Couverture de ECRU_377

Article de revue

Améliorer la productivité rizicole sous changement climatique au Sénégal : quelles stratégies d’adaptation ?

Pages 125 à 141

Notes

  • [1]
     Les engrais NPK sont composés de l’azote (N), du phosphore (P) et du potassium (K) et agissent sur le développement des plantes.
  • [2]
     En statistique, un résultat est dit statistiquement significatif lorsqu’il est improbable qu’il puisse être obtenu par un simple hasard. Ainsi, une stratégie d’adaptation sera dite significative si le résultat observé a moins de 5 % de chances d’être obtenu par hasard.

1Les conséquences du changement climatique sont déjà visibles dans les pays d’Afrique occidentale. Nous notons une hausse des températures plus rapide que la moyenne globale de l’ordre de 0,6 à 0,7°C (BOAD, 2010) et une baisse de la pluviométrie de 35 % combinée à une diminution de la fréquence des jours de pluie par rapport à la période 1950-1965 (Sultan et al., 2014). L’intensité et l’ampleur du changement climatique compromettent l’évolution des systèmes économiques, notamment l’agriculture, à travers la diminution des surfaces de terres arables, des saisons de culture et des rendements (Gorst et al., 2015). Au Sénégal, la dégradation des ressources naturelles, conséquence des vulnérabilités écologiques et politiques, représente un défi socio-économique majeur car elles constituent des moyens de subsistance pour plus de 70 % de la population (Berg et al., 2013). À l’avenir, l’imprévisibilité et la raréfaction des précipitations, combinées à une hausse des températures, pourraient entraîner une incertitude plus étendue et remettre en cause toute politique de développement économique et social. Selon les prévisions de Jalloh et al. (2010), le changement climatique pourrait entraîner une réduction des rendements de 30 % et une accélération de l’insécurité alimentaire avec un supplément de 1 à 3 millions de personnes non prises en charge par l’offre alimentaire en 2050. Pourtant, une hausse du rendement, à travers une intensification durable, pourrait accroître à la fois le revenu des producteurs et le pouvoir d’achat des consommateurs, grâce à la baisse des coûts de production unitaires et ainsi impulser une croissance économique profitable pour un grand nombre d’actifs.

2Le défi du changement climatique nécessite de la part de chaque pays des études intégrant toutes les spécificités nationales pour la définition d’une politique d’adaptation qui permette au secteur agricole de jouer tout son rôle dans l’atteinte de la sécurité alimentaire. Au Sénégal, la satisfaction des besoins alimentaires dépend essentiellement de la disponibilité mais aussi d’un accès facile aux céréales dont le riz est l’élément principal. En effet, le riz est devenu l’aliment de base des Sénégalais avec la consommation individuelle la plus élevée en Afrique, estimée à 91 kg/habitant/an (Gergely et Baris, 2009). Il représente 34 % du volume de la consommation céréalière nationale et compte pour 54 % des céréales consommées en milieu urbain et 24 % en milieu rural (Fall et Dièye, 2008). De même, le riz joue un rôle prépondérant dans la satisfaction des besoins alimentaires avec une consommation qui a progressé régulièrement au rythme de 3,5 % par an depuis 2005, par le triple effet de la croissance démographique, de l’urbanisation et d’un niveau des prix internationaux relativement bas (Diagne et al., 2013). Le développement de la production nationale de riz constitue donc un enjeu important en termes de souveraineté alimentaire et de lutte contre la pauvreté du fait du nombre élevé de petits producteurs concernés. En outre, Gergely et al. (2014) ont montré que la chaîne de valeur riz pourrait procurer une valeur ajoutée additionnelle de 30 milliards FCFA à échéance de 5 ans, si la production croit de 10 à 15 % par an). Dans ce contexte, la vallée du fleuve Sénégal constitue une zone prioritaire d’investissement hautement stratégique en raison de son potentiel élevé de riziculture irriguée.

3L’atténuation et l’adaptation au changement climatique sont les deux principaux piliers de la politique du changement climatique (Shalizi et Lecocq, 2009). Théoriquement, la « capacité d’adaptation » est la faculté d’un système à s’adapter, à se préparer et à réduire les menaces actuelles, tout en améliorant son aptitude à faire face aux nouveaux risques (GIEC, 2014). Dans la pratique, ces capacités se manifestent par des stratégies d’adaptation que « les individus ou les communautés mettent en œuvre pour protéger leurs moyens de subsistance et assurer, ainsi la sécurité alimentaire des communautés les plus vulnérables » (Hallegatte et al., 2010). L’adaptation étant un processus social dynamique, la mise en œuvre d’une stratégie dépendra de son acceptabilité sociale mais aussi de la capacité des ménages à profiter de leurs réseaux afin de bénéficier d’informations climatiques utiles (Adger, 2003). Les stratégies d’adaptation des agriculteurs face aux conditions climatiques changeantes ont fait l’objet d’une abondante littérature ces dernières décennies (Chen et al., 2014 ; Seo et Mendelsohn, 2008). Cette littérature s’est essentiellement penchée sur les perceptions que les agriculteurs ont de l’évolution des variables climatiques (Mertz et al., 2009 ; West et al., 2008), les déterminants de l’adaptation (Kurukulasuriya et Mendelsohn, 2008 ; Di Falco et Veronesi, 2013) et son impact (Derressa et Hassan, 2009 ; Di Falco et al., 2011). Ces derniers ont fait l’objet de remise en cause car elles n’auraient pas évalué les stratégies d’adaptation prises individuellement (Derressa et Hassan, 2009) ou se seraient intéressées à une technologie particulière comme l’introduction de nouvelles variétés (Ojo et Baiyegunhi, 2020 ; Arouna et al., 2017 ; Aminou et Rachidi, 2019 ; Diagne et al., 2009). Cet article entend lever ces limites en partant d’une kyrielle de stratégies d’adaptation prises individuellement pour contribuer à la compréhension de deux questions : (1) quels facteurs influencent la décision de mettre en œuvre une stratégie d’adaptation face au changement climatique ? (2) Quel est l’impact de ces stratégies d’adaptation sur la productivité rizicole dans un contexte de changement climatique ?

