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Article de revue

Sur la traduction en langue berbère de la `Aqida as-Sughra d’as-Sanusi (1426-1490)

Pages 67 à 88

Introduction

1L’un des plus anciens manuscrits de langue berbère disponibles est probablement la traduction sommaire de la `Aqida as-Sughra d’as-Sanusi (1426-1490) [2]. En effet, nous l’avons localisé au Maroc, dans le traité al-Haoudh de Mohamed Ben Brahim [14]. Rédigé en 1707, le premier chapitre de cet ouvrage est effectivement du Tawḥid qui semble avoir été tiré de la `Aqida as-Sughra [18]. Il en est de même pour « les territoires soumis à la domination française » (c’est-à-dire, l’Algérie), avec l’identification par J. D. Luciani du fameux manuscrit rédigé au xviiie siècle à la zawiyya Yahia ou Hamoudi (Béni Ourtilane) [2]. Depuis, une dizaine de copies de ce manuscrit ont été localisées dans plusieurs localités de la vallée de la Soummam et du Sud-Est de la Kabylie (cf. [1], [3], [5], [7], [8]...).

2Des études comparatives en cours des parlers berbères de Béni Snous (Ouest algérien) et de Kabylie nous a mis sur une troisième piste. En effet, Cheikh Sanusi est originaire de Béni Snous, où la langue berbère est présente depuis des siècles [15], [12], [16], [17]. Il a toujours eu à cœur de « transmettre son message », puisqu’il a lui-même jugé nécessaire de faire ses propres Sharḥ (commentaires) de sa Sughra [2]. Tout ceci nous amène à ne pas écarter l’hypothèse que la Sughra ait pu être traduite pour la première fois en langue berbère à Béni Snous, à l’attention de la population locale.

3Dans cet article, nous nous proposons de développer, puis d’analyser les éléments à l’origine de cette hypothèse. Dans un premier temps, nous présentons l’environnement (intellectuel, religieux, spirituel...) d’as-Sanusi. Nous rappelons ses liens avec la Kabylie (cf. [11]), replacés dans le cadre plus général des rapports intellectuels Béjaia – Tlemcen [12]. Sur la base d’un texte recueilli chez les Ath Larbi (Béni Snous) [16], nous donnons quelques éléments sur les mots apparentés entre les parlers de Béni Snous et de Kabylie. L’étude de la structure de la traduction en langue berbère de la Sughra complète les éléments d’analyse.

I. Qui est as-Sanusi ?

4Abu `Abdellah b. Yusuf as-Sanusi (1426-1490) est originaire de la région berbérophone des Béni Snous, à 35 km de Tlemcen. Pour les savants du Maghreb, as-Sanusi a été le rénovateur de l’islam au commencement du ixe siècle de l’hégire. Il est l’auteur de la fameuse `Aqida as-Sughra. Traitant de Dieu et de ses attributs, ainsi que de la prophétie, as-Sanusi discute tout au long de son œuvre les théories philosophiques, les opinions des autres écoles et les croyances des autres religions.

5As-Sanusi a notamment rédigé un commentaire de sa propre Sughra. Ce dernier, qui a fait l’objet des gloses d’al-Bajuri, a été publié plusieurs fois au Caire et à Fès, traduit en allemand par Ph. Wolff (Leipzig, 1848), et en français par Luciani.

6Dans le domaine des disciplines mathématiques, as-Sanusi est l’auteur d’un commentaire du poème didactique d’Ibn al-Yasamin (m. en 1204) sur l’algèbre et les équations, du commentaire Sharḥ Qasidat al-Ḥabbak sur l’astrolabe et un commentaire sur le traité du mathématicien andalou al-Ḥawfi (mort en 1192) en science des héritages intitulé « Ce qui rend accessible et facile l’étude du livre d’al-Hawfy et épuise les questions qui y sont traitées ». Son maître Abu `Ali Aberkan fût tellement émerveillé qu’il déclara : « aucun n’est comparable à celui-ci ».

II. Popularité de la Sughra en Kabylie

7On a pu mesurer la popularité de la `Aqida as-Sughra en Kabylie lors de l’analyse du contenu d’Afniq n Ccix Lmuhub [10], [6]. En effet, la Sughra est avec l’Adjurrumiya l’ouvrage qui a été le plus étudié des manuscrits de la Khizana de Cheikh Lmuhub, qui, on le rappelle, avait été constituée au milieu du xixe siècle à Tala Uzrar (Sud-Est de la Kabylie) par un lettré local qui était passionné de livres [10].

La Khizana de Cheikh Lmuhub contenait au milieu du xixe siècle plus de 300 manuscrits.

La Khizana de Cheikh Lmuhub contenait au milieu du xixe siècle plus de 300 manuscrits.

La Khizana de Cheikh Lmuhub contenait au milieu du xixe siècle plus de 300 manuscrits.

`Aqîdat de Cheikh al-Sanusi (né en 1426), (copie datée de 1785). Ms. N° KA 06.

`Aqîdat de Cheikh al-Sanusi (né en 1426), (copie datée de 1785). Ms. N° KA 06.

