Couverture de EE_0702

Article de revue

Chapitre 5. Encourager l'innovation

Pages 121 à 149

Notes

  • [1]
    Le Fonds pour la recherche est constitué sous la forme d’un compte auprès de la Banque de Norvège, auquel le Storting a affecté 1.7 milliard d’euros supplémentaires en 2006, le capital total étant ainsi porté à environ 6.2 milliards d’euros.
  • [2]
    Les études publiées montrent bien que les programmes fiscaux de ce type décollent lentement (voir Bloom et autres, 2002) ; en outre, il y a eu une réduction des dépenses au titre des subventions à la R-D industrielle au moment où le Skattefunn a été lancé.
  • [3]
    L’échantillon comprend tous les pays de l’OCDE plus 10 pays non membres se trouvant à des stades différents de développement. Les résultats de l’enquête PISA classent la Norvège nettement au-dessous de 14 pays de l’OCDE, mais avant les États-Unis, l’Italie, la Grèce, le Portugal, la Turquie et le Mexique.
  • [4]
    TIMSS est le sigle qui correspond à « Trends in International Mathematics and Science Study », enquête réalisée par l’Association internationale pour l’évaluation de l’enseignement (IEA).
  • [5]
    La situation est contrastée pour les disciplines scientifiques en Norvège, avec certains points forts, mais aussi plusieurs points faibles. Toutefois, la tendance est favorable depuis une dizaine d’années, avec un développement relativement rapide des TIC et un nombre croissant de publications et de citations dans les revues spécialisées.
  • [6]
    Les membres de l’organisme suédois équivalent, la SVCA, gèrent près de 10 fois plus de financements pour un pays dont l’économie ne représente qu’environ deux fois l’économie norvégienne. On estime que la SVCA suédoise lèvera plus de 4 milliards d’euros à la fin de 2006.
  • [7]
    Le Tableau de bord européen de l’innovation est une initiative de la Commission européenne (DG5). Il peut être consulté sur le site de Trend Chart à l’adresse : http:// trendchart. cordis. lu/ tc_innovation_scoreboard. cfm.
  • [8]
    Le chiffre est inférieur à la moyenne même si on l’exprime en proportion du PIB continental.
  • [9]
    Les résultats de l’Enquête communautaire sur l’innovation de 2005 ne sont pas exceptionnels : la Norvège a obtenu un score relativement faible dans le passé pour ces indicateurs de l’enquête. Selon des calculs reposant sur les résultats passés et actuels obtenus par la Norvège dans le cadre de l’Enquête communautaire sur l’innovation, il faudrait à la Norvège 20 ans pour rattraper la moyenne de l’UE, qui est elle-même actuellement inférieure de 50 à 80 % aux résultats qu’obtiennent les pays en tête comme la Suède, la Finlande, le Japon et les États-Unis.
  • [10]
    Les tableaux détaillés de l’Enquête communautaire sur l’innovation (CIS4) sont disponibles pour la Norvège, avec des informations par secteur et par taille, à l’adresse : www. ssb. no/ english/ subjects/ 10/ 03/ innov_en/ .
  • [11]
    Plus précisément, 10 indicateurs sont fortement corrélés au premier facteur, et expliquent 45 % de la variance : ces 10 indicateurs mesurent tous l’élaboration des connaissances. Quatre indicateurs différents mesurant l’application des connaissances sont fortement corrélés au second facteur, et expliquent 21 % de la variance. La contribution des autres indicateurs est très faible.
  • [12]
    On peut être tenté de considérer que la Norvège est riche essentiellement grâce à son patrimoine pétrolier. Mais le PIB continental de la Norvège représente environ 75 % du PIB total aux prix actuels du pétrole, très élevés, ce qu’on peut interpréter comme la limite basse du véritable PIB « non pétrolier », car au moins une partie des ressources utilisées dans le secteur non continental ont d’autres usages sur le continent. La Norvège est parvenue à éviter le pire du « syndrome néerlandais », qui se manifeste par le phénomène suivant : les exportations de ressources à faible coût mais à prix élevés font monter le taux de change et évincent le secteur traditionnel des biens exportables, ce qui aboutit à un chômage structurel de grande ampleur. Il pourrait être plus difficile d’éviter la « malédiction des ressources naturelles » (Sachs et Warner, 1995) par laquelle la rente tirée des ressources naturelles incite à l’autosatisfaction et à une dépendance excessive à l’égard des largesses de l’État, et décourage l’investissement en capital humain (voir le premier chapitre).
  • [13]
    Comme au Danemark, le marché du travail se caractérise en Norvège par une forte flexibilité, un faible niveau de protection de l’emploi et une généreuse indemnisation du chômage subordonnée à une recherche active d’emploi. Ces caractéristiques du marché du travail peuvent contribuer à expliquer le niveau élevé de la PTF.
  • [14]
    Malgré tout, parce que les petites entreprises sont beaucoup plus nombreuses que les grandes entreprises, les dépenses totales de R-D de la première catégorie sont pratiquement similaires à celles de la deuxième catégorie.
  • [15]
    Le secteur pétrolier est très probablement une exception, même si les dépenses de R-D enregistrées ne sont pas élevées. Mais cela pourrait résulter en partie d’un problème de classification. La construction des plates-formes pétrolières géantes dans les eaux profondes et hostiles de la mer du Nord est autant une activité de « développement » qu’un investissement pur et simple.
  • [16]
    Les notations de l’OCDE pour la technologie ne s’appliquent qu’au secteur manufacturier et dépendent du rapport entre les dépenses de R-D et la valeur ajoutée.
  • [17]
    Les opérations du Fonds national pour les retraites font en sorte que la plupart des recettes provenant de l’exportation du pétrole n’alimentent pas directement les revenus courants. Mais il y a néanmoins un impact (voir le premier chapitre).
  • [18]
    L’enquête annuelle UBS sur les prix et les salaires classe Oslo, Copenhague et Tokyo parmi les trois villes les plus chères.
  • [19]
    Néanmoins, on notera que des appels d’offres sont requis pour les marchés d’Etat et municipaux d’un montant supérieur à 500 000 NOK (environ 60 000 euros), ce qui est très inférieur aux prescriptions UE/EEE.
  • [20]
    Comme on l’a indiqué précédemment, il faut interpréter avec prudence toute comparaison des résultats de l’Enquête communautaire sur l’innovation ; en effet, il est obligatoire de répondre à cette enquête en Norvège, mais ce n’est pas le cas en Allemagne ou en Suède. On peut considérer que, dans ces deux derniers pays, les entreprises qui n’innovent pas sont moins enclines à répondre à l’enquête.
  • [21]
    Les entreprises ayant répondu à l’enquête CIS4 ne considèrent pas que les difficultés pour trouver des chercheurs qualifiés constituent un important frein à l’accroissement des dépenses de R-D.

1L’amélioration du niveau de vie matériel depuis la révolution industrielle tient en majeure partie à l’innovation, c’est-à-dire à l’apparition de biens et services nouveaux ou améliorés et de nouveaux procédés de production et de prestation. Les travaux de l’OCDE révèlent un lien étroit entre l’activité d’innovation dans le secteur privé telle qu’on la mesure habituellement et la croissance du PIB (Bassanini et autres, 2000 ; Ahn, 2002). L’activité d’innovation est coûteuse ; ses résultats sont incertains et, si elle est couronnée de succès, elle peut être copiée à faible coût faute de protection juridique. Mais si la protection est trop restrictive (ou si le secret est gardé sur l’innovation), la collectivité perdra une partie des avantages attendus. C’est pourquoi il faut privilégier les politiques qui offrent un cadre pour l’innovation de la part des entreprises privées mais accordent aussi un niveau approprié de protection des résultats de l’innovation tout en favorisant leur diffusion (Nadiri, 1993 ; Cameron, 1998). L’intervention des pouvoirs publics dans ce domaine est largement approuvée et tous les pays de l’OCDE ont mis en place un ensemble de mesures visant à soutenir l’innovation.

2On décrira tout d’abord dans ce chapitre les institutions et les politiques qui influent sur l’activité d’innovation, soit délibérément, soit par effet secondaire. Puis on évaluera la situation et l’évolution de l’innovation en s’interrogeant sur l’efficacité de certaines mesures par rapport à leur coût. On formulera enfin une série de conclusions et de recommandations.

Le cadre institutionnel

Les institutions sont bien établies et ont des missions clairement définies

3Après la réorganisation et la rationalisation des années 90 et de la décennie actuelle, la Norvège compte aujourd’hui trois grandes institutions publiques encourageant l’innovation ou contribuant à son financement : le Conseil norvégien de la recherche (Forskningsradet, NFR) ; Innovation Norvège (Innovasjon Norge) et la SIVA (Société norvégienne pour le développement industriel). Les réformes avaient pour but de préciser et de bien individualiser le mandat des différentes institutions, tout en organisant leur coopération afin de fournir un meilleur service au secteur privé.

4Le ministère de l’Éducation et de la Recherche a la responsabilité administrative du NFR, qui a fusionné en 1993 cinq conseils de recherche. Sur son budget 2006, d’un montant de 5.2 milliards de NOK (environ 650 millions d’euros, ou 1/4 pour cent du PIB), 20 % des crédits provenaient du ministère du Commerce et de l’Industrie, pour les projets industriels de R-D, et 24 % du ministère de l’Éducation et de la Recherche. Celui-ci alloue aussi près de 200 millions d’euros au titre du rendement du « fonds recherche », et représente donc le principal contributeur [1]. Le reste correspond aux contributions d’autres ministères. Le NFR conseille le gouvernement pour sa politique de la recherche ; il finance en grande partie la recherche fondamentale et appliquée publique ; il constitue un lieu de rencontre pour les chercheurs du secteur public et du secteur privé ; il coopère aux recherches internationales ; enfin, il attribue, après évaluation des projets, des subventions qui représentent près de 30 % des financements publics consacrés à la R-D.

5Parmi les instruments de soutien à la R-D et à l’innovation industrielles, le programme d’innovation général et par projet (Brukerstyrt innovasjonsarena, BIA) et les programmes connexes jouent un rôle central. En outre, le NFR contribue au financement de trois types d’établissements ayant pour vocation de favoriser l’innovation. Les nouveaux « Centres pour l’innovation fondés sur la recherche » (SFI) ont pour but d’encourager l’effort de R-D du secteur privé par le biais de liens plus étroits entre les principaux organismes de recherche et les entreprises à forte intensité en R-D. L’attribution d’une subvention du NFR suppose que des liens aient été établis avec des chercheurs et des établissements de recherche étrangers (aucune subvention n’a encore été accordée à ce jour). Treize « Centres norvégiens d’excellence » (SFF) ont été désignés (et d’autres devraient l’être prochainement). Ils se situent essentiellement dans les universités et l’objectif qui leur a été fixé est de conclure des contrats de recherche fondamentale à long terme de haute qualité. Avec le SIVA et Innovation Norvège (voir ci-après), le NFR contribue au financement des Centres norvégiens d’expertise (NCE), qui soutiennent les concentrations industrielles régionales dans leur effort d’amélioration des compétences. Pour l’avenir, l’intention est que le NFR se spécialise dans le financement des programmes à long terme (c’est-à-dire des programmes d’environ 125 millions d’euros par an sur une période de cinq à dix ans) dans les secteurs de la gestion des ressources pétrolières, des énergies propres, des nanotechnologies, de l’aquaculture, du changement climatique, des TIC et de la recherche génomique.

