Couverture de ECOP_150

Article de revue

La sensibilité de l'emploi au coût du travail. Une exploration à partir de données de panel

Pages 1 à 11

Notes

  • (*)
    EPS-Adeps (Université Nancy-II et CNRS) et Conseil supérieur de l'emploi, des revenus et des coûts au moment de la réalisation de cette étude, actuellement Erudite (Université Paris-XII) et Caisse nationale des Allocations familiales ; e-mail : FF. Legendre@ univ-paris12. fr
  • (**)
    Université de Vannes et EUREQua (UMR 8594, Université Paris-I Panthéon Sorbonne et CNRS); e-mail : Patricia. LLe-Maitre@ wanadoo. fr
  • (1)
    Ces constats qualitatifs sont bien sûr contestables (et contestés) ; cf. par exemple l'étude récente de L'Horty et Rault (1997). Il semble toutefois, mais on manque de recul pour une telle évaluation, que les allègements de charges patronales sur les bas salaires aient pu renverser la tendance très nette à la baisse de la demande de travail peu qualifiée des années 80, cf. Cserc (1999).
  • (2)
    Nous notons en lettres minuscules les logarithmes des variables en niveau. Ainsi, x X=ln( ).
  • (3)
    Sa forme est particulièrement simple parce que nous avons retenu des hypothèses assez restrictives : i) une élasticité de la demande inverse constante, ii) une fonction de production homogène de degré v et iii) une élasticité de substitution constante.
  • (4)
    Nous ne pouvons pas, à partir des données utilisées, distinguer les différentes qualifications de la main-d'œuvre. Il s'agit là d'une limite d'importance puisque de nombreuses études empiriques mettent en évidence que la demande de travail faiblement qualifié serait plus sensible à son coût que la demande de travail fortement qualifié.
  • (5)
    Il s'agit d'un test global d'exogénéité des instruments qui repose sur la régression du résidu estimé sur les variables utilisées comme instruments.
Nous remercions la Direction de la prévision du Ministère de l'Économie et des Finances de nous avoir permis d'utiliser des données issues de la centrale des bilans du Bureau des Études Fiscales. Les vues exprimées ici n'engagent que leurs auteurs. Merci à Y. L'Horty et à P. Sevestre pour leurs remarques sur les premières versions de ce travail. Les remarques de trois rapporteurs anonymes nous ont permis de sensiblement améliorer ce travail.

1Dans cette étude, nous présentons de nouvelles évaluations de la sensibilité de la demande de travail à son coût, obtenues à partir d'un échantillon de près de 800 entreprises industrielles françaises suivies de 1980 à 1987. Nous développons un modèle de concurrence imparfaite qui permet de mieux identifier les effets favorables d'une baisse du coût du travail sur l'emploi. Deux canaux principaux doivent en effet être distingués. Le premier relève d'un effet de substitution : une baisse du coût du travail conduirait à un ralentissement du rythme de la substitution du capital au travail. Le second a trait à un effet de compétitivité car la baisse du coût du travail est l'un des moyens de réduire les coûts unitaires de production et d'améliorer ainsi la compétitivité des entreprises. Notre expérimentation économétrique a pour objet de mieux quantifier l'importance relative de ces deux effets. D'une part, nous montrons que le capital et le travail seraient des facteurs de production assez peu substituables au sein des entreprises. Une baisse de 1 % du coût du travail pourrait, par ce canal, accroître l'emploi en moyenne de 0,10 %. D'autre part, nous trouvons que l'effet prédominant serait l'effet de compétitivité. Une baisse de 1 % du coût du travail pourrait, par ce canal, accroître l'emploi en moyenne de 0,70 %. Ce dernier effet, cependant, n'est pas assuré; il pourrait en partie relever d'un « sophisme de composition ».

