Notes
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[*]
Martine CARRÉ est Professeur à l’université de Lyon (Université Lyon 3), 6, cours Albert Thomas, F-69008 Lyon ; courriel : martine.carre@univ-lyon3.fr
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[1]
W.G. Sebald : Austerlitz, München, Wien : Carl Hanser Verlag, 2001, p. 64, désormais abrégé en (A).
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[2]
La Lettre volée, Le Mystère de la chambre jaune, Der Verdacht, Der perfekte Freund par exemple.
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[3]
Cf. André Jolles : Formes simples, traduit de l’allemand par Antoine Marie Buguet, Paris : Éditions du Seuil, 1972, p. 77-119 (Einfache Formen, 1930.)
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[4]
Baudelaire les a réunies dans sa traduction sous les titres d’Histoires extraordinaires et de Nouvelles histoires extraordinaires, Paris : Pocket Classique, 1989 pour les premières, 2009 pour les secondes.
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[5]
La traduction de Baudelaire a paru dans Le Pays, les 25 et 26 février, 1, 2, 3, 5, 6 et 7 mars 1855. Elle a été précédée de celle d’un certain G. B., dans La Quotidienne du 11 au 13 juin 1846 intitulée Un meurtre sans exemple dans les fastes de la justice. In : Edgar Allan Poe : Les trois enquêtes du chevalier Dupin, traduction de Charles Baudelaire, Paris : Pocket Classique, 2003, p. 224 et 10.
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[6]
Cf. Marc Lits : Introduction à la théorie et à l’histoire d’un genre littéraire, Liège : éditions du Cefal, 2004, chapitre 3 : « Roman policier et récit d’énigme : essai de défi nition. »
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[7]
« Dans des investigations [de ce genre] il ne faut pas tant se demander comment les choses se sont passées qu’étudier en quoi elles se distinguent de tout ce qui est arrivé jusqu’à présent. » Edgar Allan Poe : Les trois enquêtes du chevalier Dupin (note 5), p. 38, désormais abrégé en (Dupin).
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[8]
Bertolt Brecht : Aufsätze zur Literatur, Schriften zur Literatur und Kunst 2, Gesammelte Werke 19, Frankfurt am Main : Suhrkamp Verlag, 1967, « Über den Kriminalroman », p. 451 : « Die Originalität [des Kriminalromans] liegt in anderem. Die Tatsache, daß ein Charakteristikum des Kriminalromans in der Variation mehr oder weniger festgelegter Elemente liegt, verleiht dem ganzen Genre sogar das ästhetische Niveau. Es ist eines der Merkmale eines kultivierten Literaturzweiges. »
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[9]
Cf. le récit de Poe où l’identifi cation du meurtrier repose sur le fait qu’il parle un langage que le détective reconnaît, par exclusives successives, comme inhumain : « […] relativement à la voix aiguë, il y a une particularité : […] quand un Italien, un Anglais, un Espagnol, un Hollandais essayent de la décrire, chacun en parle comme d’une voix d’étranger, […] ces témoins n’ont distingué aucune parole […] » Edgar Allan Poe (note 5), p. 40.
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[10]
Jorge Luis Borges : Fictions, « La mort et la boussole », traduit de l’espagnol par Paul Verdevoye, collection Folio, Paris : éditions Gallimard, 1983, p. 133-147.
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[11]
Cf. Le Nom de la Rose où les indices disséminés dans tout le texte montre que la bibliothèque est le lieu des crimes et le livre son instrument. Umberto Eco : Le Nom de la rose, traduit de l’italien par Jean-Noel Schifano, collection Le livre de poche, Paris : Librairie Générale Française, 2007.
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[12]
Bertolt Brecht : Aufsätze zur Literatur, Schriften zur Literatur und Kunst 2 (note 8), p. 457.
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[13]
« Ich habe einen Horror vor allen billigen Formen der Fiktionalisierung. Mein Medium ist die Prosa, nicht der Roman », Franz Loquai (Hrsg.) : W. G. Sebald, Porträt 7, Eggingen : Isele Verlag, 1997, p. 133, « Wildes Denken, ein Gespräch mit W. G. Sebald ».
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[14]
Hans-Günther Adler : Theresienstadt 1941-1945 Das Antlitz einer Zwangsgemeinschaft, Göttingen : Wallstein Verlag, 2005.
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[15]
Honoré de Balzac : Le Colonel Chabert, Classiques de poche, introduction, commentaires et dossier de Stéphane Vachon, Paris : Librairie Générale Française, 1994, désormais abrégé en (CC).
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[16]
Maurice Halbwachs : La Mémoire collective, édition critique établie par Gérard Namer, Paris, Albin Michel, 1997, chapitre « Mémoire individuelle et mémoire collective », p. 73-89.
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[17]
L’intertexte kafkaïen est présent de diverses manières dans Austerlitz où seul In der Strafkolonie est nommé. Austerlitz réagit ici autrement que le personnage de Vor dem Gesetz de Kafka qui ne pousse pas la porte qui lui est destinée. On peut voir plus loin dans le texte une autre allusion à ce même récit de Kafka, lors de la description de l’arrivée d’Austerlitz à la Karmelitskà. Austerlitz décrit alors le gardien de la porte et la position qu’il doit adopter face à celui-ci : « man mußte sich weit hinabbeugen zu dem viel zu niedrigen Schalter » (A, p. 209), phrase qui peut apparaître comme un écho de ce fragment que Kafka a intégré dans Der Proceß : « […] bückt sich der Mann, um durch das Tor in das Innere zu sehen. » Franz Kafka : Der Proceß, herausgegeben von Malcom Peasley, Frankfurt am Main : Fischer Taschenbuch Verlag, 2002, chapitre « Dom », notamment p. 292-297.
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[18]
Walter Benjamin : Aufsätze, Essays, Vorträge, gesammelte Schriften, Band II-1, Frankfurt am Main : suhrkamp taschenbuch wissenschaft, 1977, « Zum Bilde Prousts », p. 312.
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[19]
Par opposition à Edmond Jabès qui en a gommé les voyelles pour illustrer linguistiquement la volonté de déstructuration totale mise en œuvre à Auschwitz. Cf. Myriam Ruzniewski-Dahan : Romanciers de la shoah. Si l’écho de leurs voix faiblit… Paris : L’harmattan, 1999, p. 61.
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[20]
« Je me mis à travailler les cadavres qui me séparaient de la couche de terre sans doute jetée sur nous ! […] Mais je ne sais pas aujourd’hui comment j’ai pu parvenir à percer la couverture de chair qui mettait une barrière entre la vie et moi. » Honoré de Balzac : Le Colonel Chabert (note 15), p. 78.
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[21]
La femme que Chabert a sauvée de la prostitution en l’épousant veut profi ter de sa disparition. Il pose la question de la légitimité de la propriété. Il montre la haute société, les employés de justice et les plus démunis.
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[22]
Cf. Hyppolite Taine : Nouveaux Essais de critique et d’histoire, cité par Stéphane Vachon in Honoré de Balzac : Le Colonel Chabert (note 15), p. 19.
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[23]
Pour reprendre les termes de Bertolt Brecht (note 8), p. 451.