`Aqîdat de Cheikh al-Sanusi (né en 1426), (copie datée de 1785). Ms. N° KA 06.

a) Les copies de la Sughra d’Afniq n Ccix Lmuhub

8La Khizana de Cheikh Lmuhub comprend une quinzaine de copies. Parmi les plus significatives :

9

  • le manuscrit TIA no 17 [10] est la plus ancienne copie de la Khizana relative à la ‘Aqida al-Sanusiyya. Elle a été copiée en 1064h/1654. D’une belle écriture avec quelques gloses, elle a été réalisée par un lettré de Kairouan, Abdelkader Djabali ;
  • le manuscrit KA no 05 [10] a été copié par Muḥammad Bachir b. Cherif b. Yidir en 1827/1242h ;
  • le manuscrit KA no 06 [10] est daté de 1785/1199h ;
  • le manuscrit KA no 10 [10] a été rédigé par Lmahdi Ulaḥbib en 1916/ 1335 h ;
  • le manuscrit KA no 20 [10] a été copié par Muḥammad Ameziane b. Belkacim b. Zemmur ;
  • le manuscrit KA no 36 [10] est daté de I857/1274h ;

b) Les Sharh (commentaires) de la Sughra

10La Sughra a fait l’objet de plus de soixante Sharḥ de par le monde (de la part de commentateurs maghrébins et égyptiens : al-Sakatani, al-Madjadji, al-Ghdamissi, al-Damnhuri...), y compris par as-Sanusi lui-même. Présentons ici les Sharḥ les plus significatifs figurant dans la Khizana :

11

  • le manuscrit KA no 08 a été copié par 'Abd Allah b. Belqacem al-Charini en 1870/1287h. Nous n’avons pas pu identifier le commentateur ;
  • le manuscrit TEF no 08 s’intitule Haqa'iq al-Sughra. Il a été copié par Aḥmad b. Muḥammad b. Aḥmad b. Mubarek en 1806/1221h ;
  • le manuscrit LIT no 30 s’intitule Taqyid 'ala al-Sughra. Son auteur est Abu l’Ḥassan `Ali Aqeddar. Le manuscrit, rédigé sous forme de Qasida est incomplet ;
  • la Khizana comprend trois copies du Sharḥ d’al-Mellali : le manuscrit KA no 02 (sur cette copie figure une information de Lmuhub Ulaḥbib, à propos d’une éclipse du soleil à Ath Urtilan, en 1859/1276h). Le manuscrit KA no 03 (il a été copié par Muḥammad al – Ya`lawi, en 1789/1203h.), le manuscrit KA no 04 (il a été réalisé en 1825/1240h.), le manuscrit KA no 04 (il a été copié par Belqacem az-Zwawi en 1825/1240h.).

III. L’environnement d’as-Sanusi

12Afin de cerner les raisons à l’origine de la Sughra, il est nécessaire de bien comprendre ce qu’a été l’environnement (intellectuel, religieux, spirituel, scientifique...) d’as-Sanusi. En particulier, nous mettons l’accent sur les rapports intellectuels Béjaia – Tlemcen.

a) Les maîtres d’as-Sanusi

13As-Sanusi a étudié à Tlemcen auprès de plusieurs professeurs. Parmi ceux qui l’ont marqués, citons :

14

  • Ibn Zaghu (1380-1441), l’un des plus grands maîtres de Tlemcen. Il est l’auteur d’un commentaire de la Tlemçaniya sur la science des héritages d’Ibrahim Et-Tlemçani. On lui doit une quantité de Fatawi, dont une grande partie a été transcrite dans le Mi`yar (lÉtalon) d’al-Wansharisi et dans les Cas de Jurisprudence d’El-Mazouny. Il eut pour professeur Said al-Uqbani (1320-1408).
  • Ibn Marzuq al-Ḥafidh (le petit fils) (1364-1439). Il est l’auteur d’un poème du mètre redjez sur le Talkhis du mathématicien marocain Ibn al-Banna (1256-1321), ainsi que sur l’art de dresser les calendriers.
  • Al Hacen Aberkan (mort en 1453). Il était un Ghouth (secours), un pôle. Il a eu pour maître : Ibn Marzuk al-Ḥafidh. Parmi ses élèves : at-Tenessi, as-Sanusi. Après la mort de son père, le cheikh partit pour l’Orient et y séjourna longtemps. C’est à Bougie qu’il fit la plus grande partie de ses études auprès des disciples de `Abderraḥman al-Waglisi et des autres savants de la ville.
  • Nasr ez-Zwawi a été un disciple d’Ibn Marzuk al-Ḥafidh et un professeur d’as-Sanusi : « Lorsque je vins à Tlemcen, je connaissais par cœur le précis de jurisprudence d’Ibn al-Hadjib ». « Notre professeur Sidi Nasr n’était, en effet, venu à Tlemcen qu’après avoir parfaitement appris la langue arabe à Bougie auprès de professeurs de cette ville ».
  • Ahmed Ben Zekri (mort en 1494) est l’auteur de nombreuses Fatawi (décisions juridiques) qui ont été transcrites par al-Wansharisi dans son Mi`yar (lÉtalon). Ben Zekri discuta avec as-Sanusi de nombreuses questions. Chacun soutenait son opinion et réfutait celle de son adversaire. Parmi ses disciples, citons Aḥmed Zerruq al-Barnusi.
  • At-Tenessi (mort en 1493). Il naquit à Tlemcen et eut pour maître Ibn Marzuk al-Ḥafidh, Qasim al-`Uqbani, Ibrahim at-Tazi (mort en 1462). Selon Al Andalousi : « La science est l’apanage d’Et-Tenessy, la piété caractérise as-Sanusi, et c’est à Ibn Zekri qu’appartient l’excellence du professorat ».
  • Al-Qalasadi (Basta, 1412 – Béja, 1486). Il est considéré comme étant « le dernier des mathématiciens ». C’est à Tlemcen qu’il a perfectionné sa formation. Parmi les nombreux maîtres qui l’ont marqué, citons Ibn Zaghu (m. 1444) et « le cheikh des cheikhs », Ibn Marzuk al-Ḥafidh
    (m. 1439). On peut apprécier l’impact de ces études en se référant à sa Riḥla (le voyage) : « Nous nous sommes réunis en Egypte avec le brillant docte, le vertueux al-Machdaly. Je n’ai jamais vu quelqu’un capable d’assimiler aussi bien que lui les sciences. Il touche à tout et y réussit. Nous avons évoqué notre séjour à Tlemcen où nous avions passé des jours agréables en compagnie de savants maîtres de leurs sciences ».
  • Al-Ḥabbak (m. en 1462). Spécialiste de la science des héritages et de l’arithmétique. Il est l’auteur d’un commentaire sur le Talkhis d’Ibn al-Banna, ainsi que d’un commentaire sur la Tlemçaniya en sciences des héritages. C’est cependant en tant qu’astronome qu’il doit sa renommée. C’est sous sa direction qu’as-Sanusi a étudié une grande partie de la science de l’astrolabe et a commenté son ouvrage « objet des désirs des étudiants touchant la science de l’astrolabe ».
  • `Abderraḥman Ath Tha`alibi a été le maître d’as-Sanusi en Ḥadith. Il lui a délivré un diplôme par lequel il lui conférait le droit d’enseigner tout ce qu’il avait été lui-même autorisé à enseigner.