2À partir de 1993, les politiques de l'emploi en France s'orientent en partie vers des mesures d'exonération de charges sociales patronales sur les bas salaires. Ces mesures, qui privilégient la baisse du coût du travail, ont notamment été analysées par le Cserc – le Conseil supérieur de l'emploi, des revenus et des coûts – dans le cadre d'un rapport d'expertise demandé en janvier 1996 par le Premier ministre (1996). Le succès d'une telle politique est conditionné, l'on s'en doute, par la force du lien entre le coût du travail et l'emploi. Et il convient de reconnaître que cette question est particulièrement controversée (cf. par exemple l'ouvrage récent de Gautié (1998), mais aussi, par exemple, Cette et alii, (1996) ou Legendre et Le Maitre (1997)).

3L'examen rapide des év olutions macro-économiques apparentes ne valide pas vraiment la proposition selon laquelle une baisse du coût du travail permettrait de réduire le chômage. Les quinze dernières années ont été caractérisées en particulier par la modération salariale et par le niveau très élevé des taux d'intérêt réels. Il en a résulté un infléchissement sensible de la tendance antérieure à la baisse du coût relatif capital - travail. Pour autant, la croissance économique n'est pas suffisamment devenue « plus riche en emplois ». La croissance de la productivité apparente du travail aurait dû plus fortement se ralentir; celle du capital plus fortement s'accroître [1]. La rigueur salariale aurait porté ses fruits en termes de « désinflation compétitive », mais guère en termes de lutte contre le chômage. Elle a surtout permis au taux de marge des entreprises (la part des profits dans la valeur ajoutée) de se redresser de façon spectaculaire même si le niveau élevé des taux d'intérêt a pu obérer le rétablissement de la profitabilité des activités productives.

4Par ailleurs, les principaux modèles macro-économiques utilisés en France ne font pas dépendre la demande de travail du coût relatif des facteurs; ils supposent en cela que la fonction de production est à facteurs complémentaires. Les effets favorables d'une diminution du coût du travail transitent essentiellement par la compétitivité externe, à la suite de la baisse induite des coûts unitaires de production. D'un autre côté, quelques études empiriques récentes mettent en évidence un lien direct et fort du coût du travail sur l'emploi (cf., par exemple, les travaux de Dormont, 1996, ou 1997).

5Dans cette étude, nous présentons de nouvelles évaluations de la sensibilité de la demande de travail à son coût, obtenues à partir d'un échantillon de près de 800 entreprises industrielles françaises suivies de 1980 à 1987. Il convient, à notre sens, de clairement identifier les mécanismes qui permettraient à une baisse du coût du travail d'avoir des effets favorables sur l'emploi. Il faut, en effet, bien distinguer les deux canaux suivants :

  • il peut s'agir, en premier lieu, de ralentir, au sein des entreprises, le rythme de la substitution du capital au travail afin de rendre la « croissance plus riche en emplois ». Toutes les entreprises pourraient adopter des procédés de production plus intensifs en travail au détriment des autres facteurs de production. Le paramètre structurel qui conditionne ainsi la force du lien entre l'emploi et le coût du travail est l'élasticité de substitution entre le travail et les autres facteurs de production – principalement l'élasticité de substitution entre le travail et le capital. Nous qualifions cet effet d'effet de substitution;
  • il peut s'agir, en second lieu, de réduire les coûts unitaires de production. Cette réduction permettrait, soit parce qu'elle rend l'activité productive plus profitable, soit parce qu'elle autorise une baisse du prix de vente et provoque donc une augmentation de la demande qui s'adresse à l'entreprise, un accroissement du niveau de production et en conséquence de l'emploi. Cet effet que nous qualifions d'effet de compétitivité est, par rapport à l'effet de substitution, plus incertain. Au pire, il pourrait ne constituer qu'un « sophisme de composition ». En effet, plaçons-nous dans la configuration d'une économie fermée où la structure des coûts de production est la même pour toutes les entreprises et où aucune activité nouvelle ne peut apparaître. Dans ce cadre, une baisse ex ante des salaires améliore ex ante dans la même proportion la compétitivité de toutes les entreprises et permet une baisse du prix de vente identique pour toutes les entreprises. Ex post, rien ne change puisque la baisse des prix compense la baisse ex ante du pouvoir d'achat nominal des salaires. Ce « sophisme de composition » doit toutefois être relativisé puisque les économies occidentales développées sont notamment caractérisées par un degré d'ouverture extérieure élevé, par une forte diversité de la structure des coûts entre les entreprises, par des « gisements d'emploi » dans de nouvelles activités intensives en travail dont les tailles ne doivent pas être négligées, etc.

