Notes
- (*)Ministère de l’Équipement, des Transports et du Logement, Paris, France. E-mail : aalain. bernard@ equipement. gouv. fr
- (**)CEA-LERNA, Toulouse, France. E-mail : mmvielle@ cict. fr
- (***)HEC-Genève et École Polytechnique Fédérale de Lausanne, Suisse. E-mail : llaurent. viguier@ epfl. ch Pour la rédaction de cet article, l’équipe a bénéficié d’informations et d’observations de la part de Jean-Marc Moulinier, des questions et remarques exprimées au cours des séminaires dans lesquels l’étude a été présentée sous des formes diverses (EPE, THOR-2004, CORE, GTAP-7, ECOMOD 2004) et des critiques formulées par les deux rapporteurs. Comme il se doit, nous demeurons seuls responsables des erreurs éventuelles.
- (1)Le dispositif américain concerne essentiellement les émissions de SO2 par le secteur électrique; il n’y a donc pas de risque de “délocalisation” de l’activité.
- (2)Intitulé “Authorized Amount Unit” (AAU) dans le protocole de Kyoto.
- (3)Cette liberté est en partie limitée par la Commission européenne à laquelle devront être soumis pour accord les plans nationaux proposés par chacun des États membres.
- (4)Dans le premier cas, que l’allocation des quotas soit gratuite ou payante, les entreprises fixent leurs prix en tenant compte du coût (coût réel ou coût d’opportunité) du quota, ce qui correspond au comportement de “tarification au coût marginal ” des économistes. Dans le second cas, les entreprises ne répercutent le coût des quotas qu’à concurrence de la charge supplémentaire que leur acquisition entraîne (cas de quotas partiellement payants, achats sur le marché des quotas) et pratiquent ainsi une tarification au coût moyen ou à l’équilibre budgétaire. Le premier comportement conduit à accroître sensiblement le prix de vente et à retenir sous forme de profits la valeur des permis alloués gratuitement. Le second ne modifie que marginalement le prix de vente par rapport à la situation antérieure. Selon l’intensité de la concurrence et pour certaines entreprises, selon les clauses de révision des prix dans les contrats de fourniture à moyen-long terme, l’un ou l’autre des comportements prévaudra.
- (5)Il est par exemple possible que la substitution de la technique existante par une technique moins “ polluante ” ne soit pas possible ou très coûteuse, alors que le bien produit pourrait se voir substituerpar un autre bien moins “ polluant ”. Le champ retenu par la directive n’inclut pas les centrales nucléaires ou hydrauliques qui peuvent concurrencer des centrales électriques à flamme. Les nouvelles centrales à flamme se verront accorder des quotas gratuitement, même si elles veulent concurrencer des centrales qui n’émettent pas de CO2. Il y a là une cause supplémentaire d’inefficacité.
- (6)Cela pose le problème complexe d’un pays qui achètera des permis à l’extérieur et allouera gratuitement des quotas à son industrie.
- (7)Pour une description détaillée de la structure du modèle on se référa à Bernard et alii (2004) ou Bernard et Vielle (1998). On pourra de plus consulter le site internet dédié au modèle à l’adresse suivante : http ://ecolu-info.unige.ch/nccrwp4/ GEMINI-E3/HomeGEMINI.htm.
- (8)C’est l’hypothèse standard, mais des comportements non concurrentiels peuvent être testés, par exemple le “rationnement” sur le marché du travail (simulation de situations de sous-emploi) ou le comportement monopolistique sur un marché (par exemple la Russie sur le marché international des permis de carbone). Voir par exemple à ce sujet Bernard et alii (2003b).
- (9)Lavérification numérique de la loi de Walras est un moyen de s’assurer de la cohérence d’ensemble du modèle.
- (10)Pour une comparaison des évaluations du “leakage” due aux politiques de lutte contre l’effet de serre, voir par exemple Paltsev (2001), Viguier (2001).
- (11)Sile taux de change entre le pays A et le pays B est 2, c’est que la valeur économique du travail dans le pays A est 2 fois celle dans le pays B.
- (12)Il est également éclairant d’évaluer le coût de bien-être d’une politique de changement climatique par catégorie de ménages – et donc les aspects d’équité –, notamment en fonction de la classe de revenu. Ceci peut être effectué ex-post, à partir d’estimations détaillées de la demande des consommateurs effectuées sur la base d’enquêtes auprès des ménages (voir Bernard, 2005).
- (13)Ou bienle CVI (Compensating Variation of Income ”) qui s’en distingue en permutant situation initiale et situation finale, et conduit en pratique à des résultats numériques extrêmement proches; voir par exemple Varian (1992).
- (14)Dans le cas où les seules distorsions économiques proviennent de la fiscalité. S’il y a d’autres distorsions – par exemple celle résultant d’une rigidité sur un marché, et notamment sur le marché du travail –, le coût interne reflète également l’effet de ces distorsions.
- (15)Le gain provenant des termes de l’échange a été analysé en détail, notamment pour la France, dans Bernard et Vielle (2003a).
- (16)Taux d’effort : baisse d’émission effective en pourcentage pour l’année considérée par rapport à l’évolution tendancielle.
- (17)Et surtout une appréciation identique des coûts d’abattement dans les différents pays et les différents secteurs, c’est-à-dire le recours au même modèle de simulation économique.
- (18)La directive n’impose pas la gratuité de l’allocation, elle limite à 5% dans la période 2005-2007 et 10% dans la période 2008-2012 la part de quotas que les États peuvent allouer à titre onéreux. La France (ainsi que le Royaume-Uni, l’Allemagne et les Pays-Bas) a choisi la gratuité.
- (19)Le document de juin 2003 de la Convention-cadre sur les changements climatiques ne donne pas la répartition par secteur (UNFCCC, 2003).
- (20)Il y a aussi des conditions de non négativité (les quotas, les émissions) mais elles ne jouent pas avec les données relatives au cas de l’Union Européenne et que l’on négligera donc.
- (21)Taxe sur le carbone, ou coût d’abattement en cas de mise en œuvre par des mécanismes réglementaires ou des normes.
- (22)Comme indicateur de coût, nous avons retenu le coût de distorsion fiscale (DWL) plutôt que le coût de bien-être pour éliminer l’incidence des gains ou pertes des termes de l’échange.
- (23)Les résultats sont statistiquement meilleurs avec une spécification quadratique.
- (24)Il est aussi à noter que le scénario “permis européen” donne aussi une grande dispersion des coûts de bien-être entre pays.
1La directive européenne sur les quotas d’émission de gaz à effet de serre vise à introduire de premiers éléments de flexibilité dans la mise en œuvre du protocole de Kyoto par les pays membres de l’Union Européenne et à créer un marché européen des permis, accessible à un nombre limité d’entreprises éligibles appartenant à des secteurs d’activité bien identifiés, choisis en raison de leur forte intensité en énergie fossile. Elle anticipe sur la mise en œuvre du protocole, en créant un marché du CO2 pour la période 2005-2007, alors que le protocole n’entre en vigueur que pour la période 2008-2012.
2La directive ne fixe que des principes généraux et laisse de ce fait une grande liberté à chaque pays pour déterminer le volume des quotas et les répartir entre les secteurs. Plusieurs règles d’allocation peuvent être appliquées et à l’intérieur d’une même règle le volume total peut être modulé. C’est dire que le nombre de configurations susceptibles d’émerger est extrêmement élevé, hors de portée d’une analyse systématique.
3Compte tenu des fortes interdépendances entre les économies, à la fois au sein de l’Union et avec les pays extérieurs, et de la complexité des mécanismes de marché, l’évaluation détaillée de scénarios nécessite le recours à des modèles numériques intégrés, notamment les modèles dits d’équilibre général calculable qui sont les plus couramment utilisés pour la simulation de politiques de changement climatique. Le modèle GEMINI-E3, qui bénéficie maintenant d’une expérience longue dans ce domaine, a fait l’objet d’une rénovation complète visant à accroître le nombre de pays/régions individualisés et le nombre de secteurs et permettre ainsi de simuler des scénarios de quotas européens.
4Le simple examen des émissions par pays des secteurs éligibles montre que le marché sera dominé par les entreprises allemandes, seules susceptibles d’être en position de vendeur. Le marché sera donc fortement soumis au choix fait par le gouvernement allemand d’attribuer beaucoup ou peu de quotas aux entreprises participant à l’échange de quotas. La demande dépendra symétriquement du volume de quotas attribués par les autres pays.
5L’évaluation de la directive présentée dans la note retient comme fil conducteur l’efficacité économique globale, c’est-à-dire la recherche des configurations conduisant à minimiser le coût global pour l’Union Européenne (coût de bien être), en supposant pour l’instant qu’aucun pays ne fait appel aux instruments de flexibilité externes. Il en ressort que le coût global dépend essentiellement des disparités de prix du carbone que génère mécaniquement la directive européenneencloisonnantlesmarchés : écartentrele prixduquotaet leprixmoyen ducarbone (explicite ou implicite) dans les autres secteurs; dispersion du prix du carbone de ces secteurs entre les différents pays de l’Union. Le scénario qui apparaît minimiser l’incidence de ces écarts est celui qui verrait l’Allemagne allouer davantage de permis que la référence du programme national de lutte contre le changement climatique (PNLCC), les autres pays allouant un montant égal à leur PNLCC.
6Ce scénario donne une place importante au marché des quotas, mais n’est pas bénéfique à tous les pays qui peuvent chercher à l’influencer en modulant le nombre de quotas alloués à leurs entreprises, ou plus vraisemblablement en recourant activement aux mécanismes externes de flexibilité. Dans ces conditions – ainsi que pour d’autres raisons possibles – le marché des quotas européens pourrait avoir des difficultés à véritablement démarrer.
