Notes
- (*)IRD, DIAL. E-mail : ppasquier@ dial. prd. fr
- (**)Banque Interaméricaine de Développement, E-mail : ddavidro@ iadb. org Accepté le 15 février 2008. Les auteurs tiennent à remercier Denis Cogneau, Philippe De Vreyer, Javier Herrera, François Roubaud, Martin Benavides, Evelyne Mesclier ainsi que les deux rapporteurs anonymes pour leurs commentaires et suggestions.
- (1)Pour une revue de littérature sur le sujet, se référer à Haveman et Wolfe (1995).
- (2)Propos recueillis lors d’un travail de collecte d’une centaine de récits de vie, réalisé à Lima en 2003 par L. Pasquier-Doumer et visant à connaître les canaux de mobilité sociale à Lima (Pasquier-Doumer, 2005)
- (3)Pour plus d’informations sur ces enquêtes, se référer à Pasquier-Doumer et Rosas Shady (2005).
- (4)Cette limite d’âge inférieure a été fixée afin de s’assurer que ceux qui ont suivi des études supérieures les ont achevées et qu’ils sont entrés sur le marché du travail. On évite ainsi de prendre en compte les jeunes qui poursuivent leurs études en 1985 et qui occupent des « petits boulots » pour les financer. On surestimerait alors la mobilité de ces jeunes entre 1985 et 1990 car ces « petits boulots » sont en général très différents de l’occupation pour laquelle ils se forment et qu’ils occupent à la fin de leurs études.
- (5)En effet, inclure ceux qui travaillent encore après 65 ans générerait un biais de sélection dans la mesure où ces personnes ont un profil bien particulier.
- (6)L’analyse de la qualité et des limites du panel obtenu (analyse des biais éventuels de sélection) est détaillée dans Pasquier-Doumer et Rosas Shady (2005) et montre que les individus du panel semblent avoir une origine sociale plus défavorisée que l’échantillon total des Liméniens en 1985, notamment quant à la dotation en capital humain de leurs parents.
- (7)Le taux de croissance du PIB par tête est en moyenne de plus de 6%.
- (8)Le taux annuel d’inflation fut de 3 400% en 1989.
- (9)Selon Weber, le statut social comprend trois dimensions : la richesse économique, le pouvoir et le prestige.
- (10)Cf. Pasquier-Doumer et Rosas Shady (2005).
- (11)C’est-à-dire que cet individu a une occupation très proche du groupe professionnel supérieur à celui où il a été classé, les groupes professionnels étant hiérarchisés.
- (12)C’est-à-dire que cet individu a une occupation très proche du groupe professionnel inférieur à celui où il a été classé.
- (13)On a préféré cette approche à une approche en termes de classe comme celle définie par Goldthorpe (1980) pour la raison suivante. Le schéma de classe défini par cet auteur est basé sur les relations au travail, en particulier sur la distinction entre ceux qui achètent le travail des autres, ceux qui n’achètent pas le travail des autres mais qui ne vendent pas le leur et ceux qui vendent leur travail. Ce schéma a un sens lorsque l’on s’intéresse à la mobilité intergénérationnelle mais en a beaucoup moins dans le cadre de la mobilité intragénérationnelle où le passage d’une classe à l’autre à une très faible occurrence.
- (14)Cette proportion est de 55% lorsque l’on prend la classification à 99 catégories d’occupation.
- (15)Pour une présentation plus détaillée de cette analyse, qui notamment inclut une analyse par genre et qui développe les flux entre les groupes professionnels sur une période plus longue, à savoir entre 1982 et 1990, se référer à Pasquier-Doumer et Rosas Shady (2005).
- (16)Les rapports de chances relatives traduisent le résultat de la concurrence entre les individus de groupes professionnels distincts pour atteindre des destinées différentes. Ils représentent l’inégalité relative entre deux individus, occupant en 1985 respectivement le groupe i et le groupe i’, pour atteindre le groupe j’plutôt que j (avec i’>i et j’>j) en 1990. Il est défini, pour la génération k comme suit :
où nij est le nombre d’observations dans la cellule (i, j) de la matrice de transition dont les lignes i représentent les trois groupes d’occupations en 1985 et les colonnes j les trois groupes d’occupations en 1990. La chance d’atteindre un groupe j’plutôt que j est ORi-i'kj-j' fois supérieure pour un individu du groupe i’qu’un autre du groupe i. Si le odd ratio vaut 1, l’individu du groupe i’ n’a pas d’avantage comparatif par rapport à celui du groupe i pour atteindre j’. La caractéristique des rapports de chances relatives est qu’ils donnent une mesure de l’association statistique entre deux variables indépendamment des distributions marginales. - (17)Le nombre de changements est mesuré entre les 99 groupes professionnels afin d’obtenir l’analyse la plus fine possible de la mobilité.
- (18)Comprend les activités de commerce, de transport, de construction, d’industrie, de services et des mines.
- (19)Ce n’est pas le cas pour l’ensemble car les différences se compensent entre les genres.
- (20)18% de ceux dont le père exerçait une profession qualifiée connaissent une mobilité ascendante entre 1982 et 1990 du groupe 2 vers le groupe 1. Cette proportion n’est que de 10% pour ceux dont le père avait une profession non qualifiée hors agriculture et 7% pour ceux dont le père était agriculteur. La différence entre cette première proportion et les deux autres est significative au seuil de 10%. Dans le cas d’une mobilité ascendante du groupe 3 vers le groupe 1, ces proportions sont respectivement 26%, 14% et 3% et les différences entre la première proportion et les deux autres sont significatives au seuil de 1%.
- (21)La probabilité de passer du groupe 1 au groupe 3 entre 1982 et 1990 est nulle pour ceux dont le père exerçait une profession qualifiée alors qu’elle est de 7% pour ceux dont le père avait une profession non qualifiée hors agriculture et 16% pour ceux dont le père était agriculteur, les différences entre ces trois proportions étant significatives au seuil de 5 et 10% (cf. dernière colonne du tableau sur la significativité des différences). De plus, ceux d’origine la plus favorisée ont une probabilité significativement plus faible de passer du groupe 2 au groupe 3 que ceux d’origine intermédiaire (0,01 vs. 0,14).
- (22)Pour une description détaillée de ces indicateurs, cf. Pasquier-Doumer et Rosas Shady (2005).
- (23)Cette statistique permet de tester l’adéquation du modèle aux données empiriques en prenant en compte le nombre de degrés de liberté du modèle ddl. Elle se définit ainsi :
et suit asymptotiquement une loi de ?2 au nombre de degrés de liberté égal à ddl. Si P <0,05, alors l’hypothèse selon laquelle les données estimées par le modèle ne sont pas significativement différentes des données empiriques est rejetée au seuil de 5%. - (24)Il indique le pourcentage de personnes mal classées par le modèle, i.e la proportion de l’effectif total qui devrait être changée de cellule, dans la table de contingence estimée, pour que celle-ci soit égale à la table observée :
La faiblesse de cet indicateur est cependant qu’il n’intègre pas le critère de parcimonie du modèle. - (25)D’après la statistique rG2 qui est le pourcentage de la distance entre le modèle (1) et les données observées que le modèle (3) est capable d’expliquer, c’est-à-dire une mesure de la supériorité d’adéquation du modèle (3) aux données observées par rapport au modèle (1). Il s’écrit comme suit :
où G2(1) et G2(3) sont les statistiques du rapport de vraisemblance du modèle (1) et du modèle (3). - (26)Ce choix d’instrument s’inspire de Lam et Schoeni (1993) qui utilisent des variables d’origine sociale du conjoint comme instrument pour estimer les effets de l’origine sociale sur les rémunérations des hommes au Brésil.
- (27)Deux autres stratégies alternatives auraient pu être envisagées afin de lever un éventuel problème de sélection lié à la construction des modèles qui existeraient si des inobservables ayant un effet sur le choix entre le groupe 1 et les groupes 2 ou 3 déterminent aussi le choix entre le groupe 2 et le groupe 3. Ces stratégies ont cependant dues être écartées pour des contraintes techniques. Il s’agit i) d’estimer un modèle probit bivarié ordonné et ii) d’estimer un modèle à trois équations simultanées comprenant : une équation de choix entre les groupes 1 et (2,3), une équation de choix entre les groupes 2 et 3, et l’équation (5).
- (28)Les résultats des estimations des modèles instrumentés par le groupe d’occupation en 1982 se trouvent dans Pasquier-Doumer et Rosas Shady (2005).
1La société péruvienne, comme beaucoup d’autres sociétés d’Amérique latine, est caractérisée par une répartition très inégalitaire des revenus. Cela en fait-elle pour autant une société injuste au regard du critère d’égalité des chances ? Autrement dit, chacun de ses membres dispose-t-il des mêmes chances d’obtenir une certaine position dans l’échelle sociale et ce quelle que soit son origine sociale ? Il a été montré qu’au Pérou, l’influence de l’origine sociale est déterminante dans l’acquisition d’éducation, les enfants des familles les plus défavorisées ayant un parcours scolaire plus lent que les autres enfants. Ensuite, l’origine sociale conditionne le choix d’une carrière professionnelle et l’accès au premier emploi.
2 S’il y a consensus sur l’existence d’un effet de l’origine sociale sur le parcours scolaire et l’accès au premier emploi, très peu d’études se sont intéressées au rôle de l’origine sociale après l’insertion sur le marché du travail. L’idée est en effet étant assez répandue qu’une fois le premier emploi déterminé, l’influence de la famille diminue avecle temps, s’estompant au profit des qualités propres de la personne, de son expérience et du hasard. Pourtant, d’autres hypothèses font penser que cette influence perdure. Tout d’abord, la théorie sociologique du groupe de référence de Merton nous dit que l’origine sociale peut conditionner la motivation à atteindre une position sociale élevée. La persistance du rôle de l’origine sociale sur l’évolution de la carrière professionnelle peut s’expliquer ensuite par la transmission intergénérationnelle du réseau social. Bien qu’il y ait eu peu de tests empiriques sur l’importance du réseau social dans l’accès aux emplois dans les pays en développement, on admet généralement que dans ces pays, l’information est principalement divulguée par des canaux informels. L’accès de chacun aux informations sur les opportunités d’emplois et aux employeurs dépend alors de son réseau social, ce dernier étant fortement corrélé à l’origine sociale puisqu’en partie transmis par les parents. Enfin, l’origine sociale peut continuer à influencer l’évolution de la carrière professionnelle à travers un troisième canal, celui du capital humain. En effet, certains auteurs ont montré que les avantages des diplômés ne se manifestent pas seulement au moment de leur entrée sur le marché du travail mais également plus tard dans leur vie active, en facilitant leurs promotions et par conséquent une mobilité professionnelle ascendante.