6La distinction entre ces deux effets n'est bien sûr pas nouvelle. Elle est détaillée notamment dans l'ouvrage d'Hamermesh (1993). Elle est reprise, par exemple, dans le chapitre 2 du manuel de Cahuc et Zylberberg (1996) où ces auteurs distinguent la « demande conditionnelle de travail » pour un niveau fixé de la production (c'est alors l'effet de substitution qui est mis en évidence) et la « demande inconditionnelle de travail » qui fait de plus intervenir un « effet de volume » (que nous qualifions d'effet de compétitivité).

7Dans la première partie de ce travail, nous développons dans un premier point un modèle simple de concurrence imparfaite qui permet de bien distinguer les arguments des deux effets considérés. Dans un second point, nous détaillons de quelles façons il conviendrait de spécifier l'hétérogénéité des données parce qu'il n'est en général pas possible d'utiliser des données de panel sans s'interroger sur les sources de la variabilité inter-individuelle des données. Les résultats empiriques sont présentés dans la seconde partie de ce travail.

Les prémisses théoriques

8Dans un premier point, nous présentons stricto sensu le modèle théorique utilisé avant de détailler, dans un second point, la façon dont ce modèle est effectivement spécifié pour s'appliquer à des données individuelles-temporelles d'entreprises industrielles.

Un modèle de concurrence imparfaite...

9À s'écarter du modèle de concurrence parfaite, il est difficile de s'appuyer sur une représentation canonique. Pour faire simple, nous envisageons le marché d'un bien non différencié repéré par l'indice j sur lequel les entreprises (en nombre m avec m >1) jj se livrent une concurrence en quantité – à la Cournot-Nash. En notant Q la demande totale et P jj le prix de vente, nous supposons que la demande inverse sur le marché est de la forme suivante :

equation im1

B est une constante qui retrace le niveau j d'ensemble de la demande qui s'adresse à ce marché et ?l'élasticité (supposée ici constante) du prix par rapport à la demande. La demande du bien j est une fonction décroissante de P, le prix du bien j, et une j fonction croissante de B, une constante qui j explique le niveau de la courbe de demande du bien j.

10Dans l'annexe A, nous proposons une rationalisation très simple de cette fonction de demande qui permet de mieux interpréter la variable B. Cette dernière j est, en particulier, une fonction décroissante du niveau général des prix à la consommation. Aussi la demande sur le marché est-elle bien une fonction du prix relatif du bien mais, pour autant, le niveau général des prix n'a pas à figurer séparément dans la fonction de demande puisqu'il est tenu pour fixé par les entreprises de ce marché.

11Une entreprise du marché j est repérée par l'indice hj. Elle est supposée avoir comme objectif la maximisation de son profit, en tenant les niveaux de production de ses concurrents fixés. Elle résout ainsi le programme suivant, avec Chj (.) sa fonction de coût :

equation im2

sous les deux contraintes suivantes :
equation im3

La condition du premier ordre de ce programme s'interprète comme la fonction de réaction de l'entreprise hj; à l'équilibre symétrique (en supposant toutes les entreprises identiques), on peut montrer que le prix (d'équilibre de concurrence oligopolistique) est de la forme suivante :
equation im4

Le prix résulte de l'application d'un taux de «mark-up» au coût marginal de production. La concurrence parfaite est obtenue, soit pour une très grande sensibilité de la demande au prix (? très faible), soit pour un très grand nombre de concurrents (mj très grand).

12Le modèle est donc très simple ; il s'éloigne cependant du modèle de concurrence imparfaite standard, celui habituellement estimé sur données de panel. En effet, ce dernier relève d'un environnement de concurrence monopolistique où l'entreprise, faisant face à une demande qui s'adresse spécifiquement à elle, fixe directement son prix de vente.

