Robert Walser n’est plus un auteur oublié. Mais il est un auteur de l’oubli. En 1956, au moment de sa mort solitaire à Herisau, ils n’étaient que quelques-uns à se souvenir de lui. Aujourd’hui, en revanche, il est plus présent dans le monde littéraire qu’il ne l’a jamais été de son vivant. On aurait presque envie de le protéger contre une récupération excessive. Pourtant, Walser, quand il écrit, s’inscrit dans l’oubli. Le bonheur que sa lecture nous procure est également le fruit de l’oubli. Car s’il est vrai qu’une fois touché par Walser, on ne l’oublie plus jamais, il est tout aussi vrai qu’on le lit toujours dans l’instant. Son œuvre si riche, en particulier ses plus de mille petites proses, nous fait constamment oublier ce que nous venons de lire, si bien que nous restons disponibles pour de nouvelles découvertes. On lit toujours Walser pour la première fois. Longtemps, j’ai cru devoir attribuer cela à mon manque d’attention et à une mémoire défaillante, qui m’empêchait de retenir certains de ses textes que j’avais certainement déjà lus. Or voici que Walser me propose lui-même sa thèse salvatrice : l’oubli est inscrit dans son écriture, Walser est un auteur de l’oubli.
Dans son écriture, l’oubli trouve sa place dès le début. Ainsi, dans le recueil de jeunesse intitulé Saite und Sehnsucht, recueil qui nous est parvenu seulement sous forme manuscrite, on trouve un poème intitulé « Vergessen », titre qui signifie à la fois « oubli », « oublier » et « oublié ». Le jeune Walser, âgé d’à peine vingt ans, l’a écrit peu avant 1900, de son écriture précise et anguleuse, dans le cahier contenant ce recueil, qui ne fut retrouvé qu’en 1972 dans les papiers laissés par sa sœur Fanny…