3 Ces différents arguments suggèrent donc que l’origine sociale n’a pas un effet forcément décroissant au cours du cycle de vie et qu’elle peut continuer à agir sur le déroulement de la carrière professionnelle, même après qu’elle ait exercé une influence sur le premier emploi. Elle peut agir durablement sur la carrière professionnelle directement en conditionnant la motivation à acquérir un statut social et en déterminant le réseau social et indirectement via le capital humain. C’est sous cet anglebien précis quecet article se proposed’étudier l’égalité des chances au Pérou, à savoir si l’effet de l’origine sociale persiste au cours de la carrière professionnelle. Cette problématique est apparue relativement tôt dans la littérature sociologique. Cependant très peu de vérifications empiriques ont été menées et aucune pour un pays en développement.
4 Pour aborder le rôle de l’origine sociale sur la mobilité professionnelle au Pérou, nous disposons de données assez exceptionnelles pour un pays en développement, c’est-à-dire des données de panel pour la période 1985 à 1990 qui contiennent des informations sur l’origine sociale de l’enquêté et des historiques d’emploi. Après avoir constitué des groupes de professions hiérarchisés en agrégeant les catégories socioprofessionnelles disponibles dans les enquêtes à l’aide de la méthode de classification hiérarchique ascendante, une première partie de cet article décrit la mobilité professionnelle à Lima pendant cette période. Elle montre qu’en cinq ans la mobilité professionnelle a été de grande ampleur et que les transitions entre les groupes de professions sont très complexes. L’article analyse ensuite l’influence de l’origine sociale sur la mobilité professionnelle. La première étape de cette analyse est descriptive et met en avant des trajectoires professionnelles différenciées selon l’origine sociale, mesurée par la profession du père. Elle fait notamment apparaître un phénomène de contre-mobilité pour les personnes d’origine sociale élevée, c’est-à-dire que ces dernières ont plus de chances de connaître une mobilité professionnelle ascendante que les autres.
5 L’hypothèse de persistance de l’effet de l’origine sociale au cours de la carrière est ensuite testée à travers la comparaison de modèles log-linéaires, afin de prendre en compte l’évolution de la structure professionnelle entre 1985 et 1990. Cette comparaison montre qu’il existe une association statistique entre la profession en 1990 et l’origine sociale, conditionnellement à la profession en 1985 et une fois que l’on a pris en compte la mobilité structurelle entre 1985 et 1990.
6 Afin d’élargir la définition de l’origine sociale à d’autres facteurs que la profession du père, et de prendre en compte les relations de causalité entre l’origine sociale, la profession en 1985 et celle en 1990, nous estimons un modèle économétrique en supposant que la position professionnelle en 1985 contient tous les effets qu’a déjà eu l’origine sociale sur le parcours d’une personne : l’effet de l’environnement familial au moment de la formation, du premier emploi, font, avec d’autres facteurs, que la personne occupe telle place en 1985 plutôt qu’une autre. Tester économétriquement la persistance de l’effet de l’origine sociale au cours de la carrière professionnelle consiste alors à vérifier si l’origine sociale explique de manière significative la position professionnelle atteinte en 1990 une fois que l’on contrôle par la position en 1985. Le modèle économétrique retenu est celui d’un probit bivarié instrumenté par une variable qui explique la position professionnelle en 1985 tout en étant indépendante de la position en 1990. Deux variables répondent à ce critère pour instrumenter le modèle, la position professionnelle de l’individu en 1982 et la position professionnelle du conjoint en 1982 mais au prix d’hypothèses assez fortes. Sous réserve que ces hypothèses soient vérifiées, l’estimation du modèle montre que l’effet de l’origine sociale persiste au cours de la trajectoire professionnelle.
7 Cet article présente donc un ensemble de constats allant dans le sens de la persistance de l’effet de l’origine sociale au cours de la carrière professionnelle. Cependant, des difficultés méthodologiques demeurent, à savoir le traitement de l’endogénéité des variables explicatives et des effets fixes individuels dans un cadre non-linéaire. Il est donc nécessaire de poursuivre cette recherche en disposant d’une base de données panel incluant plus de points dans le temps. Cela permettrait d’avoir recours aux techniques de l’économétrie de panel pour traiter les problèmes d’endogénéité et d’effets fixes.
8 Une société ne connaît la cohésion sociale que si elle est considérée par le plus grand nombre de ses membres co mme étan t une société ju ste. Généralement, plus une société a une répartition égalitaire des revenus, plus elle est considérée comme juste. Or, comme le rappelle Stiglitz (2000), le critère d’égalité de revenus n’est pas le seul critère permettant de définir si une société est juste ou non. Pour deux sociétés ayant le même degré d’égalité de revenus, la première pourra être regardée comme étant plus juste que la seconde si l’égalité des chances y est relativement mieux assurée, c’est-à-dire si chacun de ses membres dispose des mêmes chances d’obtenir une certaine position dans l’échellesociale, alors que dans la seconde société, la position atteinte est héritée. La société péruvienne, comme beaucoup d’autres sociétés d’Amérique latine, est caractérisée par une répartition très inégalitaire des revenus. Cela en fait-elle pour autant une société injuste au regard du critère d’égalité des chances ? Si c’est le cas, c’est-à-dire si l’égalité des chances y est faible, alors l’origine sociale d’un individu va influencer son statut social à différents stades de son cycle de vie.
9Comme l’ont montré de nombreux auteurs, l’influencede l’origine sociale est déterminante dans un premier temps dans l’acquisition d’éducation [1], notamment via l’imperfection des marchés de capitaux, la transmission intergénérationnelle des aptitudes, ou encore en modulant la motivation à étudier. Jacoby (1994) a testé empiriquement pour le Pérou l’argument développé par Becker et Tomes (1986) selon lequel l’imperfection des marchés des capitaux conduit à un sous-investissement des familles contraintes financièrement dans l’éducation de leurs enfants. Il montre qu’au Pérou, les enfants de familles contraintes financièrement ont un parcours scolaire plus lent que ceux de familles non contraintes.
10L’origine sociale est déterminante ensuite dans l’accès au premier emploi, pour un niveau d’études donné (Müller et Shavit, 1998 ; Coury, 2000), principalement de par le tissu de relations sociales et les informations sur le fonctionnement et les opportunités du marché du travail qu’elle procure (Goux et Maurin, 1998). Rodriguez (1995) montre ainsi, à l’aide d’entretiens qualitatifs, que le rôle de la famille et des amis est déterminant à Lima pour obtenir un emploi qualifié après une formation supérieure, les jeunes diplômés sans soutien familial ou relationnel ayant un risque très élevé de ne pas exercer la profession pour laquelle ils ont été formés. L’origine sociale enfin joue un rôle dans le choix d’une carrière professionnelle (Hout et Rosen, 1999).
11 Ainsi, être né dans une famille au statut social élevé confère de nombreux avantages dans l’accès à l’éducation ou dans l’accès au premier emploi. Même s’il existe un consensus selon lequel l’action de la position sociale n’est pas unique au cours du parcours scolaire mais répétitive (Gravot, 1995), une idée répandue – et qui explique le faible nombre d’études sur le rôle de l’origine sociale après l’insertion sur le marché du travail– est qu’une fois quele premier emploi est déterminé, l’influence de la famille diminue avec le temps, s’estompant au profit des qualités propres de la personne, de son expérience et du hasard. Pourtant, d’autres hypothèses font penserquecette influence perdure.
12La persistance du rôle de l’origine sociale sur l’évolution de la carrière professionnelle peut s’expliquer tout d’abord par le fait que l’origine sociale conditionne la motivation à connaître une mobilité ascendante, comme le souligne Piketty (1998). Selon cet auteur, un individu a un statut élevé si les autres considèrent qu’il est doué. Cependant, ils n’ont aucun moyen d’estimer les talents de l’individu autre que de constater s’il réussit professionnellement ou non. L’individu est donc incité à fournir des efforts afin d’avoir une bonne profession-ou un bon revenu- pour prouver aux autres qu’il a du talent. Dans son modèle, Piketty s’inspire de la théorie sociologique du groupe de référence (Merton, 1953; Boudon, 1973) et montre que dans les sociétés où les qualités d’une personne sont estimées par les autres selon qu’elle a ou non réussi professionnellement, l’origine sociale a un rôle persistant sur la carrière des individus en modelant la motivation à acquérir un statut déterminé. En effet, les classes sociales élevées ont une très grande motivation à atteindre une position élevée car elles font face à de fortes pressions sociales afin de ne pas déroger à leur rang. Les classes sociales les plus défavorisées pensent en revanche que leurs chances d’ascension sont faibles, du fait d’échecs passés, et considèrent que l’effort à fournir pour monter dans l’échelle sociale est trop coûteux par rapport au gain escompté. Cet argument rejoint celui d’Akerlof (1997) selon lequel prendre une décision qui éloigne de son entourage coûte cher en termes d’utilité car elle peut nuire aux relations avec ses proches. Ainsi, une forte mobilité ascendante a un impact important sur le réseau social de chacun et cet impact est le premier déterminant de la décision de fournir ou non un effort pour s’élever dans l’échelle sociale. Les classes plus défavorisées sont donc selon cette hypothèse moins motivées dans la recherche d’une mobilité sociale fortement ascendante.
