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Article de revue

Le pays, la mer et la femme dans la poésie kabyle de l’exil (deuxième partie)

Pages 159 à 177

Notes

  • [1]
    L’essayiste et critique Jean Amrouche est très éloquent à propos de Michaux. Au sujet de Épreuves-exorcismes, il se sentira en parfaite communion, « sa création d’un langage de la plus haute liturgie, pour justifier et sauver l’homme devant sa conscience ». In : L’Arche, no 16, pp. 154-157, cité par Réjane Le Baut, Jean El-Mouhoub Amrouche. Algérien universel, Biographie, Alteredit, 2003.
  • [2]
    Mouloud Mammeri, Poèmes kabyles anciens, Alger, Laphomic, 1988, p. 350.
  • [3]
    D’après Tahar Uḥewwac (Tahar Haouche), in Mohand Ouramdane Larab, Ammud isefra n Lhağ Arezqi Uhewac, préface de Mouloud Haouche, Tizi-Ouzou, Le Savoir, 2007, pp. 15-16.
  • [4]
    De quelqu’un qui n’a pas la « rougeur du visage », qui prend la parole publiquement et parle sans relâche ni discernement, à tort et à travers, afin l’interrompre dans ses égarements, on le rappelle par la formule : M’ ara tfukked, hedr-aγ-d cwit seg_gmi-k » (quand tu finiras, tu nous parleras enfin par la bouche).

1Confrontés au phénomène colonial, les Kabyles n’avaient pas renoncé à leur identité, à leur sens de l’honneur et les femmes ont joué un rôle essentiel dans la perpétuation des récits et mythes et des vertus qui ont fait que les Kabyles sont restés eux-mêmes. Tout abandon par les émigrés de leur culture et de leur langue d’origine est vécu comme une trahison, de l’honneur kabyle si important. La présente partie aborde le témoignage des poètes sur la peur des terriens confrontés à l’émigration par la mer. Ils évoquent la douleur, la frustration de l’exil ainsi que le risque de se perdre dans les chimères et le plaisir narcissique et condamnent l’émigré, qui a toute honte bue, a délaissé sa famille, son pays. L’homme authentique est celui qui est accompli, celui qui travaille pour sa famille, pour qui l’émigration est provisoire, qui retourne au pays au moment des labours, du ramassage des olives, de la fête de l’Aïd. Les poètes témoignent aussi de la pudeur qui, en Kabylie, est une marque de civilisation et de culture, un élément de cohésion sociale et d’harmonie.

2Charles Baudelaire s’interrogeait : « qu’est-ce qu’un poète, si ce n’est un traducteur, un déchiffreur ». Lui faisant écho, l’essayiste d’Ighil Ali, Jean-l-Mouhoub Amrouche, donne un éclairage précis des poètes kabyles qui, pour traduire une idée ou un sentiment, « ne font pas appel au foisonnement des formes, mais à une brève suite d’images et de symboles ». La poésie, chez eux, est un don transmissible et le poète est celui qui a le don de l’asfrou, c’est-à-dire celui qui sait « rendre clair, intelligible, ce qui ne l’est pas ». Le poète est un poseur de chants, comme on dit un poseur de bombes, vivant au cœur du bouillonnement poétique et musical. Fille d’harmonie, la musique, de même, est le pont qui relie deux rives, le passage de la guerre à la paix. « La musique c’est la guerre après la guerre, le combat libérateur engagé pour la paix des cœurs ». Le poète Henri Michaux, en solitaire acharné et pathétique, a mis au jour « les puissances du dedans », dans un langage devenu pur exorcisme, dans une aventure devenue un « Lointain intérieur » :

Rends-toi, mon cœur,
Nous avons assez lutté,
(...)
On n’a pas été des lâches
On a fait ce qu’on a pu [1]

3Pour le chanteur, le verbe est d’abord et avant tout action où il s’agit de traquer les parties d’une vie dans une œuvre qui situe la vie hors de la vie, dans les mots, leurs combats, les malentendus, de mettre à nu toutes les retenues, tous les prétextes, toutes les insouciances, toutes les illusions – volontaires et involontaires –, toutes les inconséquences qui ont pu conduire à une telle désertion.

4Concentrant toute son énergie sur son propos, le chanteur le perfectionne et le raffine subtilement par le jeu de l’allusion et de l’association d’idées, jusqu’à ce que l’œuvre soit puissamment chargée. Sa voix résonne en nous comme une texture expressive, énergique et animée, faisant vibrer chaque corde de notre nature sensible. Il en est ainsi, sans doute, de toute poésie digne de ce nom. Ami de cette corde, Kheddam la touche de propos délibérés, convaincu de remplir sa triple mission d’écrire, de composer et de chanter, car dit-il, « La langue kabyle n’est pas une langue faite pour des intellectuels. Mais elle est un instrument poétique de premier ordre ». L’artiste s’identifie avec cela même qu’il a perdu. Exister c’est ne plus être, disparaître. L’exil aussi. Gérard de Nerval se lamente : « Si je meure, c’est que tout va mourir [...] Abîme ! Abîme ! Abîme ! Le dieu manque à l’autel où je suis la victime [...] Je suis le ténébreux, le veuf, l’inconsolé [...] Ma seule étoile est morte, et mon luth constellé porte le soleil noir de la mélancolie [...] ».

5Il en est ainsi des poètes Si Mohand-ou-Mhand des Aït Hamadouche d’Ichraïouen et de ses contemporains Lhadj Arezki Ou Houach de Djemâa Saharridj et Si Lbachir-ou-Mellah de Tamellaht, d’où son surnom, qui empruntaient souvent, pour aller vers l’est et y revenir, un petit bateau de la compagnie Touache, puis Schiaffino qui suivaient la côte. C’était des bateaux peu sûrs, surtout quand surgit la tempête. Quand il n’y a plus rien à faire dans ces situations désespérées, seuls Dieu et les saints qui ont atteint un haut degré de perfection, implorés, peuvent accomplir des miracles. A win yeţţagwaden Yiwen, ur ţţagwad ula yiwen, « Ô toi qui craint l’Unique, ne craint pas les singuliers ». Les mystères de la foi peuvent opérer des prodiges. Écoutons d’abord le poète Si Mohand :

Ar lebḥer neγli s lqeddNous sommes tombés tout de long sur la mer
Sslak ulaḥeddSans espoir de secours
Siwa ma tḥudded ay AḥninÀ moins que Tu ne nous sauves mon Dieu
tableau im1
tableau im2
A-ţ-aya lmuja telḥeq-edLa vague se précipite sur nous
Iẓri-w iserdem-edMes yeux pleurent
Γef leḥbab wid neţţissinMes amis proches
Ţxil-ek ay ul ţfikkiṛ-edMon cœur n’oublie pas je te prie
Ṛebbi ur iǧǧi ḥeddDieu n’abandonne personne
Ncaḷḷeh a nezger ssalmin.Grâce à lui nous serons miraculés.

