Couverture de EDB_031

Article de revue

Structure syllabique de la langue touarègue

Nouvel éclairage sur les voyelles schwa et ‘a bref ’

Pages 129 à 169

Notes

  • [1]
    Table ronde internationale organisée par INALCO en 1993 : Phonologie et notation usuelle dans le domaine berbère.
  • [2]
    « An understanding of syllable structure is essential for an understanding of the phonological organization of a language ».
  • [3]
    « The main preoccupation of recent phonological studies is the search for syllabic build-up ».
  • [4]
    Maîtrise en linguistique. Université de New England, Australie, 2000. « Les voyelles touarègues à l’écrit. Avantages et inconvénients des trois graphies : arabe, tifinagh et latine ».
  • [5]
    Département national d’alphabétisation fonctionnelle et de linguistique appliquée.
  • [6]
    Les mots touaregs cités dans cet article proviennent du parler du sud algérien, mais l’analyse présentée s’applique également aux autre parlers.
  • [7]
    Dans certains cas limités, il peut exister en japonais une syllabe à voyelle unique, c’est-à-dire, sans consonnes.
  • [8]
    L’anglais, tout comme le français, peut présenter des séquences de voyelles. Dans un souci de simplicité, nous n’avons pas évoqué cette complexité supplémentaire.
  • [9]
    Syllable structure is relatively uncomplicated, being limited to the four core syllables of CV, V, VC and CVC.
  • [10]
    ‘‘Doubly closed syllables only occur in word-final position’’.
  • [11]
    Les contraintes phonotactiques de la langue sont respectées, les séries de consonnes les plus courantes étant celles de consonne initiale « n » ou de consonne finale « t », par exemple : nd, ns, nt, mt, lt, st.
  • [12]
    « Maximal Onset Principle ».
  • [13]
    ‘This seems to be the way syllabification is effected in all languages, and so we may assume that it is the result of a principle of Universal Grammar.’
  • [14]
    « In Koryak we see epenthesis functioning to make clusters of consonants pronounceable ».
  • [15]
    Il est intéressant de noter que dans le Hoggar, ce même mot se prononce [əg’las], la voyelle épenthétique étant insérée maintenant devant la suite de deux consonnes. Le résultat est le même, à savoir que les deux réalisations phonétiques se conforment à la structure syllabique qui ne permet pas une suite de deux consonnes en début de mot. On constate souvent ce même phénomène lorsque des locuteurs espagnols prononcent certains mots anglais : un [e] épenthétique est inséré devant certaines suites de deux consonnes, par exemple [stop] devient [estop].
  • [16]
    Certaines personnes préfèrent modifier le tifinagh traditionnel (à faible usage de voyelles) en ajoutant des voyelles à part entière. Dans cet exemple, en ajoutant le « a » de « glas », cela donne : ɣ∥•⨀.
  • [17]
    Savage, A. 2000. « Les voyelles touarègues à l’écrit. Avantages et inconvénients des trois graphies : arabe, tifinagh et latine ». Maîtrise en linguistique. Université de New England, Australie.
  • [18]
    En ajoutant la voyelle à part entière, ‘a’, ce mot donnerait : ꧴⋀○⦙◦∣
  • [19]
    Accent tonique incertain.
  • [20]
    En ajoutant la voyelle à part entière, ‘a’, ce mot donnerait : ◦⠕○ : ◦+
  • [21]
    La question de la tension consonantique ne sera ici que brièvement traitée.
  • [22]
    En ajoutant des voyelles à part entière, ce mot donnerait : ⵏ⠕◦+⊖
  • [23]
    « Syllabification is assigned at the phrase level ».
  • [24]
    D’après les critères d’identification d’un mot, la conjonction ‘d’ n’est pas un mot, mais un préfixe qui doit être rattaché au mot suivant, avec un trait d’union (graphie latine), ou sans.
  • [25]
    En ajoutant la voyelle à part entière, ce mot donnerait : +⊏⋯◦⊕. Notons également l’utilisation du caractère tifinagh « bi-consonne »‘rt’ ⊕. La question de ces caractères sera traitée en section 3.2.
  • [26]
    À noter : à l’origine l’accent tonique n’est pas indiqué dans ces exemples. Il a été rajouté, pour montrer son rôle déterminant dans la réalisation des voyelles brèves, voir section 4.4 « L’accent tonique ».
  • [27]
    Enquête menée par un groupe d’étudiants de Maîtrise en linguistique de l’Université de Madrid.
  • [28]
    Il arrive également que ces deux voyelles soient des formes réduites de voyelles phonologiques, surtout dans les noms (voir 4.4).
  • [29]
    Ce sont les règles d’accentuation qui déterminent la qualité de la voyelle épenthétique, donc le choix entre ə et ă.
  • [30]
    Les séquences consonantiques permises en fin de mot comprennent, entre autres, nd, ns, nt, mt, lt et st.
  • [31]
    À l’origine, l’accent tonique n’était pas indiqué. Nous l’avons rajouté.
  • [32]
    Ces exemples sont tirés de la langue tamazighte du Maroc central, cependant ce mot existe également en touareg, et nous sert d’exemple, la procédure et le résultat étant identiques.
  • [33]
    Il s’agit ici d’une ligature ⟙ que nous verrons plus loin.
  • [34]
    « On peut opter pour l’adoption du schwa seulement dans des suites de consonnes identiques pour éviter la création d’une suite de plus de deux consonnes identiques ». Ils donnent l’exemple de sbbb ʽcommercerʼ qui serait écrit, le ʽeʼ représentant le schwa, comme sbbeb.
  • [35]
    ‘‘In Koryak it is not unusual to find words which lack underlying vowels altogether. Such a thing is pronounceable, however, because Koryak imposes strict conditions on syllable structure’’.
  • [36]
    La forme phonétique de l’aspect impératif au négatif est identique à celle de l’accompli au négatif.
  • [37]
    ‘‘Tuareg geminates are easiest analyzed as bi-phonemic entries. In Tuareg poetic metre they always count as two consonants’’.
  • [38]
    Le sukûn et le shadda ne sont nullement obligatoires dans la graphie arabe. Ils fournissent surtout aux nouveaux lecteurs et aux étrangers des pistes supplémentaires pour prononcer la langue, en rendant visible sa structure syllabique. Les lecteurs avisés peuvent s’en passer.
  • [39]
    La forme phonétique a été adaptée en tenant compte des normes actuelles, et l’accent tonique a été ajouté. Il est à noter que la vocalisation telle que Foucauld l’indique, n’est pas toujours fiable ; par exemple, la transcription phonétique du premier mot devrait être : [tăγă’rit].
  • [40]
    À noter : en fin de mot, certains groupes consonantiques sont toutefois permis.
  • [41]
    L’accent tonique a été ajouté aux exemples de Ramada.
  • [42]
    Voir les cas de l’amazighe au Maroc et de la langue kabyle.
  • [43]
    Voir section 2.4.1 (tests orthographiques).
  • [44]
    Les exemples de cette partie sont donnés en graphie latine, dans laquelle la question de la représentation vocalique est primordiale. Cependant, le principe de visualisation est tout aussi applicable pour les autres graphies.
  • [45]
    Pour simplifier – gh est réactualisé en γ.
  • [46]
    Dans la colonne bb, e et i sont des variantes d’un même phonème.
  • [47]
    Exceptions 1s : classes b/c = i ; classe d = n (in). Variante 3s : classe d = nt.
  • [48]
    ... convey the word’s tri-consonantal morphologic origin.
  • [49]
    L’exemple original de Foucauld marque la longueur de la première voyelle /a/ alors que nous choisissons plutôt d’y marquer l’accent tonique. C’est cet accent tonique qui explique le rallongement de la voyelle.
  • [50]
    ‘‘If a word has fewer than three syllables, default accent occurs on the first syllable’’.
  • [51]
    An ideal writing system would allow experienced readers to read morphemically, the most efficient way for them ; yet it would allow them to sound out unfamiliar words as well as helping learners acquire reading and writing skills efficiently. 52.... that represented only consonants, was sufficient to write the basic structure of the language. For native speakers of the language... such reduced phonetic representation did not significantly interfere with its ability to function as a workable system of writing. 53.... it is exactly the defectiveness of the Arabic graphie... which makes texts more readable... enables people to read and write Arabic more or less correctly even if they have only reached lower educational levels.

1Dans le cadre de la préservation et de l’enseignement des langues berbères, un des éléments de la plus haute importance, qu’il convient encore et toujours d’approfondir et d’améliorer, est celui de la mise par écrit de la langue. C’est d’ailleurs dans cette optique qu’avait été posée la question clé suivante lors d’une table ronde internationale en 1993 : « Comment le travail d’analyse du linguiste peut-il contribuer à la normalisation graphique de la langue berbère ? » (Chaker 1994 : 237) [1]. Cet article espère apporter une contribution de plus à cette question de normalisation graphique, plus précisément dans la langue touarègue et à la lumière de son système de syllabation.

2Dans le cas de l’écriture du touareg, nous sommes confrontés d’une part, au choix de trois graphies (latine, arabe ou tifinagh) et d’autre part, aux nombreuses options quant à la manière d’écrire la langue au sein de chacune de ces trois graphies, notamment en raison de « sa richesse et sa complexité vocaliques » (Louali 1994 : 211). Par rapport à cette complexité vocalique, le statut de la voyelle brève, schwa, a fait couler beaucoup d’encre – réalisation phonétique ou réalité phonologique ? Faut-il l’écrire ou pas ? C’est ce statut du schwa, ainsi que celui du ‘a bref’, voyelle phonétiquement très proche, qu’il m’a paru intéressant d’analyser tout particulièrement à la lumière du système de la syllabation de la langue touarègue.

3Les études et les propositions sur la manière d’écrire le touareg ne datent pas d’aujourd’hui. Depuis maintenant plus d’un siècle, de nombreux chercheurs et linguistes se sont penchés sur la question, à commencer par Charles de Foucauld (1951) et Prasse (1972 et 1984). Cependant, peu sont ceux qui ont donné toute sa place à l’analyse de la syllabation de la langue. Comme le confirme Galand (2010 : 78) « les problèmes posés par la syllabe n’ont retenu qu’assez tardivement l’attention des berbérisants ». Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que dans son Manuel de grammaire touarègue de 1.000 pages, Prasse n’en dédie que quelques-unes à la syllabe (Prasse 1972 : 28-29,122-125) et n’en tire aucune application pour la mise par écrit de la langue. De la même façon, le ministère de l’Éducation nationale du Mali dans sa Phonologie du Tamasheq (Dnafla 1987 : 41,42) se contente de présenter la structure de la syllabe de façon très sommaire, sans en reconnaître l’importance.

4On sait maintenant qu’« une compréhension de la structure de la syllabe est essentielle pour comprendre l’organisation phonologique d’une langue » (Spencer 1996 : 74) [2]. D’ailleurs, en parlant des langues berbères, Kossman et Stroomer (1997 : 468) affirment que « la préoccupation majeure des récentes études phonologiques se situe au niveau de la quête de la structure syllabique » [3]. Nous verrons donc comment la syllabation permet de révéler certaines structures de base de la langue et d’ouvrir ainsi des pistes importantes pour bien l’écrire.

5Au cours d’une dizaine d’années de recherches [4] sur le terrain, dans le nord du Mali et dans le Hoggar algérien, j’ai pu observer auprès de la population touarègue la mise en pratique de certaines des propositions d’écriture, en particulier en graphie latine. Il m’a semblé que la plupart d’entre elles, telle celle adoptée par Dnafla[5] au Mali, laissaient transparaître une trop grande influence des systèmes d’écriture des langues occidentales, notamment dans le domaine de la représentation vocalique, et particulièrement des voyelles brèves. C’est cette même influence qui a prévalu dans d’autres langues berbères (les parlers marocains) et qu’avait observée Galand (2010 : 77) : « l’écriture de nombreux schwas a été de règle jusque vers 1960, surtout chez les chercheurs francophones, influencés par les e de leur propre langue ». Même si on note, à l’heure actuelle, que le schwa et le ‘a bref’ sont moins utilisés pour écrire les langues berbères du nord, on peut pourtant observer la place prépondérante qu’ont conservée ces voyelles dans la langue touarègue.

6À l’époque, Prasse (1994 : 104), défenseur convaincu de la valeur phonologique des voyelles brèves en touareg a mis en garde contre « une tendance à vouloir rapprocher à tout prix le système vocalique touareg de celui du berbère du nord ». Certes, chaque langue a ses particularités phonologiques, mais je m’aligne plutôt sur ce que dit Galand (2010 : 75) : « la description de Prasse se situe au niveau de la phonétique et non de la phonologie ». L’étude de la syllabation permet un nouvel éclairage par rapport à celui de Prasse sur cette question des voyelles brèves.

7Dans cet article, après une brève explication de ce qu’est la syllabation et divers exemples dans différentes langues, nous nous concentrerons sur la syllabation de la langue touarègue. Puis nous verrons la question épineuse des voyelles brèves à la lumière de la syllabation et l’importance de celle-ci dans les trois graphies : latine, tifinagh et arabe. Pour finir, nous traiterons du rapport entre la structure syllabique et le principe de visualisation pour une écriture normalisée.

