point fréquenté le plus éloigné du logement et trace un cercle, centré sur le logement, et de rayon égal à la moitié de cette distance. Tous les points situés à l’intérieur du cercle sont considérés comme définissant l’espace proche et tous ceux situés à l’extérieur du cercle appartiennent au territoire éloigné (fig. 1 à 4). Cette façon de procéder a deux intérêts. Le premier est d’analyser les territoires de proximité relativement aux capacités de déplacement de chacun et non en fixant arbitrairement un seuil. Même si l’étendue de l’espace pratiqué autour du logement est très restreinte, quelle qu’en soit la raison, manque de disponibilité, mobilité réduite ou par choix, il est possible de tracer un cercle pour délimiter le territoire proche du territoire plus éloigné. Le deuxième intérêt de cette démarche est de pouvoir collecter, indépendamment de la forme de l’espace, des motifs de fréquentation ou de non fréquentation, de manière à répondre aux deux questions suivantes : pourquoi se déplace-t-on vers des lieux éloignés de son logement ? (ce sont les zones pratiquées situées à l’extérieur du cercle) et, à l’inverse, pourquoi ne se rend-on pas vers certains endroits alors qu’ils sont proches de son domicile (c’est la portion d’espace non pratiquée et située à l’intérieur du cercle) ? Recueillir les motifs de non pratique nous a semblé plus pertinent pour approcher les représentations associées à l’espace que d’interroger les personnes sur les motivations de leurs déplacements dans l’espace proche du domicile, le plus souvent associées à des besoins fonctionnels.
Exemple de territoire pratiqué à pied autour du logement (enquête PEE n° 142, homme de 68 ans)
Exemple de territoire pratiqué à pied autour du logement (enquête PEE n° 142, homme de 68 ans)
Exemple de territoire pratiqué à pied autour du logement (enquête PEE n° 140, femme de 62 ans)
Exemple de territoire pratiqué à pied autour du logement (enquête PEE n° 140, femme de 62 ans)
Exemple de territoire pratiqué à pied autour du logement (enquête PEE n° 78, homme de 28 ans, avec enfants)
Exemple de territoire pratiqué à pied autour du logement (enquête PEE n° 78, homme de 28 ans, avec enfants)
Exemple de territoire pratiqué à pied autour du logement (enquête PEE n° 80, femme 44 ans, divorcée)
Exemple de territoire pratiqué à pied autour du logement (enquête PEE n° 80, femme 44 ans, divorcée)
7 Ces motifs permettent de donner un sens et un contenu plus qualitatif au territoire de proximité, au-delà du simple recueil des déplacements. L’analyse des motifs permet de restituer quelques-unes des valeurs qui sont projetées sur l’espace et d’approcher ainsi la perception de l’espace et la notion d’espace vécu. Qu’est-ce qui motive un individu à se déplacer loin de chez lui et qui constitue en quelque sorte un motif attractif ? À l’inverse, quelles sont les perceptions de l’espace de proximité qui constituent un frein ou une barrière mentale aux déplacements dans l’espace environnant le logement ? La lecture des questionnaires montre que les motifs de non pratique évoquent souvent des critères liés à l’accessibilité plus ou moins facile de la portion d’espace, ou à la présence d’un point répulsif dans ce lieu : une usine, un hôpital, un cimetière, une prison… ou encore des critères liés à la population qui évolue dans ce lieu : présence de population étrangère, endroit mal fréquenté, quartier pauvre… Mais des critères plus fonctionnels, tels qu’une absence de commerces ou un manque d’animation de certains lieux, sont aussi fréquemment évoqués. Malgré les consignes données aux enquêteurs d’insister sur le recueil de motifs précis, les réponses « je n’ai rien à y faire » ou « sans intérêt » apparaissent fréquemment. Avant d’analyser plus en détail les motifs de déplacements, observons la diversité des pratiques et des territoires qu’ils engendrent.