13 Les propos tenus par Enrique, ouvrier qualifié en mécanique, âgé de 30 ans, vivant dans un quartier relativement défavorisé de Lima, viennent corroborer ces hypothèses [2] :
14 Entretien n°58 : Enrique, 29 ans, mécanicien spécialisé indépendant, Comas
« Pour le moment, je ne veux pas me sentir [d’un niveau] supérieur à [celui de] mon père. Je ne sais pas si je réussirai ou non mais je ne veux pas me sentir [d’un niveau] supérieur parce que j’ai peur qu’il se sente mal à l’aise, que je le fasse se sentir mal à l’aise. »
16La persistance du rôle de l’origine sociale sur l’évolution de la carrière professionnelle peut s’expliqu er ensuite par la transmis sion intergénérationnelle du réseau social (Granovetter, 1974). Plusieurs études ont souligné le rôle du réseau social lors de l’accès à l’emploi dans les pays en développement (Kouamé et Guyé, 2000 ; Cohen et House, 1996; Bocquier, 1996). Bien qu’il y ait eu peu de tests empiriques sur l’importance du réseau social dans l’accès aux emplois dans les pays en développement, on admet généralement que dans ces pays, l’information est divulguée par des canaux informels, dans la mesure où les journaux occupent une place mineure dans les modes de recrutement et que les services de placements officiels sont quasi-inexistants (Banque Interaméricaine de Développement, 2004 pour l’Amérique Latine). L’accès de chacun aux informations sur les opportunités d’emplois et aux employeurs dépend donc de son réseau social (Coury, 2000). Or la possession de tels réseaux est fortement corrélée à l’origine sociale dans la mesure où les parents peuvent soit transmettre à leurs enfants une partie de leur réseau social, soit les aider à créer le leur. Par exemple, au Pérou, venir d’une famille au niveau de vie élevé permet d’entrer dans des écoles privées sélectives où se côtoient des jeunes du même milieu social. Les écoles et surtout les universités sont un centre important de socialisation et c’est souvent là que se constitue une grande partie du réseau social. Une origine sociale élevée confère donc un avantage supplémentaire dans l’évolution de la carrière, celui d’être doté d’un réseau social important.
17Enfin, un troisième canal, certes plus indirect, par lequel l’origine sociale peut continuer à influencer l’évolution de la carrière professionnelle est celui du capital humain. Certains auteurs ont montré que les avantages des diplômés ne se manifestent pas seulement au moment de leur entrée sur le marché du travail mais également plus tard dans leur vie active, en facilitant leurs promotions et par conséquent une mobilité professionnelle ascendante (Galor et Sicherman, 1990 ; Sicherman, 1990). Bocquier (1996) confirme ces résultats pour le Sénégal en montrant qu’à Dakar, le capital humain continue d’influer sur la carrière professionnelle tout au long de la vie active. Or, comme il a été mentionné précédemment, l’origine sociale a un rôle non négligeable dans la détermination du niveau de capital humain.
18Ces différents arguments suggèrent donc que l’origine sociale n’a pas un effet forcément décroissant au cours du cycle de vie et qu’elle peut continuer à agir sur le déroulement de la carrière professionnelle, même après qu’elle ait exercé une influence sur le premier emploi. Elle peut agir durablement sur la carrière professionnelle directement en conditionnant la motivation à acquérir un statut social et en déterminant le réseau social et indirectement via le capital humain. C’est sous cet angle bien précis que cet article se propose d’étudier l’égalité des chances au Pérou, à savoir si l’effet de l’origine sociale persiste au cours de la carrière professionnelle. Toutefois, si c’est le cas, nous ne chercherons pas à déterminer par quels canaux cet effet perdure.
19Cette problématique est apparue relativement tôt dans la littérature sociologique puisqu’en 1967, Blau et Duncan affirmaient :
« Le statut professionnel du père n’influence pas seulement la carrière du fils via son rôle dans l’éducation et le premier emploi de ce dernier. Il a également un effet retardé qui persiste une fois que sont contrôlées statistiquement les différences de niveaux d’éducation et d’expérience lors des premières années de carrière » (p.403).
21Cependant très peu de vérifications empiriques ont été menées et aucune p our un pays en développement. Goux et Maurin (1997) testent empiriquement cette hypothèse pour la France à l’aide de modèles log-linéaires. Ils concluent que l’origine sociale, mesurée par l’activité du père, est déterminante non seulement en début de carrière mais aussi tout au long de la carrière : parmi les personnes de même qualification et avec le même début de carrière, les personnes d’origine sociale favorisée ont souvent une carrière plus réussie que les personnes d’origine sociale modeste. De plus, selon ces auteurs, le niveau d’éducation bien qu’influant su r l’ensemble du parcours professionnel, est surtout déterminant en début de carrière car son importance relative décroît au cours de la carrière au profit de l’effet de l’origine sociale. Ces conclusions demandent à être vérifiées dans le cas des pays en développement et avec différentes méthodologies, les résultats pouvant être sensibles aux choix méthodologiques retenus.
22Cet article tente ainsi de répondre à la question suivante : quel est le rôle de l’origine sociale sur la mobilité professionnelle dans un pays en développement tel que le Pérou ? Nous disposons pour cela de données assez exceptionnelles pour un pays en développement, c’est-à-dire de données de panel pour la période 1985 à 1990 qui contiennent des informations sur l’origine sociale de l’enquêté et des historiques d’emploi.
23Dans une première partie, nous présentons les données, le contexte économique de la période ainsi que la méthode par laquelle nous avons construit les groupes professionnels. Dans une deuxième partie, nous décrivons la mobilité professionnelle à Lima. Nous montrons que la mobilité professionnelle a été de grande ampleur sur la période et les transitions entre les groupes d’occupation très complexes. Enfin, dans une troisième partie, nous analysons l’influence de l’origine sociale sur la mobilité professionnelle. Cette analyse confirme que l’origine sociale a un effet sur ce type de mobilité et suggère à travers un certain nombre de constatations qu’il existe une persistance de cet effet au cours du temps.
Présentation des données, du contexte économique et construction des groupes professionnels
Les données
24Si le sujet de la mobilité professionnelle intragénérationnelle a été peu traité, c’est qu’il est très exigeant en termes de données requises. La mobilité professionnelle ne peut être étudiée qu’à partir de données dynamiques, soit de type panel soit à partir d’historiques de l’emploi. De plus, pour tester l’effet de l’origine sociale sur la mobilité professionnelle, il faut disposer d’informations sur les parents de l’enquêté, informations qui sont rares, en particulier dans les pays en développement.
25Ces deux conditions sont remplies au Pérou puisque nous disposons d’un panel pour la période 1985-1990 construit à partir d’un échantillon de Liméniens enquêtés en 1985/1986 et en 1990 et pour lesquels sont connues l’activité et l’éducation des parents. Les personnes ont de plus été enquêtées sur leur activité professionnelle précédant celle qu’elles exerçaient en 1985 et en 1990.
26Le panel a été construit à partir de deux enquêtes sur les niveaux de vie, la « Encuesta nacional de hogares sobre medición de niveles de vida » (ENNIV) 1985/86 et la ENNIV 1990 [3]. Alors que l’échantillon de l’enquête ENNIV 1985/1986 est représentatif au niveau national, celui de l’enquête ENNIV 1990 ne concerne que Lima Métropolitaine. Cette dernière enquête comporte un module de type panel qui permet de retrouver 727 ménages enquêtés en 1985/1986, soit 3 335 individus. Après apurement des données, différents tests – par sexe, âge et date de naissance- ont été effectués pour s’assurer de la qualité du panel. Ces tests ont conduit à retenir dans le panel 709 ménages. Seuls les individus de plus de 25 ans [4] et de moins de 65 ans [5] sont conservés dans cette analyse, soit 1207 individus, vivant à Lima [6].
27Grâce à l’historique de l’emploi de l’enquête de 1985, il a été possible de connaître l’activité professionnelle qu’exerçaient les individus de notre échantillon en 1982. L’année 1982 a été retenue car elle vérifie les deux critères suivants. D’une part, elle est suffisamment éloignée de 1985 pour qu’il y ait une certaine variabilité entre l’occupation de 1982 et celle de 1985. D’autre part, elle n’est pas trop éloignée dans la mesure où la part des individus qui ont changé plus d’une fois d’activité entre 1982 et 1985 – et donc pour lesquels on perd l’information sur leur occupation en 1982- est relativement faible (7% de l’échantillon). Enfin, le fait qu’elle n’est pas trop éloignée de 1985 réduit la probabilité d’erreur de mémoire.
Le contexte économique entre 1985 et 1990
28La période d’analyse se situe pendant le gouvernement d’Alan García (juillet 1985-avril 1990). Elle peut être divisée en deux sous-périodes. La première, 1985-1987, est caractérisée par une politique de fortes dépenses publiques menant notamment à une multiplication des emplois publics et à une hausse des salaires. Ces dépenses publiques, accompagnées d’un gel des prix et d’une diminution du paiement de la dette extérieure visaient à réactiver l’économie en stimulant la demande. Cette politique a d’abord porté ses fruits puisqu’elle s’accompagne jusqu’en 1987 d’une croissance soutenue [7] mais également d’un important déficit public.
29La seconde sous-période, 1988-1990, est celle d’une grave crise économique au cours de laquelle le Pérou connaît un taux de croissance négatif, autour de -10% en 1988. La crise économique s’accompagne d’un processus d’hyperinflation [8] comme n’en a jamais connue le pays (Herrera, 1999) et d’une chute des salaires réels de 75% en moyenne.
30En décomposant la population en déciles selon le niveau de consommation, Glewwe et Hall (1994) montrent qu’à Lima, sur la période 1985-1990, chaque décile co nnaît un e bais se de sa consommation réelle totale de plus de 50% et que les deux déciles les plus pauvres sont les plus touchés. De plus, l’évolution de l’indice de Gini pendant cette période montre une hausse importante des inégalités (Herrera, 1999).