4Nous proposons de répondre à ces questions en étudiant l’impact des stratégies d’adaptation sur la productivité des riziculteurs de la vallée du fleuve Sénégal, où des évènements climatiques extrêmes pourraient entraîner une diminution du débit du fleuve et ainsi remettre en cause l’utilité des aménagements hydroagricoles en vue d’une autosuffisance en riz. La productivité rizicole est entendue dans le sens de la production rapportée à l’hectare et est utilisée de manière interchangeable avec le rendement. Nous supposons que la décision d’adaptation est prise sur la base de facteurs endogènes au producteur qui se fie à ses perceptions pour s’adapter ou non (Alene et Manyong, 2007 ; Di Falco et al., 2011). Ce biais de sélection est à la base d’endogénéité que nous corrigerons avec un modèle à changement endogène de régime et des équations simultanées (Hausman, 1983). L’estimation du modèle à changement endogène de régime se fait en deux étapes avec le maximum de vraisemblance à information complète : tout d’abord, un modèle probit pour identifier les facteurs qui affectent la décision d’adaptation, puis des équations de régression distinctes afin de modéliser la production agricole conditionnellement à la fonction de sélection spécifiée (Lokshin et Sajaia, 2004).

5Le reste du travail est structuré comme suit. Nous proposons dans un premier temps une revue de littérature visant à montrer la manière dont le changement climatique affecte la productivité rizicole, avec un accent sur le rôle des stratégies d’adaptation. Dans un second temps, nous exposons le cadre d’analyse à travers une description de la vallée du fleuve Sénégal et de ses enjeux d’adaptation, la présentation des données comme la méthodologie utilisée ainsi que les choix d’estimation. Enfin, l’article présente les stratégies d’adaptation mises en œuvre par les exploitations agricoles avant que le modèle à changement endogène de régime ne soit estimé, ceci dans le but d’identifier les facteurs déterminant la décision d’adaptation mais aussi d’évaluer l’impact des stratégies d’adaptation sur la productivité du riz dans la vallée du fleuve Sénégal.

La productivité rizicole à l’épreuve du changement climatique : le rôle des stratégies d’adaptation

6La sévérité des incidences du changement climatique sur une exploitation, une localité, un agroécosystème, un pays ou une région donnée d’Afrique subsaharienne est fonction d’une vaste gamme de facteurs locaux, régionaux et internationaux, y compris l’ampleur du changement, sa probabilité, son rythme, et sa durée, ainsi que la tolérance et les capacités du système (Collier et Dercon, 2014). Les études relatives à l’impact du changement climatique sur la riziculture en Afrique soulignent essentiellement deux facteurs qui pourraient entraîner une baisse du rendement du riz : (i) l’augmentation de la stérilité des graines induite par la chaleur et (ii) le raccourcissement de la saison de croissance (Pepijn et Sander, 2017). L’exposition du riz à des températures élevées pendant la période de floraison peut réduire considérablement la viabilité du pollen et ainsi entraîner une baisse du rendement du riz en raison de périodes de croissance plus courtes (Aminou et Rachidi, 2019). Selon Kumar et al. (2008), les rendements du riz dans des conditions de sécheresse sévère peuvent être réduits jusqu’à 65 % par rapport à des conditions de non-sécheresse. En outre, Pepijn et Sander (2017) soulignent que sans des mesures d’adaptation adéquates, les rendements du riz irrigué dans la région du Sahel d’Afrique de l’Ouest pendant la contre-saison pourraient diminuer de près de 45 %. L’adaptation, qui désigne l’ajustement des systèmes naturels ou humains en réponse aux conditions ou risques climatiques réels ou prévus, apparaît comme une opportunité pour contenir les effets négatifs du changement climatique (Kurukulasuriya et Mendelsohn, 2008).

7Une stratégie d’adaptation peut potentiellement réduire les effets néfastes, protéger les moyens de subsistance des agriculteurs pauvres et renforcer les avantages potentiels (Wheeler et von Braun, 2013). Ojo et Baiyegunhi (2020) utilisent un modèle de frontière stochastique tenant compte de l’endogénéité de l’adaptation afin d’étudier son impact sur l’efficience des agriculteurs nigérians. Ils concluent qu’une mise en œuvre des stratégies d’adaptation au changement climatique améliorerait la productivité du riz et l’efficacité technique des riziculteurs grâce à un accès rapide aux informations sur le changement climatique. De plus, ils révèlent que l’adoption de stratégies d’adaptation est source d’endogénéité du fait de l’autosélection des agriculteurs dans l’un des groupes (adapté ou non adapté). En effet, un ménage agricole s’autosélectionne pour adopter des technologies agricoles en raison de variables observables et non observables (Lokshin et Sajaia, 2004). C’est ainsi que le modèle de régression endogène à changement de régime a fréquemment été utilisé dans la littérature récente en raison de sa capacité à adresser les sources de biais observées et non observées (Abdoulaye et al., 2018 ; Di Falco et al., 2011).