Un ensemble de descripteurs des espaces de proximité
8 La principale difficulté de l’analyse des cartes sur lesquelles sont recueillis les itinéraires piétonniers réside dans le passage d’une observation individuelle à une interprétation collective. La comparaison des pratiques spatiales nécessite d’élaborer un ensemble d’indicateurs descriptifs des cartes. Un premier indicateur de la forme des territoires de proximité peut être construit, de manière simple, à partir de l’observation de la direction des cheminements autour du logement. On distingue ainsi les pratiques spatiales selon qu’elles s’effectuent vers toutes les directions, quelques directions ou simplement une ou deux directions. Un second descripteur est donné par la caractérisation de la morphologie du territoire, dans le cas où plusieurs directions sont pratiquées à partir du logement (au moins 3). Si les trajets sont à peu près de même longueur dans les différentes directions, on qualifie l’espace de « circulaire ». Enfin, l’étendue du territoire est mesurée par la distance au lieu fréquenté le plus éloigné du logement.
9 Les cheminements recueillis en milieu urbain et que nous avons pu exploiter sont au nombre de 1 442. À partir de l’analyse de ces cartes, on observe que la forme la plus fréquente de l’espace pratiqué autour du logement est composée de trajets qui s’orientent vers une ou deux directions, avec une longueur qui varie selon les directions (52 %), 35 % des espaces comprennent des trajets qui empruntent plusieurs directions et seuls 13 % s’effectuent vers l’ensemble des directions autour du logement. Parmi ces derniers, qui correspondent à une pratique plus exhaustive du territoire, un tiers ont une forme circulaire. Cette proportion relativement peu importante de territoire de forme circulaire s’explique en grande partie par le fait que le logement apparaît très rarement comme centre de l’espace pratiqué à proximité. La dimension des territoires de proximité est comprise le plus souvent (54 %) entre 1 et 3 km (distance à vol d’oiseau entre le logement et le point pratiqué le plus éloigné), 23 % ont une dimension inférieure à un kilomètre et 22 % supérieure à 3 kilomètres. La durée moyenne pour se rendre au point le plus éloigné est de 30 minutes. Par ailleurs, la fréquence des déplacements autour du lieu de résidence est, sans surprise, liée à l’âge et à l’activité : plus élevée pour les plus jeunes et pour les retraités, moins élevée pour les actifs.
10 Indépendamment du recueil des motifs liés aux déplacements, l’enquêteur avait pour tâche de retranscrire les commentaires faits par l’enquêté au moment de tracer les déplacements sur la carte. Ainsi 37 % des personnes interrogées n’ont émis aucun commentaire, un tiers a déclaré « je me sens bien partout » et 6 % ont indiqué « il n’y a pas de territoire où je me sente bien ». Le sentiment de bien-être s’accroît en proportion selon l’âge : 23 % pour les moins de 35 ans contre 44 % pour les plus de 55 ans. Par ailleurs, on observe que les personnes plus âgées ont une pratique plus systématique de l’espace de proximité. Ainsi, 19 % d’entre elles parcourent l’ensemble des rues situées à proximité de leur logement, et seulement 7 % chez les plus jeunes, les plus nombreux à n’emprunter qu’une seule ou deux directions (59 %). De manière moins marquée, c’est aussi chez les personnes âgées de plus de 55 ans que les territoires apparaissent plus fréquemment de forme circulaire (38 % contre 28 %).