I. Qu’est-ce que la syllabation ?

8La syllabation est une « opération qui consiste à décomposer en syllabes une séquence de la chaîne parlée » (dictionnaire Larousse). Il s’agit donc de l’étude de l’organisation des mots et des phrases en syllabes, ou de la combinaison de sons. Traditionnellement, on distingue deux catégories de sons : les consonnes et les voyelles. Par convention, on représente les consonnes par C et les voyelles par V. Par exemple, pour analyser la structure syllabique du touareg, les cinq mots [6] ci-dessous seront représentés de la façon suivante :

[waγ]CVC‘celui-là’
[’iman]VCVC‘vie, âme’
[’teγse]CVCCV‘chèvre’
[tăγă’hamt]CVCVCVCC‘maison’
[’tafăγăt]CVCVCVC‘riz’
tableau im1

9Afin de bien comprendre le lien entre la structure syllabique d’une langue et son écriture, il est intéressant tout d’abord de contraster cette structure syllabique à celle de deux autres langues : le japonais et l’anglais.

1.1 La syllabation de la langue japonaise

10En japonais, la structure syllabique est extrêmement « serrée ». Pour simplifier, on peut dire que la langue est construite sur la base d’un seul type de syllabe, le type CV[7], comme dans les exemples suivants de mots japonais connus (la division des syllabes est indiquée par un point) :

Exemples de la structure syllabique en japonais

karate CV.CV.CVyamaha CV.CV.CVsumo CV.CV
toyota CV.CV.CVjudo CV.CVmikado CV.CV.CV
fuji CV.CVsuši CV.CVkatakana CV.CV.CV.CV
hiragana CV.CV.CV.CVkimono CV.CV.CVsuzuki CV.CV.CV
Exemples de la structure syllabique en japonais

Exemples de la structure syllabique en japonais

11Ce tableau permet aisément de comprendre que l’écriture développée pour représenter le japonais ait pris en compte cette spécificité syllabique de la langue. Le tableau qui suit permet d’observer, effectivement, que chaque caractère de l’écriture japonaise « hiragana » représente une syllabe CV, sans qu’il soit possible de la ‘décortiquer’ ni même de distinguer la consonne de la voyelle :

Exemples de caractères hiragana

aiueo
k
s
t
y
h
m
Exemples de caractères hiragana

Exemples de caractères hiragana

12Cette écriture ne compte donc pas de caractères ‘consonantiques’ ni de caractères ‘vocaliques’, mais uniquement des caractères ‘syllabiques’. Prenons comme exemple la syllabe CV [ka] : か (voir tableau ci-dessus, en haut à gauche). Ce caractère est indivisible ; c’est l’ensemble qui symbolise la syllabe [ka]. De la même façon, chaque caractère du tableau ci-dessus représente une syllabe CV.

13Ainsi, si on écrit le mot ‘yamaha’ en écriture latine, on aura six lettres, alors qu’en caractères japonais hiragana, ce mot s’écrit avec seulement trois caractères syllabiques sur le modèle CV. CV. CV (voir dans le tableau, les trois cases entourées en bas à gauche) :

14やまは

15L’écriture hiragana est ingénieuse, adaptée à la spécificité syllabique du japonais. Même s’il est possible d’écrire le japonais en caractères latins, ce système n’est pas aussi économique et ne tient pas compte de la structure profonde de la langue.

16Afin de mettre encore davantage en évidence l’importance d’adapter l’écriture à la structure syllabique, regardons par exemple s’il est possible d’écrire le français en écriture japonaise hiragana.

17Certes, on pourrait trouver un nombre limité de mots français de structure syllabique similaire à celle du japonais qui, elle, n’admet aucune séquence consonantique. Pour certains mots, l’écriture hiragana conviendrait. Par exemple, on écrirait « comité » CV. CV. CV avec les trois caractères représentant les trois syllabes de ce mot, [ko], [mi] et [te] donnant ainsi :

18こみて.

19Mais il est évident que cette écriture n’est absolument pas adéquate pour la majorité des mots français qui, eux, comportent une séquence de deux et même trois consonnes, par exemple « esprit » VCCCV. Il serait donc absurde de tenter d’écrire le français au moyen d’un système à base de syllabes CV.

1.2 La syllabation de la langue anglaise

20En anglais, la syllabe est bien plus complexe que celle du japonais. Considérons quelques exemples de mots anglais à syllabe unique :

Exemples de la complexité de la structure syllabique en anglais

a Vbe CVspy CCVspry CCCV
on VCsit CVCspot CCVCstrap CCCVC
end VCCsink CVCCstink CCVCCsprint CCCVCC
ants VCCChints CVCCCprints CCVCCCsprints CCCVCCC
Exemples de la complexité de la structure syllabique en anglais

Exemples de la complexité de la structure syllabique en anglais

21Selon ce tableau, on voit que la voyelle est le seul élément obligatoire de la syllabe. Elle peut être précédée et/ou suivie d’une à trois consonnes. On trouve même de rares cas où une voyelle est suivie d’une série de quatre consonnes, par exemple : ‘sixths’ [siksθs] CVCCCC ‘sixièmes’. On pourrait alors représenter la structure de la langue anglaise par le schéma suivant (simplifié [8]) : (C) (C) (C) V(C) (C) (C) (C), les parenthèses indiquant les éléments facultatifs de la syllabe.

22Le contraste avec la structure syllabique CV de la langue japonaise, est plus que frappant. La syllabation de chaque langue est donc unique et permet de révéler certaines structures de base.

II. Structure syllabique de la langue touarègue

23En touareg, que peut-on observer de la syllabe ?

24Voici quatre mots touaregs à syllabe unique qui représentent les types de syllabes possibles dans la langue (rappelons qu’il s’agit ici d’une analyse basée sur la réalisation phonétique des mots) :

[a]Vpronom indéfini singulier
[ak]VC‘chaque’
[ta]CVpronom féminin singulier
[wăr]CVCnégatif
tableau im5

25Nous avons là un système simple qui compte quatre types de syllabes : V, VC, CV et CVC, constat confirmé par Prasse (1972 : 28) et Dnafla (1987 : 41) et qui correspond aussi aux autres langues berbères. En kabyle, par exemple, Bader et Kenstowicz (1987) notent également que « la structure syllabique est relativement peu compliquée, étant limitée aux quatre syllabes de bases : CV, V, VC et CVC [9] ».

26Notons cependant qu’en touareg, on trouve parfois une suite de deux consonnes dans la même syllabe, mais uniquement en fin de mot. Ceci est vrai à la fois pour les mots à morphologie complexe et pour les mots à morphème unique :

[ăkš]VCC‘manger’ IMP 2s
[hund]CVCC‘comme’
tableau im6

27Le schéma syllabique de la langue touarègue est donc (C) V(C) (C), avec CC possible, mais seulement en fin de mot, comme l’affirme Kossman (2011 : 25) : « les syllabes doublement fermées n’apparaissent qu’en fin de mot » [10]. Notons également que les syllabes commençant par une voyelle (V, VC et VCC) ne se trouvent qu’en début de mot :

[’aman]VCVC‘de l’eau’
[’iškan]VCCVC‘des arbres’
tableau im7

28Nous pouvons donc observer que ce schéma syllabique, (C) V(C) (C), est plus complexe que celui du japonais mais beaucoup moins que celui de l’anglais.

29Grâce à ce schéma syllabique qui montre la distribution des consonnes et des voyelles, on peut établir avec certitude que la structure de la langue touarègue est fondée sur quatre règles simples et sans exception :

30

  1. Une syllabe compte une seule voyelle.
  2. Une syllabe ne peut commencer par plus d’une consonne.
  3. Une syllabe, en début de mot, peut commencer par une voyelle.
  4. Une syllabe, en fin de mot, peut terminer par deux consonnes [11].

Le principe d’attaque maximale

31De nombreuses études linguistiques ont été faites sur la syllabation dans diverses langues, permettant même d’avancer des principes universels qui s’appliqueraient à toutes les langues, notamment le « Principe d’attaque maximale » [12] (Spencer 1996 : 95). C’est ce principe qui sera appliqué ici à la langue touarègue.

32Selon ce principe, on procède à la division des syllabes dans un mot, de gauche à droite, en rattachant le nombre maximum de consonnes à la voyelle suivante. D’après Spencer (Ibid.) « il semble que ce soit là la façon dont la syllabation soit effectuée dans toutes les langues, et nous pouvons donc admettre ce processus comme le résultat d’un principe de grammaire universelle » [13].

33Par conséquent, lorsqu’il y a une seule consonne intervocalique, par exemple le [m] de [’iman], celle-ci s’attachera à la voyelle suivante : [’i.man]. Lorsqu’il y a deux consonnes intervocaliques, par exemple le [γs] de [’teγse], la première s’attachera à la voyelle précédente et la seconde à la voyelle suivante : [’teγ.se].

34Comprendre le schéma syllabique de la langue touarègue et les quatre règles qui s’en suivent, permet ensuite d’analyser les séquences syllabiques des mots de plus d’une syllabe. Reprenons les cinq mots examinés au début de cet article, en appliquant la séparation syllabique par rapport à ces quatre règles et au Principe d’attaque maximale :

Division syllabique correcte et exemples de division syllabique incorrecte

Syllabation correcteSyllabation incorrecte
vie[’i.man] V.CVC* [’im.an] * VC. VC
chèvre[’teγ.se] CVC.CV* [’teγs.e] * CVCC. V
maison[tă.γă.’hamt] CV.CV.CVCC* [tăγ.ăh.’amt] * CVC. VC. VCC
riz[’ta.fă.γăt] CV.CV.CVC* [’taf.ă.γăt] * CVC.V.CVC
Division syllabique correcte et exemples de division syllabique incorrecte

Division syllabique correcte et exemples de division syllabique incorrecte

35Ces quatre règles syllabiques seront maintenant appliquées aux mots empruntés, aux mots comportant des schwas libres, aux conjonctions et, en dernier lieu, aux verbes conjugués. Nous verrons comment ces règles nous donnent une piste importante pour écrire la langue de façon simple et économique, quelle que soit la graphie – latine, arabe ou tifinagh.

2.1 Les mots empruntés

36Le choix de commencer l’application de l’analyse syllabique par les mots empruntés au français, est tout à fait délibéré. En effet, ces mots sont d’un intérêt particulier, puisqu’ils nous permettent de constater les changements vocaliques que subit un mot dont la forme française de base est déjà connue, donc incontestée. C’est-à-dire qu’en comparant cette forme française originale et la forme telle qu’elle est prononcée en touareg, nous pouvons observer la modification phonétique du mot. Cette modification se fait de façon tout à fait naturelle chez le locuteur selon les contraintes de la structure syllabique de sa langue, et elle nous fournit une piste non négligeable quant à la façon la plus adéquate d’écrire ces mots en touareg.

37Prenons comme premier exemple le mot français drap [dra], que les locuteurs touaregs prononcent [dəra]. Pourquoi une telle modification ?

38Nous avons vu que, dans la structure syllabique du touareg, il est impossible d’avoir une suite consonantique en début de syllabe (règle 2), donc, dans ce cas précis, en début de mot. Pour prononcer ce mot emprunté, « drap », le locuteur touareg butte contre cette suite de deux consonnes non admise en début de mot, selon les règles de syllabation touarègue. Il va donc naturellement et intuitivement prononcer le mot en insérant une voyelle entre les deux consonnes pour donner [dəra]. On assiste là à un phénomène important en touareg : la voyelle épenthétique, fameuse « goutte d’huile » qui est glissée par le locuteur entre deux consonnes. Ainsi l’exige la structure syllabique de sa langue. Bien évidemment, le locuteur ‘ajoute’ cette voyelle, qualifiée de « lubrifiant » par Chaker (1982 : 43), sans vraiment se rendre compte qu’il le fait, ni pourquoi. Ce phénomène est également rencontré dans beaucoup d’autres langues, comme le koryak, une langue paléosibérienne parlée au Kamchatka, où « l’épenthèse fonctionne pour rendre ‘prononçable’ une série de consonnes » (Spencer 1996 : 64) [14].

39On assiste donc en koryak au même phénomène d’insertion de schwa qu’en touareg. Regardons quelques exemples comprenant une suite de deux consonnes en début de mot :

Exemples d’insertion de schwa épenthétique en koryak

Forme phonologiqueForme phonétiqueStructure syllabique
tuer/tmk/[təmək]CV.CVC
je lui ai demandé/t-pŋlo-n/[təpŋəlon]CVC.CV.CVC
nous lui avons demandé/mt-pŋlo-n/[mətpəŋlon]CVC. CVC. CVC
Exemples d’insertion de schwa épenthétique en koryak

Exemples d’insertion de schwa épenthétique en koryak

40Cette insertion de schwa fonctionne de la même façon dans les deux langues, koryak et touareg. Par conséquent, ce qui est important lorsqu’on réfléchit à une écriture fonctionnelle de la langue, c’est de réaliser qu’il n’est pas nécessaire de faire figurer cette voyelle épenthétique dans la représentation graphique. Pourquoi ? Parce que pour le locuteur, elle n’existe pas. Seul un étranger peut l’entendre ainsi que certains locuteurs touaregs, accoutumés à d’autres langues et influencés par elles. Sa représentation serait superflue et alourdirait l’écriture en la rendant plus difficile à lire. Il serait déconcertant pour les locuteurs de devoir écrire ou lire une voyelle dont ils n’ont pas conscience qu’elle existe.

41Il serait donc raisonnable de proposer que le mot « drap » [də’ra] soit écrit de la façon suivante dans les trois graphies à la disposition des touaregs :

dra⋀○• tableau im10
tableau im11

42Regardons maintenant un deuxième exemple de mot emprunté, le mot français ‘glace’ [glas].

