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Article de revue

Le symbolisme de la montagne chez Ibsen ou la « dramaturgie de la peur »

Pages 833 à 850

Notes

  • [*]
    Marc Auchet est Professeur à la Sorbonne, 13 chemin des Noisetiers, F-54770 Bouxières-aux-Chênes ; courriel : auchet.marc@wanadoo.fr.
  • [1]
    J’emprunte cette expression à l’ouvrage de Michael Goldman intitulé Ibsen – The Dramaturgy of Fear (1998). On en trouvera un extrait en français dans le dossier de 126 pages consacré au Petit Eyolf sur le site du Théâtre de la Colline http://www.colline.fr/assets/textes/peda_eyolf.pdf, p. 45-49. Goldman considère que la fin de la pièce est « peut-être la plus cruelle des scènes finales d’Ibsen » et « la plus subtile des avalanches ibséniennes ». Il attribue lui aussi une grande importance à la randonnée de Allmers dans la montagne et fait fort justement observer « que, pendant toute sa carrière, Ibsen a fait des montagnes désolées de Norvège un symbole complexe, symbole changeant légèrement de signification au fil des années, mais toujours chargé d’un noyau d’angoisse [c’est moi qui souligne] à propos du potentiel de l’aspiration humaine et de la réalisation artistique. » J’ai découvert ce texte alors que j’avais pratiquement achevé la rédaction de cet article, mais il va tout à fait dans le sens de ce que je cherche à démontrer ici.
  • [2]
    Les traducteurs rendent souvent le titre – Når vi døde vågner – au futur. Ma préférence va à une traduction littérale. Il s’agit en réalité d’une réplique située à la fin du
    deuxième acte et qui fait référence à une situation présente et concerne avant tout les deux personnages qui se sont entièrement consacrés au service de l’art, Irène et Rubek. L’événement se déroule sous les yeux du spectateur.
  • [3]
    Fritz Paul : « Utsynet fra toppen, Tradisjon og forandring i et litterært motiv fra følsomhetens tid til Ibsen », dans : Edda, Hefte 1, 1994, p. 13-26. Voir aussi : « Metaphysical Landscapes in Ibsen’s Late Plays », dans : Contemporary Approaches to Ibsen, 1997, vol. 9, Oslo 1997, p. 17-33.
  • [4]
    Sauf indication contraire, toutes les citations des œuvres d’Ibsen utilisées dans cet article sont tirées de l’édition en six volumes : Henrik Ibsen : Samlede verker 1-6, Oslo : Gyldendal Norsk Forlag, 1952, 10. utgave. J’indique entre parenthèses dans le corps de mon texte le numéro du tome et la page où se trouvent le passage ou l’expression cités.
  • [5]
    Allmers utilise les termes « høydene » et « de store vidder », récurrents dans l’œuvre d’Ibsen.
  • [6]
    Avec son compatriote Karl Gjellerup (1857-1919), presque totalement oublié depuis.
  • [7]
    En 1884, Ibsen ne connaissait de Pontoppidan que le recueil de nouvelles Landsbybilleder (Images villageoises), mais ce livre lui avait fait une impression « extrêmement bonne » et il était convaincu que son auteur avait « un bel avenir devant lui ». Cf. la lettre qu’Ibsen a envoyée à Fredrik H. Hegel le 17 janvier 1884. Henrik Ibsen : Samlede Verker. Brev 1884-1904, 18. Bind, p. 11, Oslo 1949. De son côté, Pontoppidan manifestait à la même époque un grand respect pour Ibsen. Cf. http://www.henrikpontoppidan.dk/text/kilder/breve/hegel_fr_senior/1884_2_02.html
    On notera que Le Petit Eyolf parut la même année que le roman de Henrik Pontoppidan : Den gamle Adam (Le vieil Adam), et que le 20 décembre 1894, Edvard Brandes – frère de Georg – publia dans Politiken un compte rendu du roman, dans lequel il conseillait de lire les deux œuvres en parallèle. Il estimait qu’Ibsen prêchait une « morale ascétique » et qu’il n’y avait « pas d’esprit plus libre au Danemark que Henrik Pontoppidan ». Cf. http://www.henrikpontoppidan.dk/text/seclit/anmeldelser/dga/brandes_edvard.html.
  • [8]
  • [9]
  • [10]
    Tage Skou-Hansen : « Fornægteren », dans : Heretica (1952), p. 385.
  • [11]
    Ibid., p. 400. Ce jugement n’est pas sans rapport avec celui que Robert Ferguson prononce sur le dramaturge norvégien dans Henrik Ibsen, Mellom evne og higen : « […] Il a essayé de montrer au public contemporain que, même sans Dieu, il valait la peine d’essayer de vivre une vie morale, et en se conformant à cette vision, il a entièrement vécu la vie d’un écrivain professionnel : une existence sans amis […], dont la solitude disparaissait presque dans l’éclat aveuglant de la célébrité […]. » Oslo : J. W. Cappelens forlag, 1996, p. 452.
  • [12]
    Ibid.
  • [13]
    Nietzsche : Ainsi parlait Zarathoustra, introduction, traduction et notes par G. Bianquis, Paris : Aubier/Éditions Montaigne, 1968, p. 309.
  • [14]
    G. Bachelard : L’Air et les songes, Paris : Libraire José Corti, 1943, p. 184.
  • [15]
    Dans un passage de son livre intitulé « Une image du monde inspirée par la pensée chrétienne », Bjørn Hemmer estime que, dans la première partie de son œuvre, qui est « dominée par l’opposition entre l’idéal (ou l’idée) et la réalité », Ibsen a eu recours à des images d’inspiration chrétienne, parce que « le cadre de référence chrétien marquait encore fortement la culture européenne ». Il précise que, « dans son univers, il est beaucoup plus question de l’homme en tant qu’être moral qu’en tant que croyant religieux », ibid., p. 50-52. Une fois que tout cela est dit, il faut tout de même préciser qu’Ibsen n’a pas du tout ignoré les questions religieuses en tant que telles. La pièce Empereur et Galiléen, notamment, est là pour le prouver.
  • [16]
    C’est ce que montre entre autres un passage du dernier roman de Pontoppidan, Mands Himmerig (Le Paradis de l’homme), paru en 1927, où le personnage principal, Niels Thorsen, découvre le corps inanimé de sa femme, qui n’a pas supporté les épreuves dans lesquelles il l’a entraînée. Il a sacrifié son couple sur l’autel de l’engagement politique. Un personnage d’une pièce d’Ibsen lui vient alors à l’esprit : le docteur Stockmann, d’Un ennemi du peuple qui, à la fin du drame, affirme que « l’homme le plus fort du monde, c’est celui qui est le plus seul ». Niels Thorsen se rappelle alors que la solitude de Stockmann est toute relative, puisque le médecin continue à bénéficier de la protection de sa famille, tandis qu’il se trouve, lui, seul face à l’échec et à la déchéance. Il ne survit d’ailleurs pas longtemps au suicide de sa femme.
  • [17]
    Cf. http://www.henrikpontoppidan.dk/text/kilder/breve/brandes_georg/1891_2_13.html.
  • [18]
    A. Kittang estime même qu’on a des raisons de voir dans le dramaturge un « poète de la mort » (dødsdiktar). Il précise toutefois qu’Ibsen n’est pas « un poète religieux » chez qui on trouverait une « perspective eschatologique », et il définit cette mort comme un moyen de montrer que « tous les rêves de perfection humaine et de totalité ne sont que des illusions et des chimères ». Cf. Atle Kittang : Ibsens heroisme, Fra Brand til Når vi døde vågner, Oslo : Gyldendal, 2002, p. 365. La contribution d’A. Kittang au présent numéro d’Études germaniques insiste sur l’importance de la mort dans Une maison de poupée.
  • [19]
    La présente analyse ne requiert pas une anamnèse complète, mais il est intéressant – pas seulement par souci d’exhaustivité – de signaler une anecdote qu’Ibsen a désignée en 1881 comme sa « première impression durable », dans le seul fragment autobiographique qu’on ait de sa main. Ce souvenir est lié à la « tour » (tårnet) – le clocher – de l’église de Skien, qui aurait été édifiée par un constructeur (bygmester !) de Copenhague et au sommet de laquelle la bonne d’enfants l’avait emmené lorsqu’il était tout petit. À l’âge de soixante-trois ans, il se souvenait encore nettement des impressions qu’il avait eues à cette occasion. Cf. Michael Meyer : Henrik Ibsen. En biografi, Oslo : Gyldendal, 1re édition en norvégien 1971, ici : 2e édition 1995, p. 7-8. Voir aussi les remarques de Catherine Naugrette sur « le regard de l’Ange », dans sa contribution au présent cahier.
  • [20]
    Allusion à la vision que Jacob eut à Béthel, dans laquelle une échelle relie le ciel à la terre. Cf. Genèse, chapitre XXVIII, versets 10 à 22. Dans Les Structures anthropologiques de l’imaginaire, Gilbert Durand attribue à « l’échelle qui permet de “voir les dieux” » une place importante parmi les « symboles rituels qui sont des moyens d’atteindre le ciel ». Il estime que l’échelle de Jacob fait partie de cette tradition de l’immortalité ascensionnelle et qu’elle en est même « l’image la plus familière ». Selon lui, cette échelle est « avant tout dressée contre le temps et la mort », 10e édition, Paris : Dunod, 1984, p. 140.
  • [21]
    Cf. Michael Meyer (note 19), p. 18 et 19. L’auteur souligne qu’Ibsen s’intéressait à cette époque à l’enseignement religieux et qu’il consultait assidûment la Bible. En tout état de cause, la vision en question rappelle nettement celle qui est rapportée au chapitre 37 du livre d’Ezéchiel, avec, toutefois, une grande différence : le récit biblique s’achève sur une note entièrement positive qui n’a rien à voir avec l’angoisse qui se dégage de la rédaction du jeune Ibsen.
  • [22]
    Ibid. p. 50.
  • [23]
    Il est difficile de les dater avec précision. Bjørn Hemmer situe la rédaction de « Paa Vidderne » en 1859/1860. Cf. Ibsen. Kunstnerens vei, Bergen : Vigmostad & Bjørke, 2003, p. 45. Et Michael Meyer indique (note 19, p. 171) que « Høyfjeldsliv » fut lu sur la scène du Théâtre norvégien de Christiania en janvier 1860, ce qui invite à penser qu’il a pu être écrit à la fin de l’année 1859. Selon Meyer, ce poème s’inscrivait dans la stratégie de défense du nationalisme norvégien qui a amené Ibsen et Bjørnson à fonder la Société norvégienne vers la mi-décembre 1859. C’est le 23 décembre de la même année que naquit Sigurd, fils unique du couple Ibsen. Comme « Terje Vigen » (1861/1862), « Paa Vidderne » fait écho à la situation personnelle du poète, qui se sentait prisonnier du conflit entre l’idéal et la réalité.
  • [24]
    Cf. Toril Moi : Ibsens modernisme, Oslo : Pax forlag, 2006, p. 226 : « Le contraste entre la vie prosaïque dans la vallée au cours de l’hiver et le vol libre de l’imagination dans la montagne est typique des débuts d’Ibsen et de son idéalisme. » L’auteur confirme que « Høyfjeldsliv » a été lu sous le titre Un soir sur l’alpage (En aften ved Sæteren), qui était le titre d’un tableau de Knud Bergslien, dans un contexte de défense de l’identité norvégienne en tant que « tableau vivant » au cours d’une soirée artistique au Théâtre de Christiania. Toril Moi consacre d’ailleurs plusieurs pages à décrire l’engouement qu’on portait à l’époque en Norvège aux « levende bilder ».
  • [25]
    Note 14, p. 147.
  • [26]
    Cf. Bjørn Hemmer (note 15), p. 53.
  • [27]
    Egil. A. Wyller a raison de faire remarquer dans un article récent qu’on peut distinguer trois niveaux dans l’emploi symbolique qu’Ibsen fait du paysage dans Brand : la vallée, les hauts plateaux et les sommets (Dalen/Vidden/Tinden). Son argumentation est toutefois en désaccord avec la plupart des analyses de l’œuvre : il assimile en effet ces niveaux à des représentations du corps, de l’âme et de l’esprit et tire argument de ces distinctions pour rapprocher la pensée d’Ibsen d’un « platonisme chrétien ». Cf. « Ibsens store tetralogi – fra Brand til Keiser og Galilæer », dans : Mennesket – det minste og det største, Utvalgte foredrag fra Humanistisk Kollegium, Oslo : Det Norske Akademi for Sprog og Litteratur, 2006, p. 259-269.
  • [28]
    Ibid., p. 148.
  • [29]
    Friedrich Nietzsche : Ainsi parlait Zarathoustra, traduction et préface de G. Bianquis, Paris : Aubier-Éditions Montaigne, 1968, p. 631.
  • [30]
    Ce décor apparaît toutefois de façon indirecte dans Revenants (1881), dans une didascalie qui décrit le panorama devant lequel se déroule la scène finale, au moment où Mme Alving éteint la lampe. « Lever de soleil. En arrière-plan, le glacier et les pics sont baignés par la lumière resplendissante du matin. » Incapable de s’exprimer normalement, Osvald demande à plusieurs reprises à sa mère de lui donner le soleil. On retrouve ici la conjonction « lever de soleil-montagne-mort » qui signale souvent chez Ibsen que l’homme d’exception est arrivé au point culminant de sa carrière et au terme de sa vie. Le texte indique toutefois qu’Osvald tourne le dos à cette scène. Peintre de grand talent, il aspire à la transcendance auquel l’art donne accès, mais il ne peut pas en faire l’expérience.
    Dans le même ordre d’idées, ce n’est sans doute pas un hasard si Gregers, l’idéaliste forcené de Canard sauvage, a passé de nombreuses années dans les montagnes. Il y a eu la possibilité de beaucoup réfléchir et de mettre au point ses théories sur la « taxe de l’idéal », indirectement responsables du drame final. C’est de là que vient aussi le vieux Ekdal.
  • [31]
    Tout semble indiquer que chez Ibsen le symbolisme aquatique est en quelque sorte le pendant du symbolisme de la montagne. Il est intéressant de constater que sept des douze drames contemporains ont pour cadre géographique une localité située au bord de la mer : Les Piliers de la société, Revenants, Un ennemi du peuple, Rosmersholm, La Dame de la mer, Le Petit Eyolf, et la première partie de Quand nous les morts, nous nous réveillons. La mort dans (ou par) l’eau est par ailleurs un thème récurrent dans ces pièces : naufrage dans Les Piliers de la société, pollution dans Un ennemi du peuple et noyade dans Une maison de poupée, Le Canard sauvage, Rosmersholm et Le Petit Eyolf. L’épilogue dramatique Quand nous les morts, nous nous réveillons commence dans une station balnéaire et se termine près des sommets les plus élevés. Le niveau de la mer et la vie sur les hauteurs semblent ainsi devoir constituer deux pôles opposés. Dans la plupart des cas, l’élément aquatique est connoté négativement chez Ibsen. Il représente lui aussi une menace de mort, mais cette mort-là n’a rien à voir avec l’idéalisme lié à la conquête des cimes.
  • [32]
    Cf. Matthieu 4, 8-11.
  • [33]
    Elle applique au constructeur qui vient d’arriver en haut de la tour les dernières paroles que Jésus a prononcées sur la croix.
  • [34]
    Cf. Michel Meyer (note 19), p. 719. À la période où Ibsen écrivait Peer Gynt, Vilhelm Bergsøe, un des membres de la colonie scandinave d’Italie, a côtoyé le dramaturge de près, et il a noté que celui-ci « avait une peur étrange de tout ce qui pouvait causer la mort ou le malheur ». Bergsøe précise lui aussi que « cette peur n’était pas due au fait qu’il aurait lâchement eu peur de perdre la vie. Elle venait de l’angoisse de ne pas parvenir au but qu’il s’était fixé en tant qu’écrivain. » (Ibid., p. 270)
  • [35]
    Michael Meyer (note 19), p. 702.
  • [36]
    Cf. Ludwig Binswanger : Henrik Ibsen et le problème de l’autoréalisation dans l’art, traduit de l’allemand par Michel Dupuis, postface de Henri Maldiney, De Boeck Université, Bibliothèque de psychanalyse, 1996. Le texte original est intitulé Henrik Ibsen und das Problem der Selbstrealisation in der Kunst et date de 1949.
  • [37]
    Lettre de H. Ibsen à B. Bjørnson, 4 août 1882. Cf. http://www.dokpro.uio.no/litteratur/ibsen/ms/brev/brev.html.
  • [38]
    Pour toutes les citations de ce paragraphe, cf. Gaston Bachelard : L’Air et les songes, Paris : Librairie José Corti, 1943, p. 148.
  • [39]
    Entre autres : Josef Dürler : Die Bedeutung des Bergbaus bei Goethe und in der deutschen Romantik, Frauenfeld/Leipzig 1936 ou, plus récemment, Helmut Gold : Erkenntnisse unter Tage. Bergbaumotive in der Literatur der Romantik, Opladen : Westdt. Verl., 1990 (= Kulturwissenschaftliche Studien zur deutschen Literatur).
  • [40]
    H. C. Andersen a consacré un passage de son récit de voyage En Suède aux mines de cuivre de Falun.
  • [41]
    Gaston Bachelard (note 38), 1947, p. 254.
  • [42]
    Ibid., p. 261.
  • [43]
    Hartmut Böhme : « Geheime Macht im Schoss der Erde. Das Symbolfeld des Bergbaus zwischen Sozialgeschichte und Psychohistorie », dans : Natur und Subjekt, Frankfurt-am-Main 1988.
    Cf. http://www.culture.hu-berlin.de/hb/static/archiv/volltexte/texte/natsub/geheim.html, p. 20.
  • [44]
    Contrairement à la plupart des autres drames contemporains d’Ibsen, qui ont pour cadre l’atmosphère confinée de demeures bourgeoises, les quatre derniers se déroulent en bonne partie en plein air.
  • [45]
    On sait qu’au moment où il commençait à travailler sur la pièce Quand nous les morts, nous nous réveillons, Ibsen eut l’occasion de voir jouer Brand et qu’il fut très ému lors de la représentation. Cf. Michael Meyer (note 19), p. 777.
  • [46]
    On notera que, contrairement à ce qui se passe à la fin de Brand, ce n’est pas une voix d’origine surnaturelle qui se fait entendre. C’est celle d’un personnage énigmatique et inquiétant, certes, mais néanmoins humain.
  • [47]
    Toril Moi : Ibsens modernisme, Oslo : Pax Forlag, 2006, p. 452. Titre de la version originale : Henrik Ibsen and the Birth of Modernism, Art, Theatre, Philosophy, Oxford : Oxford University Press, 2006.
  • [48]
    Maurice Blanchot : L’Espace littéraire, Paris : Gallimard, collection folio essais, 1955, p. 157.

