Notes
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[1]
pasquier@dial.prd.fr ; DIAL 4 rue d’Enghien 75 010 Paris.
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[2]
Pour une revue de littérature sur le sujet, se référer à Haveman et Wolfe (1995).
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[3]
Il aurait été souhaitable de comparer la profession des femmes à celle de leur mère, la mère étant le principal référent potentiel de ces premières. Cependant, comme toutes les études sur la mobilité sociale, on est alors confronté à une perte d’observations trop importante du fait du faible taux d’activité des mères. Le choix méthodologique de prendre le père comme référent a pour conséquence de sous-évaluer en général la mobilité des femmes.
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[4]
Il n’est pas possible de pouvoir distinguer des sous-secteurs à l’intérieur du secteur informel car nous n’avons pas à notre disposition les informations nécessaires pour le père.
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[5]
Lomé et Cotonou font figure d’exception. Dans ces villes, les distances sociales entre les secteurs sont quasiment les mêmes. De plus, à Cotonou, avoir un père travaillant dans le secteur public n’offre pas un avantage dans l’atteinte du secteur public relativement à avoir un père travaillant dans le secteur privé formel : deux individus dont les pères travaillaient respectivement dans le secteur privé formel et dans le secteur public ont 1,7 fois plus de chances (=1/0,6) d’échanger leur position que de travailler dans le même secteur que leur père. Ce résultat peut s’expliquer par la décroissance particulièrement forte qu’à connu le secteur public entre les deux générations. À Niamey, le secteur privé formel est plus proche du secteur informel que du secteur public.
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[6]
Modèle log-multiplicatif « Uniform Difference », introduit dans la littérature par Erikson et Goldthorpe (1992), Xie (1992).
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[7]
Cette opposition entre villes côtières et villes enclavées est robuste au changement de la définition du secteur informel : si nous définissons le secteur informel de l’enquêté de façon identique à la façon dont il est défini pour les pères, à savoir travailler dans une micro-entreprise, pour un ménage ou à son compte, Ouagadougou, Niamey et Bamako s’opposent par leur degré d’inégalité des chances élevé à Cotonou, Lomé, Dakar et Abidjan, avec une frontière qui toutefois se confond pour Abidjan.
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[8]
Le groupe des Akan comprend notamment les ethnies Baoulé, Agni, Ebrié, celui des Krou les ethnies Bété, Krou et Bakoué, celui des Mandés du Sud les ethnies Gouro, Dan et Gagou. Ces groupes sont ici opposés à ceux des Mandés du Nord (Dioula, Malinké, Koro, etc.) et au groupe ethnique Voltaïque (Koulango, Lobi, Birifor, etc.).
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[9]
Gazibo, 2009.
-
[10]
Hamani Diori de 1960 à 1974 ; Seyni Kountché de 1974 à 1987 ; Ali Saïbou de 1987 à 1993.
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[11]
Le odd, ou en français la côte, est le rapport de deux probabilités complémentaires. Il s’agit dans ce cas de la probabilité de travailler dans le secteur public divisée par la probabilité de ne pas travailler dans le secteur public.
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[12]
Présidents du Togo de 1967 à nos jours.
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[13]
Président du Bénin entre 1972 et 1991 et entre 1996 et 2006.
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[14]
Modèle log-multiplicatif « Uniform Difference », introduit dans la littérature par Erikson et Goldthorpe (1992), Xie (1992).
Introduction
1L’Afrique est la région du monde, après l’Amérique latine, où les inégalités de revenus sont les plus élevées (Banque mondiale, 2005). Et comme dans la plupart des pays en développement, le revenu provient pour la grande majorité des ménages africains de leur force de travail. Comprendre les inégalités en Afrique suppose par conséquent de s’intéresser à leur dynamique sur le marché du travail.
2Lorsque l’on s’intéresse aux inégalités surgit la question de leur équité. Toutes les inégalités sont-elles injustes ? Doivent-elles être systématiquement corrigées ? S’il n’y a pas consensus sur cette question, les théories de la justice s’accordent pour dire qu’une société est d’autant plus juste que chacun y a les mêmes chances de réussir. Dans son ouvrage fondateur « A Theory of Justice » (1971), John Rawls définit ainsi le principe d’égalité des chances « en supposant qu’il y a une répartition des atouts naturels, ceux qui sont au même niveau de talent et de capacité et qui ont le même désir de les utiliser devraient avoir les mêmes perspectives de succès, ceci sans tenir compte de leur position initiale dans le système social » (p. 104). D’après ce principe, plus le positionnement sur le marché du travail dépend de l’origine sociale et moins une société peut être considérée comme juste. En plus de répondre à un objectif de justice sociale, l’égalité des chances sur le marché du travail répond à un critère d’efficacité économique, comme le souligne le rapport sur le développement de la Banque mondiale de 2006, qui place la réduction de l’inégalité des chances au cœur des politiques de développement. Réduire les inégalités des chances sur le marché du travail permet en effet une meilleure allocation du capital humain, à savoir là où ses rendements sont les plus élevés.
3L’objectif de cet article est double. Il vise tout d’abord à comparer le degré d’inégalité des chances sur le marché du travail dans sept capitales économiques ouest-africaines. Cette comparaison permet d’identifier les caractéristiques des pays présentant les degrés les plus élevés d’inégalité des chances et d’apporter des éléments pour évaluer les différentes thèses expliquant les différences entre les pays en termes d’inégalités des chances.