13Il reste à dériver, de notre modèle, une équation de demande de travail. Nous retenons une fonction de production de type CES, afin de pouvoir paramétrer les possibilités de substitution entre capital (dont le stock est noté K) et travail (dont le niveau est noté L). Cette fonction de production s'écrit :

equation im5

avec A v, , ,? ?> < <0 0 1 et où Q est, en fait, la hj hjhj valeur ajoutée (en volume). ? désigne l'élasticité de substitution entre les facteurs de production, v la valeur des rendements d'échelle, A la productivité hj globale des facteurs et ? un paramètre mesurant, en hj première approximation, la contribution relative du capital et du travail au produit. En notant C le coût hj d'usage du capital et W le coût du travail, la fonction hj de coût s'exprime comme suit :
equation im6

La demande de travail, notée Lhjd, prend, finalement, la forme suivante :
equation im7

où ? ?= - +1 1/ ( )v v. Cette expression, non linéaire, est difficile à interpréter. En revanche, sa log-linéarisation par rapport à B C, et Whj conduit j hj à une forme beaucoup plus suggestive [2] :
equation im8

où ?hj est la part du coût du capital dans le coût total de production – avec nos notations
equation im9

Enfin, le point au v oisinage duquel la log-linéarisation est effectuée, supposé optimal, est caractérisé par dhj.

14Ainsi, ce modèle [3] peut contribuer à une meilleure compréhension de la nature des effets d'une baisse du coût du travail sur l'emploi.

15En effet, d'une part, cette baisse conduit les entreprises à préférer des procédés de production faisant une plus large place au travail au détriment du capital – il s'agit là d'un effet de substitution. Ce dernier est retracé par le premier terme de l'expression précédente – le terme ? [ ?hj (chj - whj )]. Son ampleur dépend donc de ? l'élasticité de substitution entre les facteurs. À la limite, quand les facteurs de production sont complémentaires (? est égal à 0), cet effet est nul. Mais l'ampleur de cet effet est aussi modulé par? la part du capital dans le coût hj de production. Plus, en termes relatifs, il y a potentiellement de capital à remplacer, plus la demande de travail est sensible à la même variation du coût relatif des facteurs.

16D'autre part, cette baisse du coût du travail permet une réduction des coûts unitaires de production et, en conséquence, une baisse des prix de vente. Cette baisse est ainsi à l'origine d'une expansion du produit par un effet de compétitivité et donc d'un accroissement de l'emploi. C'est le second terme de l'expression précédente qui retrace cet effet – le terme ?{bhj - [?hj chj + (1 – ?hj hj w) ]}. L'ampleur de cet effet dépend donc, en premier lieu, du paramètre ?, égal à 1/(1-v+v?). Ainsi, plus la demande est sensible au prix de vente (?est faible), plus cet effet est fort. Mais cet effet est modulé, en second lieu, par 1-?hj, la part du travail dans le coût de production, puisque la baisse du prix de vente est en proportion de l'importance des coûts salariaux dans les coûts totaux. Notons, enfin, que cet effet de compétitivité ne dépend pas de ?, l'élasticité de substitution. En effet, si les facteurs de production sont substituables, la réduction du coût du travail occasionne, de plus, une baisse de la productivité du travail et une hausse de la productivité du capital. Aussi, par rapport au cas où les facteu rs d e production sont complémentaires, les coûts unitaires en travail vont-ils se réduire dans une moindre mesure. Par contre, les coûts unitaires en capital vont eux aussi diminuer. On montre (par exemple, Hamermesh, 1993) que ces deux effets se compensent et ainsi l'effet de compétitivité ne dépend pas de l'ampleur des possibilités de substitution.