11 Afin de mieux cerner la relation entre l’enquêté et son espace proche, on a cherché à la situer relativement à une échelle géographique inférieure, que constitue le logement, et à une échelle supérieure, qui est celle de la localité de résidence. En premier lieu, c’est l’appréciation du logement qui est recueillie, puis la description de l’environnement du logement, l’appréciation de l’environnement immédiat, de la vue et, enfin, les choix et les projets en matière de mobilité. À la question « Vous sentez-vous bien dans votre logement ? », 95 % des personnes interrogées répondent par l’affirmative et 25 % des personnes déclarent même que leur logement est le seul endroit dans lequel elles se sentent bien. Cette proportion croît très sensiblement en fonction de l’âge de la personne interrogée : 16 % des personnes âgées de moins de 26 ans déclarent ne se sentir bien que dans leur logement, 29 % des 36-45 ans, et plus de la moitié des personnes âgées de plus de 65 ans. Ce sentiment varie aussi selon le revenu, plus celui-ci est faible, plus la proportion de réponses affirmatives est élevée : 47 % contre 23 % pour les revenus les plus hauts. Au-delà de la localité, la dimension du territoire se restreint avec l’âge. Près de trois quarts des jeunes de moins de 26 ans déclarent que « le territoire dans lequel (ils se sentent) bien dépasse largement la dimension de (leur) département » contre 45 % des personnes de plus de 65 ans. L’étendue du territoire familier semble ainsi largement liée aux possibilités que l’individu a de s’en extraire en fonction de ses capacités physiques et financières.
12 Une étude sur les déplacements auprès des Parisiens montre que lorsque le territoire est étendu, il existe plus fréquemment des portions d’espace ou des trajets dans lesquels l’enquêté déclare se sentir bien (Bussac, 1999). Cela peut s’expliquer par le fait que les gens qui parcourent une grande distance se dirigent vers des lieux ou à travers des espaces qui les attirent. Parfois, c’est seulement la destination qui est indiquée comme étant appréciée, un espace vert, un point d’eau, un centre culturel, etc., parfois c’est l’ensemble du trajet qui est apprécié [4]. Nous avons représenté à titre d’exemple, les espaces de proximité de quatre Parisiens (fig. 1 à 4).
13 Les deux premières cartes sont situées dans le XXe arrondissement de Paris, dans le quartier de la Nation. La première carte représente les trajets d’un homme de 68 ans. L’espace pratiqué à proximité du logement est de dimension restreinte : les rues avoisinant le logement ne sont pas appréciées, mais à une distance plus éloignée du logement on observe des cheminements qui s’effectuent dans un environnement dans lequel cet homme déclare se sentir bien. C’est tout l’espace qui entoure le cours de Vincennes et dans lequel il effectue des déplacements utilitaires. La deuxième figure concerne une femme de 62 ans qui se déplace aussi quotidiennement autour de chez elle. L’espace proche du logement est très peu fréquenté. Elle le décrit comme « bruyant, délabré, triste et sans espace vert » et précise « qu’il n’y a pas de territoire à proximité de chez elle dans lequel elle se sente bien ». Les endroits qu’elle fréquente sont des lieux commerçants dont elle considère qu’ils sont « moins pauvres et moins concentrés en population ». Elle précise par ailleurs qu’elle se rend en métro dans le XIVe arrondissement de Paris pour aller marcher.
14 Les deux figures suivantes décrivent les déplacements de deux habitants du XVe arrondissement de Paris. Bien que les logements de ces deux enquêtés soient situés à proximité l’un de l’autre, les espaces pratiqués autour du logement sont totalement disjoints. L’un est orienté vers la Seine alors que l’autre se dirige vers Montparnasse. Le premier est celui d’un homme de 28 ans avec enfants qui se déplace tous les jours à proximité de son domicile. Le point le plus éloigné du logement se situe sur les quais de la Seine et est indiqué comme « un trajet de promenade ». L’ensemble de l’espace parcouru est apprécié. Il semble que la motivation principale soit l’accès à un espace vert et la présence de la Seine. La figure suivante concerne une femme de 44 ans, divorcée. Les motifs de déplacement indiqués pour les trajets situés au-delà du cercle sont « la présence de boutiques » sous forme d’un trajet bien défini qu’elle qualifie de « flânerie ». Lorsque l’on questionne cette personne sur la raison d’absence de pratique des zones proches de son logement (à l’intérieur du cercle), elle ne fournit pas de raison précise et évoque une « question d’habitude, je vais plutôt à l’est ».