4La théorie libérale de la mobilité sociale (Parsons 1960, Blau et Duncan 1967, Treiman 1970) prédit que les sociétés les plus développées et les plus modernes sont celles où les inégalités des chances sont les plus réduites. Selon cette théorie, plus une société est industrialisée et plus les critères de sélection sur le marché du travail sont méritocratiques, à travers notamment l’accroissement de la demande pour le travail qualifié ou de l’urbanisation qui créé une mobilité géographique et diminue le sentiment de communauté. À l’inverse, selon l’hypothèse de Featherman, Jones et Hauser (1975), les sociétés caractérisées par une économie de marché, ne devraient pas se distinguer en termes de degré d’inégalité des chances. Cependant, du fait de la rareté des données, les tests empiriques à ces théories n’intègrent que des pays développés (Erikson et Goldthorpe 1992). Quelques rares études intègrent dans leur base de données un nombre très faible de pays en développement (Grusky et Hauser 1984, Ganzeboom, Luijkx et Treiman 1989) mais en leur appliquant la même stratification sociale que celle des pays développés. Or comme l’ont montré plusieurs auteurs, cette stratification n’est pas à même de prendre en compte la spécificité du marché du travail des pays en développement, caractérisé par une prédominance du secteur informel (Benavides 2002, Pasquier-Doumer 2010a). Concernant l’Afrique, il n’existe à notre connaissance que trois études comparatives sur la dynamique des inégalités. Ces trois études sont celles de Bossuroy et Cogneau (2008), de Cogneau et al. (2007) et de Cogneau et Mesplé-Somps (2008). Toutes trois utilisent les mêmes données, à savoir des enquêtes représentatives de cinq pays africains, le Ghana, l’Ouganda, la Côte d’Ivoire, la Guinée et Madagascar. Alors que la troisième s’intéresse à l’inégalité des chances en termes de revenus, les deux premières traitent de la mobilité sociale. Elles se heurtent toutefois à la comparabilité des classifications professionnelles dans les différentes enquêtes, en particulier pour l’activité du père, obligeant les auteurs à agréger fortement ces classifications pour ne retenir que deux groupes, les activités agricoles et les activités non agricoles.
5Les données utilisées dans cet article, en portant sur sept capitales ouest-africaines et en étant parfaitement comparables, permettent d’apporter un nouveau regard sur cette littérature comparative, mais aussi d’identifier dans lequel des sept pays des politiques visant à réduire les inégalités des chances sont les plus prioritaires.
6Le deuxième objectif de cet article est d’évaluer pour chacune des villes si l’origine sociale agit directement sur le positionnement sur le marché du travail ou si son effet est indirect, à travers l’éducation. Les littératures économique et sociologique montrent l’existence de plusieurs mécanismes à l’origine d’une transmission intergénérationnelle de la position sur le marché du travail. La situation professionnelle des parents peut avoir un effet direct sur celle de leurs enfants à travers la transmission de capital physique, humain ou encore social. La situation professionnelle des parents peut leur permettre d’accumuler du capital physique qu’ils peuvent ensuite transmettre à leurs enfants. Or, dans un contexte de contrainte du crédit, l’héritage d’un capital physique conditionne l’accès aux catégories socio-professionnelles qui nécessitent un investissement initial (Banerjee et Newman, 1993). Les parents accumulent ensuite à travers leur profession du capital humain, tel qu’un savoir-faire ou un patrimoine informationnel, qui procure la connaissance d’un milieu professionnel et des actions optimales à mener lorsqu’on y évolue ou encore la connaissance sur ses capacités à exercer certaines professions. La transmission de ce capital humain peut conduire les individus à choisir la même profession que leurs parents (Hassler et Mora 2000, Galor et Tsiddon 1997, Sjögren 2000). Les parents peuvent enfin acquérir dans l’exercice de leur profession un capital social, en particulier un réseau social ou des valeurs liées à une profession qu’ils peuvent transmettre à leurs enfants, leur facilitant ainsi l’accès à cette profession (Lin, Vaugh et Ensel 1981).
7Mais la situation professionnelle des parents peut également avoir un effet indirect, en déterminant le niveau d’éducation de leurs enfants, qui à son tour conditionne la situation professionnelle de ces derniers [2].
8Les implications en termes de politiques publiques sont très différentes dans les deux cas. Dans le premier cas, les politiques visant à égaliser les chances doivent agir directement sur le marché du travail, dans le second cas, elles doivent agir en amont, sur le système éducatif.
9La première partie de cet article est consacrée à la présentation du contexte, des données et des concepts utilisés. Dans la deuxième, nous comparons les différents degrés d’inégalités des chances des sept capitales et testons si l’hypothèse de Featherman, Jones et Hauser se vérifie dans le contexte africain. Dans la troisième partie, nous cherchons à savoir si l’inégalité des chances observée sur le marché du travail s’explique par l’effet de l’origine sociale sur l’éducation ou par un effet direct de l’origine sociale sur la position sur le marché du travail. La dernière partie présente les conclusions.
1 – Contexte, données et concept
10Cette étude s’intéresse aux capitales économiques des sept pays francophones de l’Union économique et monétaire Ouest-Africaine (UEMOA), à savoir Abidjan, Bamako, Dakar, Cotonou, Lomé, Niamey et Ouagadougou.
11Le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Sénégal et le Togo, tous quatre pays côtiers, présentent au moment où ont lieu les enquêtes utilisées dans cette étude, un niveau de richesse supérieur aux pays enclavés que sont le Burkina Faso, le Mali et le Niger. Cette distinction entre les pays côtiers et les pays enclavés est encore plus marquée lorsqu’il s’agit de l’indice de développement humain. Le Burkina Faso, le Mali et le Niger font également face à une malnutrition et un analphabétisme plus élevés (Tableau 1).