Introduction : utilité et complexité d’une évaluation économique de la directive européenne
Le protocole de Kyoto
7Le protocole de Kyoto (UNFCCC, 1997) adopté en décembre 1997 fait suite à la convention internationale sur le changement climatique qui s’est tenue en juin 1992 à l’occasion du Sommet de la Terre à Rio de Janeiro. Le protocole de Kyoto fixe pourungroupe depays appelé paysde l’annexeB des engagements en termes d’émission de gaz à effet de serre pour la période 2008-2012. Ces engagements quantifiéssontexprimés par rapport à 1990, année de référence, et recouvrent 6 gaz à effet de serre : le CO2, le CH4, le N2 0, les HFC, les PFC et le SF6. Les pays de l’annexe B se sont engagés à réduire globalement leurs émissions de 5,2% par rapport à l’année 1990. Ces pays sont les pays industrialisés : pays de l’Union Européenne, États-Unis, Japon, Canada, Australie, Russie, Ukraine, Pologne,… Les pays en voie de développement n’ont pour cette première période d’engagement (2008-2012) contracté aucune obligation, mais le principe du protocole est de les intégrer pour les périodes d’engagement futures (après 2012). Si le protocole définit précisément les montants d’émission à atteindre, il est beaucoup plus flou sur les modalités de mise en œuvre de l’accord. Le protocole prône l’utilisation de politiques domestiques de réduction des gaz à effet de serre (article 2) mais permet aussi des échanges de droits d’émission entre pays, mécanismes dits de flexibilité. Ainsi, au sein des pays de l’annexe B, la mise en place d’un marché de permis négociables est possible (article 17), mais d’autres instruments sont envisagés. C’est le cas de la mise en place de “ bulles ” (article 4) au sens où un groupe de pays s’engage solidairement à respecter un objectif quantitatif global tout en se réallouant leurs engagements nationaux. Cette possibilité a ainsi été utilisée par l’Union Européenne pour se répartir l’objectif global de-8% par rapport à 1990 contracté à Kyoto. La France au sein de cette bulle voit ainsi son objectif se limiter aux émissions de 1990 (réduction donc de 0%), alors que par exemple l’Allemagnea un objectifse traduisantparunebaisse de 21% par rapport aux émissions de 1990. Un autre mécanisme de flexibilité est la mise en place d’un système de Mise en Œuvre Conjointe (article 6) à travers lequel un pays ou un acteur privé de l’annexe B finance un projet permettant de réduire des émissions de gaz à effet de serre sur le territoire d’un autre pays de l’annexe B et crédite ces réductions d’émission. Enfin, le protocole permet aussi d’intégrer des réductions réalisées dans un pays n’appartenant pas à l’annexe B à travers un mécanisme similaire à la Mise en Œuvre Conjointe mais qui est alors dénommé Mécanisme de Développement Propre (article 12). Le protocole sera légalement contraignant à partir du 16 février 2005. À ce jour, deux pays de l’annexe B ont décidé de ne pasratifier le protocole : il s’agit desÉtats-Unis et de l’Australie. Enfin, pour compléter cette description du protocole, notons que tous les pays n’ont pas contracté des réductions effectives d’émission. C’est le cas de la Russie, dont l’objectif correspond aux émissions de 1990 et qui, compte tenu de l’effondrement de son activité économique après la disparition de l’empire soviétique, se voit doter d’un crédit d’émission substantiel, actuellement évalué à plus de 165 millions de tonnes de carbone. Ce crédit d’émission est communément appelé “ Hot Air ” et son utilisation est susceptible d’affecter l’équilibre du marché des permis négociables (cf. Bernard et alii, 2003).
La directive européenne des quotas d’émission
8Dans le but de permettre une mise en œuvre coordonnée du protocole de Kyoto par les pays de l’Union Européenne et d’introduire de premiers éléments de flexibilité et de mécanismes de marché, la Commission Européenne a fait adopter une directive sur les quotas d’émission de gaz à effet de serre (EC, 2003a) visant les entreprises européennes les plus émettrices, celles des secteurs les plus intensifs en énergie fossile. Sans entrer dans les détails d’un texte complexe qui nécessite encore pour sa mise en œuvre définitive des circulaires d’application, il convient d’en donner les grandes lignes endisant que ladirectiveestlimitative dansles activités auxquelles elle s’applique, puisqu’elle définit des secteurs “éligibles”, qu’elle fixe les principes généraux et les grandes règles mais laisse aux pays une grande latitude dans le choix des modalités, principalement la référence retenue pour déterminer le montant total des quotas ainsi que la méthode d’allocation entre les entreprises et/ou les secteurs.
9L’institution d’un marché des droits d’émission et l’attribution aux entreprises concernées de droits du “ grand-père ” s’inspire bien du mécanisme mis en place aux États-Unis pour réduire les émissions de SO2 et NOx (seulement dans quelques États ou comtés pour ce dernier). Mais les différences sont majeures et conduisent à s’interroger sur les effets pervers que peutprovoquer la directiveeuropéenne.
10Le dispositif américain vise en premier lieu à donner une visibilité à long terme aux opérateurs, principalement les entreprises industrielles. Les droits accordés aux entreprises existantes – et elles seules – sont fixés pour les trente années à venir : proches des émissions historiques au départ, ces droits décroissent régulièrement et s’annulent au bout de cette longue période d’adaptation.
11Ces droits sont des actifs pour les entreprises concernées, dont elles disposent librement et qu’elles conservent en toutes circonstances, même en cas de fermeture [1]. Les nouveaux entrants ne reçoivent en revanche aucun droit. Le dispositif américain déconnecte ainsi totalement les décisions des entreprises de la disponibilité de droits et met bien en place un mécanisme pur dans lequel le coût d’opportunité de la pollution émise est le prix d’équilibre qui va s’instaurer sur le marché des permis. Il n’affecte donc pas l’efficacité de l’allocation des ressources dans l’économie même si l’équité du système peut être mise en cause (notamment au détriment des nouveaux entrants, ou au “ bénéfice ” des entreprises qui ferment). Il aurait été possible – avec le même objectif visant à assurer l’efficacité de l’allocation des ressources – de n’attribuer aucun droit aux entreprises, ce qui serait jugé plus équitable, mais la transition aurait été plus brutale et aurait pu conduire à éliminer les entreprises les moins flexibles.
L’économie générale de la directive européenne
12La Directive européenne est presque à l’opposé de ce schéma : aucune visibilité à long terme puisque les quotas sont attribués d’abord pour trois ans (2005 à 2007) puis pour 5 ans (2008 à 2012), qu’ils sont ainsi liés à la pérennité de l’entreprise, et que les Gouvernements se réservent le droit d’attribuer aux nouveaux entrants une allocation gratuite de quotas, prise dans une réserve ad hoc.
13Il faut, à ce stade, attirer l’attention du lecteur sur une subtilité : le marché des “quotas” de CO2 créé par la directive est distinct du marché des “permis” prévu par le protocole de Kyoto : une entreprise soumise à la directive, qui a émis une tonne de CO2, devra restituer un quota en fin de période ; la restitution d’un permis [2] de CO2 en lieu et place d’un quota n’est pas possible. Les prix des quotas et des permis seront donc a priori différents.
14L’autre caractéristique est que chaque Gouvernement national dispose d’une liberté quasi-totaledansl’allocation des quotasauxsecteurs concernés [3], voire aux “entreprises” (sites industriels) éligibles. On peut distinguer deux grands secteurs, l’industrie et l’énergie (production d’électricité et chauffage urbain), l’un ouvert à la concurrence européenne et mondiale, l’autre fermé (dans la mesure où les contraintes de capacité de transport entre pays limitent fortement les échanges physiques d’électricité entre pays). Ce sont des éléments qui ont toutes chances de peser fortement sur les arbitrages des gouvernements, comme il apparaît déjà à partir de déclarations et d’intentions formulées.
15En ce qui concerne les entreprises des secteurs éligibles, la gratuité totale ou quasi-totale des quotas alloués laisse entrevoir deux comportements extrêmes : l’un qui consiste à intégrer le prix de marché des quotas dans les coûts unitaires de production et donc à ne pas répercuter la gratuité des quotas obtenus, l’autre qui consiste au contraire à répercuter la gratuité des quotas [4]. Les conditions de marché d’une part – la situation monopolistique ou oligopolistique de certaines productions – et/ou les contraintes réglementaires ou issues de contrats existants peuvent conduire selon les cas à l’un ou l’autre type de comportement.
16L’argumentation constamment développée par les industriels concernés en faveur de la gratuité des quotas (par opposition à une mise aux enchères ou une taxation du carbone), faisant état de risques élevés de distorsion de concurrence vis-à-vis des industries des pays hors annexe B, laisse naturellement entrevoir la plus grande probabilité du second comportement. Il convient de rappeler que la possibilité de ne pas répercuter ( ou très partiellement) le coût du carbone dans les prix ne va pas a priori dans le sens de l’efficacité économique puisque le signal prix n’est pas transmis vers l’aval et que les substitutions efficaces qui pourraient exister ne sont pas encouragées [5].
17Concernant les secteurs et agents ne faisant pas partie des secteurs éligibles, la directive ne précise par le traitement devant leur être appliqué. C’est à chacun des États membres, compte tenu de ses engagements nationaux définis au sein de la bulle européenne, de préciser les mesures qu’il souhaite adopter pour ces secteurs et agents, en intégrant bien évidemment le montant des quotas alloués au secteur éligible et un possible recours à des mécanismes de flexibilité externes à l’Europe (permis négociables avec des pays n’appartenant pas à l’Union Européenne, Mécanismes de Développement Propre, Mise en Œuvre Conjointe).
18Mais si la directive introduit des éléments de flexibilité, elle provoque simultanément de fortes rigidités, d’une part en cloisonnant le marché du carbone des secteurs éligibles de celui des autres secteurs (y compris le secteur domestique), d’autre part en laissant subsister entre les pays et pour ces derniers des disparités qui pourraient être très élevées, du moins s’il n’est pas fait recours aux mécanismes de flexibilité externes à l’Union Européenne. Il y aura en effet plusieurs prix du carbone dans l’Union : le prix des quotas pour les secteurs éligibles, uniforme au sein de l’Union, le prix pour les autres secteurs de chacun des pays de l’Union (supposé uniforme et résultant, soit d’une taxe uniforme, soit d’un mécanisme de marché du type enchères). Ceci peut être reflété par deux indicateurs de disparité : l’écart relatif entre prix du quota et prix moyen du carbone dans les autres secteurs, la dispersion (écart type) du prix du carbone des secteurs non éligibles entre les pays de l’Union. Plus ces disparités sont importantes, plus le coût d’application du protocole de Kyoto sera élevé pour l’ensemble de l’Union Européenne. Et il est évidemment possible que certaines situations globalement coûteuses pour l’Union et donc inefficaces soient avantageuses pour certains pays et donc forcément désavantageuses pour les autres.
19Il est d’ailleurs à craindre que, sous la pression des industriels des secteurs éligibles et en se focalisant trop exclusivement sur la défense des positions concurrentielles de ces derniers, les pouvoirs publics allouent un nombre excessif de quotas (Godard, 2005) et contribuentainsi à accroître les disparités de coût du carbone évoquées précédemment.