43Le même phénomène se produit : le locuteur prononcera ce mot [gə’las] en insérant, au milieu de la suite initiale de deux consonnes, une voyelle épenthétique qui fait office de transition pour permettre au mot de se conformer à la structure syllabique de la langue [15].

44Le mot « glace » [gə’las] pourrait donc être écrit de la façon suivante :

glasɣ‖⨀ [16] tableau im12
tableau im13

2.2 Le schwa libre

45Regardons maintenant des exemples de mots touaregs comportant un schwa libre également appelé instable, nomade ou ambulant. Ce schwa est ainsi qualifié parce qu’il n’est pas inséré au même endroit par tous les locuteurs et qu’il « apparaît dans des positions différentes par rapport aux consonnes d’une même racine » (Saïb 1994 : 163) :

46[’idərhan] ou [’idrəhan] empreintes de pieds

47Cette variation peut être individuelle ou régionale. Galand (2010 : 77) confirme que « la production (ou la non-production) du schwa est dans tous les cas grandement fluctuante d’un locuteur à l’autre ou chez le même locuteur ». Ce phénomène est intéressant car il apporte un éclairage supplémentaire au caractère épenthétique de cette voyelle.

48Dans la représentation phonologique de ce mot /idrhan/, on constate une séquence de trois consonnes, drh. En milieu de mot, il est possible, d’après la syllabation de la langue touarègue, d’avoir une suite de deux consonnes, chacune appartenant à une syllabe différente (par exemple CVC. CVC). Par contre, une suite de trois consonnes n’est pas possible. C’est pourquoi le locuteur touareg, inconsciemment, séparera par une voyelle deux de ces trois consonnes, soit la première et la deuxième, soit la deuxième et la troisième, ce qui donne les deux réalisations différentes pour l’exemple ci-dessus.

49Notons que les locuteurs entendent ces deux variantes de manière identique, car ils ne perçoivent pas les schwas. Le chercheur, lui, les perçoit, conditionné par sa langue maternelle ou aidé par des instruments acoustiques élaborés, et le danger serait de vouloir à tout prix les représenter à l’écrit. Pourtant, comme l’affirme Galand (2010 : 56) « quand on recherche les conditions de la communication (phonologie !) les seules données qui jouent un rôle dans la réception du message sont celles que l’oreille humaine perçoit sans l’aide d’instruments ».

50La représentation de cette voyelle épenthétique à l’écrit est donc inutile. Il ne s’agit pas d’une voyelle à part entière et, au niveau psycholinguistique, elle n’existe pas dans l’esprit du locuteur [17].

51Le mot /idrhan/ pourrait donc être écrit de la façon suivante :

idrhan⋀○⦙∣ [18] tableau im14
tableau im15

52Le phénomène du schwa libre est aussi observé dans l’exemple suivant :

[akərwat] ou [akrəwat] [19]agneau
tableau im16

53Sans représentation de la voyelle épenthétique, ce mot s’écrirait :

akrwat⠕○ : + [20] tableau im17
tableau im18

54Voici encore un exemple du schwa libre dans deux variantes d’une même forme verbale :

[nə’kattăb] ou [ən’kattăb]écrire1pInaccompli intensif
tableau im19

55Ce mot s’écrirait :

nkatb[21]∣⠕+⊖ [22] tableau im20
tableau im21

2.3 Les conjonctions

56Voyons maintenant certaines conjonctions qu’il convient d’analyser, non pas en isolation, mais en tant qu’éléments d’une chaîne parlée. En effet, l’analyse de la structure syllabique de la langue ne se limite pas aux mots individuels, mais s’étend à des groupes de mots, voire des phrases entières. Bader (1985 : 248) confirme que « le domaine d’application de la syllabation s’étend au groupe de mots » [23] et Prasse (1972 : 29) explique aussi que : « la limite syllabique ne coïncide pas avec la limite des mots. Dans le contexte, le phonème terminal d’un mot peut s’intégrer dans la syllabe initiale d’un mot contigu ».

57Notre analyse se porte donc aussi sur des conjonctions se trouvant entre deux mots. Chose étonnante, ces conjonctions ne sont constituées au niveau sous-jacent que d’une consonne (sans voyelle). Effectivement, en touareg il existe trois conjonctions mono-consonantiques, /s/, /n/ et /d/, qui s’emploient de façon similaire. Selon les exemples (b) ci-dessous, ces conjonctions font partie d’une suite de trois consonnes, elles se prononcent « phonétiquement appuyées d’un schwa » (Dnafla 1995 : 18) :

Conjonction /s/ d’instrumentalité – avec ou par

(a)[’əwət s ă’bori]frappe avec un bâton
(b)[’əwət əs tă’borit]frappe avec un petit bâton
Conjonction /s/ d’instrumentalité – avec ou par

Conjonction /s/ d’instrumentalité – avec ou par

Conjonction /n/ d’appartenance – de ou à

(a)[’afus ’n aləs]la main de l’homme
(b)[’afus ən tă’maṭ]la main de la femme
Conjonction /n/ d’appartenance – de ou à

Conjonction /n/ d’appartenance – de ou à

Conjonction /d/ d’accompagnement – et ou avec

(a)[’amidi d amăd’ray]l’ami et le frère cadet
(b)[tămă’qart əd amăd’ray]la sœur aînée et le frère cadet
Conjonction /d/ d’accompagnement – et ou avec

Conjonction /d/ d’accompagnement – et ou avec

58Puisque les trois conjonctions, /s/, /n/ et /d/, fonctionnent de la même façon, reprenons uniquement les exemples de la conjonction /d/ pour expliquer la raison de la présence ou non d’un schwa :

[’amidi d amăd’ray]l’ami et le frère cadet
tableau im25

59En appliquant les règles de syllabation à cette suite de voyelles et de consonnes, cela produit :

60

V.CV.CV.CV.CVC.CVC a.mi.di.da.măd.ray

61La conjonction /d/ s’intègre alors dans la syllabe initiale du mot suivant, [amăd’ray]. Cette suite est tout à fait acceptable et s’inscrit dans les règles de syllabation touarègue.

62Mais que se passe-t-il lorsque la conjonction /d/ fait partie d’un groupe de trois consonnes, ce qui n’est pas permis par les règles de syllabation ? Remplaçons, par exemple, le mot [’amidi] par [tămă’qart] ce qui donnerait la séquence inacceptable : [rtd].

*[tămă’qart d amădray]la sœur aînée et le frère cadet
tableau im26

63

CV. CV. CVC. *CCV. CVC. CVC ta.ma.qar.*tda.măd.ray

64La syllabe CCV [tda] n’étant pas acceptable selon les règles de syllabation, les deux consonnes [td] seront intuitivement séparées à l’oral par l’insertion de la voyelle épenthétique [ə] : [təd]. On obtient donc la séquence : [tămă’qart əd amădray]

65

CV. CV. CVC. CV. CV. CVC. CVC ta.ma.qar.tə.da.măd.ray

66Par conséquent, cette voyelle, étant inconsciemment rajoutée à l’oral, nous proposons qu’on n’en tienne pas compte à l’écrit :

67

tamaqart d-amadray[24] +⊏⋯⊕ [25] ⋀⊏E○꧴ figure im27

68Il en va de même pour les conjonctions /s/ et /n/. D’ailleurs c’est ce que retient DNAFLA au Mali (1995 : 18,19), par exemple :

la faim et la soifLaẓ d-fad[’laẓ əd-’fad]
tableau im28

2.4 La conjugaison

69La conjugaison des verbes touaregs est reconnue comme une des catégories les plus complexes de la langue. Chaque verbe touareg peut se conjuguer à plus d’une centaine de formes, comportant énormément de voyelles brèves.

2.4.1 Le statut du ‘a bref ’

70Avant d’aborder le sujet des formes verbales, nous devons nous pencher sur la question du [ă]. En effet, plusieurs observations m’ont amené à l’envisager comme une variante de la voyelle épenthétique, au même titre que le [ə] ; cette hypothèse peut paraître très étonnante à certains. Pourtant, les arguments en faveur de cette interprétation sont nombreux : proximité phonétique, distribution complémentaire et variation libre avec le [ə].

71Cette proximité phonétique entre le [ə] et le [ă] existe également dans un même parler. Kossman (2011 : 24) en citant Prasse (2003 : 961) dans les deux exemples qui suivent, démontre cette relation au sein d’un même morphème, le complément d’objet direct, [tăn] ou [tən], variant uniquement selon la syntaxe de la phrase [26] :

[’əkrəd-’tăn]attache-les !
[’a-tən-’yəkrəd]il les attachera
tableau im29

72Concernant le schwa, Saïb (1994 : 163) le décrit ainsi : « Schwa est une voyelle ‘caméléon’ qui apparaît avec des degrés différents (plein, réduit, zéro, voisé, mi-voisé, non-voisé), en fonction de l’environnement ». Avec tous ces degrés différents, il ne serait pas difficile d’admettre qu’il soit parfois réalisé en tant que [ă], comme dans l’exemple ci-dessus.

73De plus, chez les locuteurs, on ne cesse d’observer une confusion entre le [ə] et le [ă] lorsqu’à l’écrit il s’agit de choisir entre l’une ou l’autre. J’ai moi-même pu le constater à l’occasion d’un cours d’alphabétisation de Vision Mondiale en 1996 à Kidal, Mali. Après cinquante jours de cours, les participants étaient pour la plupart toujours fort indécis vis-à-vis de l’écriture de ces voyelles brèves.

74De même, lors d’une enquête orthographique [27] auprès de locuteurs dans l’Ahaggar en 2009, on a noté une nette confusion entre ces deux voyelles lorsqu’ils devaient compléter la voyelle manquante, dans certains mots (colonne de gauche) :

Choix d’une voyelle lors d’une enquête

ăəø
t_r’măsăd19132
t_l’kămăd10177
’_nta10186
_’kkoẓ14164
Choix d’une voyelle lors d’une enquête

Choix d’une voyelle lors d’une enquête

75De même, les Touaregs écrivant couramment leur langue n’éviteront que difficilement des incohérences entre ces deux voyelles, y compris au sein d’un même ouvrage :

ăddăwen / əddəwenils se réjouissent(Agg Mohamed 1998 : 4,8)
tableau im31

76Étant donné cette ‘relation de proximité’, on ne devrait donc plus s’étonner que [ə] et [ă] soient deux variations phonétiques d’un même phénomène d’épenthèse [28].

2.4.2 Application des principes de syllabation à la conjugaison

77Certaines orthographes touarègues, notamment celles adoptées par les gouvernements du Mali (Dnafla 1995) et du Niger (Grandouiller, C. & Attayoub, A.K. 1996), ont choisi de conserver à l’écrit pratiquement toutes les nuances vocaliques phonétiques, allant même jusqu’à représenter la variation minime entre le [ə] et le [ă] :

[’təktăbăm]forme orthographique : təktăbămvous (mp) avez écrit
[’təktăbmăt]forme orthographique : təktăbmătvous (fp) avez écrit
tableau im32

78D’après ce que l’on sait de la structure syllabique de la langue touarègue, on peut avancer l’hypothèse que les consonnes de ces mots, tktbm et tktbmt, à elles seules, représentent les formes phonologiques. Dans ces exemples, à quoi donc servent les voyelles [ə] et [ă] et quelle est leur valeur ?

79Dans le premier exemple dont la base phonologique est tktbm, voyons comment s’appliquent les règles qui aboutissent à la forme phonétique [’təktăbăm] :

* [tk........]Selon la règle 2 de la syllabation, on ne peut avoir deux consonnes en début de mot.
[tək.......]En avançant de gauche à droite selon le Principe d’attaque maximale, les consonnes t et k doivent être prononcées avec une voyelle épenthétique entre elles.
tableau im33
tableau im34
[tək.t......]Puis la suite de consonnes kt au milieu du mot, est tout à fait acceptable, les deux consonnes faisant partie de deux syllabes différentes.
* [tək.tb....]Par contre, avec l’ajout du b, la suite de trois consonnes, ktb, n’est pas acceptable.
[tək.tăb...]Le b doit donc être séparé du t par une voyelle épenthétique, cette fois, c’est le [ă] [29].
* [tək.tăbm]Dans certains cas, une suite de deux consonnes en fin de mot est acceptable (règle 4), mais ce n’est pas le cas pour la suite bm (contraintes phonotactiques [30]).
[tək.tă.băm]Ces deux consonnes doivent donc être séparées par une voyelle épenthétique, dans ce cas le [ă].

80Voyons le deuxième exemple du même verbe, conjugué maintenant à la troisième personne du pluriel au féminin.

[’təktăbmăt]vous (fp) avez écrit
[tək.tăb....]En partant de la base consonantique de ce mot : tktbmt, la démarche d’insertion des voyelles épenthétiques pour les quatre premières consonnes s’avère identique que pour l’exemple précédent et on arrive, bien entendu, au même résultat.
[tək.tăb.m...]Attention, cette fois-ci, avec le t final, la suite bm peut rester telle quelle, sans insertion de schwa, car ces deux consonnes font maintenant partie de deux syllabes différentes.
[tək.tăb.măt]Pour terminer, le t final doit être séparé du m précédent par une voyelle épenthétique, ici le [ă].
tableau im35

81Ainsi les règles de syllabation de la langue sont respectées : les voyelles [ə] et [ă] ne sont en fait que des voyelles épenthétiques insérées intuitivement à l’oral par tout locuteur natif : [təktăbmăt].