b) Les élèves d’as-Sanusi

15As-Sanusi a formé de nombreux disciples, parmi lesquels citons : Belqacem az-Zwawi, al-Mellali et Aḥmed Zerruq al-Barnusi (Fès 846h./1443 – Mesrata 899h./1493). Ce dernier a eu des maîtres prestigieux, originaires de différentes régions du pays (al-`Aydli pour Tamokra, ath-Tha`alibi pour Alger, as-Sanusi pour Tlemcen), tous fortement liés à Béjaïa. Devenu professeur dans cette ville, il y rédigea son fameux ouvrage Qawa`id at-Tassawuf. Effectivement, Aḥmed Zerruq avait d’abord étudié à Tlemcen chez Sanusi, Ben Zekri, at-Tenessi et Ibrahim at-Tazi, avant d’aller à Béjaia créer une école célèbre, dont l’un des étudiants les plus en vue était Aḥmed Ben Youcef, de Méliana. Aḥmed Zerruq était considéré par Aḥmad Baba at-Tambukti comme étant « l’un des derniers maîtres du soufisme véritable, qui allie la vérité et la Shari`a ». Sa grande devise était « pas de soufisme sans [respect] du droit ».

16Quant à Ibrahim al-Mellali (xve siècle), il est également originaire du Maroc. Il a été un disciple fidèle d’as-Sanusi à Tlemcen. En plus du Sharḥ (commentaire) de la Sughra, al-Mellali a consacré un ouvrage biographique à son maître : al-Mawaḥib al-Qudusiya fi Manaqib al-Sanusiya.

La Khalwa de Cheikh Sanusi dans la Médina de Tlemcen (Derb Bani Djamla)

La Khalwa de Cheikh Sanusi dans la Médina de Tlemcen (Derb Bani Djamla)

La Khalwa de Cheikh Sanusi dans la Médina de Tlemcen (Derb Bani Djamla)

Waqf qui figure dans la mosquée Cheikh Sanusi - Tlemcen

Waqf qui figure dans la mosquée Cheikh Sanusi - Tlemcen

Waqf qui figure dans la mosquée Cheikh Sanusi - Tlemcen

IV. Les rapports intellectuels Béjaia – Tlemcen

17Avant d’analyser les liens de Cheikh Sanusi avec la Kabylie, attardons-nous sur les rapports intellectuels Béjaia-Tlemcen. En effet, il est important de comprendre l’environnement dans lequel il a vécu et travaillé.

18De tous les rapports inter-villes, ce sont les échanges intellectuels entre Tlemcen et Béjaia qui ont eu le plus d’impact sur le développement des activités scientifiques et culturelles au Maghreb central et en Méditerranée. En effet :

19

  • Du xie au xiiie siècle, de nombreux tlemcéniens se sont rendus à Béjaia pour poursuivre leurs études. Beaucoup d’entre-eux sont devenus de véritables savants et s’y sont installés pour enseigner ou bien pour y exercer des fonctions administratives ou juridiques. C’est le cas par exemple de `Abdelaziz b. Makhluf (Tlemcen 1202-1286). Cadi à Bougie, il va y rencontrer l’imam du Tassawuf al-Ḥirrali (mort à Damas en 1240), Ibn Maḥrez ainsi que le bio-bibliographe al-Gubrini (m. 1304).
  • Aux xive et xve siècles, ce sera le tour des bougiotes de privilégier la direction Tlemcen. On verra ainsi le célèbre savant `Amran al-Mashdali (1270- 1345), Nazil Tilimsan, qui fut distingué par le sultan Abu Tashfin et qui assura le cours inaugural à la Médersa Tashfiniyya.

20Ces liens particuliers et privilégiés entre ces deux cités algériennes prestigieuses vont jouer un rôle essentiel dans la constitution de la tradition scientifique médiévale du Maghreb.

21Il est intéressant de retracer chronologiquement le processus qui a permis aux deux villes d’acquérir le statut de Centre d’enseignement supérieur, tout comme Fès et Marrakech à l’Ouest, ou bien Kairouan, Tunis et le Caire à l’Est. À titre d’exemple, rappelons la place occupée par la Murshida d’Ibn Tumart dans l’enseignement à Tlemcen et du rôle d’Abdelmoumène dans la diffusion de ce texte [12]. Il en est de même de la notice du bio-bibliographe de Béjaia al-Gubrini (mort en 1304) relative à la place des mausolées de Sidi Boumedienne (Tlemcen) et de Sidi Yaḥia Abu Zakariyya (Béjaia) [12].