6Innovation Norvège est issue de la fusion, en janvier 2004, du Conseil norvégien pour le tourisme, du Conseil norvégien pour le commerce, du Fonds norvégien pour le développement industriel et régional (SND) et du Service consultatif du gouvernement pour les inventeurs (SVO). Financée principalement par le ministère du Commerce et de l’Industrie et le ministère des Collectivités locales et du Développement régional, son budget est comparable à celui du NFR. Elle a pour mission de réaliser certains objectifs nationaux et régionaux conformément à la politique d’innovation du gouvernement. Elle encourage l’innovation dans le secteur privé, surtout de la part des jeunes entreprises, auxquelles elle fournit des financements de démarrage en coopération avec le secteur privé. Toutefois, la plupart de ces jeunes pousses sont restées de petite taille (comme la grande majorité des entreprises norvégiennes). Innovation Norvège encourage également les contrats de R-D industrielle (IFU), par lesquels (au moins) deux parties, généralement un client et (normalement) un fournisseur qui est une PME, s’engagent à mettre au point un produit, un service ou un procédé nouveaux sur leur marché. Innovation Norvège peut subventionner jusqu’à 35 % des coûts de développement. Elle favorise particulièrement la collaboration entre les PME norvégiennes et les entreprises étrangères.

7La SIVA, dont le chiffre d’affaires est de l’ordre de 30 millions d’euros, est copropriétaire d’une soixantaine de parcs consacrés à la science et à la recherche et d’autres centres pour l’innovation. Elle donne des conseils et accorde des financements pour la création de réseaux entre les unités régionales, nationales et internationales de R-D. Elle aide aussi à la création de pépinières d’entreprises et encourage l’établissement de nouvelles entreprises au sein de ces structures. Innovation Norvège peut accorder à ces entreprises des subventions de démarrage.

8Une initiative indirecte a été prise pour encourager la R-D : la réforme du mécanisme de financement des universités et des autres établissements d’enseignement supérieur. En 2002, 40 % des financements étaient fonction des résultats, et notamment des publications dans les revues faisant appel à la méthode de l’examen par les pairs. De même, le financement des organismes hospitaliers régionaux est maintenant concurrentiel, 40 % du financement de base étant consacrés à la recherche et 60 % variant en fonction des résultats. Les projets dans le domaine de la recherche fondamentale sont financés par le ministère de l’Éducation et de la Recherche, sous l’égide du NFR. En termes réels, les dépenses des universités pour la R-D ont augmenté de 8 % entre 2003 et 2005. Le budget 2006 des universités prévoit une redistribution entre les universités de 10 % de l’enveloppe totale, en fonction de quatre indicateurs : le volume des publications scientifiques, le nombre des doctorants, le montant des financements pour la recherche accordés par le NFR et le montant des financements accordés au titre des programmes cadres de l’UE. Cette incitation financière supplémentaire fera l’objet d’une évaluation dans quelques années.

9Enfin, la Norvège compte un grand nombre d’instituts de recherche de différentes tailles, qui opèrent généralement sous contrat pour les entreprises et pour le secteur public. Ils représentent environ un quart de l’ensemble de la R-D norvégienne, mais ils perdent de leur importance depuis les années 80. Le NFR est chargé de réexaminer les modalités de subventionnement de ces instituts et de mettre au point de nouvelles lignes directrices pour leur financement par les pouvoirs publics. L’un des premiers résultats de ce réexamen a été de relever le niveau de l’aide à la recherche environnementale et technique.

Le cadre d’action

Encourager l’innovation est une priorité

10Les gouvernements successifs ont souligné l’importance de l’innovation pour le maintien et l’amélioration du niveau de vie à l’avenir, surtout lorsque les recettes pétrolières commenceront de diminuer. La réorganisation et le financement renforcé des trois grands organismes chargés de mettre en œuvre la politique d’innovation illustrent cette préoccupation. L’objectif du gouvernement actuel est de faire passer en 2010 les dépenses totales de R-D à 3 % du PIB, en atteignant 1 % pour les financements publics de R-D (les chiffres pour 2004 étaient respectivement 1.6 % et 0.74 % ; cela représente 2.1 % et 1 % en pourcentage du PIB continental).

11Comme dans la plupart des pays de l’OCDE, la R-D du secteur privé bénéficie d’avantages fiscaux et de subventions. La générosité des avantages fiscaux, telle que mesurée par l’« indice B » de l’OCDE, a atteint en moyenne 22 % en 2006, chiffre qui dépasse nettement la moyenne OCDE et qui n’est dépassé qu’au Canada, en Espagne, au Mexique, au Portugal et en République tchèque (graphique 5.1). Le financement public direct de la R-D privée représentait 0.11 % du PIB, proportion proche de la moyenne OCDE, mais très supérieure à la médiane.

Graphique 5.1

Aides budgétaires à l’investissement privé en R-D

Graphique 5.1

Aides budgétaires à l’investissement privé en R-D

1. Générosité des incitations fiscales en faveur des investissements dans la R-D, en fonction du revenu avant impôts nécessaire pour couvrir le coût initial d’une dépense de R-D de un dollar et pour acquitter l’impôt sur les sociétés correspondant à un bénéfice de un dollar (indice B). Une valeur nulle signifie que l’avantage fiscal en faveur des dépenses de R-D compense exactement l’effet de l’impôt sur les sociétés. A noter que l’indice B ne mesure que le niveau d’aide fiscale pour les entreprises et projets éligibles. Tous les projets de R-D privés ne sont pas éligibles dans tous les pays, par exemple dans le cas où, comme en Norvège, les projets doivent être inférieurs à un plafond de dépenses relativement bas pour bénéficier de l’allégement fiscal.
2. La forte baisse observée dans certains pays entre 1991-1993 et 2001-2003 reflète compression des dépenses militaires. Dans le cas de la Norvège, elle traduit aussi la réduction des subventions de R-D après la mise en place du programme Skattefunn.
3. Moyenne non pondérée.
Source : OCDE (2006), Science, technologie et industrie : Perspectives de l’OCDE 2006.

12Le régime de crédit d’impôt « Skattefunn » a été introduit en 2002. C’est le NFR qui approuve les projets, en fonction du contenu en R-D. Lorsque ce régime a été mis en place, certaines subventions ont été réduites. Le Skattefunn consiste en une déduction de 20 % des coûts de la R-D jusqu’à 4 millions de NOK (environ 530 000 euros) par entreprise et par an pour les projets internes et 4 millions de NOK supplémentaires pour les achats de R-D aux universités et instituts de recherche. Les grandes entreprises ont droit à une déduction de 18 % (du fait des règles UE/EEE relatives aux aides d’État), avec le même plafond. Les projets éligibles doivent créer des connaissances au sens large contribuant au développement de nouveaux produits, services ou procédés. Il n’y a aucune condition à caractère régional ou sectoriel. Les entreprises qui n’ont pas de bénéfice imposable ou dont le bénéfice imposable est insuffisant se voient accorder une subvention équivalente (76 % des dépenses fiscales totales ont été distribuées de la sorte en 2004). Le Skattefunn est donc neutre du point de vue du projet, de la région, du secteur et de la situation fiscale des entreprises éligibles, mais il entraîne une baisse du coût marginal de la R-D plus forte pour les petites entreprises et celles qui ont de faibles dépenses de R-D que pour les entreprises plus grandes. Il a enregistré un grand succès depuis sa création. Les dépenses fiscales pour 2004 au titre du Skattefunn ont atteint 1.4 milliard de NOK, soit environ 0.1 % du PIB.

13La neutralité globale du Skattefunn est un élément positif, surtout en Norvège, où l’on a depuis longtemps l’habitude d’intégrer les objectifs régionaux, sociaux et sectoriels dans la politique industrielle. Bien entendu, les allègements fiscaux en faveur des entreprises doivent être compensés par des augmentations d’impôts ailleurs. Il se peut aussi que des entreprises fassent maintenant valoir le crédit d’impôt pour des dépenses qu’elles n’auraient précédemment pas classées dans la R-D. Se pose également un problème d’additionnalité : dans quelle mesure le crédit d’impôt génère-t-il une véritable R-D supplémentaire qui n’aurait pas eu lieu sans cette mesure ? On évalue actuellement l’efficacité du Skattefunn du point de vue de la R-D privée supplémentaire qui en résulte. Un constat pertinent à cet égard, même s’il n’est pas concluant, est que les dépenses fiscales sur la période 2002-2004 ont atteint 3.4 milliards de NOK, soit l’équivalent de plus de 400 millions d’euros, alors que le montant des dépenses de R-D des entreprises qui a été enregistré, et qui est irrégulier, n’a pas augmenté [2]. À en juger par des données préliminaires, les dépenses nominales pour la R-D se sont légèrement accélérées en 2005, mais en restant légèrement inférieures au niveau de 2003. Enfin, même si le crédit d’impôt se traduit par un véritable supplément de dépenses de R-D, les dépenses fiscales auraient peut-être été plus utiles dans d’autres secteurs. Sur ce dernier point, Russo (2004) conclut, à l’issue d’une analyse portant sur l’ensemble de l’économie, que des incitations fiscales efficaces liées à la R-D sont bien plus bénéfiques qu’une baisse équivalente de l’impôt sur le revenu des personnes physiques ou de l’impôt sur les sociétés. Cela tient au rendement social potentiellement élevé des dépenses de R-D privées.

14L’éducation et la formation sont essentielles pour créer un cadre propice à l’innovation. Les dépenses éducatives totales représentent 6.3 % du PIB, soit davantage que dans la plupart des pays de l’OCDE. L’enseignement primaire et l’enseignement secondaire sont gratuits et la plupart des dépenses sont également financées par les pouvoirs publics dans l’enseignement supérieur. La durée de la scolarisation compte parmi les plus longues dans la zone OCDE, aussi bien pour les femmes que pour les hommes, et ce depuis plusieurs décennies. Environ 40 % de la tranche d’âge 25-34 ans avaient au moins une formation de l’enseignement supérieur en 2002, proportion plus forte que dans tous les pays européens et qui n’est dépassée qu’en Corée, au Japon et au Canada. Près d’un tiers de la population de 25 à 64 ans a une formation de l’enseignement supérieur, chiffre comparable à celui observé dans les autres pays nordiques et qui n’est plus élevé qu’aux États-Unis et au Japon (tableau 5.1). Comme dans la plupart des pays de l’OCDE, le pourcentage de la population atteignant le niveau de la licence est en augmentation ces dernières décennies, tandis que la proportion des étudiants pour les filières scientifiques et techniques est en baisse, l’effectif de ces étudiants étant faible au regard des autres pays (graphique 5.2). Le nombre de titulaires d’une maîtrise ou d’un doctorat a augmenté assez rapidement et la proportion de diplômés dans les filières scientifiques et techniques est plus forte à ce niveau qu’aux niveaux inférieurs. En outre, le nombre et la proportion d’étudiants au niveau de la licence et de la maîtrise sont élevés dans les filières du commerce et de la gestion des entreprises.