Indicateurs de développement
Indicateurs de développement
12Les données utilisées sont pour chaque pays la phase 1 des enquêtes 1-2-3 menées en 2001-2002 dans les capitales économiques des pays de l’UEMOA. Ces enquêtes permettent de connaître pour chaque enquêté le niveau d’éducation du père mais aussi la catégorie socio-professionnelle, le type d’entreprise ainsi que la branche d’activité du père quand l’enquêté avait 15 ans. Un tel niveau de détail sur la situation professionnelle du père est très rare dans les pays en développement. Les formulations des questions ainsi que les modalités de réponses sont en outre identiques d’une ville à l’autre, ce qui permet une comparaison robuste des villes. La spécification de l’âge de l’enquêté au moment où le père exerçait l’activité décrite, à savoir 15 ans, permet de s’assurer que tous les pères étaient plus ou moins dans la même période de leur cycle de vie. La comparabilité entre l’activité des individus et celle de leur père est garantie si les individus se situent à la même période de leur cycle de vie que leur père. C’est pourquoi nous avons retiré de l’échantillon tous les individus de moins de 35 ans en supposant qu’avant cet âge, ils n’ont pas encore atteint la maturité professionnelle de leur père quand ils avaient 15 ans. En ne gardant que les actifs occupés et dont le père travaillait, nous disposons alors d’environ 1 500 observations par ville.
13Le degré d’inégalité des chances est défini ici comme l’association nette entre la position sur le marché du travail des individus et celle de leur père, c’est-à-dire l’association indépendamment de l’évolution structurelle du marché du travail [3]. Elle traduit les chances relatives, selon le milieu social d’origine, d’atteindre telle ou telle position sociale et est mesurée par les rapports de chances relatives, en anglais odds ratio. Cette mesure de l’inégalité des chances est également appelée fluidité sociale dans la littérature sociologique.
14La position sur le marché du travail est définie par le secteur institutionnel, afin de prendre en compte la spécificité du marché du travail ouest-africain, à savoir l’importance du secteur informel (Tableau 2) et la segmentation observée entre secteur formel et secteur informel (Brilleau, Roubaud et Torelli 2005, Kuepie, Nordman et Roubaud 2009). L’approche de la position sur le marché du travail par le secteur institutionnel ne permet d’appréhender qu’imparfaitement les multiples dimensions des conditions d’emploi, en particulier celles du travail décent (Ghai 2003), même si en moyenne, les conditions d’emploi sont nettement plus défavorables dans le secteur informel que dans le secteur formel dans les sept capitales étudiées (Bocquier, Nordman et Vescovo 2010). Les individus enquêtés sont considérés comme exerçant une activité dans le secteur informel s’ils travaillent dans une entreprise non enregistrée. Nous ne savons pas en revanche si l’entreprise dans laquelle travaillait le père était ou non enregistrée. C’est pourquoi nous avons considéré que les pères exerçaient dans le secteur informel s’ils travaillaient dans une micro-entreprise, une entreprise associative, pour un ménage ou à leur compte. Si l’on applique cette même définition aux enquêtés et que nous la comparons à celle qui prend en compte l’enregistrement, nous trouvons que ces deux définitions convergent dans 91 % des cas. Par ailleurs, l’ensemble des résultats obtenus par la suite sont robustes si l’on considère pour les enquêtés la même définition du secteur informel que celle des pères. Nous avons ensuite différencié au sein du secteur formel les travailleurs du secteur public et parapublic de ceux du secteur privé formel. Les trois secteurs considérés sont donc le secteur public et parapublic, le secteur privé formel et le secteur privé informel [4].
Répartition des actifs occupés selon le secteur institutionnel
Répartition des actifs occupés selon le secteur institutionnel
2 – Comparaison des villes selon leur degré d’inégalité des chances
15Les villes se caractérisant par des distributions et des évolutions différentes des trois secteurs institutionnels, classer ces villes selon leur degré d’inégalité des chances consiste à mesurer le lien entre le secteur institutionnel de l’enquêté et celui de son père, observé indépendamment des distributions des actifs parmi les enquêtés et leur père. C’est ce que permettent les rapports de chances relatives, qui donnent une mesure de l’association statistique entre deux variables indépendamment des distributions marginales. Plus précisément, ils représentent l’inégalité relative entre deux individus, dont le père exerçait respectivement dans le secteur i et le secteur i’, pour atteindre le groupe j’ plutôt que j :
16 où nij est le nombre d’observations dans la cellule (i, j) de la matrice de transition dont les lignes i représentent les trois secteurs institutionnels du père et les colonnes j les secteurs institutionnels de l’enquêté.
17La chance d’atteindre un secteur j’ plutôt que j est fois supérieure pour un individu dont le père travaillait dans le secteur i’ que pour un individu dont le père exerçait dans le secteur i. Si le rapport des chances relatives vaut 1, il y a égalité des chances entre deux individus ayant des pères travaillant respectivement dans les secteurs i et i’. Plus le rapport s’éloigne de 1 et plus l’inégalité des chances est élevée et la distance sociale entre deux secteurs institutionnels est grande. Le graphique 1 présente pour les sept villes les rapports des chances relatives entre le secteur public et le secteur privé formel, entre le secteur public et le secteur informel et enfin entre le secteur privé formel et le secteur informel.
Rapports des chances relatives entre les trois secteurs institutionnels
Rapports des chances relatives entre les trois secteurs institutionnels
Note : Pour chaque ville, la valeur centrale, représentée par un losange, correspond au rapport des chances relatives. Les bornes inférieure et supérieure, représentées par un segment, correspondent aux bornes d’un intervalle de confiance à 90 %.18Avant de présenter le classement des villes, il est intéressant de constater que le secteur privé formel se trouve généralement à égale distance sociale du secteur public et du secteur informel, ces deux secteurs étant les plus éloignés socialement [5].