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[24]
Pierre Bourdieu : La Distinction, Paris : Les éditions de minuit, 1979, « Introduction », p. IV et V.
1L’idée d’associer le roman policier à une forme appelée « roman de la mémoire », donc de rattacher un style de récit qui n’a pas encore trouvé de véritable reconnaissance institutionnelle à une forme déjà connue (celle du roman d’énigme) s’impose dès que l’on lit la prose fictionnelle de Sebald. Les textes foisonnants de détails de cet auteur écrasent en effet le lecteur par la quantité d’informations qu’ils délivrent en vrac au fil des pages. Seule une attention extrême aux phénomènes de fragmentation et d’écho dans les ouvrages permet d’y percevoir les lignes souterraines qui les structurent et en révèlent soudain la cohérence lumineuse. Chacun des textes de Sebald repose en fait sur un secret ou un non-dit qu’un décryptage patient permet de saisir. Le texte Austerlitz prend dans ce contexte une position singulière car il en relève, lui, de manière très explicite : le narrateur, allemand et enseignant de littérature en Grande-Bretagne, a en effet rencontré, en 1976, le personnage éponyme, un juif exilé en Angleterre depuis sa petite enfance. Celui-ci lui confie vingt ans plus tard, dans un acte quasi testamentaire, qu’il n’a eu que tardivement accès à son véritable patronyme et qu’il a mené l’enquête, de longues années durant, pour percer le secret de son histoire. [1] L’enquête, qui recouvre une quête de la filiation, l’a conduit sur les traces de ses parents ; il est allé à Theresienstadt, où sa mère a été déportée, et il se rend au terme du récit au camp de Gurs dans les Pyrénées centrales pour tenter d’y retrouver celles de son père.
2L’ouvrage Austerlitz s’oriente donc, via la recherche de la mémoire et de l’histoire individuelle, vers la discipline historique et son titre, Austerlitz, le trahit. Celui-ci ne relève pas de la pratique titulaire du roman d’énigme qui veut que le mystère traité soit évoqué dès la couverture de l’ouvrage, [2] mais il s’inscrit cependant dans le droit fil du genre par une indication d’ordre indiciel. La charge sémantique du nom « Austerlitz » lance en effet le lecteur dans une démarche herméneutique qui le leurre tout en éclairant les enjeux du récit. Ce titre répond ainsi à la stratégie de la fausse piste, l’un des grands ressorts du texte d’énigme et d’enquête. Si l’on s’en remet à l’indication qu’il propose – le renvoi à la bataille napoléonienne – on pense, à juste titre, que l’intérêt de l’ouvrage est historique mais les attentes suscitées par cette référence chez le lecteur sont partiellement déçues. Le texte ne porte qu’à la marge sur le xixe siècle (et la fameuse bataille), cette période ne fonctionnant pour Austerlitz que comme défense contre le véritable objet de son récit : la catastrophe du nazisme et les traces qu’elle a laissées en lui. Le nom « Austerlitz » parle donc du livre en suggérant qu’il mobilise le savoir historique. Mais comme tout indice, il concentre l’intérêt du public sur sa signification la plus évidente tout en indiquant autre chose qui n’est pas immédiatement perceptible. De fait, ce patronyme connaît dans la fiction des expansions sémantiques qui en obscurcissent le sens avant de conduire vers la biographie du personnage éponyme et son inscription dans l’histoire du xxe siècle. Or, c’est précisément cette césure historique entre les xixe et xxe siècles qui démarque le genre policier de ce qu’on appelle ici le « roman de la mémoire. » On verra en quoi ce dernier s’en inspire, en quoi il le dépasse et le subvertit tout en le faisant renouer (à des fins mémorielles) avec la tradition réaliste du xixe siècle, cette fois.
3Le roman d’énigme correspond à un besoin anthropologique : comprendre le monde dans lequel on vit en en perçant les énigmes. Il a donc des affinités avec des formes littéraires comme le mythe, dans sa dimension explicative, et la devinette qui questionne en appelant à chercher une réponse. [3] Dans la littérature européenne, on fait remonter les débuts du genre à Zadig (1748) où le héros de Voltaire reconstitue le signalement d’une chienne à partir de l’analyse des traces qu’elle a laissées dans le sable. Mais c’est un siècle plus tard, en 1841, à l’heure de l’urbanisation et du développement de la police que le récit fondateur du genre est rédigé. Il s’agit de The murders in the rue Morgue d’Edgar Allan Poe, texte tiré d’un recueil de contes fantastiques, [4] que la traduction de Baudelaire, Double assassinat dans la Rue Morgue, [5] canonise en valorisant, dès le titre, les quatre dominantes de ce qui devient très vite un récit-type. [6]
4Le titre anglais se centre sur des « meurtres » et celui de Baudelaire renforce la thématique de la violence en parlant d’assassinat et en ajoutant la préméditation au forfait. Les deux titres laissent subsister la question de l’identité des criminels et renvoient à la nécessité de l’enquête qui établit les trois acteurs essentiels du genre : victime, assassin, enquêteur. La tâche de ce dernier est présentée comme plus compliquée dans le titre français parce que le coupable a planifié son acte, en a organisé le scénario et se trouve sur la défensive. La localisation du titre original est retenue : un cadre urbain dans lequel le nom de la rue réveille l’imaginaire de la mort. On retrouve ainsi la constante sociologique du policier, la polis, lieu du mal et de la menace dans la civilisation. Quant à l’adjectif double, il définit ce qui s’est passé mais signale aussi que la structure du texte est divisée. Le récit du crime appelle celui de l’enquête et suggère ainsi qu’il existe, dans le texte, un autre texte qu’il faudra décrypter. Le roman policier apparaît donc comme un palimpseste : il a un sens manifeste, imposé par le meurtrier qui a mis en scène un certain nombre d’éléments pour égarer le détective, et il a un sens latent que l’enquêteur découvre en réorganisant ces éléments selon un ordre différent qui lui permet de confondre le criminel. À charge à Dupin, alias Zadig super-lecteur, de recomposer les signes que lui ont abandonnés les auteurs de la scène initiale du récit. De cette tâche le détective s’acquitte par la réflexion dont il repousse les limites. Il découvre la vérité en combinant les possibles et en outrepassant les frontières établies par le bon sens. [7]
5Le récit d’énigme, ainsi défini, a de quoi séduire : il parle du phénomène archaïque de la peur et le place dans un cadre sociologique qui mêle toutes les couches sociales. Il fait vivre l’angoisse par procuration en mettant la mort de l’autre en scène et en la présentant comme un simple catalyseur de l’histoire. La suite du récit la maintient dans cette légèreté puisque le texte délivre le lecteur de l’effroi en trouvant le meurtrier à l’issue d’une joute intellectuelle dans laquelle la raison triomphe des forces du désordre. Le détective a alors le monopole de la vérité et le récit conforte la justice dans un rôle sans équivoque. La certitude remplace le soupçon et le langage retrouve, en réduisant le réel complexe de l’énigme, la fonction rassurante d’un médium sans ambiguïté.