82Par conséquent, les consonnes suffisent à écrire ces deux mots, sans représentation vocalique :

tktbmtktbmt+⠕+⊖⊏+⠕+⊖⊏+ tableau im36 tableau im37
tableau im38

2.4.3 Des voyelles furtives dans les verbes

83Voici un phénomène courant dans la conjugaison des verbes touaregs. En effet, dans l’exemple du verbe « écrire », [’təktăbăm], la dernière voyelle [ă] entre le b et le m, disparaît entre ces deux mêmes consonnes dans la forme au féminin : [’təktăbmăt]. C’est-à-dire qu’avec les mêmes consonnes d’une seule racine, nous sommes face à une voyelle dite ‘furtive’. Kossman (2011 : 25) nous fournit un exemple de plus de cette voyelle furtive, dans ce cas le [ə], tiré du dialecte de l’Ayer :

[kəbənkəbət] [31]couvre entièrement !
[təkbənkəbət]qu’elle couvre entièrement
tableau im39

84Dans le dernier exemple, lorsqu’on ajoute le préfixe [tə], le [ə] entre le k et le b disparaît.

85Reprenons l’hypothèse que les formes sous-jacentes de ces deux mots sont : kbnkbt et tkbnkbt. Dans le premier de ces exemples [bənkəbət], la séquence de consonnes kb en début de mot n’est pas autorisée, il faut donc y insérer un [ə]. Dans le deuxième exemple [təkbənkəbət], avec l’ajout du préfixe [tə], cette suite kb ne se trouve plus en début de mot, c’est donc une suite permise, qui n’a plus besoin de voyelle épenthétique. En milieu de mot, elle peut exister en tant que suite consonantique sans insertion de schwa.

86Attention ! Le fonctionnement du schwa n’est pas identique dans tous les parlers. Galand (2010 : 76) explique : « Il peut être furtif ou même virtuel, surtout en débit rapide. Mais les conditions de son apparition ne sont pas partout les mêmes ». Effectivement, dans le parler Iwellemmeden, Kossman (2011 : 25) observe que le schwa, en fait, ne disparaît pas. Ceci ne change en rien le fait que la conservation de la voyelle suit les règles de syllabation de la langue :

Mali/Ayer/Ahaggar[təkbənkəbət]CVC.CVC.CV.CVC.
Iwellemmeden[təkə’bənkəbət]CV.CV.CVC.CV.CVC.
tableau im40

87Ainsi les deux réalisations phonétiques de ce mot sont permises, selon les parlers (avec ou sans schwa), et la forme de base est identique pour les deux : tkbnkbt et tkbnkbt.

88En conclusion, les voyelles furtives dans les formes verbales ont un statut de voyelles épenthétiques et, pour une écriture normalisée (quelle que soit la graphie), elles n’ont pas lieu d’être écrites ; les locuteurs savent intuitivement « décoder » (reconstituer) le mot en question d’après les règles de syllabation propre à leur langue.

2.4.4 Décodage – facile ou difficile ?

89Certains linguistes ne sont pas convaincus quant à l’aspect intuitif du ‘décodage’ d’une suite consonantique. Ils doutent, comme Saïb (1994 : 165) « que la composante phonologique de la grammaire mentale soit structurée et organisée comme le veulent les approches algorithmiques ». Autrement dit, pour ces linguistes, la lecture d’un mot comme tktbmt poserait problème aux locuteurs.

90Il en est également ainsi pour Ameur (1994 : 27) qui dit que « la notation du schwa s’impose pour la bonne raison qu’il fournit un appui vocalique à un agglomérat de consonnes et nous facilite par là même, la lecture de suites qui sans lui seraient difficilement prononçables ». Ameur présente l’exemple d’un mot pour appuyer son argument, la suite de sept consonnes : srsntnt[32]. Ce mot, selon elle, « pour être décodable doit s’écrire sersentent », les e représentant les schwa. Or ce même mot nous fournit en fait, un très bel exemple d’un ‘décodage’ sans difficulté d’après la structure syllabique de la langue (insertion de schwas épenthétiques) :

[sər...........]Suite sr (début de mot) oblige à l’insertion de schwa.
[sər.s........]Suite rs permise en milieu de mot.
[sər.sən......]Suite rsn non permise, insertion de schwa.
[sər.sən.t....]Suite nt permise en milieu de mot.
[sər.sən.tən.]Suite ntn non permise, insertion de schwa.
[sər.sən.tənt]Suite nt permise en fin de mot.
tableau im41

91On arrive ainsi à la forme phonétique de ce mot, de structure syllabique CVC. CVC. CVCC, que l’on peut écrire, dans une écriture normalisée :

srsntnt⨀○⨀⟙ ⟙ [33] tableau im42
tableau im43

92Dans une communication personnelle (2012) Ameur a précisé qu’en proposant l’ajout à l’écrit du schwa, elle voulait « surtout défendre une écriture phonétique principalement pour pouvoir scander la poésie ». Plus récemment, son équipe (Institut royal de la culture amazighe 2006 : 58), estimant que le schwa n’était pas nécessaire dans une graphie fonctionnelle (sauf une exception [34]), a officiellement proposé de le supprimer à l’écrit.

93Ce n’est pas seulement dans les langues berbères que l’on trouve des mots écrits uniquement avec des consonnes. Dans la langue koryak, déjà citée, « il n’est pas inhabituel de trouver des mots qui ne comptent aucune voyelle phonologique. Ceci est prononçable, cependant, parce que le koryak impose des restrictions de par sa structure syllabique [35] » (Spencer 1996 : 63).

94Après des années de recherches et d’observation d’exemples concrets, je suis profondément convaincu que, comme pour le koryak, la structure phonologique et syllabique du touareg permet un décodage aisé pour ses locuteurs, sans représentation écrite des voyelles épenthétiques.

2.4.5 Les 110 formes conjuguées du verbe

95Il convient, dès lors, de considérer le verbe touareg dans toute sa dimension. Comme nous l’avons vu, les formes verbales en touareg sont particulièrement complexes et font un grand usage des voyelles [ă] et [ə]. Si on accorde à ces deux voyelles une valeur phonologique, elles auraient donc obligatoirement un rôle essentiel de différenciation dans toutes ces formes verbales. Or c’est bien le contraire qui est constaté.

96Malgré la complexité de la conjugaison, le [ă] et le [ə] n’ont un rôle de différenciation pour aucune des 110 formes verbales. Prenons un petit échantillon de ces formes, 2pm et 2pf, du tableau du verbe « écrire » :

Verbe « écrire »
ktbm – 2pmktbmt – 2pf
avec [ă] et [ə]sans [ă] et [ə]avec [ă] et [ə]sans [ă] et [ə]
InaccompliSimplead-’təktəbămad tktbmad-’təktəbmătad tktbmt
Simple nég.wăr e ’təktəbămwr e tktbmwăr e ’təktəbmătwr e tktbmt
Intensif’kattăbămkatbm’kattăbmătkatbmt
Intensif nég.wăr ’kəttəbămwr ktbmwăr ’kəttəbmătwr ktbmt
Extra-intensifad-’kattăbămad katbmad-’kattăbmătad katbmt
Extra-intensif négwăr e ’kattăbămwr e katbmwăr e ’kattăbmătwr e katbmt
AccompliSimple’təktăbămtktbm’təktăbmăttktbmt
Intensiftək’tabămtktabmtək’tabmăttktabmt
Négatifwăr tək’tebămwr tktebmwăr tək’tebmătwr tktebmt
tableau im44
tableau im45
ImpératifSimple’əktəbătktbt’əktəbmătktbmt
Intensif’kattăbătkatbt’kattăbmătkatbmt
Négatif[36]wăr tək’tebămwr tktebmwăr tək’tebmătwr tktebmt

97Force est de constater, au regard de ce tableau, qu’en effet, à l’écrit, même sans l’usage des voyelles épenthétiques, les formes conjuguées se différencient facilement les unes des autres.

98Lors d’un atelier à Tamanrasset en 2007, j’ai présenté à l’écran la série de 110 formes conjuguées du verbe « écrire », sans représentation des voyelles [ă] et [ə] ; les locuteurs touaregs présents ont pu les lire aisément. Ils en étaient eux-mêmes étonnés.

2.5 Conclusion

99Au regard de l’application de l’analyse syllabique touarègue au sein de plusieurs catégories de mots, on a pu constater que les voyelles [ă] et [ə] ont un rôle épenthétique incontestable. Ce constat ouvre des pistes importantes pour une écriture normalisée de la langue sans les voyelles épenthétiques.

III. Prise en compte de la structure syllabique dans le choix d’une graphie

100Tout au long de cet article, nous avons donné des exemples dans les trois graphies : latine, tifinagh et arabe. Cependant une question se pose : chacune de ces trois graphies présente-t-elle des spécificités qui se prêtent de manière particulièrement intéressante à la structure syllabique de la langue touarègue ?

3.1 Graphie arabe

101La graphie arabe, conçue pour la langue arabe, est merveilleusement adaptée à la phonologie et à la structure syllabique de cette langue. Étant donné que la structure syllabique de l’arabe présente des similitudes importantes avec celle du touareg, on ne s’étonnera pas de constater que la graphie arabe, elle aussi, convient particulièrement bien à l’écriture du touareg.

102Dans le contexte de la syllabation, nous ne nous intéresserons ici qu’aux deux diacritiques sukûn et shadda dont l’écriture arabe fait usage de façon ingénieuse.

103Le sukûn : cercle placé au-dessus d’une consonne (par ex : ْ ﺱ ), indiquant que celle-ci se rattache à la consonne suivante, et qu’il y a donc absence de voyelles entre les deux. D’ailleurs, un usage intéressant du sukûn inséré dans les caractères tifinagh a été documenté ; on y fait mention du « signe d’absence de voyelle (sukûn), dans le but de faciliter la lecture » (Aghali-Zakara 1994 : 269).

104Voici un exemple d’un mot touareg écrit en arabe, montrant l’usage du sukûn. Les parenthèses dans la transcription en caractères latins indiquent la séquence consonantique, donc l’absence de voyelle entre les deux consonnes k et t :

tableau im46t(kt)belle a écrit
tableau im47

105Le sukûn n’indique pas seulement l’absence de voyelle entre ces deux consonnes, mais chose plus importante encore, il signale la présence de voyelles de part et d’autre de la séquence :

tableau im48t... (kt)... b
tableau im49

106Reprenons maintenant des exemples déjà vus, les sukûn montrant à la fois l’absence et la présence de voyelles :

[’təktăbmăt] tableau im50t....(kt)....(bm)....tvous (f) avez écrit
[tək’bənkəbət] tableau im51t.... (kb).... (nk).... b.... tqu’elle couvre entièrement !
tableau im52

107Le shadda : symbole placé au-dessus d’une consonne (par ex : figure im53) indiquant la « tension » de la consonne. On emploie aussi le terme de « gémination ». Galand (2010 : 45,46) précise que « gémination » n’est pas le terme exact, pourtant il n’est pas sans intérêt dans l’étude de la syllabation. En effet, en touareg, une consonne tendue agit comme si elle était « géminée », donc représentant un groupe de deux consonnes. Kossman (2011 : 16) l’explique ainsi : « Les géminées touarègues sont plus facilement analysées en tant qu’éléments bi-phonématiques. Dans la versification, elles comptent toujours pour deux consonnes » [37]. Par conséquent, « comptant pour deux », la consonne tendue ne peut se rattacher à d’autres consonnes et, tout comme le sukûn, le shadda indiquera toujours la présence d’une voyelle de part et d’autre.

108Exemples avec la consonne tendue [t ː] écrite en graphie arabe :

[wăr ’kət təbăm] tableau im54k.... (tt).... b.... m« écrire » 2pm InInt. au nég.
[’kat tăbăm] tableau im55ka (tt).... b.... m« écrire » 2pm InInt.
tableau im56

109Dans ce dernier exemple, notons que l’emplacement vocalique précédent la consonne tendue est occupé par la voyelle phonologique /a/.

110En effet, contrairement à ce que l’on peut penser, la fonction du sukûn et du shadda n’est pas uniquement d’indiquer, respectivement, « absence de voyelle » et « longueur de consonne », mais aussi de signaler, de façon tout à fait ingénieuse, la présence de voyelles.

111Encore mieux en touareg ! À la lecture, ces diacritiques indiquent à quel endroit exact du mot il faut prononcer les voyelles épenthétiques. Il est encore plus étonnant de constater que l’analyse syllabique de la langue confirme pleinement ces mêmes emplacements vocaliques :

112Reprenons le mot tktbmt figure im57[’təktăbmăt] :

113

  1. Graphie arabeusage des diacritiques sukûn = t.... (kt).... (bm).... t (le soulignement indique l’emplacement des sukûn)
  2. Syllabationprincipe d’attaque maximale = t.... (kt).... (bm).... t

114On voit ici comment les mécanismes de la graphie arabe correspondent particulièrement bien à la structure syllabique touarègue. Cette correspondance s’explique par le peu d’importance attribué aux voyelles brèves.

115En effet, à travers l’analyse syllabique, on comprend que ces voyelles se situent à un niveau secondaire, intuitif, différent des autres voyelles et des consonnes. De même, à travers la graphie arabe, on comprend le niveau secondaire accordé aux voyelles épenthétiques, par le moyen discret et facultatif [38] des diacritiques.