15 Ces quatre espaces de proximité illustrent à la fois la diversité des pratiques spatiales mais aussi leur complexité à travers l’analyse des motifs qui les sous-tendent. Leur analyse individuelle est toutefois limitée à une description très qualitative.
Une typologie des pratiques spatiales des espaces de proximité
16 Peut-on, de manière plus systématique, à partir de la description de l’ensemble des cartes recueillies en milieu urbain, dresser une typologie des pratiques spatiales des espaces de proximité dans la ville et la relier aux caractéristiques individuelles des populations ? Existe-t-il un lien entre la morphologie des territoires de proximité, la nature des pratiques qui s’y inscrivent, les perceptions de l’espace, et le degré d’appropriation de cet espace en territoire ?
17 Les caractéristiques individuelles les plus déterminantes des pratiques spatiales sont l’âge, la localisation du logement dans la ville (centre ou périphérie) mais aussi la région du lieu de résidence. D’autres variables peuvent avoir une influence sur l’étendue et la forme du territoire de proximité : des variables démographiques et sociales telles que le sexe de l’enquêté, sa profession, des caractéristiques de l’environnement du logement (jardin, square, grands immeubles, pavillons, etc.) et son appréciation, mais aussi la nature de la trajectoire résidentielle (urbaine ou mixte) de l’individu et ses projets en matière de mobilité [5]. L’ensemble de ces variables ainsi que toutes celles qui sont relatives à la description des espaces de proximité et qui ont été décrites précédemment, ont été soumises à une analyse factorielle suivie d’une classification [6]. On obtient une partition de la population en cinq classes d’effectifs relativement proches. La structuration en classes s’effectue davantage en fonction des caractéristiques démographiques et géographiques que d’après les variables relatives aux pratiques spatiales. Cependant, chaque classe peut être qualifiée par un type d’utilisation de l’espace de proximité en fonction des variables descriptives des pratiques spatiales représentatives de chacune des classes. Pour donner un contenu à cette typologie des espaces, nous avons effectué une analyse statistique textuelle de l’ensemble des motifs (Guérin-Pace, 1997). Pour cela nous avons observé pour chacune des classes s’il existait des motifs caractéristiques de pratiques ou d’évitement de l’espace [7].
Un territoire d’utilisation mixte
18 Cette première pratique de l’espace de proximité concerne 20 % des urbains, en majorité des habitants de la région parisienne (66 % contre 35 % dans l’ensemble des urbains), des cadres (13 %, 6 %) [8] ou des employés (21 %, 13 %) et 90 % des personnes regroupées ici sont âgées de moins de 55 ans (70 %). Pour ces actifs parisiens, l’espace environnant le logement semble avoir deux fonctions : utilisé de manière fonctionnelle la semaine, il devient support des activités de loisirs le week-end. Son étendue est de taille moyenne, comprise entre un et trois kilomètres, pour une durée de déplacement variant entre 30 minutes et 1 heure.
19 La lecture des motifs caractéristiques de cette classe confirme cette hypothèse d’un espace différencié : d’une part, on relève des motifs de pratique de l’espace liés à une activité professionnelle ou à la présence d’un moyen de transport : « métro », « bus ». D’autre part, apparaissent des motifs liés à l’appréciation de l’« architecture », de « l’ambiance », de l’environnement et à des activités de loisirs : « restaurants », « shopping », « parc », « jogging » qui correspondent à des déplacements en majorité effectués le week-end.
20 Il semble ne pas exister d’attachement particulier au logement, ni à l’espace environnant le logement. C’est dans cette classe que l’on relève la plus grande proportion de personnes qui déclarent ne pas se sentir bien dans leur logement (12 %, 5 %) et ne pas apprécier la vue de leur localité (37 %, 16 %), en majorité composée de grands immeubles (87 %). De ce fait, les motifs fournis en réponse à la non fréquentation des zones proches du logement sont relatifs à l’architecture du lieu et à sa population : « architecture moche », « proximité du périphérique », « présence d’étrangers ». Une forte proportion de personnes déclare aussi souhaiter changer de région de résidence si elle avait le choix (84 %, 68 %).
