Couverture de EG_323

Article de revue

Le bruit des avions, facteur de révélation et de construction de territoires

Pages 205 à 223

Notes

  • [1]
    Depuis le CREDOC en 1989 jusqu’à l’INSEE en 2002.
  • [2]
    Le Plan d’exposition au bruit est un document qui régit l’urbanisme à proximité des aéroports français, depuis la circulaire du 24 février 1973 puis la loi du 11 juillet 1985 (n°85-696) relative à l’urbanisme au voisinage des aéroports. Ces espaces ont longtemps été distingués en 3 zones (depuis peu en 4) selon les niveaux futurs d’exposition sonore au bruit des avions. Pour chacune de ces trois zones, les constructions sont réglementées. Ces servitudes d’urbanisme sont reportées dans les POS/PLU et visent ainsi à limiter les futures situations de gêne.
  • [3]
    Alors que dans d’autres pays européens et surtout aux États-Unis de tels travaux étaient conduits dès la fin des années 1960 (Faburel, Maleyre, 2002).
  • [4]
    Avec le soutien financier de l’ADEME et du Conseil général du Val-de-Marne.
  • [5]
    Cf. travaux de D. Aubrée du CSTB (1992) ou de A. Moch du laboratoire LOUEST de l’Université de Paris X (1995).
  • [6]
    Cf. productions de J.-F. Augoyard, ou de P. Amphoux du CRESSON, École d’Architecture de Grenoble.
  • [7]
    C’est le cas notamment de B. Charlier du SET, Université de Pau (2000).
  • [8]
    Nous renvoyons ici aux deux manifestations annuelles et de référence internationale sur le sujet : Internoise pour le bruit des transports et l’Aircraft Noise Symposium de l’Université de Berkeley, Californie, spécifiquement dédié au bruit des avions.
  • [9]
    Voir notamment ceux de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région Île-de-France autour de l’Airport City.
  • [10]
    Même principe de zonage que le PEB mais pour déterminer l’éligibilité des ménages à une aide à l’insonorisation des logements.
  • [11]
    Qui suggèrent même parfois que l’exposition sonore du logement serait récemment devenue le tout premier critère des choix résidentiels des ménages.
  • [12]
    Ancien lieu de résidence et caractérisation de ses attributs spatiaux, motivations de la venue dans la commune actuelle, ancienneté d’habitation, statut et mode d’occupation du logement, type de logement, temps passé à domicile, éloignement régulier dans un endroit calme, ambition de déménager et raisons invoquées…
  • [13]
    Importance des enjeux, interventions à envisager, moyens à mobiliser, acteurs à solliciter…
  • [14]
    Qui présente trop de situations de multi-exposition sonore pour ne pas introduire un biais.
  • [15]
    Les courbes isophoniques sont définies selon les niveaux de bruit exprimés en niveau maximum au passage des avions, ou Lmax (Beture, 1996).
  • [16]
    Durant les dernières périodes intercensitaires 1982-1990-1999, la population de Villeneuve-le-Roi a diminué de 10,8 % et celle d’Ablon-sur-Seine de 7,5 %, deux des communes les plus proches de la plate-forme.
  • [17]
    Pour une analyse détaillée de cette mobilité singulière, cf. Faburel et Maleyre (2002).
  • [18]
    Alors que l’analyse des enquêtes logement de l’Insee (MELT-DHC 1997) souligne une plus forte mobilité résidentielle extracommunale des personnes décohabitant et cherchant à accéder à la propriété.
  • [19]
    Ni l’âge, ni le sexe n’apparaissent ici comme des variables discriminantes.
  • [20]
    Aussi présent à Ablon-sur-Seine.
  • [21]
    Cf. notamment C. Chaudre (1987).
  • [22]
    Précisons ici que la proportion de retraités à Villeneuve-le-Roi pourrait ne pas être étrangère à cette abondance.
  • [23]
    Deux réunions ont été organisées sur une demi-journée et ont rassemblé 6 et 7 personnes de rangs sociaux proches et précédemment enquêtées. Toutes les communes étaient représentées dans ces dispositifs. Voir le guide méthodologique de R. Krueger (2000).
  • [24]
    Dans le cadre d’une recherche sur l’acceptabilité institutionnelle et sociale de la méthode utilisée pour évaluer le coût social de la gêne et des résultats produits (Faburel, coll. Leroux, Colbeau-Justin, 2000).
  • [25]
    Cette sensibilité a largement été exprimée par la municipalité lors d’une autre vague d’entretiens exploratoires réalisés cette fois-ci auprès des acteurs institutionnels du domaine de l’environnement (Faburel, coll. Leroux, Colbeau-Justin, op. cit.).
  • [26]
    Idem.
  • [27]
    Qui se dénomme quant à lui La Licorne.
  • [28]
    Le rôle de cette ressource dans la mobilisation associative a notamment été mis en lumière par des travaux portant sur les conflits liés aux projets d’infrastructures de transports terrestres. Nous renvoyons aux travaux de J. Lolive (1999) et J. Ollivro (1997).
  • [29]
    Mai 1994, défaillance d’un avion de la TAROM à Orly ; juillet 2000, accident du Concorde à Gonesse.
  • [30]
    Qui pourraient regrouper de 500 000 à 1 million de personnes en France si l’on en juge par plusieurs résultats de sondages sur le bruit des avions.
  • [31]
    Qui dès lors joueraient pleinement ici leur rôle de médiation tout à la fois interne et externe à la communauté d’appartenance.
  • [32]
    Nous renvoyons ici, pour le cas d’Orly, aux choix politiques qui ont présidé à son implantation dans un environnement déjà urbanisé. Rappelons aussi que les aéroports d’Orly et de Roissy ont été tous les deux implantés à la frontière de plusieurs départements.
  • [33]
    Par exemple M. Marié (1982), M. Roncayolo (1992), M. Le Berre dans Bailly, Ferras, Pumain (1995)…

Les composantes territoriales du vécu du bruit des avions et le coût social

1 Selon nombre de sondages réalisés [1], les bruits des transports constituent l’une des toutes premières causes de la détérioration de la qualité de vie et d’insatisfaction environnementale. Ces bruits peuvent provoquer une gêne intense, accroître un stress latent, révéler certains problèmes de santé, induire des modifications comportementales telles que le repli à l’intérieur de l’habitat, des changements dans l’usage du logement, etc. Ces effets physiologiques et comportementaux, généralement qualifiés d’effets sur la santé, sont à ce jour globalement cernés, notamment grâce aux nombreux travaux réalisés à l’étranger (Job, 1988 ; Fields, 1992 ; Miedema, Vos, 1999) et en France principalement par l’Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité.

2 Toutefois, en référence à la définition donnée par l’Organisation mondiale de la santé, la santé est un état complet de bien-être non seulement physique, mais aussi mental et social. Or, l’approche dominante actuelle dans nombre de pays délaisse grandement la compréhension des effets socio-économiques et territoriaux du bruit des transports. Pourtant, ces effets pourraient aussi être potentiellement explicatifs de la sensibilité voire des affects relatés par les enquêtes. Ce postulat est selon nous d’autant plus fondé que notre objet de travail est le bruit des avions. Ce bruit est un phénomène physique exerçant une pression zonale. Pour cette raison au moins, il implique le fonctionnement de territoires délimités ainsi que la vie de communautés entières, pour certaines préconstituées. Il peut alors s’immiscer dans le rapport qui unit chacun non seulement à son logement, mais aussi à son quartier, sa commune… son espace de vie. Et puisque, d’après sa définition (Robert), le bruit est un « ensemble de sons ressentis comme désagréables », celui des avions peut alors altérer les vécus sociaux et spatiaux, et, de ce fait, influer sur les dynamiques locales.