Tableau 5.1

Indicateurs de l’éducation

Tableau 5.1
Années de formation scolaire, 2003 Proportion de la tranche d’âge ayant fait des études supérieures Hommes Femmes Total 25-34 55-64 25-34 55-64 25-64 25-34 55-64 République tchèque 12.4 12.6 12.4 12.6 11.8 12 12 10 Danemark 13.6 13.7 13.5 14.0 13.0 32 35 26 Finlande 12.1 12.9 10.5 13.6 10.4 33 40 24 France 11.5 12.8 10.3 13.0 9.5 23 37 14 Allemagne 13.4 13.5 13.6 13.4 12.4 24 22 22 Grèce 10.5 11.8 9.0 12.5 7.9 18 24 11 Islande 13.3 13.7 13.3 13.5 11.8 26 29 17 Irlande 12.9 13.9 11.1 14.3 11.2 26 37 15 Italie 1 10.0 11.2 8.4 11.6 7.4 10 12 7 Japon 12.4 13.3 11.2 13.2 10.5 37 52 19 Corée 11.9 13.6 10.1 13.5 7.9 29 47 10 Pays-Bas1 12.9 13.4 12.6 13.6 11.4 24 28 19 Norvège 13.8 14.3 13.2 14.7 13.0 31 40 22 Pologne 11.6 12.0 10.8 12.7 10.4 14 20 11 Portugal 8.2 9.0 7.2 10.0 6.9 11 16 6 République slovaque 12.4 12.8 12.2 13.0 11.4 12 13 9 Espagne 10.5 11.9 8.6 12.5 7.7 25 38 11 Suède 12.5 13.1 11.2 13.4 11.6 33 40 26 Royaume-Uni 12.7 13.1 12.4 13.0 12.1 28 33 21 États-Unis 13.8 13.7 13.8 14.0 13.5 38 39 35 1. 2002. Source : OCDE (2006), Regards sur l’éducation.

Indicateurs de l’éducation

Graphique 5.2

Enseignement tertiaire

Graphique 5.2

Enseignement tertiaire

1. Données 2000.
2. À l’exclusion des programmes de deuxième cycle du tertiaire A.
3. L’enseignement tertiaire comprend l’enseignement tertiaire de type A, les programmes de recherche de haut niveau et l’enseignement tertiaire de type B.
4. Données 2003.
5. Moyenne non pondérée.
Source : OCDE (2005) Science, technique et industrie : tableau de bord de l’OCDE 2005, et OCDE (2006), Regards sur l’éducation.

15On peut s’interroger sur le rapport coût/efficacité du système éducatif norvégien actuel pour la formation des futurs scientifiques et ingénieurs. La Norvège dépense plus que la moyenne des pays de l’OCDE pour l’éducation (par rapport au PIB), mais les performances sont médiocres en comparaison internationale. Selon les données de l’enquête PISA 2000 de l’OCDE pour les mathématiques (voir « Apprendre aujourd’hui, réussir demain »), les jeunes Norvégiens de 15 ans ne se situaient que dans la moyenne des pays étudiés [3], et selon les données de la même enquête pour 2003, leur classement était nettement inférieur à la moyenne. De même, les résultats des enquêtes TIMSS [4] de 1995 et 2003 pour les élèves de la quatrième et de la huitième classe plaçaient la Norvège bien au-dessous de la moyenne de l’échantillon et révélaient également une nette dégradation entre les deux années considérées (tableau 5.2). Certes, la Norvège se classe mieux que les États-Unis ou l’Italie dans l’enquête PISA, mais la plupart des autres pays les plus avancés de la zone OCDE sont plus performants. En revanche, selon l’étude OCDE/StatCan (voir « Apprentissage et réussite » (OCDE, 2005)), les adultes norvégiens ont un niveau relativement élevé (avec de faibles inégalités) pour les compétences en lecture, calcul et résolution des problèmes ; on notera toutefois que l’échantillon ne comprenait que six pays. On peut déduire de ce constat que le système éducatif était plus performant dans le passé pour la formation des élèves dans les disciplines concernées. Cette interprétation est confirmée par le fait qu’en général les enseignants norvégiens actuels n’ont pas les qualifications universitaires spécifiques requises pour les mathématiques et les sciences fondamentales (la physique, par exemple). Une autre interprétation est que les élèves doués d’aujourd’hui sont sans doute moins nombreux que par le passé à choisir les filières scientifiques et technologiques, plus difficiles. Ces mêmes tendances sont encore plus prononcées en Suède et dans plusieurs autres pays, ce qui n’est qu’un maigre réconfort.

Tableau 5.2

Résultats scolaires

Tableau 5.2
(I) (II) (III) (IV) (V) Échantillon haut Échantillon moyen 1995 2003 1995 2003 République tchèque 84 .. .. .. .. Danemark 85 .. .. .. .. Finlande 93 .. .. .. .. France 83 .. .. .. .. Allemagne 76 .. .. .. .. Grèce 62 .. .. .. .. Islande1 85 .. .. .. .. Irlande 83 .. .. .. .. Italie1, 2 69 26 23 59 59 Japon 86 54 53 85 86 Corée 91 50 57 81 88 Pays-Bas1 88 48 43 82 85 Norvège 80 32 21 72 63 Pologne 78 .. .. .. .. Portugal 70 .. .. .. .. République slovaque 81 42 34 77 72 Espagne 76 20 58 Suède 83 52 38 83 75 Royaume-Uni3 .. 30 32 61 70 États-Unis 74 38 41 68 75 Colonne I : Pourcentage des élèves de 15 ans atteignant les niveaux 2-5 sur l’échelle de mathématiques. Colonne II – V : pourcentage des élèves de 4e et 8e classe atteignant les niveaux de référence TIMSS en sciences. 1. Colonnes 2003 : données 2002. 2. Colonnes 1995 : données 1999. 3. Écosse. Source : OCDE (2003), Apprendre aujourd’hui, réussir demain et IEA, Trends in International Mathematics and Science Study.

Résultats scolaires

16Malgré tout, la Norvège obtient systématiquement un bon classement pour les effectifs de chercheurs dans le secteur privé. En 2001 – année précédant l’introduction du Skattefunn –, environ 0.7 % de l’ensemble des salariés occupaient un poste dans la recherche, proportion qui n’est supérieure qu’en Finlande, en Suède, au Japon et aux États-Unis et qui ne cesse d’augmenter en Norvège depuis 25 ans par rapport à un niveau qui dépassait déjà la moyenne (graphique 5.3). Par conséquent, il n’y a aucune pénurie de qualifications pour la R-D. De fait, les entreprises innovantes ne signalent aucun problème majeur dans ce domaine (voir ci-après).

Graphique 5.3

Les effectifs de chercheurs dans le secteur des entreprises

Graphique 5.3

Les effectifs de chercheurs dans le secteur des entreprises

En pourcentage de l’emploi total dans l’industrie, moyenne annuelle
Source : OCDE, Base de données des Principaux Indicateurs de la science et de la technologie.

17Les initiatives actuelles et les mesures récentes visent à accroître les effectifs et améliorer les qualifications dans les disciplines en cause, l’idée étant que les effets bénéfiques sur le plan social (par le biais d’une plus grande intensité de la recherche) l’emportent sur les coûts. Comme on l’a noté précédemment, les « Centres norvégiens d’excellence » accorderont des financements stables aux organismes qui réalisent des recherches jugées de haute qualité. Les recherches en mathématiques, sciences et technologie auront la priorité. Il est prévu d’augmenter encore le nombre des bourses doctorales dans les universités et des formations postdoctorales. Davantage d’aides financières seront accordées aux chercheurs norvégiens souhaitant acquérir une expérience à l’étranger. Les établissements d’enseignement supérieur faisant objectivement la preuve de leur haute qualité scientifique peuvent accéder au statut d’établissement national, avec à la clé des financements supplémentaires. En outre, on augmentera les crédits pour la formation des futurs enseignants du secondaire en mathématiques, en sciences et en technologie [5]. Aux niveaux primaire et secondaire, l’enseignement de ces disciplines bénéficiera de financements renforcés. Les initiatives de réforme (« Culture de l’apprentissage » et « Kunnskapsløftet ») visent à consacrer davantage d’heures d’enseignement aux mathématiques, aux sciences et à la technologie, à promouvoir l’égalité des sexes et à accroître la proportion d’élèves du deuxième cycle du secondaire optant pour la filière mathématiques, sciences et technologie.

18On peut aussi développer l’innovation en incitant davantage les chercheurs universitaires à exploiter commercialement les résultats de leurs travaux. Les États-Unis ont ouvert la voie avec la loi Bayh Dole de 1980, grâce à laquelle les universitaires et leurs établissements peuvent déposer des brevets ou concéder des licences pour leurs travaux et percevoir ainsi des redevances. L’expérience montre que, généralement, la commercialisation des résultats des recherches universitaires n’a été que d’un assez faible rapport pour les créateurs, même si certains d’entre eux, et leurs établissements, ont pu engranger des millions de dollars grâce à un petit nombre de découvertes fortement médiatisées. Pour aider les chercheurs qui ne connaissent pas bien les procédures, parfois très longues, des bureaux de transfert de technologie dotés d’un effectif de 10 à 15 personnes ont été créés dans les universités norvégiennes à partir de 2003 (le programme-cadre FORNY, dont le budget était de 15 millions EUR pour 2006, facilite ainsi, et par d’autres mesures, la commercialisation des résultats de la recherche publique). Ces bureaux ont pour mission d’aider à commercialiser les recherches et de donner des conseils pour la création d’une entreprise. Les résultats pratiques de cette initiative sont en cours d’évaluation. Ce type de politique a toutefois un effet secondaire : les chercheurs sont moins incités à rendre publics leurs résultats à un stade précoce, au moyen de publications et conférences, ce qui réduit les retombées sociales que peuvent avoir les découvertes scientifiques.

19Exploiter les synergies entre l’effort de recherche des universités et celui des entreprises en facilitant les partenariats peut être très fructueux pour les deux parties. On observe actuellement des initiatives en ce sens. La collaboration avec les PME est encouragée dans les filières universitaires axées sur le commerce et la gestion des entreprises. Les entreprises participantes peuvent en tirer beaucoup d’avantages, mais généralement les entreprises séduites par cette forme de collaboration sont peu nombreuses. Pour obtenir de meilleurs résultats, on pourrait faciliter les transferts de chercheurs dans les deux sens entre le secteur privé et le secteur public.