17Ce modèle permet de mieux comprendre les influences, respectivement, du coût d'usage du capital et du coût du travail sur l'emploi. L'effet du coût d'usage est ambigü ; il est positif pour ce qui a trait à l'effet de substitution, négatif pour l'effet de compétitivité. Plus précisément, l'élasticité de l'emploi au coût d'usage du capital est égale à ?? ?? ? ? ?- = -( ). C'est ainsi que des taux hj hj hj d'intérêt élevés pourraient, au total, être défavorables à l'emploi si les facteurs de production sont peu substituables. En revanche, l'effet du coût du travail est indubitablement négatif ; mais il ne relève pas, a priori, d'un seul effet de substitution. Au total, l'élasticité de l'emploi au coût du travail est égale à

equation im10

Ce modèle permettrait de la sorte d'apporter des éléments de réponses aux deux questions suivantes :
  • comment faire intervenir le coût du travail pour expliquer le niveau d'emploi ? Il faudrait le faire intervenir deux fois. Une première fois relativement au coût d'usage du capital pour expliquer les choix retenus par les entreprises quant aux procédés de production mis en œuvre. Une seconde fois relativement à la variable B pour expliquer la j mesure dans laquelle une amélioration de la compétitivité est favorable à l'emploi ;
  • faut-il introduire séparément ou non le coût d'usage du capital et le coût du travail dans l'équation d'emploi ? Il faudrait en fait introduire, d'une part, le coût relatif des facteurs modulé par la part du capital dans le coût total (pour rendre compte de l'effet de substitution) et, d'autre part, le coût de chacun des facteurs modulé par leur part respective (pour rendre compte de l'effet de compétitivité).

18Il nous faut maintenant détailler la façon dont ce modèle doit être amendé pour être estimé à partir du corps de données dont nous disposons - des données ind ividuelles-temporelles d'entreprises industrielles.

... appliqué à des données individuelles-temporelles

19Nous disposons d'un panel (plus précisément décrit dans Bua et alii, 1991) d'environ 800 entreprises industrielles suivies de 1980 à 1987. Les données, de la sorte, sont repérées par un double indice, i pour spécifier la dimension individuelle, t pour la dimension temporelle. Pour chaque entreprise du panel, nous disposons de la branche de l'activité principale (dans la nomemclature qui distingue 40 niveaux, la NAP 40). Nous n'allons cependant pas exploiter cette information car nous la jugeons peu pertinente pour caractériser le marché sur lequel l'entreprise intervient. Nous allons chercher à rendre compte des caractéristiques de ce marché à partir des caractéristiques propres de l'entreprise. Aussi l'indice h j est-il maintenant désigné par l'indice i. Il nous faut retracer, d'une façon ou d'une autre, l'hétérogénéité des données : chaque entreprise de l'échantillon intervient dans un domaine d'activité qui lui est propre et il ne serait pas légitime, par exemple, d'attribuer les différences inter-entreprises quant au capital par tête à un seul effet relevant du coût relatif des facteurs.

20C'est ainsi que nous nous proposons de rendre compte de cette hétérogénéité en paramétrant la fonction de production de la façon suivante :

equation im11

Nous retenons une structure composée pour la productivité globale des facteurs (le terme précédemment noté A devient A'i A''t ) et une hypothèse d'effet fixe pour le paramètre d. Ce dernier, no té di, fait donc l'o bjet d 'une individualisation et l'indice inférieur i est utilisé pour spécifier cette hétérogénéité inter-entreprise. Ce paramètre s'interprète, en première approximation, comme la contribution relative du capital au produit. Le graphique 1 permet d'illustrer, en termes d'isoquantes, les conséquences de cette spécification des possibilités de production. Il fournit ainsi l'intuition des limites de notre paramétrisation. En effet, le paramètre di contribue aussi à déterminer le niveau de la productivité globale des facteurs, à côté du terme A'i A''t.

21Le capital par tête optimal, qui résulte directement de la minimisation des coûts de production, dépend alors de deux arguments distincts :

equation im12

Le premier argument, [(1 - di )/ di ]-s retrace la spécificité de l'activité de l'entreprise; il est constant au cours du temps. Le second argument, (Cit /Wit )-s, est le coût relatif des facteurs ; il vient expliquer, principalement, les évolutions au cours du temps du capital par tête. Conférer une dimension individuelle au paramètre ?suffirait donc à expliquer pourquoi la part du capital dans le coût total (le terme noté ? précédemment) diffère d'une entreprise à l'autre, en fonction donc du paramètre ?i c'est à dire en fonction des spécificités de l'activité de l'entreprise i.