La construction des groupes professionnels : l’analyse par cluster
31L’approche qui a été retenue ici est l’analyse de la mobilité entre groupes professionnels. Cette approche a été préférée à celle de la mobilité le long d’une variable continue, comme le revenu ou la consommation du ménage pour plusieurs raisons. La première raison est que l’occupation est un meilleur indicateur du statut social. En effet, comme le rappelle Weber, le statut social est multidimensionnel [9]. L’occupation est une approximation plus riche du statut social qu’une variable continue comme le revenu car elle inclut, outre la notion de niveau de vie, celle de prestige voire de pouvoir et qui plus est, donne une indication sur le niveau d’éducation atteint. La seconde raison est que l’occupation est un meilleur indicateur du revenu permanent que le revenu ou la consommation à un point donné du temps (Zimmermann, 1992), d’autant plus que ces deux dernières variables sont très mal mesurées dans les deux enquêtes utilisées [10].
32Cependant cette approche souffre d’une limite, celle de présenter un effet de frontière. Un individu qui se trouve proche de la frontière droite [11] d’un des groupes d’occupations et qui connaît une très faible mobilité ascendante sera considéré comme mobile alors qu’un individu proche de la frontière gauche [12] qui vit une très forte mobilité ascendante pourra être considéré comme immobile. Or, la position au sein du groupe d’occupations en 1985 dépend de l’origine sociale. Cette approche repose ensuite sur une hypothèse assez forte, celle de la permanence des groupes professionnels entre 1985 et 1990, c’est-à-dire qu’appartenir à un certain groupe procure le même statut social en 1985 qu’en 1990, relativement aux autres groupes. Cette hypothèse est discutée dans Pasquier-Doumer et Rosas Shady (2005) où l’on conclut que l’écart entre les groupes s’est probablement réduit entre 1985 et 1990 mais que la hiérarchie entre les professions semble être restée la même.
33Maintenant que nous avons explicité notre choix d’étudier la mobilité entre groupes professionnels plutôt que le long d’une variable continue, il nous faut préciser la façon dont nous avons construit ces groupes. Les choix méthodologiques pour la construction des groupes sont importants puisque l’incidence ainsi que le type de mobilité (ascendante ou descendante) en dépendent fortement. La classification retenue doit répondre à deux critères. Premièrement, elle doit être suffisamment fine pour pouvoir observer le plus de transitions individuelles possibles entre les groupes professionnels. Deu xièmement, elle do it permettre une interprétation de la mobilité en termes hiérarchiques, c’est-à-dire en termes de mobilité ascendante ou descendante.
34L’occupation des enquêtés est classifiée, dans les deux enquêtes utilisées, suivant la classification internationale des professions élaborée par l’Organisation internationale du travail (OIT). Afin d’obtenir une classification plus agrégée et hiérarchisée, nous avons utilisé l’approche de la classification ascendante hiérarchique («cluster analysis »). Cette approche (présentée dans l’annexe 1) permet d’associer des professions dans un groupe de sorte que les professions soient les plus similaires au sein de ce groupe et les plus différentes de celles des autres groupes. Les critères de hiérarchisation retenus sont le niveau de vie que procure chaque occupation et le niveau de qualification qu’elle requiert [13]. Le niveau de vie est approché par trois variables : le niveau moyen et le niveau médian de la consommation mensuelle du ménage par tête et le pourcentage de ménages épargnant au sein de chaque occupation. Le niveau de qualification associé à chaque occupation est le nombre moyen d’années d’éducation des personnes exerçant cette occupation. Nous avons ainsi constitué trois groupes (présentés en détail dans l’annexe 1), à partir de l’enquête de 1985 :
- le groupe 1 regroupant les occupations procurant le niveau de vie le plus élevé et au niveau de qualification le plus élevé,
- le groupe 2, groupe intermédiaire selon ces deux critères et
- le groupe 3, regroupant les occupations les plus précaires (les niveaux de vie et de qualification moyen au sein du groupe 3 sont deux fois plus faibles que ceux du groupe 1).
35Le groupe 1 est plus éloigné du groupe 2 que le groupe 2 ne l’est du groupe 3.
La mobilité professionnelle à Lima
36Avant d’étudier l’influence de l’origine sociale sur la mobilité professionnelle entre 1985 et 1990, il est indispensable d’étudier au préalable quelle a été la mobilité professionnelle pendant la période. Autrement dit, nous voulons observer l’ampleur et le sens des transitions individuelles entre les groupes d’occupation préalablement définis.
L’ampleur de la mobilité
37Le tableau 1 permet d’observer qu’en cinq ans, 29% des Liméniens ont changé de situation professionnelle transitant d’un groupe d’occupation vers un autre [14]. La proportion de mobiles ascendants a été significativement plus importante que celle des mobiles descendants (19% contre 10%). Dans les deux cas, les transitions vers le groupe le plus proche ont été les plus importantes. Enfin, les hommes se distinguent des femmes uniquement par un taux d’immobilité légèrement plus élevé.
Les matrices de transition [15]
38Les matrices de transitions (cf. tableau 2) sont un outil pertinent pour décrire le sens des différentes transitions entre les groupes d’occupation. Elles montrent que les individus les moins mobiles exercent des professions intermédiaires (groupe 2) alors que les plus mobiles sont ceux du groupe le plus défavorisé (groupe 3). De plus, les individus des groupes 2 et 3 ont peu de chances de transiter vers le groupe le plus favorisé (groupe 1) et inversement, les personnes des groupes 1 et 2 ont une faible probabilité de transiter vers le groupe le plus défavorisé.
description de la mobilité professionnelle à Lima entre 1985 et 1990 (en %)
description de la mobilité professionnelle à Lima entre 1985 et 1990 (en %)
39Une analyse complémentaire par les « rapports de chances relatives » (odds ratio) permet de corriger les effets du changement de structure professionnelle entre les deux dates [16]. Elle montre que la mobilité entre le groupe 2 et le groupe 3 (odd ratio = 10,24) est plus importante que celle entre le groupe 1 et le groupe 2 (odd ratio = 20,63).
Les effets de l’origine sociale sur la mobilité professionnelle
40On s’intéresse maintenant au rôle de l’origine sociale dans l’évolution de la carrière professionnelle.
Le lien entre l’origine sociale et la mobilité professionnelle par l’analyse descriptive
41La réponse apportée quant à l’influence de l’origine sociale sur la mobilité professionnelle peut être d ifférente si l’on envisage la mobilité professionnelle, de manière quantitative ou de manière qualitative. L’approche quantitative pense la mobilité en termes de mouvements. Une personne sera d’autant plus mobile qu’elle aura souvent changé d’occupation au cours d’une période donnée. En revanche, l’approche qualitative conçoit la mobilité professionnelle en termes de trajectoires. Une personne sera d’autant plus mobile que son point de départ est éloigné de son point d’arrivée. Dans l’analyse descriptive, nous suivons ces deux approches complémentaires.
L’origine sociale influence-t-elle la mobilité professionnelle en termes de mouvements ?
42Une mesure simple de la mobilité professionnelle en termes de mouvement s est le nombre de changements d’occupation au cours d’une période déterminée. Grâce aux historiques d’emplois des enquêtes de1985 et 1990, il a été possible de calculer, pour chaque individu du panel, le nombre de changements d’occupation [17] qu’il a vécus entre 1982 et 1990, c’est-à-dire durant huit ans de carrière. Si l’origine sociale conditionne la mobilité professionnelle en termes de mouvements, alors la d istribu tion du no mbre de changements d’occupation est différente selon l’origine sociale.
43L’origine sociale est ici mesurée uniquement par l’occupation du père. L’occupation des parents est codée dans l’enquête de 1985 en 9 catégories, assez peu pertinentes. À partir de ces catégories, trois groupes ont pu être constitués, celui des professions qualifiées (cadres, administrateurs, professions intellectuelles et libérales, employés administratifs), celui des agriculteurs et enfin un groupe qui est constitué du reste, c’est-à-dire des professions non qualifiées hors agriculture [18]. En analysant le niveau d’éducation moyen au sein de chacun des groupes, il apparaît que celui du groupe des professions qualifiées est de loin le plus élevé, suivi ensuite par celui du groupe des professions non qualifiées non agricoles, puis, loin derrière, par celui des professions agricoles.
les transitions entre les catégories d’occupation à Lima, 1985-1990
les transitions entre les catégories d’occupation à Lima, 1985-1990
nombre de changements d’occupation entre 1982 et 1990 selon l’origine sociale (%), Lima
nombre de changements d’occupation entre 1982 et 1990 selon l’origine sociale (%), Lima
44Le tableau 3 montre que la distribution du nombre de changements d’occupation varie selon l’origine sociale, pour les hommes et pour les femmes pris séparément [19]. Les hommes d’origine la plus défavorisée sont significativement moins mobiles que ceux d’origine la plus favorisée. À l’inverse, les femmes dont le père exerçait une profession qualifiée (profession libérale, cadre, fonctionnaire ou employé adminis tratif) connaissent significativement moins de ch ang ements professionnels que les autres femmes. Autrement dit, pour les femmes, une origine sociale élevée semble conférer une stabilité dans la carrière. Ces deux constatations laissent penser que l’origine sociale a un impact sur la mobilité professionnelle lorsque celle-ci est vue en termes de mouvement. En est-il de même si la mobilité est vue en termes de trajectoire ?
L’origine sociale influence-t-elle la mobilité professionnelle en termes de trajectoires ?
45Un fils d’agriculteur qui était technicien en 1982, a-t-il la même probabilité d’être cadre en 1990 qu’un fils de cadre, lui-même technicien en 1982 ? L’examen des matrices de transitions montre que non. Les probabilités d’atteindre une certaine position en 1990 étant donnée sa position en 1982 diffèrent selon l’origine sociale (cf. tableau 4). Tout d’abord, les chances de mobilité ascendante ne sont pas les mêmes pour tous : la probabilité de connaître une mobilité ascendante vers une profession qualifiée (groupe 1) est significativement plus élevée pour les personnes dont le père exerçait lui-même une profession qualifiée que pour les autres [20]. Il existe donc au Pérou un phénomène de « contre-mobilité » tel que le définissent les sociologues : les personnes d’origine sociale favorisée, même si elles exercent en début de carrière une occupation qui leur procure un statut moins élevé que celui de leurs parents vont connaître une plus forte mobilité ascendante, soit de par leur plus forte motivation, soit grâce à leur capital social hérité, et recouvrer ainsi leur statut d’origine.