6Respectueux de la diversité du corps social dont il prend les préoccupations en compte, ce type de récit était promis au succès populaire et les moyens de la communication moderne l’ont en effet popularisé. Diffusé sous forme de feuilleton, dans la presse du xixe siècle, il devient un genre qui répond aux besoins (de sécurité, de divertissement) des grandes masses et, du fait de l’engouement général, à leur goût. Ce type de récit intéresse par sa thématique et la structure binaire de son histoire (mystère du meurtre/résolution de l’énigme) la rend aussi très accessible. Les rôles y sont bien distribués (victime, détective, coupable après élimination de suspects) et le public peut s’orienter aisément dans ces textes dont il connaît le schéma pré-établi. Le lecteur, dont les attentes sont satisfaites, s’y sent valorisé, et il participe au jeu de l’enquête en tentant de prendre, dans sa lecture, le détective de vitesse. Ce genre réunit cependant aussi des caractéristiques qui lui permettent (ce qui fait sa fécondité aux yeux de Bertolt Brecht) [8] de ne pas réduire la conscience de l’acte de lecture à une démarche purement ludique. Les textes policiers affirment souvent leur nature langagière, [9] revendiquent leur statut fictionnel [10] et l’intertextualité qu’ils mettent en œuvre dit le rôle fondamental que le livre joue dans leur écriture. [11] La mise en jeu des constantes du genre, qui demeurent plastiques, invite à la créativité et Bertolt Brecht a pressenti l’une des extensions possibles de ce récit-type en réfléchissant sur la presse. La réalité y apparaît selon lui comme un jeu de masques derrière lesquels les véritables acteurs du malheur se cachent :
Hinter den Ereignissen, die uns gemeldet werden, vermuten wir andere Geschehnisse, die uns nicht gemeldet werden. Es sind die eigentlichen Geschehnisse. Nur wenn wir wüßten, verstünden wir. […] Nur die Geschichte kann uns belehren über diese eigentlichen Geschehnisse – soweit es den Akteuren nicht gelungen ist, sie vollständig geheimzuhalten. Die Geschichte wird nach den Katastrophen geschrieben. [12]
8Et c’est précisément ce glissement de la fiction pure vers une écriture mixte (mêlant l’invention à la réalité historienne et le jeu au sérieux de l’engagement) que l’on observe dans Austerlitz, texte que son auteur se refuse à considérer comme un roman. [13]
9Récit d’après le désastre, Austerlitz s’organise autour de l’énigme de l’identité du personnage éponyme. Celui-ci, la victime selon la distribution des rôles dans le genre, y est aussi l’enquêteur. Son œuvre de détection vise à élucider sa biographie et recouvre une quête généalogique qui inscrit le récit dans un temps daté en ouvrant la fiction aux réalités historiques. On assiste donc à une réduction du « personnel » du récit d’énigme et à une extension du champ de sa problématique. La structure du récit le signale puisque la plus grande partie de l’histoire du personnage est consacrée à sa recherche personnelle. Celui-ci renoue tardivement les fils rompus de sa biographie alors qu’il parcourt, adulte vieillissant, l’Allemagne en train. Il découvre qu’il avait associé les images des paysages gallois de son enfance à celles des forêts allemandes qu’il avait traversées pour aller vers sa famille d’adoption :
[…] irgendwo hinter Frankfurt, als ich zum zweitenmal in meinem Leben einbog ins Rheintal, ging mir beim Anblick des Mäuseturms in dem sogenannten Binger Loch mit absoluter Gewißheit auf, weshalb mir der Turm im Stausee von Vyrnwy immer so unheimlich gewesen war.
11La boucle est bouclée. Affranchi de sa problématique personnelle, Austerlitz va de l’avant en s’intéressant à l’Histoire, via la somme de Hans-Günther Adler consacrée à Theresienstadt, [14] lieu de l’assassinat de sa mère. Sa recherche dépasse alors le cadre du mystère initial pour approcher la réalité du génocide sur le mode documentaire. Le récit s’ouvre provisoirement à une écriture plus référentielle avant de renvoyer au Colonel Chabert d’Honoré de Balzac, [15] ouvrage qui semble signaler que la fiction a le dernier mot dans le texte de Sebald et que, en jouant de ressorts empruntés à la littérature dite populaire, cet auteur les enrichit et les subvertit en usant d’un texte « classique » à des fins que l’on définira comme éthiques.
12La première phase du récit, qui est aussi la plus longue, procède du mystère du nom du personnage. Ses parents adoptifs, un pasteur calviniste et sa femme, l’ont placé dans un institut avant de mourir. À la veille de ses examens, le directeur de l’établissement le convoque et lui signale, que c’est sous son véritable nom, « Jacques Austerlitz », qu’il devra se présenter aux épreuves. Cette révélation s’accompagne d’explications sommaires : Austerlitz apprend qu’il a été accueilli au presbytère de Bala au début de la guerre. Cette annonce le bouleverse. Il n’est plus celui qu’il croyait être et le monde qui lui était jusqu’alors familier lui devient étranger sans que le nom « Austerlitz » lui donne d’assise nouvelle. Au contraire, ce patronyme lui révèle que son arrivée à Bala a signé sa mort sociale. Elle s’est soldée par la perte définitive des parents dont il essayait, enfant, de retrouver les traits, ainsi que par celles d’un pays et d’une langue maternelle dont il n’a gardé aucun souvenir. Tout dans ce nom lui semble l’exclure ; il se retrouve incapable d’exister en tant que soi-même ce que trahit le traitement qu’il inflige à son nouveau patronyme. Au lieu de se reconnaître dans ces trois syllabes qui ne disent de lui que comment il s’appelle, c’est-à-dire de le prendre pour ce qu’il est dans la langue vulgaire, il le convertit en « une formule secrète » (A, p. 100) et prie le directeur de l’établissement de l’aider à en découvrir le sens. L’écart entre sa personne et la valeur de ce nom ne peut plus que se creuser et le travail d’enquête du personnage consiste, dès lors, à se saisir des significations symboliques qu’il découvre dans ce patronyme pour les démythifier et ne s’identifier qu’à celles qui correspondent à ce qu’il est.
13Dans ce travail Austerlitz est confronté à deux handicaps liés à son changement d’identité : la révélation qu’on lui en fait l’a fragilisé et les conditions dans lesquelles on lui a caché son nom compliquent sa recherche en le privant d’indices.
14C’est donc en sujet incertain qu’il aborde une quête dont il pressent qu’elle pourrait le déstabiliser davantage encore. Il a toujours eu enfant le « sentiment que quelque chose de très proche et très évident [lui restait dérobé] » (A, p. 80). Cependant alors que le Dupin d’Edgar Allan Poe ne cesse d’élargir le champ du compréhensible, lorsqu’il se trouve placé
à la limite de la compréhension sans pouvoir comprendre […] comme les gens qui sont quelquefois sur le bord du souvenir et […] ne parviennent pas à se rappeler
16Austerlitz a tout fait, lui, pour ne pas avoir à saisir sa réalité propre. Certes, il a choisi d’étudier l’histoire de l’art au xixe siècle par référence à son nom et à la célèbre bataille napoléonienne, mais il l’a fait en décrétant que, pour lui, « le monde se terminait à la fin du xixe siècle » (A, p. 201). Il s’est, ce faisant, intéressé aux citadelles et aux établissements pénitentiaires, ce qui l’a amené à frôler (mais sans le voir) ce qu’il découvre, plus tard, en se rendant sur les lieux de son histoire familiale. De fait sa vie n’a été qu’efforts pour oublier son passé :
[…] ich [mußte…] immer bemüht gewesen sein, mich an möglichst gar nichts zu erinnern und allem aus dem Weg zu gehen, was sich auf die eine oder andere Weise auf meine mir unbekannte Herkunft bezog.