La complexité de l’évaluation et la nécessité du recours à un outil de simulation global et intégré
20Compte tenu du nombre des intervenants (les gouvernements nationaux, les entreprises des secteurs éligibles) et des degrés de liberté dont chacun dispose, le nombre de configurations possibles et donc de scénarios à évaluer est extrêmement élevé. Par ailleurs, les interdépendances entre pays sont fortes, tant entre les pays de l’Union qu’avec le reste du monde. Ces interdépendances transitent principalement par le commerce extérieur, dont les prix et les volumes d’échange sont influencés par les politiques environnementales mises en œuvre par les différents pays, générant ainsi des gains ou des pertes des termes de l’échange. Il y a donc un jeu complexe entre les stratégies des différents pays et, par suite, une évaluation un tant soit peu systématique de la directive européenne requiert l’utilisation d’un outil adapté, simulant de la manière la plus complète les mécanismes économiques en cause.
21Les modèles dits d’équilibre général calculable se sont révélés des outils particulièrement performants pour cette tâche et ont connu un très large développement dans le monde, aux États-Unis en particulier. En France, le modèle GEMINI-E3, développé conjointement par le METL et le CEA depuis près de 10 ans, bénéficie d’une longue expérience dans l’évaluation du protocole de Kyoto, qui s’est forgée notamment dans la confrontation des résultats ainsi que dans la collaboration avec les autres équipes de modélisation. Jusqu’à présent d’unetaille limitée, tanten nombre derégions (7) que de secteurs (8), le modèle a été entièrement réécrit et ré-estimé dans une nomenclature de pays et de secteurs beaucoup plus détaillée, en vue notamment de simuler des scénarios de quotas européens, ce que la version antérieure ne permettait absolument pas.
22Dans une première partie, nous présenterons la nouvelle version du modèle, en particulier les différences majeures avec la version antérieure, et nous rappellerons la logique économique sous-jacente ainsi que la façon dont il est utilisé, notamment comment les résultats sont interprétés. Ceci est essentiel pour structurer et surtout pour hiérarchiser l’ensemble que constitue les multiples scénarios susceptibles d’émerger du système mis en place dans l’Union Européenne.
23Dans une deuxième partie, seront présentés les scénarios standard du protocole de Kyoto, sans prise en compte de la directive européenne, afin de définir des valeurs de référence du carbone. Ces valeurs du carbone varient selon les mécanismes de flexibilité pris en compte et sont importantes comme éléments de comparaison puisque chaque pays de l’Union conserve la faculté d’y recourir, sans limite, directement pour les secteurs non éligibles à la directive, mais aussi indirectement pour les secteurs éligibles par la quantité de quotas alloués par les gouvernements nationaux.
24La troisième partie sera consacrée à l’évaluation de la directive, c’est-à-dire à la définition des principaux scénarios susceptibles de se réaliser et à leur simulation. Dans cette évaluation, nous supposerons que les pays européens ne recourent pas aux mécanismes de flexibilité externes prévus par le protocole de Kyoto (marché international de permis, Mécanisme de Développement Propre, Mise en Œuvre Conjointe). Les résultats obtenus feront clairement apparaître les pays pour lesquels un recours à ces mécanismes est désirable, le mécanisme de flexibilité européen n’apportant pas une contribution suffisante aux difficultés rencontrées. Certains pays ont d’ailleurs d’ores et déjà exprimé leurs intentions en la matière, tout particulièrement les Pays-Bas [6] (MHSPE, 2000) qui comptent sur ces mécanismes pour satisfaire la moitié de leurs engagements.
25Outre les principaux enseignements tirés de l’analyse des scénarios, la conclusion indiquera les voies dans lesquelles le présent travail, qui doit être considérécommepréliminaire, doitêtreapprofondi.
Une nouvelle version du modèle GEMINI-E3 visant à permettre une évaluation détaillée de la directive [7]
26Les versions antérieures du modèle, de plus en plus désagrégées géographiquement, s’étaient néanmoins arrêtées à un nombre limité de pays/régions (7), permettant juste de simuler le protocole de Kyoto. En particulier, si la France était individualisée, les autres pays européens étaient agrégés en une zone unique.
Une nouvelle configuration …
27La possibilité d’évaluer la directive européenne sur les quotas a rendu nécessaire, d’une part, d’individualiser les pays de l’Union Européenne et, d’autre part, de revoir la nomenclature sectorielle de manière à bien différencier les secteurs éligibles des autres secteurs de l’économie.
…géographique …
28Il n’est toutefois pas apparu indispensable d’individualiser tous les pays de l’Union Européenne. Sept pays sont représentés séparément (Allemagne, France, Grande-Bretagne, Italie, Espagne, Pays-Bas, Belgique), les huit autres étant regroupés dans une zone OEU (Autres pays de l’Union Européenne). Ces pays ne représentent que 12,5% des émissions de CO2 et les différents scénarios effectués font apparaître une assez faible participation sur le marché des quotas. Il convient de préciser que c’est également le cas de la France du fait que les émissions de ses secteurs éligibles sont très faibles (6% du total de l’Union), en raison de la prépondérance du nucléaire dans la production d’électricité.
29En ce qui concerne les autres pays/régions, ilssont au nombre de 13, ce qui fait 21 au total. Le modèle individualise ainsi les grands pays en développement : la Chine, l’Inde et le Brésil. La nomenclature est maintenant analogue à celle des autres grands modèles d’équilibre général calculable, en particulier le modèle EPPA du MIT (Babiker et alii, 2001 ; Babiker et alii, 2003) et le modèle WorldScan du B ureau Central de Planification hollandais (Bollen et alii, 1999) qui individualisent aussi les plus grands pays de l’Union Européenne.
…sectorielle
30La différenciation entre secteurs éligibles et secteurs non éligibles a conduit à désagréger l’industrie en 4 sous-secteurs, dont 3 éligibles. Avec l’électricité et les produits pétroliers, 5 des 14 secteurs sont constitués d’entreprises éligibles (cf. tableau 2).
31Il convient de bien préciser que la classification éligible-non éligible ne recoupe pas exactement la classification sectorielle et que certains sites éligibles figurent dans des secteurs considérés comme non éligibles du fait de leur activité principale. C’est le cas notamment dans la chimie des chaufferies qui relèvent de la directive de l’énergie. Elles jouent un rôle important en Allemagne, d’où une sensible sous-estimation (proche de 30%) dans le modèle des émissions des sites éligibles et donc une prédominance moins marquée du secteur électrique dans le total. Ce biais affecte les résultats numériques mais ne remet pas en cause l’argumentation générale.
32Dans la même voie de désagrégation sectorielle, les transports ont été séparés des télécommunications et ventilés en 3 sous-secteurs.
pays et régions décrits par GEMINI-E3 - Données structurelles
pays et régions décrits par GEMINI-E3 - Données structurelles
nomenclature sectorielle de GEMINI-E3
nomenclature sectorielle de GEMINI-E3
Une nouvelle base de données et un nouveau compte de référence
33La construction d’un modèle de grande taille a conduit à établir une nouvelle base de données, issue pour l’essentiel d’une base de données générale (GTAP 5) élaborée par l’Université de Purdue dans l’Indiana (Hertel, 1997). Cette université, spécialisée entre autres dans l’économie agricole, a maintenant une expérience longue dans ce domaine et a bénéficié pour la nouvelle version de nombreux concours, celui notamment du Département de l’Énergie américain en ce qui concerne l’énergie et les émissionsde CO2. C’est la basede données la plus généralement utilisée par les équipes de modélisation d’équilibre général, ce qui facilitera grandement la comparaison des résultats de GEMINI-E3 avec ceux obtenus avec les autres modèles internationaux.
34Le compte central est lui-même fondé sur les dernières prévisions à long terme du Département de l’Énergie américain (DOE/EIA, 2003) qui pour la première fois porte sur l’horizon 2025. Le tableau 3 donne les principaux éléments de ce compte prévisionnel, les taux de croissance du PIB et les émissions de carbone pour 2010 et 2020.
Une plus grande taille mais la même logique économique et la même méthode d’utilisation
35Si le modèle est ainsi d’une taille sensiblement accrue, la logique économique sur laquelle il est fondé et qui a fait preuve de sa pertinence est restée inchangée, ainsi que la méthode d’utilisation qui tient principalement dans l’exploitation et la présentation des résultats. Il convient de s’y arrêter quelque peu car cela est nécessaire pour bien comprendre les résultats obtenus.
L’architecture générale
36Le modèle suit en totalité le paradigme de la théorie de l’équilibre général, reposant sur l’hypothèse de comportement concurrentiel des agents économiques (qui sont “price-taker”) et de détermination des prix de marché par la confrontation de l’offre à la demande sans rationnement [8]. Il y a autant de prix – et de marchés – que de biens et l’équilibre sur tous les marchés, sauf un, assure l’équilibre sur le dernier marché (loi de Walras [9] ). À ce schéma général et standard, il convient d’apporter les précisions suivantes.
taux de croissance du PIB et émissions de carbone – Compte de référence
taux de croissance du PIB et émissions de carbone – Compte de référence
37La première est que les “ mêmes ” biens produits par deux pays ne sont pas considérés comme identiques, mais comme des substituts plus ou moins proches, et ont de ce fait des prix différents. Cette hypothèse, dite “ d’Armington ”, est nécessaire pour éviter la spécialisation totale des économies, laquelle n’aurait pas de sens au faible niveau d’agrégation de ce type de modèle (Armington, 1969). L a concurrence entre les pays – ou symétriquement le degré de protection du marché national – dépend de l’hypothèse de substituabilité entre les biens. Le paramètre correspondant joue un grand rôle dans le phénomène de délocalisation dit du “ leakage ”, c’est-à-dire le déplacement des activités intensives en énergie entre les pays appartenant à l’annexe B et les autres pays [10].
38La seconde est l’articulation des systèmes de prix entre périodes et entre pays. Entre périodes, ceci résulte de l’application d’un taux d’intérêt, entre pays, d’un taux de change. Dans les deux cas, il faut définir un numéraire (bien dont le prix est fixé à 1) mais le choix du numéraire est évidemment sans incidence. Le numéraire retenu est le travail (homogène dans chaque pays et à chaque période) et le taux de change entre deux pays à une période donnée reflète leur prix – c’est-à-dire leur valeur – relatif [11]. Il est ensuite possible depasser àun tauxde change reflétant non pas un facteur de production mais un bien, ou un panier de biens tel que le PIB. On obtient alors un taux de change réel, qui reflète l’évolution relative de la valeur des biens produits par les deux pays, et par suite les termes de l’échange (cf. infra).