22Tout le monde connaît les liens des frères Ibn Khaldun avec les villes de Béjaia et Tlemcen. Il est donc également utile de mettre l’accent sur des points spécifiques : la manière dont `Abderraḥman a utilisé les rapports politiques Abdelwadides – Hafsides pour définir la notion de frontière et la description de la Médersa Ya`koubiyya par Yaḥia dans son fameux traité Bughyat ar-Rawda. De même, il faut analyser les ouvrages de référence permettant d’identifier les bougiotes de Tlemcen et les tlemcéniens de Bougie. Il s’agit ici du Mi`yar du jurisconsulte al-Wansharisi (1420-1508), du Bustan du bio-bibliographe Ibn Maryam (mort en 1602) et du Ihata de l’andalou Ibn al-Khatib (1413-1474). On apprend ainsi que c’est probablement pour `Amran al-Mashdali (1270- 1345) qu’a été édifiée la Médersa Tashfiniyya. Les liens avec Béjaia de Chérif at-Tlemçani (1310-1370), d’al-Huwwari (mort en 1440) et de Abu `Ali Aberkan (mort en 1453) sont précisés [12].

23En ce qui concerne la contribution de certains savants prestigieux, citons le rôle du mathématicien al-Abili (1282-1356) dans la structuration de l’école mathématique de Tlemcen et celui du chef des savants Ibn Marzuq al-Djad (1310-1369) dans le renouveau des études de fiqh au Maghreb. Rappelons également la manière avec laquelle le mathématicien Sa`id al-`Uqabani (1320- 1408) a appliqué la méthode des fractions de l’algébriste de Bougie al-Qurashi (mort en 1184) pour réaliser son commentaire du traité en science des héritages de l’andalou al-Ḥawfi (mort en 1192). D’un autre côté, nous observons que c’est la formation à Béjaia et à Tlemcen d’Abu Fadhl al-Mashdali (1419-1465) qui lui a permis de mettre au point sa fameuse méthode en Tefsir qui prend en compte la cohérence dans le Coran [12]. Enfin, il faut chercher à comprendre pourquoi, après des séjours prolongés à Tlemcen et Béjaia, un grand savant comme Aḥmed Zerruq al-Barnusi ira s’isoler à la zawiyya de Tamokra, au fin fond des montagnes de Kabylie, avant de reprendre le flambeau pour l’Orient.

24Lors du vernissage de l’exposition « Les échanges intellectuels Béjaia-Tlemcen » [12], des documents exceptionnels ont été présentés. Ils permettent pour la première fois de connaître les conditions de la siyaḥa du voyageur L’Hocine al-Wartilani (1713-1779) à Tlemcen. De même, sur un ikhtilaf (désaccord) entre les uléma de Béjaia et de Tunis, nous voyons les uléma de Tlemcen prendre position pour les uléma de Béjaia. Enfin, on comprend pourquoi le jurisconsulte tlemcénien al-Maghili (mort en 1503) a accordé une telle importance aux Fatawi du célèbre Muphty de Béjaia al-Waglisi (mort en 1384).

V. Les liens de Cheikh Sanusi avec la Kabylie

25As-Sanusi a eu des liens particuliers avec la Kabylie. Nous ignorons s’il a séjourné à Bougie, mais les éléments suivants permettent de caractériser ses liens avec la cité :

26

  • certains de ses maîtres tlemcéniens avaient poursuivi leurs études à Bougie : Abu `Ali Aberkan (mort en 1493), `Abderraḥman ath-Tha`alibi (à Bougie en 1400-1408) ;
  • il côtoya des étudiants bougiotes à Tlemcen. Parmi eux, citons le célèbre savant Abu Fadhl al-Mashdali (1419-1465) ;
  • il a eu des étudiants originaires de Kabylie, à l’image de Belqacem az-Zwawi ;
  • il a eu des étudiants qui ont tissé des liens particuliers avec la Kabylie.

27C’est le cas de Aḥmed Zerruq al-Barnusi, originaire de Fès, qui poursuivra ses études à Béjaia, avant d’aller enseigner à Tamokra, à la zawiyya Yaḥia al-`Aydli (mort en 1477) ;

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  • il fit un commentaire (inachevé) d’al-Waghlisiyya. Ce traité de fiqh rédigé par le muphty de Bougie `Abderraḥman al-Waglisi (mort en 1384) a constitué pendant des siècles, le manuel de référence pour les étudiants dans le domaine de la jurisprudence ;
  • sa `Aqida as-Sughra a été très populaire en Kabylie au xixe siècle (voir supra, paragraphe II) ;
  • la Sughra a été traduite en langue berbère en Kabylie. Elle y a même fait l’objet de commentaires en langue berbère.

29La question essentielle ici est de cerner ce qui a motivé la réalisation du Sharḥ (commentaire) inachevé dal-Waghlisiyya : est-ce l’intérêt de ses maîtres et de ses élèves pour ce texte ? En effet, Abu `Ali Aberkan et `Abderraḥman ath-Tha`alibi avaient étudié à Bougie auprès des élèves d’al-Waglisi (mort en 1384). Or, ath-Tha`alibi n’a-t-il pas souligné que : « dans le domaine du fiqh, la Waghlisiyya a été au programme des enseignements pendant une longue période ».

30Originaire de Sidi Aïch (tribu des Ath Ouaghlis), ce savant a créé dans la région une école de jurisprudence dont l’influence va persister sur plusieurs siècles. Il a, par ses remarquables enseignements, formé toute une génération de disciples, qui deviendront des uléma célèbres (al-Mashdali...). À travers al-Waghlisi et ses disciples, on voit clairement à quel point ont été puissants les rapports qui avaient existés entre Béjaïa et sa province d’une part, et Béjaïa et les autres cités algériennes d’autre part (Alger, Oran, Tlemcen...).