3 L’évolution sociodémographique à proximité de certains grands aéroports français est un exemple assez saisissant d’effets jusqu’ici négligés. Certes, les populations communales croissent globalement. Nous renvoyons ici aux résultats du dernier recensement concernant par exemple les communes figurant dans le périmètre du Plan d’exposition au bruit (PEB) [2] de Roissy CDG ou de Lyon Saint-Exupéry. Cette croissance a d’ailleurs souvent été mise en avant par les gestionnaires aéroportuaires et les autorités de tutelle. Elle permet d’affirmer que la présence de l’aéroport est davantage source d’externalités positives que d’impacts négatifs. Elle sert alors à parer, tout du moins dans les discours, plaintes et manifestations des riverains. Pour ce faire, ces acteurs puisent abondamment dans le référentiel de l’homo-economicus, rationnel (information parfaite), souverain et autonome dans ses choix, ici résidentiels, ainsi que dans le registre des effets structurants des infrastructures de transport (Offner, 1993). En fait, cette croissance, par-delà les interprétations dont elle est l’objet, masque selon toute vraisemblance des bouleversements plus profonds. Plusieurs données des derniers recensements montrent clairement qu’une sélection sociale lente est engagée dans nombre de communes proches des aéroports d’Orly ou de Roissy. Dans cette sélection, la charge sonore semblerait jouer un rôle déterminant, le conditionnel se justifiant ici par le peu d’évaluations fines accomplies sur ce sujet. En fait, le bruit pourrait dévaloriser certains biens immobiliers, autre impact socio-économique du bruit qui n’a jamais, en France, été approché par des procédés statistiques éprouvés [3] ; ces valeurs donneraient la possibilité à certaines catégories de population, résidant préalablement dans une aire spatiale proche, d’accéder plus aisément à la propriété sans pour autant se couper de leurs attaches et malmener leurs pratiques quotidiennes (Martinez, 2001) ; les ménages vivant quant à eux déjà à proximité des aéroports et disposant des ressources pour le faire déménageraient ; ces mutations restreindraient l’assiette fiscale des communes ; cette limitation, conjuguée aux contraintes urbanistiques imposées par les PEB, ne donnerait pas alors les moyens budgétaires à ces collectivités locales pour redynamiser le tissu par des compensations spatiales et sociales à l’exposition sonore, et remédier ainsi à la dévalorisation d’une partie du parc immobilier. Ce processus quelque peu inertiel montre que la charge environnementale imposée par l’exposition sonore peut modifier les composantes sociales et spatiales d’un territoire et, de ce fait, être à l’origine de modifications profondes de dynamiques locales (Faburel, Barraqué, 2002). La révélation de ce processus permet aussi d’expliquer les disparités sociales croissantes face au confort sonore à proximité des aéroports en France.

4 Cherchant à évaluer le coût social de la gêne due au bruit des avions à proximité de l’aéroport d’Orly [4], nous ne pouvions nous désintéresser de tels effets et il nous fallait tenter de saisir les ressorts et les incidences de la gêne et, plus globalement, du vécu du bruit afin de prétendre embrasser l’ensemble des composantes de ce coût. Nous avons plus précisément cherché à savoir si des spécificités sociales et spatiales pouvaient influer sur le vécu du bruit et, en retour, si ce dernier pouvait susciter certaines représentations et pratiques dès lors spatialisées, forgeant ainsi des territoires singuliers : mobilité résidentielle, sociabilité locale, investissement associatif, représentations et jugements politiques…

5 Certes, des travaux de psychologie sociale ont déjà montré le rôle de représentations dans les vécus sonores, notamment du bruit induit par les circulations routières ou ferroviaires [5]. En outre, des programmes entiers de recherche se sont intéressés aux effets du vécu des ambiances sonores sur les pratiques locales [6]. Enfin, quelques travaux ont dans un passé récent dessiné les contours d’une problématique plus géographique sur la question des nuisances sonores liées aux transports terrestres [7]. Mais, à notre connaissance, aucune recherche n’a abordé le vécu du bruit des avions selon cet angle d’analyse.

6 En fait, en France comme à l’étranger [8], les approches à ce jour dominantes de cette charge environnementale se réclament de l’acoustique, de la psychoacoustique, ou de la psychologie comportementale. Or, par leurs fondements, ces analyses ne peuvent prétendre comprendre les processus que nous voulions approfondir dans le cadre de notre recherche. En fait, ces travaux privilégient l’affinement des corrélations statistiques (ex : doses-effets), dans la perspective opérationnelle de recourir notamment à l’usage de descripteurs acoustiques de la gêne sur de vastes espaces. En outre, nous trouvons beaucoup de travaux, généralement d’études, qui analysent les impacts cette fois-ci positifs des fonctionnements aéroportuaires, le plus souvent selon des approches quantitatives : typologie et distribution des entreprises, nombre et catégories d’emplois, bases et taux fiscaux, qualité des dessertes de transports terrestres [9]

7 Pourtant, de notre point de vue, le bruit des avions constitue, tant du fait de ses caractéristiques physiques que de l’histoire politique, sociale et spatiale qu’il véhicule, un objet tout à fait pertinent pour traiter de la relation plus qualitative entre le vécu environnemental et la construction des territoires. L’approfondissement de cette relation pourrait dès lors largement compléter l’approche spatiale dans laquelle les prolongements cartographiques de l’acoustique continuent de confiner cet objet. Cet approfondissement pourrait par-là même l’aider à s’affirmer comme un véritable objet territorial. Cette ambition d’approfondissement n’a pas répondu seulement à des besoins de compréhension scientifique des processus à l’œuvre. Elle répondait aussi à une demande de plus en plus insistante des pouvoirs publics.

8 Certes, le problème du bruit des avions n’est pas récent. L’ancienneté des conflits à proximité d’Orly, et ce faisant la mise en place du couvre-feu il y a maintenant plus de 30 ans (interdiction de tout décollage ou atterrissage entre 23 h 30 et 6 heures du matin), en attestent (Nicolon, 1981). L’existence d’une législation spécifique depuis le début des années 1970, complétée tout au long des décennies écoulées, porte d’ailleurs témoignage de l’attention que les autorités ont accordée au problème : Plan d’exposition au bruit, Plan de gêne sonore [10], Commissions consultatives d’environnement, taxe supportée par les compagnies aériennes pour le bruit émis, sanctions financières des compagnies ne respectant pas les trajectoires nominales… Mais, globalement jusqu’à ce jour, ce regard porté sur le bruit des avions est demeuré d’obédience acoustique, délaissant la problématique des nuisances et du vécu social, spatial et politique de ce bruit. C’est l’une des raisons pour lesquelles les autorités sont en proie à des difficultés grandissantes quant à la gestion des capacités aéroportuaires (Faburel, 2003a). La création récente d’une Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires, ou la mise en place concertée de Chartes de la qualité de l’environnement sonore à Roissy-CDG et Orly, attestent d’une volonté politique d’étendre la problématique d’analyse. Il est vrai qu’au cours des dernières années, beaucoup de mouvements associatifs de lutte contre le bruit se sont structurés et fédérés, via notamment Internet. Des coalitions politiques locales sont apparues portant parfois le débat devant le Parlement (loi sur les vols de nuit en 2001, commission parlementaire sur le troisième grand aéroport commercial du Bassin parisien). Les médias relayent avec assiduité ces débats et tensions nés de projets de construction d’aéroports (Notre-Dame-des-Landes à Nantes, Toulouse-Fronton…), d’accroissement des capacités aéroportuaires (ex : Roissy-CDG, Lyon-Saint-Exupéry…), de changement des trajectoires (ex : Orly), ou de modification des trafics (ex : échec de l’implantation de DHL à Strasbourg-Entzheim).

9 Il n’y a, à ce jour, pas un pays qui ne soit confronté à ces situations de blocage mettant en balance impacts négatifs et positifs des aéroports. La situation est telle que plus de 50 aéroports américains, dont les tout premiers mondiaux en nombre de passagers, se heurtent à des difficultés pour étendre leurs capacités d’accueil en vue de répondre à des trafics qui augmentent globalement à un rythme de 3 à 5 % par an (US General Accounting Office, 2000 et 2002). Et, le vécu du bruit ainsi que les craintes que nourrit l’augmentation des mouvements y jouent un rôle structurant (Faburel, 2003b).