46Ensuite, la probabilité de connaître une mobilité descendante vers les professions non-qualifiées est significativement plus faible pour ceux d’origine sociale élevée que pour les autres [21].
47En revanche, il n’y a pas de différence significative entre personnes d’origine sociale distinctes quant à la probabilité d’être immobile. Ceci pourrait s’expliquer, tout comme dans le tableau 3 précédent, par des comportements différents et compensatoires entre hommes et femmes.
Le lien entre l’origine sociale et la mobilité professionnelle par l’analyse économétrique
Test de l’hypothèse de persistance de l’effet de l’origine sociale au cours de la carrière par les modèles log-linéaires
48L’analyse précédente à partir des matrices de transitions ne prend pas en compte l’évolution de la structure professionnelle entre 1985 et 1990. Autrement dit, si l’on a constaté que l’origine a un effet significatif sur la mobilité professionnelle observée, cette mobilité professionnelle est entachée de la mob ilité structu relle. Les mo dèles log-linéaires, dont la méthodologie est présentée en annexe 2, permettent de tester, d’une part, si l’origine sociale a un effet sur l’occupation en 1990 et ceci, quelle que soit l’évolution de la structure professionnelle entre 1985 et 1990, c’est-à-dire en neutralisant l’évolution des distributions marginales des occupations. Ils permettent, d’autre part, de tester l’effet de l’origine sociale sur l’occupation en 1990 en contrôlant par l’occupation en 1985. Autrement dit, ils testent l’hypothèse selon laquelle il existe une association statistique entre l’occupation en 1990 et l’origine sociale, conditionnellement à l’occupation en 1985 et ceci en contrôlant par la mobilité structurelle entre 1985 et 1990.
matrices de transition entre 1982 et 1990 en fonction de l’origine sociale
matrices de transition entre 1982 et 1990 en fonction de l’origine sociale
Les modèles
49Trois modèles log-linéaires sont testés, chacun
postulant une hypothèse différente. Le premier
modèle suppose que l’occupation est indépendante
de l’origine sociale. Ce modèle implique une
interaction entre l’occupation en 1985 et celle en
1990 mais aucun lien entre l’origine et l’occupation
en 1985 ou celle en 1990. Ce modèle teste donc si
l’occupation en 1990 est corrélée à celle de 1985,
quelle que soit l’évolution de la structure
professionnelle entre les deux dates :
où O désigne l’origine sociale, approchée par l’occupation principale exercée par le père au cours de sa vie (3 modalités), D85 l’occupation principale exercée par l’enquêté en 1985 (3 modalités), D90 l’occupation principale exercée en 1990 (3 modalités), Fi,j,k la fréquence de la cellule (i, j, k) de la table à trois entrées (O,D85 ,D90 ); ?iO, ?jD85, ?kD90, sont les effets principaux sur la distribution des individus de O,D85 ,D90 respectivement et enfin, ?j,kD85 D90 est l’interaction partielle entre D85 et D90, étant donnée O. Ce modèle est peu réaliste mais joue le rôle de modèle de référence.
50Le second modèle suppose que seule l’occupation en
1985 dépend de l’origine sociale. En plus de prendre
en compte l’interaction entre D85 et D90, il introduit
une interaction partielle entre l’origine O et D85,
étant donnée l’occupation en 1990, ?i,jOD85. Le modèle
(2) postule donc que les matrices de transition sont
différentes pour chaque groupe d’origine sociale
uniquement de par l’effet de l’origine sociale sur
l’occupation en 1985 :
Le troisième modèle teste l’hypothèse selon laquelle à la fois les occupations en 1985 et celles en 1990 dépendent de l’origine sociale. Dans ce modèle, on prend d onc en compte une interaction supplémentaire, celle entre l’origine O et D90, étant donnée l’occupation en 1985, ?i,kOD90. Ce modèle suppose donc que l’origine sociale a un rôle au cours de la carrière dans la mesure où il n’est pas possible de reproduire les matrices de transitions en considérant qu’il y a indépendance de l’occupation en 1990 à l’origine sociale, conditionnellement à l’occupation en 1985. Ceci signifie que si l’on impose par exemple aux entreprises de remplacer en 1985 tous les travailleurs d’une certaine origine sociale par ceux d’une autre origine sociale, on n’obtiendra pas la même matrice de transitions entre 1985 et 1990 que celle que l’on aurait obtenue sans cette permutation. Le modèle 3 est défini de la façon suivante :
La comparaison de ces trois modèles permet de valider ou d’invalider l’hypothèse de l’existence d’une interaction partielle entre l’occupation en 1990 et l’origine sociale, étant donnée l’occupation en 1985. Cette hypothèse est retenue si le troisième modèle est celui qui reconstitue le mieux les matrices de transition, avec la plus grande parcimonie, c’est-à-dire celui qui s’ajuste le mieux aux données observées tout en contenant le moins de paramètres. Plusieurs indicateurs nous permettent d’évaluer ces trois modèles (tableau 5) [22].
Les résultats
51Les modèles (1) et (2) ne reproduisent pas correctement les données puisque le test construit à partir de la statistique de vraisemblance [23] G2 conclut pour les deux modèles que les données estimées sont significativement différentes des données empiriques. Les hypothèses selon lesquelles l’activ ité professio nnelle est indépendante de l’origine sociale ou que seule l’activité en 1985 est corrélée à l’origine sociale doivent être rejetées. Le modèle (3) en revanche s’ajuste correctement aux données. D’après l’indice de dissimilarité ? % [24], moins de 4 % de l’effectif de la matrice estimée par ce modèle doit être déplacé pour obtenir la matrice observée. De plus, lorsque l’on introduit un effet de l’origine sociale sur l’occupation en 1990, étant donnée l’occupation en 1985-modèle (3)-, plus de 90% des observations qui sont mal reproduites sous le modèle d’indépendance – modèle (1) – sont maintenant correctement reproduites [25]. Cette proportion n’est que de 74% si on prend en compte uniquement un effet de l’origine sociale sur l’occupation en 1985 – modèle (2) –.
52Ainsi, le modèle (3) doit être préféré au modèle (2), ce qui signifie que l’influence de l’origine sociale n’est pas entièrement captée par son effet sur l’occupation en 1985. Un test au sein du modèle (3) confirme ce résultat en montrant que l’effet de l’origine sociale sur l’occupation en 1990, contrôlé par l’occupation en 1985, ?i,kOD90 est significatif.
53Cette analyse a donc permis de mettre en évidence que l’origine sociale a une influence sur l’occupation en 1990 conditionnellement à l’occupation en 1985. Cependant, il n’est pas possible de conclure de manière robuste que l’effet de l’origine sociale influence de manière persistante l’évolution de la carrière professionnelle car pour cela, il faudrait prendre en compte les relations de causalité entre l’origine sociale, l’occupation en 1985 et celle en 1990, ce que ne permettent pas les modèles log-linéaires.
modèles log-linéaires avec l’origine sociale, l’occupation en 1985, l’occupation en 1990
modèles log-linéaires avec l’origine sociale, l’occupation en 1985, l’occupation en 1990
Test de l’effet de l’origine sociale sur la carrière professionnelle par le modèle probit bivarié
54L’analyse économétrique par les modèles log-linéaires conclut à l’existence d’un lien entre la mobilité professionnelle et l’origine sociale. Cependant, il est nécessaire de confirmer de façon plus robuste l’existence de ce lien en vérifiant si l’effet de l’origine sociale persiste au cours du temps par un modèle qui prenne en compte les relations de causalité. Ce modèle doit en outre autoriser la prise en compte de plusieurs dimensions de l’origine sociale, et plus seulement l’occupation du père, et permettre l’étude des effets de l’origine sociale « toutes choses étant égales par ailleurs », c’est-à-dire en contrôlant les effet s des caractéristiques individuelles.
55On cherche à savoir comment l’origine sociale sous ses différentes dimensions agit sur l’occupation en 1990, indépendamment du rôle qu’elle a déjà eu jusqu’en 1985. On suppose alors que la position en 1985 contient tous les effets qu’a déjà eu l’origine sociale sur le parcours d’une personne : l’effet de l’environnement familial au moment de la formation, du premier emploi, font, avec d’autres facteurs, que la personne occupe telle place en 1985 plutôt qu’une autre. Tester économétriquement la persistance de l’effet de l’origine sociale au cours de la carrière professionnelle consiste alors à vérifier si l’origine sociale explique de manière significative la position professionnelle atteinte en 1990 une fois que l’on contrôle par la position en 1985. Contrôler par la position permet de capter d’une part la dynamique professionnelle entre 1985 et 1990 et d’autre part, l’effet indirect de l’origine sociale, c’est-à-dire l’effet qu’a eu l’origine sociale jusqu’en 1985.
Le choix du modèle approprié
56Il n ’est pas facile de trouver un mo dèle économétrique qui soit vraiment adapté à notre problématique et qui puisse être estimé avec les données dont on dispose. La variable dépendante du modèle, l’occupation en 1990, est dichotomique. Elle prend la valeur 1 si l’individu appartient à un certain groupe professionnel et 0 sinon. Le modèle économétrique retenu est donc non linéaire.
57On suppose dans un premier temps que le modèle
adapté est un modèle de type probit simple :
avec ?1, ?1, ?1, des vecteurs de paramètres, D85 et D90 les variables dichotomiques observées du groupe d’occupation en 1985 et en 1990, D90* une variable latente non observée, X des variables de caractéristiques individuelles, O des variables d’origine sociale et u1 le vecteur des variables inobservées.
58Il est cependant évident que la position occupée en
1985, D85, dépend elle aussi de l’origine sociale.
L’estimation du modèle (4) comporte alors un biais
dans la mesure où D85 est endogène au modèle. En
effet, D85 peut être défini par l’équation (5) suivante :
où ?2, ?2, ?2, sont des vecteurs de paramètres, X des variables de caractéristiques individuelles, D85* une variable latente non observée et u2 le vecteur des résidus.