31L’ouvrage d’al-Waghlisi va devenir pendant des siècles le livre de base de l’enseignement pour les débutants. Il a été commenté par de nombreux savants célèbres (`Abdelkrim az-Zwawi, Aḥmed Zerruq al-Barnusi, Abu `Abdellah as-Sanusi) et a été abrégé par `Abd-er-Raḥman as-Sebbagh à la demande du célèbre Yaḥia al-`Aydli, fondateur de l’une des toutes premières zawiyya-instituts de la Kabylie. Ses consultations juridiques, encore présentes de nos jours dans des ouvrages de référence en Algérie (al-Maghili), au Maroc (al-Wansharisi) et en Andalousie (al-Ziyati), permettent de comprendre la profondeur de son raisonnement et surtout de cerner ce qu’était la vie sociale dans la région à cette époque.

Sharḥ al-Waghlisiyya de Aḥmed Zerruq al-Barnusi. Ce traité a été rédigé à Tamokra à la demande de Yaḥia al-`Aydli

Sharḥ al-Waghlisiyya de Aḥmed Zerruq al-Barnusi. Ce traité a été rédigé à Tamokra à la demande de Yaḥia al-`Aydli

Sharḥ al-Waghlisiyya de Aḥmed Zerruq al-Barnusi. Ce traité a été rédigé à Tamokra à la demande de Yaḥia al-`Aydli

La Zawiyya de Tamokra dans laquelle a enseigné Aḥmed Zerruq al-Barnusi

La Zawiyya de Tamokra dans laquelle a enseigné Aḥmed Zerruq al-Barnusi

La Zawiyya de Tamokra dans laquelle a enseigné Aḥmed Zerruq al-Barnusi

32Quant à Aḥmed Zerruq al-Barnusi, il termina son commentaire de la Waghlisiyya en 1473, dans la zawiyya de Tamokra (à une trentaine de kilomètres d’Akbou). Ce commentaire, comme l’abrégé de la même œuvre décrit ci-dessous, a été composé à la demande de Yaḥia al-`Aydli (mort en 1477), maître de cette première zawiyya rurale de la région de Béjaïa. Le but de ce commentaire était donc l’enseignement, comme l’avait déjà été celui de la Waghlisiyya elle-même, ce qui explique ses phrases courtes, sa préoccupation avec les questions les plus basiques de l’islam, et sa clarté. Ainsi, la première partie du commentaire explique les notions de la foi et de l’islam dans l’ouvrage d’al-Waglisi ; la deuxième aborde ses enseignements, les règles (aḥkâm) de la prière ; et la troisième détaille les opinions d’al-Waglîsî sur la sincérité (ikhlâs), la conviction (yaqîn), la piété (wara‘) et le renoncement ou l’ascèse (zuhd).

VI. Les traductions (et les commentaires) en langue berbère de la Sughra

33La traduction en langue berbère de la Sughra est le premier texte berbère découvert en Kabylie en dehors des Qanun kabyles. En effet, dès 1893, l’orientaliste J. D. Luciani soulignait « l’absence à peu près absolue de documents écrits en langue berbère ». Il précisait que le seul exemple peut-être qui existe dans les territoires soumis à la domination française « est celui d’un petit résumé de la théorie du Tawhid ». J. D. Luciani a analysé le contenu de ce manuscrit. Il affirme qu’il s’agit d’une traduction très sommaire du traité connu sous le nom de Sanusiyya. Il a également examiné les particularités du système de transcription. Il affirme que les écrits fourmillent de locutions arabes. Précisons qu’une copie de ce manuscrit figure également dans Afniq n Ccix Lmuhub. Il date du xviiie siècle et y est répertorié KA no 21 [10]. Un décompte statistique des mots du manuscrit a permis de conclure :

Nombre de mots du texteNombre de mots en arabeNombre de mots arabes berbérisésMots berbères
1061155
Exemple des mots : tableau im7 Tasalsul, tableau im8 al- aqsam
626
Exemple des mots : sifati-s, d ajedid
280
Exemple des mots : felas, sin, d acu,
tableau im9

34La présence de ce manuscrit dans la Khizana de Cheikh Lmuhub pourrait signifier qu’il était assez répandu dans toute la région d’Ath Urtilan. Pour avoir une idée du degré de la traduction, nous reproduisons ci-après un fragment de ce texte [2] :

35 Leqdem isezwar leεdem

36Lebqa ur t-itt laḥaq ara leεdem

37Lemxalfa d amxalef g ḍḍat-is

38Ur t-illi ara d leğṛem

39D acu d leğṛem ?

40Dayen Ittzeyyiḥen lγir-is ittaγ leqder-is

Traduction en langue berbère de la `Aqida as- Sughra de Cheikh Sanusi. Ms. du xviiie siècle

Traduction en langue berbère de la `Aqida as- Sughra de Cheikh Sanusi. Ms. du xviiie siècle

Traduction en langue berbère de la `Aqida as- Sughra de Cheikh Sanusi. Ms. du xviiie siècle

Commentaire en langue berbère de la ‘Aqida Sughra de Cheikh Sanusi (qui est originaire de Béni Senous)

Commentaire en langue berbère de la ‘Aqida Sughra de Cheikh Sanusi (qui est originaire de Béni Senous)

Commentaire en langue berbère de la ‘Aqida Sughra de Cheikh Sanusi (qui est originaire de Béni Senous)

41La Khizana de Cheikh Lmuhub comprend également un commentaire versifié de la Sanussiyya. Nous avons identifié le copiste du manuscrit KA no 22 [10] à partir de l’écriture. Il s’agit de Lmahdi Ulaḥbib. Cette copie a dû être rédigée dans la première moitié du xxe siècle (probablement vers 1953). Voici un premier fragment du texte de ce manuscrit [2] :

42

A d bduγ g lwağeb
Ṛebbi yella ulac lickal
S ddalil i berzent tlufa
Ma d leğrem iqebl-it
Laεqal...