6Il avait seize ans, l’âge des bergers menant les bêtes à la pâture. Il en revenait ce jour de l’an de grâce 1854, quand un cortège de khouan passa à Djemâa Saharidj (Aït Frawsen), invitant les gens à aller en pèlerinage à La Mecque. Le jeune Arezqi Uḥewwac se vit recouvert par l’un des soufis du sendjaq, l’étendard de la confrérie. Ce geste vaut promesse, sur l’honneur de celui qu’il effleure, d’être du voyage, tout comme avant lui le fils du poète Hmed Arab de Ighil Hammad [2], sans quoi, on dira de lui : iččay-as aεwin-is i Nnbi, « il a déjeuné du viatique du Prophète ». Son frère aîné fit les emplettes d’usage pour le voyage et, au jour fixé, la caravane des pèlerins prit la route pour Alger où elle doit prendre le bateau. En pleine course, une violente tempête se déchaîna, laissant le capitaine du navire pantois. Arezki prenant les jeunes veuves à témoin, implora Dieu : Annaγ a Rebbi ! anda tellamt a tuǧǧal timeẓẓyanin, « Pitié mon Dieu ! J’invoque ton secours au nom des jeunes veuves ». Alors qu’il s’évanouit, Dieu lui donna, en vision, une jeune voisine tombée tôt dans le veuvage, qui lui dit : Neεya tessumelm-aγ, a-ţ-an ssfina-nwent : « Nous sommes lasses d’être importunées, voilà votre bateau ». À son réveil, Arezki trouva la mer apaisée et le bâtiment bien en route, déchirant les vagues. Il composa :

Γliγ deg lebḥer s lqeddPrécipité en plein océan
Leslak ulaḥeddSans nul de secours
Alamma ḥudden ṣṣalḥinEspérant l’intercession des élus de Dieu
Lmujat kull ta tezḍem-edLes vagues assaillent
Iẓri-w yemremγ-edL’œil pleure
Γef leḥbab wid neţţisinAprès les amis intimes
Mi d Ṛebbi ma ixelli ḥeddDieu n’abandonne personne
Ay ul țfekkiṛ-edSouviens-toi mon cœur
Wissen a neffeγ ssalmin[3]Si nous échappons sains et saufs.
tableau im3

7Dans un autre neuvain, tandis que Si Mohand se rend à Annaba sur un bateau flambant neuf appartenant à une nouvelle compagnie, la tempête se déchaîne une nouvelle fois, elle interdit même de prononcer la chahada, la profession de foi. Le poète implore Sidi Ben Saïd, le saint patron de Tébessa, afin que les jeunes expatriés, espoirs de leur famille, puissent trouver du travail dans l’exil :

Ṣṣfeṛ-agi d ssaεidCe voyage-ci est béni
Lbabuṛ d ajdidLe bateau est flambant neuf
Waqil’ ibeddel LeṭwacCe n’est plus je crois le Touache
Lmalu iqḍeε cchidLa trombe nous écarte de la chahadda
Lmut ur tebεidLa mort est imminente
Ula d lekwfen din ulacEt là pas même un linceul
M’ aț_ţnaεred a Sidi Ben SεidSidi Ben Saïd soutiens-nous
Teεdelṭ-aγ abridTrace-nous le chemin
A teqqwel lγerba i warracFais que les gamins recouvrent leur exil
tableau im4

8Lbachir ou Mellah aimait à emprunter le bateau pour longer les villes de la côte. Quand ce n’est pas vers la Justice de Paix, c’est vers les plaisirs qu’offrent les maisons closes que le bateau le mène, surtout quand celles-ci procurent les charmes des belles-de-nuit, au teint laiteux, venues de France.

Rekbeγ lbabuṛ LeṭwacJ’ai pris le bateau de Touache
D urqim l-leryacAux multiples couleurs
Iṛw’ acali γ εennabaIl longe la côte vers Annaba
G_gwexxam n Jujdebi qqimeγ-asJe me rends à la Justice de Paix
Γ ţţṛejman hedreγ-asJe me suis adressé à l’interprète
A lḥekkwam d ac’ i d akka ?Ô juges qu’avez-vous contre moi
Fehmeγ s lfing’ ara mmteγJ’ai compris que je serais guillotiné
Ǧǧet-iyi ad hedreγAu moins laissez-moi parler
Fket-iyi ṛebεa ddqiqaAccordez-moi seulement quatre minutes
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9L’enfer de la poésie, comme un envoûtement, rime avec l’Enfer de Dante : « Vous qui entrez ici, abandonnez toute espérance », comme cela était aussi inscrit sur le fronton de la prison de Barberousse à l’époque coloniale. Il est des exils plus exilant que les exils, quand par exemple l’on fait traverser les océans pour déporter les révoltés de 1871. Le poète Si Mohand a vu son père se faire exécuter en 1857, il a vu son oncle être envoyé à Cayenne, son frère fuir à Tunis où il alla le rejoindre quelque temps. D’autres, comme Σumar At-Tifas ou Muhend Saεid at Qasi ont été enfermés à Barberousse, le Serkadji, avant d’être déportés en Nouvelle-Calédonie. Ce poème, attribué à Si Mohand, fut solennisé par la cantatrice Taos Amrouche :

Seg_gwasmi yebd’ useggwasDepuis le premier jour de l’année
Wer nezhi yiggwasNous n’avons eu un seul jour de gaîté
Aql-aγ neggugem am yesγiNous voici muets comme des vautours
A ṭṭir azegzaw n ṛṛasToi aigle à la tête bleue
Di tegnaw γewwesÉtends tes ailes dans les nuées
Tarusi-k deg SerkaǧiMets le cap sur leur prison
tableau im6
tableau im7
Aț_țsellmeḍ γef imeḥbasPorte le salut aux prisonniers
G lγerba kullasLeur absence est pire que l’exil
Ssbeṛ d aḥbib ṛ-ṚebbiMais la patience est l’amie de Dieu

10Quitter sa langue maternelle et sa terre natale pour s’exiler. Le poète n’a pas pu purger sa douleur. La sagesse nous aide à penser et à panser une frustration, la perte d’un être cher dont la mort est le miroir le plus visible, le plus cruellement visible, comme une offense que fait l’existence à l’appétence. Pour se décharger un peu du poids de la douleur, un poète anonyme kabyle a composé le poème qui suit :

A yemma urgaγ targitMère j’ai rêvé d’un rêve
Ḥkiγ-ţ i ṭṭaleb yeţruRévélé au sage il pleure
A yemma εuddeγ d lmutMère j’ai pensé que la mort
I d-yusan ad aγ-tebḍuVenait nous arracher
Ziγ a yemma d lmeḥnaMais, mère, c’est une épreuve
I_guran deg_gixf-inuQui est vouée à mon sort
tableau im8

11Vivre aide à vivre avec la mort. L’exilé apprend à aimer ailleurs, à désirer ailleurs, à faire de son luth son « vieil ami », son complice qu’il interroge :

Anw’ i d aḥbib n dimaQui est l’ami de toujours
D keččini a lεud aqdimC’est toi mon vieux luth
Akken i nesεedda lmeḥnaEnsemble nous avons traversé l’épreuve
Neẓra iṭij neẓra lγimVu le soleil briller et se couvrir
Nesbeṛ akken i s-nufa ddwaRésister était le remède
Ma neţru ḥedd wer yeεlim.Tous ignoraient nos pleurs
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12Les poètes ont la vie dure et Lbachir ou Mellah a certainement été entendu puisqu’il a continué à versifier et à voyager. Cette fois-ci, le voici à Skikda, dans une maison close où se donnaient à profusion des filles venues de France. Le mythe de l’Européenne au teint blanc, à la chevelure blonde et aux yeux bleus provoque, par son audace, les gens dépossédés et sans le sou pour s’offrir deux francs de plaisir : amaflas ur fell-as nudant tullas, « le sans-le-sou n’est pas recherché par les filles ». Ici, le poète voit dans les abysses des âmes ténébreuses, démêle ce qui les inquiète, et le leur restitue dans la ligne admirable du poème :