Matériels et méthodes

1. La vallée du fleuve Sénégal et ses enjeux d’adaptation

8Le bassin du fleuve Sénégal correspond à la partie nord du Sénégal et s’étire sur près de 650 km représentant 8 % des terres arables du pays avec un potentiel irrigable de 350 000 hectares (Gergely et Baris, 2009). Il offre aux producteurs la possibilité de mener trois campagnes de production par année dont deux en contre-saison (sèche et froide) et une campagne en saison hivernale. Les principales cultures sont : le riz en hivernage, en contre-saison chaude, la tomate, l’oignon et la pomme de terre en contre-saison froide. La pluviométrie y est caractérisée par des pluies faibles, irrégulières, réparties sur deux à trois mois entre fin juillet et septembre. C’est ainsi que la dégradation des ressources naturelles constitue un enjeu politico-économique étant donné que l’essentiel de la population dépend directement des ressources hydrologiques du fleuve pour survivre.

9La vallée du fleuve Sénégal constitue un terrain privilégié d’investissement agricole en raison de son potentiel d’irrigation assez élevé qui justifie les objectifs qui lui sont assignés dans le programme d’autosuffisance alimentaire. En effet, dans le cadre du Programme National d’Autosuffisance en Riz (PNAR), composante rizicole du Programme d’accélération de la cadence pour l’agriculture sénégalaise (PRACAS), 60 % de la production rizicole est attendue du système irrigué de la vallée du fleuve Sénégal. Aussi, la vallée du fleuve Sénégal fait partie des trois pôles de développement rizicole du pays avec la région de Fatick pour la riziculture pluviale et la zone de Bagadadji du bassin de l’Anambée (Diouf et al., 2018). Elle concentre donc plusieurs services d’appui techniques, de recherches et d’encadrement qui y ont vulgarisé plusieurs paquets technologiques, notamment les nouvelles variétés à cycle court, les techniques de production et de stockage de semences, le système de riziculture intensif, la gestion des engrais et la mécanisation agricole. Cependant, les rendements en milieu paysan restent toujours faibles. En effet, ils sont limités par plusieurs facteurs, dont le climat qui est de plus en plus incertain et imprévisible et la difficulté d’accès aux innovations technologiques. L’adaptation des riziculteurs face aux incertitudes climatiques apparaît dès lors comme un enjeu important pour l’alimentation des populations (Ahmed et Wei, 2010). En effet, elle fournit un ensemble de mesures de base afin de réduire les dommages et les risques causés par les effets directs ou indirects du changement climatique.

10L’efficacité des stratégies d’adaptation dépend essentiellement du contexte dans lequel elles sont mises en œuvre (Ahmed et Wei, 2010). L’objectif de cet article est d’identifier les stratégies d’adaptation mises en œuvre par les agriculteurs de la vallée du fleuve Sénégal et d’évaluer leur impact sur la productivité rizicole. Dans le cadre de cette étude, nous partons des perceptions des actions que les agriculteurs considèrent comme étant des stratégies d’adaptation et avons identifié à la suite de nos enquêtes : (i) le changement de date de semis en réponse au caractère variable du début de l’hivernage pour éviter le pourrissement des semences en cas de pluie précoce, (ii) l’utilisation de variétés à cycle court pour faire face aux conséquences des retards d’installation de l’hivernage ou des ruptures de pluie en fin de cycle, (iii) l’utilisation de biomasse forestière et agroalimentaire qui retarde l’épuisement des matières organiques du sol et (iv) l’utilisation d’arbustes fertilisants dans les parcelles de culture pour améliorer la fertilité des sols.

2. Sources des données

11Les données utilisées dans cet article sont issues d’un projet du Bureau d’analyse macroéconomique (BAME) de l’Institut sénégalais de recherches agricoles (ISRA). Le projet vise, entre autres objectifs, à analyser les arbitrages économiques entre l’élevage et l’agriculture de manière à faciliter la cohabitation entre ces deux systèmes de production dans un contexte de changement climatique qui accroît la concurrence pour l’accès aux ressources. Dans ce cadre, la haute et moyenne vallée du fleuve Sénégal a été choisie en raison de son potentiel mais aussi de ses dynamiques socio-économiques. Un choix raisonné a d’abord été fait pour les trois communautés rurales notamment Matam, Bakel et Kidira. Ensuite, un échantillonnage aléatoire à trois degrés a permis de choisir trois cent soixante (360) exploitations qui ont été l’objet d’enquêtes. D’abord, trois communautés rurales sont choisies par zone. Ensuite, les villages sont identifiés et les ménages sont choisis de manière aléatoire. Les données utilisées concernent la campagne hivernale de 2013.

3. Méthodologie

12L’utilisation des outils économétriques dans la compréhension des décisions d’adaptation face au changement climatique permet de tester un lien de causalité entre l’utilisation d’une stratégie d’adaptation et la performance de l’exploitation. La difficulté de mener une analyse d’impact réside dans l’impossibilité de comparer chaque résultat avec son contrefactuel (Shahidur et al., 2010) au niveau individuel. Par exemple, lorsqu’un producteur utilise une stratégie d’adaptation, nous ne pouvons pas observer ce que serait sa productivité s’il ne l’avait pas utilisée et inversement. Parmi les approches non expérimentales, généralement citées dans la littérature, le modèle à changement endogène de régime permet d’avoir une analyse des deux sous échantillons pour chaque stratégie d’adaptation : le groupe des « traités », c’est-à-dire les agriculteurs qui ont utilisé la stratégie d’adaptation et le groupe des « non traités », c’est-à-dire ceux qui ne l’ont pas utilisée (Ojo et Baiyegunhi, 2019 ; Di Falco et Veronesi, 2013). En outre, il offre, la possibilité de dégager le profil des agriculteurs qui utilisent les stratégies d’adaptation et d’identifier les facteurs affectant la productivité aussi bien pour ceux qui utilisent la stratégie d’adaptation que pour ceux qui ne l’utilisent pas.