10 En fait, les pouvoirs publics sont de plus en plus confrontés à des situations requérant de mieux saisir les ressorts et effets sociaux et spatiaux du bruit des avions, de mieux cerner le rôle du bruit dans l’évolution des territoires proches des aéroports. L’un des objectifs d’action poursuivis est de penser sur le long terme l’acceptabilité locale des plates-formes aéroportuaires.

11 Afin de satisfaire notre objectif de compréhension, dès lors motivé par des considérations tant opérationnelles que scientifiques, une procédure méthodologique en plusieurs temps a été mise en place. Elle articule entretiens exploratoires, enquête, processus délibératifs avec des riverains de l’aéroport d’Orly, et un recueil d’informations sur les différentes communes observées. Ces temps méthodologiques structureront le propos qui suit. L’ensemble de ce propos renvoie à Faburel (2001).

Le rôle des pratiques et des représentations spatialisées dans la gêne imputée au bruit des avions

Analyse de contenu des entretiens exploratoires

12 Tout d’abord, en vue de préparer la phase d’enquête visant à mesurer le coût social, des entretiens exploratoires ont été réalisés en octobre et novembre 1998 auprès de personnes habitant à proximité de l’aéroport d’Orly et différemment exposées au bruit des avions (Boissy-Saint-Léger, Valenton et Villeneuve-le-Roi). L’analyse de contenu de ces entretiens a permis de défricher cette relation entre espaces, territoires, représentation du bruit et vécu de la gêne. En premier lieu, cette analyse confirme que le vécu du bruit est, dans ces communes, grandement référé à l’impression de gêne. Loin des travers constructivistes de plusieurs sondages [11], la gêne est spontanément évoquée par nombre d’interviewés. Puis l’influence de plusieurs caractéristiques locales sur ce désagrément énoncé a été décelée. Il s’agit par exemple de l’histoire du développement territorial, et notamment du choix de construire l’aéroport d’Orly dans la ville. Il s’agit aussi de certaines spécificités spatiales et notamment, pour certaines de ces communes, de la prédominance du tissu résidentiel, du manque de réseaux de transports routiers et ferroviaires offrant notamment des liaisons rapides avec l’aéroport et autres polarités proches… Toutes ces caractéristiques sont objectivées par des variables telles que les pratiques de l’habitat et du jardin ; par le parcours résidentiel, l’ancienneté d’habitation, et en particulier l’antériorité par rapport à l’essor de l’aéroport d’Orly. Ces dernières objectivations sont, dans les discours, largement associées à des jugements politiques très rudes à l’endroit des acteurs du domaine public. Ils sont évocateurs de représentations politiques assez singulières. Ces représentations, qui semblent à la fois naître de la gêne et en retour l’alimenter, apparaissent fortement arrimées à une croyance de délaissement du problème par les autorités nationales, et parfois locales.

13 Aussi, le contexte sociospatial est-il, dès cette étape, ressorti comme une dimension potentiellement structurante du vécu du bruit des avions. Toutefois, l’ambition d’évaluer le coût social de la gêne due au bruit des avions nous imposait d’avoir une appréciation plus représentative des phénomènes ainsi révélés. C’est ici l’une des raisons majeures de notre choix de retenir, parmi la batterie de méthodes que l’économie propose, un procédé d’évaluation du coût social reposant sur un dispositif d’enquête : la méthode d’évaluation contingente (Bonnieux, Desaigues, 1998). En regard de ces premiers résultats, nous avons usé du support d’enquête pour aussi questionner les riverains sur la relation qui les unit à leur habitat et leur espace de vie [12], leurs attentes en matière de réduction du bruit [13], leur niveau socioculturel, leur obédience politique, leur investissement ou leur connivence associative… Le questionnaire ainsi bâti comprenait 89 questions, dont 14 ouvertes. Il a été proposé entre novembre 1998 et avril 1999 en porte-à-porte auprès de 607 personnes réparties sur les six communes du Val-de-Marne les plus exposées au bruit des avions, à l’exception notable de Villeneuve-Saint-Georges [14] : Ablon-sur-Seine, Boissy-Saint-Léger, Limeil-Brévannes, Orly, Valenton et Villeneuve-le-Roi (fig. 1). La méthode des quotas a été utilisée pour construire cet échantillon. Les critères retenus ont été respectés : exposition sonore de l’habitation [15], professions et catégories socioprofessionnelles (nomenclature en 8 catégories, tirée de l’Insee), et sexe. Nous nous sommes parallèlement astreint à obtenir un nombre minimal d’observations par zone d’exposition et par commune enquêtée afin de garantir la possibilité de traitements statistiques désagrégés. En définitive, l’échantillon est représentatif d’une population mère de près de 70 000 personnes exposées au bruit des avions.

Fig. 1

Localisation de la zone d’enquête dans le département du Val-de-Marne

Fig. 1

Localisation de la zone d’enquête dans le département du Val-de-Marne

Résultats de l’enquête sur la gêne sonore et ses déterminants à proximité d’Orly

14 À partir de la base de données ainsi constituée, nous avons réalisé deux analyses factorielles de correspondances (Doise et al., 1992). La première porte sur les dimensions impliquées par le désagrément sonore. Ce désagrément a été mesuré selon les standards de la psychoacoustique et comportementaux en vigueur : désignation des sources de bruit, déclaration de gêne sur deux échelles (une verbale et une numérique), énoncé des perturbations comportementales imputées au bruit (réveil, modification de l’usage du logement, fermeture des fenêtres…) et croyance d’effets sur la santé.

15 En ce qui concerne les résultats portant sur la gêne, signalons en premier lieu que près de la moitié de l’échantillon se déclare spontanément au minimum « beaucoup gêné » par le bruit des avions. Si l’on rapporte ce pourcentage à la totalité de la population mère, il y aurait 40 000 Val-de-Marnais se disant au minimum « beaucoup gênés » par le bruit des avions à proximité de l’aéroport d’Orly. De plus, l’analyse statistique confirme ce que la littérature scientifique avance depuis plusieurs années mais que les autorités ne relayent de notre point de vue que trop rarement : la gêne déclarée n’est que peu liée à la dimension acoustique du bruit, mesurée ici en niveau maximum au passage des avions, ou Lmax (Beture, op. cit.). Des traitements statistiques spécifiques (régressions) font apparaître une corrélation entre l’exposition sonore et la gêne déclarée, certes significative selon le test de Pearson, mais d’un faible coefficient : 0,26. Ce résultat est convergent avec ceux issus d’autres travaux récents portant aussi sur le bruit des avions à proximité d’Orly et de Roissy (Vallet, Vincent, Olivier, 2000), et plus largement avec la littérature émanant de la psychoacoustique (Miedema, Vos, op. cit.).

16 En fait, selon l’indicateur Pourcentage de l’écart maximum (PEM) retenu pour discriminer les facteurs (Cibois, 1993), les variables en relation avec la gêne déclarée confirment statistiquement ce que les entretiens suggéraient. La dotation en connaissances (éloquente selon les réponses apportées aux questions ouvertes) sur les moyens politiques, techniques, et financiers de contrevenir aux affections sonores, et plus globalement, les attitudes d’informations ; la connivence ou la pratique associative de lutte contre le bruit des avions ; et la relation que cette sous-population entretient avec son habitat (propriétaires occupants d’une maison avec jardin, passant plus de 6 heures par jour de semaine à leur domicile, se rendant quelquefois le week-end dans un endroit calme…) apparaissent, selon cette modalité de traitement, entretenir une relation étroite avec la gêne.