Un territoire relationnel
21 C’est l’architecture du réseau de relations qui semble ici déterminer la forme des pratiques spatiales. Cette pratique de l’espace concerne 20 % des urbains, presque tous âgés de moins de 34 ans (97 %), étudiants pour la plupart (66 %, 18 %), célibataires, sans enfant et vivant chez leurs parents pour une grande proportion (44 %, 11 %). La localisation en banlieue y est plus fréquente (39 %, 28 %) ainsi que dans les régions du Sud-Ouest (13 %, 7 %) et du Nord (24 %, 19 %).
22 Les motifs attractifs des déplacements les plus cités sont liés à la présence de « copains », de « rencontres » autour de certains lieux : « place », « café » mais aussi des activités : « sport », « balades » et des types d’espace naturel : « forêt », « plage ». Les motifs de non pratique des espaces proches sont essentiellement liés à l’absence de connaissances : « je ne connais personne ». Cette pratique de l’espace de proximité donne lieu à un territoire relativement étendu avec une proportion de trajets supérieurs à 5 km plus forte que dans l’ensemble de la population (14 %, 7 %), trajets le plus souvent orientés dans quelques directions de longueur variable (82 %, 69 %).
23 Ici non plus, on ne relève pas d’investissement particulier de l’espace environnant, il est avant tout porteur de relations. La forte proportion de jeunes résidant chez leurs parents ou dans des logements d’étudiants, étapes à caractère transitoire, explique sans doute la nature de cette relation à l’espace proche. Elle se confirme par la proportion importante de souhaits de résider dans une autre région (77 %, 56 %).
Un territoire à proximité
24 La population de cette classe est la plus nombreuse (26 % des urbains), en majorité masculine (59 %, 47 %), d’âge médian (68 % contre 31 %), avec enfants (90 %, 69 %). Ce sont presque uniquement des actifs (91 %, 50 %), parmi lesquels on relève une proportion relative forte d’ouvriers (28 % contre 13 % dans l’ensemble de la population), d’employés (21 %, 14 %) et de cadres (12 %, 7 %). Les habitants des grandes agglomérations sont peu représentés (17 %, 34 %), ceux des plus petites villes apparaissent en proportion forte (65 %, 45 %) ainsi que les habitants des régions du Nord (28 %, 19 %) et du Centre (7 %, 3 %).
25 L’espace de proximité semble servir ici uniquement de relais pour accéder à un territoire apprécié, plus éloigné du logement. Pourtant, l’environnement du logement, essentiellement composé de pavillons (95 %, 80 %), est apprécié, que ce soit l’environnement immédiat (76 %, 72 %) ou la vue de la localité (94 %, 84 %). Les habitations ont en majorité des jardins (74 %, 53 %). Les déplacements dans l’espace de proximité sont relativement plus fréquemment effectués le week-end (39 %, 17 %), en compagnie des enfants. La dimension du territoire est relativement vaste : 87 % des distances au point le plus éloigné sont supérieures à 1 kilomètre. Les déplacements sont motivés de manière significative par un ensemble d’éléments naturels plus fréquemment à portée des habitants des petites villes : « champs », « campagne », « étang », « nature », « bois » où l’on recherche le « calme » et la « tranquillité ». C’est dans cet espace naturel que se constitue le territoire familier.
Un espace de proximité utilitaire
26 C’est volontairement que nous n’avons pas employé ici le terme de territoire, car l’espace de proximité ne semble ni approprié ni investi d’une manière ou d’une autre. C’est essentiellement la fonction de ravitaillement qui guide les déplacements. Cette classe concerne en grande partie des inactifs (63 %, 20 %), des femmes (82 %, 53 %) âgées de plus de 55 ans (47 %, 29 %) et résidant plutôt dans des villes de taille moyenne (66 %, 52 %) des régions de Bretagne, de Méditerranée et du Nord.