13Un ménage représentatif i décide de mettre en œuvre une stratégie d’adaptation si son utilité espérée, s’il s’adapte U(π1), est supérieure à son utilité espérée s’il ne s’adapte pas U(π0) (Di Falco et al., 2011 ; Alene et Manyong, 2007). Nous notons cette différence Figure 0de sorte que Figure 1> 0 correspond à un bénéfice net de l’adoption de la technologie supérieur à celui de ne pas adopter la technologie ; c’est à cette condition que le paysan décide d’adopter la technologie.

14Figure 2 (1)

15Où E(.) est l’opérateur d’espérance basé sur la distribution subjective des variables d’incertitude auxquelles le preneur de décision fait face et U(.) est la fonction d’utilité de Von Neuman et Morgenstern représentant les préférences du ménage.

16Cependant, Figure 3est une variable latente, donc non observable ; ce qui est observé, c’est Ai, qui représente le comportement observé de l’agriculteur en ce qui concerne l’adoption de la technologie. La variable latente est spécifiée comme suit :

17Figure 4 (2)

18Ce qui signifie que l’individu i choisira de mettre en œuvre une stratégie d’adaptation (Figure 5 = 1) face aux variations climatiques de long terme si son utilité nette Figure 6 > 0, sinonFigure 7 = 0.

19Cette équation (2), dite de sélection, représente un modèle probit qui permet d’identifier les facteurs d’adaptation, où Z est un vecteur de variables explicatives ; α est un vecteur de paramètres inconnus à estimer, et ηi est un terme d’erreur aléatoire de moyenne nulle et de variance σ2. Le terme d’erreur comprend l’erreur de mesure et les facteurs non observés.

20L’autosélection des agriculteurs dans l’un des groupes (adapté ou non adapté) est source d’un biais d’endogénéité qui peut surestimer l’impact réel de l’utilisation des stratégies d’adaptation (Alene et Manyong, 2007). Une solution est de tenir compte explicitement d’une telle endogénéité à l’aide de modèles d’équations simultanées (Hausman, 1983). Cela motive l’usage des modèles de régression à changement endogène de régime qui tiennent compte à la fois de l’endogénéité et du biais de sélection de l’échantillon (Lee et Trost, 1978 ; Fuglie et Bosch, 1995).

21Dans ce travail, deux régimes sont identifiés : un régime pour les agriculteurs qui utilisent une stratégie d’adaptation face aux changements climatiques (Régime 1) et un autre pour ceux qui n’en utilisent pas (Régime 2) (Lokshin et Sajaia, 2004 ; Di Falco et al., 2011).

22Regime 1: Y1i = X1i β1 + ε1i Si Ai = 1 (3a)

23Regime 2: Y2i = X2i β2 + ε2i Si Ai = 0 (3b)

24Les régimes 1 et 2 traduisent le fait que l’agriculteur i ait utilisé ou pas une stratégie d’adaptation. Y1i et Y2i représentent la productivité qui est la variable dépendante de l’équation de résultat. Xj désigne un vecteur d’inputs (semence, engrais,) en plus des variables exogènes de l’équation (2) ; β est un vecteur de paramètres à estimer.

25Les termes d’erreur des équations (2), (3a) et (3b) sont supposés avoir une distribution normale tri variée de moyenne 0 et de matrice de covariance Σ, i.e., (η, ε1, ε2 ~ Ν (0, Σ) où

Figure 8

26Avec Figure 9étant la variance du terme d’erreur de l’équation de sélection qui est supposée égale à 1 puisque les paramètres ne sont estimés qu’à partir d’une certaine échelle (Lee, 1978 ; Maddala, 1983), Figure 10et Figure 11sont les variances du terme d’erreur des fonctions de productivité (3a) et (3b), σ1η représente la covariance de ηi et ε1i et σ2η est la covariance de ηi et ε2i. À noter que, puisque Y1i et Y2i ne sont pas observables simultanément, alors les covariances, entre ε1i et ε2i ne sont pas définies et sont ainsi représentées par des points dans la matrice de covariance.

27Puisque le terme d’erreur de l’équation de sélection (2) est corrélé avec les termes d’erreur des équations de productivité (2a) et (2b), les valeurs espérées de ε1i et ε2i conditionnelles à l’équation de sélection sont non nulles et sont définies comme :

28Figure 12 (4a)

29Figure 13 (4b)

30où φ(.) est la fonction de densité de probabilité et Φ(.) est la fonction de répartition. Dans la littérature, Figure 14et Figure 15portent le nom d’inverse du ratio de Mill. Selon la littérature, une méthode efficiente d’estimer le modèle à changement endogène de régime est le maximum de vraisemblance à information complète (Di Falcao et Veronesi, 2011 ; Lockshin et Sajaia, 2004).

31Une fois que nous serons assurés de la pertinence de nos estimations par la méthode du maximum de vraisemblance à information complète (Di Falco et al., 2011 ; Alene et Manyong, 2007 ; Lokshin et Sajaia, 2004), nous analyserons l’impact des stratégies d’adaptation sur la productivité à travers les productivités espérées des agriculteurs dans les cas réels et hypothétiques. La formulation mathématique de ces hypothèses est donnée par :

32(4a) E(Y1i | Ai = 1) = X1i β1 + σ1ηλ1i

33(4b) E(Y2i | Ai = 0) = X2i β2 + σ2ηλ2i

34(4c) E(Y1i | Ai = 0) = X2i β1 + σ1ηλ2i

35(4d) E(Y2i | Ai = 1) = X1i β2 + σ2ηλ1i

36Finalement, le modèle à changement endogène de régime utilisé dans le cadre de cette recherche appelle à la spécification de deux équations à estimer. D’abord, une équation de sélection que l’on estime par un modèle probit dont la variable endogène est 1 si l’agriculteur utilise la stratégie d’adaptation et 0 sinon et les variables exogènes sont les caractéristiques du ménage et de l’exploitation ainsi que l’accès à l’information sur la stratégie d’adaptation et les autres sources de revenus. Ensuite, une équation de résultat avec deux régimes, utilisant le maximum de vraisemblance pour identifier les déterminants de la productivité d’une part pour les agriculteurs qui utilisent la stratégie et d’autre part pour ceux qui ne l’utilisent pas. Pour cette dernière, la variable endogène est la productivité tandis que les variables d’accès à l’information sont utilisées comme instruments.