Tabl. 1

Profil de la population qui se déclare « extrêmement gênée » (96 personnes)

Variables significativesEffectifsPEM [*]
Intérêt prononcé pour les reportages et/ou articles sur le bruit8774
Qui connaît et se sent proche des associations de défense de l’environnement6444
Qui envisage de déménager à cause du bruit des transports2028
Pour qui la pollution de l’air et les risques d’accident participent de la gêne7128
Qui connaît des actions permettant de réduire le bruit6222
Estimant que le bruit a fait baisser le prix de son logement4222
Habitant Villeneuve-le-Roi et Ablon-sur-Seine dans la zone la plus exposée4020
Propriétaire occupant4719
D’une maison avec jardin4317
Passant beaucoup de temps à domicile (+ de six heures par jour de semaine)5117
Ayant emménagé au début des années 19803417
Et ayant accès à une résidence secondaire où il se rend quelquefois le week-end3910
Personne âgée de 40 à 50 ans247
Vivant avec un enfant de plus de 12 ans257
[*] Pourcentage de l’écart maximum

Profil de la population qui se déclare « extrêmement gênée » (96 personnes)

Source: calculs de l’auteur

17 Parmi ces personnes, nous retrouvons, après croisement, les enquêtés qui ont manifesté, malgré une ancienneté de résidence (début des années 1980), le désir de partir habiter ailleurs du fait du bruit des avions. Même si, en théorie, l’opinion ne saurait exprimer une intention véritable et encore moins un projet mûri, force est de constater, lorsque l’on observe les données du dernier recensement de la population, que ces désirs ne sont pas nécessairement éloignés des actes [16]. Puisque par ailleurs, cette sous-population a les ressources budgétaires nécessaires pour déménager, nous aurions ici la traduction statistique du processus de sélection sociale évoqué plus haut [17].

18 Non seulement ces résultats ont confirmé statistiquement la prééminence de la dimension politique et de celle de l’habitat, mais surtout ces dimensions semblaient principalement s’immiscer dans le vécu des personnes habitant Villeneuve-le-Roi ou Ablon-sur-Seine. Or, compte tenu de leur influence modeste, les niveaux d’exposition sonore ne pouvaient seuls tracer les limites spatiales de ce vécu.

19 Il nous fallait alors définir la nature et les limites de frontières à l’intérieur desquelles ce vécu apparaissait commun. Les résultats d’une autre analyse de correspondances nous confortaient dans notre recherche d’une contextualité autre qu’acoustique de ce vécu singulier. Elle portait spécifiquement sur les déterminants de l’indicateur d’évaluation du coût social : le consentement à payer. Il ressort de ces traitements statistiques complémentaires qu’une sous-population de l’échantillon enquêté serait disposée à payer pour la suppression de la gêne sonore due au bruit des avions et, d’ailleurs, s’investit dans le militantisme associatif ou s’en sent proche, sans pour cela se déclarer gênée par ce bruit. En fait, ces personnes semblent entretenir un rapport singulier à leur espace de résidence, rapport qui expliquerait la déclaration de consentement à payer. Cette relation serait exprimée par : l’existence dans la commune de réseaux de sociabilité et notamment de la parentèle, ayant aidé à effectuer le choix résidentiel ; ce choix, vraisemblablement une décohabitation intervenue durant les années 1980, a été de rester dans la commune [18] ; en accédant à la propriété d’une maison avec jardin (le revenu de ces personnes atteste de la faisabilité) ; domicile dans lequel ces personnes passent du temps le week-end (12 heures et plus par jour) sans pour autant être financièrement captives ou âgées [19]. Cette relation unissant cette sous-population à son espace de résidence est telle que, bien qu’assez fortement exposée au bruit des avions et disposant des ressources budgétaires pour le faire, elle ne souhaite pas déménager. Or, nous retrouvons les deux communes précédemment discriminées. Les personnes composant cette sous-population habitent en très grande majorité et de longue date à Villeneuve-le-Roi ou à Ablon-sur-Seine.

20 Suite à cette seconde analyse statistique, il semblait que les contours spatiaux de ce vécu commun du bruit étaient dessinés par des représentations et pratiques contextualisées évocatrices d’un attachement à Villeneuve-le-Roi ou Ablon-sur-Seine, voire d’un ancrage territorial. C’est l’hypothèse que nous fixions, et, pour la tester, nous focalisions notre analyse sur ces deux communes.

Les attributs territoriaux de Villeneuve-le-Roi et Ablon-sur-Seine

21 Plusieurs informations collectées à l’échelle de chacune des six communes d’enquêtes donnaient sens à notre entreprise. Villeneuve-le-Roi et Ablon-sur-Seine disposaient, en l’an 2000, de nombre d’attributs caractéristiques d’un territoire.

22 Le plus souvent, toute tentative géographique de révélation de l’ancrage territorial commence par le recensement des noms localisés et notamment celui de la commune. Même si ces noms médiatisent généralement l’endroit par ce qu’il n’est plus (Villeneuve-le-Roi), ils peuvent constituer un ressort des représentations spatiales, à condition notamment que les institutions, associations et fêtes localisées s’en emparent et que la presse, la littérature, la poésie, les récits historiques ou les monographies géographiques les portent.

23 Villeneuve-le-Roi est le creuset d’une vie associative intense (amicales de quartier, associations socioculturelles, structures militantes concernant le cadre de vie…). En outre, l’activité de certaines d’entre elles témoigne d’un intérêt porté aux repères patrimoniaux, à l’exemple du « Cercle d’études savantes, artistiques, archéologiques et folkloriques » (recherches sur le canton et ses environs) [20] ou de la « Rencontre villeneuvoise d’œnologie » (découverte des saveurs du vin, des hommes et des traditions). De même, le guide communal est le seul sur les six communes observées à consacrer des rubriques entières à l’histoire locale et à la symbolique du blason. Ces rubriques puisent abondamment dans les récits historiques d’écrivains locaux [21]. À ce titre, une rapide requête sur cette commune dans le Catalogue collectif de la Bibliothèque Nationale François Mitterrand recense 62 écrits, dont certains sont des monographies historiques. Une telle requête pour les autres communes fait apparaître tout au plus 10 écrits. De même, l’ancienne municipalité, de longue date en place, organisait des rassemblements festifs portant plus qu’ailleurs l’esprit communautaire. Le principal (les Fêtes d’automne) se déroule chaque année depuis 20 ans et articule théâtre de rue, carnaval… Le thème de l’année 2000, défini par le conseil municipal, fut « le passé et le futur ». Une autre manifestation intéressante est le fruit d’une participation active et récente de la municipalité aux Journées du patrimoine. L’ouverture d’une Maison du patrimoine était d’ailleurs à cette époque programmée. Dans les autres communes, les festivités demeurent plus classiques et moins attachées à l’exaltation de l’histoire des lieux : journées de l’environnement, brocantes, marchés aux fleurs, quinzaine commerciale…

24 Plusieurs travaux de sociologie ont quant à eux montré le rôle des lieux de sociabilité dans la construction de l’identité collective. Parmi ces lieux, les bars et les cafés figurent en bonne place. Ils construisent ou défont des « rites d’interaction » (Goffman, 1974) imprégnés de références propres aux espaces : modes de coexistence, systèmes d’attitudes… (Di Méo, 1998). Or, Villeneuve-le-Roi compte 19 cafés-bars [22], alors que Boissy-Saint-Léger, dont la population est selon le dernier recensement (1999) inférieure de seulement 17 %, en accueille 10, que Valenton, dont la population est inférieure de 38 %, en compte 4.

25 Villeneuve-le-Roi et, dans une moindre mesure, Ablon-sur-Seine, présentent donc nombre d’attributs distinctifs d’un territoire évocateur d’un rapport singulier à l’espace : un attachement, voire un ancrage. Les contours spatiaux de cet attachement pourraient dès lors expliquer ceux du vécu singulier du bruit des avions, et permettre d’aborder la part, importante, non expliquée par la seule dimension acoustique.