Rekbeγ di lbabuṛ iruḥJ’ai pris le bateau qui s’en allait
D azegzaw n lluḥSa coque était bleue
Lmeṛsa-ines d SkikdaIl se rendait à Skikda
Kecmeγ γer wexxam iččuṛJ’entrais dans une maison close
S teqcicin s lǧuṛDes filles à profusion
Bexlaf yessi-s n FṛansaToutes venues de France
Teddem-it f ukursi tessers-itElle le fit asseoir sur une chaise
S ṭṭabla thuzz-itD’une table elle le secoue
Ay aqcic xelleṣ-as taṭsaGarçon paie-moi du plaisir
tableau im10
tableau im11
Mi tger tessuden-itQuand elle allait l’étreindre
Yewwi tihuditIl resta stoïque
Zuǧ fṛank ur ten-isε’ araIl n’avait pas les deux francs pour payer

13 « Mais ces clairvoyants, ces clairchantants ne sont ni des mages ni des prophètes », nous dit encore Jean el-Mouhaub Amrouche. Ils sont paysans et vont aux champs comme les autres, ils sont camelots dans les villes et les campagnes, ils connaissent les manques et le dénuement, ils émigrent et traversent les mers, ils savent et vivent à leurs dépens la misère sexuelle, « la plus haute des solitudes », ils sont dans le corps du peuple et plongent dans son âme. La Mekke est tentante pour le frère, nouveau zélateur de l’islam, mais vaut-elle la galette des rois partagée en communion avec tous les membres de la maisonnée : Ţţiftaḥbult g_girden mm lenwar wala Lkeεba mm leṣwaṛ : « Mieux vaut la galette de blé flamboyante à la Kaâba cernée de remparts ». Annaba n’est plus le lieu privilégié du poète Si Mohand. Chaque jour les bateaux déchargent leur cargaison d’hommes qui, aussitôt débarqués, oublient leurs traditions et changent coutumes et costumes, rôdent sans vergogne, toute pudeur bue, comme ces mouches sur la place qui a changé jusqu’à sa physionomie. Ainsi se réalise la jonction de la vie perceptible et de la vie secrète, le poète, comme l’acteur, intériorise la vie extérieure et il extériorise la vie intérieure. C’est, dirait Baudelaire, « De la concentration et de la vaporisation du moi, tout est là » :

Teqqwel εannaba d BushelAnnaba se transforme en Boushel
Γur medden akkw teshelChacun y accoste aisément
Lbabuṛ la d-iţţawiLe bateau en débarque
Ufiγ leblaṣa tbeddelL’aspect de la place a changé
Kwetren LeqbayelLes Kabyles sont fort nombreux
W’ i d-yussan ad iṭṭurniEn accostant ils troquent leurs mœurs
Ma d nekk εahdeγ lemtelJe jure quant à moi de cesser mes dires
A nεaẓẓeg ur nselMieux vaut se faire sourd et ne plus entendre
Izan la tezzin fell-iCes mouches qui tournent autour de moi
tableau im12

14Ghezlan Ahmed, dit Hmed Lemsiyyeh, du lignage des Aït Wehmed (né vers 1880, décédé vers 1942), dans le village de Tizi Mellal (tribu des Aït Chebla, confédération des Aït Sedqa), dans l’actuelle daïra de Ouacif, s’embarquait un jour à la recherche d’un travail, akkin i lebḥer, de l’autre côté de la mer. Le bateau faillit sombrer avec ses passagers, malgré les gilets de sauvetage qui leur furent distribués par le commandant de bord. Seule l’intervention spirituelle des saints invisibles et invincibles pouvait sauver le bâtiment, les passagers et les hommes d’équipage. Ḥmed Weḥmed demanda au Cheikh Mohand ou Lmokhtar d’intercéder – ur yeţţuγal ḥedd d lwali, alamma yeswa qeḍran d ilili : « on n’est sacralisé qu’après s’être délecté de goudron et de laurier-rose », par ce recours laudatif :

A ssaddaţ icban lewḥucÔ saints invincibles tels des fauves
Izedγen akerrucVous qui peuplez les forêts de chêne
A ccix Muhend u LmexţaṛÔ toi cheikh Mohand ou Lmokhtar
At lmedfeε mbl’ akeṛtucArmes redoutables sans munitions
N ddheb lmeṛcucOrs étincelants
Lbizan izedγen lewεaṛFaucons des cimes inaccessibles
Tzegrem-aγ mebl’ aqeccucFaites-nous traverser sans flotteur
A-t-a kra umuccucCette espèce de gilet
Akken t-caddeγ yexseṛQui se défait quand je l’attache
tableau im13

15Dans un prélude chanté par Zerrouk Allaoua et rapporté par M. Mammeri dans les Isefra de Si Mohand (1969), le poète trouve les amours d’ici peut-être fades mais sûrement vraies, se forge de vaines et folles chimères, dont son cœur se nourrit, bat des ailes pour traverser la mer et rejoindre les belles vêtues de soie : Itcuddu afurru s adu, « Il amarre les vapeurs au vent ». Mais écoutons Si Mohand interprété par le rossignol d’Amalou :

A-t-aya wul-iw yeţferfirMon cœur veut prendre son vol
A w iqqlen d ṭṭirDevenir oiseau
Ad izger lebḥer yibbwasEt traverser la mer un jour
Ar sut lebsa l-leḥrirVers les filles aux vêtements de soie
Ssṛaya d lǧirDans le secret des alcôves peintes
Kull ta numṛu di lḥara-sAvec un numéro évident sur sa porte
Yak tidak ma zhant la ḥirCelles-là savent le prix de la sensualité c’est clair
Iḍher ur iffirEt ne s’en cachent pas
Wamma zzhu n da d amessasCar la jouissance prise ici est bien fade
tableau im14

16On est en plein cœur du jjiḥ et celui qui en est pris se fait appeler amjaḥ, c’est-à-dire l’homme en perdition, perdu pour les siens, perdu pour son pays, perdu égoïstement pour son plaisir narcissique. C’est celui qui, comme ensorcelé (n’est-ce pas que Paris est rendue sibylline et magique par ses ex-voto, Lparis tesεa leḥruz), s’attache trop à soi-même, à sa personne, celui qui ne se préoccupe que de son intérêt, que de son plaisir, sans tenir compte des intérêts, des besoins des autres. On peut être un amjaḥ au pays, comme ce beau jeune homme qui n’avait pas les deux francs nécessaires et restait stoïque au plaisir qui s’offrait à lui. Mais à partir du début du xxe siècle, on traversait la mer, l’émigration venait en complément à l’économie domestique, mais pas toujours. Alors, quelle portée donner à celui qui est aneεmaṛ, l’économe qui thésaurise et entasse les biens, et l’amjah, celui qui est noceur, le fêtard par excellence qui mène bon train ? W’ ijaḥen yertaḥ, i win iεemṛen d acu d-yessuli ? Le viveur est sans souci, mais l’économe qu’en recueille-t-il ? Mais ce n’est pas l’avis des mères des Aït Manguellat. Faisant des souhaits aux fils en émigration, elles lancent leurs appels aux dieux domestiques depuis le parvis de Jeddi Manguellat, l’ancètre mythique qui a fondé la confédération, la prière suivante :