Résultats et discussion

1. Statistiques descriptives

37Le tableau 1 montre les résultats des statistiques descriptives relatives aux caractéristiques du ménage et des exploitations rizicoles. Les chefs de ménage enquêtés sont en moyenne âgés de 56,5 ans avec une expérience dans l’agriculture autour de 26,1 ans. Ainsi, les riziculteurs sont essentiellement constitués d’adultes avec une bonne expérience dans l’agriculture. La très grande majorité des ménages de riziculteurs sont dirigés par des hommes (97 %). Leur niveau d’instruction reste faible puisque seuls 20 % des chefs de ménage enquêtés ont été à l’école française. La taille moyenne des ménages enquêtés dans la haute et moyenne vallée du fleuve Sénégal dépasse 22 individus dont plus de la moitié a moins de 15 ans ; ce qui confirme le caractère jeune de la population rurale sénégalaise. L’agriculture constitue la principale source de revenus pour 80 % des ménages enquêtés.

Tableau 1. Caractéristiques du ménage et de l’exploitation agricole

-DescriptionMoyenneÉcart-type
Caractéristiques du ménage
Âge du chef de ménage Âge du chef de ménage56,514,5
Expérience dans l’agriculture Nombre d’années d’expérience du chef de ménage dans l’agriculture 26,116,1
Type d’instruction reçuVariable binaire (1 si le chef de ménage a été à l’école française)0,20,4
Sexe Variable binaire (1 si le chef de ménage est un homme)0.970,1
Taille du ménageLe nombre de personnes vivant dans le ménage22,912,9
Nombre d’actifs du ménageNombre de personnes du ménage âgé de plus de 15 ans11,08,1
Agriculture comme première activitéVariable binaire (1 si l’agriculture est la première activité génératrice de revenus) 0,80,4
Caractéristiques de l’exploitation
Utilisation d’urée (kg/ha)Urée utilisée en kilogramme par hectare 24,877,8
Utilisation de NPK (kg/ha)NPK utilisé en kilogramme par hectare 12,446,1
Utilisation d’engrais organiqueVariable binaire (1 si le ménage utilise de l’engrais organique)0,20,4
Autres ressources
Revenus non agricolesVariable binaire (1 si le ménage dispose de revenus non agricoles)0,80,4
ÉmigrationVariable binaire (1 si au moins un membre établi à l’étranger contribue aux dépenses du ménage) 0,40,5
Accès au crédit Variable binaire (1 si un membre du ménage a accès au crédit)0,30,4
Accès à l’information
Distance avec le marché « louma »Nombre de kilomètres qui séparent le ménage avec le marché hebdomadaire le plus proche20,821,1
Distance avec les services de vulgarisationNombre de kilomètres qui séparent le ménage avec le service de vulgarisation le plus proche25,821,3
Émission radioVariable binaire (1 si le chef de ménage a eu l’information sur les stratégies d’adaptation grâce à une émission de radio0,50,5
Appartenance à une organisation de producteursVariable binaire (1 si le chef de ménage est membre d’une Association de producteurs) 0,40,5
tableau im17

Tableau 1. Caractéristiques du ménage et de l’exploitation agricole

Sources : enquête de l’ISRA/BAME, 2014 ; calculs de l’auteur.

38Même l’écrasante majorité dispose aussi de revenus non agricoles (80 %) et 30 % ont accès au crédit. La haute et moyenne vallée du fleuve Sénégal est aussi une zone de forte émigration puisque 40 % des ménages enquêtés disposent d’au moins un membre qui est à l’étranger.

39En ce qui concerne les caractéristiques des exploitations rizicoles, les résultats descriptifs montrent qu’en moyenne, chaque exploitation rizicole enquêtée utilise 24,8 litres d’urée et 12,4 kg de NPK [1] par hectare. De plus, les exploitations sont, en moyenne, distantes de 20,8 km des marchés hebdomadaires les plus proches et 25,8 km des services de vulgarisation. En outre, 40 % des chefs de ménage sont membres d’une association de producteurs et 50 % d’entre eux ont eu l’information sur les stratégies d’adaptation grâce à une émission de radio.

40L’analyse de la perception paysanne des tendances de la pluviométrie et de la température durant les vingt dernières années montre que la majorité des producteurs enquêtés notent une baisse des tendances moyennes de la pluie (90 %) et une hausse de la température (91 %). Les résultats des enquêtes montrent qu’en général les agriculteurs ont une bonne propension à la mise en œuvre de stratégies d’adaptation. En effet, 87 % des agriculteurs utilisent au moins une stratégie d’adaptation en haute et moyenne vallée du fleuve Sénégal. Les taux d’utilisation des stratégies d’adaptation par les exploitations agricoles sont présentés dans le tableau 2. Près de 34 % des exploitations agricoles de notre échantillon disent avoir utilisé des variétés à cycle court durant la campagne hivernale 2013. Selon les agriculteurs, l’importance des variétés à cycle court dans le contexte de début tardif ou de fin précoce des pluies n’est plus à démontrer mais le problème majeur reste l’accessibilité de ces variétés. Près de 50 % des paysans disent accéder aux semences à cycle court via le marché contre 27 % par l’intermédiaire des services de vulgarisation étatiques et 23 % à travers des projets.