26 Nous pénétrions les ressorts plus collectifs de ce vécu. Il nous fallait compléter les procédés déjà utilisés avec un dispositif mieux à même de faire émerger ces ressorts sociaux et spatiaux par l’exposé et la confrontation de représentations et pratiques spatialisées. Ce nouveau matériau devait permettre de mettre en relation l’ensemble des résultats obtenus jusque-là. L’occasion nous a alors été donnée de mettre en place des processus délibératifs (focus groups) [23] avec des riverains de l’aéroport [24].

Le bruit des avions : intrusion dans l’attachement territorial d’une altérité sociospatiale ?

Le bruit des avions comme facteur d’intrusion

27 Les discours tenus ont, en premier lieu, permis de confirmer l’existence à Villeneuve-le-Roi et Ablon-sur-Seine d’un sentiment d’appartenance locale marqué affectivement. En écho aux travaux réalisés par le courant du Place attachment, ce sentiment serait par exemple exprimé par l’entretien des sociabilités de proximité à l’échelle d’espaces traditionnels tels que le quartier.

PQ : « Donc les gens sont attachés à cette ville parce qu’il y a des avantages. Y a des jardins et puis y a une solidarité à la fois à Ablon et à Villeneuve qui est réelle, quoi. »
PQ : « Et qu’on ne retrouve peut-être pas dans d’autres villes. On n’est pas une ville dortoir. Il y a une grande solidarité des gens. Les gens se parlent, hein j’ai l’impression ici ? Les gens sont bien… »
HM : « C’est resté un peu un village. »
PQ : « … Donc c’est vrai qu’il y a beaucoup de valeurs sentimentales à Villeneuve. Des valeurs… sentimentales, des pavillons qui ont été construits y a tant d’années qui n’ont pas changé. Bon à par ça la ville est… est assez agréable. On n’a pas de tours. »
FD : « Je me rappelle, il y avait les chèvres. Le voisin faisait paître ses chèvres sur les trottoirs puisque les trottoirs n’étaient pas cimentés comme aujourd’hui, voilà. »
FD : « Et il y avait des fermes d’ailleurs. »
LM : « Oui. »
JD : « Oui, oui tout à fait. »
JD : « On connaissait tous les voisins… »
HM : « Et le marchand de lait qui passait le matin. »
Mais surtout, ces discours nous ont permis de mieux comprendre l’effet singulier du bruit sur cet attachement à l’espace : celui d’une intrusion.
JD : « On voit très bien Air France, AOM… »
FD : « Je me rappelle c’était l’époque de la coupe du monde, on voyait très bien les athlètes qui étaient dessinés sur la carlingue, la coupe, etc. »
Animateur : « Vous disiez tout à l’heure à propos de l’avion qu’il deviendrait presque quelqu’un. Si c’était justement quelqu’un, ça serait quel genre de personne ? »
AM : « Quelqu’un de très dérangeant. »
JL : « De gênant. »
MV : « Sournois. »
AM : « Perturbant. »
MV : « Nocif. »
MV : « Il est stressant. »
RP : « Il est sans gêne. »
MV : « Il arrive au moment où on n’a pas envie qu’il arrive. »
JL : « Oui, on s’y attend pas. »
BN : « Il est là. Il s’incruste. »

Intrusion, croyance d’injustice et revendication

28 Ce vécu d’intrusion dans l’attachement territorial serait alimenté par l’impression de négligence et de démission des pouvoirs publics, confirmant en cela les résultats de l’analyse des entretiens exploratoires et des réponses ouvertes lors de l’enquête.

JD : « Ça ne date pas d’aujourd’hui vous savez cette histoire de bruit là. Ca date depuis 10-15-20 ans déjà, et voyez que les pouvoirs publics, pour les remuer, c’est difficile, ils ne font rien. »
Selon Dubet et Lapeyronnie (1992), le processus de désengagement des pouvoirs publics porterait le germe d’une dévalorisation conduisant à l’impression d’une différence. Qui plus est, cette impression nourrirait, si les médias la relayent, le sentiment d’abandon, voire d’exclusion, et renforcerait alors l’effet de lieu. En outre, toujours selon ces deux auteurs, ce sentiment repose sur la croyance que les orientations politiques confortent cette situation. Pour ce qui nous concerne, l’attitude des pouvoirs publics s’expliquerait par des choix fondamentaux contraires à la demande de confort sonore : soutenir le développement aérien. Or, ce soutien est souvent interprété comme un choix politique favorable à la dérégulation, dérégulation comprise comme le retrait progressif du pouvoir étatique de la vie socio-économique. Nous renvoyons ici aux comptes rendus des discours tenus lors de l’élaboration de la Charte de qualité de l’environnement sonore à Orly et Roissy. En regard de ces phénomènes qui renforcent les effets de lieu, des représentations de négligence et de démission des pouvoirs publics alimenteraient le vécu intrusif du bruit des avions dans l’attachement à l’espace de résidence. Ces représentations spatialisées ne sont alors pas sans nous rappeler ce que Donzel (1996) a pu montrer concernant le conflit autour du projet de TGV Méditerranée : les lieux focaux du conflit sont ceux où subsiste un contentieux important à l’égard de la politique d’aménagement du territoire et où les traumatismes sont encore vifs.

29 Ce vécu d’intrusion serait aussi accru par des aptitudes individuelles à la pensée opératoire (Piaget, Inhelder, 1948). Ces aptitudes pourraient être pour partie façonnées grâce à des séjours dans des endroits calmes, espaces de référence qui, articulant l’« ici » et l’« ailleurs » (Pellegrino et al., 1986 cité dans Bourdin, 1996), permettent aux personnes de saisir la signification de l’espace de résidence.

HM : « […] on a une propriété en Bretagne. Alors là, le calme absolu… […] Tous les matins à 6 heures, je suis réveillé. […] Mais même en Bretagne ! […] y a rien à faire. […] Ben ici, à 6 heures ils me réveillent. Normalement, en retraite, il est logique de se lever vers 8 heures du matin hein… ! »
Ces processus auraient forgé une croyance d’injustice qui s’affirmerait alors comme l’un des ressorts non seulement d’une attente forte de changements mais surtout d’un besoin d’expression et d’implications personnelles.
PQ : « L’enjeu, c’est la survie de ces deux communes. Je veux dire, un jour ou l’autre il faut bien que l’État se pose la question : Est-ce qu’il veut garder l’aéroport, ou est-ce qu’il veut garder Villeneuve-Ablon ? ».
Dès lors, loin de vouloir déménager (PQ : « Non, je pense que les gens de Villeneuve-le-Roi sont des gens qui aiment réellement leur ville parce que sinon y a longtemps qu’ils seraient partis »), ces personnes trouveraient-elles dans la mobilisation ou la connivence associative (cf. résultats statistiques) le moyen de satisfaire ce besoin et ainsi de réduire leur dissonance cognitive en exprimant leur représentation négative de l’attitude des pouvoirs publics.

30 Toutefois, le passage de la revendication à la mobilisation requiert certaines conditions initiales. Or, le sentiment d’appartenance locale ainsi que nombre de caractéristiques du tissu sociopolitique de Villeneuve-le-Roi et d’Ablon-sur-Seine satisfont ces conditions.

Le rôle du territoire dans le passage de la revendication à l’engagement local

31 En premier lieu, pour Mormont (1996), la sociabilité, et notamment les relations combinant rapports de voisinage et rapports de parenté, constitueraient tout à la fois une ressource et un vecteur de mobilisation associative. Selon les résultats statistiques et les discours tenus lors des réunions, cette première condition est ici remplie. De plus, il existe une communauté d’esprit autour de valeurs partagées à Villeneuve-le-Roi et Ablon-sur-Seine (égalité, participation…). Cette communauté d’esprit trouverait son origine notamment dans certaines ressources sociales largement représentées. On observe le plus souvent un fort potentiel d’investissement associatif au sein des positions sociales intermédiaires, dans les couches urbaines et plutôt dans l’opinion de gauche (Lascoumes, 1994). Nous renvoyons ici tout autant aux cultures politiques locales dont la longévité des équipes municipales pourrait témoigner et notamment à l’ancienneté de l’ancrage à gauche de la municipalité de Villeneuve-le-Roi, qu’au profil social de la sous-population discriminée par l’analyse statistique : ordre de grandeur du revenu mensuel (3 000-4 500 euros), statut d’occupation du logement (propriétaire d’un pavillon), vivant en couple avec enfants… Ces valeurs communes seraient directement affectées par plusieurs représentations du bruit des avions : inégalité face à la charge environnementale provoquée par les trafics aériens ; demande de participation face à l’opacité et surtout l’orientation décriée des décisions.