Graphique 1

distribution des isoquantes en fonction du paramètre d dK L ( )/ ( )/ ( ) ? ? ? ? ? - - + - 1 1 1 = 0,2 avec ? =0,5

Graphique 1
Graphique 1 : distribution des isoquantes en fonction du paramètre d dK L ( )/ ( )/ ( ) ? ? ? ? ? - - + - 1 1 1 = 0,2 avec ? =0,5 10 9 8 7 6 5 ?= 0,3 L 4 ?= 0,5 3 ?= 0,7 2 1 0 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 K

distribution des isoquantes en fonction du paramètre d dK L ( )/ ( )/ ( ) ? ? ? ? ? - - + - 1 1 1 = 0,2 avec ? =0,5

22Nous voulons proposer une évaluation moyenne des effets de substitution et de compétitivité. Nous n'introduisons pas de facteurs d'hétérogénéité sur les paramètres v et ?de la fonction de production ou sur le paramètre ? de la demande inverse. Aussi supposons-nous l'invariance de ces trois paramètres dans la dimension inter-entreprise et dans la dimension inter-marché. En revanche, le paramètre mj (le nombre de concurrents sur le marché j) peut faire l'objet d'une individualisation puisque, si sa valeur contribue à déterminer le niveau du taux de mark-up, elle ne conditionne pas l'ampleur des effets de substitution et de compétitivité.

23Nous avons spécifié l'hétérogénéité au niveau de la forme structurelle de notre modèle et non au niveau de la forme réduite. Il convient maintenant d'en tirer les conséquences sur la spécification de l'équation de demande de travail. Cette dernière résulte d'une log-linéarisation autour d'un point moyen, supposé optimal. Ce point moyen n'est pas le point moyen de l'échantillon ; c'est un point moyen spécifique à chaque entreprise de l'échantillon. On peut alors repérer les conséquences de notre formalisation de l'hétérogénéité à deux niveaux. D'un côté, la constante issue de la linéarisation retrace tout un ensemble de caractéristiques qui sont relatives à des valeurs moyennes spécifiques à chaque entreprise de l'échantillon. Il faut en conséquence conférer une dimension individuelle à cette constante que nous notons di. De l'autre côté, l'individualisation du paramètre ?de la fonction de production donne des fondements à la diversité de la structure des coûts de production entre les entreprises.

24Il faut en conséquence conférer une dimension individuelle à la part du coût du capital dans le coût total que nous notons ?. Il faudrait donc spécifier la i demande de travail, quand elle est appliquée à des données de panel, de la façon suivante :

equation im14

uit est le terme d'erreur et où les termes gt retracent tout à la fois l'évolution de la productivité globale des facteurs et les chocs conjoncturels (c'est pour cela qu'ils sont introduits de cette manière un peu ad hoc; nous retenons de plus la contrainte

equation im15

pour que ces effets restent identifiables).

25La partie suivante est consacrée à l'examen des résultats empiriques obtenus à partir de cette spécification de base.

Les résultats empiriques

26Il reste, avant de présenter les résultats obtenus, à détailler la façon dont la grandeur b (qui retrace le jt niveau d'ensemble de la demande sur le marché j a priori non observable) a été approchée.

L'identification du niveau de la courbe de demande

27Nous sommes partis d'une spécification très fruste de la demande inverse, P B Q j =-?. Cette j j spécification, en logarithme et à l'équilibre symétrique, prend la forme suivante :

equation im16

Par définition, la grandeur b, caractéristique du jt niveau d'ensemble de la demande, s'exprime comme suit :

equation im17

fj est une constante propre au marché j. ?, dans notre expérimentation, n'est pas identifiable ; au mieux, nous pouvons estimer le paramètre ?, égal à 1/(1-v +v ?). Nous avons ainsi choisi d'explorer les conséquences d'une configuration pour laquelle ? serait proche de 1. Enfin, parce que nous ne voulons pas accorder une grande pertinence à des variables qui sont relatives à la branche de l'activité principale de l'entreprise, nous nous proposons d'approcher le niveau de la demande sur le marché j auquel appartient l'entreprise i par des caractéristiques propres à cette entreprise. La variable bjt correspond en effet, si ?= 1, aux recettes en valeur de l'entreprise, à un terme constant près :