43Voici un deuxième fragment :

figure im12

44La transcription en caractères latins : Ddalil γef Rebbi mewğud d mnaneε ad ikkes nesmaqal. La traduction donne : « La preuve que Dieu est présent, Il nous protège mais nous ne le voyons pas ».

VII. Les parlers berbères de Béni Snous et de la Kabylie

45La région de Béni Snous est semi-montagneuse. Elle est située à 35 km à l’ouest de Tlemcen. Les Ayt Snus sont donc des Berbères de l’Oranie. La langue et la culture berbère y sont attestées depuis des siècles. Parmi les traditions connues des Ayt Snus, citons la fameuse fête de Yennayer (nouvel an berbère), qui est encore célébrée tous les 12 janvier par la population [17]. Cette contrée a fourni de nombreux savants et souverains berbères à Tlemcen sous la dynastie des Abdelwadides. Le plus connu est Cheikh Sanusi (1412- 1490), auteur de la légendaire `Aqida as-Sughra.

L’îlot des Béni Snous est une région berbérophone située à 35 km de Tlemcen

L’îlot des Béni Snous est une région berbérophone située à 35 km de Tlemcen

L’îlot des Béni Snous est une région berbérophone située à 35 km de Tlemcen

La langue et la culture berbère sont attestées à Béni Snous depuis des siècles. Ci-dessus, Dictionnaire français-berbère par E. Destaing en 1907

La langue et la culture berbère sont attestées à Béni Snous depuis des siècles. Ci-dessus, Dictionnaire français-berbère par E. Destaing en 1907

La langue et la culture berbère sont attestées à Béni Snous depuis des siècles. Ci-dessus, Dictionnaire français-berbère par E. Destaing en 1907

46Au début du xxe siècle, le berbérisant et arabisant Edmond Destaing, alors professeur à la Médersa de Tlemcen, a passé plusieurs années à Béni Snous et au Kef pour étudier le dialecte amazigh local. Il y a notamment produit un remarquable Dictionnaire français – berbère (dialecte des Béni Snous) [15]. Il a également réalisé une étude remarquable sur les Fêtes et coutumes saisonnières chez les Béni Snous (1907) [16]. Voici la traduction d’un texte sur les croyances qui lui ont été dictées en berbère par Mohammed Bencheuir des Ayt Larbi :

47« Dans nos montagnes des Béni Snous, l’hiver est très rigoureux. Pendant plusieurs jours, la neige, chaque année, y couvre la falaise de l’Azrou Oufernane qui domine notre village. Mais c’est au commencement du mois de mars que le froid se fait le plus vivement sentir. Il y a à cette époque une période de sept nuits et de huit jours pendant lesquels souffle un vent violent. Ce vent est d’une telle violence qu’on ne saurait répondre de la vie d’un oiseau qui, à ce moment, sortirait de son nid ».

48Afin de saisir le degré de proximité entre les deux parlers berbères de Béni Snous et de Kabylie, nous nous sommes donc basés sur les travaux d’Edmond Destaing (cf. [15], [16], [17]). En particulier, nous avons transcrit en caractère latin le texte berbère recueilli oralement auprès de M. Benchenir [16] (et transcrit en caractères arabes). La lecture et l’analyse permettent d’identifier les mots (du texte du dialecte des Ath Larbi des Béni Snous) apparentés au dialecte kabyle.

La transcription en caractères arabes du texte berbère recueilli par Edmond Destaing chez les Béni Snous (1906)

La transcription en caractères arabes du texte berbère recueilli par Edmond Destaing chez les Béni Snous (1906)

La transcription en caractères arabes du texte berbère recueilli par Edmond Destaing chez les Béni Snous (1906)

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  1. Adrar n At Snus yettili deg-s usemmiḍ yaru di lmecta * kull aseggas
  2. Yethufa deg-s udfel.... Uẓru d ufernan yeẓẓar di ddecret-nneγ.
  3. Yettili usemmiḍ yuεer deg umezwaru n Mars * yettili di yyur-nni sebεet
  4. N yiḍan d tmanya n wussan deg-sen aḍu yeqseḥ am wujris yethufa deg-sen
  5. Anẓar neγ adfel neqqar-asen ssabεet.
  6. Rebεa n wussan ineggura ttγaren deg-sen baεd n tiγetten d txeswin d tfunasin.
  7. Ttilin tezyen ttγaren si usemmiv ula ttmettaten arraw-nsen su laẓ u ttafen aγi matta.
  8. Yettḍen
  9. Tasekkurt di ssabεet qayet nehden tbetta ad tarew
  10. Ssabεet tettili turu sebεa n tmellalin, qqaren medden qayet sebεa
  11. N tmellalin
  12. Ma yella winna issaswen tazzart-nnes di yiḍan yaziraren yetnusa nacir-nnes.
  13. Yeččur s tazzart, winna wiss nunnec di yiḍan yaziraren yettnusa nacir-nnes.
  14. Yaxwa, qqaren-as tinak yiḍan ibercanen deg-sen tullest yuseε waéar-nnec*
  15. Deg-sen tfut walu