19Si l’on compare les villes, deux groupes de villes s’opposent. L’inégalité des chances entre deux individus issus du secteur public et du secteur privé formel est significativement plus importante à Niamey et Ouagadougou qu’à Cotonou, Abidjan et Dakar. A Niamey, avoir un père dans le secteur public multiplie par 4 les chances de travailler dans le public par rapport à avoir un père dans le secteur privé formel. Ce rapport n’est que de 1,1 à Abidjan, signifiant une quasi-égalité des chances dans l’accès au secteur privé formel entre des individus « originaires » du public et ceux du privé. Les mêmes groupes se retrouvent lorsqu’il s’agit de l’inégalité des chances entre individus issus du secteur public et du secteur informel, à la différence que Bamako rejoint le groupe des villes les plus inégalitaires. Concernant la distance sociale entre le secteur privé formel et informel, les différences entre pays ne sont pas significatives, si ce n’est que Ouagadougou est significativement plus inégalitaire qu’Abidjan et Dakar.
20La modélisation log-linéaire UniDiff [6] permet de synthétiser ces résultats et de proposer un classement des villes en prenant en compte simultanément ces trois dimensions. Elle permet en effet de donner une mesure synthétique de la façon dont l’association entre deux variables qualitatives – le secteur de l’enquêté et celui du père – diffère selon une troisième variable, la ville. Cette mesure synthétique est appelée paramètre ? ou encore paramètre d’intensité. Cette modélisation est présentée plus en détail en annexe. L’évolution du paramètre d’intensité résume donc le degré d’inégalité des chances dans l’accès à un secteur institutionnel. Par convention, on fixe la valeur du paramètre à 1 pour Dakar. Un paramètre supérieur à 1 (respectivement inférieur à 1) signifie un degré d’inégalité des chances plus élevé (respectivement moins élevé). Cette modélisation fait l’hypothèse que tous les rapports des chances relatives (odds ratios) augmentent avec la même intensité ?k entre Dakar et l’autre ville k considérée, et ceci pour les trois secteurs institutionnels. Les paramètres de chaque ville sont présentés dans le graphique 2. La significativité des différences entre chacun des paramètres a été systématiquement testée, ce qui a permis de définir des groupes de villes, représentés sur le graphique.
Paramètres d’intensité du lien entre secteur institutionnel des individus et de leur père (paramètres béta du modèle UniDiff)
Paramètres d’intensité du lien entre secteur institutionnel des individus et de leur père (paramètres béta du modèle UniDiff)
Lecture : le paramètre d’intensité d’Abidjan n’est pas significativement différent de celui de Lomé ou de Bamako mais est significativement différent de celui de Niamey. Celui de Bamako n’est pas significativement différent de celui de Niamey ou d’Abidjan mais est significativement différent de celui de Lomé.21Cette analyse montre que les sept capitales d’Afrique de l’Ouest offrent des chances bien différentes dans l’accès aux secteurs institutionnels. Là encore, deux groupes de villes émergent. Les villes côtières Dakar, Cotonou, Lomé, Abidjan forment le premier groupe. Elles ont en commun un faible degré d’inégalité des chances relativement aux autres villes. À l’inverse, Bamako, Niamey, Ouagadougou ont un degré d’inégalité des chances presque 2/3 plus élevé que celui de l’autre groupe. La frontière entre les deux groupes se confond pour Abidjan et Bamako [7].
22Les villes présentant le plus d’inégalité des chances appartiennent toutes les trois à des pays enclavés, présentant les plus faibles niveaux de richesse et de développement humain (Tableau 1). Les niveaux d’éducation et d’alphabétisation y sont les plus bas. À l’inverse, les taux de mortalité ou de malnutrition y sont les plus élevés. L’urbanisation y est plus faible qu’ailleurs puisque la population rurale représente une part beaucoup plus importante de la population qu’au Bénin, en Côte d’Ivoire, au Sénégal ou au Togo. Les indices de fécondité y sont de plus supérieurs d’au moins un point à ceux observés dans les quatre autres pays.
23Ces résultats semblent rejoindre la théorie libérale de la mobilité sociale selon laquelle plus une société est développée et plus l’inégalité des chances y est faible. À l’inverse, l’hypothèse de Featherman, Jones et Hauser ne se vérifie pas, contrairement à ce que l’on observe dans la plupart des pays développés.
3 – Le rôle de l’éducation dans l’inégalité des chances d’accéder aux secteurs institutionnels
24L’analyse précédente propose une vision globale de l’inégalité des chances dans l’accès aux différents secteurs institutionnels. Elle ne prend cependant en compte qu’une seule dimension de l’origine sociale, le secteur institutionnel du père. Elle ne donne ensuite aucune information sur le lien causal entre le secteur institutionnel du père et celui de ses enfants. L’effet du secteur institutionnel du père est-il direct ou bien détermine-t-il le niveau d’éducation des individus qui à son tour va influer sur l’accès à un secteur institutionnel ?
25Cette partie vise à affiner les résultats précédents en considérant une définition plus large de l’origine sociale incluant le lieu de naissance et l’ethnie et en tenant compte du niveau d’éducation des individus, afin d’éclaircir par quel canal transite l’effet de l’origine sociale sur l’accès à un secteur institutionnel. Le choix de ces deux dimensions supplémentaire de l’origine sociale se justifie par le fait que toutes deux constituent des éléments de « la position initiale dans le système social » pour reprendre les termes de J. Rawls. Ces dimensions ont également été retenues par Bourguignon et al. (2007) pour approcher les « circonstances » des individus, dans une conception de l’inégalité des chances qui rejoint celle de J. Roemer (1998).