18À cette composante subjective s’ajoute une difficulté technique qui le confronte à une recherche quasi impossible et le voue au repli sur soi. La réponse qu’Austerlitz cherche n’est connue de personne dans son environnement immédiat. Son enquête, à la différence de celle que l’on conduit dans le roman policier, ne porte pas sur une réalité ludique organisée afin que le détective prouve sa sagacité. Le crime n’a pas été crypté pour être décrypté. Austerlitz a vécu dans la clandestinité et on lui a caché ses origines à des fins vitales. Il a grandi dans le silence et le pasteur Elias a détruit, par précaution, toutes les traces qu’il possédait de sa vie antérieure (A, p. 109). Le couple adoptif disparu, Austerlitz ne peut donc plus compter que sur lui pour progresser dans une recherche où il ne dispose, ni d’indice, ni de personnes susceptibles de lui « rappeler ses souvenirs du dehors. » [16] Ce n’est qu’en puisant dans une vie intérieure à laquelle il refuse l’accès qu’il pourra construire les certitudes personnelles qui lui permettront d’avancer. Mais, depuis Edgar Allan Poe, les théories de Freud et les développements catastrophiques de l’histoire du xxe siècle ont fait douter des vertus de la raison. C’est donc à tâtons qu’Austerlitz tente de percer l’obscurité qui l’entoure. Son récit, postérieur à l’enquête, porte les stigmates des hésitations de sa recherche. Il dit ne pas pouvoir en rendre compte selon une progression logique :
Es ist nicht einfach gewesen, aus der Befangenheit mir selbst gegenüber herauszufinden, […] die Dinge […] in eine […] ordentliche Reihenfolge zu bringen.
20et il la relate à l’aide de phrases labyrinthiques, ponctuées par le doute, qui servent une rhétorique de l’incertain. L’enquête, qui s’est voulue rationnelle et systématique (elle a débuté par une recherche dans l’annuaire) n’a débouché sur rien. Austerlitz s’en est alors remis au hasard. Il a glané quelques informations éparses à l’occasion d’une émission radiophonique, d’une lecture documentaire et d’un échange avec sa voisine. Il n’en a tiré aucun parti, ces données variées relevant de la communication ordinaire et n’entretenant entre elles que des relations fortuites, induites par l’homonymie. Il a appris que son nom a été celui de Fred Astaire, enfant tourmenté la nuit par le bruit des trains de marchandises, que l’un de ses homonymes a circoncis le neveu de Kafka et qu’une certaine Laura Austerlitz a fait une déposition devant un juge italien sur un crime perpétré en 1944. (A, p. 103-104) Il n’a pas vu – ce que le lecteur en détective perçoit – que ces informations lui livraient le secret de son destin : la judaïté, l’exil et 1944, la date de la mort de sa mère. Égaré, Austerlitz a tenté ensuite de percer l’opacité de son histoire en la devinant. Il s’est exercé à des jeux de réussites en combinant, « selon un ordre dicté par leur air de famille » des photographies tirées à l’aveuglette « de son fonds » sans jamais trouver d’indication pertinente. (A, p. 172) C’est qu’il ne sait pas dans quel contexte il lui faut inscrire sa recherche. Il manipule donc des informations sans pouvoir, faute de perspective sous-jacente, leur trouver de cohérence. Lorsque les chiffres de son destin lui sont présentés, il ne les reconnaît pas et ne leur applique pas la logique combinatoire d’où pourrait surgir la lumière. À l’inverse, lorsqu’il use de cette méthode, il l’applique à des clichés photographiques déterminés, certes, par son passé mais – refoulement oblige – de manière si allusive qu’aucune ligne de force ne se dessine lorsqu’il les assemble.
21La quête identitaire ne peut pas relever de telles constructions ; elle a besoin d’un point d’ancrage. C’est le corps qui le fournit dans ce texte où Austerlitz passe du statut de funambule désespéré à celui d’(anti-)flâneur compulsif. Pour échapper à la torture croissante de ses insomnies, il se met en effet à arpenter la ville la nuit. Ces déambulations répondent à un appel intérieur qui le ramène toujours vers Liverpool Street Station. Lors de ces errances, Austerlitz perçoit la ville comme un palimpseste qui lui dévoile les strates de l’Histoire en le rapprochant des morts « [qui] emplissent le demi-jour autour de lui. » (A, p. 192) Aux abords de cette gare, il entend « les gens parler de lui en lituanien, hongrois ou quelque autre idiome très exotique » (A, p. 184) et il décide, un jour, de s’enfoncer dans les tréfonds du bâtiment. La résolution de l’énigme s’ouvre au schéma initiatique ; elle passe par la mémoire du corps qui impose son trajet au personnage et le reconduit à la scène qui a scellé son destin. Austerlitz suit alors poussé par « une confuse nécessité interne » une sorte de guide. Celui-ci l’introduit dans les profondeurs des lieux mais le laisse maître de ses choix à l’instant crucial. L’accès à sa propre vérité ne dépend que d’Austerlitz [17] qui décide de franchir le rideau de feutre qui le sépare de la révélation. Celle-ci prend la forme d’une vision qui lui re-présente son arrivée en Grande-Bretagne et l’accueil de la famille dont il a ensuite emprunté le nom. Cet événement remémoré est de ceux qui intéressent W. Benjamin par leur portée chez Proust :
[…] ein erlebtes Ereignis ist endlich, zumindest in der einen Sphäre des Erlebens beschlossen, ein erinnertes schrankenlos, weil nur Schlüssel zu allem, was vor ihm und zu allem, was nach ihm kam. [18]
23Cet instant est fondateur pour le personnage. L’inconscient a levé ses barrières et le récit s’achemine vers la résolution de l’énigme. La vérité d’Austerlitz procède d’une expérience enfouie qui lui appartient en propre et prend valeur de certitude absolue. Il peut désormais s’en remettre à son intuition : il s’ouvre aux signes de ses rêves et à ceux que la réalité lui livre bruts, le laissant chaque fois juge de leur signification. Il se voit en rêve « emprisonné dans une forteresse en étoile » et renoue avec la tragédie de sa famille séparée par le nazisme et détruite par la déportation. (A, p. 200) Une émission radiophonique dans laquelle deux femmes rapportent qu’elles ont été envoyées, encore enfants, sur un bateau nommé Prague en Angleterre, lui donne la certitude que « cette tranche de vie fait sans aucun doute possible partie de sa propre histoire » et l’ouvre aux suggestions du nom « Prague » (A, p. 204) : il décide de se rendre dans cette ville sans tarder et la chaîne de ses souvenirs commence à s’y reconstituer.