Tableau 2. Taux d’utilisation des stratégies d’adaptation

ZoneUtilisation de variétés à cycle courtUtilisation d’arbustes fertilisantsChangement de date de semisUtilisation de biomasse
Matam24 %5 %49 %28 %
Bakel52 %0 %98 %1 %
Kidira16 %21 %77 %30 %
Total31 %9 %75 %20 %
tableau im18

Tableau 2. Taux d’utilisation des stratégies d’adaptation

Sources : enquête de l’ISRA/BAME, 2014 ; calculs de l’auteur.

2. Analyse des résultats d’estimation

41Afin d’identifier les stratégies d’adaptation ayant un impact significatif sur la productivité, nous avons effectué des tests de comparaison des moyennes des deux groupes, les agriculteurs qui ont mis en œuvre la stratégie d’adaptation (traités) et ceux qui ne l’ont pas mise en œuvre (non traités), pour chaque stratégie d’adaptation [2]. Les exploitations agricoles produisent d’autres spéculations avec la possibilité que certaines stratégies d’adaptation soient spécifiques à certaines cultures. Nous trouvons que l’utilisation des variétés à cycle court est la seule stratégie d’adaptation à avoir un impact significatif sur la productivité du riz. En revanche, la mise en œuvre des autres stratégies d’adaptation comme la modification du calendrier cultural, le semis à sec et l’utilisation de la biomasse et d’arbres ou d’arbustes fertilisants n’ont aucune incidence sur la productivité du riz.

42Le tableau 3 présente les estimations du modèle de régression à changement endogène de régime par le maximum de vraisemblance à information complète. La première colonne représente les coefficients estimés de l’équation de sélection (1) dont la variable endogène est l’utilisation ou pas de variétés à cycle court. Les deuxième et troisième colonnes représentent, respectivement, les estimations des équations de résultats pour les exploitations qui utilisent les variétés à cycle court d’une part (équation 3a) et les ménages qui ne l’utilisent pas, d’autre part (équation 3b). La significativité des paramètres σ1 et σ2 du tableau 3 montre que la décision d’utiliser les variétés à cycle court et la quantité produite par hectare sont corrélées. Ainsi, l’usage du modèle à changement endogène de régime est justifié. A contrario, les deux coefficients de corrélation ρj estimés ne sont pas significativement différents de zéro, ce qui implique que l’hypothèse d’une absence de biais d’échantillon de sélectivité ne peut pas être rejetée. Ces résultats sont en phase avec ceux de Di Falco et al. (2011). Cependant, les différences dans les coefficients de l’équation de la productivité entre les ménages qui ont utilisé des variétés à cycle court et ceux qui ne les ont pas utilisées illustrent la présence d’une hétérogénéité dans l’échantillon.

43Les résultats de la régression du modèle probit, dit de sélection, permettent de dresser le profil des agriculteurs qui utilisent des variétés à cycle court (tableau 3, colonne 1). Ainsi, les exploitations agricoles qui utilisent de l’urée et accèdent au crédit sont plus susceptibles d’utiliser les variétés à cycle court. Ce résultat est en phase avec Abdoulaye et al. (2018) qui observaient que la quantité d’engrais chimique notamment l’urée qui agit sur la croissance des plantes, est plus élevée chez les producteurs qui utilisent des variétés améliorées. Toutefois, la probabilité d’utiliser des variétés à cycle court diminue avec l’utilisation de NPK. Dans le cas de la vallée du fleuve Sénégal, il pourrait exister une substituabilité entre l’utilisation d’urée et de NPK qui agit plus sur la qualité des graines et la résistance aux maladies. Bèye et al. (2018) trouvent un résultat similaire et proposent une redéfinition de la carte variétale et des doses d’engrais conformes aux caractéristiques pédologiques des sols. En ce qui concerne l’accès à l’information par rapport à l’utilisation des variétés à cycle court, la proximité avec les services de vulgarisation, la distance de la concession avec les marchés hebdomadaires et le suivi d’une émission de radio traitant du changement climatique sont les variables significatives. Toutefois, c’est la proximité avec le marché qui semble le plus augmenter la probabilité d’utiliser les variétés à cycle court.

44La productivité des exploitations agricoles qui utilisent des variétés à cycle court est affectée significativement et positivement par l’utilisation d’engrais organique, l’accès au crédit et l’existence de revenus non agricoles (tableau 3, colonne 2). Ainsi, l’obtention d’une productivité agricole élevée à travers l’utilisation des variétés à cycle court est conditionnée par des investissements que les agriculteurs assurent via le crédit et les revenus non agricoles. Les crédits prennent la forme de crédit campagne et permettent aux producteurs de régler les problèmes liés à l’accès aux intrants comme les semences et l’engrais. Ojo et Baiyegunhi (2019) justifient l’importance de l’expérience par le fait que les agriculteurs instruits et informés ont une meilleure capacité à évaluer les avantages découlant de l’adoption d’innovations agricoles ainsi que les nouvelles pratiques.

45En ce qui concerne les agriculteurs n’utilisant pas de variétés à cycle court, leur productivité est impactée positivement par l’utilisation d’engrais organique (tableau 3, colonne 3). Ce résultat confirme ceux des travaux de Bèye et al. (2018) qui soulignaient l’importance d’un système intégré agriculture-élevage dans la vallée du fleuve Sénégal où les exploitations peuvent utiliser les résidus agricoles comme fourrage pour nourrir les animaux et la fumure organique pour entretenir la fertilité des sols. L’expérience semble avoir un impact négatif sur la productivité des agriculteurs qui n’exploitent pas les variétés à cycle court. Quayum et al. (2012) suggèrent que, même s’ils adoptent de nouvelles technologies, les agriculteurs expérimentés ont tendance à pratiquer les méthodes agricoles traditionnelles qui ne permettent pas d’atteindre le maximum du potentiel des nouvelles variétés. De même, la taille du ménage a un impact significatif et négatif sur la productivité de la terre. En effet, la taille du ménage accroît le recours à la main-d’œuvre familiale qui utilise essentiellement des outils rudimentaires (Ouédraogo et Thiombiano, 2017). Cette pratique d’une agriculture manuelle avec des outils rudimentaires peut entraîner des retards dans le calendrier cultural ou réduire la rigueur et la qualité des activités champêtres, par conséquent, une baisse des rendements.