32 Toutefois, selon Olson (1978), même si l’action des individus est mue par des valeurs partagées, une communauté d’esprit et des objectifs communs n’impliquent pas nécessairement la mobilisation : c’est le paradoxe de l’action collective. Selon cette perspective rationaliste, le passage du besoin d’implication à l’action effective est aussi motivé par l’espérance de gains individuels. Or, la restauration de la valeur vénale du bien immobilier et la revalorisation de l’image sociale des membres de la communauté, dont Tajfel a montré à quel point elle était vecteur d’investissement cognitif (Tajfel, 1978), préoccupent grandement certains membres des focus groups.

HM. : « Et y a des gens qui habitent pas loin d’ici, […] ils savent qu’il y a des avions, […] Ils savent que c’est moins cher, (…) et ils viennent habiter à Villeneuve-le-Roi. »
HM : « […] Je suis très stressé quand il vient quelqu’un chez moi […] qui n’a pas l’habitude de voir les avions. Et je le vois en train de dire… […] “Mais t’es con” parce que c’est ça qu’il pense. “T’es con d’habiter là-dessous.” […] Et ils ne me le disent pas parce que moi je suis clair, je suis net, parce que c’est le terme qui convient bien, si vous voulez. C’est pas être bête, c’est être con. […] Et les gens, ils le pensent. “Qu’est-ce qu’il fout là dessous ? Il a plein de ronds” […] “Il ne peut pas acheter un truc ailleurs… ” etc. etc. Et puis “badaboum” ils ne disent rien et puis la prochaine fois qu’on les invite : “ah ben non, je ne peux pas parce que…” ».
FD : « Oui, on s’habitue, mais c’est vrai aussi le regard de l’autre, comme on est nouveau dans la région : “Bon tu habites où maintenant ?” “À Valenton”. Déjà faut situer, et “Ah pas loin d’Orly… ”. Donc y a déjà comme un a priori de la part des gens qui n’habitent pas le coin, par rapport aux avions de toute façon. Ça c’est général. »
Toujours selon Olson, la taille du groupe associatif peut aussi aider à garantir ce passage et alors permettre d’échapper au paradoxe qu’il a conceptualisé. Selon lui, la discordance entre une communauté d’esprit et une mobilisation peut être d’autant plus marquée que le groupe est grand. Sur les 130 personnes qui ont déclaré, lors de l’enquête, connaître ou être membre d’une association, 67 habitent à Villeneuve-le-Roi (165 personnes enquêtées) et 31 à Ablon-sur-Seine (58 personnes enquêtées). Pégase, association de lutte contre le bruit des avions dont l’espace de mobilisation est Villeneuve-le-Roi et Ablon-sur-Seine, est la plus souvent citée : 71 personnes l’évoquent. Or, cette association, créée en 1996, revendiquait en 1999, 480 adhérents à Villeneuve-le-Roi et un peu moins de 100 à Ablon-sur-Seine.

33 En outre, toute constitution associative durable requiert une certaine permissivité politique. L’existence et les activités de cette association incarnent cette permissivité. Cette structure a, jusqu’à il y a peu, bénéficié à Villeneuve-le-Roi de relais politiques institutionnels : le maire-adjoint chargé de l’environnement en était le président. La convergence des revendications associatives et des attitudes politiques traduirait le partage des valeurs évoquées plus haut, et notamment une sensibilité participative [25]. Mais surtout, elle exprimerait la convergence des attentes respectives de changement, les pouvoirs locaux ayant aussi le sentiment d’être négligés par les décisions visant au développement des trafics aériens [26]. Ce rapprochement permettait en retour à la collectivité locale de se nourrir du contact des revendications et de s’attacher le poids politique de l’association. En ces termes, elle pouvait dès lors se prévaloir d’une légitimité à laquelle elle ne pouvait seule prétendre dans ce domaine, notamment du fait de prérogatives limitées ou des contraintes en la matière (Plan d’exposition au bruit). Cela lui permettait ainsi de se détacher de la seule dépendance d’instances techniques de l’État (Duran, Thoenig, 1996), particulièrement forte dans le domaine du bruit des avions, et de prévenir un durcissement potentiel des points de vue associatifs. Concernant les riverains, non seulement les personnes d’un certain rang social (professions intermédiaires et libérales) disposaient, par ce rapprochement, d’une tribune permettant d’exprimer vigoureusement leur besoin de reconnaissance et alors de prétendre peser sur l’orientation des actions publiques. Mais surtout, cette convergence leur permettait de hisser le respect de l’enracinement territorial au rang d’intérêt local général (Lascoumes, op. cit.), dimension jusque-là ignorée. Le mouvement dépassait ainsi la seule expression de revendications ponctuelles (ex : dépréciations immobilières), généralement considérées comme égoïstes et particularistes par les pouvoirs publics centraux (Jobert, 1998). Le sentiment d’appartenance étant contesté par les choix politiques, seule la distinction par l’identité collective pouvait être érigée en rempart d’autres symboles tendant à effriter l’unité sociospatiale.

34 Les tracts diffusés par l’association Pégase sont évocateurs de l’importance accordée aux notions d’attachement et d’ancrage spatiaux. Ils puisent abondamment dans la mémoire collective certains objets et usages permettant de fédérer la population autour du bruit des avions : l’épaisseur historique de la localité (ex : cachet du noyau villageois), l’ancienneté résidentielle des habitants et la légitimité qu’elle octroierait, les réseaux de sociabilité qui en ont découlé à l’échelle de la commune… Dans ce registre de l’expression territoriale par l’entretien d’images et de discours imprégnés de sens communautaire, rappelons ici le rôle de la municipalité. De tels objets et usages ont longtemps aussi été brandis par l’opuscule communal [27], ou lors des rassemblements festifs organisés sous son autorité… Tel que nombre de travaux de géographie concourent à le montrer (Lussault, 1995), le territoire semble bien ici être le fruit d’une sélection et d’une réinterprétation de l’histoire locale et des étendards symboliques par les acteurs locaux actuels : repères patrimoniaux, événements emblématiques tels des rassemblements festifs portant l’esprit communautaire, lieux et monographies historiques, paysages…

35 La mémoire du territoire s’est donc affirmée comme une ressource essentielle pour la convergence mobilisatrice [28]. Plus largement, le sentiment d’appartenance territoriale semble ici constituer un matériau idéologique apte à satisfaire les habitants de l’idée qu’ils se font de leur rapport à l’espace.

36 Enfin, outre des valeurs, objectifs et intérêts communs, des réseaux denses de relations doivent exister pour permettre la diffusion et l’intensification des croyances. À l’exemple de l’Association des maires riverains de l’aéroport d’Orly ou de l’association Pégase, des groupements se sont constitués, inclinés par des ambitions parfois proches. La constitution de ces groupements n’est certes pas propre à notre contexte, tant le bruit des avions est, depuis plus de dix ans maintenant, un problème croissant autour de nombre d’aéroports européens ou américains. Néanmoins, eu égard à la proximité idéologique de cette association avec la municipalité, ces réseaux sont ici plus anciens. Ils ont lentement pris corps, épousant la temporalité imposée par l’ancienneté du problème et par l’émergence de nouvelles postures politiques. La chronique environnementale des médias locaux s’est saisie du sujet, relayant les interventions militantes. La densité de ces réseaux s’est trouvée à la fois exprimée et accrue lors d’événements marquants [29]. Les groupes se seraient donc bien construits sur la base de caractéristiques intrinsèques similaires (valeurs et enjeux), et stabilisés à l’occasion d’expériences communes, et d’un travail en commun de construction du groupe (Boltanski, Thévenot, 1991, cité dans Novarina, 1997).