Ay Iεessasen a LawliyaÔ Gardiens protecteurs ô Saints tutélaires
Ay at Tebburt l-lqeblaÔ Gens de l’Insigne Porte
A Jeddi MangellatÔ Manguellat l’Ancêtre tutélaire
Usiγ-d γur-wen s ṭṭaεa d wannuzJe viens vers vous avec respect et humilité
Ala rrbeḥ ara d-yessekcamQu’il ne puisse ramener que le bien-être
A wer ijaḥQu’il ne soit pas le noceur en perdition
Amin a Ṛebbi lεalaminAmen ! Ô Seigneur tout-puissant
tableau im15

17Le Seigneur tout-puissant, Jeddi Manguelat et les saints tutélaires écoutent les prières qui montent vers eux, ils interviennent en bons vigiles pour que l’exil ne dure pas, que l’exilé y reste un à deux ans et retourne à la maison en bon paysan attaché à sa terre et à sa famille, car lferḥ a-t-an di tadist i refden ḷḷufan : « parce que la joie est portée sur le ventre qui porte l’enfant ». Slimane Azem chante tous les serments tenus à ses père et mère, mais charrié par l’illusion, le voilà oublieux – ou est-ce le chemin qui est dévié par la ville au pouvoir magique ? – depuis maintenant plus de dix ans :

Ass-en uqbel ad ṛuḥeγAvant mon départ
Zuxxeγ-asen aṭas i lwaldinJ’ai fait tant de promesses aux miens
Nniγ-asen a d-uγaleγLeur disant : je reviendrais
Ma εeṭṭleγ aseggwas neγ sinTout au plus dans un an ou deux
Γerqeγ am targit ṛuḥeγMe voici perdu comme dans un songe
Tura kteṛ n εecṛ sninDepuis maintenant plus de dix ans
Annaγ a Sidi ṚebbiPitié Seigneur mon Dieu
Ay aḥnin ay ameεzuzToi le compatissant et le préféré
Temẓi-w tṛuḥ d akwerfiMa jeunesse s’est envolée en corvées
Deg-gwmitṛu daxel uderbuzDans le métro et ses tunnels
D lPari teḥkem fell-iParis a un pouvoir magique
Waqila tesεa leḥruzElle m’a envouté avec des amulettes
Aqli-i am_min ihelkenJe suis comme atteint
Ţraǧuγ aț_țeldi tebburtAttendant une issue
Di lγerba wulfeγ dayenJe m’adapte à l’exil
Ma d ul-iw yebγa tamurtPourtant j’aspire au pays
Ma ṛuḥeγ ulac idrimenSi je pars je n’ai pas l’argent
Ma qqimeγ ugwadeγ lmutSi je reste j’appréhende la mort
Ur iγad ur i-nerziCe qui m’afflige sans m’apaiser
Siwa tameγbunt uγeγC’est l’infortunée que j’ai épousée
Kull yum neţţat d imeṭṭiChaque jour elle est en pleurs
Ma d nekk ugwiγ ad ṛuḥeγTandis que je reste impassible
D lγerba tezzi yess-iL’exil m’a bouleversé
Iεerq-i webrid ţţaγeγMon chemin est dévié
tableau im16

18Mais, parfois, zzux illa ma d adrim ulac : « la fierté est présente, l’argent fait défaut ». Consciemment ou inconsciemment lgherba vous tient sous son emprise, comme on peut dépendre de l’alcool ou de la drogue, ou quelquefois être pris sans être pris sous son charme, victime de l’exploitation, on devient d’une façon ou d’une autre son otage : xeddmeγ teţţali ṭṭlaba, « je travaille et mes dettes s’accumulent ». Alors, on persiste dans la fuite pendant que les entrailles désirent le retour :

Aql-i am_min ihelkenTel un malade qui délire
Ţraǧuγ aţ_ţeldi tebburtJ’attends la guérison miraculeuse
Di lγerba welfeγ dayenAccoutumé, je végète dans mon exil
Ma d ul-iw ibγa tamurtMais mon cœur aspire au pays
Ma ṛuḥeγ ulac idrimenJe n’ai pas l’argent pour partir
Ma qqimeγ ugwadeγ lmutJ’appréhende la mort si je reste
tableau im17

19Chérifa s’insurge contre celui qui ne fait pas appel à la juste mesure. Elle lui oppose la bonne éducation qui est normalement de rigueur. L’émigration n’est pas éternelle lui rappelle-t-elle. Elle le rejette quand il est pris par l’âge, quand les dents tombent l’une après l’autre. Que restera-t-il alors de sa belle prestance ? Tandis qu’elle attend dans une maison spartiate, où elle est délaissée, où elle dort directement sur les dalles froides, usu d aqeccuc, aεdil d ameccuc : « pour lit j’ai du liège, pour couverture j’ai des oripeaux », avec pour toit le ciel étoilé, parce que dans sa solitude, d itran i ţ-iţwanasen, « ce sont les étoiles qui lui font cortège ». Elle compte les jours et les mois qui défilent. Son cœur à elle désire plus de chaleur, d’amour et de passion, tandis que lui, à Paris, se vautre et se prélasse :

Ay aγrib sεu leεqelExilé sois lucide
Nesl’ ijaḥ ṛṛay-ikJ’ai su que ton esprit délire
Lγerb’ ur teţdum araLa migration n’est pas éternelle
Asm’ aa hudden wuglan-ikTu rentreras édenté et la bouche en ruines
Yenγa-yi yiṭes l-lqaεaJe pâtis de coucher par terre
Taduli d nnuṛ l-lhawaPour couverture le clair de lune
Ma d neţţ’ iṛuḥ γel-LpariÀ Paris il s’en est allé
Γer libaṛ d sinimaIl hante bars et cinémas
Yenγa-yi yiṭes l-lyajuṛJe pâtis de coucher sur les dalles
Temẓi-w tṛuḥ di leγrurJ’ai perdu ma fraîcheur dans l’artifice
Ma d neţţ’ iṛuḥ γel-LpariÀ Paris il s’en est allé
Ma d nekki ḥeţţbeγ lechuṛPendant que je dénombre les mois
Yenγa-yi yiṭes wwemnaṛJe pâtis de coucher sur le seuil
Am yiṭṭ am_mass d aḥebbeṛNuit et jour je rumine
Ma d neţţ’ iṛuḥ γel-LpariÀ Paris il s’en est allé
Temẓi-w tṛuḥ d axessaṛMa fraîcheur est absorbée par l’épreuve
Di lγerba yeεreq yisem-isEn exil il a perdu son identité
Ur neẓri d ac’ i t-ifnanTandis que j’ignore ce qui le retient
tableau im18
tableau im19
Yeţţu tamurt l_lejdudIl a effacé le pays de ses origines
D lwaldin i t-iṛebbanEt les parents qui l’ont nourri
Tteyyaṛa d-yusan deg_giṭṭAvion qui arrive de nuit
Awi-yi γer wusbiγ n tiṭPorte moi vers l’amant aux yeux teints
Ma d kečč a xuyya tṛuheṭChéri tu t’en es allé
Ma d nekk γer menhu i yi-teğğiṭAuprès de qui m’as-tu laissée.