20Les politiques et institutions concernant les marchés de capitaux contribuent pour beaucoup à l’innovation. En effet, la recherche est coûteuse et risquée. On pourrait croire que seules les grandes entreprises en place disposant d’un pouvoir de monopole à la faveur d’innovations antérieures peuvent se permettre d’investir massivement dans la R-D. Or, la plupart des études empiriques montrent que, si l’on tient compte des caractéristiques sectorielles, il n’y a aucun lien entre les dépenses de R-D et les taux sectoriels de concentration (Ahn, 2001). En définitive, les innovations les plus réussies sont souvent le fait de jeunes entreprises qui manquent d’expérience, qui ne dégagent guère de bénéfices et qui n’ont même pas de marché, ou d’entreprises trop petites pour pouvoir financer elles-mêmes en interne des recherches de grande ampleur. C’est pourquoi il faut des marchés de titres de capital qui soient suffisamment étoffés et liquides et qui soient complétés par des dispositifs efficaces de capital-risque pouvant fournir des conseils, des compétences en gestion et des financements.

21Étant donné notamment que l’État détient la totalité ou une partie du capital dans de nombreuses grandes entreprises, le marché norvégien des actions est relativement sous-développé et le capital-investissement ne représente qu’environ 15 % du PIB, contre 25 % en moyenne en Europe et 87 % en Suède. Les entreprises représentent 65 % de ces investissements, et les particuliers seulement 4 %. Le marché du capital-risque est de plus grande taille que dans beaucoup de pays de l’OCDE, mais on est loin des pays qui se situent en tête. Selon les données de l’Association norvégienne des investisseurs en capital-investissement et en capital-risque (NVCA), dont les membres géraient environ 31/4 milliards d’euros fin 2005 [6], les collectivités locales et l’État assuraient plus de la moitié des financements sur le marché du capital-risque, la part des investisseurs privés étant voisine d’un tiers. Les organismes de retraite et les compagnies d’assurances ne peuvent pratiquement pas investir dans le capital-risque. L’une des principales caractéristiques du capital-risque en Norvège est que la majeure partie des investissements est consacrée à des opérations d’expansion et de rachat. Les financements de démarrage au profit des entreprises nouvellement créées sont assez faibles (graphique 5.4).

Graphique 5.4

Capital-risque

Graphique 5.4

Capital-risque

En pourcentage du PIB
1. Ressources en capital-risque ou en capital-investissement (ou en capital-transmission) affectées à l’investissement et provenant de fonds levés par des tiers pour des opérations d’expansion ou de restructuration.
2. 2000-2002 pour l’Islande; 1998-2001 pour l’Australie, le Japon, la Corée et la Nouvelle-Zélande.
Source : Association européenne de capital-risque, Banque mondiale, Financial Development and Structure Database et OCDE, base de données sur le capital-risque.

22Autre initiative visant à combler cette lacune dans le financement des nouvelles entreprises : des fonds de capital d’amorçage à financement mixte privé/public ont été mis en place pour stimuler l’investissement au moyen de mesures incitatives (et également pour favoriser l’exploitation commerciale des recherches universitaires). Dans le cadre du « Régime national de capital d’amorçage », géré par le ministère du Commerce et de l’Industrie et par Innovation Norvège, l’État pourra prêter (au NIBOR + 2 %) près de 100 millions d’euros à quatre fonds d’investissement implantés dans des villes universitaires. La contribution des investisseurs privés sera du même montant. Il n’y aucune restriction géographique en ce qui concerne la localisation de l’investissement. Ce régime n’est pas encore opérationnel, les investisseurs se montrant réticents à l’égard des restrictions concernant les possibilités d’investissements supplémentaires. Le ministère du Commerce et de l’Industrie et Innovation Norvège participent à un dispositif similaire, mais de plus faible dimension, destiné à encourager les créations d’entreprises dans les zones aidées. Ce dispositif non plus n’est pas encore opérationnel. En règle générale, Innovation Norvège est l’instrument d’action utilisé pour ce type de financement.

23L’État a créé un fonds de fonds, Argentum, auquel le Storting a affecté au fil du temps 330 millions d’euros. Le but est de faciliter l’accès au capital-risque international et, plus généralement, de favoriser le développement du marché norvégien des actions. Argentum ne peut investir que dans des opérations à majorité privée : la participation de l’État est passive, mais elle peut en quelque sorte représenter une garantie implicite pour les participants.

24L’activité d’innovation est également influencée par la politique de la concurrence et sa mise en œuvre, en conjonction avec la protection des droits de propriété intellectuelle (DPI). L’impact de la concurrence entre entreprises peut être en lui-même ambigu : les profits de monopole tirés d’innovations antérieures et protégés par les DPI peuvent financer un flux continu de recherches, mais une vive concurrence entre les entreprises en place, se doublant d’une menace crédible d’entrée, peut aussi inciter fortement les entreprises à innover pour échapper aux dangers qui les guettent (Aghion et Howitt, 2005). À l’inverse, l’innovation peut être entravée par un environnement réglementaire qui ne stimule pas toujours la concurrence et se double d’une faible protection des DPI. Pour ces deux critères, la Norvège occupe un rang intermédiaire parmi les pays de l’OCDE (graphique 5.5), les pays qui ont un environnement réglementaire plus restrictif qu’en Norvège comptant néanmoins parmi ceux qui sont les moins avancés. Tandis que les obstacles à l’entrepreneuriat sont parmi les plus faibles de la zone OCDE, étant donné l’ampleur du contrôle étatique la Norvège n’occupe qu’une position moyenne pour la réglementation globale des marchés de produits.

Graphique 5.5

Réglementation et droits de propriété intellectuelle

Graphique 5.5

Réglementation et droits de propriété intellectuelle

1. Les valeurs des indicateurs s’échelonnent de 0 à 5, de la réglementation la moins restrictive à la plus restrictive.
2. Les valeurs des indicateurs s’échelonnent de 0 à 6, de la réglementation la moins restrictive à la plus restrictive.
Source : OCDE (2006), Réformes économiques : objectif croissance.

25En résumé, la Norvège se caractérise par un ferme soutien des pouvoirs publics à l’innovation dans le secteur public et dans le secteur privé, aussi bien au niveau politique que financier, et elle est dotée d’institutions dont la mission est de favoriser l’innovation, d’un ensemble de mesures spécifiques et de dispositifs globaux qui rendent attrayante la R-D privée ainsi que d’un effectif nombreux de chercheurs. Quels sont les résultats ?

L’activité d’innovation

L’activité d’innovation et ses résultats sont médiocres

26La plupart des indicateurs de l’activité d’innovation impliquent que la Norvège est peu performante par rapport aux autres pays avancés de l’OCDE et par rapport à ses voisins nordiques. Les dépenses de R-D sont faibles au total, et particulièrement dans le secteur privé ; les dépôts de brevets sont peu nombreux ; compte tenu de son revenu par habitant, la Norvège n’obtient qu’un classement moyen dans le Tableau de bord européen de l’innovation (EIS, 2005) [7] et la situation ne s’améliore que très lentement ; le ratio moteurs de l’innovation/résultats est faible ; la dernière enquête communautaire sur l’innovation montre que les entreprises ont une attitude réactive, et non proactive (et que la plupart des entreprises n’innovent pas) ; enfin, une étude récente de l’OCDE classe la Norvège au-dessous de la moyenne pour 20 pays examinés dans le cadre d’une analyse factorielle des indicateurs d’innovation. C’est en partie pour cela que les gouvernements norvégiens successifs ont jugé prioritaire l’amélioration du niveau d’innovation et que le Storting a attribué de substantiels financements pour l’innovation dans le secteur privé.

27En 2004 (dernière année pour laquelle il existe des données comparables pour la majeure partie des pays de l’OCDE), les dépenses totales de R-D, indicateur classique de l’innovation du côté des ressources, représentaient 1.6 % du PIB en Norvège. C’est nettement moins que la moyenne de 2.3 % des vingt pays pour lesquels des données étaient disponibles, la Norvège se classant au douzième rang [8] (graphique 5.6). La plupart des pays qui dépensent moins pour la R-D que la Norvège ont aussi un revenu par habitant plus faible. Le ratio pour la Norvège est inférieur à celui de l’UE15 depuis plus de 20 ans et on n’observe aucun signe de rattrapage. Les dépenses privées de R-D se situent au niveau comparativement bas de 0.9 % du PIB, soit un peu plus de la moitié de la moyenne OCDE, et ce pourcentage a eu plutôt tendance à baisser ces dernières années. Par conséquent, le faible niveau des dépenses de R-D en Norvège reflète tout particulièrement le bas niveau des dépenses privées.

Graphique 5.6

Dépenses de R-D dans le secteur public et privé

Graphique 5.6

Dépenses de R-D dans le secteur public et privé

En pourcentage du PIB, 20031
2002 pour l’Australie, l’Autriche, le Portugal, la Suisse et la Turquie; 2001 pour la Grèce et le Mexique.
Source : OCDE (2006), Base de données des Principaux Indicateurs de la science et de la technologie.

28L’un des indicateurs de l’activité d’innovation sous l’angle des résultats est le nombre de brevets déposés. Là encore, la Norvège se montre peu performante et la tendance récente est à la baisse. Les brevets déposés en Norvège par les entreprises norvégiennes sont en diminution depuis 1999, et ceux déposés par les entreprises étrangères déclinent très fortement depuis plus longtemps encore. Bien que les demandes de brevets internationales aient eu un certain effet compensateur, le nombre total de dépôts de brevets est lui aussi en baisse. On ne peut utilement comparer les demandes nationales de brevets d’un pays à l’autre, en particulier parce que les législations, les critères et les coûts peuvent être très différents. Une solution consiste à comparer les demandes de brevets « triadiques », c’est-à-dire les demandes d’un même brevet auprès des offices des brevets américain, européen et japonais (on peut penser que ces brevets concernent des innovations importantes, le demandeur considérant que le brevet présente un intérêt mondial). Compte tenu de sa population, la Norvège obtient un meilleur rang que certains pays à revenu élevé par habitant (Australie, Canada, Irlande et Italie), mais se classe bien loin d’autres pays, notamment ses voisins nordiques, la Suède et la Finlande (graphique 5.7). On notera dans ce contexte que la Norvège a décidé d’adhérer dès que possible à l’Office européen des brevets. Les entrepreneurs norvégiens pourront ainsi plus facilement et à moindre coût protéger leurs innovations et les faire connaître sur un plus vaste marché.

Graphique 5.7

Dépôts de brevets

Graphique 5.7

Dépôts de brevets

2002 pour l’Australie, l’Autriche, le Portugal, la Suisse et la Turquie; 2001 pour la Grèce et le Mexique.
Source : OCDE (2006), Réformes économiques : Objectif croissance.