59Il est alors probable que dans le vecteur des résidus u1
de l’équation (4) se trouvent des composantes
inobservées de l’origine sociale non captées par le
vecteur O expliquant la position professionnelle en
1990. On peut penser par exemple au capital social
des parents qui n’est qu’imparfaitement pris en
compte par les variables O, ce dernier pouvant jouer
un rôle significatif sur la détermination d’une
occupation. Si cette variable est incluse dans u1, elle
l’est également dans u2. Dans ce cas, u1 et D85 ne sont
plus orthogonaux :
Pour prendre en compte ce biais d’endogénéité, il convient d’estimer simultanément grâce à un modèle probit bivarié l’équation (4) et l’équation (5).
60Ce type de modèle permet en effet de contrôler
l’endogénéité qui existe entre deux choix liés car il
prend en compte la corrélation entre les termes
d’erreurs. Le modèle à estimer ici est cependant
différent du modèle probit bivarié classique :
l’occupation en 1985 est une variable explicative
dans l’équation (4) et dans le même temps, la
variable latente correspondant à l’occupation en
1985 est la variable expliquée de l’équation (5).
Maddala (1983, p.122-123) montre que les
paramètres de ce type de modèle probit bivarié sont
identifiables à la condition que l’équation (5)
comprenne une variable qui ne soit pas incluse dans
l’équation (4). Pour corriger le biais d’endogénéité,
il faut donc estimer les équations (4) et (5)
simultanément par un modèle probit bivarié mais en
incluant dans l’équation (5) un instrument I,
c’est-à-dire une variable qui explique la position
professionnelle en 1985 tout en étant indépendante
de la position en 1990. Le modèle à estimer est alors :
On contraint les termes d’erreurs à avoir une variance unitaire pour pouvoir identifier le modèle, les variables D85 et D90 étant dichotomiques.
61La fonction de vraisemblance à maximiser de ce
modèle s’écrit :
?2 est la fonction de répartition de la loi normale bivariée.
Le choix d’un instrument
62Un premier instrument auquel on peut penser est la position professionnelle de l’individu à une date antérieure à 1985. Dans l’enquête, grâce aux historiques d’emploi, il est possible de reconstituer cette position pour l’année 1982. Cet instrument est valable mais sous une hypothèse très forte, à savoir qu’il n’y ait pas d’effet fixe dans les résidus u1 et u2. En effet, le biais d’endogénéité n’est corrigé que si toutes les composantes des résidus n’influencent plus la trajectoire professionnelle entre 1985 et 1990, c’est-à-dire si ces dernières ne jouent qu’à un moment ponctuel de la carrière, antérieur ou égal à 1985, notamment lors du premier emploi. Or il est probable que certaines composantes des résidus interférent sur la trajectoire professionnelle de façon persistante. C’est le cas de caractéristiques individuelles inobservées telles que le talent : toutes choses égales par ailleurs, une personne talentueuse aura a priori une probabilité plus forte de connaître une trajectoire professionnelle ascendante qu’une personne dépourvue de talent. Ainsi, en présence d’effets fixes individuels, la position professionnelle en 1982 n’est pas un bon instrument car elle est elle-même corrélée aux effets fixes.
63Un second instrument permettrait de lever cette hypothèse trop forte de la non-existence d’effet fixe : la position professionnelle du conjoint en 1982 [26]. La position professionnelle du conjoint est un bon instrument pour deux raisons. D’une part elle est susceptible d’influer la position professionnelle de l’individu à un moment donné – antérieur ou égal à 1985 – par le canal suivant : le conjoint peut faire bénéficier l’individu de son réseau social, en particulier lors de l’entrée de ce dernier sur le marché du travail, ce réseau étant approché par la position qu’occupe le conjoint en 1982. D’autre part, le conjoint a des caractéristiques individuelles différentes de celles de l’individu, notamment en termes de talent ou de motivation. Cet instrument n’est donc pas a priori corrélé aux effets fixes. Cependant, ceci n’est vrai que sous certaines hypothèses. La première est que le « marché du mariage » intervienneavant l’entrée de l’individu sur le marché du travail ou bien qu’il n’y ait pas d’« assortative mating », c’est-à-dire que les individus ne se marient pas avec des personnes ayant des caractéristiques similaires aux leurs, telles que le talent. La seconde est que le capital social transféré n’intervienne qu’au début de la carrière, mais pas dans son déroulement. Il est possible de contrôler en partie la première hypothèse en ne considérant que les personnes qui se sont mariées avant 1982. On ne connaît pas la date du mariage mais l’âge du premier enfant. En ne gardant que les personnes qui ont un conjoint et au moins un enfant âgé de plus de huit ans, il est possible d’effectuer ce contrôle. Une limite évidente de ce test est que l’on crée un très fort biais de sélection, notamment si les comportements de fertilité sont différenciés selon les origines sociales et les trajectoires professionnelles.
L’estimation du modèle
64Dans l’équation (4) la variable dépendante (D90*) est expliquée par trois types de variables : X,O et D85. Les caractéristiques individuelles X retenues sont le sexe de l’individu, son âge et une variable composite de son sexe et son âge. Les variables d’origine sociale O dont nous disposons ici sont : le niveau d’éducation du parent le plus éduqué (sans éducation, primaire, secondaire et supérieur), l’occupation du père (profession libérale/ cadre/employé de l’administration, agriculteur, autre), si la personne est née ou non dans une ville et enfin, si elle a achevé son éducation dans une école publique plutôt que privée. Cette dernière variable est une proxy du niveau de vie des parents puisque, au Pérou, les écoles privées sont souvent onéreuses mais bénéficient d’une bien meilleure réputation que les écoles publiques. Les parents dotés de moyens financiers suffisants préféreront donc investir dans une école privée pour leurs enfants. Enfin, le troisième type de variables est le groupe professionnel de la personne en 1985 (D85 ) permettant de capter la dynamique professionnelle entre 1985 et 1990 et l’effet qu’a eu l’origine sociale jusqu’en 1985.
résultats des estimations à partir des modèles probit bivariés
résultats des estimations à partir des modèles probit bivariés
65Le tableau 6 présente les résultats des estimations lorsque l’instrument choisi est la position professionnelle du conjoint en 1982. Dans le modèle 1, nous cherchons à expliquer l’appartenance au groupe le plus favorisé (groupe 1) versus l’appartenance au x d eux autres groupes d’occupation. Dans le modèle 2, la variable endogène est l’appartenance au groupe 2 versus l’appartenance au groupe 3 [27].
66Dans chacun de ces deux modèles, une variable d’origine sociale a un effet significatif sur la probabilité d’atteindre un certain groupe professionnel en 1990, étant donnée sa position en 1985. Dans le modèle 1, l’éducation du parent le plus éduqué a un effet significatif sur la probabilité de rester dans le groupe le plus favorisé (groupe 1) si on y était déjà en 1985 ou de réussir à y rentrer sinon. En effet, ceux dont les parents n’ont pas achevé leurs études primaires sont dotés d’une probabilité plus faible que les autres. Dans le modèle 2, le fait d’avoir achevé ses études dans un établissement privé augmente la probabilité de connaître une mobilité ascendante entre 1985 et 1990 du groupe 3 vers le groupe 2 ou d’éviter une mobilitédescendante vers le groupe 3 si la personne était dans legroupe2 en 1985.
67Le rôle significatif de l’origine sociale est également vérifié lorsque nous instrumentons le groupe d’occupation de 1985 par celui en 1982 [28].
68Dans tous les modèles, le groupe professionnel du conjoint a bien un effet significatif sur le groupe professionnel atteint en 1985 et cet effet joue dans le sens attendu. De plus, l’effet de l’occupation en 1985 est bien positif et très significatif.
69L’estimation de ces modèles ne nous permet pas de confirmer ou d’infirmer l’hypothèse selon laquelle l’effet de l’origine sociale persiste au cours de la trajectoire professionnelle car elle repose sur des hypothèses très fortes. Cependant, elle participe à un faisceau de présomptions qui suggère plutôt qu’une telle persistance a lieu. Il semble que pour atteindre ou se maintenir dans les professions qualifiées ce soit surtout le capital culturel de la famille qui influe sur la trajectoire professionnelle. En revanche, pour connaître une mobilité ascendante vers les professions intermédiaires lorsque l’on exerçait une occupation non qualifiée en 1985 ou pour ne pas « tomber » vers une profession non qualifiée si l’on vient du groupe 2, il semble que le capital économique des parents lors de l’éducation des individus, approché par le type d’école fréquenté, soit déterminant.
Conclusion
70Le premier objectif de cet article était de caractériser la mobilité professionnelle à Lima. Malgré le manque de finesse de la classification en trois groupes s’expliquant par la faible taille de l’échantillon, nous montrons l’importance et la complexité de cette mobilité. Cette mobilité est d’autant plus importante qu’elle concerne les individus en bas de l’échelle professionnelle, c’est-à-dire la mobilité entre les deux groupes professionnels les moins favorisés. Les femmes semblent se distinguer des hommes en étant plus mobiles mais avec des trajectoires professionnelles de plus faible ampleur.
71Le second objectif était de tester l’hypothèse selon laquelle l’effet de l’origine sociale ne s’atténue pas avec le temps mais qu’au contraire, il persiste tout au long de la carrière professionnelle. Les résultats de l’analyse descriptive de l’effet de l’origine sociale, mesurée par l’activité du père, sur la mobilité professionnelle vont dans le sens de cette hypothèse. Ils font notamment apparaître un phénomène de contre-mobilité pour les personnes d’origine sociale élevée, c’est-à-dire que ces dernières ont plus de chances de connaître une mobilité professionnelle ascendante que les autres. Cette analyse est complétée par l’estimation de modèles log-linéaires. Elle montre que l’origine sociale a une influence sur l’occupation en 1990 conditionnellement à l’occupation en 1985. Cependant, ces deux types d’analyse ne peuvent être considérées comme un test rigoureux de l’hypothèse de persistance du rôle de l’origine sociale sur la mobilité professionnelle, car elles ne permettent pas de contrôler par les caractéristiques individuelles, ni d’introduire des relations de causalité. C’est pourquoi une analyse économétrique d’un autre type a été menée, par l’estimation d’un modèle probit bivarié. Les résultats de cette estimation vont dans le sens des analyses précédentes. Cependant, cette analyse se heurte à des difficultés méthodologiques –à savoir le traitement de l’endogénéité des variables explicatives et des effets fixes individuels dans un cadre non-linéaire-qui font qu’elle n’apporte pas, elle non plus, une confirmation robuste de l’hypothèse de persistance.