20Chérifa essaie de le raisonner en évoquant son propre état lamentable, et sa perte d’identité à lui, tout aussi lamentable. La coupure momentanée, quand elle s’impose, peut être surmontée et la blessure cicatriser. Mais quand elle s’installe dans la durée, la séparation distille son venin. Tout comme la femme, l’homme est porteur de l’honneur kabyle, taqbaylit. L’individu est responsabilisé par ses œuvres, les problèmes familiaux doivent se régler en famille, avant qu’ils ne soient colportés de bouche en bouche. L’homme et la femme sont directement concernés par l’adage : γumm ttεam ik s umendil-ik, « protège ton couscous avec ton foulard ». L’émigré, qui a toute honte bue, à l’égal du renégat, a délaissé sa famille, son pays. Taleb Rabah le traite de traitre comme l’autruche qui, dans un geste de pudeur mal-placée, se couvre la face et néglige ses jambes : iγum udemm is, iğğa iḍarren-is. Il fait intervenir, sans scrupule, le temps écoulé dans l’exil, pour lui rappeler, une dernière fois, l’image de son pays, le soir du départ vers un au-delà, car ţfakkan wudmawen, ţţegwrayen-d yismawen, « même si les visages disparaissent, la réputation du nom demeure :

Ay aγrib yeǧǧan tamurtExilé tu as déserté le pays
Acḥal-a εeddan leεwamDes années ont passé
Ddunit-a tetbeε-iţ lmutCe monde ci précède la mort
Γas dewwer-ed udem-ik s axxamDévoile tes traits à la maison
tableau im20

21Abandonné par le sommeil, Chérif Kheddam s’adonne à son vieil ami le luth, son compagnon d’exil, pour dire combien son cœur est accablé d’un exil qui persiste. Le luth devient par allégorie le faucon qui déchire le firmament, franchit les océans. Il va le charger, dans ce voyage initiatique auprès des êtres qui lui sont chers, de rétablir la pure vérité, celle qui ne s’altère pas, ne se falsifie pas, qui excite la soif de savoir. Dans cette errance imaginaire, où la raison s’égard, le poète est soulagé, il ne perd plus espoir, un jour l’aube se lèvera pour lui rendre justice.

A win iṛuḥenToi qui t’en vas
Ssiweḍ-iyi sslam-iwPortes mon salut
Sal γef yeḥbibenMes pensées vont aux amis
Yakkw d lwaldin-iwAinsi qu’à mes parents
D wid aεzizenEt aux êtres chers
Yeccedha lxaṭeṛ-iwQue mon cœur désire
Lγiba tḍulL’exil persiste
Fell-awen d fell-iPour tous et pour moi
tableau im21
tableau im22
A-t-an ixaq wulMon cœur est accablé
M’ ara d-yemmektiQuand le souvenir me revient
Yeţεawaz iḍ ṭṭulLa nuit entière je me raconte
Iṛuḥ nnadam fell-iQuand le sommeil m’abandonne
Ṛuḥ ay ameddakwelVa compagnon
Err-iyi-d lexbaṛRétablie la pure vérité
Fell-ak ar neţkelJ’espère en toi
Mi tzegreḍ lebḥerQuand tu franchis la mer
Rǧiγ-k s leεjelJe guette ton retour
Leεqel yetḥeyyeṛMa raison s’égare
A lbaz a k-ceggεeγFaucon sois mon envoyé
Di tegnaw εelliPlonge dans le firmament
Aweḍ γer win ḥemmleγVa vers mon bien aimé
Anda yeţţiliLà où il s’attarde dis-lui
Am_mass’ a k-ẓreγJe t’attends pour bientôt
Deg_gwass l-lεali.Dans un jour de réjouissance
Lγerba tewεeṛLa séparation est pénible
Rẓaget am lili,Acre comme le laurier-rose
Di temẓi γer temγerDe l’aube au soir
Akkw εeddant fell-iJ’ai subi ses tourments
Ay ul-iw sbeṛTiens, mon cœur, résiste
Lḥeqq-ik ad yiliLa justice un jour l’emportera

22L’exilé d’Aït Menguellat en sait quelque chose. Il ne peut se rendre au pays, lui qui est désabusé par tout et par tous, accoutumé à son exil. Il remue les cendres froides de son passé, où nulle étincelle ne jaillit, il demande alors qu’on lui ramène dans les yeux des choses plus actuelles et qu’il ne verrait certainement pas :

Keččini ṛuḥ nekk ad qqimeγVa toi tandis que je reste
Anef-iyi d yiγed asemmaḍLaisse-moi avec les cendres froides
Ay iγed ṛwiγ-k a k-qelbeγJe n’arrête pas de les remuer
Tugid γr’ ad tecceεcεeḍElles ne veulent se rallumer
S wayen ifaten i εiceγJe vis de mon passé périmé
Ma d ul-iw γer daxel icaḍEt mon cœur brûle en dedans
tableau im23

23Accoutumé à son exil, l’avenir de ce dernier gît dans son passé. La douleur et la vie ont ravagé son âme et sa physionomie. Il ne peut plus rentrer, il confie à quelqu’un ses économies durement acquises. Dans Keččini ruḥ nekk ad qqimeγ, Aït Menguellat décrit l’état psychique de celui qui est confronté à l’échec qui l’affecte. Il en est désorienté, découragé, désappointé, écœuré. Dégrisé, il s’aperçoit que son échec ne lui a rien appris, il l’admet, il l’assume comme tout bon joueur qui n’a plus rien à perdre, et pourtant refuse de tricher avec la vie, et ne sachant pas frauder, joue de son instrument jusqu’au bout du bout sur un air de joie, un air de promesse de la femme au musicien, ruḥ di laman a Ḥsen aḍebbal, « vas en toute quiétude Ahcène le batteur », autrefois interprété par les idebbalen, les musiciens ambulants

Keččini ṛuḥ nekk ad qqimeγVa toi tandis que je reste
D ayen dubeγ d aγrib nnumeγLas, je suis habitué dans mon exil
Ṛuḥ di laman ur tedduγ araVa en paix je ne te suis pas
Ayen jemεeγ a-t-anVoilà toute mon épargne
S axxam-iw awi-tPorte-la à la maison
Tmuqleḍ amek llanEnquiers-toi de leur état
Lexbaṛ-iw ssiweḍ-itDonne-leur de mes nouvelles
Udem-iw i cedhanLes traits qu’ils veulent voir
Tekfa-t ddunitSont ravagés par la vie
Ṛuḥ di laman ur tedduγ araVa en paix je ne te suis pas
S tmekwḥelt merreḥBats la campagne le fusil à la main
Ṣubb γer lexla-nneγVisite notre champ
Γas s udem n ṣṣbeḥAu lever du jour
D lweqt i ḥemmleγC’est le moment que je préfère
Asmi tdum d ṣṣeḥQuand mes jours étaient heureux
Akken i xeddmeγJe faisais ainsi
Ṛuḥ di laman ur tedduγ araVa en paix je ne te suis pas
Ma tesdehreḍ i mmi-kSi tu baptises ton fils
Ur ḥeddreγ araJe n’y serais pas
Awi-yi-d deg_gwallen-ikRamène-moi dans tes yeux
Ayen ur ẓerreγ araCe que je ne verrais pas
Mennaγ amkan-ikJe convoite ta place
Ulamma ssaεaNe serait-ce qu’une heure
Ruḥ di laman ur tedduγ araVa en paix je ne te suis pas
Tin akken aa izewǧenCelle-là qui va se marier
Γas ḥdeṛ i tmeγraAssiste à ses noces
Asm’i yi-ţ-xeḍbenQuand on m’y a fiancé
Γilleγ mačč’ akkaJ’avais d’autres pensées
Win akken aa ţ-yaγenCelui qui va l’épouser
Mennaγ-as lehnaJe lui veux plein de bonheur
Ṛuḥ di laman ur tedduγ araVa en paix je ne te suis pas
tableau im24