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501- Ssabεet yella deg-s leqrav ad mmten xelq Llah di tsaεet tict.
2- Ad iwelli kul-ci d aman * yella γir d lebḥer di d-ğğan di ddunit.
3- Kull aseggas yettili ssabεet neqqar a yella deg-s leqraḍ ax-nneγ * necnin
4- Nettuggad ad neqreḍ nettleṭṭef si Rebbi, ntetter si Rebbi ad aneγ-iγaṭ* lbetta
5- Ddunit tessuffeγ aγrum tazzart d yiwzan d ubelbul n ssadaqet mi yezzi xneγ
6- Yelṭef Rebbi s lxir
7-
8- Rifer-nnes yettas-d yisγi. Winna yeẓran isγi................. amezwar
9- Yettak lfal-nnes. Ma yella nettan s ubeddi yeqqar-as ẓriγ-cek ay isγi d nečč
10- S ubeddi *............ iteqqen tiṭṭawin-nnes itinez di tmurt........
11- Si swadda yuvar-nnes afusi * iteqqel di wacal-nni deg ufus-nnes.
12- Ma yeẓẓar c deg-s i d-ǧǧan fuzaz iteqqel di llun-nnes* ma yella d abercan
13- Ad yesγa yeğğan nwi-s abercan neγ aserdun abercan neγ timart taber
14- Cant ma yella yufa-t s yudem-nni-ines ma yella d amellal neγ d aziza neγ d azeggaγ
15- Isγa lebhimet tamellalt neγ tazizawt neγ tazeggaγt
16- D ma yella yeẓra isγi d nettan s uγimi neγ yeẓẓel yettili uskas-nnes d uqbiḥ itekked
17- A yehlec deg-s neγ ad immet qrib ma yella yexs Rebbi
18- Yettas-d tayna iberru zfersen ma yezzi nessuffeγ-iten si tmurt yettar-yaneγ
19- Lefqih di tuqay nettek-iten di wurta-nneγ yesrusa Rebbi deg-neγ ṛṛeḥmet
20- Yetṛuḥa xenneγ s lqedret n Rebbi

51Quelques éléments d’analyse :

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LignesVerbesNoms et adjectifsPrépositions, pronoms
1YettiliAdrar / At Snus / usemmiv/ aseggas / lmectaDi / Kull
2Yethufa / Yeẓẓarudfel / uẓru / ufernan / ddecretdeg / di / -s / -nneγ
3Yettili / yuεerUsemmiv / amezwaru / yyurDi
4Yeqseê / yethufaIvan / wussan / Avu / wujrisDeg / -sen
5NeqqarAnéar / adfel / ssabεet- asen
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6TtγarenWussan / ineggura / tiγeṭṭen / tixeswin (pl. tixsi) / tfunasinDeg / d / -sen
7Ttilin / ttγaren / ttmettaten ttafen/Arraw / laẓ / aγi- nsen /
8Yettven
9Ad taru (ad tarew) / qqarenTasekkurt /ssabεetDi
10Tettili / tiru (= turew)Sebεa / tmellalinn
11Tmellalinn
12YellaTazzart, yivan (uvan)Ma, winna / -nnes
13YeččurTazzart, yivan (uvan)Di / -nnes
14Qqaren, yuseεYivan, ibercanen (iberkanen), tullest, waéar- as / -sen / -nnec
15tfutDeg-sen

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LignesVerbesNoms et adjectifsPrépositions, pronoms
1Yella, ad mmtenSsabεet / leqraḍ / Xelq
Llah, tsaεet
di
2Ad iwelli, yella, d-ğğanaman, lebḥeṛ, ddunitd / γir/ di
3Yettili, neqqarAseggas / leqraḍdeg / -nneγ
4Nettuggad / ad neqreḍ / ntetter / ad aneγ-iγaṭRebbisi
5Tessuffeγ, yezzi, YelṭefAγrum / tazart / yiwzand
6YelṭefRebbi, lxiṛs
7
8Yettas-d, yeẓranYisγi / isγi / amezwarWinna
9Yettak / Yeqqar-as, ẓriγ- cek (ẓriγ-k)lfal/ -nnes / D / nečč (nekk)
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10IteqqenUbeddi (ibeddi), tiṭṭawin (allen)s
11iteqqelYuḍar-nnes (uḍar-is), wacal-nni (wakal-nni)Si / di / -nnes
12yeẓẓar / d-ğğan / iteqqel / yellaufus (ufus-is), llun / abercan (aberkan), aserdunMa / deg / -s / di / -nnes / ma
13Ad yesγaaserdun / abercan, timart,taberneγ
14yufa Yeẓẓar c, iteqqelYudem / amellal / aziza / azeggaγMa / -ines / d
15Isγalebhimet / tamellalt / tazizawt / / tazeggaγt
16yella yeẓra / yettili / itekkedisγi / uskas / uqbiḥma / d / s / neγ / -nnes / d
17yehlec / ad immet / yella / yexsṚebbideg / -s / ma

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VIII. Parler berbère de Béni Snous et traduction de la Sughra

52Certes, nous n’avons pas retrouvé de manuscrits de langue berbère dans la région de Béni Snous. Cependant, les éléments suivants permettent de poser la question : est-il possible que la première traduction en langue berbère de la Sughra n’ait pas été réalisée au Maroc (voir dans le manuscrit al-Ḥaoudh) ou bien en Kabylie (voir le manuscrit de Luciani), mais plutôt à Béni Snous, à l’attention des fidèles berbérophones de cette région ? En effet :

53

  • As-Sanusi est originaire de Béni Snous. Il a toujours eu à cœur de « faire passer son message », puisqu’il a réalisé lui-même des Sharḥ (commentaires) de sa Sughra.
  • As-Sanusi a eu des liens privilégiés avec la Kabylie. La profondeur de ces liens a pu être cernée à travers l’analyse des commentaires de la Waghlissiya réalisés par lui-même et par son élève Ahmed Zerruq al-Barnusi.
  • La popularité de la `Aqida as-Sughra en Kabylie au xixe siècle.
  • La structure du texte de la Sughra (14,5 % de mots arabes, 59 % de mots arabes berbérisés et 26,50 % de mots berbères).
  • La proximité des parlers berbères de Kabylie et de Béni Snous.