72Ces difficultés seraient moindres avec des données de meilleure qualité. D’une part il serait souhaitable de disposer d’un panel comprenant plus d’individus. On pourrait alors construire des groupes professionnels plus fins et ainsi mieux mesurer la mobilité professionnelle et limiter les effets de frontières mentionnés au début de cet article. Il serait également possible de mener une analyse totalement différenciée par sexe qui se justifie par les comportements très distincts des hommes et des femmes sur le marché du travail péruvien. D’autre part, une base de données panel incluant plus de points dans le temps permettrait d’avoir recours aux techniques de l’économétrie de panel pour traiter les problèmes d’endogénéité et d’effets fixes. En outre, il aurait été préférable de disposer d’un échantillon national pour prendre en compte la mobilité professionnelle générée par les flux migratoires. Enfin, il aurait été intéressant de tester cette hypothèsesurune périodequi ne soit pas caractérisée par une importante crise économique. En effet, plusieurs auteurs ont montré, qu’en période de crise, l’influence de la famille prend une plus grande importance qu’en période d’expansion. Au Pérou, Benavides (2002) met en avant une plus faible mobilité intergénérationnelle en période de crise économique. De même, Coury (2000) constate qu’à Madagascar, en période de crise, le capital social se substitue au capital scolaire dans l’accès aux positions salariées supérieures lors d’un premier emplo i. Elle expliqu e ce résultat par l’informalisation des procédures d’embauches dans l’ensemble des segments du marché du travail comme conséquence de la crise économique.
73En conclusion, les données à notre disposition, pourtant les seules au Pérou permettant de mener ce type d’analyse, ainsi que les difficultés techniques que soulève la problématique étudiée ne nous ont pas permis d’affirmer catégoriquement que l’origine sociale a un effet persistant sur la mobilité professionnelle. Cependant, cette étude a le mérite de relancer le débat sur ce thème important dans un pays aussi inégalitaire que le Pérou, débat qui, à quelques exceptions près, s’était éteint depuis les années soixante dix.
Annexe 1 : la construction de la classification des catégories professionnelles
74L’occupation des enquêtés est codifiée, dans les deux enquêtes utilisées à partir de la classification internationale type des professions élaborée par l’OIT, comprenant 99 catégories.
75La classification hiérachique ascendante
76
Le principe de la classification hiérachique ascendante –
cluster analysis – est de créer des groupes tels que chaque
groupe contienne les occupations les plus semblables et que
les groupes soient les plus éloignés les uns des autres. La
méthode d’association retenue est agglomérative et
hiérarchique : on considère chaque occupation comme un
groupe (99 groupes de taille 1) puis les deux occupations les
plus proches – ou similaires – sont agrégées (98 groupes, un
de taille 2 et les autres de taille 1) et ainsi de suite jusqu’à ce
que toutes les catégories appartiennent à un même groupe.
La mesure retenue de similarité L2 entre deux catégories i et
j est la distance euclidienne entre ces deux catégories :
où k est une des p variables utilisées pour effectuer la classification. Ces variables sont ici le niveau moyen et le niveau médian de la consommation mensuelle par tête, le pourcentage de ménages épargnant au sein de chaque occupation et le nombre moyen d’années d’éducation des personnes exerçant cette occupation. Une des faiblesses de cette classification est que les variables qui servent à hiérarchiser les groupes sont calculées à partir de données d’enquête–LSMS 1985/86- dont la représentativité n’est pas forcément assurée au niveau des occupations non agrégées, c’est-à-dire des 99 occupations. Pour bien faire, il aurait fallu calculer ces variables à partir d’un recensement. Cependant, dans les recensements, nous n’avons pas d’informations sur le revenu que procurent les occupations.
77Chaque variable est considérée avec la même pondération. Dans un approfondissement futur de ce travail, il serait intéressant d’analyser la sensibilité de nos résultats aux choix méthodologiques faits dans la construction des groupes d’occupations (choix des critères, des pondérations attribuées à chaque critère, à la mesure de similarité retenue dans l’analyse par cluster, etc.).
78Dans la comparaison d’un groupe à un autre est prise en compte la mesure de similarité moyenne au sein de chaque groupe (cluster averagelinkage).
79Le résultat de la classification hiérarchique ascendante est représenté par le dendrogramme suivant
dendrogramme de la classification hiérarchique ascendante
dendrogramme de la classification hiérarchique ascendante
80 Dans ce dendrogramme, deux principaux groupes professionnels se distinguent. Le premier groupe, le plus hétérogène, va de la catégorie professionnelle 2 à 32 (abscisse du dendrogramme). Le second groupe agrège les autres catégories, c’est-à-dire les catégories 8 à 61 sur l’abscisse du dendrogramme. Pour une analyse plus fine, on souhaite désagréger ces deux groupes afin d’obtenir quatre groupes. Cependant, la désagrégation du premier groupe conduirait à créer deux sous-groupes ayant un effectif trop faible pour mener une analyse économétrique. En effet, le premier sous-groupe réunissant les catégories 2 à 45 sur l’abscisse du dendrogramme ne comprendrait que 120 observations. C’est pourquoi seul le second groupe est désagrégé. On obtient alors trois groupes, le groupe 1 comprenant les catégories 2 à 32, le groupe 2 les catégories 8 à 97 et le groupe 3 les catégories les plus défavorisées à savoir les catégories 18 à 61. Par construction, le groupe 1 est donc beaucoup plus hétérogène que ne le sont les groupes 2 et 3. De plus, les groupes 2 et 3 sont plus proches qu’ils ne le sont chacun du groupe 1 (d’après l’indice de similarité).
81 Les groupes professionnels retenus
82 L’analyse par cluster nous a conduits à retenir trois groupes. Les caractéristiques de ces groupes sont présentées dans le tableau A.
caractéristiques des trois groupes professionnels retenus
caractéristiques des trois groupes professionnels retenus
Annexe 2 : présentation des modèles log-linéaires
83L’objectif de la modélisation log-linéaire est d’éprouver des hypothèses sur les interactions entre des variables. Pour ce faire, on cherche à reconstituer la table de contingence formée par ces variables à travers plusieurs modèles emboîtés. Chaque modèle fait une hypothèse différente sur les interactions entre les variables. Il estime la fréquence observée de chacune des cellules de la table de contingence de façon non-paramétrique en prenant en compte plus ou moins d’interactions entre les variables. Un premier modèle, appelé modèle de référence, ne comporte aucune interaction. Ce modèle de référence est emboîté dans un second qui comprend une interaction supplémentaire, et ainsi de suite jusqu’au modèle saturé qui inclut toutes les interactions possibles entre les variables et dans lequel sont contenus tous les modèles précédents. Les interactions entre les variables retenues seront celles du modèle qui reproduit le mieux les données observées et avec la plus grande parcimonie de paramètres. Différents indicateurs rendent compte des qualités prédictives et de la parcimonie de chacun des modèles, présentés dans le tableau 5. Le modèle de référence, qui suppose l’indépendance entre toutes les variables, est le modèle le moins apte à reproduire les données mais le plus économe en paramètres. Dans le deuxième modèle, on introduit une première interaction entre les variables. La qualité d’adéquation du modèle s’améliore mais au prix de la perte de degrés de liberté. Ce modèle contient le premier. La démarche se répète jusqu’au modèle saturé. Ce dernier reproduit parfaitement les données mais n’a aucune valeur explicative, son degré de liberté étant nul. Ainsi, en partant du modèle de référence, on compare successivement les modèles deux à deux en se demandant si la meilleure qualité prédictive du modèle contenant le plus d’interactions justifie son plus grand nombre de paramètres.
84Pour illustrer la méthodologie des modèles log-linéaires,
nous nous proposons de détailler l’approche pour une table
de contingence à deux dimensions. Tester les interactions
entre les variables pour une table à deux dimensions revient
à tester l’indépendance entre les deux variables qui forment
cette table. Supposons qu’en ligne soit représentée l’activité
du père O, à I modalités, et en colonne, l’activité de son
enfant E à J modalités. Si les deux variables sont
indépendantes, alors, par définition :
où nij est la fréquence de la cellule formée par la ligne i et la colonne j, n l’effectif total de la table. L’expression, sous forme logarithmique équivaut à :
On cherche maintenant à tester, grâce aux modèles log-linéaires, quelles sont les interactions entre les deux variables. Le modèle log-linéaire de référence est celui qui n’inclut aucune interaction entre les variables. Il s’écrit : ln (Fij) =µ+?ioj ?jE où Fij est la fréquence estimée de la cellu le (i,j). Elle est égale, sous l’hypothèse d’indépendance, à
Le paramètre µ est une constante. Il est la moyenne des logarithmes de l’ensemble des fréquences estimées de la table : Le paramètre ?io est l’écart à la moyenne µ dont est responsable la variable O : le paramètre ?jE l’écart à la moyenne µ dont est responsable la variable :
Si les deux variables sont indépendantes, alors le modèle de référence reproduit parfaitement la table observée. On obtient :
Si ce n’est pas le cas, un test par la statistique de vraisemblance conduit à rejeter l’hypothèse selon laquelle les fréquences estimées Fij ne sont pas significativement différentes des fréquences observées nij. Il faut alors introduire un nouveau paramètre dans le modèle, une interaction entre O et E, ?ijOE qui est le logarithme du rapport entre la vraie fréquence de la cellule et la fréquence qu’elle aurait si les deux variables étaient indépendantes : ?ijOE =ln (Fij) -µ -?iO+?jE. Le modèle devient alors le modèle saturé : ln (Fij) = µ +?iO+?jE+?ijOE.