Introduction

1Dans deux articles, publiés l’un en 1994, l’autre en 1997, Fritz Paul estime que les paysages de montagne qu’on trouve dans Le Petit Eyolf, John Gabriel Borkman et Quand nous les morts, nous nous réveillons[2] ont un caractère métaphysique, et il les replace dans le droit fil d’une tradition qui commence avec Goethe (Harzreise im Winter, 1777), Baggesen (Labyrinthen, 1792-1793), et se poursuit à l’époque du romantisme et de l’Empfindsamkeit, avec Heine (Harzreise, 1826) ou Andersen (Skyggebilleder af en Reise til Harzen, det sachsiske Schweiz etc. etc., i Sommeren 1831). Il fait remarquer qu’« en vertu d’une dialectique quasi négative », l’orientation « optimiste liée à l’idée d’une rédemption » (optimistisk-forløsende) qui régnait chez les poètes en question s’est transformée chez Ibsen en « tout à fait le contraire ». F. Paul voit en effet dans la fin des trois pièces citées l’expression du profond pessimisme de l’homme moderne, de la « crise existentielle » dans laquelle il se trouve, et pour lui, l’« épilogue » publié par Ibsen en 1899 doit être considéré à la fois comme une rupture avec le xixe siècle et un signe précurseur de l’arrivée du xxe siècle [3].