39Le fait que des pays appartiennent à une même zone monétaire, comme par exemple celle de l’euro, n’implique aucunement que le taux de change réel soit constant. Pas plus que n’est constant le taux de change réel entre deux régions d’un même pays : si, selon un paradigme célèbre, l’une ne produit que du vin et l’autre que du drap et que le vin s’apprécie par rapport au drap, il en résultera une appréciation du tauxde change réel du premier par rapport ausecond. Les mêmes considérations valent pour le temps et le taux d’intérêt.
Les résultats microéconomiques
40Le fonctionnement du modèle fournit pour un scénario donné les valeurs de toutes les variables, à savoir les prix (y compris les taux d’intérêt et de change) et les quantités, offre de biens et demande de facteurs par tous les producteurs, demande finale de chaque catégorie de ménages, ainsi que la demande finale des administrations (considérée le plus souvent dans ce type de modèle et en particulier dans GEMINI-E3 comme exogène).
41Certains résultats microéconomiques sont intéressants par eux-mêmes, en particulier les prix du carbone ou les taux de taxe correspondants. C’est le casen particulier du prix des quotaséchangés entre les entreprises éligibles européennes. Les taux de change et d’intérêt exprimés à partir du numéraire travail sont peu parlants en eux-mêmes et il est nécessaire de procéder à des agrégations pour obtenir des grandeurs douées de sens économique.
Les résultats macroéconomiques
42Parmi les résultats agrégés, il y a les agrégats macroéconomiques traditionnels de la comptabilité nationale, le PIB, la consommation, la formation brute de capital fixe, les importations et les exportations, tant en volume qu’en valeur, et par division les prix. Ils sont un passage obligé pour calculer les taux d’intérêt et taux de change relatifs au numéraire défini par le PIB, soit l’agrégat qui reflète la production d’un pays.
43Mais les résultats les plus intéressants sont ceux relatifs aux coûts macroéconomiques, ou coûts de bien-être [12], qui mesurent en termes d’équivalence la perte de revenu du pays (plus particulièrement la perte de pouvoir d’achat des consommateurs). L’indicateur correspondant est le surplus (au sens de Dupuit) ou, selon la terminologie anglo-saxonne, l’EVI (Equivalent Variation of Income [13] ).
44Il est éclairant de décomposer le surplus en deux coûts, un coût interne (provenant de la déformation du système interne de prix, sous l’effet de la fiscalité environnementale ou sous celui, comparable, d’un marché de permis de polluer) et un coût importé. Le coût interne reflète l’effet de distorsion fiscale et on le désigne en général par le terme de “coût de distorsion fiscale” (en anglais Deadweight Loss of Taxation – DWL) : c’est évidemment le seul qui existe en économie fermée [14]. Le coût importé est le transfert réel de revenu résultant de la modification des prix internationaux et se traduisant, soit par des gains des termes de l’échange (si le prix des exportations s’apprécie par rapport à celui des importations), soit au contraire des pertes.
45Les termes de l’échange jouent un rôle important dans la variation de pouvoir d’achat – et par suite de bien-être – des pays, notamment dans le contexte d’une politique visant ou contribuant à réduire la demande d’énergie fossile. Les pays exportateurs sont “ perdants ”, puisqu’ils voient le prix de leurs exportations baisser, les pays importateurs gagnants. Mais le phénomène est beaucoup plus général et difficile à analyser de manière globale, car tout pays est à la fois importateur et exportateur, directement ou indirectement, d’énergie fossile. On a pu constater qu’avec un modèle plus désagrégé géographiquement et qui individualise les principaux pays de l’Union Européenne, qui effectuent entre eux l’essentiel de leur commerce extérieur, lestermesde l’échange ontunpoids accrû.
46Le calcul du coût de distorsion fiscale permet de déterminer le coût marginal associé, à savoir le coût marginal d’abattement. Dans un monde sans distorsion (“optimum de premier rang” dans la terminologie des économistes), le coût marginal est égal à la taxe environnementale, ou au prix d’équilibre du marché des permis. Avec des distorsions, les deux grandeurs ne coïncident plus en général et l’expérience des versions antérieures du modèle fait apparaître que le coût marginal est supérieur au prix de marché ou à la taxe, l’écart étant plus important pour la France et le Japon que pour les États-Unis et les autres pays européens (Bernard et Vielle, 2000; Bernard et Vielle, 2003a). Ce résultat est important car il permet d’expliquer pourquoi un marché depermisn’est pas toujours avantageux pour tous les pays (Babiber et alii, 2004).
47En cas d’un marché international ou régional de permis (cas du marché des quotas mis en place par la directive européenne), il y a un troisième élément de “ coût ” pour les pays, à savoir la valeur des permis achetés ou vendus. Pour l’analyse, il peut être regroupé avecle coûtde distorsionfiscale, puisquele total mesure alors le coût pour le pays de se conformer à l’engagement de réduction des émissions souscrit dans le cadre du protocole de Kyoto, hors effet des termes de l’échange. Les mécanismes de flexibilité, tant ceux du protocole (externes à l’Union Européenne) que ceux promus par la directive européenne visent à réduire ce coût pour tous les pays concernés, mais comme il a été évoqué précédemment, ce résultat n’est pas automatique.
Le protocole de Kyoto et la “valeur” du carbone
48Avant de simuler la directive européenne, il est important de cerner la “ valeur du carbone ”, telle qu’elle est reflétée dans le protocole de Kyoto.
49Idéalement, la valeur d’un bien environnemental – ici une pollution – est représentée par le dommage marginal. La prise encomptede ce coût parlesagents économiques, au moyen d’une taxe ou d’un marché de permis, permet d’internaliser le coût externe et d’atteindre l’optimum économique.
Les scénarios de mise en œuvre de Kyoto
50Dans le cas de l’effet de serre, lesdommagessont mal connus et l’approche retenue dans le protocole de Kyoto est très différente, puisqu’elle a consisté, compte tenu de cette ignorance et pour tenir compte des raisons d’équité, de déterminer des engagements de réduction pour les seuls pays développés (annexe B). Parallèlement, le protocole de Kyoto prévoit différents instruments de flexibilité, entreles pays de l’annexe B mais aussi avec les pays hors annexe B (Mécanisme de Développement Propre), permettant que les engagements souscrits soient atteints au moindre coût. La “ valeur ” du carbone est celle, unique a priori, qui reflète la contrainte environnementale globale. L e scénario correspondant est celui d’un marché international des permis, auquel participeraient notamment tous les pays de l’annexe B sauf bien évidemment les États-Unis. Ce scénario, appelé par la suite KyotopermisAnnB, retient après la première période d’engagement définie à Kyoto (2008-2012) une hypothèse de stabilité en niveau des montants d’émission pour les pays de l’annexe B et la non prise en compte de limitations d’émission pour les autres pays (principalement les pays en voie de développement), cette hypothèse étant celle communément appelée “ Kyoto Forever ”.
51À ce scénario central, il est intéressant de comparer d’autres scénarios consistant à limiter ou à accroître le jeu des mécanismes de flexibilité. Tout d’abord un scénario avec un marché limité aux pays de l’Union Européenne. Il ne s’agit pas d’un marché de quotas au sens de la directive puisque tous les secteurs sont supposés participer. Un tel scénario réduit très sensiblement le recours aux mécanismes de flexibilité et en particulier aux possibilités d’achat du gisement de permis constitué par le “ Hot Air ” russe (Bernard et alii, 2003b ; Haurie et Viguier, 2003). Ce scénario appelé KyotopermisEU suppose donc que seuls les pays de l’Union Européenne instaurent un marché de permis d’émission accessible pour tous les secteurs et les agents. Les autres pays de l’annexe B sauf les États-Unis et l’ex-Union Soviétique recourent à la mise en place d’une taxe sur le carbone sans mécanisme de flexibilité. L’ex-Union Soviétique, dans ce cas, ne met en œuvre aucune mesure de limitation de ses émissions et se contente d’utiliser son “Hot Air ” suffisant sur la période 2010-2025 pour remplir ses engagements compte tenu de l’hypothèse “ Kyoto Forever”. Les États-Unis n’intègrent pas de politique de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
52À l’extrême de la rigidité se trouve le scénario de taxes nationales (appelé par la suite Kyototax), dans lequel chaque pays remplit par lui-même la totalité de ses engagements. Les États-Unis et l’ex-Union Soviétique adoptent le même comportement que celui décrit dans le scénario KyotopermisEU.
53À l’autre extrême se situe un scénario (appelé KyotoWorld) dans lequel on suppose une participation des pays hors annexe B, supposés dotés en 2010 de droits égaux à leurs émissions tendancielles. C’est une façon indirecte de prendre en compte – de manière excessivement large et quelque peu irréaliste – le Mécanisme de Développement Propre. Mais le prix correspondant mesure véritablement le coût dual de la contrainte globale, à savoir la meilleure façon d’atteindre l’objectif (engagements pour les pays de l’annexe B, émissions tendancielles pour les autres). On peut supposer, dans ce cadre d’hypothèses, la participation des États-Unis. Ce scénario retient de plus un objectif de réduction beaucoup plus ambitieux égal à une baisse des émissions mondiales de CO2 de 25% à l’horizon 2020. Alors que pour les trois scénarios précédents l’objectif de réduction est bien plus limité et égal à une baisse de 4% des émissions mondiales, si les objectifs ne sont pas comparables, ce scénario mondial permet de situer les autres configurations qui découlent du protocole de Kyoto par rapport à un accord plus large et qui profiterait d’une flexibilité accrue.
54Nous présenterons d’abord les résultats comparatifs des 4 scénarios, puis de manière plus détaillée les résultats des scénarios “permis européen” (KyotopermisEU ) et “ taxes nationales ” (Kyototax), qui serviront de base dans la définition des scénarios quotas.
Résultats comparatifs des variantes
55Ils sont présentés dans les quatre graphiques suivants, relatifs au prix du carbone et aux coûts pour l’ensemble du monde, pour l’Union Européenne et pour la France.
Le prix du carbone en Europe
56Le graphique 1 montre bien que le prix du carbone en Europe croît fortement quand la flexibilité diminue. En particulier, sans recours aux mécanismes de flexibilité externes à l’Europe, le prix moyen en Europe est de 145 à 167 $1997 par tonne de carbone ($1997/tC) en 2010, contre 17 à 25 dans les deux autres scénarios.