116Pour conclure cette section, voici comment un ami touareg qui utilise régulièrement la graphie arabe pour écrire sa langue a exprimé visuellement l’adéquation de cette graphie au touareg : il a joint ses deux mains, paume contre paume, doigts contre doigts, pour montrer qu’il s’agissait d’une correspondance parfaite.

3.2 Graphie tifinagh

117Contrairement à la graphie arabe, la graphie tifinagh ne compte aucun signe diacritique. Toutefois, étonnamment, elle possède une astuce syllabique correspondante à celle de la graphie arabe et tout aussi ingénieuse : les graphèmes bi-consonantiques, couramment appelées « ligatures ». On les appelle également bi-consonnes, digraphes ou graphèmes bilatéraux. Comme ces noms l’indiquent, il s’agit d’un seul caractère combinant ou liant deux phonèmes consonantiques. Galand (1999 : 111) précise que ces ligatures s’emploient « pour noter deux consonnes de suite et (qui) ne peuvent être séparées par une voyelle restituée à la lecture ».

118Ainsi, tout comme le sukûn en graphie arabe, les ligatures en graphie tifinagh indiquent un groupe de consonnes. En revanche, tandis que le sukûn est un diacritique (au second plan dans la graphie arabe) les ligatures font partie intégrante de la graphie tifinagh :

⊏++=tableau im58(M) + (T) = (MT)
tableau im59

119Pour certaines combinaisons de consonnes, il existe plus d’une variante de ligature :

○ + + = ⊕ ou ○+(r) + (t) = (rt)
⨀ + + = ⊕ ou ⨀+(s) + (t) = (st)
tableau im60

120Même si la ligature ne garde pas la forme exacte des deux phonèmes qu’elle représente, l’identité de ces phonèmes n’en demeure pas moins bien repérable :

∣+⠕=tableau im61(n) + (k) = (nk)
∣+⋀=tableau im62(n) + (d) = (nd)
ⵛ++=(š) + (t) = (št)
tableau im63

121Voyons deux paires d’exemples [39] tirés du dictionnaire touareg-français (Foucauld 1951) qui contraste l’usage des caractères consonantiques simples avec celui des ligatures :

+ⵗ○+tγrt[teγə’rit]cri particulier, perçant et prolongé (p. 1764)
+ⵗ⊕ (rt)[’teγert]marmite en terre (p. 1753)
∣⠕○nkr[’nak : ər]lève-toi ! (habituellement) (p. 1380)
tableau im64(nk) r[’ənkər]lève-toi ! (p. 1377)
tableau im65

122Les ligatures sont plus utilisées dans certaines régions que dans d’autres. Galand (1999 : 111,116) fournit une table des ligatures de l’Ahaggar « dont la série complète comporte une vingtaine de ces signes ». À l’heure actuelle, elles ne sont pratiquement plus utilisées dans cette région. Ceci contraste avec leur usage, toujours actuel, au Mali et surtout au Niger, où Ramada (2011) a recensé pas moins de 135 ligatures dans son seul dialecte.

123On évoque toujours « l’absence de voyelle » pour ce qui concerne les ligatures. Par exemple Aghali-Zakara et Drouin (1977 : 264) expliquent qu’elles sont « l’indication formelle qu’il n’y a pas à restituer de voyelle entre les deux phonèmes que chacune représente ». Or, il est important de préciser que l’astuce des ligatures, tout comme pour le sukûn et le shadda en graphie arabe, n’est pas uniquement d’indiquer cette « absence de voyelle » mais aussi, et surtout, de signaler la « présence de voyelles » de part et d’autre [40] :

tableau im66.... (nk).... r[ənkər]lève-toi !
tableau im67

124Contrairement au sukûn et au shadda, diacritiques uniques, les ligatures constituent un groupe de caractères supplémentaires à apprendre. Ceci explique peut-être pourquoi leur usage a ses détracteurs. En effet, en ce qui concerne les ligatures, Chaker (1994 : 36) se déclare « pas du tout favorable » et les Petites Sœurs de Jésus au Niger (2002 : 144,145) considèrent que « la plupart du temps, les ligatures ne font que compliquer une lecture déjà très difficile ». De même, d’après Galand (1997 : 1) : « Cette pratique de ligatures... s’explique par le désir de gagner de la place ou du temps... elles servent surtout à montrer la virtuosité de celui qui écrit et qui met à l’épreuve la sagacité du lecteur ».

125Or, comme nous l’avons vu, c’est justement l’usage des ligatures qui facilite grandement la lecture. Certes, cela rajoute au nombre de caractères, mais il faut reconnaître qu’elles ont l’avantage d’être logiquement conçues, conservant les formes des phonèmes consonantiques de base, et ainsi faciles à apprendre.

126L’impopularité des ligatures est donc plutôt liée au manque de compréhension de la structure syllabique du touareg pour laquelle elles sont « faites sur mesure ».

127Prenons pour exemple un extrait d’une lettre écrite en tifinagh par un ami touareg en 1997 :

⠕⟙• ∥⟙ ⨀ⵛ+∣s’il y a des sacs
knta lnt sštnVoici la phrase représentée en graphie latine.
k (nt) a l (nt) sštnDe par les ligatures ⟙ (nt), on identifie les deux suites consonantiques.
k.... (nt) a l.... (nt) sštnPar conséquent, on connaît l’emplacement des voyelles autres que le a, qui est déjà noté.
k.... (nt) a l.... (nt) s.... štnSelon les règles syllabiques, on doit séparer le s et le š au début du mot.
k.... (nt) a l.... (nt) s.... š.... tnAbsence de la ligature (št), donc prononciation d’une voyelle entre le š et le t.
k.... (nt) a l.... (nt) s.... š.... t.... n(tn) n’est pas une suite permise en fin de mot (contraintes phonotactiques).
kunta lant sašitănLes contraintes lexicales limitent cette phrase à une seule lecture possible.
tableau im68

128Toute possibilité d’ambiguïté à la lecture est écartée.

Ligatures et contraintes lexicales

129Dans toutes les langues, il existe des contraintes lexicales qui facilitent le décodage du mot ou de la phrase à la lecture en limitant les possibilités d’interprétation. En touareg, et contrairement à de nombreuses langues, y compris le français, ces contraintes lexicales sont particulièrement nombreuses grâce à la structure syllabique propre à la langue.

130Pour mieux comprendre comment fonctionnent les ligatures en graphie tifinagh, imaginons un mot français composé de trois consonnes seulement, sans voyelles : t r n. Un grand nombre de mots pourrait être déduit de ces trois consonnes, mais nous limitons la liste aux onze mots suivants : traîne, tourne, train, trône, terni, terrain, Touraine, éternue, tyrannie, utérine et Tarn.

131Imaginons la présence d’une ligature fusionnant le r et le n en une seule unité... t... (r n)..., les mots possibles ne seraient qu’au nombre de quatre : tourne, Tarn, terni, éternue.

132Imaginons maintenant une ligature différente fusionnant le t et le r en une unité... (t r)... n..., les mots possibles seraient réduits au nombre de trois : traine, train et trône.

133Cependant, si les trois consonnes sont clairement séparées (par l’absence de ligature), on en déduit la présence de voyelles entre toutes les consonnes : .... t.... r.... n..... Si c’était le cas, il ne resterait donc que quatre mots possibles : utérine, Touraine, terrain ou tyrannie.

134L’absence aussi bien que la présence de ligature contribue donc à la désambiguïsation.

135Revenons au touareg. Ramada (2011 : 140) nous fournit un exemple concret de l’effet de désambiguïsation grâce à la structure de la syllabe et à l’usage des ligatures [41] :

+⊏○+tmrt[’temərit]femme aimable
+⊏⊕tm (rt)[tă’mart]barbe
tableau im69

136Ramada explique que pour une graphie tifinagh qui ne ferait pas usage de ligatures, cette suite de quatre consonnes, tmrt, resterait ambiguë avec au moins deux interprétations de lecture possible : [’temərit] ou [tă’mart]. Cependant, si on avait recours à une graphie qui conserve rigoureusement l’usage des ligatures, cette suite de quatre consonnes ne pourrait signifier que [’temərit] de par l’absence de ligature dans le mot. Dans cette graphie, pour écrire [tă’mart], il faudrait logiquement se servir de la ligature (rt), ainsi : tm (rt).

137Je ne peux que soutenir la conclusion de Ramada (2011 : 158) : « Les ligatures ont une fonction importante pour le lecteur dans la récupération de la structure syllabique du mot écrit... il s’agit donc d’un principe orthographique qui permet de résoudre de nombreuses ambiguïtés. Il ne s’agit donc pas d’un emploi de caractère artistique ou esthétique, mais d’une caractéristique essentielle de la graphie tifinagh ».

138Ainsi, il me semble qu’un manque de compréhension de la structure syllabique de la langue a été à l’origine de la désuétude des ligatures. Ceci a entraîné un besoin de « résoudre de nombreuses ambiguïtés » de la graphie tifinagh par l’insertion de voyelles, notamment brèves [42], solution peu élégante et de moindre efficacité que la réintroduction de l’usage des ligatures. Ce sont ces dernières, et non les voyelles brèves, qui reflètent parfaitement la structure syllabique de base de la langue touarègue.

3.3 Graphie latine

139La graphie latine, avec des possibilités quasiment sans limite d’adapter ses caractères, notamment les voyelles, est la plus utilisée pour écrire de nombreuses langues du monde :

Azéri :Çörək.du pain
Danois :Bålet brænder.le feu brûle
Espagnol :El niño habló a mi tío.le garçon a parlé à mon oncle
Abidji :Nυjɔfυ liji lυwi obu te.elle oublie ce petit pagne
tableau im70

140Cependant, cette abondance de caractères vocaliques dans la graphie latine, aurait-elle fait du tort à la langue touarègue ? À force de choix, n’aurait-on pas introduit plus de voyelles qu’il n’en fallait ? Rappelons qu’au début du xxe siècle, dans son dictionnaire, Charles de Foucauld (1951 : 2,3) proposait 17 distinctions vocaliques ! Par la suite, il semble évident que les linguistes qui se sont intéressés à l’écriture du touareg, ont trop rapidement proposé de représenter en masse les nuances vocaliques, notamment le [ă] et le [ə].

141Comment les locuteurs touaregs utilisent-ils la graphie latine ? Concernant les voyelles, ils les écrivent de manière très aléatoire, laissant apparaître de nombreuses incohérences. On peut le voir de façon éclatante à l’ère du courriel, des sms et de Facebook, désormais à la portée d’un nombre croissant de Touaregs, surtout des jeunes, et cela même dans des villages auparavant considérés comme isolés. La confusion règne d’autant plus pour les voyelles épenthétiques, [ă] et [ə] [43]. Force est de constater que, malgré sa grande adaptabilité, la graphie latine, contrairement aux graphies arabe et tifinagh, ne propose aucune ‘astuce’ particulière adaptée à la syllabation de la langue touarègue.

4 De la structure syllabique au « principe de visualisation ».

142Nous venons de voir, d’après notre analyse syllabique et notre exposition des graphies arabe et tifinagh, qu’une écriture à faible représentation vocalique peut parfaitement fonctionner pour la langue touarègue. Ainsi pourront être mises en évidence les caractéristiques saillantes de la langue (les consonnes et les voyelles à part entière), tandis que celles qui peuvent facilement être restituées à la lecture par les locuteurs (les voyelles épenthétiques) resteront dans l’ombre. Il en résulte un système simple et « aéré » qui fait ressortir, de manière visible, la morphologie de la langue, plutôt que sa phonétique.

143C’est ce qu’affirme aussi El Mountassir (1994 : 153) en insistant sur le fait qu’un système d’écriture devrait être « fondé sur les mécanismes de visualisation et non pas d’oralisation ». Les orthographes morphologiques des langues sémitiques (telles que l’arabe et l’hébreu) illustrent superbement ces mécanismes de visualisation. De telles orthographes, à faible représentation vocalique, sont connues comme « profondes » et ne présentent aucune difficulté de lecture pour les locuteurs. D’ailleurs Frost (1992 : 261) avance même que la lecture de l’hébreu sans notation vocalique se fait plus vite que celle avec notation vocalique. Ceci, grâce au principe de visualisation, c’est-à-dire la mise en relief de la morphologie qui « saute aux yeux » du lecteur.

144Dans cette partie, nous allons examiner quelques exemples [44] de la représentation ou non de [ə] et de [ă] parmi quatre classes grammaticales du touareg. Pour la plupart, il s’agit d’exemples traitant des [ə] et [ă] en tant que voyelles épenthétiques. Cependant, concernant la classe des noms, les exemples traitent du [ə] et du [ă] non épenthétiques, formes réduites de voyelles phonologiques.