85Pour une table à trois dimensions, on cherche à tester les différentes interactions entre les variables. Soit une table de contingence formée par trois variables O à I modalités, E à J modalités, et D à K modalités. Le modèle de référence qui suppose l’indépendance entre toutes les variables est le suivant : ln (Fij) = µ +?iO+?jE+?kD
86Dans ce modèle, la fréquence estimée est :
les paramètres sont obtenus à partir des formules suivantes :
Si ce modèle ne reproduit pas correctement les données observées, on estime le modèle de référence auquel on ajoute une interaction partielle entre deux variables, étant donnée la troisième. Par exemple, on suppose qu’il y a une association statistique entre l’origine et l’éducation, étant donnée la destinée, ?ijOE. Le modèle s’écrit alors :
La fréquence estimée est égale dans ce modèle à :
et le paramètre correspondant à cette interaction partielle est égal à :
La fréquence estimée est égale dans ce modèle à :
et le paramètre correspondant à cette interaction partielle est, comme précédemment, égal à :
Si ce modèle est toujours insatisfaisant, on estime le modèle qui inclut les trois interactions partielles possibles entre les variables, soit le modèle :
Dans ce cas, la fréquence estimée ne peut être obtenue à partir d’une simple formule puisque aucune paire de variable n’est indépendante conditionnellement à la troisième variable. C’est pourquoi, la fréquence doit être estimée à l’aide d’une procédure itérative.
87Pour une description plus formelle des modèles log-linéaires se référer à Bishop, Fienberg, Holland (1975).
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Mots-clés éditeurs : Pérou, égalité d'opportunités, probit bivarié, Mobilité occupationnelle
Date de mise en ligne : 17/02/2009
https://doi.org/10.3917/ecop.186.0067Notes
- (*)IRD, DIAL. E-mail : ppasquier@ dial. prd. fr
- (**)Banque Interaméricaine de Développement, E-mail : ddavidro@ iadb. org Accepté le 15 février 2008. Les auteurs tiennent à remercier Denis Cogneau, Philippe De Vreyer, Javier Herrera, François Roubaud, Martin Benavides, Evelyne Mesclier ainsi que les deux rapporteurs anonymes pour leurs commentaires et suggestions.
- (1)Pour une revue de littérature sur le sujet, se référer à Haveman et Wolfe (1995).
- (2)Propos recueillis lors d’un travail de collecte d’une centaine de récits de vie, réalisé à Lima en 2003 par L. Pasquier-Doumer et visant à connaître les canaux de mobilité sociale à Lima (Pasquier-Doumer, 2005)
- (3)Pour plus d’informations sur ces enquêtes, se référer à Pasquier-Doumer et Rosas Shady (2005).
- (4)Cette limite d’âge inférieure a été fixée afin de s’assurer que ceux qui ont suivi des études supérieures les ont achevées et qu’ils sont entrés sur le marché du travail. On évite ainsi de prendre en compte les jeunes qui poursuivent leurs études en 1985 et qui occupent des « petits boulots » pour les financer. On surestimerait alors la mobilité de ces jeunes entre 1985 et 1990 car ces « petits boulots » sont en général très différents de l’occupation pour laquelle ils se forment et qu’ils occupent à la fin de leurs études.
- (5)En effet, inclure ceux qui travaillent encore après 65 ans générerait un biais de sélection dans la mesure où ces personnes ont un profil bien particulier.
- (6)L’analyse de la qualité et des limites du panel obtenu (analyse des biais éventuels de sélection) est détaillée dans Pasquier-Doumer et Rosas Shady (2005) et montre que les individus du panel semblent avoir une origine sociale plus défavorisée que l’échantillon total des Liméniens en 1985, notamment quant à la dotation en capital humain de leurs parents.
- (7)Le taux de croissance du PIB par tête est en moyenne de plus de 6%.
- (8)Le taux annuel d’inflation fut de 3 400% en 1989.
- (9)Selon Weber, le statut social comprend trois dimensions : la richesse économique, le pouvoir et le prestige.
- (10)Cf. Pasquier-Doumer et Rosas Shady (2005).
- (11)C’est-à-dire que cet individu a une occupation très proche du groupe professionnel supérieur à celui où il a été classé, les groupes professionnels étant hiérarchisés.
- (12)C’est-à-dire que cet individu a une occupation très proche du groupe professionnel inférieur à celui où il a été classé.
- (13)On a préféré cette approche à une approche en termes de classe comme celle définie par Goldthorpe (1980) pour la raison suivante. Le schéma de classe défini par cet auteur est basé sur les relations au travail, en particulier sur la distinction entre ceux qui achètent le travail des autres, ceux qui n’achètent pas le travail des autres mais qui ne vendent pas le leur et ceux qui vendent leur travail. Ce schéma a un sens lorsque l’on s’intéresse à la mobilité intergénérationnelle mais en a beaucoup moins dans le cadre de la mobilité intragénérationnelle où le passage d’une classe à l’autre à une très faible occurrence.
- (14)Cette proportion est de 55% lorsque l’on prend la classification à 99 catégories d’occupation.
- (15)Pour une présentation plus détaillée de cette analyse, qui notamment inclut une analyse par genre et qui développe les flux entre les groupes professionnels sur une période plus longue, à savoir entre 1982 et 1990, se référer à Pasquier-Doumer et Rosas Shady (2005).
- (16)Les rapports de chances relatives traduisent le résultat de la concurrence entre les individus de groupes professionnels distincts pour atteindre des destinées différentes. Ils représentent l’inégalité relative entre deux individus, occupant en 1985 respectivement le groupe i et le groupe i’, pour atteindre le groupe j’plutôt que j (avec i’>i et j’>j) en 1990. Il est défini, pour la génération k comme suit :
où nij est le nombre d’observations dans la cellule (i, j) de la matrice de transition dont les lignes i représentent les trois groupes d’occupations en 1985 et les colonnes j les trois groupes d’occupations en 1990. La chance d’atteindre un groupe j’plutôt que j est ORi-i'kj-j' fois supérieure pour un individu du groupe i’qu’un autre du groupe i. Si le odd ratio vaut 1, l’individu du groupe i’ n’a pas d’avantage comparatif par rapport à celui du groupe i pour atteindre j’. La caractéristique des rapports de chances relatives est qu’ils donnent une mesure de l’association statistique entre deux variables indépendamment des distributions marginales. - (17)Le nombre de changements est mesuré entre les 99 groupes professionnels afin d’obtenir l’analyse la plus fine possible de la mobilité.
- (18)Comprend les activités de commerce, de transport, de construction, d’industrie, de services et des mines.
- (19)Ce n’est pas le cas pour l’ensemble car les différences se compensent entre les genres.
- (20)18% de ceux dont le père exerçait une profession qualifiée connaissent une mobilité ascendante entre 1982 et 1990 du groupe 2 vers le groupe 1. Cette proportion n’est que de 10% pour ceux dont le père avait une profession non qualifiée hors agriculture et 7% pour ceux dont le père était agriculteur. La différence entre cette première proportion et les deux autres est significative au seuil de 10%. Dans le cas d’une mobilité ascendante du groupe 3 vers le groupe 1, ces proportions sont respectivement 26%, 14% et 3% et les différences entre la première proportion et les deux autres sont significatives au seuil de 1%.
- (21)La probabilité de passer du groupe 1 au groupe 3 entre 1982 et 1990 est nulle pour ceux dont le père exerçait une profession qualifiée alors qu’elle est de 7% pour ceux dont le père avait une profession non qualifiée hors agriculture et 16% pour ceux dont le père était agriculteur, les différences entre ces trois proportions étant significatives au seuil de 5 et 10% (cf. dernière colonne du tableau sur la significativité des différences). De plus, ceux d’origine la plus favorisée ont une probabilité significativement plus faible de passer du groupe 2 au groupe 3 que ceux d’origine intermédiaire (0,01 vs. 0,14).
- (22)Pour une description détaillée de ces indicateurs, cf. Pasquier-Doumer et Rosas Shady (2005).
- (23)Cette statistique permet de tester l’adéquation du modèle aux données empiriques en prenant en compte le nombre de degrés de liberté du modèle ddl. Elle se définit ainsi :
et suit asymptotiquement une loi de ?2 au nombre de degrés de liberté égal à ddl. Si P <0,05, alors l’hypothèse selon laquelle les données estimées par le modèle ne sont pas significativement différentes des données empiriques est rejetée au seuil de 5%. - (24)Il indique le pourcentage de personnes mal classées par le modèle, i.e la proportion de l’effectif total qui devrait être changée de cellule, dans la table de contingence estimée, pour que celle-ci soit égale à la table observée :
La faiblesse de cet indicateur est cependant qu’il n’intègre pas le critère de parcimonie du modèle. - (25)D’après la statistique rG2 qui est le pourcentage de la distance entre le modèle (1) et les données observées que le modèle (3) est capable d’expliquer, c’est-à-dire une mesure de la supériorité d’adéquation du modèle (3) aux données observées par rapport au modèle (1). Il s’écrit comme suit :
où G2(1) et G2(3) sont les statistiques du rapport de vraisemblance du modèle (1) et du modèle (3). - (26)Ce choix d’instrument s’inspire de Lam et Schoeni (1993) qui utilisent des variables d’origine sociale du conjoint comme instrument pour estimer les effets de l’origine sociale sur les rémunérations des hommes au Brésil.
- (27)Deux autres stratégies alternatives auraient pu être envisagées afin de lever un éventuel problème de sélection lié à la construction des modèles qui existeraient si des inobservables ayant un effet sur le choix entre le groupe 1 et les groupes 2 ou 3 déterminent aussi le choix entre le groupe 2 et le groupe 3. Ces stratégies ont cependant dues être écartées pour des contraintes techniques. Il s’agit i) d’estimer un modèle probit bivarié ordonné et ii) d’estimer un modèle à trois équations simultanées comprenant : une équation de choix entre les groupes 1 et (2,3), une équation de choix entre les groupes 2 et 3, et l’équation (5).
- (28)Les résultats des estimations des modèles instrumentés par le groupe d’occupation en 1982 se trouvent dans Pasquier-Doumer et Rosas Shady (2005).