24L’enquête véritable – celle qui s’appuie sur des pièces et des témoignages – débute et le récit d’Austerlitz le signale par un changement d’imaginaire. Alors que le schème de la descente aux profondeurs et de l’obscurcissement préside au premier temps de sa recherche, on assiste ici à une inversion des directions et de la tonalité du récit :
[…] ich bin […], sofort nach meiner Ankunft auf dem Flughafen, […], an einem viel zu hellen, gewissermaßen überbelichteten Tag, […] mit einem Taxi in die Karmelitskà, […] wo das Staatsarchiv untergebracht ist in einem sehr sonderbaren, weit in die Zeit zurückreichenden […], wenn nicht gar außerhalb der Zeit stehenden Bau, gefahren.
26Des personnages y apparaissent de manière fantastique en « surgissant des entrailles du bâtiment ». Sous leur égide, et à l’inverse de ce qui se passait à Liverpool Street Station, c’est vers des espaces clairs qu’Austerlitz s’élève, gagnant le troisième étage de l’édifice par un ascenseur avant d’atteindre, « en longeant une galerie » (Kafka oblige), un bureau où s’amoncellent « de hautes piles de fascicules […] dont beaucoup [sont] devenus friables sur les bords. » (A, p. 211) Les archives, lieu du questionnement mais aussi de la réponse incertaine, attestent déjà la fragilité des traces et leur pouvoir d’émotion. Au terme d’une nuit de cauchemar Austerlitz se retrouve, le lendemain, face à une nouvelle liste de ses homonymes. Mais à la différence de ce que se passait avec l’annuaire, il peut, cette fois, s’appuyer sur les recommandations de la secrétaire des archives pour entamer sa recherche sur une base organisée. Il se rend à l’adresse la plus proche dont il ressent, parce qu’il éprouve un sentiment de familiarité physique avec l’itinéraire qu’il parcourt, qu’elle sera celle où il a passé sa première enfance. Sur place les sensations de déjà-vu se multiplient et le livrent à une prolifération de signes qui n’ont plus, comme la parataxe l’atteste, besoin d’être organisés pour témoigner. Leur abondance le fait à elle seule et Austerlitz, maintenant lecteur de son passé, reconnaît dans ce qu’il voit « autant de signes tirés de la casse des choses oubliées. » (A, p. 218) La rencontre avec V?ra Ryšanová, la première personne avec laquelle il parle à cette adresse, le confirme dans cette certitude puisqu’elle le reconnaît immédiatement. Cette femme lui livre les pans de son histoire qu’il ignore. Amie de la famille, elle lui raconte qui étaient ses parents, comment ils ont vécu. Elle intègre dans son propos celui des autres et lui dit ce qui, en marquant son histoire, a aussi marqué la sienne.
27Le récit d’enquête fait, conformément à la vocation du policier dans sa variante de roman noir, plonger le lecteur dans la Prague de l’époque et ce qu’elle recouvrait de milieux divers : les victimes désignées (via l’histoire de la mère d’Austerlitz), les opposants (via celle du père) et le monde des témoins sidérés par les violences de l’époque (via V?ra). Le récit privilégie l’exploration historique et sociologique et se structure en petites unités descriptives. Elles prennent place dans le discours de V?ra sous la forme de témoignages rapportés et créent dans le texte une référence constante aux détails, aux faits divers, à la réalité économique, politique, sociale ou linguistique d’alors. V?ra fait état de sa vie avec la famille d’Austerlitz avant la mise au pas et de ce qu’elle est devenue ensuite. Son propos ménage une place au point de vue de Maximilien Aychenwald, père d’Austerlitz, commentant la propagande nazie après un voyage en Allemagne et en Autriche. V?ra relate les propos du juif Saly Bleyberg, contraint de céder son affaire à un certain Haselberger avant d’être dépouillé de tous ses biens. Elle décrit comment la mère d’Austerlitz, a appris qu’elle serait déplacée et la façon dont elle a appréhendé les consignes « rédigées dans une langue […] écœurante » qu’elle a reçues avant son départ (A, p. 255). Elle raconte le regroupement, près du palais des expositions à Vyšehrad, de la longue caravane des victimes avant leur transfert. Ces descriptions sont centrées sur les horreurs de la période, attestent des faits connus du lecteur et rassurent Austerlitz sur le sens de sa recherche ; il se met en route pour Theresienstadt où sa mère a disparu. Représentative du statut qu’elle veut accorder à son passé, cette ville lui apparaît comme une ville « camouflée. » (A, p. 268) Il y vit cependant la dernière révélation de son parcours identitaire, celle qui lui permet, en s’intégrant dans un groupe, de faire de son patronyme la formule secrète qui le lie à sa communauté : celle des juifs disparus à Auschwitz (dont son nom porte les traces sous la forme des deux phonèmes articulables : Au… itz) [19] et dont les biens sont exposés dans la vitrine de l’Antiquos Bazar. Face à l’amoncellement des choses qui y sont présentées, Austerlitz n’est plus l’homme désemparé que sa curiosité intellectuelle égarait au début du récit au point de lui faire perdre le sens de ses recherches. Être initié qui a gagné sa vérité et su s’y abandonner, il ne se laisse pas désarçonner par le déni volontaire que l’on impose ici à l’Histoire. Il sait, plus qu’avant, qui il est et ce qu’il cherche. Dans la vitrine encombrée du magasin, il découvre ce qu’on exhibe, selon le principe de La Lettre volée, pour mieux le dissimuler. Il y reconnaît Veverka, l’écureuil de son enfance, et détecte dans les choses qui ont survécu à leurs propriétaires l’empreinte de leur existence. C’est à eux qu’il s’identifie, par-delà le temps, en saisissant dans la vitre du bazar, le reflet de sa propre image. L’énigme existentielle est résolue. Austerlitz connaît les raisons de son exil, sait où sont les siens, et il occupe dans le temps et l’espace la place qui est la sienne, celle que lui assigne le miroir de la vitrine en le renvoyant à lui-même et à l’endroit où il se trouve. Il décide alors de retourner au savoir historique et visite le musée de cette ville en s’y intéressant pour la première fois à « cette persécution que [son] système de déni lui a si longtemps permis de tenir à distance. » (A, p. 282) Il se penche sur Theresienstadt 1941-1945, das Antlitz einer Zwangsgemeinschaft, œuvre de Hans-Günther Adler, historien tchèque qui fut « déplacé » à Theresienstadt le 8 février 1942, avant d’être déporté à Auschwitz en octobre 1944, puis au camp de Langenstein-Zwieberge. Il montre comment Adler a mis à nu un système « instauré dans l’unique but d’éradiquer la vie » (A, p. 341) et cherche à en compléter les travaux. Adler dévoile en effet dans son ouvrage que les nazis ont masqué la réalité du ghetto en 1944 en travestissant la ville en un Eldorado rassurant pour les autorités de la Croix-Rouge. Il y affirme qu’il reste des traces de cette mascarade sous la forme d’un film auquel il n’a pas pu avoir accès. Austerlitz en découvre une copie et déjoue cette entreprise mensongère en visionnant la pellicule au ralenti : la polka enjouée se transmue en marche funèbre et les individus filmés y apparaissent en cours d’effacement, comme en témoigne une double photo insérée dans le texte du narrateur. (A, p. 350-351) Austerlitz tente alors à poursuivre ses recherches mais se sent soudain submergé par le sentiment de ne pouvoir aboutir qu’à une accumulation de détails qui nuit à son projet plus qu’elle ne le sert (p. 366-367). Les informations qu’il amasse attestent les faits mais ne lui permettent pas de rendre compte de ce qu’il veut communiquer : le vécu des victimes. Il se tourne alors vers la lecture de fiction et commence par le Colonel Chabert d’Honoré de Balzac, texte qui, par sa complexité, son approche historique et son type d’écriture, n’a plus grand-chose à voir avec la littérature populaire.