37 Le bruit des avions pourrait ainsi être un élément structurant de pratiques et de représentations spécifiques qui précipiteraient les enjeux locaux du moment et les logiques sous-jacentes. Plus généralement, le vécu de cette charge sonore serait culturellement codé et socialement organisé à l’intérieur des règles de coexistence et de médiation de la vie locale : relations familiales, rapports de voisinage, engagement associatif, attitudes des municipalités… Comme d’autres objets environnementaux, il deviendrait langage commun, véhiculant des potentialités de rencontre, voire engendrant de véritables rapprochements transversaux (Berdoulay, Soubeyran, 1996). C’est la raison pour laquelle l’attachement territorial discriminerait le périmètre spatial de ce vécu et façonnerait une géographie singulière de la gêne. En ce sens, le bruit des avions, vécu comme une intrusion dans le sentiment porté à l’espace de vie, peut être un révélateur et alors aider à la mise en visibilité d’une identité territoriale et de ses contours géographiques.

38 La révélation de cette influence aide à saisir toute la nécessité d’aborder le vécu du bruit des avions autrement que par la seule approche acoustique ou psychoacoustique. Ces approches, par nécessité opérationnelle à petite échelle, objectivent et par là étalonnent la sensibilité phonique des personnes. Elles ne peuvent de ce fait aborder certaines dimensions pourtant essentielles à la compréhension des phénomènes en cause et, ce faisant, nécessaires à l’élaboration d’autres pratiques de gestion politique du problème.

39 Toutefois, malgré l’apport des discours recueillis et des informations collectées in situ, malgré la somme des signaux accumulés et des résultats faisant sens, au moins une question demeure : puisque le bruit n’est que faiblement explicatif de la gêne ; puisque le vécu du bruit peut s’immiscer, par certaines pratiques et représentations localisées, dans le rapport à l’espace ; puisque certains comportements expriment avec force des volontés de mobilisation : quel est le poids symbolique véhiculé par l’objet bruit des avions pour induire une telle tension avec l’attachement territorial et alors délimiter géographiquement un vécu spécifique à l’échelle locale ?

L’intrusion d’une altérité spatiale et sociale dans le vécu territorial ?

40 Suite aux résultats exposés jusqu’ici, et plus largement en référence aux travaux cités au début de cet article, il nous faut tout d’abord admettre que la source du bruit est chargée d’une symbolique pouvant jouer un rôle important dans le vécu des phénomènes sonores. Or, le rapport à l’espace de tout individu socialisé engendre, selon Di Méo (op. cit.), deux représentations immédiates dont la fonction est de conjuguer constamment les vertus contradictoires de l’enracinement et de l’universalisme. L’une implique la localité la plus intime, celle de la maison, soit la « coquille » de la dominance légale selon Moles et Rohmer (1978). L’autre représentation renvoie au sentiment obscur de l’extérieur infini, soit la « coquille » de l’errance et du vaste monde. Ces frontières imaginaires ou matérielles permettent, parce que rassurantes, l’appropriation spatiale et donc l’expression d’une différence sociale. Or, le bruit auquel les habitants de Villeneuve-le-Roi et d’Ablon-sur-Seine sont soumis émane de comportements éloignés des pratiques locales banales. De plus, ces comportements de mobilité sont socialement valorisés car producteurs d’un nouveau rapport au territoire, rapport supposant l’élaboration de projets individuels et la capacité de maîtriser un réseau d’échanges. Il se trouve que toute activité économique, dans la logique postindustrielle, n’a pas pour seule ambition de produire des biens et des services, mais aussi de véhiculer les schémas socioculturels et les espaces qui les accompagnent. Sous ce double faisceau d’analyse, ne pourrait-on pas dès lors admettre que cette intrusion serait celle d’une extériorité chargée de symboles d’altérité à la fois : spatiale (l’immensité du monde offert), sociale (le privilège de l’usager d’appartenir, à l’utilisation de l’avion et à la construction d’une territorialité nomade, au « village planétaire »), et politique (le dessaisissement de la chose publique par les autorités politiques classiques et le rôle de la dérégulation marchande) ? Cette opposition entre les qualifications et usages de l’espace pourrait alors être l’un des ressorts de la force de résistance manifestée par les mobilisations locales.

Conclusion : interpellation de la géographie

41 Suite à ces résultats, nous pouvons admettre que, dans certains contextes [30], le bruit des avions pourrait être un révélateur de l’attachement à l’espace, par les symboles véhiculés et les réactions induites, par la constitution de savoirs et pratiques qualifiables d’« autochtones » (Bourdin, 1996). Comme nous l’avons déjà suggéré, ce codage pourrait alors être une fenêtre d’observation de l’ancrage territorial et de ses contours géographiques. Pouvons-nous pour autant aller jusqu’à déduire que le bruit des avions renforce le ciment communautaire et la logique identitaire locale, par les mécanismes de résistance qu’il induit et notamment la mobilisation de ressources exclusives (ex : densité des interconnaissances) ? Pouvons-nous admettre que ces représentations et pratiques liées au vécu commun du bruit alimentent en retour la matérialité d’une idéologie locale d’attachement spatial, telle l’œuvre inlassable des appareils idéologiques sur les identités communautaires ?

42 Reconnaissons ici que la procédure suivie réunit des dispositifs trop hétérogènes pour pouvoir d’ores et déjà apporter une réponse solide à cette question. Toutefois, les acquis de la psychologie environnementale (Fried, 1982 ; Fischer, 1992) et de la sociologie urbaine (Grafmeyer, 1995) nous apportent les bases conceptuelles pour y répondre. En outre, des travaux récents montrent que les conflits environnementaux participent au façonnement de nouvelles territorialités (Charlier, 1999). Enfin et surtout, empiriquement, la pratique associative ou les représentations politiques décrites plus haut ainsi que certains propos tenus lors de processus délibératifs le suggèrent grandement.

PQ : « On a beaucoup d’amis dans ce coin-là et c’est une des raisons aussi pour lesquelles on reste. On est intégré dans cette ville. »
HM : « Moi, moi, une des raisons pour lesquelles j’hésite à partir, elle est aussi simple (…) quand on est dans une ville, qu’on connaît du monde, où on se fait appeler par son prénom par le boulanger… »
JD : « Heureusement, on a des amis par ici qui sont dans le même […] lot,… les gens comprennent le problème. »
Le bruit des avions, par le vécu commun imposé, pourrait entretenir, voire construire certaines sociabilités locales et alors accroître la cohésion d’un groupe local. « La sociabilité se vit à travers une co-présence, non seulement de soi à l’autre, mais concurremment de soi et de l’autre au même système environnemental, à la même niche écologique » (Poche, 1992). Le vécu du bruit des avions pourrait par ce biais, comme par celui des pratiques associatives [31], alimenter l’identité territoriale.

43 Nous serions en présence de la véritable productivité du bruit des avions ; non plus seulement l’évocation, par la source, d’une symbolique de la globalité et de l’altérité politique (orientation des autorités centrales), économique (dérégulation marchande) ou sociale (mobilité internationale) ; mais, consubstantiellement, la précipitation des deux représentations immédiates de l’espace, des deux invariants évoqués par Di Méo. Ainsi, le vécu du bruit des avions serait pleinement révélateur de l’espace paradoxal issu d’une tension territoriale non résolue dont parlent Hirschhorn et Berthelot (1996), une tension entre enracinement et mobilité. C’est cette force d’implication qui ferait du bruit des avions un objet de transgression des marquages sociaux, spatiaux et politiques, et donc un référentiel dans la construction d’habitus spécifiques. C’est aussi sous cet angle que l’analyse du vécu du bruit des avions pourrait s’affirmer comme un vecteur d’intelligibilité de certains territoires et de leurs délimitations géographiques.