27 L’espace de proximité est composé de trajets de longueur très restreinte : 56 % (24 %) ont une dimension inférieure à un kilomètre et de fait sont de courte durée, plus de la moitié sont inférieurs à 15 minutes. L’espace est le plus souvent orienté vers une ou deux directions (65 %, 50 %). Il peut être qualifié d’espace utilitaire. En effet, les motifs les plus significatifs sont en grande partie liés au ravitaillement ou l’accès à un service : faire des « courses », le « marché », aller à la « banque », chez le « médecin », à « l’église » ou à « l’office », chercher les « enfants » à « l’école », « promener » les « enfants » ou le « chien ». Les déplacements s’effectuent essentiellement durant la semaine (68 %, 27 %) et très rarement le week-end (6 %, 35 %). Une raison évoquée pour expliquer l’absence de déplacements à pied est l’utilisation plus fréquente d’une voiture ou d’un deux roues 11 % (5 %).
28 On ne relève pas de perception particulière liée à cette utilisation de l’espace ; seule apparaît, mais en grande partie liée à l’âge, une proportion plus grande de personnes qui déclarent ne se sentir bien que dans leur logement (42 %, 25 %) et souhaiter rester dans la région de résidence actuelle (43 %, 32 %).
Un territoire investi
29 C’est seulement à la lecture de cette dernière catégorie que le terme de territoire de proximité prend tout son sens. L’espace proche du logement est pratiqué de manière quasi systématique et la fréquence de territoires de forme circulaire y est plus forte (23 %, 12 %). Une autre caractéristique significative de la présence d’un territoire est la grande proportion de personnes qui se déplacent quotidiennement à pied autour de chez elles et déclarent se sentir bien partout (46 %, 31 %). Les territoires sont vastes : 20 % des distances de parcours se situent entre 3 et 5 km (14 % pour l’ensemble des urbains) et 17 % (9 %) correspondent à une durée de marche supérieure à une heure. Les motivations de déplacement les plus citées sont la « promenade », « marcher », se rendre au « bord de mer », apprécier la « vue ». Cette motivation orientée vers les loisirs s’explique en grande partie par une très forte proportion de retraités (80 %, 17 %) et de personnes âgées de plus de 55 ans (98 %, 29 %). La localisation en périphérie de la ville y est plus fortement représentée (26 %, 11 %) ainsi que la région méditerranéenne (19 %, 12 %). Les habitants du Nord y sont sous-représentés (10 %, 19 %).
30 Ici aussi, liée essentiellement à la présence des personnes âgées, la perception de bien-être dans le logement est quasi unanime (99 %, 95 %). De même l’environnement immédiat est plus fréquemment apprécié (86 %, 72 %) et la vue de la localité considérée comme agréable (95 %, 83 %). Ainsi, c’est dans cette classe que l’on relève la plus forte proportion de personnes qui souhaitent rester dans leur région de résidence actuelle (57 %, 32 %).
Conclusion
31 C’est donc une variété de pratiques spatiales que l’on met en évidence à travers l’observation des déplacements dans l’espace de proximité. Les territoires de proximité qui sont engendrés par ces pratiques sont bien différenciés et leur morphologie peut être analysée au regard des motifs et des perceptions des trajets qui les composent.
32 Les pratiques sont en grande partie déterminées par des caractéristiques individuelles que l’on a pu mettre en évidence. L’âge apparaît comme un déterminant essentiel de la forme des espaces. Au fil de l’âge, le territoire de proximité se restreint mais s’accompagne d’une pratique plus systématique de l’espace. On se déplace moins loin mais on investit plus l’espace. Par ailleurs, habiter dans une grande ville ou non, résider au centre ou en périphérie de la ville, dans le Nord ou dans le Sud de la France mais aussi être un homme ou une femme modifient le rapport à l’espace de proximité. C’est la combinaison de ces facteurs qui détermine la nature du territoire de proximité. Du territoire de proximité, simple support d’activités ou de relations, au territoire entièrement approprié, on observe toute une gamme d’utilisations de l’espace environnant le logement.
