1[…] On ne peut nier l'existence des crises à court terme provoquées par des mécanismes d'ordre cyclique, financier ou autres, mais ce qui m'intéresse ici, c'est l'existence d'une évolution structurelle à long terme qui mènera très probablement le capitalisme à sa perte d'ici trente à cinquante ans. […]
2On appelle chômage technologique le mécanisme par lequel les innovations en matière d'équipement et d'organisation du travail permettent d'économiser de la main-d'œuvre : produire plus à un prix inférieur et avec moins de travailleurs. […] C'est en extrapolant cette tendance structurelle sous-jacente que Marx et Engels ont prédit la chute du capitalisme et son remplacement par le socialisme. […] [1]
3[…] À la mécanisation viennent s'ajouter la robotisation et l’informatisation, autant de termes barbares à inscrire au lexique disgracieux qui régit notre avenir à long terme.
4Tandis que les rangs de la classe ouvrière étaient décimés par la mécanisation, le capitalisme a été sauvé par l'essor de la classe moyenne. Mais, aujourd'hui, c'est la classe moyenne qui est menacée par l'informatisation, par Internet et par une masse de nouveaux outils microélectroniques. Le capitalisme pourra-t-il survivre à cette deuxième vague de chômage technologique ?
5Historiquement, le système capitalisme a surmonté les crises dues au chômage technologique en ayant recours à cinq soupapes de sécurité. Je soutiens que ces cinq échappatoires [l’innovation technologique pour créer de nouveaux emplois et de nouvelles branches industrielles ; l’expansion géographique des marchés ; les métamarchés de la finance ; le secteur public en tantqu’employeur et investisseur ; l’inflation des diplômes et autres formes de keynésianisme masqué] sont désormais obsolètes et qu’il s’agit plutôt d’impasses. [2]
6[…] Il est probable que la crise écologique renforcera la crise du capitalisme ; l’autre possibilité, à savoir que la crise écologique aide le capitalisme à survivre, semble lointaine. Les industries « vertes » ne créent pas suffisamment d'emplois pour compenser le chômage technologique, d'autant plus qu’elles risquent elles-mêmes d'emprunter la voie de l'informatisation et de l'automatisation. Les effets dévastateurs de la crise écologique, horribles à envisager en termes de souffrance humaine, affecteraient certaines régions du monde avant les autres. […]
7Dans les régions habitables, le flux massif de réfugiés en provenance des zones écologiquement sinistrées aiguisera la concurrence sur un marché du travail déjà saturé. L'abondance de main-d'œuvre bon marché, qui diminue déjà les opportunités de la majorité des travailleurs, ne fera qu'aggraver la crise économique. […] [3]
8[…] On peut envisager un avenir - peut-être même dans moins de cinquante ans - où presque tout le travail sera effectué par des ordinateurs et des robots, avec juste une poignée de techniciens chargés de leur maintenance et de leur réparation. Les robots sont capables d'effectuer le travail manuel jadis exécuté par les ouvriers et la robotisation a déjà contribué à éliminer la majorité des emplois industriels correctement rémunérés. Des robots encore plus avancés dotés d'un degré de mobilité suffisant et équipés de capteurs et d'interfaces informatiques pourraient se transformer en véritables humanoïdes qui élimineraient les emplois les plus qualifiés de la classe ouvrière et de la classe moyenne, avant de supplanter aussi les cadres dirigeants et les experts.
9Et cela ne ressemblera en rien aux perspectives fantastiques imaginées par la science-fiction. Ce qui nous menace, ce n'est pas une révolte frankeinsteinienne des robots, mais le stade suprême du chômage technologique et la disparition du travail humain sous l'égide d'une infime caste de capitalistes propriétaires desdits robots.
10Quelles que soient les caractéristiques spécifiques de cet avenir technologisé, la tendance structurelle au chômage technologique annonce une crise finale du capitalisme, bien au-delà de toutes les crises cycliques ou contingentes qui peuvent se produire dans le court terme. La tendance à l'accroissement des inégalités est également néfaste pour la consommation sous sa forme marchande, ce qui rendra le capitalisme inviable (sic) à terme. En gros, la seule façon de résoudre cette crise est de remplacer le capitalisme par un système non capitaliste, fondé sur la propriété socialiste, une forte régulation centrale et la planification. Mais les lieux et date précis de cette transition seront déterminés par des singularités et des complexités historiques que mon schéma théorique ne peut pas anticiper.
11Reste la question de fond : le chômage technologique de la classe moyenne entraînera l'effondrement du capitalisme partout où il est aujourd'hui dominant avant la fin du XXIè siècle.
12S'agira-t-il d'une transition pacifique ou dévastatrice ? Nous n'en savons encore rien. [4]