29Le « Tableau de bord de l’innovation » publié par TrendChart comporte un indice synthétique des innovations techniques. Selon l’indice synthétique 2005, la Norvège se situe bien au-dessous de la moyenne de l’UE15 et n’atteint pas la moyenne de l’UE25 (et son rang est nettement inférieur à celui des pays de tête comme la Suède, la Finlande, les États-Unis et le Japon). Comme pour les dépenses de R-D et les dépôts de brevets, presque tous les pays qui se classent moins bien que la Norvège ont également un revenu par habitant nettement plus faible (graphique 5.8) [9]. Le Tableau de bord répartit les indicateurs entre deux catégories : les ressources de l’innovation (capital humain ; R-D ; financement public de la R-D, financement privé de la recherche universitaire ; indicateurs de l’entrepreneuriat ; intensité de l’activité d’innovation) et les résultats de l’innovation (emploi et exportations dans les industries de haute technologie ; ventes de nouveaux produits ; dépôts de brevets ; dépôts de marques). La Norvège obtient un bon classement pour le capital humain, mais ses résultats sont médiocres pour la propriété intellectuelle et pour les demandes de brevets compte tenu de l’importance des secteurs innovants. Les résultats sont presque tous médiocres en ce qui concerne les résultats de l’innovation.

Graphique 5.8

Scores pour l’indice synthétique européen de l’innovation

Graphique 5.8

Scores pour l’indice synthétique européen de l’innovation

Source : Tableau de bord européen de l’innovation 2005. Analyse comparative de la performance de l’innovation.

30L’une des conséquences des divergences entre les moteurs de l’innovation et les résultats est le faible niveau du ratio résultats/ressources. À supposer que les ressources donnent des résultats, le graphique 5.8 montre que les résultats de la Norvège sont nettement inférieurs à ce qu’on aurait pu attendre compte tenu du niveau des ressources (qui sont elles-mêmes plus faibles que dans la plupart des pays avancés de l’échantillon). Cette fois encore, la plupart des pays qui se classent moins bien que la Norvège pour les ressources sont relativement pauvres ; un grand nombre d’entre eux sont des pays d’Europe centrale et orientale, dont l’effort d’amélioration des performances de l’innovation est relativement récent.

31Les enquêtes communautaires sur l’innovation (CIS) réalisées par l’UE sont une source utile d’informations concernant l’activité d’innovation. Elles couvrent la plupart des pays européens, et du reste la CIS est la principale source de données pour le Tableau de bord européen de l’innovation. Les entreprises de ces pays sont invitées à répondre à un questionnaire détaillé portant sur un grand nombre d’aspects pratiques de l’innovation. La réponse étant obligatoire pour les entreprises norvégiennes qui font partie de l’échantillon, on peut obtenir ainsi de riches informations. Pour d’autres pays, la réponse n’a qu’un caractère facultatif et le taux de réponse est parfois faible, ce qui peut fausser les résultats (par exemple, les entreprises innovantes peuvent être plus disposées à répondre que celles qui n’innovent pas et les entreprises qui ont rencontré des difficultés pour innover peuvent elles aussi être plus disposées à répondre aux questions sur ce point). L’interprétation des résultats est également délicate en ce qu’il n’est pas possible d’estimer « l’importance » d’une innovation. Une innovation peut être très simple, par exemple l’informatisation de la paie, ou très complexe, par exemple la mise au point d’une méthode entièrement nouvelle d’analyse des informations génétiques. Les entreprises de certains pays peuvent avoir tendance plus que celles d’autres pays à considérer comme une innovation une modification mineure d’une méthode de production ou d’un produit qui est nouvelle pour le marché local.

32Les résultats détaillés de l’enquête CIS4 [10] font apparaître pour la Norvège que :

  • les résultats 2004 ne sont guère différents pour les activités d’innovation de ceux de l’enquête 2001 ;
  • environ 40 % des entreprises ont indiqué qu’elles avaient eu une activité d’innovation en 2002-2004 ; environ 10 % ont signalé qu’elles avaient mis au point des produits innovants nouveaux sur le marché ;
  • pour les grandes entreprises (plus de 500 salariés), la probabilité de signaler une activité d’innovation était plus de deux fois supérieure à celle observée pour les petites entreprises (moins de 20 salariés), mais ce sont les entreprises moyennes (plus de 100 salariés), les plus nombreuses, qui représentaient la majeure partie des innovations signalées ;
  • l’innovation par une entreprise est susceptible d’être déclenchée autant par des informations extérieures (clients ou fournisseurs) qu’en interne ;
  • une minorité d’entreprises innovantes faisaient état de facteurs entravant leur activité d’innovation, ces facteurs étant surtout économiques (coût élevé, manque de financements). Le recrutement de personnel qualifié n’était pas un problème majeur ;
  • moins d’un cinquième des entreprises innovantes (mais un cinquième environ des entreprises manufacturières innovantes) déposaient des brevets pour protéger leurs innovations. Les autres formes de protection (dessins et modèles, marques de commerce ou de fabrique et droits d’auteur et copyright) étaient deux fois plus utilisées. La protection stratégique (secret, complexité de la conception et, surtout, avantage d’antériorité) jouait encore un plus grand rôle ;
  • la probabilité était plus forte pour les grandes entreprises manufacturières de faire état d’innovations de tous types (procédé, produit, organisation, commercialisation).
Ces résultats sont confirmés par une étude récente de l’OCDE (Carey et autres, 2006), qui a examiné les données de l’indice synthétique européen d’innovation afin de déterminer, par analyse factorielle, quelles étaient les variables qui avaient le lien le plus étroit avec les phénomènes envisagés. Dix indicateurs sont fortement associés à l’élaboration des connaissances. Quatre facteurs différents concernent tous l’application des connaissances[11]. Au total, ces deux facteurs expliquent 66 % de la variance. Les autres ont individuellement un faible pouvoir explicatif. La Norvège se classait 10e sur 20 pays pour l’élaboration des connaissances, parce que ses résultats relativement bons pour le capital humain et la coopération entre les PME en vue de la mise au point d’innovations étaient compensés par une médiocre performance pour les dépenses privées de R-D, les dépôts de brevets et la part des activités de haute technologie. La Norvège se classait au dernier rang, avec le Danemark, sur 17 pays pour l’application des connaissances, avec de médiocres résultats pour tous les indicateurs (pourcentage de PME innovant en interne, dépenses d’innovation des PME par rapport à leur chiffre d’affaires et ventes de produits nouveaux pour l’entreprise, mais pas sur le marché).

33L’image qui en résulte est que la Norvège est un pays doté de la plupart des politiques cadres, des mesures spécifiques, des institutions et des ressources humaines nécessaires pour avoir une économie innovante, comme dans la plupart des autres pays de l’OCDE relativement avancés. Or, les indicateurs dénotent une activité d’innovation relativement faible et des résultats médiocres pour l’innovation dans le secteur des entreprises. Certes, le lien entre l’activité d’innovation (mesurée notamment par l’indice synthétique d’innovation) et le PIB par habitant est loin d’être parfait, mais vu le niveau d’innovation de la Norvège, le PIB norvégien par habitant « devrait » se situer aux alentours de celui de l’Espagne.

L’« énigme norvégienne»

34Cette énigme réside dans le fait que, malgré les faibles ressources consacrées à l’innovation et les résultats encore plus médiocres dans ce domaine, le revenu norvégien par habitant est très élevé sur le plan international, même si on exclut les recettes pétrolières [12]. De plus, le niveau et le rythme de croissance de la productivité totale des facteurs (PTF) sont tout à fait corrects par rapport aux autres pays. L’innovation dans les procédés de production et les modes de commercialisation a toutes les chances d’avoir un impact positif sur la croissance de la PTF, car elle permet d’obtenir une plus forte production avec moins de ressources [13]. L’énigme norvégienne réside dans la présence de revenus élevés et dynamiques dans un contexte de faible activité mesurée d’innovation.

35Quatre questions se posent à propos de cette énigme : est-elle réelle ? Si oui, est-elle importante ? Si elle est réelle et importante, l’action menée est-elle de nature à la résoudre ? Est-il possible et nécessaire de prendre de nouvelles mesures ?

L’énigme est-elle réelle ?

36On peut trouver plusieurs explications à cette énigme : l’économie norvégienne est sous-représentée dans les activités à forte intensité en innovation ; les indicateurs classiques de l’activité d’innovation sous-estiment cette activité dans le cas de la Norvège ; ce qui est important pour la productivité, c’est d’utiliser les innovations qui ont pu être mises au point ailleurs, et pas de les mettre au point dans le pays, et/ou la R-D est surtout importante pour les industries de haute technologie, mais une croissance satisfaisante de la productivité est réalisable dans les industries à faible technologie pour une dépense minimale. Ce sont là des sources d’innovation importantes et généralisées.

37En général, les activités à forte intensité en R-D, notamment la fabrication de TIC, les produits pharmaceutiques, le secteur aérospatial et la construction automobile, sont effectivement sous-représentées en Norvège. Si l’industrie norvégienne avait la même structure que la moyenne des pays du G7, les dépenses de R-D de son secteur privé par rapport au PIB du secteur des entreprises passeraient de 1.7 %, proportion inférieure à la moyenne, à 2.3 %, proportion supérieure à la moyenne (graphique 5.9). En outre, le secteur privé se caractérise par un nombre relativement élevé de petites entreprises ; or, ce sont les grandes entreprises (comme dans les autres pays) qui dépensent relativement plus pour la R-D et qui déposent davantage de brevets [14]. À première vue, ce sont donc ces caractéristiques qui expliquent le plus l’énigme norvégienne dans le domaine de l’innovation. Mais il faut démêler la cause et l’effet. Y a-t-il beaucoup de PME parce que leur situation favorable à certains égards (législation du travail, obligations déclaratives, subventions) les dissuade de se développer ? Les dépenses de R-D sont-elles faibles parce qu’il y a peu d’industries à forte intensité de R-D, ou y a-t-il peu d’industries à forte intensité de R-D parce que les entrepreneurs norvégiens évitent ces activités ? L’énigme tient en partie au fait que l’économie norvégienne possède tous les atouts nécessaires pour avoir d’importantes industries intensives en R-D dynamiques et rentables, mais qu’elle en a relativement peu [15].

Graphique 5.9

Intensité de R-D dans le secteur des entreprises, corrigée des variations de la structure sectorielle

Graphique 5.9

Intensité de R-D dans le secteur des entreprises, corrigée des variations de la structure sectorielle

En pourcentage de la valeur ajoutée du secteur des entreprises, moyenne sur la période 1999-2002
1. On suppose que tous les pays ont la même structure sectorielle. Calculée sur la base de l’intensité de R-D par branche d’activité, le poids de chaque branche correspondant à la part moyenne de celle-ci dans la valeur ajoutée du secteur des entreprises des pays du G7.
Source : OCDE, bases de données Analyse structurelle (STAN) et Dépenses de R-D dans l’industrie (ANBERD).

38Une forte intensité en R-D (et également de nombreux dépôts de brevets) peut être souhaitable pour obtenir une croissance rapide, mais est-elle pour autant indispensable ? L’expérience contrastée de la Norvège, de l’Irlande, de la Suède et du Japon est particulièrement instructive à cet égard. Les deux premiers pays connaissent depuis longtemps une vive croissance, mais dépensent relativement peu pour la R-D privée, alors que les deux autres investissent massivement dans la R-D, mais ont vu leur croissance ralentir jusqu’à une période récente. Toutefois, les simples comparaisons bivariables peuvent être trompeuses. Les résultats d’analyses multivariables plus complexes sont plus fiables. Par exemple, les travaux de Bassanini et autres (2001) concluent à une relation statistiquement fiable et positive entre les dépenses privées de R-D et la croissance du PIB par habitant après prise en compte des autres facteurs. La relation entre la R-D publique et la croissance se révèle plus lâche. On constate que les dépenses essentiellement consacrées à la R-D pour la défense évincent la R-D privée, alors que la R-D publique à caractère civil paraît compléter la R-D privée.

39On pourrait faire valoir que le nombre de brevets déposés sous-estime très nettement les résultats de l’innovation en Norvège, les entreprises norvégiennes s’appuyant sur d’autres moyens pour protéger leurs innovations. Mais la Norvège ne se trouve pas dans une situation exceptionnelle sur ce plan. Les réponses à l’Enquête communautaire sur l’innovation (CIS) montrent que moins de 20 % des entreprises innovantes avaient déposé un brevet les deux années précédentes, proportion similaire à celle observée en Norvège. En pratique, le secret, la complexité et l’antériorité jouent un rôle bien plus important dans tous les pays. En outre, le nombre des dépôts norvégiens de marques, dessins et modèles dans le cadre de l’UE est bien inférieur à la moyenne pour l’UE. Quoi qu’il en soit, comme on l’a indiqué précédemment, la quasi-totalité des indicateurs de l’innovation – au niveau des ressources et des résultats – démontrent la sous-performance de la Norvège.

40Ce qui importe pour la rentabilité et la productivité, c’est d’appliquer efficacement les nouvelles connaissances, et pas nécessairement de les produire en interne. Les entreprises qui se tiennent au courant des nouveaux développements dans leur secteur à l’échelon mondial et qui sont suffisamment motivées pour en tirer parti peuvent pour ce faire conclure des contrats de licence ou s’appuyer sur d’autres formes de coopération. Il est possible que ces moyens soient davantage utilisés en Norvège que dans d’autres pays. Les indicateurs de performance du Tableau de bord européen de l’innovation font apparaître que la formation tout au long de la vie et la coopération entre les PME ont un impact nettement supérieur à la moyenne sur l’innovation en Norvège, alors que les résultats sont nettement inférieurs à la moyenne pour la plupart des autres indicateurs. En revanche, la Suède, dont le score est encore meilleur que celui de la Norvège pour ces deux indicateurs, se classe également à un meilleur rang pour tous les indicateurs classiques de l’activité d’innovation. De plus, la performance européenne dans le domaine de l’innovation est inférieure à celle du Japon et des États-Unis pour les indicateurs classiques. Et, en tout état de cause, un personnel bien formé et hautement qualifié obtient probablement plus de satisfaction au travail lorsqu’il peut exploiter directement ses talents, au lieu de passer son temps à s’informer sur les succès enregistrés ailleurs. Il n’est donc pas évident que la réussite économique indéniable de la Norvège tienne essentiellement à une grande réceptivité aux idées technologiques d’autres pays, se doublant d’une meilleure aptitude à appliquer ces idées. En outre, comme il ressort des enquêtes PISA et TIMSS (voir ci-dessus), cette aptitude supérieure, si tant est qu’elle existe, est menacée.

41La Norvège a peu d’industries de haute technologie en dehors de l’industrie pétrolière (qui, en tant qu’activité extractive, ne fait pas l’objet d’une notation de l’OCDE du point de vue technologique) [16]. La part de la production manufacturière de basse technologie dans la production manufacturière totale est de l’ordre de 80 %, chiffre bien supérieur à celui observé dans la quasi-totalité des autres pays de l’OCDE (Høj et Wise, 2004). Mais basse technologie et faible productivité ne sont pas synonymes : la productivité est généralement forte en Norvège. Cela représente en partie un phénomène de réaction au niveau élevé du PIB par habitant, à la faveur de l’augmentation des exportations de pétrole [17]. La main-d’œuvre est très coûteuse [18] et les entreprises sont contraintes d’ajuster en conséquence leur mode opératoire. Le trait frappant de la Norvège est que l’ajustement à des niveaux élevés de salaires s’est fait tout en préservant des niveaux élevés d’emploi, et pas en évinçant les travailleurs peu qualifiés, comme cela a pu se produire dans plusieurs autres pays de l’OCDE. Cette évolution tient en partie à une croissance exceptionnellement forte de l’emploi dans le secteur public (où les indicateurs de niveau de productivité sont quelque peu arbitraires) depuis le début des années 90 (voir le chapitre 4). De fait, le taux d’emploi en Norvège est l’un des plus élevés de la zone OCDE, y compris pour les jeunes et pour les travailleurs âgés. Autre caractéristique de la structure de l’emploi en Norvège : la proportion des travailleurs indépendants est la plus faible de toute la zone OCDE (tableau 5.3). On peut donc penser que les Norvégiens préfèrent le salariat au travail indépendant, avec tous les soucis et les risques que ce dernier comporte. « Mais les nuits sans sommeil de l’entrepreneur ne sont pas improductives » (Hébert et Link, 2006).

Tableau 5.3

Évolution du travail indépendant

Tableau 5.3
Emploi indépendant en pourcentage de l’emploi total Années 90 2000-2003 2004 ou dernière année disponible Australie 15.8 14.1 14.0 Autriche 13.7 13.1 12.8 Belgique 18.5 .. 17.8 Canada 10.8 10.0 9.5 Danemark 10.1 8.9 8.7 Finlande 15.3 13.1 12.8 France 11.2 8.9 8.8 Allemagne 10.6 11.2 11.8 Grèce 46.0 41.3 40.3 Hongrie 17.7 14.3 14.3 Islande 18.2 16.3 14.1 Irlande 22.2 18.1 18.0 Italie 28.9 28.0 27.5 Japon 18.9 15.8 14.9 Corée 37.5 36.1 34.0 Pays-Bas 11.9 11.7 11.6 Norvège 9.5 7.2 7.4 Portugal 28.0 26.5 25.9 Espagne 24.6 19.3 18.1 Suède 10.4 9.9 9.9 Suisse 11.7 12.6 11.3 Royaume-Uni 14.2 12.3 13.6 États-Unis 8.5 7.4 7.6 UE15 16.9 15.6 15.7 Source : OCDE, base de données des Statistiques de la population active.

Évolution du travail indépendant

42L’emploi dans le secteur des services représente près de 40 % de l’emploi total (nombre d’heures travaillées) et près d’un tiers de l’ensemble des travailleurs sont employés par le secteur public. Il n’est pas facile de mesurer la productivité dans le secteur public. La Norvège a comparativement le secteur public le plus important dans la zone OCDE, ce qui peut avoir un effet inhibiteur sur la concurrence (Høj et Wise, op. cit.) [19].

43La valeur ajoutée dans le secteur des services privés est maintenant proche de la moitié du PIB continental, proportion comparable à celle enregistrée dans la majorité des pays de l’OCDE les plus riches, et sa contribution à la croissance totale est élevée (celle du secteur manufacturier est négligeable et, sauf ces toutes dernières années, la croissance de la productivité dans le secteur manufacturier a été bien plus faible que dans les pays aussi avancés que la Norvège). La croissance de la productivité totale des facteurs dans le commerce de gros et de détail est tout particulièrement rapide. Ces secteurs sont relativement concentrés – quatre grandes chaînes ayant de très nombreux points de vente d’assez faible surface dominent aujourd’hui le commerce de détail des produits alimentaires (en outre, Lidl est présent sur le marché depuis septembre 2004) – et il est donc possible que l’intégration horizontale et verticale depuis les années 90 ait favorisé l’efficience. Aujourd’hui, la marge de nouveaux gains d’efficience est nécessairement limitée et une concurrence insuffisante (voir Høj et Wise, op. cit.) pourrait freiner l’effort en ce sens. Un problème parallèle pourrait se poser sur le marché de détail de l’essence, qui a longtemps été dominé par cinq fournisseurs (dont un est à capitaux publics). Les prix de l’essence hors taxes sont généralement les plus élevés parmi les pays de l’AIE (Høj et Wise, op. cit.).

44Dans l’optique de l’innovation, on constate donc que l’intensité de la R-D est globalement faible en Norvège, mais qu’elle est forte dans les services par rapport au secteur manufacturier norvégien et par rapport aux services dans un grand nombre d’autres pays. Le niveau de moyen de qualification des salariés des services est également élevé en Norvège. Malgré tout, les dépenses de R-D dans les services n’ont pas sensiblement augmenté ces quinze dernières années et la proportion des entreprises de ce secteur signalant des innovations dans leurs activités est tombée de 34 % des entreprises déclarantes lors de l’Enquête communautaire sur l’innovation de 2000-2002 à 28 % lors de l’enquête 2002-2004 [20]. De plus, la proportion des entreprises du secteur des services signalant la mise au point de produits nouveaux sur leurs marchés n’était que de 13 %. Par conséquent, les résultats de l’innovation dans les services paraissent faibles par rapport aux ressources qui y sont consacrées.

45La conclusion est donc qu’on se trouve bien en présence d’une énigme. Malgré des politiques favorables à l’innovation, les dépenses qui y sont affectées atteignent un faible niveau, sauf dans les services, mais même dans ce secteur, les activités d’innovation consécutives sont décevantes. Un autre élément de l’énigme est que les dépenses de R-D dans le secteur manufacturier sont inférieures à celles qui devraient correspondre à la structure industrielle de la Norvège (elle-même quelque peu énigmatique). Le secteur manufacturier a dû s’adapter à la hausse du taux de change en termes réels, comme cela a été le cas notamment en Allemagne, avant l’UEM. Pour ce faire, il faut généralement améliorer en particulier le niveau technologique et les procédés de production, ce qui induit des gains de PTF. Mais, selon Statistics Norway, le secteur manufacturier n’a pratiquement pas contribué à la croissance globale de la PTF ces 20 dernières années. Le secteur manufacturier, en compétition sur le marché international et sur le marché intérieur, dépense peu pour la R-D et ne progresse pratiquement pas en moyenne sur le plan technologique (sauf pour la fabrication de produits électroniques, qui semble être une exception). Le secteur protégé des services dépense beaucoup pour la R-D, son taux déclaré d’innovation est faible, mais la croissance observée de la PTF est forte, même si elle est concentrée dans quelques activités (commerce de gros et de détail, transports intérieurs et communications).

Cette énigme est-elle importante ?

46Puisque les Norvégiens sont riches et s’enrichissent encore, et pas seulement grâce aux exportations de pétrole, on pourrait considérer que les médiocres performances sur le front l’innovation ne posent pas de problème majeur. La productivité est forte, les taux de croissance en termes réels sont tout à fait corrects, la PTF progresse plus que dans un grand nombre de pays qui dépensent plus pour la R-D et l’industrie a su globalement survivre aux mutations mondiales et à un taux de change élevé. Tant que les gouvernements respecteront la règle budgétaire, le Fonds pétrolier/pour les retraites contribuera à maintenir le niveau de vie très longtemps.

47Il maintiendra le niveau de vie, mais ne l’améliorera pas dès lors que la valeur de ses ressources atteindra un point haut par rapport au PIB. Dorénavant, la croissance exigera la combinaison de quatre facteurs : une augmentation des apports en main-d’œuvre en proportion de la population (qui ne peut être indéfinie vu le vieillissement démographique), une amélioration constante de la qualité des ressources en main-d’œuvre (difficile à en juger par les enquêtes PISA et TIMSS, mais pas impossible), une hausse du ratio capital/travail (réalisable, mais avec un rendement décroissant) et une progression régulière et durable de la PTF.

48Une progression régulière et durable de la PTF est pratiquement indissociable de l’innovation, qui crée une demande pour de nouveaux produits et de nouvelles méthodes de production et de distribution de l’ensemble des produits. Par conséquent, il faut que le rythme d’innovation en Norvège s’accélère par rapport à ses niveaux médiocres, passés et actuels, pour répondre à l’attente d’une prospérité sans cesse croissante. Le secteur des biens échangeables se trouvera confronté en particulier à une concurrence toujours plus vive des pays à bas salaires d’Asie et d’Europe qui connaissent une forte expansion. Il faudra pour cela des gains de productivité dans le secteur manufacturier bien plus rapides que par le passé (ce qui semble être le cas actuellement). Il faudra également se rapprocher de la frontière technologique et, de préférence, l’atteindre dans certaines activités. La Norvège bénéficie depuis longtemps d’un environnement macroéconomique, social et politique comparativement stable, et aussi d’une population active bien formée, ce qui crée un contexte propice à l’investissement privé sous toutes ses formes, en particulier la R-D. Au niveau politique, l’importance de l’innovation est parfaitement perçue, les mesures en faveur de l’innovation bénéficient depuis longtemps d’un ferme soutien et l’objectif actuel, ambitieux, est d’augmenter les dépenses de R-D privées de plus d’un point de PIB au cours des prochaines années. Les incitations sont nombreuses et, comme le montrent les enquêtes communautaires sur l’innovation, peu d’entreprises se heurtent à de véritables obstacles, sur le plan du financement ou des qualifications, de nature à limiter l’activité d’innovation. Les mesures spécifiques de subventionnement de l’innovation, par exemple le Skattefunn et diverses aides, sont bien conçues (il faudrait toutefois déterminer le degré d’additionnalité, et donc l’efficacité de ces mesures). Les institutions publiques qui ont pour vocation de promouvoir l’innovation ont gagné en efficacité avec les réformes et restructurations des 10 à 15 dernières années. Leurs missions et leurs compétences sont clairement définies et elles sont correctement financées. Le problème, ce sont les résultats : les politiques et les institutions paraissent « se battre contre des moulins à vent ». Les entreprises norvégiennes, surtout dans le secteur manufacturier, jugent manifestement qu’elles peuvent engranger de confortables bénéfices sans investir massivement dans la R-D.

49Les travaux de l’OCDE et d’autres études concluent que l’intensité de la concurrence sur les marchés de produits en Norvège se situe à un niveau intermédiaire parmi les pays de l’OCDE. L’une des explications est peut-être la concentration du pouvoir de marché, dans une économie de taille relativement modeste. En revanche, la réglementation administrative n’est pas très pesante. Comme on l’a indiqué précédemment, les collectivités publiques sont très présentes dans le secteur des grandes entreprises. En ce qui concerne le secteur manufacturier, on constate que l’agro-alimentaire est efficacement préservé d’une vive concurrence au moyen d’obstacles aux importations agricoles (y compris les denrées transformées). Malgré la protection contre la concurrence étrangère, les marges dans l’agro-alimentaire sont faibles, de même que les gains de productivité. Cela peut signifier que peu de pressions s’exercent pour améliorer la rentabilité, par exemple via l’innovation.

50Ce qui vaut pour les secteurs les plus protégés est probablement vrai jusqu’à un certain point pour les autres secteurs, et cela pourrait expliquer d’abord pourquoi les entreprises norvégiennes dépensent relativement peu pour la R-D et, ensuite, pourquoi elles paraissent obtenir moins de résultats que dans les autres pays pour les efforts qu’elles déploient. On peut ainsi comprendre également pourquoi l’activité d’innovation est souvent le résultat d’une demande de la part des clients ou des fournisseurs, et pas d’une action spontanée de l’entreprise, et aussi pourquoi les entreprises qui innovent se regroupent souvent avec leurs homologues du même secteur, c’est-à-dire leurs concurrents potentiels, pour financer les projets innovants.

Enseignements pour l’action des pouvoirs publics

51La pertinence des conclusions de fond repose sur la précision et la validité de l’analyse du problème. Celui-ci se pose en termes simples : la quasi-totalité des indicateurs disponibles montrent que l’activité innovante est faible en Norvège ; or, la prospérité future du pays dépendra de plus en plus de l’innovation. Mais les politiques actuelles axées sur l’innovation octroient de fortes incitations financières aux entreprises privées, et il ne manque pas d’organismes publics capables de fournir informations et conseils. Qui plus est : la coopération pour la recherche entre les universités et le secteur des entreprises est désormais facilitée par le financement à long terme des centres de recherche et d’innovation qualifiés, dans le cadre du programme FORNY ; le brevetage des résultats de la recherche universitaire est officiellement encouragé, de même que la création de nouvelles entreprises par des universités ; d’ici à 2010, les pouvoirs publics comptent faire passer les dépenses de R-D à 3 % du PIB (2 % par le secteur privé, 1 % par le secteur public), soit près du double du niveau actuel ; le niveau d’études des Norvégiens, y compris en ce qui concerne la formation tertiaire, dépasse largement la moyenne OCDE, chez les hommes comme chez les femmes et à tous les âges ; les pénuries de qualifications ou de connaissances technologiques et les contraintes financières ne représentent pas pour les entreprises des obstacles majeurs à l’innovation.

52On peut donc penser que les politiques d’innovation en vigueur et les conditions-cadres importantes stimulent correctement l’innovation. Au vu des résultats, on pourrait même affirmer que les stimulants fiscaux sont excessifs – ou tout au moins qu’il ne semble pas souhaitable de les rendre plus généreux jusqu’à ce que des évaluations commencent à montrer qu’ils produisent le résultat voulu avec un bon rapport coût-efficacité. Des études actuelles fondées sur des bases de données au niveau de l’entreprise concernant les bénéficiaires d’aides laissent à penser que les programmes sont bien conçus (Hervik et autres, 2006). En particulier, l’objectif de porter les dépenses de R-D à 3 % du PIB dès 2010 est contestable. Il apparaît désormais difficile à atteindre même dans les meilleures circonstances et risque d’avoir des effets pervers sur le comportement des entreprises. À court terme, les rémunérations des chercheurs pourraient se trouver majorées, sans effets perceptibles sur les résultats. Il n’est guère raisonnable de viser un niveau quantitatif de dépenses de R-D à court terme, bien que l’on ait de bonnes raisons de chercher à l’accroître à long terme. Dans la mesure où les entreprises norvégiennes jugeront que leur survie dans des conditions rentables dépend d’une innovation plus intense, les dépenses de R-D augmenteront automatiquement.

53Il est clair que l’offre future de personnel de recherche qualifié commence à se réduire. Cette tendance peut refléter tout simplement les signaux du marché : si l’offre actuelle de personnel de recherche effectif ou potentiel très qualifié excède la demande correspondante des secteurs public et privé, les étudiants d’aujourd’hui ne seront guère incités à suivre une longue et difficile formation universitaire en mathématiques, sciences et technologie. La Norvège n’est pas le seul pays qui enregistre une baisse du nombre d’étudiants optant pour les disciplines scientifiques et techniques : le même phénomène est constaté dans des pays où les dépenses de R-D sont élevées. Il se peut donc qu’il y ait actuellement en Norvège (et dans d’autres pays de l’OCDE) un excédent global de personnel engagé dans des activités innovantes [21]. Mais il est important que l’offre future réponde à la demande future, qui sera nécessairement plus forte qu’aujourd’hui pour que les objectifs de politique économique soient atteints. Les diplômés de demain en mathématiques, sciences et technologie assureront une grande partie de la croissance à long terme du niveau de vie, et il faudra des enseignants qualifiés pour les former. Cela implique tout d’abord que ces personnels soient correctement rémunérés. Une plus grande différenciation entre les salaires des enseignants et professeurs de mathématiques, sciences et technologie et ceux des autres disciplines est souhaitable (et probablement nécessaire) ; du reste, ce besoin est officiellement reconnu. Toutefois, dans une société traditionnellement égalitaire, des mesures en ce sens pourraient se heurter à l’opposition des enseignants d’autres disciplines.

54Le marché des capitaux de la Norvège est moins développé qu’il ne pourrait l’être, du fait à la fois de la taille relativement réduite de l’économie nationale et de l’entreprise norvégienne moyenne, mais aussi de la forte présence de l’État actionnaire. L’octroi de financements aux nouvelles entreprises (capital-risque) s’accroît, mais à partir d’une base faible. Les réglementations empêchent ou dissuadent les fonds de pension, par exemple, d’investir en actifs de capital-risque ; il convient donc de les réviser. En particulier, on constate une nette pénurie de capital d’amorçage. Les tentatives faites pour y remédier dans le cadre de l’initiative Innovation Norvège n’ont pas été jusqu’ici très efficaces. En tout état de cause, il semble bien que ce sont les « semences » qui manquent et pas seulement le capital d’ensemencement. Les entrepreneurs sont rares, peut-être parce que le risque d’échec est aussi grand que partout ailleurs, alors que les gains obtenus en cas de réussite sont lourdement imposés.