26Pour répondre à cet objectif, nous estimons dans un premier temps pour chaque ville un modèle logit expliquant la probabilité d’accéder à un secteur institutionnel plutôt qu’aux deux autres en fonction de trois dimensions de l’origine sociale (le secteur institutionnel du père, le lieu de naissance et l’ethnie), tout en contrôlant par le sexe et l’âge des enquêtés. Il s’agit du modèle 1 pour l’accès au secteur public, du modèle 3 pour l’accès au secteur privé formel et du modèle 5 pour l’accès au secteur informel. Notons que l’ethnie est mesurée ici comme l’appartenance à l’ethnie la plus représentée dans la ville, à l’exception de la Côte d’Ivoire où la référence est d’appartenir aux groupes ethniques des Akan, des Krou ou des Mandés du Sud [8] afin de tester l’hypothèse d’une division sociale du travail basée sur « l’ivoirité ». Dans un second temps, nous estimons les mêmes modèles mais en incluant le niveau d’éducation des enquêtés. Ce sont les modèles 2, 4 et 6 pour respectivement l’accès au secteur public, au secteur privé formel et au secteur informel. Si dans ces modèles l’origine sociale a toujours un effet significatif, cela signifie qu’elle a un effet direct sur l’accès aux secteurs institutionnels. Si l’effet n’est plus significatif, alors l’effet de l’origine sociale est indirect puisqu’il influence le niveau d’éducation atteint qui lui-même détermine le secteur institutionnel. Les tableaux 3 à 5 présentent les rapports des chances relatives obtenus par l’estimation de ces modèles logit.
3.1 – Accès au secteur public
27Les modèles 2 (Tableau 3) montrent que dans toutes les villes à l’exception de Bamako, avoir un père exerçant dans le secteur public n’a pas d’effet direct dans l’accès à ce secteur. En effet, lorsque le niveau d’éducation est pris en compte, l’effet d’avoir un père dans le secteur public relativement à avoir un père dans le secteur informel n’est plus significatif. Ainsi, l’accès au secteur public, qui valorise le plus l’éducation et attire les plus éduqués (Kuepie, Nordman et Roubaud 2008, Dimova, Nordman et Roubaud 2008), ne dépend de la position du père sur le marché du travail qu’à travers l’effet de cette position sur le niveau d’éducation atteint par les travailleurs. A Bamako, en revanche, on observe un effet direct de la position du père sur l’accès au secteur public : toutes choses égales par ailleurs, avoir un père ayant exercé dans le secteur public augmente de 2,3 les chances de travailler dans le secteur public, par rapport à avoir un père travaillant dans le secteur informel. Ainsi, à Bamako, le degré élevé d’inégalité des chances s’explique en partie par une transmission intergénérationnelle pour les enfants de travailleurs dans le secteur public d’un capital humain autre que l’éducation (connaissance d’un milieu professionnel, savoir-faire, goût pour le secteur public, etc.), ou encore d’un capital social.
28Parmi les autres villes présentant un fort degré d’inégalité des chances, Niamey se caractérise par le rôle significatif de l’ethnie dans l’accès au secteur public. Appartenir à l’ethnie Djerma augmente en effet ses chances d’accéder au secteur public, et ce quels que soient son niveau d’éducation, son sexe, son lieu de naissance ou l’activité de son père. À l’inverse, cela diminue significativement la probabilité d’intégrer le secteur informel (modèle 6 du Tableau 5). Les Djerma, bien que minoritaires dans le pays (22 % de la population contre 56 % pour les Haoussa [9]), occupent la partie ouest du pays et sont par conséquent l’ethnie la plus représentée à Niamey. Les Djerma sont par ailleurs les premiers à avoir occupé les postes de cadres dans l’administration et l’armée coloniales. C’est également de cette ethnie que sont issus les trois dirigeants à la tête du Niger depuis l’indépendance jusqu’en 1993 [10].
29Dans la dernière ville appartenant au groupe des villes les plus inégalitaires à l’aune du critère de l’inégalité des chances, Ouagadougou, l’origine sociale n’a plus d’effet significatif une fois l’éducation prise en compte. Ainsi, le degré d’inégalité des chances particulièrement élevé observé à Ouagadougou s’explique par la transmission intergénérationnelle des niveaux d’éducation. C’est en effet dans cette ville que le degré d’inégalité des chances en termes d’éducation est le plus élevé relativement aux six autres villes : il est le double de celui observé à Cotonou, Dakar et Lomé et un tiers plus élevé qu’à Abidjan, Bamako et Niamey (Pasquier-Doumer 2010b).
30Parmi les villes du groupe dont le degré d’inégalité des chances sur le marché du travail est le plus faible, Abidjan, qui se situe à la frontière de ce groupe, connaît un effet significatif de l’ethnie sur l’accès au secteur public. Appartenir aux groupes ethniques des Akan, des Krou et des Mandés du Sud augmente significativement les chances d’atteindre le secteur public – elles sont multipliées par 1,4 – par rapport à ceux qui appartiennent aux groupes ethniques des Mandés du Nord ou des Voltaïques. Ce résultat va dans le sens de la thèse d’une division sociale du travail basée sur « l’ivoirité » et qui oppose les ethnies dites autochtones du Sud aux ethnies dites allogènes du Nord : « Sous le régime d’Houphouët-Boigny, (…) en milieu urbain, l’intégration économique et sociale des étrangers se faisait de manière relativement aisée, sous la forme d’une division sociale du travail, héritée de la politique de mise en valeur coloniale, qui pouvait se résumer par la formule suivante : aux Ivoiriens “de souche” (selon les mots en vigueur aujourd’hui pour désigner les populations du Sud), les emplois salariés dans l’administration et les grandes entreprises publiques ou parapubliques ; aux étrangers et aux ressortissants du Nord (notamment dioula), le petit commerce, le transport et les petits métiers du secteur informel. » (Banegas 2009).