Les coûts de bien-être
57La hiérarchie des coûts suit celle des prix du carbone,
sauf en ce qui concerne la variante mondiale, qui fait
apparaître une croissance rapide après 2010, laquelle
s’explique par le niveau d’abattement mondial
beaucoup plus élevé, ceci malgré la participation
supposée des États-Unis.
Si le scénario KyotoPermisEU permet bien de
réduire le prix du carbone et le coût de bien-être du
protocole de Kyoto par rapport à un scénario sans
mécanismes de flexibilité (KyotoTax), c’est bien le
recours à des réductions d’émission en dehors de
l’Europe qui génère des gains très importants
notamment en termes de bien-être. Ce phénomène
provient bien évidemment du fait que les coûts
marginaux d’abattement du CO2 sont relativement
proches au sein des pays de l’Union Européenne. Le
gain de la flexibilité au niveau européen est donc
faible (comparé à une flexibilité externe à l’Europe),
même si celui-ci peut être important pour certains
pays. C’est ce phénomène qui explique la proximité
des courbes des scénarios KyotoPermisEU et
Kyototax. Au contraire, le coût marginal
d’abattement des pays européens est bien plus élevé
que cesceux des pays en voie dedéveloppement et de
l’ex-Union Soviétique et l’échange de permis est
donc plus profitable.
prix du carbone en ($1997/tC)
prix du carbone en ($1997/tC)
coût de bien être mondial
coût de bien être mondial
coût de bien être pour l’Union
coût de bien être pour l’Union
58Pourla France, l’absence derecours auxmécanismes de flexibilité s’avère coûteux, en particulier les mécanismes externes, car un marché de permis européen lui apporte relativement peu.
coût de bien être pour la France
coût de bien être pour la France
59Dans le cas de la plus grande flexibilité, la France est durablement gagnante grâce aux termes de l’échange [15] (c’est lecasdesautres paysde l’Europe, mais seulement en 2010).
Scénario taxes nationales
60Les objectifs deréductiondesémissionssontceuxdu protocole, complétés en ce qui concerne les pays européensde l’accord departage intervenu ausein de l’Union. Par rapport aux évolutions tendancielles, les taux d’effort (pourcentage de baisse par rapport à l’évolution tendancielle) sont assez variables d’un pays à l’autre, avec en Europe comme extrêmes l’Allemagne et les Pays-Bas.
61Ce scénario donne donc des niveaux de taxe très différents, avec en Europe une échelle allant de 1 à 7 en 2010 et de 1 à 6 en 2020.
62En ce qui concerne le coûtde bien-être, les écartssont également élevés entre les pays, ceux qui apparaissent les plus pénalisés étant l’Italie et l’Espagne.
taxe sur le Carbone en ($ 1997/tC)
taxe sur le Carbone en ($ 1997/tC)
coût de bien-être en % de la consommation finale – Scénario Kyototax
coût de bien-être en % de la consommation finale – Scénario Kyototax
Scénario de permis européens
63Dans un tel scénario, les pays avec un faible coût d’abattement (en l’occurrence l’Allemagne, la Grande-Bretagne et les autres pays européens) vendent aux pays à coûts élevés. Ces échanges de permis conduisent, comme le montre le tableau ci-dessous, à rapprocher les taux d’effort des pays (pourcentage de réduction par rapport aux émissions tendancielles) qui se situent maintenant dans une fourchette allant de-12% pour la France à -20% pour la Grande-Bretagne.
variation en % des émissions de carbone – Scénario Kyototax [16]
variation en % des émissions de carbone – Scénario Kyototax [16]
64Si le coût pour l’ensemble de l’Union diminue, ce n’est pas le cas pour tous les pays. En particulier les Pays-Bas sont perdants, ce qui s’explique par l’évolution défavorable pour eux des termes de l’échange et aussi certainement par un coût marginal d’abattement supérieur à la taxe qui conduit à des échanges désavantageux pour les Pays-Bas. Ce mécanisme a notamment été mis en évidence dans Bernard et Vielle (2000) et Bakiker et alii (2004). On peut en effet montrer que lorsque le coût marginal d’abattement est plus important que la taxe, un marché de droits d’émission basé sur les taxes carbonecomparé àunmarchéd’émission basé sur les coûts marginaux d’abattement est favorable aux vendeurs nets et donc défavorable aux acheteurs nets.
65On peut résumer les résultats précédents de la façon suivante. Le non recours aux mécanismes externes de flexibilité est coûteux pour l’Union Européenne, avec des prix du carbone et des coûts de bien-être élevés, en particulier pour certains pays (Pays-Bas, Italie, Espagne). Un mécanisme de marché de type permis interne à l’Union ne fait baisser le prix moyen du carbone que marginalement et réduit le coût global dans de faibles proportions, en ne réduisant pas véritablement les disparités entre pays.
66On peut donc s’attendre à ce qu’un marché des quotas selon le mécanisme prévu par la directive européenne, plus limité qu’un marché généralisé des permis ou une taxe uniforme dans tous les pays, apporte des gains limités. De plus, la liberté laissée aux gouvernements nationaux dans la fixation du niveau des quotas alloués et dans leur allocation peut conduire à des équilibres peu satisfaisants du point de vue de l’efficacité globale. C’est ce qui sera examiné maintenant, en supposant qu’aucun pays n’ait recoursauxmécanismes deflexibilité externes.
coût de bien-être en % de la consommation finale – KyotopermisEU
coût de bien-être en % de la consommation finale – KyotopermisEU
Les scénarios de quotas de la directive européenne
Le processus et les règles générales de fixation et d’allocation des quotas
67On considérera désormais non plus une allocation théorique des quotas visant un objectif d’efficacité économique global – qui suppose une concertation étroite entre tous les pays européens [17] – mais les différentes règles pragmatiques envisageables, en particulier celles suggérées par la directive.
68La mise en œuvre d’un marché européen de permis d’émission négociables pour le CO2 pose le problème central de l’allocation des quotas d’émission aux entreprises éligibles (cf. graphique 5). En accord avec l’article 4 du protocole de Kyoto, l’Union Européenne devait procéder à une redistribution des quotas d’émission entre les États membres qui permette de respecter l’objectif d’une réduction globale de 8% pour l’ensemble de la Communauté européenne. C’est chose faite avec l’accord politique conclu en juin 1998, connu comme étant l’accord de “partage des charges ”, définissant les objectifs de réduction de chaque pays européen (de-21% en Allemagne à +27% au Portugal).
variation en % des émissions de carbone et ventes nettes de permis en Mt de C
variation en % des émissions de carbone et ventes nettes de permis en Mt de C
69Compte tenu de ces objectifs nationaux, chaque État membre est tenu de prendre une décision finale concernant le nombre de tonnes à prévoir pour la “bulle” constituée des secteurs ayant accès au système d’échange de droits d’émission ainsi que le nombre de tonnes de réduction des émissions à atteindre par l’intermédiaire des autres politiques et mesures dans les secteurs non éligibles.
70Comme l’indique le graphique 5, les États ont aussi la possibilité d’avoir recours aux mécanismes de flexibilité externes à l’Union Européenne, c’est-à-direavec des paysde l’annexeB dans le cadre de la Mise en Œuvre Conjointe ou d’un marché de permis d’émission négociables, ou avec des pays en développement (n’appartenant pas donc à l’annexe B) dans le cadre du Mécanisme de Développement Propre. Certains paysont déjà faitsavoir leur volonté de recourir à ces instruments. C’est le cas de l’Espagne, de l’Italie et des Pays-Bas, pays qui apparaissent dans les simulations comme des pays potentiellement acheteurs. La France s’est elle aussi déclarée intéressée par l’utilisation de cette flexibilité externe. Ces achats de crédits peuvent bien évidemment être utilisés pour augmenter l’allocation de quotas aux secteurs éligibles. Dans ce cas, la contrainte qui s’exercera sur les entreprises peut être plus faible que celle qui pèsera sur l’économie du pays et, en conséquence, le prix des quotas peut être inférieur au prix de revient du droit d’émissionachetéen dehors del’UnionEuropéenne.
71Se pose ensuite la question du choix du mode d’octroi des quotas d’émission aux secteurs et entreprises éligibles. Différentes règles d’allocation des quotas sont envisageables. Les quantités totales de quotas délivrés aux entités éligibles sont essentiellement laissées à l’appréciation des États membres. Toutefois, pour assurer la transparence et l’équité des procédures d’octroi de quotas, les États membres sont tenus de publier et de soumettre à l’avance à la Commission un plan national d’octroi des quotas d’émission respectant un ensemble de critères applicables dans toute l’Union européenne (EC, 2001). La directive propose que les États membres octroient des quotas aux installations participantes à titre gratuit [18]. Pour établir leur plan national d’octroi de quotas, les États membres doivent (i) prendre en considération le potentiel technologique de réduction des émissions directes de gaz à effet de serre propre aux installations concernées et (ii) n’opérer aucune discrimination entre entreprises ou secteurs qui soit susceptible d’avantager indûment certaines entreprises ou activités. La Commission entend ainsi empêcher les États membres d’adopter des comportements stratégiques et de tenter de favoriser leurs industries nationales par le biais de l’allocation initiale des quotas d’émission (Viguier et alii, 2004).
72Pourtant, le nombre de combinaisons possibles et donc le nombre de scénarios susceptibles d’être évalués est quasiment illimité. Il est donc nécessaire de suivre une démarche progressive permettant de mettre en évidence les paramètres les plus importants. La démarche retenue comporte deux étapes : dans la première, les différentes règles générales de fixation et d’allocation des quotas sont définies et testées en supposant un comportement uniforme dans tous les pays. Dans la seconde étape, en retenant la règle qui se révèle la plus efficace collectivement, nous examinerons comment des choix différents des pays, principalement sur le montant total alloué, peuvent influencer l’équilibre du marché.
processus d’allocation des quotas au sein de l’Union Européenne
processus d’allocation des quotas au sein de l’Union Européenne
73La simulation doit permettre des comparaisons entre les différentes règles d’allocation (EC, 2003a). Nous avons choisi de ne pas décrire aussi exactement que possible l’allocation de chaque État mais de retenir deux approches basées sur les émissions passées et deux approches fondées sur le critère de l’efficacité économique :
Grandfathering
74Les quotas sont alloués par secteur en fonction des
émissions passées compte tenu d’un objectif
commun de réduction (par pays et par secteur) :
où reft représente l’année de référence (plusieurs variantes ont été testées : 1997,2001,2010) et obj l’objectif de réduction. Nous avons retenu de manière uniforme un objectif de 25%. Ce chiffre conduit en effet à des montants totaux d’allocation comparables à ceux des autres règles.