54À ce niveau, il est raisonnable de conclure que la Sughra a tout à fait bien pu être traduite en langue berbère d’abord dans la région de Béni Snous (Tlemcen), à l’intention des populations berbérophones. En effet, après l’islamisation du Maghreb, la langue berbère était restée une langue de communication. À titre d’exemple, de nombreuses sources rapportent que le Mehdi Ibn Tumart, fondateur de la dynastie almohade, avait une parfaite connaissance de la langue berbère (cf. Al-Marrakechi, Ibn Khaldun). Rappelons ici que c’est en 1118 à Mellala, un petit village près de Béjaia, qu’il rencontra `Abdelmoumen, et qu’il lui enseigna sa doctrine unitaire. Par la suite, Ibn Tumart traduira en langue berbère plusieurs de ses ouvrages, composés initialement en langue arabe.

55De fait, il est connu que durant tout le Moyen Âge, de nombreux berbérophones rencontraient des difficultés pour accomplir la prière. C’est pourquoi le célèbre jurisconsulte et mathématicien tlémcénien al-`Uqbani (1320-1408), élève, puis qadi de Béjaia, fût interrogé sur les gens qui invoquent Dieu (Du`a) en langue berbère. Il répondit que cela est autorisé, car Dieu comprend toutes les langues (cf. Fatwa d’al-Uqbani dans le recueil al-Mi`yar d’al-Wansharisi).

Conclusion

56Au vu des éléments présentés tout au long de cet article, on comprend en quoi et pour quelles raisons les liens de Cheikh Sanusi avec la Kabylie furent si profonds. Il est possible d’aller plus loin dans l’analyse en réalisant une étude comparative des traductions de la Sughra au Maroc et en Kabylie.

Bibliographie

Références

  • [1] Actes du Workshop Les Manuscrits de langue berbère de la Kabylie, Djamil Aïssani et Tassadit Yacine éd., Tala Uzrar (Béni Ourtilane)/ Bibliothèque Casbah (Béjaia) et Boudjellil, mai 2008 et juin 2009.
  • [2] Aïssani D., « les écrits de langue berbère de la collection de manuscrits Ulahbib », Études et Documents Berbères, no 15-16, 1998, pp. 81-99.
  • [3] Aïssani D., « Le manuscrits musulmans du Maghreb », in Les Trésors manuscrits de la Méditerranée, Paris/Dijon, Faton éd., 2004, pp. 81-99.
  • [4] Aïssani D., Les documents historiques de la Kabylie, séminaire de l’Inalco (Chaker-Bounfour), Paris, novembre 2006.
  • [5] Aïssani D., « Les manuscrits de langue berbère de la Kabylie », actes du séminaire international Base de données électronique de lamazighe, Université d’Agadir et IRCAM Éd., Agadir (Maroc), décembre 2006.
  • [6] Aïssani D., Mechehed D.E., « Usage de l’écriture et production des savoirs dans la Kabylie du xixe siècle », REMMM, no 121-122, Aix-en-Provence, 2008, pp. 239-259.
  • [7] Aïssani D., « Nouvelles localisations d’écrits de langue berbère en Kabylie », Proceedings du colloque international sur les Manuscrits amazighs, O.C.L.A.Ed., Barcelone, juin 2009.
  • [8] Aïssani D. et alii, « Les Manuscrits de langue berbère de la Kabylie », Studi Africanistici : Quaderni di Studi Berberi e Libico-berberi, no 1, Napoli, UNIOR – L’Orientale éd., 2011, pp. 191-210.
  • [9] Aïssani D. et alii, « Les Rapports intellectuels Béjaia-Tlemcen ». `Oussour al-Jadid, vol. no 2, Université d’Oran éd., Oran, 2011, pp. 27-50.
  • [10] Aïssani D. et Mechehed D.E., Manuscrits de Kabylie : Catalogue de la collection Ulaḥbib, Alger, CNRPAH, éd., 2011.
  • [11] Aïssani D., « Les Savants de Tlemcen, les rapports inter-villes et la tradition scientifique du Maghreb », Actes du colloque international Penseurs et figures illustres de Tlemcen, CNRPAH Alger/Université de Tlemcen, éd., Palais de la Culture, Tlemcen, avril 2011.
  • [12] Aïssani D. et Djehiche M., Les échanges intellectuels Béjaia-Tlemcen, Alger-Tlemcen, ministère de la Culture, éd., 2011, 165 pages.
  • [13] Boulifa S., « Manuscrits berbères du Maroc », Journal asiatique, Paris, 10/6, 1905, pp. 333-362.
  • [14] Ben Brahim Mohamed, Al-Haoudh, Ms. No 615, Bibliothèque – Musée d’Alger (cf. Luciani).
  • [15] Destaing E., Dictionnaire français-berbère (dialecte des Béni Snous), Paris, Ernest Leroux éditeur, 1914.
  • [16] Destaing E., « Fêtes et coutumes des Béni Snous », Revue africaine, vol. 50, 1906, pp. 374-375.
  • [17] Destaing E., « L’Ennayer chez les Beni Snous », Revue africaine, vol. 49, 1905, pp. 51-70.
  • [18] Luciani J.D., « El-H’aoudh, Manuscrit berbère de la bibliothèque-Musée d’Alger », Revue africaine, vol. 37, 1893, pp. 151-180.
  • [19] Mechehed D.E. et Aïssani D., « Les Rapports de Cheikh Sanusi avec la Kabylie », in Les échanges intellectuels Béjaia-Tlemcen, Alger-Tlemcen, ministère de la Culture éd., 2011, pp. 91-102.

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