24N’est-ce pas que l’exil est pénible et aliénant pour qui ne sait pas l’apprivoiser, nous avertit crûment El Hesnaoui, avec des mots durs, rêches et sans fioriture. Dans un chant qui dérange, met mal à l’aise, il dénonce l’absence de cette fraternité mutuelle manifeste dans un esprit de corps : Tagmaţ haa-ţ ar yezgaren ar yiwen uzaglu ay qqnen, « la solidarité se trouve chez les bœufs, ils sont unis sous le même joug ». Il culpabilise ? Peut-être ! Mais surtout responsabilise, conscientise les jeunes candidats à la traversée. Quand on émigre, l’exil exerce sur nous une emprise, il nous prend jeunes et ne nous lâche qu’une fois réduit par l’âge. L’exil est aussi un lieu d’initiation, nous apprend encore El Hesnaoui. C’est, dit-il, selon notre classe sociale, notre éducation, si nous savons saisir l’occasion, l’intelligence du moment, faire le choix, distinguer le bien du mal, si bien entendu la conscience ne s’égare pas :

Lγerba tewεeṛL’exil est cruel
Win teṭṭef meẓẓiCelui qu’il prend jeune
Mi t-teṛwa ad as-tebru d amγarNe le lâche que réduit par l’âge
Ay lγerba tewεeṛQue l’exil est pénible
Tesseṛway lemṛaṛNous soumet à toutes les épreuves
Ad ak-temmal di lxiṛ d cceṛNous montre le bien et le mal
Ad ak-tini xeyyeṛNous avertit pour un choisir
Ma telliḍ d mmi-s n lḥeṛComme tu es de bonne naissance
Lejyaḥa d lεaṛSache que la perdition rabaisse l’individu
Ay lγerba temmalComme l’exil éduque
Tesγaray lmalIl dresse même les plus bêtes
Ad ak-tezzizel am yiḍ am zalFait courir nuit et jour
Ḥweṣ kra meqqarJouit des profits qu’il procure
A ma teqqareḍ : rǧu mazalSi tu dis « attends ce n’est point le jour »
Tṛuḥeḍ deg_gwcekkaṛAlors te voilà pris dans ses filets
Ay lγerba telhaCombien l’exil est agréable
I win yeqqaren : haPour qui est avisé
Mi k-tessefṛeḥ ul-ik yezhaSes libéralités réjouissent ton cœur
Ad ak-tebnu leṣwaṛIl t’édifiera des palais
Ma twala ṛṛay-ik yelhaMais même hardi et doué
A k-tessegwri s uxessaṛAu soir de ta vie il te ruinera
Ay lγerb’ isehlenL’exil sans ambages
D win i d as-izemrenIntéresse celui qui en est habile
Cciṭan d ddunit d iεdawenLe diable et le monde sont tes rivaux
Fell-ak d amcaweṛIls composent sur toi
Ẓweṛ ay aḥnin mettelSois brave et prends leçon
Deg lebni-k hderDans ton édifice sois subtil
Ah ṣṣbeḥ d ddunitQuand le matin est l’aube de la vie
Lγerba ț_țamedditLe soir l’exil le suit
Cfu γef ccγel-ik xeddem-itSouviens-toi de tes devoirs
Ay aḥnin ẓweṛSois audacieux mon ami
Xeddem ddalil ḥerz-itSi tu remplis tes fonctions avec grâce
Ṛebbi ad a k-yerfedDieu te soutiendra
tableau im25

25Akli Yehiaten, en perdition, n’a pas rencontré en son temps Cheikh Elesnaoui pour lui prodiguer des leçons sur l’exil. Il a quitté, bien jeune et de plus orphelin, son village natal, et n’a pas trouvé de mentor pour le guider. Il est resté celui qui a chanté lmenfi, le rebelle de la guerre de libération nationale, qu’on envoie à la cour d’assise :

Jaḥeγ bezzaf d ameẓẓyanBien jeune je suis perverti
Ulac w’ a idebbṛen fell-iNul pour m’instruire
Di lγerba mebla lwaliDans l’exil et sans tuteur
D agujil ṛwiγ lemḥanSeul j’ai affronté la souffrance à satiété
tableau im26

26Slimane Azem a chanté Berka-yi tissit n ccrab : « À en oublier le boire », où il n’oublie pas de désigner toutes ces liqueurs qui font que l’homme s’oublie et devient un amjayḥu, un noceur. Mais le problème de l’alcoolisme et de l’ivresse atteint aussi bien l’homme que la femme en détresse, réduits à la souffrance et à la ruine. En parlant à la première personne du singulier, Chérif Kheddam jure de bannir à jamais la coupe de fiel dans Σehdeγ-k a lkas n lemṛaṛ, comme pour s’exorciser, et exorciser par la même tous ceux et toutes celles qui sont portés sur les breuvages de « vie » et leurs effets, a composé cette chanson pour une femme qui, assiégée par une grande souffrance, s’est réfugiée dans les alcools forts. D’un homme qui boit, on dit que c’est un bon vivant, mais d’une femme, qu’elle est une pocharde. Les femmes qui boivent se sentent plus coupables alors que ce n’est pas une question de volonté, c’est une pathologie. Les gens ne s’imaginent pas ce que c’est qued’être dépendant de l’alcool, de la drogue ou du tabac. « L’alcool vous vole, vous trahit, vous blesse, vous conduit à tricher avec vous-même, à vous mentir en permanence, dit Chérif Kheddam. Vous dissimulez les bouteilles que vous buvez, vous masquer l’haleine avec de la réglisse. J’ai essayé de le dire d’une manière assez sobre, si je puis dire... Dans cette chanson, au-delà de cette femme, j’ai voulu atteindre beaucoup de gens »

Σehdeγ-k a lkas n lemṛaṛJe jure coupe de fiel
A k-hajreγ meqqarDe te bannir à jamais
Im’ assa i-d-yebbweḍ wass-ikCe jour est enfin arrivé
Tessefled-iyi f ukeddarTu m’as jeté dans le gouffre
Leεdab d uxessaṛRéduit à la souffrance et la ruiné
Ţbanen-iyi-d γef_fudem-ikC’était pourtant visible dans l’écume
Mi yeţfuṛṛu uqerruy-iwDans ma tête s’élèvent les vapeurs
Amzun lliγ di lǧennetLe paradis m’apparaît, et
Leεbad d izan ger wallen-iwLes hommes se changent en mouches
‘‘Zdat-i ǧǧet-iy’ abri, rewlet !’’« Loin de ma route, filez ! »
Mi γliγ yemmut yidis-iwQuand tombé et mon corps transi
Alamma refden-iyi s tsaleltPour me hisser il faut des cales
A lkas rẓagen ay amcumCoupe d’amertume odieux verre
D kečč i d ssebba n lhemm-iwTu es à l’origine de mon drame
tableau im27
tableau im28
M’ i k-swiγ ṛṛay ihumQuand je te vide ma raison s’égare
Kulci yeffeγ deg wfus-iwDe mes mains tout file
Σabdeγ-k ilzem-iyi llumJe t’idolâtre j’encours châtiment
Dima tcettḥeḍ ger wallen-iwTu valses devant mes yeux
Hujṛen-iyi yeḥbibenMes amis m’évitent
Iggad i yiţḥibbin meṛṛaCeux-là même qui m’aimaient
S ṭṭul lamεana fehmeγ-asenJ’ai compris leur fuite
Mi kettṛen fell-i lhedṛaQuand ils me chargeaient
Ṭṭalabeγ ssmaḥ deg-senJe leur dois énormément
Nca Ellah ifukk lhemm turaMon penchant est chassé à jamais