Tableau 3. Résultat des estimations du modèle

ModèleÉquation de sélectionÉquation de résultat
Variable
dépendante
Utilisation de variétés à cycle courtes(Adaptation 1/0)Productivité par hectare des exploitations qui utilisent des variétés à cycle court(Adaptation = 1)Productivité par hectare des exploitations qui n’utilisent pas des variétés à cycle court(Adaptation = 0)
Expérience0.0458(0.0331)49.06*(25.97)-20.38**(9.359)
Utilisation d’urée0.00868**(0.00354)2.285(2.702)-1.860(1.533)
Utilisation de NPK-0.0104**(0.00481)3.949(4.175)2.229(1.714)
Revenu non agricole-1.627(1.206)2,277***(748.4)441.4(271.9)
Émigration0.251(0.764)716.2(643.1)222.9(219.9)
Taille du ménage-0.00600(0.0236)38.38(29.20)-21.26***(7.701)
Accès au crédit1.369**(0.607)1,894***(697.3)-0.796(262.0)
Utilisation
d’engrais organique
-1.210(1.072)2,906**(-1,245)1,048***(292.1)
Distance
des marchés
-0.0418**(0.0166)--
Émission radio0.885*(0.520)--
Appartenance aux OP2.158(1.514)--
Distance des services de vulg.0.0445***(0.0115)--
Constant-2.551**(1.092)-5,184***(-1,381)1,110***(366.5)
σi-7.260***(0.133)6.065***(0.158)
ρj-16.05(207.0)-16.37(257.9)
tableau im19

Tableau 3. Résultat des estimations du modèle

Notes : σi désigne la racine carrée de la variance des termes d’erreur εji dans les équations de résultat (3a) et (3b), respectivement ; ρj désigne le coefficient de corrélation entre le terme d’erreur ηi de l’équation de sélection (1) et le terme d’erreur εji des équations de résultat (3a) et (3b), respectivement ; *** p<0.01, ** p<0.05, * p<0.1 ; (.) Erreurs standards
Source : l’auteur.

46L’impact de l’utilisation de variétés à cycle court sur la productivité du riz est représenté dans le tableau 4. Les cellules (a) et (b) désignent les cas factuels observés dans la réalité. Autrement dit, les agriculteurs qui utilisent les variétés à cycle court obtiennent une productivité par hectare de 4 100 kg/ha tandis que ceux qui n’en utilisent pas ont une productivité de 1 120 kg/ha. Les cas non factuels désignent les productivités attendues, c’est-à-dire les productivités qu’auraient obtenues les deux groupes de producteurs dans les cas hypothétiques. Par exemple, la cellule (c) signifie que si les producteurs qui utilisent les variétés à cycle court ne l’avaient pas utilisé, leur productivité serait 1 316 kg/ha. Inversement, la cellule (d) signifie que si les agriculteurs qui n’utilisent pas la stratégie d’adaptation l’avaient utilisée, leur productivité attendue serait de 792 kg/ha.

Tableau 4. Impact de l’utilisation de variétés à cycle court sur la productivité du riz (kg/ha)

-Niveau de décision-
Sous-échantillonAdaptation Non-AdaptationImpact
Agriculteurs qui s’adaptent(a) 4100(c) 13162784
Agriculteurs qui ne s’adaptent pas (d) 792(b) 1120-328
tableau im20

Tableau 4. Impact de l’utilisation de variétés à cycle court sur la productivité du riz (kg/ha)

Source : enquête Rivers (ISRA/BAME, 2014) ; calculs de l’auteur.

47Les résultats de notre analyse d’impact montrent que, dans les conditions actuelles de production marquées par des investissements massifs en aménagements hydroagricoles et le rapprochement des riziculteurs avec les services techniques de recherche et de vulgarisation, l’utilisation de variétés à cycle court permet d’accroître le rendement du riz de 2 784 kg/ha dans la vallée du fleuve Sénégal. Cette augmentation est supérieure aux 570 kg/ha correspondant à l’adoption de variétés de riz tolérantes à la sécheresse en Côte d’Ivoire (Aminou et Rachidi, 2019). Au Bénin et au Sénégal, l’adoption de variétés améliorées a entraîné une hausse, respective, de la productivité de 710 kg/ha (Agboh-Noameshie et al., 2007) et 872 kg/ha (Dibba et al., 2012). Toutefois, ce résultat peut s’expliquer par l’engouement et les investissements importants occasionnés par le PNAR, notamment la facilitation de l’accès des agriculteurs aux intrants agricoles et aux paquets technologiques diffusés par les structures de recherche comme d’encadrement, surtout dans les trois pôles de développement rizicole dont la vallée du fleuve Sénégal. Ces pôles qui devaient servir à mutualiser les efforts de recherche en vue de les vulgariser dans d’autres zones ont ainsi bénéficié de la diffusion de variétés à haut rendement supérieur à 6 000 kg/ha, d’un accès aux engrais subventionnés (urée et NPK) et d’une proximité de l’encadrement pour le respect des itinéraires techniques. Il est aussi noté que le rendement réalisé par le groupe des « non traités » est plus élevé sans l’utilisation de variétés à cycle court avec 1 120 kg/ha dans le cas factuel contre 792 kg/ha dans le cas où ils se seraient adaptés. C’est ainsi que, pour ce groupe, un impact négatif est noté pour l’utilisation de variétés à cycle court. Ce résultat peut s’expliquer par l’expérience qui se manifeste par des pratiques agricoles dont ne disposeraient pas ceux qui n’utilisent pas les variétés à cycle court. Toutefois, une meilleure prise en compte des variables qualitatives essentiellement inobservables permettrait de mieux apprécier ce résultat.