Estimation logit des effets de l’origine sociale sur l’accès au secteur public [11]
Estimation logit des effets de l’origine sociale sur l’accès au secteur public [11]
31À Cotonou et à Lomé, le secteur public est plus ouvert, toutes choses égales par ailleurs, aux migrants, définis comme les individus nés en dehors de la ville. Ce résultat n’est pas très intuitif. On s’attendrait plutôt à ce qu’être né dans la ville permette de générer un capital social qui favorise l’entrée dans le secteur public. Ce résultat peut s’interpréter comme un favoritisme envers les individus issus de certaines régions dans le recrutement dans le secteur public. En comparant, parmi les individus migrants occupés la distribution des secteurs institutionnels selon le département de résidence avant migration à la capitale, on note que les préfectures où la part du secteur public est surreprésentée sont Kozah, pour le Togo, préfecture d’origine des présidents Gnassingbé Eyadéma père et fils [12], et Natitingou pour le Bénin, département de naissance du président Mathieu Kérékou [13].
3.2 – Accès au secteur privé formel
32Parmi les villes ayant le degré d’inégalité des chances le plus élevé, seule Niamey est caractérisée par un effet direct de la position du père dans le secteur privé formel dans l’accès à ce secteur (modèle 4, Tableau 4). Dans cette ville, avoir un père travaillant dans le privé augmente significativement les chances d’y travailler soi-même. A Ouagadougou et Bamako cependant, d’autres dimensions de l’origine sociale conditionnent l’accès au secteur privé formel. A Ouagadougou, à caractéristiques égales, les Mossi ont moins de chances d’accéder au secteur privé formel que les individus appartenant aux autres ethnies. Ceci s’explique par leur plus grande présence dans le secteur informel (l’appartenance à l’ethnie majoritaire a un effet significatif dans le modèle 6). A Bamako, le lieu de naissance donne un avantage comparatif dans l’accès au secteur privé formel : être né à Bamako favorise significativement cet accès. Une interprétation à ce résultat est qu’être né à Bamako – et implicitement y avoir passé la majorité de sa vie – permet le développement d’un réseau social nécessaire à l’insertion professionnelle dans le secteur privé formel.
Estimation logit des effets de l’origine sociale sur l’accès au secteur privé formel
Estimation logit des effets de l’origine sociale sur l’accès au secteur privé formel
33Dans les villes appartenant au groupe où le degré d’inégalité des chances est le plus faible, l’appartenance du père au secteur privé formel n’a pas d’effet direct dans l’accès à ce secteur. Les autres dimensions de l’origine sociale n’ont pas d’effet significatif sauf à Dakar où comme à Ouagadougou, l’appartenance à l’ethnie majoritaire (les Wolofs) diminue la probabilité d’intégrer le secteur privé formel et augmente celle de participation au secteur informel.
34Il faut par ailleurs noter que dans toutes les villes à l’exception d’Abidjan et Bamako, être « originaire » du secteur public procure un avantage par rapport à être « originaire » du secteur informel.
3.3 – Accès au secteur informel
35Les sept villes ne se distinguent pas vraiment quant au rôle du statut professionnel du père dans l’accès au secteur informel (modèle 6). À l’exception d’Abidjan, avoir un père qui a travaillé dans le secteur informel augmente dans toutes les villes la probabilité de travailler soi-même dans le secteur informel, par rapport aux individus dont le père travaillait dans le secteur public, et ce quel que soit son niveau d’éducation. A Abidjan, il n’y a pas d’effet direct significatif du statut du père. A Dakar, avoir un père qui travaillait dans le secteur privé plutôt que dans le secteur informel diminue la probabilité de travailler dans le secteur informel.
36En revanche, l’effet de l’appartenance à l’ethnie majoritaire est différent selon les pays : il est nul à Cotonou, Lomé et Bamako, significativement positif à Dakar et Ouagadougou et significativement négatif à Abidjan et Niamey, comme déjà évoqué.
37Il en est de même pour le lieu de naissance : être né dans la ville augmente la probabilité de travailler dans le secteur informel à Cotonou et Lomé. Cet effet est le pendant de l’effet négatif d’être né dans la ville sur l’accès au secteur public.
4 – Conclusion
38À partir de données parfaitement comparables, cette étude montre que dans les sept capitales ouest-africaines considérées, l’origine sociale a un rôle déterminant dans le positionnement sur le marché du travail. Cependant, les villes n’offrent pas le même degré d’inégalité des chances : les trois villes de pays enclavés et présentant les plus faibles niveaux de richesse et de développement humain sont caractérisées par un niveau plus élevé d’inégalité des chances que les villes côtières. En moyenne, Bamako, Niamey, Ouagadougou ont un degré d’inégalité presque deux tiers plus élevé que celui observé à Dakar, Abidjan, Lomé et Cotonou lorsqu’il s’agit de l’accès aux secteurs institutionnels. Ce résultat va dans le sens de la théorie libérale de la mobilité sociale et met en avant une spécificité des pays ouest-africains par rapport aux pays développés.
39À l’exception de Bamako et Niamey, les canaux de transmission intergénérationnelle des inégalités sont principalement indirects lorsqu’il s’agit de l’accès aux secteurs institutionnels public et privé : l’atteinte d’un de ces secteurs institutionnels dépend essentiellement du niveau d’éducation, sachant que la situation professionnelle des parents détermine ce niveau d’éducation.