4.1 Les conjonctions

145Reprenons l’exemple de morphèmes de conjonction qui ont pour voyelle d’appui le schwa. Ce schwa, en accord avec le principe de « visualisation morphologique », ne doit pas s’écrire :

Orthographe morphologique des conjonctions sans schwa

ConjonctionVariantes phonétiquesInvariable à l’écrit
accompagnement[əd] et [d]/d/
appartenance[ən] et [n]/n/
instrumentalité[əs] et [s]/s/
Orthographe morphologique des conjonctions sans schwa

Orthographe morphologique des conjonctions sans schwa

146Comme nous l’avons déjà vu, concernant ces trois conjonctions (Section 2.3), l’orthographe officielle du Mali (Dnafla 1995 : 18,19) propose, à juste titre, de conserver pour chaque conjonction la consonne comme seule représentation du morphème :

la faim et la soiflaz d-fad[’laẓ əd-’fad](DNAFLA 1995 : 19)
tableau im72

4.2 Les suffixes

147Dans cette même logique de visualisation, DNAFLA adopte également une seule forme d’écriture pour chaque suffixe possessif :

L’écriture phonétique comparée à celle adoptée par DNAFLA

Forme phonétiqueDNAFLA
Invariable à l’écrit
ton mortier[’tende] + suffixe[tendenăk]tende-năk
ton chameau[’amis] + suffixe[amisənnăk]amis-năk
ton ami[’amidi] + suffixe[amidinnăk]amidi-năk
L’écriture phonétique comparée à celle adoptée par DNAFLA

L’écriture phonétique comparée à celle adoptée par DNAFLA

148Selon les cas, il n’est tenu compte ni du schwa qui précède le suffixe, ni de la tension (gémination) de la consonne /n/, tous deux étant conditionnés par l’environnement phonétique.

149Cependant, il est dommage que cette même orthographe n’applique pas jusqu’au bout le principe de visualisation morphologique. En effet, par rapport à ces mêmes suffixes possessifs, il faudrait, pour être rigoureux, ne mettre en relief que le morphème consonantique (nk), sans s’encombrer de la voyelle épenthétique [ă]. Au lieu de amis-năk (‘ton chameau’), pourquoi ne pas écrire : amis-nk ?

150Regardons d’autres déclinaisons du suffixe possessif avec ce même lexème amis :

Suffixes possessifs en orthographe morphologique

Forme phonétique avec suffixeOrthographe du MaliOrthographe morphologique
1s[amis-in]amis-inamis-in
2sm[amis-ənnăk]amis-năkamis-nk
2sf[amis-ənnăm]amis-nămamis-nm
3s[amis-ənnət]amis-netamis-nt
[amis-ənnəs]amis-nesamis-ns
1p[amis-ənnănăγ]amis-nănăγamis-nnγ
2pm[amis-ənnăwăn]amis-năwănamis-nwn
Suffixes possessifs en orthographe morphologique
Suffixes possessifs en orthographe morphologique
2pf[amis-năkmăt]amis-năkmătamis-nkmt
3pm[amis-năsăn]amis-năsănamis-nsn
3pf[amis-năsənăt]amis-năsnătamis-nsnt

Suffixes possessifs en orthographe morphologique

151Notons que, dans ce tableau, les voyelles brèves ne sont pas nécessaires pour différencier les diverses formes.

152Examinons maintenant le tableau morphologique proposé par Prasse (1985 : 8) pour tous les suffixes possessifs [45] :

simplecomplexe
aaabbccc
Singulier1mfiiiiin/nin
2m
2f
3mf
əkkek/ikakak(ə) nnăk/năk
əmmem/imamam(ə) nnăm/năm
əsses/isasas(ə) nnet/net
Pluriel1mf(ə) năγnăγenăγ/inăγanăγanăγnănăγ
2m(ə) wănwwănewwăn/iwwănawănawwănnăwăn
2f
3m
(ə) kmătkmătekmăt/ikmătakmătakmătnăkmăt
(ə) sănssănessăn/issănasănassănnăsăn
3f(ə) snătsnătesnăt/isnătasnătasnătnăsnăt
tableau im76

153Notons au préalable l’incroyable complexité de ce tableau. La morphologie de la langue est occultée par un encombrement d’éléments périphériques, notamment les voyelles épenthétiques, le marquage de la tension consonantique et autres variations phonétiques [46]. En s’en débarrassant, on fait ressortir la morphologie de ces suffixes possessifs de façon simple et claire, comme le montre le tableau suivant :

abcd
Singulier
1
2m
2f
3
iii(n) in
ki-ka-kn-k
mi-ma-mn-m
si-sa-sn-s
Pluriel
1
2m
2f
3m
3f
i-nγa-nγn-nγ
wni-wna-wnn-wn
kmti-kmta-kmtn-kmt
sni-sna-snn-sn
snti-snta-sntn-snt
tableau im77

154Dans le tableau ci-dessus, la morphologie saute aux yeux. On retient seulement quatre classes de suffixes possessifs. La première classe (a) est la forme de base. Les trois autres classes (b, c et d) sont formées par l’ajout d’un simple phonème (i, a ou n) précédant la forme de base.

155Pour simplifier d’autant plus, regardons le tableau suivant, où le suffixe possessif s’attache au nom qui porte la marque de la classe à laquelle il appartient :

Suffixes possessifs [47]

classemarqueurpersonne
a.ø-1s-i
b.i-1p-
2ms-k
c.a-2mp-wn
d.n-2fs-m
2fp-kmt
3s-s
3mp-sn
3fp-snt
Suffixes possessifs47

Suffixes possessifs [47]

156Ainsi, il est clair que le fait de ne pas prendre en compte les éléments périphériques laisse toute la place aux éléments essentiels, suivant le principe de visualisation.

157Avant de terminer cette section sur les suffixes, prenons l’exemple du suffixe complément d’objet direct :

Représentation morphologique des suffixes complément d’objet direct

Représentation phonétiqueObjMorphème
Nbr
GenreReprésentation morphologique
[t] mstøøt
[tăt] fstøttt
[tăn] mptnøtn
[tănăt] fptnttnt
Représentation morphologique des suffixes complément d’objet direct

Représentation morphologique des suffixes complément d’objet direct

158Encore une fois, les voyelles épenthétiques phonétiquement présentes n’ont aucun intérêt à être représentées. Pour faire transparaître clairement les éléments morphologiques de première importance, c’est bien au contraire leur absence qui est essentielle.

4.3 Les verbes

159Voyons maintenant comment ce principe de visualisation s’applique aux verbes, dont la complexité de la conjugaison a déjà été évoqué. Le tableau suivant contient 12 formes verbales différentes, dérivées du verbe « écrire » à la 1re personne du pluriel. On a déjà vu que l’application des règles de syllabation permet d’arriver à la forme phonologique, qui ne tient compte ni des voyelles épenthétiques ni de la représentation de la tension consonantique (colonne de droite) :

Comparaison d’une écriture phonétique avec une écriture morphologique

AspectForme phonétiqueÉcriture morphologique
InaccompliSimple[a’nnəktəb]ad nktb
Nég. Simple[wăr e’nəktəb]wr e nktb
Intensif[nə’kattăb]nkatb
Nég. Intensif[wăr nə’kəttəb]wr nktb
Extra-intensif[anːə’kattăb]ad nkatb
Nég. Ex-intensif[wăr e nə’kattăb]wr e nkatb
AccompliSimple[’nəktăb]nktb
Intensif[nək’tab]nktab
Négatif[wăr nək’teb]wr nkteb
SubjonctifSimple[’nəktəbet]nktbet
Intensif[nə’kattăbet]nkatbet
Négatif[wăr nə’kăttăbet]wr nktbet
Comparaison d’une écriture phonétique avec une écriture morphologique

Comparaison d’une écriture phonétique avec une écriture morphologique

160En effet, si l’on gardait à l’écrit toutes les variantes phonétiques de la racine de ce mot, elles seraient au nombre de sept, dont aucune ne conserverait la racine ktb de façon intacte :

Représentation phonétiquektəb / kattăb / kəttəb
ktăb / ktab / kteb / kăttăb
tableau im81

161En revanche, une représentation morphologique nous permet de réduire ce nombre à quatre et de faire ressortir plus aisément la racine tri-consonantique ktb :

Représentation morphologiquektb / katb
ktab / kteb
tableau im82

162Dans une telle écriture, dont le rôle est de « transmettre l’origine morphologique tri-consonantique des mots [48] » (Frost 1992), seule cette racine et les éléments vocaliques phonologiques (a et e) sont représentés. Le principe de visualisation est ainsi pleinement respecté.

163Malheureusement, les écritures latines de la langue touarègue (Niger et Mali), en insistant sur la représentation systématique des voyelles épenthétiques et de la tension consonantique, empêchent d’identifier facilement la racine consonantique et les éléments distinctifs du verbe.

164Par exemple, notons la difficulté à distinguer, à première vue, entre les deux formes verbales similaires suivantes (colonne de gauche). En revanche, une écriture morphologique (colonne de droite), ne représentant que les éléments essentiels, permet de faire ressortir aisément le seul élément distinctif (le a) entre les deux formes :

Comparaison entre une écriture phonétique et une écriture morphologique

Écriture phonétiqueÉcriture morphologique
vous (f) avez écrit (accompli)təktăbmăttktbmt
vous (f) écrivez (inaccompli)təktabmăttktabmt
Comparaison entre une écriture phonétique et une écriture morphologique

Comparaison entre une écriture phonétique et une écriture morphologique

165Il est intéressant par ailleurs de comparer les réalisations d’une même forme verbale dans deux parlers différents, ici un exemple du touareg et du kabyle fournit par Galand (2010 : 206) :

Comparaison d’une même racine dans deux parlers berbères

touaregkabyle
j’ai recommencé (accompli)ulăsăγulsγ
je recommence (inaccompli)taləsăγTsalsγ
je recommence (aoriste)aləsăγalsγ
Comparaison d’une même racine dans deux parlers berbères

Comparaison d’une même racine dans deux parlers berbères

166On observe, dans l’orthographe kabyle, l’absence des voyelles [ə] et [ă] ; on peut donc se demander l’intérêt de les conserver en touareg.

4.4 Les noms

167Jusqu’ici, nous avons traité de la question du [ə] et du [ă] en tant que voyelles épenthétiques. Il est important de rappeler que pour la classe des noms, les exemples traitent maintenant de ces deux voyelles en tant que non épenthétiques. Cependant, il est essentiel de pouvoir les analyser, elles aussi, à la lumière du principe de visualisation.

État libre / état d’annexion

168Un nom est à l’état libre lorsqu’il est en isolation et à l’état d’annexion lorsqu’il fait partie d’une chaîne parlée. Ainsi, regardons le mot chameau, amis :

Forme phonétiqueForme phonologique
chameauétat libre[’amis]amis
bouche du chameauétat annexion[’emi n-ă’mis]emi n-amis
tableau im85

169Pour appliquer le principe de visualisation, on ne devrait conserver qu’une seule et unique forme du nom à l’écrit. Le guide de transcription (Dnafla 1995 : 12) l’explique ainsi : « Il convient, dans pareils cas, de conserver au nom son orthographe de l’état libre car seule, elle lui conserve sa forme originelle qui ne doit pas subir l’assaut des fonctions grammaticales ».

L’accent tonique et les formes réduites

170En touareg, l’accent tonique « n’a pas fait l’objet de très nombreuses études » (Galand 2010 : 79). Peut-être est-ce parce que les chercheurs francophones, de par leur langue, n’y sont pas particulièrement sensibles ? Pourtant, le déplacement de l’accentuation joue un rôle important dans la vocalisation de la langue touarègue. Heath (2005 : 81) confirme également que l’accentuation joue un rôle lexical.

171En raison de l’accent tonique, dans bien des cas, le [ə] et le [ă] sont des formes réduites d’autres voyelles. Ce phénomène existe dans bien des langues.

172Regardons ce phénomène en anglais, sous forme d’anecdote personnelle, pour mieux comprendre le rapport entre l’accent tonique et la vocalisation. Sur une route en Australie, ma femme, anglophone mais peu au courant de la prononciation des noms des villes de ma région, a lu à haute voix le panneau indicateur suivant : Capalaba. En devinant la prononciation, elle a accentué la mauvaise syllabe, ce qui a entraîné une transformation de voyelles ainsi qu’un allongement d’une consonne. Le résultat était méconnaissable à mes oreilles :

[kæpə’lˑæbă]prononciation incorrecte avec la troisième syllabe accentuée
[kə’pˑæləba]prononciation correcte avec la deuxième syllabe accentuée
tableau im86

173Dans une langue où l’accent tonique implique de nombreux changements vocaliques, l’application du principe de visualisation est d’autant plus importante.

174Prenons plusieurs mots anglais couramment dérivés du morphème « photo » (première colonne) et écrivons-les en indiquant toutes les variations vocaliques de chaque mot (deuxième colonne) :

Orthographe anglaiseAvec variations vocaliques
photo’photo
photographerphə’tɔgrəphă
photographersphə’tɔgrəphəz
photographicphotə’græphic
photograph’photəgraph
tableau im87

175Notons que pour chacun des morphèmes principaux, il faudrait donc trois représentations différentes pour être phonétiquement précis :

photophoto / phətɔ / photə
graphgraph / græph / grəph
tableau im88

176Une telle représentation serait, certes, plus exacte au niveau phonétique, mais elle réduirait énormément les mécanismes de visualisation et ne ferait qu’ajouter à la complexité de l’écriture et de la lecture de la langue.

177En anglais, malgré les variations vocaliques importantes, les morphèmes « photo » et « graph » restent chacun écrit d’une seule et unique façon, pour le plus grand avantage des locuteurs.

178Passons maintenant à un exemple touareg équivalent :

[’gafa] [49]insanité, action dépourvue de sens
tableau im89
Foucauld 1951 : 404

179La forme phonologique de ce mot est simple : gafa. Il existe une expression que l’on rencontre dans plusieurs proverbes où ce mot est répété trois fois de suite. Cette répétition implique des changements vocaliques importants, le a devenant parfois [ə], parfois [ă] :

gafa n-gafa n-gafa[’gafăŋgə’făŋgə’fa]insanité d’insanité d’insanité
tableau im90

180Tout comme les morphèmes « photo » et « graph » dans l’exemple en anglais, ce mot gafa se présente ici sous trois formes différentes, dont les modifications phonétiques s’imposent en raison de l’accent tonique :

gafagafă / gəfă / gəfa
tableau im91

181Or il ne fait aucun doute qu’il s’agit, pour chacune de ces formes, du même mot. Ce morphème unique doit être conservé selon le principe de visualisation et peut être représenté sous une seule et unique forme : gafa n-gafa n-gafa.