27 Argaz d win ikemmlen, l’homme est celui qui est accompli, d win ixeddmen f wexxam-is, celui qui travaille pour sa famille, pour qui l’émigration est provisoire, qui retourne au pays au moment des labours, du ramassage des olives, de la fête de l’aïd, particulièrement le grand aïd où on échange l’accolade du pardon, où on va donner existence aux siens. Tεedda lεid tezzid, la neţrağu g tisin-is (Voilà qu’un aïd succède à un autre, et j’attends impatiemment son retour), chante l’épouse délaissée qui reste toujours l’épouse fidèle. Cheikh El Hesnaoui a su traduire la souffrance et le désarroi de la femme kabyle, abandonnée par son seul espoir, l’homme qu’on lui a prédestiné. La perdition, jjiḥ, c’est la ruine de l’âme, c’est l’état de péché qui éloigne des voies de salut quand l’homme cher ne revient pas tandis que ses camarades sont de retour, régénèrent la famille atrophiée :

Ma d medden yakkw ussan-dTous les hommes sont rentrés
Ma d neţţa ijaḥ ṛṛay-isSon âme à lui est en perdition
Ma d medden yakkw ussan-dTous les hommes sont rentrés
Argaz yesfeṛḥen arraw-isL’homme est celui qui donne la joie à ses enfants
Yerfed iman-is iṛuḥUn jour il s’en alla
Yeǧǧa taḥnint bbwul-isLaissant sa tendre bien-aimée
Yezyen weḥday mecțuḥGracieux et jeune était le bel enfant
Nniya yebbwi-ţ deg_gul-isIl était paré de vertu
Fell-as iẓri-w inuḥPour lui ma vue s’use
Lfiraq d wa i d ccum-isL’épreuve de la séparation prélude l’exil
Win d-yussan ẓriγ-tJ’ai abordé les gens de retour
Steqsayeγ γef lexbaṛ-isJ’ai demandé de ses nouvelles
Ma yeţţu-yi nekk bγiγ-tMême s’il m’oubliait je le désire toujours
A t-ṛǧuγ ad yeḥlu wul-isJe l’attendrais et je bercerais son cœur
D wayeḍ d lmuḥal nwiγ-tJe ne voudrais jamais un autre
Γlay ur yenzi wemkan-isSon endroit nul ne le souillerait
tableau im29

28Le rossignol d’Amalou, Allaoua Zerrouki, dans un acewwiq magnifique, prélude sur l’homme qui a choisi la France et les plaisirs qu’elle représente, tandis que l’épouse se morfond et attend en vain. Aurait-il entendu des propos malveillants, des compromissions sur elle ? Elle s’ouvre, s’en explique dans ce préliminaire :

Ay aεziz aṭas i tezhiḍMon cher te voilà repu de plaisirs
D acu d-tessuliḍQu’as-tu acquis
Imi d Fṛansa i teεniḍMaintenant que tu as choisi la France
Acu n lεib i tesliḍAurais-tu entendu sur moi médire
Llah a lwaliSeigneur mon Dieu
D nnif wer tesεiḍL’honneur t’a fui
Am_mass-a ar d-temmektiḍUn jour tu t’en souviendras
tableau im30

29La pudeur est, en Kabylie, bien plus qu’ailleurs, un élément de cohésion sociale et d’harmonie, même dans les relations qu’entretient l’individu avec le monde. C’est plus qu’un attribut individuel, c’est une marque de civilisation et de culture, une seconde nature de l’homo kabylis. Elle remplit tous les aspects de la vie intime de l’individu, elle se répand dans l’existence de l’être kabyle au monde, au point de n’être jamais objectivée sous forme de phénomène susceptible d’analyse ou d’explication. L’indigence lexicale en kabyle du mot « pudeur » est symptomatique à cet égard. Les substantifs féminins leḥya et ḥecma venus tous deux de l’arabe, ne rendent vraiment compte que du sentiment de « honte » ; il en est de même du verbe setḥi ou ḥcem « avoir honte », « être penaud », « manquer d’audace », « être gêné ». Le sentiment de honte, qui excède celui de pudeur, exprime davantage, dans sa forme négative, l’abaissement, l’affront, le déshonneur ; il diffame, discrédite, humilie, il est cause de regrets, de remords, de repentir. Dans le sens de fausse honte, il prend l’allure de « timidité », d’« embarras ». Tezwegh, la rougeur (du visage), désignée par ailleurs par la hichma, terme à plusieurs sens, qui peut vouloir dire rougir, grossir, se mettre en colère ; elle participe du bon savoir-vivre profane. Elle tourne autour de l’appareil génital ou anal [4], ce que l’on désigne par lqaεa, « le parterre » qui stabilise, « le fondement » sur lequel on s’assoit (« ssers lqaεa-k », pose ton assise), « le fin fond », c’est-à-dire l’« échancrure ». La vulgarité se désigne en kabyle tuzert bbudem (la grossièreté du visage). Du personnage grossier qui ne se gêne pas en public et fait des écarts de langage, de celui qui n’a pas la « rougeur du visage », on dit de lui qu’il a de l’épaisseur, zur wudem-is, il (elle) a un visage épais.

30La pudeur au contraire, sentiment noble par excellence, est synonyme de décence, bienséance, chasteté, délicatesse, discrétion, honnêteté, réserve, retenue, etc. Cette sensation de pudeur existe, dans l’habitus kabyle, sur le mode existentiel, c’est-à-dire dans une attitude de modestie. Dans le cadre du du civisme, elle est une manière d’être – et de se conduire – dans la communauté humaine et dans l’univers, dépassant ainsi les catégories psychologiques et lexicales. Elle est davantage déterminée par la vertu que par son contenu esthétique.

31Il est fatal qu’il fasse un jour sa rencontre. Aït Menguellat la prénomme évidemment Louiza, le louis d’or, la pièce chère qu’on porte de manière prophylactique pour prévenir de certaines maladies, comme la maladie de l’amour, rester fidèle à cette passion première et qui sera la dernière. Pendant qu’il demande à Louiza de rester vaillante et courageuse, il ne cesse de pleurer sans discontinuer, comme la pluie qui tombe, mêlant son eau aux larmes de l’amant, car en ce jour de séparation, la détresse prélude et s’installe dans les cœurs en même temps que la terre est surprise par l’orage. Il est également abattu de voir Louiza bouleversée. Tous deux savent, dans l’intimité de l’alcôve, leurs états d’âme, leurs sentiments, leurs dispositions l’un pour l’autre. L’unique témoin est la montagne. Un dernier salut aux monts de Kabylie, un dernier regard sur la maison qui apparaît déjà comme une ombre au loin :