Plans nationaux de lutte contre le changement climatique (PNLCC)
75Cette approche revient à fixer les quotas sur la base des réductions envisagées par les PNLCC pour les secteurs éligibles. À l’heure actuelle cette information n’est pas disponible [19]. En supposant que les plans nationaux seront basés sur des critères d’efficacité économique conduisant à une égalisation des coûts marginaux de réduction par agents et par secteurs, il est possible d’approximer ces réductions en retenant les résultats du scénario “ taxes nationales ”. Cette règle s’apparente à la méthode c proposée par la Commission et appelée “ Least-Cost approach ”.
76Les quotas alloués aux secteurs éligibles sont alors
définis par :
Émissions historiques
77Ce système est proche du “ Grandfathering ”, les
quotas étant alloués sur la base de l’objectif national
de réduction et de la part du secteur éligible dans les
émissions actuelles. Il correspond à la méthode a
proposée par la Commission européenne dans son
Non-Paper (EC, 2003b) :
où Ekyoto2001 est l’objectif en matière d’émission défini à Kyoto.
78PLCC européen (PEU)
79Cette règle consiste à fixer les quotas sur la base des
émissions résultant d’un Plan de Lutte contre le
Changement Climatique établi au niveau européen.
De manière analogue au cas précédent, un tel plan
peut être approximé par le scénario “permis
européen”, qui applique à tous les agents
économiques européens un même prix du carbone.
Elle a pour propriété de conduire à des échanges nets
nuls, tant entre secteurs qu’entre pays.
Les quotas alloués
80L’application des règles définies ci-dessus conduit aux montants suivants de quotas alloués :
Le montant total
81Un premier élément de comparaison est le montant total de quotas alloués aux secteurs éligibles dans l’ensemble de l’Union Européenne.
82Les différents modes d’allocation envisagés donnent des montant totaux voisins pour l’année 2010, compris entre 250 et 270 millions de tonnes de carbone, à l’exception de la règle historique qui donne un montant sensiblement plus élevé. Il faut de plus noter que si les règles “ grandfathering ” et “ historique ” conduisent à des montants d’allocation inchangés pour l’année 2020 par rapport à l’année 2010, il n’en est pas de même pour les autres règles. En effet, les scénarios Kyototax et KyotoPermisEU sur lesquels sont basées les règles PNLCC et PEU font apparaître une contribution croissante des secteurs éligibles à la réduction des émissions de CO2, ceci malgré un abattement identique pour les années 2010 et 2020 (hypothèse “ KyotoForever ”). En 2020, les quotas alloués aux secteurs éligibles sont donc de manière générale en décroissance par rapport à l’année 2010 dans les règles PNLCC et PEU.
La répartition géographique
83Elle est à l’évidence très dépendante, quel que soit la règle générale d’allocation, du niveau des émissions des secteurs éligibles dans la situation actuelle. L’Allemagne est le pays qui a le plus de quotas (en moyenne il représente 30% des quotas) et est donc le pays clef dans un marché des quotas. Viennent ensuite la Grande-Bretagne (16%) et l’Italie (14%). La part faible de la France – comparable à celle des Pays-B as – s’explique évidemment par les spécificités deson parcde productionélectriquebasé à 95% sur des sources non émettrices de carbone (nucléaire et hydraulique).
montant total des quotas alloués en Mt C
montant total des quotas alloués en Mt C
quotas alloués par région en 2010 en Mt C
quotas alloués par région en 2010 en Mt C
84Les diverses règles d’allocation font varier les poids relatifs des pays, mais dans des proportions relativement faibles. C’est ainsi que le Grandfathering basé sur les émissions de 1997 est plutôt favorable à l’Allemagne.
La répartition sectorielle
85La répartition par secteur fait apparaître le rôle prépondérant du secteur électrique, avecplusde 70% des quotas alloués. Le choix de la règle de calcul fait peu varier les allocations par secteur.
Une allocation des quotas qui assure l’optimalité de la répartition des réductions au sein de l’Union Européenne
86Bien que le mécanisme de marché mis en place par la directive Européenne soit partiel, on peut se demander s’il est suffisant pour une répartition de l’effort entre secteurs (éligibles et non éligibles) et entre pays qui soit “optimale” (efficace), c’est-à-dire qui instaure un prix unique du carbone dans l’ensemble de l’Union Européenne. Ceci implique évidemment une allocation sectorielle des quotas bien définie par les Gouvernements. La réponse est affirmative et le raisonnement sous-jacent est simple. On peut le modéliser pour la clarté de la présentation, en se limitant au cas où il n’est pas fait appel aux mécanismes de flexibilité du protocole de Kyoto (scénario KyotoPermisEU).
quotas alloués par secteur en 2010 en Mt C
quotas alloués par secteur en 2010 en Mt C
87En se limitant aux seuls instruments de la directive Européenne et en considérant l’allocation de quotas par les Gouvernements nationaux comme des variables endogènes, le modèle d’optimisation peut s’écrire sous la forme suivante.
Notations
88En distinguant dans chaque pays le secteur éligible
(1) du secteur non-éligible (2), on exprimera les
variables du modèle par les notations suivantes :
En : émissions tendancielles du secteur i dans le pays
i n (1 à N)
89Dn : droits d’émission globaux du pays n (exogènes, définis par la bulle européenne)
90An : volume d’abattement des émissions du secteur i i dans le pays n qn : quota alloué au secteur éligible dans le pays n an : achatdequotasparlesecteur éligible du paysn Cn : coût total d’abattement des émissions du secteur i i dans le pays n (fonction du volume d’abattement)
Modélisation
91Il s’agit dans une première étape de minimiser le coût
global d’abattement dans l’Union, ce qui se
représentepar le programmemathématique suivant :
sous les contraintes :
cette dernière exprimant l’équilibre sur le marché des quotas [20]. En écrivant le Lagrangien sous la forme :
il résulte les conditions d’optimalité suivantes :
E lles expriment que les coûts marginaux d’abattement (les ?n ) sont égaux entre secteurs et i entre pays et ceci résulte, d’une part, de l’existence d’un marché des quotas et, d’autre part, de la possibilité pour chaque pays d’allouer librement le volume des quotas au secteur éligible. On obtient ainsi une situation identique à celle que donnerait un marché généralisé des permis au sein de l’Union Européenne.
92En sens inverse, on peut passer de la solution du marché généralisé des permis à la solution optimale du marché des quotas. Il suffit de donner au secteur éligible de chaque pays un montant de quotas égal à la somme de ses émissions effectives dans l’équilibre de marché généralisé et des ventes totales de permis du pays. Le fonctionnement du marché des quotas va exactement allouer les mêmes ventes et achats de permis aux secteurs éligibles sous forme de ventes et achats de quotas, d’où exactement les mêmes émissions dans les secteurs éligibles et par suite dans les secteurs non éligibles.
Application à la directive européenne
93L’application au cas de la directive européenne se fait immédiatement avec les résultats obtenus par le modèle GEMINI-E3. Celui-ci donne, pour le scénario de marché de permis européen généralisé (KyotoPermisEU), les allocations présentées dans le tableau 9 et, par suite, la répartition des quotas qui serait optimale dans un marché de ce type :
quotas alloués au secteur éligible en MtC
quotas alloués au secteur éligible en MtC
94Évidemment, ce sont les pays qui sont naturellement vendeurs de permis qui doivent allouer le plus de quotas à leurs secteurs éligibles. Au contraire, les pays acheteurs doivent allouer peu à ces secteurs, de manière à ce que ceux-ci achètent le montant de quotas permettant d’égaliser le prix du carbone dans les deux secteurs.
émissions et ventes nettes de permis – Scénario KyotoPermisEU en Mt C
émissions et ventes nettes de permis – Scénario KyotoPermisEU en Mt C
95On peut comparer cette allocation à celles que donneraient les deux autres règles principales envisagées par les instances communautaires : le “ grandfathering ” et l’allocation selon les PNLCC nationaux.
quotas alloués au secteur éligible selon la règle du “ grandfathering ”* en Mt C
quotas alloués au secteur éligible selon la règle du “ grandfathering ”* en Mt C
quotas alloués au secteur éligible selon la règle des PNLCC en Mt C
quotas alloués au secteur éligible selon la règle des PNLCC en Mt C
96Selon les pays, l’allocation optimale se situe au-dessus des deux autres (cas de la Grande-Bretagne) ouau-dessous(casde la France).
97Dans le cas de l’Allemagne, principal pays potentiellement vendeur de quotas, cette allocation optimale se situe entre les deux autres règles, comme le montre le graphique 10.
98On peut s’interroger sur la stabilité de cet équilibre, en particulier sur l’intérêt pour chacun des pays de s’en écarter. Il est facile de vérifier qu’il y a bien stabilité locale : une petite variation du montant des quotas alloués par un pays conduit à une réduction de bien-être. Rappelons que dans cette modélisation on ne prend pas en compte les échanges de biens et services, tant intra-communautaires qu’extracommunautaires, et donc les gains ou pertes de termes de l’échange qui peuvent affecter le résultat. En revanche, dans le même cadre d’hypothèses, il y a des gains possibles pour des pays dans un comportement stratégique visant, soit à réduire l’offre de permis (en réduisant le volume de quotas alloués, c’est en particulier le cas de l’Allemagne), soit à réduire la demande (en augmentant le volume de quotas, c’est le cas de pays acheteurs comme les Pays-Bas et l’Italie), mais les gains potentiels sont plus faibles car ils pèsent moins sur le marché des quotas (Viguier et alii, 2004).
Les résultats des scénarios avec comportement uniforme des pays
99Rappelons que dans ce premier jeu de scénarios, les choix des gouvernements sont supposés homogènes : ils adoptent la même règle d’allocation desquotas. S’agissantdessecteursnon éligibleset en particulier des ménages, il est fait l’hypothèse conventionnelle qu’ils sont soumis à une taxe sur le carbone uniforme (dans chaque pays) telle que chacun d’eux assure la réalisation des engagements de la bulle européenne sans recours aux mécanismes de flexibilité externes prévus par le protocole de Kyoto. Une telle hypothèse conventionnelle peut recouvrir différentes modalités techniques de mise en œuvre, par exemple des mesures réglementaires ou des normes tirées des PNLCC et supposées optimisées (c’est-à-dire conduisant à un même coût marginal d’abattement entre les secteurs non éligibles).
allocation de quotas France en Mt C
allocation de quotas France en Mt C
allocation de quotas de l’Allemagne en Mt C
allocation de quotas de l’Allemagne en Mt C
Le prix d’équilibre du marché des quotas
100On doit évidemment s’attendre à ce que le prix des quotas soit d’autant plus élevé que le volume alloué est faible, et c’est bien ce que montrent les simulations effectuées. Si pour l’année 2010 les prix d’équilibre des quotas des différentes règles sont proches, il n’en est pas de même pour l’année 2020, pour laquelle la baisse des quotas alloués aux secteurs éligibles pour les règles PNLCC et PEU conduit à une augmentation du prix des quotas.
prix des quotas ($ 1997/tC)
prix des quotas ($ 1997/tC)
prix des quotas en ($ 1997/tC)
prix des quotas en ($ 1997/tC)
101Deux hypothèses de comportement des entreprises éligibles ont été testées : celle de non répercussion de la gratuité des quotas dans les prix et celle d’une répercussion intégrale.