33 Cette analyse pourrait être enrichie en intégrant plus largement la perception et la relation au quartier des populations qui y résident, ce qui permettrait d’observer comment l’espace de proximité s’intègre au quartier vécu ou s’y superpose. Il reste aussi à démontrer s’il existe une continuité ou une logique entre la façon d’appréhender l’espace proche à travers la construction du territoire de proximité et le rapport aux autres lieux qui composent l’espace de vie.
Références
- Bussac G. (1999). De l’espace de proximité au territoire de proximité dans la ville de Paris. Maîtrise de géographie, Université Paris I.
- Bertrand M.-J. (1974). « Espace et perception : discussion ». L’Espace géographique, n° 4, p. 238-240.
- Collomb P., Guérin-Pace F. (1998). Les Français et l’environnement : l’enquête « Populations - Espaces de vie - Environnements ». Paris : INED/PUF, 255 p.
- Chevalier J. (1974). « Espace de vie ou espace vécu ? ». L’Espace géographique, n° 1, p. 88.
- Di Méo G. (1991). « De l’espace subjectif à l’espace objectif : l’itinéraire du labyrinthe ». l’Espace géographique, n° 4, p. 359-373.
- Di Méo G. (1991). L’Homme, la Société, l’Espace. Paris : Anthropos/Economica, 319 p.
- Di Méo G. (1998). « De l’espace aux territoires ». L’Information géographique, n° 3.
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- Gould P., White R.R. (1974). Mental maps. Harmond-Worth (Middlesex) : Penguin Books, 204 p.
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- Metton A., Bertrand M.-J., (1974). « Les espaces vécus dans une grande agglomération ». L’Espace géographique, n° 2, p. 137-146.
Mots-clés éditeurs : ANALYSE TEXTUELLE, PRATIQUES SPATIALES, MORPHOLOGIE, ÊTE
Notes
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[1]
L’enquête a été réalisée en face à face auprès d’un échantillon représentatif de 5 000 personnes, stratifié selon des critères géographiques garantissant une représentativité des pratiques de l’espace et des représentations qui lui sont associées (rural, urbain, littoral, plaine, montagne, centre-ville, périphérie, etc.).
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[2]
La question est : « Pouvez-vous situer sur cette carte les principaux endroits où vous vous rendez à pied depuis votre logement et où vous vous sentez bien ? ».
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[3]
La question est ainsi posée : « Pouvez-vous m’aider à retrouver sur cette carte les principaux endroits où vous vous rendez généralement à pied à partir de chez vous, quel qu’en soit le motif, ainsi que les trajets que vous suivez pour y aller ? ».
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[4]
Cette information n’étant pas codée systématiquement, elle ne peut être exploitée dans l’analyse faite sur l’ensemble des urbains.
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[5]
En modalités illustratives, on a retenu un ensemble de caractéristiques concernant peu de personnes mais pouvant être déterminantes des pratiques spatiales : posséder un chien, se rendre à pied à son travail, partir en week-end, vivre chez ses parents.
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[6]
Cette analyse a été réalisée en collaboration avec B. Garnier (INED) avec le logiciel SPAD. L’analyse effectuée est une analyse des correspondances multiples suivie d’une classification ascendante hiérarchique sur les facteurs de l’ACM avec l’utilisation d’une distance euclidienne. La description et l’utilité de cette méthode sont présentées dans l’ouvrage de L. Lebart, A. Morineau et M. Piron (1995), Statistique exploratoire multidimensionnelle.
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[7]
L’analyse des mots caractéristiques repose sur la comparaison de la fréquence d’apparition d’un mot dans une classe à sa fréquence dans l’ensemble du corpus.
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[8]
Le premier chiffre indiqué donne la proportion de la modalité dans la classe et le second, la proportion pour l’ensemble des urbains.