28Le choix de ce texte, qu’Austerlitz ne semble pas analyser, réalise un compromis intéressant dans sa problématique. En se tournant vers un texte réaliste du xixe siècle français, Austerlitz demeure déterminé par sa logique personnelle. Il a vécu sa petite enfance dans une famille cultivée, musicienne et francophile, qui possédait La Comédie humaine et lui a enseigné le français. En choisissant de lire Le Colonel Chabert, il se tourne – dans l’œuvre d’Honoré de Balzac – vers un récit historique qui renvoie à la bataille d’Eylau, l’une des plus meurtrières des batailles napoléoniennes. Cette lecture le conduit donc à nouveau à celle d’Austerlitz et à la soif de savoir historique qu’avait éveillée en lui l’annonce de son patronyme. Elle le conforte dans l’intuition qu’il avait en étudiant « l’histoire […] de la modernité au siècle de la bourgeoisie » :
[…] Die ganze Bau- und Zivilisationsgeschichte des bürgerlichen Zeitalters, die ich erforschte, [drängte] in die Richtung der damals bereits sich abzeichnenden Katastrophe.
30On sait aujourd’hui que cette catastrophe a pris, dans l’Europe du xxe siècle, le visage tout à fait inhumain et inédit de la barbarie nazie.
31Pour Austerlitz, l’histoire du Colonel Chabert, laissé pour mort sur le champ de bataille d’Eylau et revenu à Paris pour y retrouver sa place auprès d’une femme qui l’a dépouillé de tout, se résume en deux termes : « fosse des morts » et « spoliation ». Dans l’évocation que fait Austerlitz de ce roman, ces mots font écho à sa propre histoire. Il reformule le texte balzacien en en actualisant la portée par un glissement lexical qui le met en prise sur sa situation personnelle. « La fosse des morts » devient un « charnier – Massengrab ») (A, p. 396), équivalence à laquelle le texte d’Honoré de Balzac se prête par l’horreur des images qu’utilise le colonel Chabert, enseveli sous les cadavres et décrivant sa lutte pour revenir à la vie. [20] Dans leur crudité et leurs détails, ces images ne peuvent qu’évoquer celles que le lecteur d’Austerlitz a vues de la libération des camps. Le récit d’Austerlitz se nourrit ainsi d’un système d’échos. Il lui permet de rappeler, sans les imposer au lecteur, des images insoutenables dont on a dit qu’en sidérant le spectateur, elles ont plus servi le refoulement que la prise de conscience. Et ce système de renvoi permet aussi de créer une sorte de répertoire de l’horreur qui, loin de nier la spécificité des époques évoquées, donne à chacune d’entre elles le caractère irrecevable qui lui appartient en propre. L’imagerie crée une communauté de vécu, parie sur la sensibilité sans recourir à la raison et permet d’inscrire les faits dans une logique universelle qui, en témoignant des visages toujours nouveaux de l’abomination, les subsume pour la réprouver. Mais par-delà ces données, explicites dans le récit du personnage éponyme, tout fonctionne comme si Le Colonel Chabert avait servi de modèle à Sebald pour construire Austerlitz. De cette histoire qu’on peut lire à différents niveaux, comme un roman de la vie privée, un drame judiciaire et une scène de la vie parisienne, [21] Sebald ne retient que les éléments qui structurent la vie personnelle de Chabert pour construire ce que l’on appelle ici son « roman de la mémoire. »
32Les vies d’Austerlitz et de Chabert reposent sur un schéma commun : ils sont sans attache et cherchent leur identité. Chabert a été abandonné par ses parents dans un hospice pour enfants trouvés, Austerlitz a été séparé très tôt des siens et a perdu (redoublement du thème de la séparation) ses parents adoptifs à l’adolescence. Chabert n’avait pas de nom, on l’a inscrit à l’orphelinat sous un prénom, « Hyacinthe », qui ne renvoie qu’à son caractère d’enfant naturel ; Austerlitz a grandi dans l’ignorance de son patronyme. Pour eux deux, l’existence est de ce fait un combat qui vise, pour l’un, à acquérir, pour l’autre, à reconquérir un nom qui est chaque fois lié à un secret. Chabert s’est fait un nom dans la France post-révolutionnaire où le prestige du patronyme n’est plus transmis de manière héréditaire mais lorsqu’il revient à Paris, il y fait figure d’inconnu et veut faire alors connaître « le secret de sa situation » de mort revenu chez les vivants. (CC, p. 75) Pour Austerlitz le secret porte, on le sait, sur « ses origines ». L’un et l’autre ont vécu une « descente aux enfers » et ne revendiquent leur droit à l’existence qu’après avoir affronté l’épreuve de la mort en l’espèce de l’ensevelissement sous les soldats défunts pour Chabert, de la rencontre avec les ombres de Liverpool Street pour Austerlitz. Cette mort symbolique perdure dans leur vie sociale. Leur histoire a à voir avec du caché et ils vivent l’un et l’autre dans un temps qui s’applique à effacer les traces du passé dans lequel ils sont ancrés. Chabert, représentant de l’Empire, vit dans la France des Bourbons « soucieuse […] de réparer les infortunes causées par les […] désastres des temps révolutionnaires. » (CC, p. 63) On a tout caché à Austerlitz de sa première enfance pour le sauver et son enquête se heurte à un double déni : celui qu’il a mis en place pour se protéger de son histoire et celui que l’Allemagne des « villages proprets » et des « gares neuves » impose à son passé national. (A, p. 317) Leur quête de reconnaissance se fait donc dans un contexte difficile qui les conduit au bord de la folie. C’est d’ailleurs à Charenton que leurs chemins se croisent. On menace d’y enfermer Chabert qui, pour reconquérir ses droits, revendique trop fermement son identité aux yeux des défenseurs de son ex-femme (CC, p. 97) ; Austerlitz y devient fou ou presque, au moment où il quitte, hagard, l’école vétérinaire de Maisons-Alfort pour errer dans les stations du métro parisien (Campo Formio, Iéna, Solferino) en sympathie avec ceux qui sont tombés au champ d’honneur ou ont trouvé une mort violente. (A, p. 378-379) Une différence toutefois les sépare : Austerlitz retrouve son nom et son identité et part, à la fin de son récit, en quête d’une vie nouvelle. Elle le rapproche de manière improbable de son père et plus certainement de son amie, Marie de Verneuil. Celle-ci qui porte le nom d’une autre héroïne balzacienne, la Marie de Verneuil des Chouans, est toujours associée dans le texte de Sebald aux brumes et aux brouillards de ce dernier texte balzacien (non nommé dans Austerlitz) mais joue pour Austerlitz un rôle aussi discret que positif (à la différence de la comtesse Féraud, ex-épouse du Colonel Chabert et de la Marie de Verneuil du texte d’emprunt). Tout signale ainsi une inversion des signes du texte d’Honoré de Balzac dans celui de Sebald. Et en effet le colonel Chabert, loin de s’approprier son nom comme Austerlitz, ne le reconquiert que provisoirement. Face à la violence d’une société qui ne veut le voir reconnu ni dans sa personne, ni dans ses droits, il se « sacrifie » et décide de « ne plus […] réclamer le nom [qu’il a] illustré. » (CC, p. 123) Il se replie à Bicêtre dans « l’hospice de la vieillesse » où il ne porte plus que son prénom « Hyacinthe » et un numéro matricule, « le 164 ». Honoré de Balzac ramène donc son personnage au point initial de l’intrigue, celui de l’identité perdue, au moment de sa mort et il le souligne en le réduisant à la fin de son texte à une catégorie générique : « un vieux », « un vieillard. » (CC, p. 128-129) Ce texte apparaît donc, dans sa structure cyclique, comme le contraire d’un roman d’apprentissage. Le récit de Sebald abandonne lui, en revanche, la vie de son personnage à une dynamique non régressive qui dépasse ce que le lecteur en apprendra. Austerlitz qui fait, comme Chabert, l’expérience de la disparition des traces de son histoire, ne s’efface pas. Il cherche à faire revivre les quelques pistes qu’il a pu remonter et les livre à un narrateur qui les léguera à son tour à ses lecteurs. C’est pour cette raison peut-être que le récit du narrateur identifie de plus en plus Austerlitz à Veverka, animal dont il se souciait en se demandant, à l’époque, comment il « fait pour savoir où il a caché [ses] provisions ». V?ra lui répondait alors, en faisant de l’écureuil un symbole des mystères de la mémoire :
Aber wenn alles weiß wird, wie wissen dann die Eichhörnchen, wo sie ihren Vorrat verborgen haben ? […] genau so, sagte Vera, habe die von mir immer wiederholte […] Frage gelautet. Ja, wie wissen die Eichhörnchen das, und was wissen wir überhaupt, und wie erinnern wir uns, und was entdecken wir nicht am Ende ?
34De fait, à l’âge adulte, Austerlitz a bien exhumé son passé. Pour le faire, il s’est battu avec lui-même avant de montrer, dans un récit qui a fait entrer l’Histoire dans la fiction, que le combat qu’il avait à mener était aussi un combat contre l’oubli actif et passif des autres. Au terme de son récit, et c’est une différence essentielle avec le roman de l’énigme, toutes les pistes qui ont été ouvertes n’ont pas été explorées : nul ne sait si Austerlitz retrouve les traces de son père et le lecteur ignore ce qu’il est advenu de sa mère. L’histoire d’Austerlitz demeure inachevée mais elle s’est ouverte aux réalités historiques qui la débordent. Cet inachèvement et cette ouverture la démarquent du récit policier qui se clôt en trouvant une solution souvent banale et qui n’engage le lecteur dans aucune pratique sociale autre que la consommation éventuelle d’un nouveau livre. Dans les énigmes de la mémoire, qui apparaissent ici comme portant sur l’identité des personnages et les périodes propres au refoulement, un mystère reste toujours entier : celui de la violence des sociétés humaines que l’éclaircissement des destins personnels ne parvient pas à dissiper. Chabert se tait là où Austerlitz persévère. En apparence celui-ci dépasse celui-là mais dans leurs visées pragmatiques les textes ont, sur des ressorts différents, fait le même pari. La fin de Chabert atteint le lecteur parce qu’elle lui révèle la bassesse des passions humaines dans un monde où l’argent est devenu « le grand ressort de la vie moderne » ; [22] celle d’Austerlitz place le récit de ce dernier dans une chaîne de transmission qui met le public face à ses responsabilités de témoin. Le jeu intertextuel mobilise la mémoire des textes et renforce leurs effets : il atteste la répétition de la barbarie, dévoile le refoulement du passé mais parie aussi, en les activant, sur les mécanismes de la transmission. Ce faisant, on assiste dans ce qu’on a appelé ici le « roman de la mémoire » à une sorte de synthèse entre deux formes de littérature que l’on oppose communément. Du roman d’énigme dont la réalisation la plus courante (le roman policier) est souvent perçue comme relevant de la paralittérature, le roman de la mémoire, tel qu’Austerlitz le réalise, garde la force et le « schéma » [23] qui lui confère une aptitude à la répétition et donc – clé de son succès – à la reconnaissance ; il en conserve certains aspects ludiques et le substrat anthropologique archaïque : la peur et son corollaire défensif, le désir de dominer le réel. Mais il régénère ce genre en en montrant les limites et en jouant de la constance de l’âme humaine par référence à un répertoire « classique » de textes. À la différence de Dupin en champion de la ratiocination triomphante, Austerlitz ne surévalue pas les possibilités de la pensée humaine. Il la sait limitée par la réalité, par l’effacement des traces dans le monde matériel et par les lacunes d’une mémoire que l’Histoire a traumatisée. Comme dans le roman policier, on cherche dans le roman de la mémoire à comprendre mais en poursuivant une vérité générale (et non une révélation particulière sur un cas singulier). Pour le signaler et le faire, ce que l’on a appelé « le roman de la mémoire » s’appuie sur la chaîne des « grandes œuvres ». Elles nourrissent le plaisir du lecteur curieux ou érudit qu’elles peuvent lancer dans de savants jeux de pistes intertextuels : dans Le Colonel Chabert et Austerlitz par des références communes au mythe d’Orphée et à L’Odyssée (thèmes du voyage au pays des morts et du retour au pays natal) auxquelles s’ajoute dans le texte de Sebald un intertexte kafkaïen discret, mais constamment présent. L’identification des sources n’est cependant pas fondamentale dans la transmission du message éthique que vise « ce roman de la mémoire ». Si ce genre de récit consacre les « belles lettres » en manifestant leur longévité, c’est aussi, et peut-être surtout, pour conférer une valeur rhétorique à l’intertextualité. Il opère un tri dans les représentations que les auteurs ont produites. Cette opération vise à nourrir l’imaginaire collectif en rappelant que si l’Humanité s’est trahie au xxe siècle, l’Homme peut se retrouver – sur champ de ruines et fond de désespoir – en redécouvrant, dans la mémoire des textes, les universaux qui fondent son humanité. La littérature que l’on pouvait imaginer réservée à une élite n’est plus alors pensée de manière muséale comme un produit culturel qui renverrait « au seul univers des œuvres d’art du passé et du présent. » Elle retrouve une valeur utile, en ce sens « populaire » selon Bourdieu, [24] car elle sort du champ strict de l’institution littéraire pour être actualisée comme catégorie dynamique susceptible de réguler, voire de refonder les pratiques politiques au sens le plus large de ce terme. Elle entre alors dans le champ existentiel pour y affirmer la continuité entre l’art et la vie.