102Dans le cas de répercussion sur les prix, le prix du quota est plus élevé et ceci pour une raison évidente : le montant de quotas disponible est le même mais la demande est plus forte car la baisse des prix de vente des entreprises éligibles accroît la demande qui s’adresseàelles et donc les émissions deCO2 exante. Ce qui peut apparaître étonnant est l’importance de l’écart (supérieur à 50%), montrant bien d’ailleurs la grande volatilité du prix dans un marché qui est relativement étroit.
Les échanges de quotas entre pays
103Le volume des échanges sur le marché des quotas peut être mesuré par les ventes de l’Allemagne, qui est presque toujours le seul vendeur. Les résultats (exprimés en millions de tonnes de carbone) correspondant aux deux hypothèses – sans et avec répercussiondeprix – figurentdans legraphique10.
ventes de quotas de l’Allemagne en Mt C
ventes de quotas de l’Allemagne en Mt C
104Le volume du marché est au maximum d’environ 20 millions de tonnes dans le cas de la règle “ Grandfathering 1997 ”. Il n’est que d’environ 10 millions de tonnes dans le cas d’une allocation basée sur les PNLCC. Dans le cas de l’allocation PEU, comme on pouvaits’yattendre, il n’y a pas demarché du tout. Enfin, l’hypothèse de répercussion de la gratuité des quotas dans les prix n’affecte pas le volume des quotas échangés par l’Allemagne.
Le prix du carbone dans les autres secteurs
105On peut raisonnablement s’attendre à ce que le prix des quotas et le prix du carbone [21] dans les autres secteurs varient en sens inverse : un prix faible des quotas signifie une allocation “ généreuse ” et donc un effort important demandé aux autres secteurs. Le graphique 14 représente le prix moyen pondéré (par les émissions de l’année de base, 1997) dans les pays de l’Union, lequel recouvre évidemment des disparités importantes entre eux.
106On peut observer que c’est l’allocation basée sur les PNLCC qui fait apparaître l’écart le plus faible entre prix du quota et prix moyen du carbone dans les autres secteurs, ce qui a priori est un signe d’efficacité économique. La hiérarchie entre les règles n’est pas modifiée selon l’hypothèse de répercussion prise en compte. De même, les prix du carbone sont très proches au sein de chaque règle avec ou sans répercussion.
Le coût de bien-être global pour l’Union Européenne
107Lescoûts de bien-être pour l’Europesontreprésentés dans le graphique 15.
108On peut constater que l’allocation sur la base des PNLCC se révèle la plus efficace pour l’Europe, aussi bien dans le cas avec répercussion de la gratuité sur les prix que dans le cas sans répercussion. En 2010, le scénario PNLCC avec répercussion se révèle plus favorable, mais ceci n’est plus vérifié en 2020 et après.
109De cet ensemble de scénarios avec comportement homogène des pays, il est possible de tirer de premiers enseignements :
- tout d’abord, la règle d’allocation des quotas influence fortement le volume des échanges des quotas et leur prix, ce qui fait apparaître une très grande volatilité de ce marché;
- l’Allemagne a une position dominante, étant le vendeur à peu près exclusif;
- la France, qui dispose dans tous les cas de figure de très peu de quotas, ne joue qu’un rôle marginal sur le marché;
- le volume de quotas alloués dans les secteurs éligibles affecte directement l’effort demandé aux autres secteurs et donc le prix du carbone qui en résulte. Ce prix est lui-même très variable d’un pays à l’autre. On vérifie bien la conjecture annoncée en introduction, à savoir que le mécanisme de marché mis en place au sein de l’Union pouvait avoir des effets distorsifs importants : entre secteurs éligibles et secteurs non-éligibles et, pour ces derniers, entre pays;
- ces effets de distorsion apparaissent déjà dans l’hypothèse d’un comportement homogène entre pays. Ils sont susceptibles de s’accroître ou de s’atténuer en fonction des choix effectués par chacun d’eux, plus particulièrement celui du montant des quotas alloués. C’est ce qui va être examiné maintenant.
prix moyen du carbone dans les secteurs non éligibles ($ 1997/tC)
prix moyen du carbone dans les secteurs non éligibles ($ 1997/tC)
coût de bien être pour l’Europe (en millions de $1997)
coût de bien être pour l’Europe (en millions de $1997)
Scénarios de quotas avec comportements différenciés des pays
110Il est tout à fait vraisemblable que les pays européens suivront des politiques diversifiées, en particulier concernant le recours aux instruments externes de flexibilité. Nous nous limiterons néanmoins dans l’analyse à venir au cas où 1) aucun pays ne recourt à ces instruments et 2) tous retiennent une règle identique pour allouer les quotas. La règle d’allocation qui apparaît la plus naturelle, et qui s’est révélée dans l’analyse précédente la plus efficace, est celle basée sur les PNLCC nationaux. Chaque gouvernement a pour degré de liberté d’allouer plus ou moins de quotas d’émission par rapport au montant qui résulterait de l’allocation de la règle PNLCC.
111Un autre degré de liberté, non contrôlé par les gouvernements, a trait au comportement des entreprises éligibles, avec les deux situations extrêmes de non répercussion dans les prix de la gratuité des permis et de répercussion totale.
112Enfin, le nombre d’“acteurs” dans ce “jeu” est important maisl’un a une position dominante. Nous nous intéresserons donc à la situation de l’Allemagne d’un côté, à celle de tous les autres pays de l’autre. En particulier, le coût de bien-être servira de fil conducteur.
113Partant du scénario basé sur les PNLCC, toute une série de simulations a été effectuée en faisant varier le montant des quotas alloués, soit seulement en Allemagne, soit en Allemagne et dans les autres pays avec différents pourcentages de variation. Les variations retenues sont faibles dans la fourchette plus ou moins 10%, l’encadré 1 explicite les scénarios présentés par la suite.
Analyse transversale
114Il apparaît que l’effet essentiel des variationsdansles
montants de quotas alloués est d’amplifier ou de
réduire les deux distorsions notées précédemment :
l’écart entre le prix du quota et le prix moyen du
carbone dans les autressecteurs, l’écartentre lesprix
du carbone hors secteurs éligibles dans les différents
pays. Deux indicateurs de disparité ont ainsi été
définis et calculés :
? : écart relatif (en valeur absolue) entre le prix du
quota et le prix moyen pondéré du carbone;
115? : écart type (pondéré) du prix du carbone dans les pays de l’Union.
116Pour les quatre principaux scénarios étudiés précédemment, nous obtenons les valeurs suivantes pour l’année 2010 (cf. tableau 13).
Encadré 1 : description des scénarios testés
indicateurs de disparité
indicateurs de disparité
117 Le scénario PNLCC présente globalement des valeurs plus faibles pour ces indicateurs de disparité que les autres scénarios.
118Pour mettre en évidence l’incidence des indicateurs de disparité sur le coût de bien-être global, il est possible d’estimer une relation économétrique entre ces grandeurs [22]. Cette estimation a été effectuée sur l’ensemble des scénarios étudiés (à l’exception de ceux correspondants à la règle d’allocation historique, quise révèle trèséloignéedesautres), soit 18 au total. Les résultatsobtenus sontlessuivants [23] :
119Pour l’année 2010 :
Examen du scénario le plus efficace
120Parmi tous les scénarios basés sur les PNLCC étudiés, celui qui s’est révélé globalement le plus efficace correspond au cas où les quotas alloués en Allemagne sont supérieurs de 10% aux émissions du PNLCC (les quotas étant calés sur les PNLCC pour les autres pays) et avec répercussion sur les prix. Ce scénario est appelé par la suite p10Alleq. Les indicateurs de disparité sont alors égaux à respectivement 18,6% et 47,8% en 2010, puis à 0,4% et 47,0% en 2020. Le coût total de bien-être s’élève à 9,1 milliards de $1997 en 2010 et 20,9 milliards de $1997 en 2020.
prix du carbone et prix du quota
prix du carbone et prix du quota
Comparaison prix des quotas – prix du carbone
121Le graphique16 représente leprix du quotaet les prix du carbone dans les différents pays. Il fait bien apparaître la proximité entre prix des quotas et prix moyen du carbone mais une dispersion relativement grande de ce dernier entre les pays.
Achats et ventes sur le marché des quotas
122Le graphique 17 représente les ventes et les achats de quotas par pays, avec une comparaison (courbes en pointillés) des ventes et des achats de permis correspondant au scénario KyotopermisEU. La Grande-Bretagne et les autres pays européens (OEU), qui sont vendeurs dans ce dernier cas de figure, nejouent qu’un rôle marginalsur lemarché.
123Le volume des échanges sur le marché des quotas est très inférieur, de l’ordre de la moitié, à celui d’un marché de permis européen englobant tous les secteurs.
ventes et achats de quotas en Mt C
ventes et achats de quotas en Mt C
coût de bien être par pays (en % de la consommation finale des ménages)
coût de bien être par pays (en % de la consommation finale des ménages)
Coût de bien-être par pays
124La même dispersion que sur les prix du carbone s’observe en ce qui concerne le coût de bien-être des pays de l’Union Européenne et il est intéressant de noter que cette dispersion est supérieure à celle obtenue dans le cas de taxes nationales, c’est-à-dire sans marché des quotas. Le graphique 18 compare de ce point de vue les deux scénarios [24].
125Le scénario fait apparaître un grand bénéficiaire, l’Allemagne, et des perdants, l’Italie, l’Espagne et les Pays-Bas (la France étant très légèrement bénéficiaire). Même si globalement le scénario sélectionné est celui qui minimise le coût de bien-être pour l’Union Européenne dans son ensemble, le fait que certains pays soient pénalisés conduit à envisager qu’ils modifient leur stratégie.