55Une raison possible du niveau médiocre de l’activité innovante dans le secteur des entreprises (exception faite, comme toujours, du secteur pétrolier) est l’insuffisance de la concurrence entre entreprises. Pratiquement toutes les études empiriques récentes constatent que la croissance de la productivité et l’activité d’innovation sont positivement liées à la vigueur de la concurrence, qui est inférieure à la moyenne en Norvège. De précédentes Études de l’OCDE ont préconisé des mesures pour exposer les entreprises à une concurrence plus intense, par exemple par une réduction de la propriété publique dans l’économie de marché, tandis que les règles de concurrence devraient être appliquées plus souvent et plus strictement. Ce sera politiquement difficile à faire dans le contexte actuel de forte expansion des recettes pétrolières à l’exportation et de croissance vigoureuse de l’économie dans son ensemble. De fait, le nouveau gouvernement a annoncé son intention de maintenir les participations publiques à peu près à leur niveau actuel et il a annulé certaines décisions de l’Autorité de la concurrence dans des affaires de fusion. Le danger d’une « confiance excessive dans les ressources naturelles » (Sachs et Warner, 1995) est bien réel, et il augmente. Or, la richesse pétrolière ne contribuera pas indéfiniment à la croissance ; il serait regrettable que, le moment venu, la société ne soit pas préparée à relever de nouveaux défis.

Encadré 5.1. Recommandations d’action

  • Avant tout, il faut renforcer la politique de la concurrence et sa mise en œuvre et assouplir les réglementations des marchés de produits, tout en poursuivant la réduction des participations de l’État dans la production marchande. Il y a lieu de penser que les entreprises ne sont pas soumises à des pressions concurrentielles suffisantes pour les inciter à voir dans l’innovation un moyen manifeste de poursuivre leur activité de manière rentable.
  • Mettre en place de meilleures incitations dans le système éducatif. La baisse préoccupante du nombre d’étudiants optant pour des études mathématiques, scientifiques et techniques doit être enrayée. À cet effet, il faudra offrir de meilleures incitations aux personnes qualifiées pour qu’elles enseignent ces disciplines dans les établissements d’enseignement tertiaire et (surtout) secondaire. Outre les mesures actuelles, il faudrait envisager une différenciation des salaires.
  • Le système financier est relativement peu développé, en partie à cause des restrictions visant les catégories de placements que peuvent faire les compagnies d’assurances et les fonds de pension. Ces restrictions devraient être assouplies. Le faible montant des capitaux d’amorçage disponibles pour les créations d’entreprises reflète peut-être à la fois ces restrictions et un climat d’aversion pour le risque. Les tentatives faites par le secteur public (avec l’initiative Innovation Norvège) pour accroître les emprunts de capitaux d’amorçage n’ont pas été très concluantes, apparemment parce que la conditionnalité des prêts était trop restrictive. Si l’on souhaite aller plus loin dans cette voie, il faudrait alléger la conditionnalité.
  • Resserrer encore les liens entre recherche publique et recherche privée. Les réformes récentes destinées à faciliter le transfert de technologie par les chercheurs universitaires sont très opportunes, mais il faut les suivre de près pour assurer leur efficacité et leur efficience. Des mesures supplémentaires s’imposent pour encourager les partenariats entre chercheurs universitaires et chercheurs d’entreprise. Cela pourrait exiger une attitude plus volontariste de la part des universitaires, mais aussi des mécanismes permettant de détacher des salariés du secteur public dans le secteur privé pendant des périodes déterminées sans les exposer à des risques financiers, et notamment à l’érosion de leurs droits à pension
  • Les crédits d’impôt et les subventions à la R-D du secteur privé semblent suffisamment généreux pour les PME. Il serait envisageable de relever les plafonds du dispositif Skattefunn qui affaiblissent les incitations principalement pour les grandes entreprises, si les évaluations menées montrent que l’additionnalité est significative. Les autorités devraient évaluer en continu l’efficacité des politiques actuelles de la science, de la technologie et de l’innovation pour faire en sorte que les instruments actuels répondent aux besoins.
  • Objectifs de long terme pour les dépenses de R-D en pourcentage du PIB. Rechercher des mécanismes pour remplacer les actuels objectifs chiffrés de dépenses de R-D qui arrivent bientôt à expiration. L’augmentation effective des dépenses de R-D dépend de la vitesse à laquelle les ressources supplémentaires peuvent être utilement absorbées par le secteur des entreprises. À long terme, des réformes appropriées aboutiraient probablement à une hausse spontanée de ces dépenses sous l’impulsion de la demande.

Bibliographie

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  • Sachs, J. et A. Warner (1995), « Natural Resource Abundance and Economic Growth », NBER Working Paper n° W5398, décembre.

Mise en ligne 01/09/2009

Notes

  • [1]
    Le Fonds pour la recherche est constitué sous la forme d’un compte auprès de la Banque de Norvège, auquel le Storting a affecté 1.7 milliard d’euros supplémentaires en 2006, le capital total étant ainsi porté à environ 6.2 milliards d’euros.
  • [2]
    Les études publiées montrent bien que les programmes fiscaux de ce type décollent lentement (voir Bloom et autres, 2002) ; en outre, il y a eu une réduction des dépenses au titre des subventions à la R-D industrielle au moment où le Skattefunn a été lancé.
  • [3]
    L’échantillon comprend tous les pays de l’OCDE plus 10 pays non membres se trouvant à des stades différents de développement. Les résultats de l’enquête PISA classent la Norvège nettement au-dessous de 14 pays de l’OCDE, mais avant les États-Unis, l’Italie, la Grèce, le Portugal, la Turquie et le Mexique.
  • [4]
    TIMSS est le sigle qui correspond à « Trends in International Mathematics and Science Study », enquête réalisée par l’Association internationale pour l’évaluation de l’enseignement (IEA).
  • [5]
    La situation est contrastée pour les disciplines scientifiques en Norvège, avec certains points forts, mais aussi plusieurs points faibles. Toutefois, la tendance est favorable depuis une dizaine d’années, avec un développement relativement rapide des TIC et un nombre croissant de publications et de citations dans les revues spécialisées.
  • [6]
    Les membres de l’organisme suédois équivalent, la SVCA, gèrent près de 10 fois plus de financements pour un pays dont l’économie ne représente qu’environ deux fois l’économie norvégienne. On estime que la SVCA suédoise lèvera plus de 4 milliards d’euros à la fin de 2006.
  • [7]
    Le Tableau de bord européen de l’innovation est une initiative de la Commission européenne (DG5). Il peut être consulté sur le site de Trend Chart à l’adresse : http:// trendchart. cordis. lu/ tc_innovation_scoreboard. cfm.
  • [8]
    Le chiffre est inférieur à la moyenne même si on l’exprime en proportion du PIB continental.
  • [9]
    Les résultats de l’Enquête communautaire sur l’innovation de 2005 ne sont pas exceptionnels : la Norvège a obtenu un score relativement faible dans le passé pour ces indicateurs de l’enquête. Selon des calculs reposant sur les résultats passés et actuels obtenus par la Norvège dans le cadre de l’Enquête communautaire sur l’innovation, il faudrait à la Norvège 20 ans pour rattraper la moyenne de l’UE, qui est elle-même actuellement inférieure de 50 à 80 % aux résultats qu’obtiennent les pays en tête comme la Suède, la Finlande, le Japon et les États-Unis.
  • [10]
    Les tableaux détaillés de l’Enquête communautaire sur l’innovation (CIS4) sont disponibles pour la Norvège, avec des informations par secteur et par taille, à l’adresse : www. ssb. no/ english/ subjects/ 10/ 03/ innov_en/ .
  • [11]
    Plus précisément, 10 indicateurs sont fortement corrélés au premier facteur, et expliquent 45 % de la variance : ces 10 indicateurs mesurent tous l’élaboration des connaissances. Quatre indicateurs différents mesurant l’application des connaissances sont fortement corrélés au second facteur, et expliquent 21 % de la variance. La contribution des autres indicateurs est très faible.
  • [12]
    On peut être tenté de considérer que la Norvège est riche essentiellement grâce à son patrimoine pétrolier. Mais le PIB continental de la Norvège représente environ 75 % du PIB total aux prix actuels du pétrole, très élevés, ce qu’on peut interpréter comme la limite basse du véritable PIB « non pétrolier », car au moins une partie des ressources utilisées dans le secteur non continental ont d’autres usages sur le continent. La Norvège est parvenue à éviter le pire du « syndrome néerlandais », qui se manifeste par le phénomène suivant : les exportations de ressources à faible coût mais à prix élevés font monter le taux de change et évincent le secteur traditionnel des biens exportables, ce qui aboutit à un chômage structurel de grande ampleur. Il pourrait être plus difficile d’éviter la « malédiction des ressources naturelles » (Sachs et Warner, 1995) par laquelle la rente tirée des ressources naturelles incite à l’autosatisfaction et à une dépendance excessive à l’égard des largesses de l’État, et décourage l’investissement en capital humain (voir le premier chapitre).
  • [13]
    Comme au Danemark, le marché du travail se caractérise en Norvège par une forte flexibilité, un faible niveau de protection de l’emploi et une généreuse indemnisation du chômage subordonnée à une recherche active d’emploi. Ces caractéristiques du marché du travail peuvent contribuer à expliquer le niveau élevé de la PTF.
  • [14]
    Malgré tout, parce que les petites entreprises sont beaucoup plus nombreuses que les grandes entreprises, les dépenses totales de R-D de la première catégorie sont pratiquement similaires à celles de la deuxième catégorie.
  • [15]
    Le secteur pétrolier est très probablement une exception, même si les dépenses de R-D enregistrées ne sont pas élevées. Mais cela pourrait résulter en partie d’un problème de classification. La construction des plates-formes pétrolières géantes dans les eaux profondes et hostiles de la mer du Nord est autant une activité de « développement » qu’un investissement pur et simple.
  • [16]
    Les notations de l’OCDE pour la technologie ne s’appliquent qu’au secteur manufacturier et dépendent du rapport entre les dépenses de R-D et la valeur ajoutée.
  • [17]
    Les opérations du Fonds national pour les retraites font en sorte que la plupart des recettes provenant de l’exportation du pétrole n’alimentent pas directement les revenus courants. Mais il y a néanmoins un impact (voir le premier chapitre).
  • [18]
    L’enquête annuelle UBS sur les prix et les salaires classe Oslo, Copenhague et Tokyo parmi les trois villes les plus chères.
  • [19]
    Néanmoins, on notera que des appels d’offres sont requis pour les marchés d’Etat et municipaux d’un montant supérieur à 500 000 NOK (environ 60 000 euros), ce qui est très inférieur aux prescriptions UE/EEE.
  • [20]
    Comme on l’a indiqué précédemment, il faut interpréter avec prudence toute comparaison des résultats de l’Enquête communautaire sur l’innovation ; en effet, il est obligatoire de répondre à cette enquête en Norvège, mais ce n’est pas le cas en Allemagne ou en Suède. On peut considérer que, dans ces deux derniers pays, les entreprises qui n’innovent pas sont moins enclines à répondre à l’enquête.
  • [21]
    Les entreprises ayant répondu à l’enquête CIS4 ne considèrent pas que les difficultés pour trouver des chercheurs qualifiés constituent un important frein à l’accroissement des dépenses de R-D.
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