182Le phénomène de changements vocaliques est tout aussi frappant lorsque l’on compare les mots anglais de deux syllabes dont le déplacement de l’accent joue un rôle soit lexical soit grammatical, entraînant des changements vocaliques. Comme précédemment, regardons des exemples en anglais puis en touareg :

Changements vocaliques entre les formes nominales et verbales en anglais

Forme écrite unique pour les deux formesNomVerbe
record’record’cordl’enregistrement/enregistrer
present’presəntprə’sentle cadeau/offrir
suspect’suspectsəs’pectle suspect/soupçonner
permit’permitpər’mitle permis/permettre
Changements vocaliques entre les formes nominales et verbales en anglais

Changements vocaliques entre les formes nominales et verbales en anglais

183Tout comme le locuteur anglais n’a pas besoin que toutes ces nuances vocaliques, y compris les [ă] et les [ə], soient représentées à l’écrit, il en est de même pour le locuteur touareg : de nombreuses variations de voyelles (et changements dans la longueur des consonnes liés à ces variations) sont sans doute le résultat de processus phonologiques simples. Donc, pour conserver l’unité visuelle des morphèmes, ces variations vocaliques n’ont pas lieu d’être écrites.

184En touareg, nous assistons à ce même phénomène (changement d’accent tonique, changement de lexème), par exemple, dans les paires de noms suivants :

Changements vocaliques par rapport à l’accent tonique en touareg

1re syllable accentuée2e syllabe accentuée
lion [’ahăr]figue [a’har]
tente [’ehăn]mouches [e’han]
jour [’ahăl]réunion galante [a’hal]
Changements vocaliques par rapport à l’accent tonique en touareg

Changements vocaliques par rapport à l’accent tonique en touareg

185La distinction de base entre les mots de chacune de ces paires n’est pas le changement vocalique (de a en ă) mais plutôt le déplacement d’accent tonique qui le provoque. D’ailleurs, ce phénomène s’observe également dans certaines formes verbales :

Changements vocaliques et accent tonique dans les verbes touaregs

Acc. simpleAcc. intensif
manger[’ikšă][ik’ša]
allonger/se reposer[’insă][in’sa]
donner[’ikfă][ik’fa]
Changements vocaliques et accent tonique dans les verbes touaregs

Changements vocaliques et accent tonique dans les verbes touaregs

186Dans ces deux tableaux, la colonne de gauche montre l’accent tonique sur la première syllabe, ce qui est la position habituelle. En effet, Heath (2005 : 81) explique que « si un mot compte moins de trois syllabes, la position par défaut de l’accent tonique est sur la première [50] ». Pour les exceptions, il faudrait trouver un moyen de visualiser cette accentuation insolite. Dans les tableaux suivants, la colonne de droite présente une proposition d’écriture parmi d’autres :

1re syllable accentuée2e syllabe accentuée
lion aharfigue ahár
tente ehanmouches ehán
jour ahalréunion galante ahál
tableau im95

Proposition de marquage d’accent tonique en touareg

Acc. simpleAcc. intensif
mangerikšaikšá
s’allonger/se reposerinsainsá
donnerikfaikfá
Proposition de marquage d’accent tonique en touareg

Proposition de marquage d’accent tonique en touareg

187Contrairement à Galand (2010 : 79) qui affirme que « l’accent paraît bien être dépourvu de fonction distinctive », j’estime que l’accent tonique joue un rôle essentiel en touareg et qu’il convient, non seulement d’en tenir compte dans une écriture normalisée, mais aussi d’en faire un sujet de recherches plus approfondies.

4.5 Facilité de lecture d’une écriture morphologique

188C’est en appliquant le principe de visualisation que l’on établit une écriture dite « morphologique ». Il est bien entendu possible d’instaurer une écriture morphologique du touareg dans chacune des trois graphies. Nous avons vu, d’ailleurs, comment les graphies arabe et tifinagh, en utilisant respectivement les diacritiques et les ligatures, permettent une écriture qui fait ressortir la morphologie de la langue.

189Cependant, une question demeure : une écriture morphologique facilite-t-elle vraiment la lecture de la langue touarègue ?

190Selon Taylor & Olson (1995 : 31) « un système d’écriture idéal doit permettre aux lecteurs expérimentés de lire morphologiquement, ce qui est le plus efficace pour eux ; mais il doit aussi leur permettre de prononcer des mots nouveaux tout en aidant les lecteurs débutants à lire et à écrire de façon efficace [51] ». C’est de cette facilité d’apprentissage dont il est question ici.

191Pour tout système d’écriture, il appartient avant tout d’établir : « qui sont ceux qui apprennent à lire et écrire » ou, comme le demande Ameur (1994 : 26) « pour quel public écrit-on ? ». Dans le cas du touareg, si l’on s’inquiète des besoins particuliers de ceux qui l’apprennent comme langue étrangère ou des chercheurs qui l’analysent, alors c’est une transcription lourdement vocalique qui convient.

192Par contre, si l’on vise les locuteurs natifs de la langue, il est impératif de prendre en compte le principe de visualisation pour établir une écriture morphologique, dans laquelle la représentation des voyelles est forcément limitée. En effet, comme le dit Bounfour (1994 : 128) en faisant référence à un Berbère écrivant sa propre langue, il « ne voyelle pas pour lui-même mais pour l’apprenant et/ou l’étranger à la langue ».

193Ceci n’est pas seulement vrai pour les langues berbères, mais aussi pour d’autres langues et écritures du même type « consonantique ». Par exemple, en hébreu, le système d’écriture était faible en représentation vocalique tant que l’hébreu restait une langue vivante, c’est-à-dire jusqu’au deuxième siècle. De même, l’écriture égyptienne « qui ne représentait que les consonnes, était suffisante pour écrire la structure de base de la langue. Pour les locuteurs natifs de cette langue... une telle sous-représentation phonétique ne réduisait pas de façon significative le bon fonctionnement de ce système d’écriture52 » (De-Francis 1989 : 157). Egalement pour l’arabe, selon Bauer (1996 : 563) « c’est justement cette déficience dans l’écriture » (représentation limitée des voyelles) « qui rend les textes plus lisibles et permet à la population de lire et d’écrire l’arabe plus ou moins correctement, même avec un niveau d’éducation peu élevé53 ».

194Il est amplement reconnu, y compris pour les systèmes d’écriture alphabétiques, comme l’atteste Byrne (1996 : 96), que la compréhension initiale de l’écrit pour un enfant est morphologique plutôt que phonologique.

195Qu’en est-il donc de la représentation des voyelles dans la langue touarègue ? Les observations précédentes quant aux langues sémitiques sont également applicables au touareg, langue de type consonantique, qui se prête parfaitement à une écriture morphologique, et ce dans les trois graphies.

196Les voyelles brèves, [ă] et [ə], dont nous avons constaté le caractère épenthétique, n’ont pas lieu d’être représentées dans une écriture morphologique. Seules les voyelles à part entière le sont. Le locuteur sait intuitivement les prononcer lors de la lecture.

197Bien entendu, pour ceux dont le touareg n’est pas la langue maternelle, ou même pour certains Touaregs habitués au français, cela peut paraître une proposition aberrante. Galand (2010 : 77) reconnaît l’influence des langues européennes lorsqu’il écrit que « la graphie sans schwa dérange, parce que les consonnes y forment des séquences insolites en Europe occidentale ».

198Pour les locuteurs natifs, cependant, c’est justement l’omission de ces voyelles dans les séquences qui fait clairement ressortir la morphologie de la langue, et permet une écriture économique et rationnelle ainsi qu’une lecture plus rapide.

Conclusion

199Dans notre introduction, nous avons cité la question importante de Chaker (1994 : 237) : « Comment le travail d’analyse du linguiste peut-il contribuer à la normalisation graphique de la langue berbère ? ». Cette étude se veut une contribution de plus à cette question de la normalisation graphique, notamment par rapport aux voyelles brèves dans la langue touarègue, [ă] et [ə], et à la lumière de l’analyse de son système de syllabation.

200S’il est établi que peu de linguistes se sont penchés sur le système de syllabation touarègue, celui-ci n’en demeure pas moins d’une grande importance. En effet, son analyse permet de révéler la structure syllabique de base, (C) V(C) (C), tout à fait différente de celles des langues occidentales. C’est cette structure spécifique qui doit être prise en compte lors de la représentation de la langue à l’écrit.

201En respectant cette structure, et en appliquant le principe d’attaque maximale à plusieurs catégories de mots, il est démontré de manière non équivoque que les voyelles [ă] et [ə] ont un rôle épenthétique. Dans d’autres cas, sous l’effet de l’accent tonique, elles se révèlent être des formes réduites de voyelles pleines et n’ont pas lieu de figurer au sein d’une écriture normalisée.

202La tendance historique à représenter ces voyelles à l’écrit, surtout dans la graphie latine, s’explique sans doute par l’influence des langues maternelles des chercheurs européens, langues dont les structures syllabiques sont tout autres que celle du touareg.

203Nous avons également fait ressortir la façon remarquable dont les graphies arabe et tifinagh, grâce à certaines spécificités, se prêtent parfaitement à la structure syllabique du touareg. En effet, le sukûn et le shadda d’une part, et les ligatures d’autre part, permettent à l’écrit de faire l’économie des deux voyelles brèves en fournissant les indices nécessaires à une lecture aisée.

204Renonçons aux propositions d’écriture plus phonétiques que morphologiques. Nous plaidons ici pour qu’en quelque graphie que ce soit, le touareg ne soit pas « voyellé » à outrance. Mettons toujours au premier plan l’intérêt des locuteurs touaregs eux-mêmes, pour une représentation orthographique économique à leur service.