126Le plus vraisemblable est qu’ils recourent aux instruments de flexibilité externe. On peut citer l’exemple des Pays-Bas qui ont depuis longtemps manifesté l’intention de recourir aux instruments de flexibilité pour la moitié de leur engagement. Le marché des quotas ne pouvant leur fournir qu’un appoint limité et à un prix très élevé, c’est donc bien versles mécanismesexternesqu’ils vont setourner.
127En restant dans le contexte d’un marché de quotas limité à un nombre restreint de secteurs, les pays peuvent influencer le marché en allouant plus ou moins de quotas à leurs entreprises. On entrevoit la possibilité d’un jeu complexe entre les pays, qui mériterait une analyse plus approfondie. Pour alimenter cette analyse, on peut se reporter aux graphiques 19 et 20 qui représentent la situation de l’Allemagne et celle de tous les autres pays selon le montant des quotas alloués (en plus ou en moins de la référence des PNLCC), pour les années 2010 et 2020.
coût de bien-être en 2010
coût de bien-être en 2010
coût de bien être en 2020
coût de bien être en 2020
128La situation de l’Allemagne est très sensible à l’allocation de quotas dans les autres pays. Elle est d’autant meilleure que ces derniers sont restrictifs dans leurs attributions de quotas.
Enseignements tirés et prolongements
129En visant à introduire un premier élément de flexibilité au sein de l’Union Européenne dans la mise en œuvre du protocole de Kyoto, la directive européenne sur les quotas crée simultanément des facteurs de rigidité et de disparité entre les pays. Le marché des quotas est cloisonné, sans communication avec les demandes ou offres potentielles des autres secteurs, qui ont à faire face à un coût du carbone plus élevé, en particulier dans quelques pays comme l’Italie, l’Espagne et les Pays-Bas.
130En ayant une position dominante sur le marché des quotas, l’Allemagne peut en tirer un grand avantage, supérieur même à celui que donnerait un marché européen des permis accessible à toutes les entreprises et tous les agents économiques. En contrepartie, certains pays seraient fortement pénalisés, supportant même un coût supérieur à ce que donnerait une politique purement nationale.
131La France est un acteur marginal sur le marché des quotas et n’est pratiquement pas affectée par la situation sur ce marché.
132Dans ces conditions, certains pays seront sans doute incités, soit à chercher à adopter un comportement stratégique pour contrecarrer la position dominante de l’Allemagne, soit plus vraisemblablement et plus naturellement à recourir aux mécanismes de flexibilité externes susceptibles de leur offrir des permis ou quasi-permis (Mécanisme de Développement Propre et de Mise en Œuvre Conjointe) à faible coût, ne considérant le marché des quotas que comme un appoint marginal pour leurs entreprises éligibles. En modulant le montant des quotas alloués, ils peuvent faire en sorte que le prix implicite du carbone dans les secteurs éligibles soit également faible, comparable à celui des autres secteurs.
133Il yadonc unepossibilitéquele marché des quotas ne décolle pas, faute de demande suffisante de la part des entreprises des pays qui devraient normalement être en position d’acheteur. Ceci sera l’objet de travaux futurs, intégrant dans l’analyse l’ensemble des degrés de liberté dont disposent les pays membres de l’Union Européenne. À l’autre extrême, ily a un risque de“ black-out”, àsavoir que le marché ne trouve pas d’équilibre sans rationnement en raison d’une insuffisance du volume global de quotas alloués par l’ensemble des Gouvernements, en particulier au secteur électrique qui joue un rôle dominant dans le système.
134Enfin, signalons qu’une hypothèse n’a pas été retenue, et peut difficilement l’être, c’est celle qui concerne le bénéfice par les nouveaux entrants d’une allocation de quotas. L’hypothèse implicite dans le modèle est qu’il n’y a pas de nouvel entrant. Pour en évaluer l’effet éventuel, il faudrait faire des hypothèses ad-hocsur l’importanceduphénomène.
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Mots-clés éditeurs : protocole de Kyoto, permis d'émission négociables, politique européenne, modèle d'équilibre général calculable, accords internationaux
Mise en ligne 01/01/2007
https://doi.org/10.3917/ecop.169.0171Notes
- (*)Ministère de l’Équipement, des Transports et du Logement, Paris, France. E-mail : aalain. bernard@ equipement. gouv. fr
- (**)CEA-LERNA, Toulouse, France. E-mail : mmvielle@ cict. fr
- (***)HEC-Genève et École Polytechnique Fédérale de Lausanne, Suisse. E-mail : llaurent. viguier@ epfl. ch Pour la rédaction de cet article, l’équipe a bénéficié d’informations et d’observations de la part de Jean-Marc Moulinier, des questions et remarques exprimées au cours des séminaires dans lesquels l’étude a été présentée sous des formes diverses (EPE, THOR-2004, CORE, GTAP-7, ECOMOD 2004) et des critiques formulées par les deux rapporteurs. Comme il se doit, nous demeurons seuls responsables des erreurs éventuelles.
- (1)Le dispositif américain concerne essentiellement les émissions de SO2 par le secteur électrique; il n’y a donc pas de risque de “délocalisation” de l’activité.
- (2)Intitulé “Authorized Amount Unit” (AAU) dans le protocole de Kyoto.
- (3)Cette liberté est en partie limitée par la Commission européenne à laquelle devront être soumis pour accord les plans nationaux proposés par chacun des États membres.
- (4)Dans le premier cas, que l’allocation des quotas soit gratuite ou payante, les entreprises fixent leurs prix en tenant compte du coût (coût réel ou coût d’opportunité) du quota, ce qui correspond au comportement de “tarification au coût marginal ” des économistes. Dans le second cas, les entreprises ne répercutent le coût des quotas qu’à concurrence de la charge supplémentaire que leur acquisition entraîne (cas de quotas partiellement payants, achats sur le marché des quotas) et pratiquent ainsi une tarification au coût moyen ou à l’équilibre budgétaire. Le premier comportement conduit à accroître sensiblement le prix de vente et à retenir sous forme de profits la valeur des permis alloués gratuitement. Le second ne modifie que marginalement le prix de vente par rapport à la situation antérieure. Selon l’intensité de la concurrence et pour certaines entreprises, selon les clauses de révision des prix dans les contrats de fourniture à moyen-long terme, l’un ou l’autre des comportements prévaudra.
- (5)Il est par exemple possible que la substitution de la technique existante par une technique moins “ polluante ” ne soit pas possible ou très coûteuse, alors que le bien produit pourrait se voir substituerpar un autre bien moins “ polluant ”. Le champ retenu par la directive n’inclut pas les centrales nucléaires ou hydrauliques qui peuvent concurrencer des centrales électriques à flamme. Les nouvelles centrales à flamme se verront accorder des quotas gratuitement, même si elles veulent concurrencer des centrales qui n’émettent pas de CO2. Il y a là une cause supplémentaire d’inefficacité.
- (6)Cela pose le problème complexe d’un pays qui achètera des permis à l’extérieur et allouera gratuitement des quotas à son industrie.
- (7)Pour une description détaillée de la structure du modèle on se référa à Bernard et alii (2004) ou Bernard et Vielle (1998). On pourra de plus consulter le site internet dédié au modèle à l’adresse suivante : http ://ecolu-info.unige.ch/nccrwp4/ GEMINI-E3/HomeGEMINI.htm.
- (8)C’est l’hypothèse standard, mais des comportements non concurrentiels peuvent être testés, par exemple le “rationnement” sur le marché du travail (simulation de situations de sous-emploi) ou le comportement monopolistique sur un marché (par exemple la Russie sur le marché international des permis de carbone). Voir par exemple à ce sujet Bernard et alii (2003b).
- (9)Lavérification numérique de la loi de Walras est un moyen de s’assurer de la cohérence d’ensemble du modèle.
- (10)Pour une comparaison des évaluations du “leakage” due aux politiques de lutte contre l’effet de serre, voir par exemple Paltsev (2001), Viguier (2001).
- (11)Sile taux de change entre le pays A et le pays B est 2, c’est que la valeur économique du travail dans le pays A est 2 fois celle dans le pays B.
- (12)Il est également éclairant d’évaluer le coût de bien-être d’une politique de changement climatique par catégorie de ménages – et donc les aspects d’équité –, notamment en fonction de la classe de revenu. Ceci peut être effectué ex-post, à partir d’estimations détaillées de la demande des consommateurs effectuées sur la base d’enquêtes auprès des ménages (voir Bernard, 2005).
- (13)Ou bienle CVI (Compensating Variation of Income ”) qui s’en distingue en permutant situation initiale et situation finale, et conduit en pratique à des résultats numériques extrêmement proches; voir par exemple Varian (1992).
- (14)Dans le cas où les seules distorsions économiques proviennent de la fiscalité. S’il y a d’autres distorsions – par exemple celle résultant d’une rigidité sur un marché, et notamment sur le marché du travail –, le coût interne reflète également l’effet de ces distorsions.
- (15)Le gain provenant des termes de l’échange a été analysé en détail, notamment pour la France, dans Bernard et Vielle (2003a).
- (16)Taux d’effort : baisse d’émission effective en pourcentage pour l’année considérée par rapport à l’évolution tendancielle.
- (17)Et surtout une appréciation identique des coûts d’abattement dans les différents pays et les différents secteurs, c’est-à-dire le recours au même modèle de simulation économique.
- (18)La directive n’impose pas la gratuité de l’allocation, elle limite à 5% dans la période 2005-2007 et 10% dans la période 2008-2012 la part de quotas que les États peuvent allouer à titre onéreux. La France (ainsi que le Royaume-Uni, l’Allemagne et les Pays-Bas) a choisi la gratuité.
- (19)Le document de juin 2003 de la Convention-cadre sur les changements climatiques ne donne pas la répartition par secteur (UNFCCC, 2003).
- (20)Il y a aussi des conditions de non négativité (les quotas, les émissions) mais elles ne jouent pas avec les données relatives au cas de l’Union Européenne et que l’on négligera donc.
- (21)Taxe sur le carbone, ou coût d’abattement en cas de mise en œuvre par des mécanismes réglementaires ou des normes.
- (22)Comme indicateur de coût, nous avons retenu le coût de distorsion fiscale (DWL) plutôt que le coût de bien-être pour éliminer l’incidence des gains ou pertes des termes de l’échange.
- (23)Les résultats sont statistiquement meilleurs avec une spécification quadratique.
- (24)Il est aussi à noter que le scénario “permis européen” donne aussi une grande dispersion des coûts de bien-être entre pays.