Conclusion

48Le changement climatique constitue une grande menace pour la survie de l’agriculture au Sénégal. Cet article s’interroge sur la manière dont les stratégies d’adaptation mises en œuvre par les riziculteurs améliorent le rendement. Avec des données primaires collectées auprès de 360 exploitations agricoles, nous avons utilisé le modèle à changement endogène de régime pour identifier les déterminants des stratégies d’adaptation et évaluer leur impact sur la productivité des riziculteurs de la vallée du fleuve Sénégal. Les résultats montrent que la probabilité d’utiliser les variétés à cycle court augmente lorsque l’exploitation agricole utilise l’urée et accède au crédit mais baisse chez les producteurs qui utilisent de l’engrais NPK. Généralement, les ménages enquêtés accèdent à l’information sur les variétés à cycle court à travers les services de vulgarisation, les marchés hebdomadaires et les émissions de radio. En raison de la faiblesse du taux d’utilisation des variétés à cycle court, l’État devrait faciliter l’octroi de crédit aux agriculteurs et rendre disponible la semence améliorée aussi bien dans les marchés que les services de vulgarisation mais aussi mener une campagne de communication à travers les radios communautaires pour une meilleure diffusion des technologies. Les crédits pourraient prendre la forme de « crédit-campagne » destiné à financer un cycle de production et donc faciliter l’accès aux intrants.

49La productivité des exploitations agricoles utilisant les variétés à cycle court est affectée significativement et positivement par l’utilisation d’engrais organique, l’accès au crédit et l’existence de revenus non agricoles tandis que les agriculteurs n’utilisant pas ces variétés semblent se rabattre exclusivement sur l’engrais organique pour accroître leur productivité. Ainsi, avec l’impact très significatif que semble avoir l’engrais organique sur la productivité des exploitations rizicoles, les pouvoirs publics devraient promouvoir un système intégré agriculture-élevage pour la valorisation des résidus de récolte par les animaux et l’utilisation de la fumure organique sur les parcelles.

50Les résultats de nos travaux montrent également que les stratégies d’adaptation, si elles sont bien mises en œuvre, permettent d’améliorer la productivité des exploitations agricoles. En effet, les résultats obtenus montrent qu’elles utilisent plusieurs stratégies d’adaptation pour faire face aux changements climatiques dont l’utilisation de variétés à cycle court, l’utilisation d’arbustes fertilisants, la modification de la date de semis et l’utilisation de la biomasse. L’utilisation de variétés à cycle court est la seule stratégie qui impacte significativement la productivité du riz montrant que les autres stratégies d’adaptation sont potentiellement utilisées pour les autres spéculations. Les estimations économétriques confirment ce résultat puisque l’utilisation de variétés à cycle court permet d’accroître la productivité rizicole de 2 784 kg/ha. Le financement de la recherche de variétés adaptées aux conditions climatiques par les pouvoirs publics est donc pertinent. Cependant, la disponibilité et l’accès à ces variétés restent un défi majeur étant donné que le taux d’utilisation n’est que de 33 %. Ainsi, à court terme, l’atteinte de l’autosuffisance en riz justifierait une politique de diffusion à grande échelle des variétés à cycle court. À cette fin, nos résultats montrent la non-pertinence de solutions universelles avec un impact différent pour les « non traités » et donc la nécessité de développer des stratégies d’accompagnement adaptées et ciblées face à la diversité des exploitations agricoles.

51Dans cette perspective, les résultats forts intéressants liés à l’utilisation de variétés à cycle court pour améliorer la performance productive des exploitations agricoles gagneraient à être confirmés à travers un suivi régulier des riziculteurs pour mieux caractériser le phénomène d’interaction entre le comportement adaptatif des agriculteurs et l’efficacité de leur adaptation. L’utilisation de variétés à cycle court n’est qu’une technologie parmi celles diffusées dans la vallée du fleuve Sénégal puisque d’autres pratiques culturales comme le système de riziculture intensif, la gestion intégrée des ressources en eau et le placement profond de l’urée y sont également proposées. Par conséquent, l’influence des autres innovations technologiques n’est pas à exclure. Enfin, l’identification des facteurs à la fois objectifs et subjectifs influençant la décision d’adoption avec une ouverture disciplinaire vers l’agronomie, la géographie, la psychologie permettrait d’élaborer des modèles économiques qui rendraient mieux compte des rationalités des agriculteurs et de la réalité.

Remerciements

L’auteur remercie le Bureau d’Analyse macroéconomique de l’Institut Sénégalais de Recherches Agricoles (ISRA/BAME) pour avoir rendu facile la collecte des données et exprime toute sa gratitude aux évaluateurs anonymes qui ont permis d’accroître substantiellement la qualité scientifique de ce papier.

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Notes

  • [1]
     Les engrais NPK sont composés de l’azote (N), du phosphore (P) et du potassium (K) et agissent sur le développement des plantes.
  • [2]
     En statistique, un résultat est dit statistiquement significatif lorsqu’il est improbable qu’il puisse être obtenu par un simple hasard. Ainsi, une stratégie d’adaptation sera dite significative si le résultat observé a moins de 5 % de chances d’être obtenu par hasard.
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