Estimation logit des effets de l’origine sociale sur l’accès au secteur informel
Estimation logit des effets de l’origine sociale sur l’accès au secteur informel
40En revanche, en plus de ce canal indirect via l’éducation, l’accès au secteur informel dépend directement de la situation professionnelle des parents. Les chances d’exercer un emploi dans le secteur informel sont beaucoup plus élevées, toutes choses égales par ailleurs, si le père exerçait lui-même dans le secteur informel. Enfin, à Bamako pour le secteur public et Niamey pour le secteur privé, la probabilité de travailler dans ce secteur augmente significativement lorsque le père exerçait lui-même dans ce secteur public, toutes choses égales par ailleurs. Cette transmission intergénérationnelle directe pourrait s’expliquer par l’existence d’un capital informationnel ou social transmissible que les parents ont pu accumuler grâce à leur position sur le marché du travail.
41Cette étude montre également que la situation professionnelle n’est pas la seule dimension de l’origine sociale à influer sur la position sur le marché du travail. A Niamey, Ouagadougou, Dakar et Abidjan, l’ethnie a un effet sur la position sur le marché du travail, même une fois pris en compte le fait d’être migrant ou non. L’appartenance à l’ethnie Djerma à Niamey et aux groupes ethniques des Akan, des Krou et des Mandés du Sud à Abidjan augmente significativement les chances d’atteindre le secteur public et diminue celles de travailler dans le secteur informel. A Dakar et Ouagadougou, l’appartenance aux ethnies les plus représentées dans la ville, respectivement les Wolofs et les Mossi, diminue la probabilité d’intégrer le secteur privé formel et augmente celle de participer au secteur informel. A Cotonou, Lomé et Bamako, c’est le fait d’être migrant qui affecte la position sur le marché du travail. Il constitue un avantage à Cotonou et Lomé dans l’atteinte du secteur public et un désavantage à Bamako dans l’accès au secteur privé formel.
42Ainsi, Cotonou, Dakar, Lomé and Abidjan sont caractérisées par des inégalités des chances dans l’accès aux secteurs institutionnels modérées relativement aux autres capitales. Le secteur institutionnel du père a principalement un effet indirect, à travers le niveau d’éducation atteint. Réduire les inégalités des chances sur le marché du travail revient donc dans ces villes à mettre en place des politiques visant à réduire les inégalités des chances scolaires.
43En revanche, à Bamako, Niamey et Ouagadougou, toutes trois villes de pays pauvres et enclavés, les inégalités des chances sont très élevées. De plus, à Bamako et à Niamey, l’effet de la position du père sur le marché du travail joue à la fois directement et indirectement sur la position de ces enfants. Une politique visant à réduire les inégalités des chances sur le marché du travail dans ces deux villes devra donc nécessairement s’attaquer à la fois aux inégalités des chances scolaires et aux inégalités sur le marché du travail. A long terme cependant, l’égalisation des chances scolaires, en modifiant profondément les normes et valeurs de la société, pourrait réduire l’effet direct de la situation du père sur la position sur le marché du travail.
Présentation de la modélisation de différence uniforme (UNIDIFF)
44La modélisation log-linéaire permet d’analyser comment l’association entre deux variables qualitatives diffère selon les modalités d’une troisième variable, les villes dans cette étude. Le principe de l’estimation par les modèles log-linéaires est de reconstituer une table de contingence formée par ces trois variables en faisant des hypothèses sur les interactions entre les variables. Le modèle estime la fréquence observée de chacune des cellules de la table de contingence par la méthode du maximum de vraisemblance en prenant en compte plus ou moins d’interactions entre les variables.
45Pour illustrer la méthodologie des modèles log-linéaires, l’approche est détaillée pour une table de contingence à deux dimensions. Tester les interactions entre les variables pour une table à deux dimensions revient à tester l’indépendance entre les deux variables qui forment cette table. Supposons qu’en ligne soit représenté le secteur institutionnel du père O, à i modalités, et en colonne, le secteur institutionnel de son enfant D à j modalités. Si les deux variables sont indépendantes, alors, par définition :
46 où nij est la fréquence de la cellule formée par la ligne i et la colonne j, n l’effectif total de la table. L’expression, sous forme logarithmique, équivaut à :
48Nous cherchons maintenant à tester, grâce aux modèles log-linéaires, quelles sont les interactions entre les deux variables. Le modèle log-linéaire de référence est celui qui n’inclut aucune interaction entre les variables. Il s’écrit :
50où Fij est la fréquence estimée de la cellule (i, j ). Elle est égale, sous l’hypothèse d’indépendance, à :
52Le paramètre ? est une constante. Il est la moyenne des logarithmes de l’ensemble des fréquences estimées de la table :
53Le paramètre est l’écart à la moyenne µ dont est responsable la variable O :
55le paramètre l’écart à la moyenne µ dont est responsable la variable E :
57Si les deux variables sont indépendantes, alors le modèle de référence reproduit parfaitement la table observée. Nous obtenons :
59Si ce n’est pas le cas, un test par la statistique de vraisemblance conduit à rejeter l’hypothèse selon laquelle les fréquences estimées Fij ne sont pas significativement différentes des fréquences observées nij. Il faut alors introduire un nouveau paramètre dans le modèle, une interaction entre O et D, qui est le logarithme du rapport entre la vraie fréquence de la cellule et la fréquence qu’elle aurait si les deux variables étaient indépendantes :
60. Le modèle devient alors le modèle saturé :
62Dans le cadre de notre problématique, l’utilisation de la modélisation log-linéaire est la plus adaptée car elle permet de tester des hypothèses sur les rapports des chances relatives (odds ratio).
63Pour une table à trois dimensions, nous cherchons à tester les différentes interactions entre les variables. Soit une table de contingence formée par trois variables O à I modalités, D à J modalités, et V à K modalités.