Muqleγ di ṭṭaqJe regardais par la lucarne
Mazal ṭṭlam deg ygenniLe ciel était encore dans la nuit
Ul-iw ixaqMon cœur accablé
Amek tur’ a yethenniPourrait-il résister
Yewεeṛ lefraqLa séparation est douloureuse
Lmeḥna-w tebd’ ass-agiMa détresse prélude ce jour
Uh sbeṛ a LwizaSois fière Louiza
La ţruγ ula d nekkiniJe pleure aussi
Muqleγ beṛṛaJe regarde dehors
La yiţrağ’ uṭaksiLe taxi m’attend
Ḥezneγ teẓraJe suis abattu elle le sait
M’ a ṛuḥeγ ad iy’ d-twaliElle me percevra en sortant
Tebda-d lehwaLa pluie tombe
Tekkat am leḥzen fell-iEt me plonge dans le deuil
Uh sbeṛ a LwizaSois courageuse Louiza
La ţruγ ula d nekkiniJe pleure aussi
Bdiγ leḥḥuγJe cheminais
Xelṭen waman d imeṭṭiLa pluie se mêlait à mes larmes
Acḥal i ruγQue n’ai-je pleuré
Lḥal la yeţru yid-iLa pluie s’est associée à mes sanglots
Assen a s-cfuγDe ce jour je m’en souviendrais
Iḥzen ula d igenniLe ciel avec moi est affligé
Uh sbeṛ a LwizaSois inflexible Louiza
La ţruγ ula d nekkiniJe pleure aussi
Beqqaγ sslam
I wedrar la yid-yeţwali
Je fais mes adieux
À la montagne témoin privilégié
tableau im31
tableau im32
Muqleγ s axxamUn ultime regard sur la maison
Iban-iyi-d am tiliElle me paraît comme une ombre
Țţswiṛa-mTa photo
Di lǧib-iw trufeq-iyiDans la poche m’accompagne
Uh sbeṛ a LwizaSois vaillante Louiza
La ţruγ ula d nekkiniJe pleure aussi
Mi d-yuli ṣṣbeḥQuand le jour se lève
D ṭṭlam i_gebdan fell-iLa nuit se fait sur moi
Ḥezneγ d ṣṣeḥJe suis bien triste
Taḍsa seg_gudem-iw teγliLe sourire a quitté mes lèvres
Ul-iw yejreḥMon cœur écorché
D lhedṛa-m i d-yemmektiSe souvient de tes paroles
Uh sbeṛ a LwizaSois déterminée Louiza
La ţruγ ula d nekkiniJe pleure aussi
Tenniḍ-iyi-dTu me disais
Ṣeεben wussan i uεeddiLes jours seront durs à passer
Ţmekti-yi-dSouviens-toi de mon image
Γas akka teǧǧiḍ-iyiMême si tu me quittes
Sefṛeḥ-iyi-dAnnonce-moi ton retour
Melm’ ara d-tezziḍ γur-iCe jour me comblera
Uh sbeṛ a LwizaSois certain Louiza
La ţruγ ula d nekkiniJe pleure aussi

32Louiza, courageuse et résolue, attend le jour béni où l’être aimé lui reviendra. L’homme kabyle fait le va-et-vient entre deux migrations, celle de l’exil et celle du pays, tamurt, le pays où il existe parmi les siens, où il est justement mmi-s n tmurt, le fils du pays, le paysan qui aime sa terre. Peu de paysans sont attachés à la terre maternelle, comme l’est le paysan kabyle.

33Nouara est très sensible à l’approche musicale et poétique de Chérif Kheddam, « personne la plus musicienne et la plus humainement généreuse, dit-elle de lui, le poète le plus proche de l’âme féminine. Son écriture musicale et sa poésie casse la langue kabyle qui est une langue d’homme, une langue étrangère pour les femmes kabyles ». Chez Chérif Kheddam la poésie est faite de transparence et de pudeur. La transparence est ce qui n’arrête pas le regard. Il lui oppose la pudeur, la vertu qui cache, qui arrête le regard indiscret du voyeur. La pudeur, dit Nouara, « est une honte dont on n’a pas à avoir honte ». Sa poésie amoureuse incarne un impossible souhaitable dans une relativité de l’intimité, une relativité sociale qui peut être chantée à la maison en présence des hommes, sans pudeur, parce qu’elle ne casse pas l’intimité du foyer. Construite en volute, la musique de Chérif Kheddam, comme la fumée d’un feu de bois, prend son départ dans le creuset du son initial, pour, petit à petit, nous redonner tout l’espace, nous inviter, dans la voix de cristal de Nouara, à visiter les sphères. Entre rigueur et raffinement, il nous offre une musique nattée qui laisse parler des larmes de beauté et berce la longue nuit des hommes. Dans Wi tεuzzed, l’être cher s’en est allé, qu’attendre sinon des jours de chagrin :

Wi tεuzzeḍ yeǧǧa-k iṛuḥQui tu chéris s’en est allé
Ay ul d acu k-d-yeqqimenMon cœur que te reste-t-il
Kra tesεeddaḍ di lfuṛuḥDe toutes les joies passées
Gwran-ak-d wussan ḥeznenSéjournent les jours de deuil
Ala ccamat d lejruḥLes cicatrices et les blessures
I k-d-ǧǧan wid iṛuḥenSont les legs des gens partis
Ru ar idderγel yiẓri-kPleurer jusqu’à cécité
D ay’ i k-yefnan a leεmeṛVoilà à quoi tu es réduite mon âme
Win i tjeεled d aḥbib-ikCelui que tu as pris pour ami sûr
Di lxiṛ-ik ad a k-inkeṛRenie tes sacrifices
Kulci berrik ger wallen-ikTout est sombre à tes yeux
Ad tkerhed teγzi l-leεmeṛTu vomis jusqu’à l’existence
Amek armi t-id-teţmektiḍPourquoi aborder le passé
Teẓriḍ ibeddel wul-isAlors que son cœur a durci
Am_makken syin ur d-tekkiḍTu as déjà vécu cette condition
Tura teqqwleḍ d axsim-isVoilà que tu deviens sa rivale
Akka mazal teţwaliḍTon regard se porte vers lui
Tettabaεeḍ di lateṛ-isTu le suis encore à la trace
Acu ara thedṛeḍ fell-asQue dire encore de lui
Tura aqerruy icabMaintenant que la tête a blanchi
Ţţu kullec akken i d ddwa-sL’oubli seul est remède
Akken a d-tessegwriḍ leεtabPour épargner tes craintes
Ur tezzi γer lǧiha-sNe te tourne plus vers lui
Akken i d abrid n ṣṣwabVoilà la leçon
tableau im33

34L’émigration est un arrachement auquel il faut savoir résister. L’aller et retour cyclique de l’homme en exil qui n’est plus jamais chez lui, nulle part peut se comparer au mouvement des vagues en mer qui constamment arrivent et partent, sous l’impulsion du vent. Si l’on peut déraciner le Kabyle de sa tamurt (sa patrie), on ne peut déraciner celle-ci du cœur du Kabyle. Le poète sait traduire la résilience de la filiation entre l’être émigré et sa terre.


Date de mise en ligne : 02/02/2020

https://doi.org/10.3917/edb.037.0159

Notes

  • [1]
    L’essayiste et critique Jean Amrouche est très éloquent à propos de Michaux. Au sujet de Épreuves-exorcismes, il se sentira en parfaite communion, « sa création d’un langage de la plus haute liturgie, pour justifier et sauver l’homme devant sa conscience ». In : L’Arche, no 16, pp. 154-157, cité par Réjane Le Baut, Jean El-Mouhoub Amrouche. Algérien universel, Biographie, Alteredit, 2003.
  • [2]
    Mouloud Mammeri, Poèmes kabyles anciens, Alger, Laphomic, 1988, p. 350.
  • [3]
    D’après Tahar Uḥewwac (Tahar Haouche), in Mohand Ouramdane Larab, Ammud isefra n Lhağ Arezqi Uhewac, préface de Mouloud Haouche, Tizi-Ouzou, Le Savoir, 2007, pp. 15-16.
  • [4]
    De quelqu’un qui n’a pas la « rougeur du visage », qui prend la parole publiquement et parle sans relâche ni discernement, à tort et à travers, afin l’interrompre dans ses égarements, on le rappelle par la formule : M’ ara tfukked, hedr-aγ-d cwit seg_gmi-k » (quand tu finiras, tu nous parleras enfin par la bouche).

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