44 Certes, la compréhension d’une globalité territoriale ne peut résulter que d’un repérage minutieux de l’ensemble des relations entre l’infrastructure géo-économique et la superstructure idéologique et politique, relations essentiellement de l’ordre d’enchaînements et de causalités subtiles (Di Méo, op. cit.). Néanmoins, puisque la charge sonore affecte une collectivité exhaustive et contiguë qui peut devenir groupe par l’expérience commune du bruit des avions ; puisque ce bruit émane du fonctionnement d’un équipement dont la délimitation traduit un mode de découpage spatial et de contrôle politique de l’espace [32] ; puisque l’ancienneté de l’urbanisation et de la mobilisation associative, la lourdeur de l’équipement aéroportuaire, et les perspectives de croissance du trafic aérien suggèrent l’œuvre du temps long et en cela l’épaisseur de la temporalité des lieux ; puisque les comportements de mobilité et le sentiment d’injustice semblent précipiter au sein de notre espace d’investigation un champ symbolique, fortement politisé et porteur de tensions nous avons, selon la typologie dressée par Di Méo ainsi que selon d’autres acceptions de la notion de territoire [33], tous les ingrédients nécessaires à la construction de représentations et pratiques certes ancrées spatialement mais surtout évocatrices d’une territorialité. Nous entrevoyons ici le potentiel de structuration territoriale que peut développer l’objet bruit des avions.

45 Dès lors, à l’exemple des bruits de voisinage qui peuvent servir de support à l’étude des interactions et transactions entre habitants d’un même immeuble (Pasquier-Merlet, 1993 ; Periañez, 1993), l’analyse géographique et sociologique du vécu du bruit des avions pourrait peut-être aussi aider à cerner certains des ressorts et modalités des constructions territoriales. À cette condition au moins, il est possible d’envisager d’appréhender des effets plus subtils du bruit des avions sur les dynamiques et les recompositions locales. À cette condition au moins, il est possible d’envisager d’aborder les composantes territoriales du coût social causé par cette charge environnementale. Mais, pour ce faire, il conviendrait peut-être que la géographie se saisisse de cet objet non plus seulement acoustique ou spatial mais pleinement territorial.

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Notes

  • [1]
    Depuis le CREDOC en 1989 jusqu’à l’INSEE en 2002.
  • [2]
    Le Plan d’exposition au bruit est un document qui régit l’urbanisme à proximité des aéroports français, depuis la circulaire du 24 février 1973 puis la loi du 11 juillet 1985 (n°85-696) relative à l’urbanisme au voisinage des aéroports. Ces espaces ont longtemps été distingués en 3 zones (depuis peu en 4) selon les niveaux futurs d’exposition sonore au bruit des avions. Pour chacune de ces trois zones, les constructions sont réglementées. Ces servitudes d’urbanisme sont reportées dans les POS/PLU et visent ainsi à limiter les futures situations de gêne.
  • [3]
    Alors que dans d’autres pays européens et surtout aux États-Unis de tels travaux étaient conduits dès la fin des années 1960 (Faburel, Maleyre, 2002).
  • [4]
    Avec le soutien financier de l’ADEME et du Conseil général du Val-de-Marne.
  • [5]
    Cf. travaux de D. Aubrée du CSTB (1992) ou de A. Moch du laboratoire LOUEST de l’Université de Paris X (1995).
  • [6]
    Cf. productions de J.-F. Augoyard, ou de P. Amphoux du CRESSON, École d’Architecture de Grenoble.
  • [7]
    C’est le cas notamment de B. Charlier du SET, Université de Pau (2000).
  • [8]
    Nous renvoyons ici aux deux manifestations annuelles et de référence internationale sur le sujet : Internoise pour le bruit des transports et l’Aircraft Noise Symposium de l’Université de Berkeley, Californie, spécifiquement dédié au bruit des avions.
  • [9]
    Voir notamment ceux de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région Île-de-France autour de l’Airport City.
  • [10]
    Même principe de zonage que le PEB mais pour déterminer l’éligibilité des ménages à une aide à l’insonorisation des logements.
  • [11]
    Qui suggèrent même parfois que l’exposition sonore du logement serait récemment devenue le tout premier critère des choix résidentiels des ménages.
  • [12]
    Ancien lieu de résidence et caractérisation de ses attributs spatiaux, motivations de la venue dans la commune actuelle, ancienneté d’habitation, statut et mode d’occupation du logement, type de logement, temps passé à domicile, éloignement régulier dans un endroit calme, ambition de déménager et raisons invoquées…
  • [13]
    Importance des enjeux, interventions à envisager, moyens à mobiliser, acteurs à solliciter…
  • [14]
    Qui présente trop de situations de multi-exposition sonore pour ne pas introduire un biais.
  • [15]
    Les courbes isophoniques sont définies selon les niveaux de bruit exprimés en niveau maximum au passage des avions, ou Lmax (Beture, 1996).
  • [16]
    Durant les dernières périodes intercensitaires 1982-1990-1999, la population de Villeneuve-le-Roi a diminué de 10,8 % et celle d’Ablon-sur-Seine de 7,5 %, deux des communes les plus proches de la plate-forme.
  • [17]
    Pour une analyse détaillée de cette mobilité singulière, cf. Faburel et Maleyre (2002).
  • [18]
    Alors que l’analyse des enquêtes logement de l’Insee (MELT-DHC 1997) souligne une plus forte mobilité résidentielle extracommunale des personnes décohabitant et cherchant à accéder à la propriété.
  • [19]
    Ni l’âge, ni le sexe n’apparaissent ici comme des variables discriminantes.
  • [20]
    Aussi présent à Ablon-sur-Seine.
  • [21]
    Cf. notamment C. Chaudre (1987).
  • [22]
    Précisons ici que la proportion de retraités à Villeneuve-le-Roi pourrait ne pas être étrangère à cette abondance.
  • [23]
    Deux réunions ont été organisées sur une demi-journée et ont rassemblé 6 et 7 personnes de rangs sociaux proches et précédemment enquêtées. Toutes les communes étaient représentées dans ces dispositifs. Voir le guide méthodologique de R. Krueger (2000).
  • [24]
    Dans le cadre d’une recherche sur l’acceptabilité institutionnelle et sociale de la méthode utilisée pour évaluer le coût social de la gêne et des résultats produits (Faburel, coll. Leroux, Colbeau-Justin, 2000).
  • [25]
    Cette sensibilité a largement été exprimée par la municipalité lors d’une autre vague d’entretiens exploratoires réalisés cette fois-ci auprès des acteurs institutionnels du domaine de l’environnement (Faburel, coll. Leroux, Colbeau-Justin, op. cit.).
  • [26]
    Idem.
  • [27]
    Qui se dénomme quant à lui La Licorne.
  • [28]
    Le rôle de cette ressource dans la mobilisation associative a notamment été mis en lumière par des travaux portant sur les conflits liés aux projets d’infrastructures de transports terrestres. Nous renvoyons aux travaux de J. Lolive (1999) et J. Ollivro (1997).
  • [29]
    Mai 1994, défaillance d’un avion de la TAROM à Orly ; juillet 2000, accident du Concorde à Gonesse.
  • [30]
    Qui pourraient regrouper de 500 000 à 1 million de personnes en France si l’on en juge par plusieurs résultats de sondages sur le bruit des avions.
  • [31]
    Qui dès lors joueraient pleinement ici leur rôle de médiation tout à la fois interne et externe à la communauté d’appartenance.
  • [32]
    Nous renvoyons ici, pour le cas d’Orly, aux choix politiques qui ont présidé à son implantation dans un environnement déjà urbanisé. Rappelons aussi que les aéroports d’Orly et de Roissy ont été tous les deux implantés à la frontière de plusieurs départements.
  • [33]
    Par exemple M. Marié (1982), M. Roncayolo (1992), M. Le Berre dans Bailly, Ferras, Pumain (1995)…
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