2Cette mise en perspective historique ayant déjà été faite, c’est surtout sous l’angle de l’intratextualité que j’aborderai ici cette thématique, en soulignant la présence récurrente de paysages de montagne et de hauts plateaux dans l’ensemble de l’œuvre du dramaturge norvégien et en esquissant une analyse de leur symbolisme. On a toutes les raisons de voir dans ce motif littéraire un « décor mythique », en accordant à ce terme un sens plus restreint et plus spécifique que celui que Gilbert Durand lui a donné dans une étude célèbre. Il va de soi que la grille de lecture adoptée ici a quelque chose de fortement réducteur et qu’elle ne peut pas, à elle seule, rendre compte de la grande complexité du théâtre d’Ibsen. Je m’efforcerai néanmoins de montrer qu’elle souligne un aspect essentiel de l’univers mental et du mythe personnel du grand dramaturge norvégien.

3Je m’arrêterai tout d’abord sur Le Petit Eyolf (1894), que Fritz Paul a curieusement laissé de côté, alors que la montagne y joue un rôle certes plus discret, mais au moins aussi déterminant que dans les trois autres drames qu’Ibsen a écrits à la fin de sa vie. Cette première approche me servira de toile de fond pour le reste de mon argumentation.

Le petit Eyolf

4Le premier acte de cette pièce est marqué par le retour d’Allmers, homme de lettres, après une randonnée en montagne qui a duré quelques semaines. Juste après le passage de la Demoiselle-aux-rats, alors qu’il flotte encore dans la pièce une « puanteur de cadavre » [4] (6, 110), il avoue que cette visite lui a rappelé l’expérience de la solitude qu’il a faite sur les hauteurs [5]. Il comprend « le pouvoir contraignant et attirant » (ibid.) que la mort exerce sur les rongeurs que l’étrange femme pousse à la noyade. Il a ressenti la même fascination. Il revient plus tard sur ce récit et précise alors qu’au moment où il longeait des précipices, il s’est senti à deux doigts de la mort, mais que cela lui a curieusement procuré un sentiment de jouissance et qu’il a continué son chemin avec la mort à son côté, comme s’il s’était agi d’un « bon compagnon de voyage » (6, 161). Il est important de noter que Rita donne à l’épisode une signification bien différente. Elle pense quant à elle que cette nuit a été « effroyable » (ibid.) pour son mari, et qu’il ne veut pas s’avouer à lui-même qu’il a eu bel et bien peur de la mort.

5Il y a tout lieu de s’arrêter sur l’interprétation de Rita, car Allmers ne la contredit pas, et deux conversations, aux actes II et III, montrent que les questions métaphysiques occupent désormais une place importante dans l’esprit de l’homme de lettres. Il raconte à sa femme un rêve au cours duquel il a vu le petit Eyolf vivant. Il précise qu’il a alors débordé de reconnaissance, et comme sa femme lui demande envers qui, il est obligé de reconnaître que la pensée de Dieu lui est venue spontanément à l’esprit. Cet aveu est gênant pour lui, car il se vante d’être libre-penseur et il a entraîné sa femme sur la voie du doute.

6Au cours du premier acte, il donne une image saisissante du spectacle de la nature. En voyant le coucher du soleil sur les sommets, il s’est senti « plus proche des étoiles », « presque comme en bonne intelligence et en communion avec elles » (6, 114). Rita, sa femme, ne voit dans ce genre de considérations que des « rêveries » et elle lui fait remarquer au dernier acte qu’il serait bien incapable de vivre sur ces hauteurs. Allmers lui répond que « ces hauteurs [l’]attirent tout de même maintenant » (6, 160).

7C’est à ce contexte qu’il faut penser lorsqu’on lit les dernières répliques de la pièce. En regardant « vers les sommets. Vers les étoiles. Et vers le grand silence » (6, 165), il va continuer à être rongé (!) par la pensée du vide métaphysique. La mort d’Eyolf l’affecte énormément et active en lui la notion d’un au-delà auquel sa raison refuse d’adhérer. La peur que lui a inspirée sa rencontre avec la mort a ébranlé son athéisme ou son agnosticisme. Force est de constater qu’Allmers est une âme sensible. Il est du même coup incapable d’écrire dans le même esprit que celui qui l’a animé jusque-là et il renonce à sa vocation d’homme de lettres. Tout prouve qu’il n’est pas fait pour les hauteurs, l’« air des cimes » est trop vif pour lui. Il est donc condamné à « tâtonner en bas » avec les autres, pour reprendre une expression qu’Ibsen a utilisée à la fin du poème « Sur les hauts plateaux » et sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir plus loin.

8L’amour ou plutôt son absence, la vocation et la mort, en tant que face-à-face avec l’inconnu, le « grand silence », le vide existentiel : ces trois notions centrales sont liées au « paysage métaphysique » qui retient notre attention ici. C’est sur cette triade que nous allons concentrer notre attention dans les pages qui suivent.

Henrik Pontoppidan à la conquête du Faulhorn

9En août 1889, soit cinq ans avant la sortie du Petit Eyolf, Henrik Pontoppidan (1857-1943), l’un des plus grands romanciers danois, prix Nobel de littérature en 1917 [6], a consacré trois articles de journaux à une randonnée qu’il a faite en Suisse jusqu’au sommet du Faulhorn au cours de l’été 1876. Rien ne permet d’affirmer qu’Ibsen ait lu ces textes [7]. L’expérience décrite dans sa pièce offre malgré tout une similitude troublante avec celle du romancier danois. Ce dernier a donné par la suite plusieurs versions de cet épisode. Celle de 1889 avait pour but déclaré de prouver que la « peur de la mort » n’existe pas. On y apprend que le jeune homme s’est égaré dans la montagne et qu’il a failli mourir de froid, mais que la perspective de la mort ne semble pas du tout l’avoir effrayé [8]. Le récit que Hamskifte (Mue, 1936), ouvrage autobiographique, fait de cet épisode est toutefois moins rassurant. L’auteur avoue entre autres avoir « fredonné ou chanté à haute voix, pour chasser toutes les pensées effrayantes et les évocations surnaturelles qui voulaient s’imposer à [lui], venant du silence absolu qui [l’]entourait. » [9]

10Comme Allmers, Pontoppidan a présenté l’incident en question sous un jour positif. Il n’est pas interdit de penser qu’il a lui aussi cherché à cacher la vérité, pour que son récit soit en accord avec l’image qu’il voulait donner de lui-même. C’est en tout cas de cette façon que Tage Skou-Hansen – célèbre écrivain danois de l’après-guerre – a interprété la chose dans un essai publié en 1952. L’idée centrale de cet article est que « l’athéisme est tout simplement la force motrice de l’œuvre de Pontoppidan » [10] et que la notion de personnalité a remplacé chez lui la religion. Il accorde à l’épisode du Faulhorn une importance capitale. Il faut dire qu’il le lit à la lumière d’un passage du roman en partie autobiographique intitulé Peer-la-Chance où le personnage éponyme s’égare dans la montagne et est saisi d’une peur panique qui lui semble expliquer sous quels auspices l’idée de Dieu s’est imposée aux hommes. Pour Tage Skou-Hansen, c’est la même expérience que le jeune Pontoppidan a faite dans les Alpes suisses et c’est à la suite de cette rencontre effrayante avec la mort qu’il est devenu écrivain. « L’œuvre de Pontoppidan est une lutte pour que sa vie sans Dieu ne soit pas dénuée de sens et froide comme le désert de pierres dans les hautes montagnes. Une lutte pour ne pas être vaincu par l’angoisse qui lui aurait malgré tout fait sentir le besoin de Dieu. » [11]

11La conclusion de l’article pose la question de savoir pourquoi les personnages de Pontoppidan sont « inaptes à la vie » et la réponse est que

12

leurs cœurs sont froids. C’est pour cela que l’angoisse les saisit et c’est pour cela qu’ils ne supportent pas le bonheur. S’il faut vivre la vie sans Dieu, l’amour – d’où qu’il vienne – est la seule chose qui puisse empêcher qu’elle soit absurde. Le pire ennemi de l’athée Pontopiddan n’est même pas sa propre faiblesse ni son propre sentiment d’impuissance, mais la froideur qui peut venir du cœur lorsqu’il a été éprouvé au-delà de ses forces. [12]

13Il semble donc – toujours selon Skou-Hansen – que Pontoppidan se soit imposé un durcissement intérieur plus grand encore que celui de Nietzsche, qui a terminé, lui, dans la folie.

14Je reviendrai plus loin sur Ainsi parlait Zarathoustra (1883-1885), mais il est important de faire remarquer dès à présent que la problématique à laquelle Tage Skou-Hansen fait allusion rappelle fortement un aphorisme qu’on trouve dans cet ouvrage de Nietzsche : « L’amour, c’est le danger des plus solitaires, l’amour de tous les vivants, pourvu qu’ils vivent. » [13] On pense aussi à Bachelard, qui identifiait chez le philosophe allemand un « dionysisme étrange entre tous puisqu’il rompt avec l’ivresse et la chaleur » [14]. Les individus d’exception – les idéalistes – dont traite un grand nombre de pièces d’Ibsen rencontrent eux aussi à un moment ou un autre la tentation de l’amour. Ils ont généralement refusé de lui céder et ont par conséquent créé un vide glacial, en eux-mêmes et dans la femme qui était l’objet de leur amour. Ce sont les « morts vivants » qui hantent le théâtre de l’auteur de Quand nous les morts, nous nous réveillons.