Bibliographie

Références

  • Agg mohamed, Ibrahim, 1998. Ălenzil n-Ɣisa Ălmasex wa iktăb Luqa. C.C.Nowe Zycie : Gdansk, Poland.
  • Aghali-Zakara, Mohamed, 1994. Graphies berbères et dilemme de diffusion : interactions des alphabets latin, ajami et tifinagh. Études et Documents Berbères, 11, pp. 107-121. ÉDISUD.
  • Aghali-Zakara, Mohamed et Drouin, Jeannine, 1997. Recherches sur les Tifinaghs. GLECS.
  • Ameur, Meftaha, 1994. Diversité des transcriptions : pour une notation usuelle et normalisée de la langue berbère. Études et Documents Berbères, 11, pp. 25-28. ÉDISUD.
  • Anderson, Stephen R., 1982. The analysis of French shwa : or, how to get something for nothing. Language, vol. 58, no 3, pp. 534-573.
  • Bader, Yousef & Kenstowicz, Michael, 1987. Syllables and Case in Kabylie Berber. Lingua 73, pp. 279-299. North Holland Publishing Company.
  • Bader, Yousef, 1985. Schwa in Berber – a non-linear analysis. Lingua 67, pp. 225-249. North Holland Publishing Company.
  • Bauer, T., 1996. Arabic Writing. The World’s Writing Systems. Peter T. Daniels et William Bright (ed), pp. 559-563. Oxford University Press.
  • Boukous, Ahmed, 1987. Syllabe et syllabation en berbère. Cahiers d’études berbères, no 3, pp. 67-82. AWAL.
  • Boukous, Ahmed, 1990. Vocalité, sonorité et syllabicité. Cahiers d’études berbères, no S, pp. 203-218. AWAL.
  • Bounfour, Abdellah, 1994. L’écrit parlant et l’écrit silencieux. Le problème de la transcription arabe de la voyelle berbère. Études et Documents Berbères, 11, pp. 123- 132.
  • Byrne, Brian, 1996. The learnability of the alphabetic principle : Children’s initial hypotheses about how print represents spoken language. Applied Psycholinguistics, 17, pp. 401-426. Cambridge University Press.
  • Chaker, Salem, 1982. Propositions pour une notation usuelle du berbère (Kabyle). Bulletin des Études Afric., Inalco ; vol. II, no 3, pp. 33-47.
  • Chaker, Salem, 1994. Phonologie et notation usuelle dans le domaine berbère. Études et Documents Berbères, 11, pp. 235-239. ÉDISUD.
  • Dnafla, 1987. Phonologie du Tamasheq. Ministère de l’Éducation nationale : Bamako.
  • Dnafla, 1995. Guide de transcription du tamasheq. Ministère de l’Éducation nationale : Bamako.
  • De Francis, J., 1989. Visible Speech : the diverse oneness of writing systems. University of Hawaii Press : Honolulu.
  • Dell, François & Elmedlaoui, Mohamed, 1985. Syllabic Consonants and Syllabification in Imdlawn Tashlhiyt Berber. Journal of African Languages and Linguistics 7, no 2, pp. 105-130. Foris Publications Holland.
  • Dell, François & Elmedlaoui, Mohamed, 1988. Syllabic Consonants in Berber : Some New Evidence. Journal of African Languages and Linguistics 10, no 1, pp. 1-17. Foris Publications Holland.
  • Dell, François & Tangi, Oufae, 1992. Syllabification and Empty Nuclei in Ath-Sidhar Rifian Berber. Journal of African Languages and Linguistics 13, pp. 125-162. Foris Publications Holland.
  • El Mountassir, Abdallah, 1994. De l’oral à l’écrit, de l’écrit à la lecture. Exemple des manuscrits chleuhs en graphie arabe. Études et Documents Berbères, 11, pp. 149-156. ÉDISUD.
  • Foucauld, Charles de, 1951. Dictionnaire touareg-français (dialecte de l’Ahaggar). Paris, Imprimerie Nationale, 4 vol.
  • Frost, R., 1992. Orthography and phonology. The psychological reality of orthographic depth. The Linguistics of Literacy. P. Downing, S. Lima and M. Noonan (eds). Benjamins Publishing Company.
  • Galand, Lionel, 1997. Graphie et phonie. Les caractères à valeur biconsonantique. Lettre du RILB 3.1-2.
  • Galand, Lionel, (ed). 1999. Lettres au Marabout. Messages touaregs au Père de Foucauld. Belin.
  • Galand, Lionel, 2010. Regards sur le berbère, 8. Studi Camito-Semitici. Milano.
  • Grandouiller, Christian & Attayoub, Abdoulmohamine, Khamed, 1996. Guide d’orthographe temajeq. Niamey.
  • Guerssel, Mohamed, 1985. The Role of Sonority in Berber Syllabification. Cahiers d’études berbères, no 1, pp. 81-110.
  • Heath, Jeffrey, 2005. A Grammar of Tamashek (Tuareg of Mali). Mouton de Gruyter.
  • Institut royal de la culture amazighe, 2006. Grammaire et orthographe de l’amazighe. Études no 6. Rabat.
  • Kossman, Maarten G. & Stroomer, Harry J., 1997. Berber Phonology. Phonologies of Asia and Africa, vol. 1. (ed. Alan S. Kaye).
  • Kossman, Maarten G., 2011. A Grammar of Ayer Tuareg (Niger). Berber Studies, 30. Cologne : Rüdiger Köppe.
  • Louali, Naïma, 1994. Voyelles touarègues et systèmes de transcription. Une évaluation de propositions récentes. Études et Documents Berbères, 11, pp. 211-216. ÉDISUD.
  • Mitchell, T.F., 1960. Prominence and Syllabification in Arabic. Bulletin of the School of Oriental and African Studies, XXIII, pp. 369-389. University of London.
  • Nicole, Jacques, 2009. Quand les consonnes sont les « voix » et que les voyelles « sonnent avec » elles, à paraître.
  • Petites sœurs de Jésus (agadez), 2002. Initiation à la Tayărt (Tamajăq de l’Ayər). Ouagadougou 01 : Imprimerie presses africaines.
  • Prasse, Karl-G., 1972. Manuel de grammaire touarègue (tahaggart). 3 vol. Éditions de l’Université de Copenhague.
  • Prasse, Karl-G., 1984. The origins of the vowels o and e in Twareg and Ghadamsi. Current Progress in Afro-Asiatique Languages. James Bynon (ed), pp. 318-325. Amsterdam/ Philadelphia.
  • Prasse, Karl-G. et Ekhya Ăgg-Ălbostan Ăg-sidiyăn, 1985. Tableaux morphologiques dialecte touareg de l’Adrar du Mali (berbère). Akademisk Forlag. Copenhague.
  • Prasse, Karl-G., 1994. Les principaux problèmes de l’orthographe touarègue. Études et Documents Berbères, 11, pp. 97-105. ÉDISUD.
  • Prasse, Karl-G., 2003. Dictionnaire touareg-français (Niger). Museum Tusculanum Press.
  • Ramada, Elghamis, 2011. Le tifinagh au Niger contemporain : Étude sur l’écriture indigène des Touaregs. Thèse de doctorat : Université de Leiden.
  • Rennison, John Richard, 1990. On the Elements of Phonological Representations : The Evidence from Vowel Systems and Vowel Processes. Folia linguistica, XXIV/3-4, pp. 175-244.
  • Rennison, John Richard, 1993. Empty Nuclei in Koromfe : A First Look. Linguistique africaine, no 11, pp. 35-65.
  • Rennison, John Richard, 1994. Syllables, Variable Vowels, and Empty Categories. Phonologica 1992, W. U. Dressler, M. Prinzhorn, and J. R. Rennison, ed., Torino : Rosenberg & Sellier, pp. 205-216.
  • Rennison, John Richard, 1997. Syllables in Koromfe, Cahiers voltaïques / Gur papers, no 2, pp. 117-127.
  • Saïb, Jilali, 1978. Segment Organization and the Syllable in Tamazight Berber. Syllables and Segments, pp. 93-104. North Holland Publishing Company.
  • Saïb, Jilali, 1994. La voyelle neutre en tamazight (ie. berbère) : entre la ‘‘fiction’’ phonologique et les exigences du lettrisme. Études et Documents Berbères, 11, pp. 159-175. ÉDISUD.
  • Savage, André, 2000. Les voyelles touarègues à l’écrit. Avantages et inconvénients des trois graphies : arabe, tifinagh et latine. Maîtrise en linguistique. Université de New England, Australie.
  • Spencer, Andrew, 1996. Phonology. Theory and Description. Blackwell Publishers.
  • Taylor, Insup et David R. Olson. 1995. Graphies and Literacy. Kluwer Academic Publishers.

Notes

  • [1]
    Table ronde internationale organisée par INALCO en 1993 : Phonologie et notation usuelle dans le domaine berbère.
  • [2]
    « An understanding of syllable structure is essential for an understanding of the phonological organization of a language ».
  • [3]
    « The main preoccupation of recent phonological studies is the search for syllabic build-up ».
  • [4]
    Maîtrise en linguistique. Université de New England, Australie, 2000. « Les voyelles touarègues à l’écrit. Avantages et inconvénients des trois graphies : arabe, tifinagh et latine ».
  • [5]
    Département national d’alphabétisation fonctionnelle et de linguistique appliquée.
  • [6]
    Les mots touaregs cités dans cet article proviennent du parler du sud algérien, mais l’analyse présentée s’applique également aux autre parlers.
  • [7]
    Dans certains cas limités, il peut exister en japonais une syllabe à voyelle unique, c’est-à-dire, sans consonnes.
  • [8]
    L’anglais, tout comme le français, peut présenter des séquences de voyelles. Dans un souci de simplicité, nous n’avons pas évoqué cette complexité supplémentaire.
  • [9]
    Syllable structure is relatively uncomplicated, being limited to the four core syllables of CV, V, VC and CVC.
  • [10]
    ‘‘Doubly closed syllables only occur in word-final position’’.
  • [11]
    Les contraintes phonotactiques de la langue sont respectées, les séries de consonnes les plus courantes étant celles de consonne initiale « n » ou de consonne finale « t », par exemple : nd, ns, nt, mt, lt, st.
  • [12]
    « Maximal Onset Principle ».
  • [13]
    ‘This seems to be the way syllabification is effected in all languages, and so we may assume that it is the result of a principle of Universal Grammar.’
  • [14]
    « In Koryak we see epenthesis functioning to make clusters of consonants pronounceable ».
  • [15]
    Il est intéressant de noter que dans le Hoggar, ce même mot se prononce [əg’las], la voyelle épenthétique étant insérée maintenant devant la suite de deux consonnes. Le résultat est le même, à savoir que les deux réalisations phonétiques se conforment à la structure syllabique qui ne permet pas une suite de deux consonnes en début de mot. On constate souvent ce même phénomène lorsque des locuteurs espagnols prononcent certains mots anglais : un [e] épenthétique est inséré devant certaines suites de deux consonnes, par exemple [stop] devient [estop].
  • [16]
    Certaines personnes préfèrent modifier le tifinagh traditionnel (à faible usage de voyelles) en ajoutant des voyelles à part entière. Dans cet exemple, en ajoutant le « a » de « glas », cela donne : ɣ∥•⨀.
  • [17]
    Savage, A. 2000. « Les voyelles touarègues à l’écrit. Avantages et inconvénients des trois graphies : arabe, tifinagh et latine ». Maîtrise en linguistique. Université de New England, Australie.
  • [18]
    En ajoutant la voyelle à part entière, ‘a’, ce mot donnerait : ꧴⋀○⦙◦∣
  • [19]
    Accent tonique incertain.
  • [20]
    En ajoutant la voyelle à part entière, ‘a’, ce mot donnerait : ◦⠕○ : ◦+
  • [21]
    La question de la tension consonantique ne sera ici que brièvement traitée.
  • [22]
    En ajoutant des voyelles à part entière, ce mot donnerait : ⵏ⠕◦+⊖
  • [23]
    « Syllabification is assigned at the phrase level ».
  • [24]
    D’après les critères d’identification d’un mot, la conjonction ‘d’ n’est pas un mot, mais un préfixe qui doit être rattaché au mot suivant, avec un trait d’union (graphie latine), ou sans.
  • [25]
    En ajoutant la voyelle à part entière, ce mot donnerait : +⊏⋯◦⊕. Notons également l’utilisation du caractère tifinagh « bi-consonne »‘rt’ ⊕. La question de ces caractères sera traitée en section 3.2.
  • [26]
    À noter : à l’origine l’accent tonique n’est pas indiqué dans ces exemples. Il a été rajouté, pour montrer son rôle déterminant dans la réalisation des voyelles brèves, voir section 4.4 « L’accent tonique ».
  • [27]
    Enquête menée par un groupe d’étudiants de Maîtrise en linguistique de l’Université de Madrid.
  • [28]
    Il arrive également que ces deux voyelles soient des formes réduites de voyelles phonologiques, surtout dans les noms (voir 4.4).
  • [29]
    Ce sont les règles d’accentuation qui déterminent la qualité de la voyelle épenthétique, donc le choix entre ə et ă.
  • [30]
    Les séquences consonantiques permises en fin de mot comprennent, entre autres, nd, ns, nt, mt, lt et st.
  • [31]
    À l’origine, l’accent tonique n’était pas indiqué. Nous l’avons rajouté.
  • [32]
    Ces exemples sont tirés de la langue tamazighte du Maroc central, cependant ce mot existe également en touareg, et nous sert d’exemple, la procédure et le résultat étant identiques.
  • [33]
    Il s’agit ici d’une ligature ⟙ que nous verrons plus loin.
  • [34]
    « On peut opter pour l’adoption du schwa seulement dans des suites de consonnes identiques pour éviter la création d’une suite de plus de deux consonnes identiques ». Ils donnent l’exemple de sbbb ʽcommercerʼ qui serait écrit, le ʽeʼ représentant le schwa, comme sbbeb.
  • [35]
    ‘‘In Koryak it is not unusual to find words which lack underlying vowels altogether. Such a thing is pronounceable, however, because Koryak imposes strict conditions on syllable structure’’.
  • [36]
    La forme phonétique de l’aspect impératif au négatif est identique à celle de l’accompli au négatif.
  • [37]
    ‘‘Tuareg geminates are easiest analyzed as bi-phonemic entries. In Tuareg poetic metre they always count as two consonants’’.
  • [38]
    Le sukûn et le shadda ne sont nullement obligatoires dans la graphie arabe. Ils fournissent surtout aux nouveaux lecteurs et aux étrangers des pistes supplémentaires pour prononcer la langue, en rendant visible sa structure syllabique. Les lecteurs avisés peuvent s’en passer.
  • [39]
    La forme phonétique a été adaptée en tenant compte des normes actuelles, et l’accent tonique a été ajouté. Il est à noter que la vocalisation telle que Foucauld l’indique, n’est pas toujours fiable ; par exemple, la transcription phonétique du premier mot devrait être : [tăγă’rit].
  • [40]
    À noter : en fin de mot, certains groupes consonantiques sont toutefois permis.
  • [41]
    L’accent tonique a été ajouté aux exemples de Ramada.
  • [42]
    Voir les cas de l’amazighe au Maroc et de la langue kabyle.
  • [43]
    Voir section 2.4.1 (tests orthographiques).
  • [44]
    Les exemples de cette partie sont donnés en graphie latine, dans laquelle la question de la représentation vocalique est primordiale. Cependant, le principe de visualisation est tout aussi applicable pour les autres graphies.
  • [45]
    Pour simplifier – gh est réactualisé en γ.
  • [46]
    Dans la colonne bb, e et i sont des variantes d’un même phonème.
  • [47]
    Exceptions 1s : classes b/c = i ; classe d = n (in). Variante 3s : classe d = nt.
  • [48]
    ... convey the word’s tri-consonantal morphologic origin.
  • [49]
    L’exemple original de Foucauld marque la longueur de la première voyelle /a/ alors que nous choisissons plutôt d’y marquer l’accent tonique. C’est cet accent tonique qui explique le rallongement de la voyelle.
  • [50]
    ‘‘If a word has fewer than three syllables, default accent occurs on the first syllable’’.
  • [51]
    An ideal writing system would allow experienced readers to read morphemically, the most efficient way for them ; yet it would allow them to sound out unfamiliar words as well as helping learners acquire reading and writing skills efficiently. 52.... that represented only consonants, was sufficient to write the basic structure of the language. For native speakers of the language... such reduced phonetic representation did not significantly interfere with its ability to function as a workable system of writing. 53.... it is exactly the defectiveness of the Arabic graphie... which makes texts more readable... enables people to read and write Arabic more or less correctly even if they have only reached lower educational levels.
bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.14.90

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions