Notes
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[1]
Voir le numéro spécial (coordonné par J.-P. Raison et F. Raison) de Politique Africaine « Madagascar, les urnes et la rue », n° 86, juin 2002.
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[2]
Premier groupe agroalimentaire malgache.
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[3]
Landscape Development Interventions ou Développement régional intégré. C’est une ONG financée par le gouvernement américain à travers l’USAID.
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[4]
Littéralement, « fruit de la route» ; l’expression désigne un présent que l’on ramène d’un voyage, présent reçu ou présent à offrir.
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[5]
Surnommé le « développement TGV ».
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[6]
Discours de Marc Ravalomanana à la 57e session de l’Assemblée générale des Nations unies.
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[7]
Discours de Marc Ravalomanana à la 57e session de l’Assemblée générale des Nations unies.
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[8]
Resa-Babakoto, Bavardage de lémuriens par Rossy, 1993.
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[9]
Intitulé du sommaire de l’Afrique contemporaine n° 202-203, avr.-sept. 2002. « Madagascar après la tourmente : regards sur dix ans de transitions politique et économique ». F. Roubaud (coord.).
1 Sainteté (Fahamarinana) et Vérité (Fahamasinana), tels sont les deux termes emblèmes du nouveau président malgache Marc Ravalomanana. À l’issue d’un bras de fer de six mois avec le président sortant Didier Ratsiraka, qui a paralysé la Grande Île, Marc Ravalomanana a été officiellement proclamé, le 29 avril 2002, vainqueur de l’élection du 16 décembre 2001 et exerce depuis juillet son pouvoir sur l’ensemble du pays [1].
2 Marc Ravalomanana, élu maire de la capitale, Tananarive, en novembre 1999, a remporté de longue lutte cette élection présidentielle, à l’issue d’une crise politique, sociale et économique sans précédent dans les annales du pays. Six mois de crise institutionnelle ont laissé des traces profondes dans un tissu économique déjà précaire : arrêt de la scolarisation des enfants, impossibilité de payer des médicaments de base, malnutrition, etc. La crise a frappé les plus pauvres et surtout les ménages urbains, mais les campagnes ont aussi souffert. Dans les zones rurales où vivent 70 % des Malgaches, la récolte de riz a été bonne, mais les collecteurs, faute de carburant, se sont moins déplacés. Ils ont donc pu négocier le riz à un prix inférieur de 30 à 50 % à la normale. La période d’avril-mai 2002 a été la plus dure, mais les difficultés continuent d’imprégner la vie quotidienne à différents niveaux.
3 Dans les ruelles des quartiers pauvres de la périphérie de Tananarive, chaussées de terre battue toujours défoncées, égouts encombrés, maisonnettes délabrées… Rien ne semble avoir changé en apparence. Et pourtant… Pour certains marchands des rues, les clients se font rares, que ce soit pour le vendeur de légumes, le boucher ou le poissonnier. Les consommateurs réduisent leurs achats dans tous les domaines. La nourriture, plus coûteuse que d’habitude, est le premier poste d’économie pour les familles appauvries. Par contre, le commerce d’aliments cuits s’est développé. Dans les quartiers de classe moyenne, le manioc, bon marché et remplissant l’estomac, s’est imposé. Des ménagères s’installent même dans la rue avec une marmite de manioc bouilli dans l’attente d’éventuels clients. Le soir, des gargotes envahissent les trottoirs, les rues s’animent. Certes présentes avant la crise, ces modes de restauration rapide se sont multipliés, proposant qui un bol de soupe, qui un morceau de poulet grillé, ou encore un plat à base de pâtes chinoises. La clientèle est surtout masculine, d’âge adulte. Par ces petits commerces de plats cuisinés, les femmes assurent aussi à leur famille une nourriture en leur en réservant une partie. Autant d’initiatives liées aux pénuries de sel, sucre et huile qui ont duré plusieurs semaines.
4 Le secteur informel, prépondérant, est sinistré, mis à part les réparateurs de vélos, dopés par la pénurie de carburant. Privés de carburant du fait du blocus routier mis en place par les partisans du président sortant, les automobilistes n’avaient que le marché noir pour s’approvisionner. Le litre d’essence se négociait en juillet à 4,75 euros (27 500 francs malgaches), contre moins d’un euro en temps normal, et celui de gazole à 3,10 euros (18 000 fmg). Quant à la friperie, « pour un stock que l’on écoulait auparavant en deux ou trois jours, cela prend aujourd’hui quinze jours et l’activité n’est plus rentable » note une marchande de fripes.
5 Dans le secteur formel, la Banque mondiale estime que la crise a suspendu ou supprimé 140 000 emplois — chacun faisant vivre en moyenne cinq personnes —, notamment dans les entreprises de la zone franche industrielle (ZFI) concentrées à Tananarive. La moitié de ces emplois est occupée par des femmes. Le chômage technique ne donne droit à aucun revenu : ceux qui ont perdu leur emploi en sont réduits à se réfugier dans leur famille à la campagne, ou à trouver un petit boulot de subsistance. Ceux qui ont la chance d’avoir encore des revenus en reversent une partie à leurs proches qui en sont dépourvus. Beaucoup se sont endettés et la hausse des prix des produits de première nécessité rend la vie doublement difficile. Dans les écoles, le taux d’absentéisme a été significatif, surtout à partir d’avril. Les enfants ne prenaient souvent qu’un seul vrai repas — le soir — et ils n’étaient pas en état de venir à l’école et de se concentrer. À la rentrée, en septembre 2002, beaucoup d’élèves n’ont pas repris le chemin de l’école, leurs parents ne pouvant assurer les frais d’écolage. On observe aussi une montée de l’insécurité et du hala-botry (petits vols répétés) qui prive les habitants du peu qu’ils possèdent, par exemple la vaisselle. Cela est d’autant plus frappant qu’en pleine crise, alors que la situation politique était trouble, la solidarité dans les quartiers était exemplaire et assurait une paix civile.
6 La paix revenue assure un quotidien où le temps des troubles, de confrontation de groupes armés est révolu, alors que la reprise économique tarde à se manifester. Le développement rapide prôné par Marc Ravalomanana n’est pas au rendez-vous ; il est vrai que ce dernier n’a pas caché les difficultés de la tâche.
7 Crédité, s’il faut en croire les statistiques, d’un taux de croissance record de 6,7 % en 2001, Madagascar devrait, selon les économistes de la Banque mondiale et du Pnud (Programme des Nations unies pour le développement), voir son PIB diminuer de 14 % en 2002. Pour l’un des pays les plus déshérités de la planète, dont 70 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, cette épreuve signifie sans doute plusieurs années de purgatoire. Le blocage des principaux ports du pays et l’asphyxie de la capitale, où se crée 70 à 75 % de la richesse du pays, ont porté un coup très rude à une économie qui se trouvait pourtant sur une voie ascendante.
8 Le manque d’essence et de gaz, l’import-export impossible à partir des ports de l’île ont gelé la majeure partie des échanges économiques. Outre la disparition de certains produits de première nécessité et la hausse générale des prix, la conséquence la plus spectaculaire a été la fermeture, provisoire ou définitive selon les cas, de la plupart des industries, et notamment des entreprises de la zone franche qui avaient compté pour beaucoup dans la croissance industrielle. Ces usines, souvent spécialisées dans le textile, constituaient une source de devises et d’emplois essentiels pour le pays. Or, la plupart des donneurs d’ordre internationaux ont suspendu leurs commandes, et plusieurs années de stabilité seront sans doute nécessaires pour regagner leur confiance. La reprise en octobre est fort timide, et les chômages imposés par la crise perdurent. L’INSTAT (Institut national de la statistique), note une augmentation de la production nationale de 13 % entre octobre et décembre 2002, après le premier semestre de crise, mais cette « performance » représente en fait une baisse de 66 % comparée à celle réalisée dans le secteur pendant la même période en 2002. Un même constat de difficile reprise vaut pour le tourisme, une branche porteuse de l’économie et à fort potentiel de développement : les professionnels savent qu’il faudra attendre pratiquement l’année 2004, le temps que Madagascar retrouve sa place chez les voyagistes, pour espérer de meilleurs résultats. Le redressement de la compagnie nationale Air Madagascar qui, pour l’instant, loue les services de compagnies étrangères pour assurer ses vols internationaux, doit accompagner cette reprise ; en même temps, la réorganisation des déplacements aériens intérieurs, actuellement très perturbés, apparaît impérative. Sur place, la situation de crise a ranimé des rivalités entre gens du métier, situation particulièrement nette dans les parcs nationaux où une fréquentation forte et régulière de touristes étrangers avait multiplié le nombre des acteurs.
9 En ce qui concerne les produits agricoles commerciaux comme la vanille, le girofle et le café, les exportations ont continuellement régressé au cours de la dernière décennie, et la crise n’a fait qu’accroître les difficultés de ce secteur déjà très mal en point. Cependant, une source de devises, les produits halieutiques, et spécialement la crevette, ont été relativement épargnés par la crise.
10 Dans ce paysage morose pourtant, quelques exceptions détonnent. Ce sont, par exemple, les antennes de télévision qui fleurissent en ville et aussi à la campagne, même dans les villages qui n’ont pas l’électricité, le téléviseur étant relié à une batterie. Au plus fort de la crise, des Malgaches ont pu regarder Le fabuleux destin d’Amélie Poulain.
Madagascar, les six provinces et les 158 sous-préfectures
Madagascar, les six provinces et les 158 sous-préfectures
Cette carte à l’échelle de Madagascar indique la délimitation des 6 provinces et des 158 sous-préfectures (ou fivondronana). Elle précise pour la province de Toliara, les limites de l’une des trois régions (ou préfectures) — cette région est composée de 8 fivondronana — sous l’autorité d’un préfet de région. Une commune est « inscrite » dans une sous-préfecture ou fivondronana. Ainsi le fivondronana 618, celui de Morombe, compte sept communes rurales. Il n’y a pas une définition d’un territoire communal ; la commune se définit par une liste de villages n’impliquant pas une réelle délimitation territoriale. C’est pourquoi il n’existe pas de carte des communes à l’échelle de Madagascar ni aux autres échelles administratives.Province de Toliara, Région ou Préfecture du Sud-Ouest, Fivondronana de : 600 Toliara ; 605 Ampanihy ; 606 Ankazoabo ; 610 Benenitra ; 611 Beroroha ; 612 Betioky Atsimo ; 618 Morombe ; 620 Sakahara.
11 « Ne crains point, crois seulement», telle est la devise (tirée de l’Évangile selon saint Marc) de Marc Ravalomanana. Il l’a faite sienne dès ses premières allocutions sur la place du 13 Mai, montrant publiquement aux manifestants son attachement à la Bible. Elle est aussi inscrite sur les véhicules de son entreprise Tiko [2]. Au-delà des convictions personnelles, ces gestes ancraient Ravalomanana dans la mouvance chrétienne et contribuaient à forger son image de leader charismatique. Élu vice-président de la FJKM (église réformée protestante malgache), Marc Ravalomanana a eu très tôt l’appui, plutôt la bénédiction, des chefs des églises catholique, protestante, luthérienne, anglicane de la puissante FFKM (Conseil œcuménique des Églises). L’alliance de la religion et du politique était déjà très forte, elle s’officialise, ce qui est approuvé par les bailleurs de fonds anglo-saxons. On remarque d’ailleurs une participation plus forte de confessions chrétiennes proches des mouvances anglo-saxonnes, comme les baptistes — hôpital médico-chirurgical dans le Nord —, ou les méthodistes, mobilisés par le LDI [3] à travers des collectes de fonds pour la réhabilitation de la voie ferrée Fianarantsoa-côte Est, dans des projets locaux de développement. Les bailleurs de fonds eux-mêmes envisagent de traiter avec les Églises. C’est ainsi que le vice-président de la Banque mondiale pour la région Afrique, en visite à Madagascar en septembre, a eu une rencontre inédite avec les chefs d’Églises. Lors des déplacements officiels du président, la cérémonie religieuse (prières, homélie, chants…) est désormais une constante. « Madagascar a besoin de sainteté. L’île va mal mais la Rédemption est à l’œuvre », entend-on dire. Dieu et diable, Dieu est dans le camp de Marc Ravalomanana, le diable dans l’autre. Dans la mesure où il touche à un élément de la culture malgache, ce discours religieux n’est pas sans effet, même si les convictions affichées sont clairement chrétiennes. Il faut cependant souligner que la moitié de la population ne se dit pas chrétienne et que la grande majorité des évangélisés se trouve sur les hautes terres centrales. Revendiquer ainsi la foi chrétienne pour la nation relève d’une posture politique qui occulte la question sensible des régions côtières par rapport aux hautes terres centrales.
12 Le nouveau président doit s’imposer dans toute l’île et les élections anticipées du 15 décembre, tout en traduisant sa volonté d’aller dans le sens des bailleurs de fonds, soulignent le souci de Ravalomanana d’étendre les fondements de sa légitimité. Le président Ravalomanana a changé en parti politique son association de soutien électoral, son « fan-club » « Tiako’i Madagasikara » (TIM, « J’aime Madagascar »), qui prit une ampleur populaire nationale pour éliminer du pouvoir le président Ratsiraka. L’objectif de la réorganisation, confiée à son premier ministre, l’avocat Jacques Sylla, était de transformer cette popularité en majorité à l’Assemblée nationale, afin d’assurer une stabilité politique : c’est une condition réclamée par les bailleurs de fonds pour débloquer les premières tranches des 2,4 milliards de dollars promis en juillet 2002 à Paris par la communauté financière internationale, réunie au sein d’un « Club des amis de Madagascar ».
13 Ces élections législatives anticipées ont permis d’asseoir la majorité recherchée avec 132 sièges gagnés sur les 160. Sont-elles de nature à contribuer à la relance de l’économie et à la mise en œuvre des réformes ? Madagascar a besoin d’un État fort et Marc Ravalomanana a montré la voie, à l’échelle municipale, quand il était maire de Tananarive. Il s’agit de « doper l’action de redressement », selon le mot du président rompu au monde des affaires en tant que patron de la plus grande entreprise de l’agroalimentaire malgache ayant adopté un management à l’américaine. Pour lui, l’État ne se gère-t-il pas comme une entreprise ?
14 Marc Ravalomanana, américanophile et ouvert à la mondialisation, a choisi de donner une nouvelle orientation géopolitique au pays en comptant sur les États-Unis et en diversifiant également les relations avec l’étranger. Un signe déjà, lors de sa première investiture : le président accorde sa première interview en langue étrangère en anglais. Par la suite, la reconnaissance tardive du nouveau pouvoir par la France, après la Suisse, les États-Unis et l’Allemagne, reste très profondément marquée dans les esprits. Bien avant, l’anglais marquait déjà de son sceau l’étiquette de la bouteille d’eau minérale « Olympiko » sortie de l’usine d’embouteillage Tiko : « the natural water spring » vante les mérites de l’eau. Autre fait marquant, les EPP (école primaire publique) pilotes dans toute l’île, pour l’enseignement de l’anglais dès la classe de huitième : 50 établissements depuis la rentrée de janvier 2003. Le franglasy (français, anglais, malag-asy) s’imposera-t-il de plus en plus comme support de la nouvelle façon d’être, au risque que l’anglais n’éloigne Madagascar du monde francophone, comme certains voudraient le faire croire ? L’avion présidentiel (Boeing 737-300) acheté en septembre 2002, un impressionnant voan-dalana [4] estampillé du logo « République de Madagascar », est baptisé « Air Madagascar Force One ». L’équipage aussi bien technique que commercial est allemand et l’avion devrait être entretenu en Allemagne ou en Afrique du Sud. Par ailleurs, Lufthansa Consulting a été préféré à Air France pour mener à bien la remise à flot d’Air Madagascar alors que se profile la privatisation de la compagnie nationale malgache. L’ouverture « tout azimut » vers l’Occident est un affichage fort de la nouvelle équipe et la sortie de crise ne pourra pas faire l’économie d’une recomposition des axes de coopération avec les partenaires étrangers : la première sortie officielle du président en Europe est pour l’Allemagne, en février 2003, dans la même période où les États-Unis offrent des vedettes garde-côte à la marine malgache, et avant que le secrétaire d’État français à la Francophonie et à la Coopération marque les relations entre les deux pays par un déplacement à Tananarive.
15 « Ma mission est claire : la France est le premier partenaire de Madagascar », reconnaît Marc Ravalomanana lors de sa visite officielle à Paris, fin avril 2003. « Mais ça n’empêche pas d’avoir d’autres relations, notamment avec les États-Unis », ajoute-t-il. La France, pour sa part, souligne la poursuite de son effort d’aide, l’un des plus importants de son dispositif de coopération, et de sa position responsable en tant que premier créancier de l’île. C’est un « nouveau partenariat » pour le président malgache, un cheminement nouveau « la main dans la main » pour Jacques Chirac. Les choses seraient-elles donc rentrées dans l’ordre, mais selon les critères de qui ?
16 Le Président a mis en œuvre un programme pour un développement rapide et durable [5] du pays « afin de sortir le pays de l’ornière de la pauvreté, source d’instabilité et d’érosion des valeurs démocratiques » [6]. Ceci requiert, dit-il, « un minimum d’audace de la part de chacun », en soulignant que « la population de Madagascar est attachée à la démocratie, aux valeurs familiales et à la croyance en Dieu ». Mais, par rapport à la « vitesse » du chef de l’État, le gouvernement semble plutôt à la traîne et le décalage est manifeste.
17 Tout ceci s’opère dans le cadre de la grande réforme de décentralisation entamée dans le pays depuis 1992, après l’adoption du projet de constitution de la troisième République. Selon celle-ci, théoriquement, la République malgache comporte quatre niveaux de découpage territorial que sont les provinces (6), les préfectures ou régions (18), les sous-préfectures, ex-fivondronana (158), et les communes (1 392, dont 1 346 rurales) ; leur administration relève du ministère de l’Intérieur. Mais l’approche de la décentralisation doit aussi tenir compte de l’existence, certes effective mais éphémère, des provinces autonomes installées par le gouvernement Ratsiraka. Celles-ci, qui reprennent les mêmes contours que les provinces définies par la constitution, dépendent d’un autre secrétariat d’État, celui chargé des provinces autonomes. Leur mise en place voulait marquer la décentralisation des décisions par une administration dirigée et formée par le gouverneur de province, lui-même désigné par de grands électeurs : conseillers provinciaux élus, sénateurs, députés, maires. Ces deux institutions de décentralisation et d’autonomie des provinces se rejoignent sur un point, le transfert de plus de responsabilités aux communes : celles-ci sont les structures de base chargées de la gouvernance, plus précisément de l’administration de proximité et du développement. Les communes doivent élaborer un PCD (Plan communal de développement), outil de planification locale participative et base du programme d’investissement communal. Mais l’intervention des deux ministères a posé un problème de répartition des compétences, quand il s’est agi d’appuyer les acteurs locaux, c’est-à-dire les responsables et les élus territoriaux, à qui il revient de tisser le canevas de ces plans. À ce problème s’ajoute la multiplicité des intervenants sur le terrain : bureaux d’études, ONG, institutions internationales. La situation fait que des communes rurales ont proposé deux ou trois PCD différents, alors que chaque commune doit en élaborer un seul, en établissant ses priorités dans son projet ; c’est sur cette base que se déroulent les négociations avec les bailleurs de fonds. La situation, complexe, explique le fait que, pour une grande majorité de communes, ce ne sont pas des pratiques de bonne gouvernance qui dominent actuellement. Pourtant, sans de telles pratiques, le programme pour un développement rapide et durable se trouvera peu efficace : il s’agit des infrastructures, de l’éducation, des nouvelles technologies, de la maîtrise de l’énergie, de l’accès au marché des pays développés, de la protection de l’environnement, de la lutte contre la corruption, autant d’objectifs qui sont rien de moins que du politiquement correct. Mais la question d’un meilleur développement agricole et pastoral n’est plus, semble-t-il, une priorité. Qu’en est-il de l’élevage, de l’agriculture, de la riziculture dont la production « n’est pas une question politique, mais la politique » ? Or on constate, d’une part, que le rendement moyen n’a jamais dépassé le seuil des 2 t/ha et que, d’autre part, le souci environnemental prime désormais, aux dépens des actions de développement rural. Il s’agit souvent moins de défendre l’environnement pour lui-même que de l’utiliser à des fins de maîtrise du territoire et d’exclusion d’autres groupes sociaux.
18 La question de l’environnement est omniprésente, en réponse aux injonctions du Nord. « Notre gouvernement fera de la protection de notre précieux environnement une des priorités de nos priorités [7] ». Lors d’un discours à la Nation en septembre, alors que sur Tananarive un ciel obscurci par une épaisse bande de fumée signale les tavy (culture sur abattis-brûlis) dans la forêt de l’Est, Marc Ravalomanana a lancé un vibrant appel pour lutter contre les feux de brousse. « Comment pourra-t-on bâtir le développement économique sur les ruines et les cendres de nos forêts ? Donnons-nous la main pour faire de Madagascar une île verte comme héritage des générations futures (!) ». Rappelons que la recrudescence des feux de brousse a toujours été un signal fort de la contestation latente à l’égard du pouvoir en place. On se préoccupe plus de savoir si les populations locales protègent l’environnement que de savoir ce qu’elles mangent !
19 « Sottise que les collines et les forêts, les lémuriens et les oiseaux, pour qui n’a pas d’argent ou qui ne mange pas de riz », sont les paroles d’un chant malgache populaire [8].
20 « L’écotourisme : une voie pour le développement durable », voici le slogan de la journée mondiale du tourisme célébrée à Ranohira, aux portes du parc de l’Isalo, en septembre 2002 alors que les touristes continuaient à déserter les sites touristiques. « Madagasikara tany soa, Madagascar la belle terre, Madagascar nice land », ces paroles ont été chantées, comme une sorte d’invocation.
21 L’Académie nationale des arts, des lettres et des sciences qui vient de célébrer son centenaire (1902-2002) a retenu, elle aussi, comme thème de réflexion « sciences, environnement, développement », sans oublier les trois termes incontournables du prêt à penser environnemental : biodiversité, valorisation des ressources naturelles, gestion durable. Le colloque s’est tenu à Fianarantsoa, ce qui est loin d’être anodin. Première province qui a basculé en faveur de Marc Ravalomanana, la ville est aussi un haut lieu du catholicisme, l’autre grande composante du puissant mouvement de la Fédération des églises chrétiennes malgaches. Par ailleurs, la province compte trois des principales aires protégées du pays, prises en charge par de grosses ONG nord-américaines : le LDI et le WWF ; sur ce plan la France est absente dans la région. Experts scientifiques étrangers et nationaux, enseignants, chercheurs, opérateurs, gestionnaires ont été invités à définir la place à accorder aux sciences de l’environnement pour le développement rapide et durable du pays.
22 Madagascar s’est dotée dès 1990 d’un PAE (Plan d’action environnementale) visant au ralentissement de « la spirale de la destruction de l’environnement ». La première phase (1991-1996) de ce programme (PE I) s’est centrée essentiellement sur les aires protégées. La deuxième phase du Programme environnemental (PE II) a marqué un changement en souhaitant promouvoir la gestion durable des espaces forestiers en donnant un rôle plus important aux structures villageoises locales et aux collectivités territoriales décentralisées (les communes). La troisième phase du Programme environnemental (PE III), en cours depuis 2002, devrait voir la prise en main par les différents acteurs des procédures et de la gestion même de l’environnement. Et pourtant, la multiplicité des encadrements et des institutions ne donne pas de résultats probants : les chiffres récents continuent de souligner la déforestation, et la semaine de l’écotourisme (septembre 2002) a vu les feux éclater dans le parc national de Zombitse (sud-ouest), inauguré à cette occasion.
23 Faut-il parler de fin de crise, de « Madagascar après la tourmente [9] » ? S’il y a eu sortie d’une crise politique majeure avec le changement de la direction du pays au plus haut niveau, les recompositions qui accompagnent cette évolution sont toujours en cours. La situation économique reste très critique, de l’échelle des ménages à celle du pays, avec des inégalités toujours aussi fortes. On peut faire remarquer l’évolution du franc malgache (Fmg) : après la détérioration des six mois de crise, le Fmg est certes dévalué, avec ses conséquences sur le panier de la ménagère (en avril, Tananarive a connu une hausse de 40 % du prix du riz). Mais la dépréciation de son cours n’apparaît pas à la mesure de la très forte dégradation de l’économie, comme si une injection de devises avait limité les dégâts. L’achat en septembre 2002 — donc juste à la sortie de la crise — d’un Boeing sur les deniers de l’État semble conforter cette hypothèse de disponibilité en devises non liée à la production économique. Ces exceptions constituent, certes, des faits isolés. Peut-on cependant y voir des ressorts d’une dynamique après crise ?
24 En accordant une très large majorité au parti du président Ravalomanana aux élections législatives du 15 décembre 2002, les Malgaches ont exprimé leur accord avec le discours d’un développement rapide, les promesses de sortie d’une pauvreté depuis longtemps vécue dans la chair par une grande majorité. L’essai sera-t-il transformé ? Les bonnes dispositions des bailleurs de fonds, les chiffres — bien que très timides — de la production après crise, en octobre-décembre 2002, la réelle volonté du président de combattre la corruption, la priorité accordée à la mise en place des infrastructures routières pour désenclaver les zones rurales, tout cela représente autant d’atouts. La pauvreté même peut servir l’économie du pays : Madagascar reste dans le groupe des PPTE (pays pauvres très endettés), ce qui lui permet de bénéficier de formes de crédit spécifiques. Mais ces assises suffiront-elles ? Car ni l’honnêteté, ni le sens national ne peuvent se décréter. Ils ne s’affirment et se consolident que dans le cadre d’une éducation, de réflexion, d’un suivi qui imprègnent la société seulement sur un temps long, pour être durable. L’adjectif peut-il s’accorder avec « rapide » ?
Notes
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Voir le numéro spécial (coordonné par J.-P. Raison et F. Raison) de Politique Africaine « Madagascar, les urnes et la rue », n° 86, juin 2002.
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[2]
Premier groupe agroalimentaire malgache.
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[3]
Landscape Development Interventions ou Développement régional intégré. C’est une ONG financée par le gouvernement américain à travers l’USAID.
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[4]
Littéralement, « fruit de la route» ; l’expression désigne un présent que l’on ramène d’un voyage, présent reçu ou présent à offrir.
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[5]
Surnommé le « développement TGV ».
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[6]
Discours de Marc Ravalomanana à la 57e session de l’Assemblée générale des Nations unies.
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[7]
Discours de Marc Ravalomanana à la 57e session de l’Assemblée générale des Nations unies.
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Resa-Babakoto, Bavardage de lémuriens par Rossy, 1993.
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[9]
Intitulé du sommaire de l’Afrique contemporaine n° 202-203, avr.-sept. 2002. « Madagascar après la tourmente : regards sur dix ans de transitions politique et économique ». F. Roubaud (coord.).