15Il est clair que les questions spécifiquement religieuses jouent un rôle important dans l’œuvre de Pontoppidan et l’analyse de Tage Skou-Hansen invite assurément à la discussion, mais, dans la perspective où je me place ici, c’est avant tout l’éclairage qu’elle apporte indirectement sur Le Petit Eyolf qui est pertinent. Lorsqu’Ibsen fait référence à Dieu, il faut tenir compte du fait qu’il pense aussi – et sans doute surtout – à l’art conçu comme un idéal absolu, une raison d’être, ou plus exactement à l’idéalisme, quel qu’il soit, au fait de se réaliser soi-même, à l’affirmation de la personnalité, à l’autotranscendance [15].

16Il est facile de rapprocher l’inspiration d’Ibsen de celle de Pontoppidan. Leur œuvre a été pour l’un et pour l’autre une sorte de règlement de comptes avec eux-mêmes, mais il ne fait aucun doute que c’est Pontoppidan qui est allé le plus loin et qui a montré le plus d’acharnement dans sa critique de l’esprit modéré de l’époque [16]. Notons qu’en février 1891, Pontoppidan était de passage à Berlin, mais qu’il n’eut pas le courage de rendre visite à Ibsen, car il estimait que le dramaturge ne s’engageait pas assez dans le débat public. Il alla jusqu’à dire « qu’il aurait été préférable qu’au lieu de publier Hedda Gabler, Ibsen n’ait écrit que dix lignes dans un journal pour se faire le champion d’une cause ou d’une autre […] » [17]. La comparaison que j’ai établie ici entre le récit tiré du Petit Eyolf et celui de l’ascension du Faulhorn illustre parfaitement la distance qui sépare les deux hommes. Elle apporte aussi de précieux éléments pour analyser le symbolisme de la montagne chez Ibsen et donne à l’idée de la mort une place déterminante dans la conception qu’il se faisait de l’art, comme le fait remarquer Atle Kittang dans le dernier chapitre de son beau livre sur L’Héroïsme d’Ibsen[18]. Dans les œuvres qui nous occupent ici, la mort – représentation de l’inconnu – doit être comprise en bonne partie comme une métaphore poétologique. Elle renvoie au texte littéraire. Le travail de l’écrivain – de l’artiste – est destiné à combler un vide existentiel.

Une métaphore obsédante

17Il est temps de nous tourner vers l’ensemble de l’œuvre. Je citerai d’abord deux épisodes tirés de l’enfance et de la jeunesse d’Ibsen [19]. Le premier se rapporte à une rédaction que le futur dramaturge a écrite à l’âge de treize ans. Il s’agit d’un rêve. Le narrateur se décrit faisant une promenade « sur les hauts plateaux » (« over Vidderne ») avec un groupe d’enfants. Ils sont surpris par la nuit et chacun s’allonge pour dormir en prenant une pierre pour oreiller, « comme Jacob l’avait fait jadis » [20]. Un ange invite alors le narrateur à le suivre dans l’obscurité. Il veut lui « faire voir la vie humaine dans sa réalité et sa vérité ». Le garçon découvre alors au pied des montagnes « une immense ville remplie de morts, […] tout un monde était transformé en cadavre, effondré sous le pouvoir de la mort, une gloire qui avait pâli, s’était flétrie et éteinte ». Le rêveur est aussitôt saisi d’une « peur glaciale » et l’ange lui dit : « Tu vois bien, tout est vanité. » D’innombrables soupirs s’élèvent alors vers le rêveur et se transforment en tempête, les morts se mettent à bouger et à lui tendre les bras, et il se réveille en poussant un cri [21].

18On ne peut que s’étonner devant l’atmosphère morbide et sinistre de cette description sortie de la plume d’un adolescent et devant la présence obsédante de la mort, qui est censée représenter « la vie humaine dans sa réalité et sa vérité » (ibid.). Dès cette époque, plusieurs éléments essentiels du symbolisme de la montagne que nous avons identifiés dans Le petit Eyolf semblent avoir été présents dans l’esprit du futur dramaturge. On imagine facilement qu’une telle vision a fait naître chez lui l’idée qu’il fallait absolument… prendre de la hauteur et créer – par le biais de l’imagination – quelque chose qui puisse combler le vide angoissant qui caractérisait selon lui la vie humaine.

19Le deuxième épisode date de 1850. Au printemps de cette année-là, en visite dans sa famille, Ibsen fit une promenade à pied avec sa sœur Hedvig, jusqu’à la Montagne du chapitre (« Kapitelsberget »), une hauteur qui se trouve en dehors de Skien. Il lui expliqua au cours de la conversation qu’il voulait s’élever « jusqu’à ce qu’il y a de plus grand et de plus parfait dans tout ce qu’on peut atteindre en grandeur et en clarté ». Et lorsque la jeune fille lui demanda ce qu’il ferait une fois son but atteint, il répondit laconiquement : « Je mourrais. » Nous notons ici que ce qui lui importait le plus, c’était d’atteindre son but, et que la mort lui semblait être la conclusion normale de l’accomplissement de sa mission. Cette idée se retrouve dans plusieurs de ses pièces. Elle était déjà ancrée dans son esprit à l’âge de 22 ans [22]. On pourrait difficilement trouver une meilleure preuve de sa tournure d’esprit idéaliste.

20Après ces deux anecdotes révélatrices, je m’arrêterai maintenant sur les principaux textes où figure le paysage de montagne qui retient notre attention ici. C’est bien lui qui sert de cadre à deux poèmes [23] écrits à la période de crise qu’Ibsen a traversée vers 1860. « Vie en haute montagne » (« Højfjeldsliv ») est le premier du recueil publié en 1871 qui soit construit sur l’opposition entre la vallée et les hauteurs [24]. La fille de l’alpage (« Sæterjenten ») est fascinée par la « vision de l’or du soir en haute montagne » (6, 337) qu’elle a eue pendant le court été, mais celle-ci est entourée de mystère et suscite une certaine inquiétude. Dans le deuxième des poèmes en question, « Sur les hauts plateaux » (« Paa Vidderne »), le thème de la montagne joue un rôle symbolique plus fort encore et l’expérience de la mort et de la solitude absolue y occupe une place importante. Le promeneur-narrateur doit se durcir par rapport à la perte de sa mère et de sa fiancée. Il finit par trouver en lui-même la force nécessaire pour supporter ces séparations cruelles. Le résultat de cet apprentissage, c’est « la liberté et Dieu » (6, 397), mais ce « dieu » n’a évidemment rien à voir avec celui de la Bible. Il est lié à la notion de liberté et d’autoréalisation. La vie sur les hauts plateaux est une vie en dehors des normes habituelles, une vie où l’individu est devenu son propre maître, sa propre référence, où il s’est trouvé lui-même et possède la certitude de s’être réalisé pleinement. C’était bien l’intention du narrateur dès le départ, lorsqu’il commençait son ascension : « Je suis si près/ de moi-même et si près de mon Dieu ! » (6, 388) On comprend que « moi-même » et « Dieu » sont pratiquement identiques. Ce poème semble par ailleurs annoncer la découverte et l’avènement d’une sorte d’« esthétique du laid » dans l’univers d’Ibsen. L’art et la réalisation de soi ont remplacé la religion. La poésie – la littérature – est en quelque sorte sacralisée. Les belles pages que Bachelard a consacrées à « Nietzsche et le psychisme ascensionnel » dans L’Air et les songes sont tout à fait d’actualité ici. On se sent autorisé à voir dans Ibsen – à cette période en tout cas – un autre « poète vertical », un « poète des sommets », un « poète ascensionnel » [25].

21Ibsen a indiqué lui-même que le « besoin de libération » qui sous-tend le poème « Sur les hauts plateaux » n’a trouvé son expression pleine et entière qu’avec La Comédie de l’amour (1862), et il a aussi souligné qu’il existe une filiation entre cette pièce et Brand (1864) [26]. Il est intéressant de noter que le paysage mythique qui nous sert de fil conducteur dans la présente analyse joue un rôle symbolique important dans ces trois œuvres. Détail caractéristique, Falk, un poète, l’un des deux personnages principaux de la pièce de 1862, décide de se retirer dans la montagne au moment même où il renonce à sa liaison avec Svanhild. Son avenir est dans la réalisation de son idéal. Rien ne doit lui faire obstacle sur la voie qu’il se sent appelé à suivre. Falk – son nom signifie « faucon » – annonce le personnage de Brand. C’est l’idéal, « la liberté, le fait de satisfaire pleinement sa vocation » (1, 339) qui prime, même si le tribut à payer est lourd. Il faut rompre tous les ponts et vivre en solitaire.

22Il va de soi que le poème dramatique Brand (1864) est un élément important pour la présente analyse. Comme le narrateur de « Paa Vidderne », le personnage éponyme arrive pour finir sur de vastes et hauts plateaux et il y fait une expérience capitale. Les deux œuvres se terminent toutefois de façon très différente. Dans le poème de 1859/1860, le narrateur fictif entre, triomphant, dans une nouvelle tranche de sa vie, alors que dans Brand, écrit cinq ans plus tard, le personnage central finit englouti par une avalanche, une fois arrivé au terme de son périple. Brand va plus loin – plus haut [27] ! – que « Paa Vidderne » : on y trouve le bilan de toute une vie, l’aboutissement d’une longue expérience.

23Comme Ibsen l’a souligné lui-même, la problématique traitée dans Brand n’est pas spécifiquement religieuse. À la fin du premier acte (2, 155), le pasteur prend conscience de sa mission. Il va combattre la « triple alliance », les « trois trolls » que sont « l’esprit de légèreté » (« lettsinn »), « l’esprit de mollesse » (« slappsinn ») et « l’esprit sauvage » (« villsinn »). C’est bien par ces trois étapes qu’il passe au fil des années. Les interprétations qui ont été données de la fin de la pièce sont très divergentes, mais je me rallie quant à moi volontiers à celle de Bjørn Hemmer, qui voit dans Brand « un héros souffrant, mais un héros vainqueur ». Il a « enfin atteint le but, le stade de l’amour et de la miséricorde » [28]. Son œuvre est achevée. Il a rempli sa mission. Il est resté lui-même et il a échappé à « l’église de glace », la dureté inflexible, l’absence totale de sentiment, la mort de la vie intérieure.

24L’expérience de Brand ajoute une dimension à celle que décrit « Sur les hauts plateaux » : la découverte du Deus caritatis, de la chaleur de l’amour. Le rapprochement avec Nietzsche suggéré à propos du poème « Sur les hauts plateaux » n’est plus de mise ici. Enseveli par une avalanche, Brand n’a rien d’un Zarathoustra quittant sa caverne, « ardent et fort comme le soleil matinal qui se dégage des sombres montagnes » [29]. On a le sentiment – si l’on reste dans l’univers mental de Nietzsche – qu’Ibsen a ainsi succombé à la tentation de l’amour, ce « danger » pour les solitaires, que Zarathoustra signale à ses disciples dans l’aphorisme cité plus haut. On peut interpréter la toute dernière phrase – « Il est deus caritatis ! » – comme le signe d’une accession à une forme de transcendance. Du même coup, la mort est euphémisée, elle perd son caractère effrayant, la peur qu’elle inspire est exorcisée. L’ambiguïté de l’ultime réplique est toutefois le seul élément qui pourrait relativiser la validité de l’expérience que décrit la pièce.

25Il est intéressant de noter qu’un paysage de montagne apparaît aussi dans Peer Gynt (1867), mais d’une façon beaucoup moins voyante que dans Brand. À la fin du dernier acte, quand Peer désespère de découvrir sa véritable identité, le décor en question lui vient à l’esprit : « Je veux monter, haut, jusqu’au sommet le plus escarpé ;/ je veux encore voir le soleil se lever,/ fixer le regard sur le pays promis jusqu’à ce que la fatigue vienne,/ faire en sorte que l’amas de neige me recouvre ;/ ils pourront écrire dessus : “ici personne n’est enterré” ; / et ensuite, – plus tard – ! Advienne que pourra. » (2, 475-476)

26En évoquant ce décor, Peer Gynt a le sentiment que tout va déboucher sur une impasse, sur le néant, sur l’échec de sa quête d’identité. La fin montre que cette crainte est sans doute injustifiée. C’est dans l’amour de Solveig qu’il se trouve lui-même. Là encore, c’est deus caritatis qui semble avoir le dernier mot. C’est du moins une lecture possible de cette œuvre extrêmement ambiguë.

Les dernières pièces

27Si un paysage de montagne apparaît dans Brand et Peer Gynt, œuvres publiées respectivement en 1866 et 1867, donc au début de son exil volontaire, Ibsen n’a pratiquement plus utilisé ce décor mythique dans la dizaine de pièces qu’il a écrites avant de revenir définitivement en Norvège en 1891 [30]. C’est un tout autre symbolisme, celui de l’eau, qui prédomine chez lui à cette période [31] où il s’est intéressé à des thèmes en rapport avec la société contemporaine. Tout se passe comme si notre « décor mythique » était indissociable d’une interrogation existentielle à caractère plus personnel, plus fondamental, signalée symboliquement par un paysage typiquement norvégien.

28L’usage que le dramaturge a fait du thème de l’ascension et de la montagne s’apparente en quelque sorte à des variations sur un thème musical, en particulier dans les quatre dernières pièces de notre corpus. Comme nous l’avons signalé plus haut, la mort, l’art conçu comme l’expression d’un idéal à caractère presque métaphysique – la recherche de l’inaccessible – et l’amour en sont les principaux éléments constitutifs. Au point de vue symbolique, on le sait, la montagne est le lieu de la rencontre avec le sacré. Le mouvement ascensionnel véhicule l’idée d’un détachement par rapport aux contingences matérielles pour parvenir à l’élévation spirituelle. Du mont Sinaï à la montagne de la Transfiguration, les montagnes jouent un rôle important dans la Bible, comme lieu de la Révélation. C’est bien cet aspect qu’on retrouve généralement dans l’œuvre d’Ibsen, mais la montagne y apparaît parfois aussi comme le lieu d’où l’on a une vue sur le pays promis, et on pense alors à Moïse, qui n’a pas pu entrer dans le pays de Canaan, mais qui l’a vu de loin. Dans l’usage symbolique qu’Ibsen en fait dans son œuvre, la montagne peut aussi faire allusion à celle où le Christ a été tenté par le diable [32].

29Il ne saurait être question de proposer ici une analyse approfondie des quatre derniers drames écrits par Ibsen. Je dois me limiter à l’essentiel. Il est bien vrai que Le Constructeur Solness ne fait pas expressément référence à un paysage de montagne, mais c’est le thème apparenté de l’ascension qui y joue un rôle important, en particulier au dernier acte. Cette escalade renferme bien l’idée d’une rencontre avec Dieu, mais, il faut le souligner fortement, dans le but de se rebeller contre lui. Ce qui a freiné le constructeur pendant une longue période de sa vie, c’est qu’il n’a pas une « conscience robuste ». (6, 81) Il n’a pas eu l’« esprit de bravade du Viking » (6, 80) Le fait qu’il soit sujet au vertige indique symboliquement sa fragilité. Hilde le pousse à faire preuve d’audace et la chute de Solness ne doit pas être conçue comme un échec personnel. Au contraire, la jeune fille précise bien : « Mais il est arrivé jusqu’en haut. Et j’ai entendu des harpes dans les airs. » (6, 96) Il a renouvelé son exploit. Il a su maîtriser son vertige jusqu’en haut de l’échafaudage. Il a à nouveau réalisé l’impossible, il a rencontré Dieu, et il a affirmé une nouvelle fois son indépendance. On trahirait certainement l’intention de l’auteur si l’on attribuait à cet ultime défi une dimension uniquement religieuse. L’insistance de Hilde amène Solness à se surpasser, à se réaliser lui-même dans son art. Là encore, la dimension transcendante se rapporte avant tout à l’idéal auquel l’artiste doit rester fidèle coûte que coûte. Il y a un rapport métonymique entre le fait de braver la mort et la création artistique. C’est en surmontant sa peur que l’artiste arrive à se transcender. Il faut toutefois noter que si l’auteur donne le dernier mot à Hilde, il laisse entendre qu’elle est la seule à interpréter positivement ce qui vient de se passer, la seule à voir dans Solness une sorte de Messie [33]. Ragnar estime quant à lui que la tentative de Solness a échoué. L’idéalisme de la jeune femme n’est donc pas l’affaire de tout le monde.

30Une jeune femme qui rendit visite au couple Ibsen pendant la rédaction du Constructeur Solness remarqua que le dramaturge n’avait pas « spécialement peur de mourir. C’est seulement lorsqu’il travaillait à son livre qu’une peur de disparaître s’emparait de lui avant qu’il ait pu dire aux hommes ce qu’il voulait leur dire. » [34] Dans le même ordre d’idées, Ibsen a donné à propos de Solness un commentaire qui montre que son attitude vis-à-vis de la mort n’avait pas beaucoup changé depuis la promenade qu’il avait faite avec sa sœur Hedvig en 1850. Il a expliqué à un interlocuteur que lorsque Solness décide avec Hilde de construire des « châteaux dans les airs et d’avoir une vie spirituelle commune », cela « le fait monter plus haut qu’auparavant, et l’amène à faire des choses qu’il n’avait pas pu faire depuis longtemps […] Serait-ce un si grand mal si cela lui coûtait la vie, s’il la risquait à cause de son bonheur et s’il arrivait effectivement à atteindre le bonheur avant de mourir ? » [35] Le but suprême, c’est l’« autoréalisation dans l’art », pour reprendre l’expression de Ludwig Binswanger [36]. Même si ce résultat ne s’obtient qu’au terme d’un difficile cheminement et s’il ne dure qu’un instant, c’est lui qui reste le but suprême. Se réaliser soi-même (« realisere seg selv ») est bien une notion centrale pour Ibsen. Elle fait de l’artiste, de l’écrivain, un Werkmensch, un individu dont l’œuvre devient la seule raison d’être.

31Ibsen s’en est expliqué de manière particulièrement claire dans une lettre importante qu’il a adressée à Bjørnson en 1882, l’année qui suivit la parution des Revenants. Il reconnaît que son collègue est doué pour la politique, contrairement à lui, qui « n’a même pas les dispositions nécessaires pour être un citoyen ». Il apprécie au demeurant à sa juste valeur « l’agitation » politique pour laquelle le destinataire de sa lettre a des dons évidents, mais il trouve que « ce qu’il y a de plus grand et de plus important à cet égard, c’est que [Bjørnson] investisse toute sa personnalité forte et vraie. C’est de la poésie mise en pratique. » Ibsen ne sous-estime pas la valeur littéraire de l’œuvre en question, mais s’il devait décider quelle épitaphe il faudrait employer pour son ami, il opterait pour : « Sa vie fut sa meilleure œuvre littéraire. » Et il ajoute ce commentaire particulièrement caractéristique : « […] selon moi, le fait de se réaliser dans sa façon de vivre est la chose la plus élevée qu’un homme puisse atteindre. Cette tâche nous incombe à tous, mais la plupart des gens passent totalement à côté. » [37] Une fois que le but a été atteint, il devient inutile de continuer à vivre. La mort s’inscrit ainsi dans un processus d’achèvement, au sens plein du terme. Elle inspire par conséquent de la crainte, en même temps qu’elle fascine.

32Je ne reviendrai pas ici sur Le Petit Eyolf, dont l’analyse m’a servi d’entrée en matière. J’ajouterai une simple remarque : Allmers n’est pas plus un « Viking » que Solness. Les deux hommes n’ont pas la conscience « robuste », mais la grande différence est que le constructeur arrive à renouveler son exploit apparemment impossible, alors qu’Allmers cède à la facilité. Il est paralysé par la peur. Il n’arrive pas à surmonter son « vertige », qu’on a toutes les raisons de qualifier de métaphysique.

33Au dernier acte de John Gabriel Borkman, la montagne apparaît effectivement sous la forme du décor mythique que nous connaissons, mais dans le reste de la pièce, elle est directement liée à la métaphore de la mine. Il faut souligner que le nom propre « Borkman » est phonétiquement très proche de « bergmann » (littéralement : « homme de la montagne »), qui, en norvégien, signifie « mineur », et que l’homme d’affaires ruiné est justement désigné comme étant « fils de mineur » (« en bergmanns sønn ») (6, 253). John Gabriel Borkman est ainsi doublement lié à la montagne, dans un mouvement ascendant et descendant.

34Dans le chapitre de L’Air et les songes déjà cité, Bachelard estime que Nietzsche n’est pas un poète « de la matière ». Il voit en lui un « poète de l’action » et à l’appui de cette thèse, il souligne qu’il y a chez lui « de nombreuses références à une vie souterraine » : « Elle est vie active, uniquement active, c’est la vie d’un long courage, d’une longue préparation, le symbole d’une patience offensive, tenace et vigilante. […] Sous terre, son labyrinthe est droit, c’est une force secrète qui chemine, qui fait son propre chemin. » [38] C’est bien à ce dur labeur dans l’obscurité des galeries souterraines que Borkman fait référence, rappelant évidemment le poème d’Ibsen intitulé « Le mineur ».

35Ce poème écrit en 1848 témoigne de l’importance du thème de la mine pour son psychisme. Les deux derniers vers sont éloquents : « Aucun rayon matinal ne brille ;/ aucun soleil d’espérance ne se lève » (6, 333). Ce n’est certainement pas un hasard si Ibsen l’a placé tout près d’un autre, intitulé « Peur de la lumière », dans le recueil publié en 1871. On y retrouve la même prédilection pour l’obscurité, pour le travail souterrain, cette fois-ci dans une atmosphère angoissante où évoluent « d’affreux spectres/ sortis de légendes et de contes » (ibid.).

36On est obligé de penser au passage de Brand où le personnage éponyme rappelle deux idées qui le poursuivaient étant enfant, celle d’une chouette qui aurait eu peur de l’obscurité et celle d’un poisson qui aurait eu peur de l’eau. Il précise que, selon lui, l’homme a été créé « pour travailler dans les profondeurs,/ il devrait vivre l’obscurité de la vie » (2, 138). Cet attachement aux ténèbres et à la peur dont elles s’accompagnent me semble tout à fait apparenté à ce que j’ai appelé plus haut l’esthétique du laid, qui est selon moi l’une des marques du modernisme chez Ibsen.

37Comme avec le symbolisme de la montagne, le dramaturge norvégien reprend avec l’allusion aux galeries souterraines une tradition littéraire bien établie et lui donne un sens différent, puisqu’elles ne sont pas chez lui liées au souvenir d’une mort tragique, mais à l’idée d’une progression difficile et héroïque. L’intérêt des Romantiques allemands pour le thème du travail dans la mine était tel qu’il a donné lieu à plusieurs études spécifiques [39]. Il suffira peut-être de citer le Runenberg de Ludwig Tieck ou Heinrich von Ofterdingen de Novalis. Bergwerke zu Falun, d’E. T. A. Hoffmann, mérite une mention particulière en raison du grand nombre d’auteurs qui se sont intéressés à ces mines suédoises [40].

38Dans Les Mines de Falun, E. T. A. Hoffmann s’arrête sur la découverte du corps d’un mineur retrouvé intact vingt ans après sa mort. Bachelard rattache ce récit au « mythe de la mine-sarcophage […] qui a eu une longue action dans la littérature allemande. » [41] Force est de constater qu’on ne retrouve pas la même atmosphère chez Ibsen. Les galeries de mines sont pour lui exclusivement des lieux où se déploie une intense activité ou, pour reprendre encore une fois les termes de Bachelard dans La Terre et les rêveries de la volonté, une lutte qui « implique […] les rêveries d’une impérieuse puissance. Il faut dompter l’élément, dominer ses maléfices » [42]. Cette valeur symbolique existait déjà chez E. T. A. Hoffmann, mais chez l’auteur de John Gabriel Borkman, elle occupe toute la place.

39Pour les alchimistes, le travail dans la mine et l’astrologie étaient apparentés, et c’est sans doute sous l’influence de cette tradition que Novalis fait dire à l’ermite qui s’est retiré dans la montagne pour y mener une existence contemplative que les mineurs sont « presque des astrologues à l’envers […] Ceux-ci étudient les forces et les influences des étoiles, et vous étudiez les forces des rochers et des montagnes […]. » [43] L’ancien homme d’affaires finit par vouloir sortir de son emprisonnement. Il veut aller à l’air libre pour contempler « son royaume ». Il entame alors son ascension, entraînant derrière lui Ella Rentheim, à qui il veut montrer une nouvelle fois « le pays de rêve » dont ils se sont souvent entretenus lorsqu’ils étaient plus jeunes et que leur amour était encore réel. La montagne fait alors penser à celle depuis laquelle Dieu a montré le pays promis à Moïse, sachant qu’il ne pourrait pas y entrer. Ce rapprochement est d’autant plus plausible que c’est à cause d’un moment d’incrédulité que Moïse s’est vu refuser l’entrée dans le pays de Canaan, un peu comme Borkman, qui est fortement affaibli par le doute.

40En guise d’oraison funèbre, sa femme précise que lui, le « fils de mineur […] ne pouvait pas supporter l’air frais » (6, 253). Il a beau faire la leçon à Foldal, un écrivain manqué, en lui disant au dernier acte que « nous nous faisons tous écraser […] une fois dans la vie. Mais il suffit de se relever et de faire comme si de rien n’était » (6, 244). C’est justement ce qu’il n’est jamais arrivé à faire. Il a manqué de force, de résistance intérieure. Il n’a pas su se résoudre à vivre dans l’obscurité. Il n’a pas supporté le vide affectif qu’a créé l’obsession de la réussite. Dans cette pièce comme dans la suivante, il est évident qu’Ibsen donne une idée assez banale des couples qui n’ont que la sexualité pour fondement. Ce sont les êtres d’exception qui l’intéressent, ainsi que le prix élevé qu’ils ont à payer pour rester fidèles à leur vocation. Il ne les désavoue pas. La scène finale au cours de laquelle les deux sœurs se réconcilient, ne renferme aucune condamnation. L’auteur se limite en quelque sorte à constater les dégâts.

41La pièce Quand nous nous réveillons, nous les morts se déroule exclusivement en extérieurs [44] et nous y retrouvons aux deuxième et troisième actes le « paysage métaphysique » qui a retenu notre attention tout au long de cette analyse. C’est surtout l’acte final qui est pertinent ici. Il rappelle évidemment la conclusion de Brand et témoigne à son tour de l’importance de l’intratextualité chez Ibsen [45]. Le point essentiel, dans notre perspective, c’est que le paysage de montagne s’est nettement banalisé. C’est devenu un lieu de villégiature pour touristes aisés. Il a perdu une bonne partie de sa dimension idéale, même si – captif de sa façon de voir les choses – Rubek reste encore attaché à l’idée d’une rencontre possible avec la transcendance et qu’il lance une sorte de défi à « toutes les puissances de la lumière […] et aussi des ténèbres » (6, 320). Même Ulfheim et Maja ont accès aux « hauts plateaux », mais ils y trouvent tout autre chose que « la liberté et Dieu ». Maja proclame bien qu’elle se sent libre, désormais, mais sa liaison avec le chasseur d’ours est très prosaïque et sans illusions, comme celle de Mme Wilton et d’Erhart dans John Gabriel Borkman. Ils parviennent à une forme de liberté, mais celle-ci n’a rien de « divin ». Elle n’a aucun rapport avec un idéal élevé. Les hauts plateaux sont ainsi vidés de leur contenu mythique. Les sommets élevés gardent quelque chose de menaçant. Ils inspirent une peur justifiée. Il ne faut donc pas s’y attarder. Ils sont pour ceux qui y croient un lieu qui met l’art en rapport avec le sacré, mais Maja refuse justement d’entendre désormais parler d’œuvres d’art. D’abord – et assez longuement – sacralisé dans l’œuvre d’Ibsen, l’art a finalement perdu une grande partie de son prestige. Rubek – « alpiniste à sa manière » selon Maja – et Irène restent toutefois prisonniers de leur idéal, et la nonne qui accompagne l’ancien modèle du sculpteur n’a plus qu’à prononcer une sorte d’absolution : « Pax vobiscum » [46]. Une page est néanmoins tournée. On comprend pourquoi Ibsen a eu le sentiment d’écrire un « épilogue ».

Conclusion

42Arrivé au terme de cette analyse, je citerai volontiers le jugement que Toril Moi prononce sur Quand nous les morts, nous nous réveillons, à la fin de son tout récent ouvrage consacré au modernisme chez Ibsen : « […] avec une absence caractéristique de sentimentalisme, Ibsen prend congé de l’idéalisme et de son culte extatique de l’art et des artistes […] À la fin de sa vie d’écrivain, [il] nous laisse avec la question que nous ne sommes pas près de résoudre : quelle est la valeur du théâtre, et de l’art, et de la littérature, dans notre propre modernité terrifiante ? » [47]

43Avant d’en arriver là, le dramaturge est passé par plusieurs stades. J’ai voulu montrer qu’un décor mythique de montagnes et de hauts plateaux – métaphore obsédante qui l’a accompagné pendant toute sa vie – illustre les fluctuations de sa pensée et que la présence obsessionnelle de la mort est l’un des traits distinctifs de ce paysage. La notion de mort – conçue comme un insupportable vide existentiel – y occupe une place telle qu’on a des raisons de parler d’une « dramaturgie de la peur ». Lue avec l’éclairage un peu inhabituel que propose le présent essai, l’œuvre d’Ibsen confirme entre autres ce jugement général de Maurice Blanchot selon lequel « la mort est […] dès le commencement en rapport avec le mouvement si difficile à éclaircir de l’expérience artistique » [48]. On sait que le fils du dramaturge a fait graver un marteau de mineur sur la pierre tombale de son père. Un piolet d’alpiniste aurait peut-être été tout aussi justifié ?

Notes

  • [*]
    Marc Auchet est Professeur à la Sorbonne, 13 chemin des Noisetiers, F-54770 Bouxières-aux-Chênes ; courriel : auchet.marc@wanadoo.fr.
  • [1]
    J’emprunte cette expression à l’ouvrage de Michael Goldman intitulé Ibsen – The Dramaturgy of Fear (1998). On en trouvera un extrait en français dans le dossier de 126 pages consacré au Petit Eyolf sur le site du Théâtre de la Colline http://www.colline.fr/assets/textes/peda_eyolf.pdf, p. 45-49. Goldman considère que la fin de la pièce est « peut-être la plus cruelle des scènes finales d’Ibsen » et « la plus subtile des avalanches ibséniennes ». Il attribue lui aussi une grande importance à la randonnée de Allmers dans la montagne et fait fort justement observer « que, pendant toute sa carrière, Ibsen a fait des montagnes désolées de Norvège un symbole complexe, symbole changeant légèrement de signification au fil des années, mais toujours chargé d’un noyau d’angoisse [c’est moi qui souligne] à propos du potentiel de l’aspiration humaine et de la réalisation artistique. » J’ai découvert ce texte alors que j’avais pratiquement achevé la rédaction de cet article, mais il va tout à fait dans le sens de ce que je cherche à démontrer ici.
  • [2]
    Les traducteurs rendent souvent le titre – Når vi døde vågner – au futur. Ma préférence va à une traduction littérale. Il s’agit en réalité d’une réplique située à la fin du
    deuxième acte et qui fait référence à une situation présente et concerne avant tout les deux personnages qui se sont entièrement consacrés au service de l’art, Irène et Rubek. L’événement se déroule sous les yeux du spectateur.
  • [3]
    Fritz Paul : « Utsynet fra toppen, Tradisjon og forandring i et litterært motiv fra følsomhetens tid til Ibsen », dans : Edda, Hefte 1, 1994, p. 13-26. Voir aussi : « Metaphysical Landscapes in Ibsen’s Late Plays », dans : Contemporary Approaches to Ibsen, 1997, vol. 9, Oslo 1997, p. 17-33.
  • [4]
    Sauf indication contraire, toutes les citations des œuvres d’Ibsen utilisées dans cet article sont tirées de l’édition en six volumes : Henrik Ibsen : Samlede verker 1-6, Oslo : Gyldendal Norsk Forlag, 1952, 10. utgave. J’indique entre parenthèses dans le corps de mon texte le numéro du tome et la page où se trouvent le passage ou l’expression cités.
  • [5]
    Allmers utilise les termes « høydene » et « de store vidder », récurrents dans l’œuvre d’Ibsen.
  • [6]
    Avec son compatriote Karl Gjellerup (1857-1919), presque totalement oublié depuis.
  • [7]
    En 1884, Ibsen ne connaissait de Pontoppidan que le recueil de nouvelles Landsbybilleder (Images villageoises), mais ce livre lui avait fait une impression « extrêmement bonne » et il était convaincu que son auteur avait « un bel avenir devant lui ». Cf. la lettre qu’Ibsen a envoyée à Fredrik H. Hegel le 17 janvier 1884. Henrik Ibsen : Samlede Verker. Brev 1884-1904, 18. Bind, p. 11, Oslo 1949. De son côté, Pontoppidan manifestait à la même époque un grand respect pour Ibsen. Cf. http://www.henrikpontoppidan.dk/text/kilder/breve/hegel_fr_senior/1884_2_02.html
    On notera que Le Petit Eyolf parut la même année que le roman de Henrik Pontoppidan : Den gamle Adam (Le vieil Adam), et que le 20 décembre 1894, Edvard Brandes – frère de Georg – publia dans Politiken un compte rendu du roman, dans lequel il conseillait de lire les deux œuvres en parallèle. Il estimait qu’Ibsen prêchait une « morale ascétique » et qu’il n’y avait « pas d’esprit plus libre au Danemark que Henrik Pontoppidan ». Cf. http://www.henrikpontoppidan.dk/text/seclit/anmeldelser/dga/brandes_edvard.html.
  • [8]
  • [9]
  • [10]
    Tage Skou-Hansen : « Fornægteren », dans : Heretica (1952), p. 385.
  • [11]
    Ibid., p. 400. Ce jugement n’est pas sans rapport avec celui que Robert Ferguson prononce sur le dramaturge norvégien dans Henrik Ibsen, Mellom evne og higen : « […] Il a essayé de montrer au public contemporain que, même sans Dieu, il valait la peine d’essayer de vivre une vie morale, et en se conformant à cette vision, il a entièrement vécu la vie d’un écrivain professionnel : une existence sans amis […], dont la solitude disparaissait presque dans l’éclat aveuglant de la célébrité […]. » Oslo : J. W. Cappelens forlag, 1996, p. 452.
  • [12]
    Ibid.
  • [13]
    Nietzsche : Ainsi parlait Zarathoustra, introduction, traduction et notes par G. Bianquis, Paris : Aubier/Éditions Montaigne, 1968, p. 309.
  • [14]
    G. Bachelard : L’Air et les songes, Paris : Libraire José Corti, 1943, p. 184.
  • [15]
    Dans un passage de son livre intitulé « Une image du monde inspirée par la pensée chrétienne », Bjørn Hemmer estime que, dans la première partie de son œuvre, qui est « dominée par l’opposition entre l’idéal (ou l’idée) et la réalité », Ibsen a eu recours à des images d’inspiration chrétienne, parce que « le cadre de référence chrétien marquait encore fortement la culture européenne ». Il précise que, « dans son univers, il est beaucoup plus question de l’homme en tant qu’être moral qu’en tant que croyant religieux », ibid., p. 50-52. Une fois que tout cela est dit, il faut tout de même préciser qu’Ibsen n’a pas du tout ignoré les questions religieuses en tant que telles. La pièce Empereur et Galiléen, notamment, est là pour le prouver.
  • [16]
    C’est ce que montre entre autres un passage du dernier roman de Pontoppidan, Mands Himmerig (Le Paradis de l’homme), paru en 1927, où le personnage principal, Niels Thorsen, découvre le corps inanimé de sa femme, qui n’a pas supporté les épreuves dans lesquelles il l’a entraînée. Il a sacrifié son couple sur l’autel de l’engagement politique. Un personnage d’une pièce d’Ibsen lui vient alors à l’esprit : le docteur Stockmann, d’Un ennemi du peuple qui, à la fin du drame, affirme que « l’homme le plus fort du monde, c’est celui qui est le plus seul ». Niels Thorsen se rappelle alors que la solitude de Stockmann est toute relative, puisque le médecin continue à bénéficier de la protection de sa famille, tandis qu’il se trouve, lui, seul face à l’échec et à la déchéance. Il ne survit d’ailleurs pas longtemps au suicide de sa femme.
  • [17]
    Cf. http://www.henrikpontoppidan.dk/text/kilder/breve/brandes_georg/1891_2_13.html.
  • [18]
    A. Kittang estime même qu’on a des raisons de voir dans le dramaturge un « poète de la mort » (dødsdiktar). Il précise toutefois qu’Ibsen n’est pas « un poète religieux » chez qui on trouverait une « perspective eschatologique », et il définit cette mort comme un moyen de montrer que « tous les rêves de perfection humaine et de totalité ne sont que des illusions et des chimères ». Cf. Atle Kittang : Ibsens heroisme, Fra Brand til Når vi døde vågner, Oslo : Gyldendal, 2002, p. 365. La contribution d’A. Kittang au présent numéro d’Études germaniques insiste sur l’importance de la mort dans Une maison de poupée.
  • [19]
    La présente analyse ne requiert pas une anamnèse complète, mais il est intéressant – pas seulement par souci d’exhaustivité – de signaler une anecdote qu’Ibsen a désignée en 1881 comme sa « première impression durable », dans le seul fragment autobiographique qu’on ait de sa main. Ce souvenir est lié à la « tour » (tårnet) – le clocher – de l’église de Skien, qui aurait été édifiée par un constructeur (bygmester !) de Copenhague et au sommet de laquelle la bonne d’enfants l’avait emmené lorsqu’il était tout petit. À l’âge de soixante-trois ans, il se souvenait encore nettement des impressions qu’il avait eues à cette occasion. Cf. Michael Meyer : Henrik Ibsen. En biografi, Oslo : Gyldendal, 1re édition en norvégien 1971, ici : 2e édition 1995, p. 7-8. Voir aussi les remarques de Catherine Naugrette sur « le regard de l’Ange », dans sa contribution au présent cahier.
  • [20]
    Allusion à la vision que Jacob eut à Béthel, dans laquelle une échelle relie le ciel à la terre. Cf. Genèse, chapitre XXVIII, versets 10 à 22. Dans Les Structures anthropologiques de l’imaginaire, Gilbert Durand attribue à « l’échelle qui permet de “voir les dieux” » une place importante parmi les « symboles rituels qui sont des moyens d’atteindre le ciel ». Il estime que l’échelle de Jacob fait partie de cette tradition de l’immortalité ascensionnelle et qu’elle en est même « l’image la plus familière ». Selon lui, cette échelle est « avant tout dressée contre le temps et la mort », 10e édition, Paris : Dunod, 1984, p. 140.
  • [21]
    Cf. Michael Meyer (note 19), p. 18 et 19. L’auteur souligne qu’Ibsen s’intéressait à cette époque à l’enseignement religieux et qu’il consultait assidûment la Bible. En tout état de cause, la vision en question rappelle nettement celle qui est rapportée au chapitre 37 du livre d’Ezéchiel, avec, toutefois, une grande différence : le récit biblique s’achève sur une note entièrement positive qui n’a rien à voir avec l’angoisse qui se dégage de la rédaction du jeune Ibsen.
  • [22]
    Ibid. p. 50.
  • [23]
    Il est difficile de les dater avec précision. Bjørn Hemmer situe la rédaction de « Paa Vidderne » en 1859/1860. Cf. Ibsen. Kunstnerens vei, Bergen : Vigmostad & Bjørke, 2003, p. 45. Et Michael Meyer indique (note 19, p. 171) que « Høyfjeldsliv » fut lu sur la scène du Théâtre norvégien de Christiania en janvier 1860, ce qui invite à penser qu’il a pu être écrit à la fin de l’année 1859. Selon Meyer, ce poème s’inscrivait dans la stratégie de défense du nationalisme norvégien qui a amené Ibsen et Bjørnson à fonder la Société norvégienne vers la mi-décembre 1859. C’est le 23 décembre de la même année que naquit Sigurd, fils unique du couple Ibsen. Comme « Terje Vigen » (1861/1862), « Paa Vidderne » fait écho à la situation personnelle du poète, qui se sentait prisonnier du conflit entre l’idéal et la réalité.
  • [24]
    Cf. Toril Moi : Ibsens modernisme, Oslo : Pax forlag, 2006, p. 226 : « Le contraste entre la vie prosaïque dans la vallée au cours de l’hiver et le vol libre de l’imagination dans la montagne est typique des débuts d’Ibsen et de son idéalisme. » L’auteur confirme que « Høyfjeldsliv » a été lu sous le titre Un soir sur l’alpage (En aften ved Sæteren), qui était le titre d’un tableau de Knud Bergslien, dans un contexte de défense de l’identité norvégienne en tant que « tableau vivant » au cours d’une soirée artistique au Théâtre de Christiania. Toril Moi consacre d’ailleurs plusieurs pages à décrire l’engouement qu’on portait à l’époque en Norvège aux « levende bilder ».
  • [25]
    Note 14, p. 147.
  • [26]
    Cf. Bjørn Hemmer (note 15), p. 53.
  • [27]
    Egil. A. Wyller a raison de faire remarquer dans un article récent qu’on peut distinguer trois niveaux dans l’emploi symbolique qu’Ibsen fait du paysage dans Brand : la vallée, les hauts plateaux et les sommets (Dalen/Vidden/Tinden). Son argumentation est toutefois en désaccord avec la plupart des analyses de l’œuvre : il assimile en effet ces niveaux à des représentations du corps, de l’âme et de l’esprit et tire argument de ces distinctions pour rapprocher la pensée d’Ibsen d’un « platonisme chrétien ». Cf. « Ibsens store tetralogi – fra Brand til Keiser og Galilæer », dans : Mennesket – det minste og det største, Utvalgte foredrag fra Humanistisk Kollegium, Oslo : Det Norske Akademi for Sprog og Litteratur, 2006, p. 259-269.
  • [28]
    Ibid., p. 148.
  • [29]
    Friedrich Nietzsche : Ainsi parlait Zarathoustra, traduction et préface de G. Bianquis, Paris : Aubier-Éditions Montaigne, 1968, p. 631.
  • [30]
    Ce décor apparaît toutefois de façon indirecte dans Revenants (1881), dans une didascalie qui décrit le panorama devant lequel se déroule la scène finale, au moment où Mme Alving éteint la lampe. « Lever de soleil. En arrière-plan, le glacier et les pics sont baignés par la lumière resplendissante du matin. » Incapable de s’exprimer normalement, Osvald demande à plusieurs reprises à sa mère de lui donner le soleil. On retrouve ici la conjonction « lever de soleil-montagne-mort » qui signale souvent chez Ibsen que l’homme d’exception est arrivé au point culminant de sa carrière et au terme de sa vie. Le texte indique toutefois qu’Osvald tourne le dos à cette scène. Peintre de grand talent, il aspire à la transcendance auquel l’art donne accès, mais il ne peut pas en faire l’expérience.
    Dans le même ordre d’idées, ce n’est sans doute pas un hasard si Gregers, l’idéaliste forcené de Canard sauvage, a passé de nombreuses années dans les montagnes. Il y a eu la possibilité de beaucoup réfléchir et de mettre au point ses théories sur la « taxe de l’idéal », indirectement responsables du drame final. C’est de là que vient aussi le vieux Ekdal.
  • [31]
    Tout semble indiquer que chez Ibsen le symbolisme aquatique est en quelque sorte le pendant du symbolisme de la montagne. Il est intéressant de constater que sept des douze drames contemporains ont pour cadre géographique une localité située au bord de la mer : Les Piliers de la société, Revenants, Un ennemi du peuple, Rosmersholm, La Dame de la mer, Le Petit Eyolf, et la première partie de Quand nous les morts, nous nous réveillons. La mort dans (ou par) l’eau est par ailleurs un thème récurrent dans ces pièces : naufrage dans Les Piliers de la société, pollution dans Un ennemi du peuple et noyade dans Une maison de poupée, Le Canard sauvage, Rosmersholm et Le Petit Eyolf. L’épilogue dramatique Quand nous les morts, nous nous réveillons commence dans une station balnéaire et se termine près des sommets les plus élevés. Le niveau de la mer et la vie sur les hauteurs semblent ainsi devoir constituer deux pôles opposés. Dans la plupart des cas, l’élément aquatique est connoté négativement chez Ibsen. Il représente lui aussi une menace de mort, mais cette mort-là n’a rien à voir avec l’idéalisme lié à la conquête des cimes.
  • [32]
    Cf. Matthieu 4, 8-11.
  • [33]
    Elle applique au constructeur qui vient d’arriver en haut de la tour les dernières paroles que Jésus a prononcées sur la croix.
  • [34]
    Cf. Michel Meyer (note 19), p. 719. À la période où Ibsen écrivait Peer Gynt, Vilhelm Bergsøe, un des membres de la colonie scandinave d’Italie, a côtoyé le dramaturge de près, et il a noté que celui-ci « avait une peur étrange de tout ce qui pouvait causer la mort ou le malheur ». Bergsøe précise lui aussi que « cette peur n’était pas due au fait qu’il aurait lâchement eu peur de perdre la vie. Elle venait de l’angoisse de ne pas parvenir au but qu’il s’était fixé en tant qu’écrivain. » (Ibid., p. 270)
  • [35]
    Michael Meyer (note 19), p. 702.
  • [36]
    Cf. Ludwig Binswanger : Henrik Ibsen et le problème de l’autoréalisation dans l’art, traduit de l’allemand par Michel Dupuis, postface de Henri Maldiney, De Boeck Université, Bibliothèque de psychanalyse, 1996. Le texte original est intitulé Henrik Ibsen und das Problem der Selbstrealisation in der Kunst et date de 1949.
  • [37]
    Lettre de H. Ibsen à B. Bjørnson, 4 août 1882. Cf. http://www.dokpro.uio.no/litteratur/ibsen/ms/brev/brev.html.
  • [38]
    Pour toutes les citations de ce paragraphe, cf. Gaston Bachelard : L’Air et les songes, Paris : Librairie José Corti, 1943, p. 148.
  • [39]
    Entre autres : Josef Dürler : Die Bedeutung des Bergbaus bei Goethe und in der deutschen Romantik, Frauenfeld/Leipzig 1936 ou, plus récemment, Helmut Gold : Erkenntnisse unter Tage. Bergbaumotive in der Literatur der Romantik, Opladen : Westdt. Verl., 1990 (= Kulturwissenschaftliche Studien zur deutschen Literatur).
  • [40]
    H. C. Andersen a consacré un passage de son récit de voyage En Suède aux mines de cuivre de Falun.
  • [41]
    Gaston Bachelard (note 38), 1947, p. 254.
  • [42]
    Ibid., p. 261.
  • [43]
    Hartmut Böhme : « Geheime Macht im Schoss der Erde. Das Symbolfeld des Bergbaus zwischen Sozialgeschichte und Psychohistorie », dans : Natur und Subjekt, Frankfurt-am-Main 1988.
    Cf. http://www.culture.hu-berlin.de/hb/static/archiv/volltexte/texte/natsub/geheim.html, p. 20.
  • [44]
    Contrairement à la plupart des autres drames contemporains d’Ibsen, qui ont pour cadre l’atmosphère confinée de demeures bourgeoises, les quatre derniers se déroulent en bonne partie en plein air.
  • [45]
    On sait qu’au moment où il commençait à travailler sur la pièce Quand nous les morts, nous nous réveillons, Ibsen eut l’occasion de voir jouer Brand et qu’il fut très ému lors de la représentation. Cf. Michael Meyer (note 19), p. 777.
  • [46]
    On notera que, contrairement à ce qui se passe à la fin de Brand, ce n’est pas une voix d’origine surnaturelle qui se fait entendre. C’est celle d’un personnage énigmatique et inquiétant, certes, mais néanmoins humain.
  • [47]
    Toril Moi : Ibsens modernisme, Oslo : Pax Forlag, 2006, p. 452. Titre de la version originale : Henrik Ibsen and the Birth of Modernism, Art, Theatre, Philosophy, Oxford : Oxford University Press, 2006.
  • [48]
    Maurice Blanchot : L’Espace littéraire, Paris : Gallimard, collection folio essais, 1955, p. 157.
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