64Le modèle de référence qui suppose l’indépendance entre toutes les variables est le suivant :
66Dans ce modèle, la fréquence estimée est : et les paramètres sont obtenus à partir des formules suivantes : ,
67Le modèle UniDiff [14], sans être le modèle saturé, introduit une triple interaction entre le secteur institutionnel de la personne, son origine sociale et la ville considérée. Il teste donc l’effet de se situer dans une ville plutôt que dans une autre, sur le lien entre le secteur institutionnel de la personne et celui de son père. Il est défini ainsi :
69où ?i, j est un paramètre qui traduit la forme de l’association statistique entre le secteur institutionnel de la personne et celui de son père, ?k est un paramètre qui exprime, pour la ville k considérée, la force relative de cette association. Si pour une ville le coefficient ? est fixé à 1 (?1 = 1), un paramètre inférieur à 1 pour une autre ville k signifie que le lien entre l’origine sociale et la position sur le marché du travail est plus lâche dans la ville k que dans la ville 1. À l’inverse, si ?k > 1, le lien est plus fort ou autrement dit, la fluidité est plus faible. Le modèle est dit uniforme car il suppose que tous les rapports des chances relatives (odds ratios) varient dans le même sens et avec la même intensité ?k entre la ville 1 et la ville k : si le lien se relâche, il se relâche avec la même force pour les trois secteurs institutionnels.
70Sous cette hypothèse, les rapports de chances relatives deviennent :
72À travers le paramètre ?k, les rapports de chances relatives dépendent de la ville k. D’une ville k à une ville k+1, tous les rapports de chances relatives évoluent dans le même sens et avec la même intensité, fonction des ?k, et ceci quels que soient les secteurs institutionnels d’origine et de destination, i, i’, j, j’. Si les ?k décroissent d’une ville à l’autre, alors, on peut parler de plus d’égalité des chances dans la dernière ville.
73On a testé ensuite si les différences de ?k entre les villes sont significatives. Pour ce faire, on estime le modèle UniDiff en imposant l’égalité des coefficients ?k pour deux des sept villes. On compare ensuite les statistiques des rapports de vraisemblance entre le modèle contraint et le modèle non contraint. La différence entre ces deux statistiques suit une loi de ?2 à 1 degré de liberté. De ce fait, si la différence des rapports de vraisemblance est supérieure à la valeur du quantile à 95 % d’un ?2 à 1 degré de liberté, la différence est significative, i.e. le degré d’inégalités des chances est significativement différent entre les deux villes.
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Mots-clés éditeurs : inégalité des chances, secteur informel, Afrique de l'Ouest
Mise en ligne 31/05/2012
https://doi.org/10.3917/edd.261.0041Notes
-
[1]
pasquier@dial.prd.fr ; DIAL 4 rue d’Enghien 75 010 Paris.
-
[2]
Pour une revue de littérature sur le sujet, se référer à Haveman et Wolfe (1995).
-
[3]
Il aurait été souhaitable de comparer la profession des femmes à celle de leur mère, la mère étant le principal référent potentiel de ces premières. Cependant, comme toutes les études sur la mobilité sociale, on est alors confronté à une perte d’observations trop importante du fait du faible taux d’activité des mères. Le choix méthodologique de prendre le père comme référent a pour conséquence de sous-évaluer en général la mobilité des femmes.
-
[4]
Il n’est pas possible de pouvoir distinguer des sous-secteurs à l’intérieur du secteur informel car nous n’avons pas à notre disposition les informations nécessaires pour le père.
-
[5]
Lomé et Cotonou font figure d’exception. Dans ces villes, les distances sociales entre les secteurs sont quasiment les mêmes. De plus, à Cotonou, avoir un père travaillant dans le secteur public n’offre pas un avantage dans l’atteinte du secteur public relativement à avoir un père travaillant dans le secteur privé formel : deux individus dont les pères travaillaient respectivement dans le secteur privé formel et dans le secteur public ont 1,7 fois plus de chances (=1/0,6) d’échanger leur position que de travailler dans le même secteur que leur père. Ce résultat peut s’expliquer par la décroissance particulièrement forte qu’à connu le secteur public entre les deux générations. À Niamey, le secteur privé formel est plus proche du secteur informel que du secteur public.
-
[6]
Modèle log-multiplicatif « Uniform Difference », introduit dans la littérature par Erikson et Goldthorpe (1992), Xie (1992).
-
[7]
Cette opposition entre villes côtières et villes enclavées est robuste au changement de la définition du secteur informel : si nous définissons le secteur informel de l’enquêté de façon identique à la façon dont il est défini pour les pères, à savoir travailler dans une micro-entreprise, pour un ménage ou à son compte, Ouagadougou, Niamey et Bamako s’opposent par leur degré d’inégalité des chances élevé à Cotonou, Lomé, Dakar et Abidjan, avec une frontière qui toutefois se confond pour Abidjan.
-
[8]
Le groupe des Akan comprend notamment les ethnies Baoulé, Agni, Ebrié, celui des Krou les ethnies Bété, Krou et Bakoué, celui des Mandés du Sud les ethnies Gouro, Dan et Gagou. Ces groupes sont ici opposés à ceux des Mandés du Nord (Dioula, Malinké, Koro, etc.) et au groupe ethnique Voltaïque (Koulango, Lobi, Birifor, etc.).
-
[9]
Gazibo, 2009.
-
[10]
Hamani Diori de 1960 à 1974 ; Seyni Kountché de 1974 à 1987 ; Ali Saïbou de 1987 à 1993.
-
[11]
Le odd, ou en français la côte, est le rapport de deux probabilités complémentaires. Il s’agit dans ce cas de la probabilité de travailler dans le secteur public divisée par la probabilité de ne pas travailler dans le secteur public.
-
[12]
Présidents du Togo de 1967 à nos jours.
-
[13]
Président du Bénin entre 1972 et 1991 et entre 1996 et 2006.
-
[14]
Modèle log-multiplicatif « Uniform Difference », introduit dans la littérature par Erikson et Goldthorpe (1992), Xie (1992).