Notes
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[*]
Martine CARRÉ est Professeur à l’université de Lyon (Université Lyon 3), 6, cours Albert Thomas, F-69008 Lyon ; courriel : martine.carre@univ-lyon3.fr
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[1]
W.G. Sebald : Austerlitz, München, Wien : Carl Hanser Verlag, 2001, p. 64, désormais abrégé en (A).
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[2]
La Lettre volée, Le Mystère de la chambre jaune, Der Verdacht, Der perfekte Freund par exemple.
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[3]
Cf. André Jolles : Formes simples, traduit de l’allemand par Antoine Marie Buguet, Paris : Éditions du Seuil, 1972, p. 77-119 (Einfache Formen, 1930.)
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[4]
Baudelaire les a réunies dans sa traduction sous les titres d’Histoires extraordinaires et de Nouvelles histoires extraordinaires, Paris : Pocket Classique, 1989 pour les premières, 2009 pour les secondes.
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[5]
La traduction de Baudelaire a paru dans Le Pays, les 25 et 26 février, 1, 2, 3, 5, 6 et 7 mars 1855. Elle a été précédée de celle d’un certain G. B., dans La Quotidienne du 11 au 13 juin 1846 intitulée Un meurtre sans exemple dans les fastes de la justice. In : Edgar Allan Poe : Les trois enquêtes du chevalier Dupin, traduction de Charles Baudelaire, Paris : Pocket Classique, 2003, p. 224 et 10.
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[6]
Cf. Marc Lits : Introduction à la théorie et à l’histoire d’un genre littéraire, Liège : éditions du Cefal, 2004, chapitre 3 : « Roman policier et récit d’énigme : essai de défi nition. »
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[7]
« Dans des investigations [de ce genre] il ne faut pas tant se demander comment les choses se sont passées qu’étudier en quoi elles se distinguent de tout ce qui est arrivé jusqu’à présent. » Edgar Allan Poe : Les trois enquêtes du chevalier Dupin (note 5), p. 38, désormais abrégé en (Dupin).
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[8]
Bertolt Brecht : Aufsätze zur Literatur, Schriften zur Literatur und Kunst 2, Gesammelte Werke 19, Frankfurt am Main : Suhrkamp Verlag, 1967, « Über den Kriminalroman », p. 451 : « Die Originalität [des Kriminalromans] liegt in anderem. Die Tatsache, daß ein Charakteristikum des Kriminalromans in der Variation mehr oder weniger festgelegter Elemente liegt, verleiht dem ganzen Genre sogar das ästhetische Niveau. Es ist eines der Merkmale eines kultivierten Literaturzweiges. »
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[9]
Cf. le récit de Poe où l’identifi cation du meurtrier repose sur le fait qu’il parle un langage que le détective reconnaît, par exclusives successives, comme inhumain : « […] relativement à la voix aiguë, il y a une particularité : […] quand un Italien, un Anglais, un Espagnol, un Hollandais essayent de la décrire, chacun en parle comme d’une voix d’étranger, […] ces témoins n’ont distingué aucune parole […] » Edgar Allan Poe (note 5), p. 40.
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[10]
Jorge Luis Borges : Fictions, « La mort et la boussole », traduit de l’espagnol par Paul Verdevoye, collection Folio, Paris : éditions Gallimard, 1983, p. 133-147.
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[11]
Cf. Le Nom de la Rose où les indices disséminés dans tout le texte montre que la bibliothèque est le lieu des crimes et le livre son instrument. Umberto Eco : Le Nom de la rose, traduit de l’italien par Jean-Noel Schifano, collection Le livre de poche, Paris : Librairie Générale Française, 2007.
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[12]
Bertolt Brecht : Aufsätze zur Literatur, Schriften zur Literatur und Kunst 2 (note 8), p. 457.
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[13]
« Ich habe einen Horror vor allen billigen Formen der Fiktionalisierung. Mein Medium ist die Prosa, nicht der Roman », Franz Loquai (Hrsg.) : W. G. Sebald, Porträt 7, Eggingen : Isele Verlag, 1997, p. 133, « Wildes Denken, ein Gespräch mit W. G. Sebald ».
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[14]
Hans-Günther Adler : Theresienstadt 1941-1945 Das Antlitz einer Zwangsgemeinschaft, Göttingen : Wallstein Verlag, 2005.
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[15]
Honoré de Balzac : Le Colonel Chabert, Classiques de poche, introduction, commentaires et dossier de Stéphane Vachon, Paris : Librairie Générale Française, 1994, désormais abrégé en (CC).
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[16]
Maurice Halbwachs : La Mémoire collective, édition critique établie par Gérard Namer, Paris, Albin Michel, 1997, chapitre « Mémoire individuelle et mémoire collective », p. 73-89.
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[17]
L’intertexte kafkaïen est présent de diverses manières dans Austerlitz où seul In der Strafkolonie est nommé. Austerlitz réagit ici autrement que le personnage de Vor dem Gesetz de Kafka qui ne pousse pas la porte qui lui est destinée. On peut voir plus loin dans le texte une autre allusion à ce même récit de Kafka, lors de la description de l’arrivée d’Austerlitz à la Karmelitskà. Austerlitz décrit alors le gardien de la porte et la position qu’il doit adopter face à celui-ci : « man mußte sich weit hinabbeugen zu dem viel zu niedrigen Schalter » (A, p. 209), phrase qui peut apparaître comme un écho de ce fragment que Kafka a intégré dans Der Proceß : « […] bückt sich der Mann, um durch das Tor in das Innere zu sehen. » Franz Kafka : Der Proceß, herausgegeben von Malcom Peasley, Frankfurt am Main : Fischer Taschenbuch Verlag, 2002, chapitre « Dom », notamment p. 292-297.
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[18]
Walter Benjamin : Aufsätze, Essays, Vorträge, gesammelte Schriften, Band II-1, Frankfurt am Main : suhrkamp taschenbuch wissenschaft, 1977, « Zum Bilde Prousts », p. 312.
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[19]
Par opposition à Edmond Jabès qui en a gommé les voyelles pour illustrer linguistiquement la volonté de déstructuration totale mise en œuvre à Auschwitz. Cf. Myriam Ruzniewski-Dahan : Romanciers de la shoah. Si l’écho de leurs voix faiblit… Paris : L’harmattan, 1999, p. 61.
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[20]
« Je me mis à travailler les cadavres qui me séparaient de la couche de terre sans doute jetée sur nous ! […] Mais je ne sais pas aujourd’hui comment j’ai pu parvenir à percer la couverture de chair qui mettait une barrière entre la vie et moi. » Honoré de Balzac : Le Colonel Chabert (note 15), p. 78.
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[21]
La femme que Chabert a sauvée de la prostitution en l’épousant veut profi ter de sa disparition. Il pose la question de la légitimité de la propriété. Il montre la haute société, les employés de justice et les plus démunis.
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[22]
Cf. Hyppolite Taine : Nouveaux Essais de critique et d’histoire, cité par Stéphane Vachon in Honoré de Balzac : Le Colonel Chabert (note 15), p. 19.
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[23]
Pour reprendre les termes de Bertolt Brecht (note 8), p. 451.
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[24]
Pierre Bourdieu : La Distinction, Paris : Les éditions de minuit, 1979, « Introduction », p. IV et V.