equation im18

Aussi cette perspective conduit-elle à proposer, comme variable proxy pour le niveau de la courbe de demande, la valeur ajoutée en valeur de l'entreprise augmentée d'un effet fixe qui serait propre au marché j, que nous assimilons à un effet fixe individuel. On retient finalement la formulation suivante :

equation im19

Cette variable n'est cependant pas exogène. Pour lever cette difficulté qui, si elle n'était pas prise en compte, conduirait à un biais de simultanéité, nous retenons en définitive la variable p q+ jt it instrumentée par l'ensemble Z de variables suivantes :

equation im20

constante individuelle, constante temporelle} Cette grandeur est notée par la suite $bjt. L'endogène retardée est incluse dans la liste des instruments sous une forme particulière, en différence première – la grandeur est notée ?l. Nous expliquons dans it-1 l'annexe B les raisons pour lesquelles l'endogène retardée, même si la forme estimée est statique, ne constitue pas un instrument valide en présence d'effets fixes individuels. Comme nous supposons les décisions d'emploi et d'investissement inter-dépendantes, la même difficulté survient pour le capital productif et nous retenons, comme instrument, la variable ?kit-1.

28Une seconde difficulté a trait à la construction de la variable ?. L'approche la plus immédiate aurait i conduit à retenir la part moyenne du coût du capital dans le coût total, telle qu'elle est observée pour chaque entreprise sur l'ensemble de la période. La formule suivante aurait donc pu être utilisée :

equation im21

avec ?it = Cit Kit / (Cit Kit + Wit Lit ). Cette formule conduit cependant à un biais de simultanéité puisqu'elle nous amène à utiliser notamment les valeurs courante et futures du niveau d'emploi. Nous avons donc retenu une construction un peu plus élaborée. ? est calculé de manière récursive, en i n'utilisant que des grandeurs qui sont relatives aux périodes passées. Pour t = 2, on retient l'évaluation suivante :

equation im22

Ensuite, pour t = 3,…, T, on utilise la formule:

equation im23

Cette procédure revient ainsi à calculer des moyennes individuelles en mobilisant la totalité de l'information qui est relative aux seules périodes passées.

29Nous sommes maintenant en mesure d'exposer les résultats de notre expérimentation empirique.

L'évaluation de l'effet de substitution et de l'effet de compétitivité

30L'équation de demande de travail que nous proposons d'estimer prend finalement la forme suivante :

equation im24

Ce modèle, qui inclut une constante individuelle, correspond en fait à la mise en œuvre de l'estimateur intra-individuel. En effet, pour ne pas avoir à estimer les constantes individuelles (les termes d ), il suffit i de mettre toutes les variables intervenant dans la régression en écart à leurs moyennes individuelles. Ce modèle pren d d onc bi en en compte l'hétérogénéité des données ; une première fois via l'individualisation du paramètre ?, une seconde fois par l'introduction des constantes individuelles d. i Ces constantes individuelles sont en effet en mesure de capter d'autres facteurs d'hétérogénéité, comme par exemple une hétérogénéité tenant à la qualification moyenne de la main-d'œuvre, spécifique à chaque entreprise [4]. Cette équation est en fait un peu moins restrictive que le modèle théorique précédemment développé.

31Nous présentons dans le tableau 1 les résultats d'une seule expérimentation. Les estimations obtenues ne sont pas particulièrement robustes à la composition de la liste des variables instrumentales. Toutefois, le test de Sargan [5] n'invalide pas au risque de 5 % la liste qui correspond à l'ensemble noté Z (cf. la définition (14)). De même, les résultats dépendent de la valeur que l'on retient, dans la première étape, pour le paramètre ?. La valeur estimée pour l'effet de compétitivité ( $? = 0,92) ne conduit toutefois pas à remettre en cause la valeur initiale retenue pour le paramètre ?(nous avons retenu ?= 1). En effet, le paramètre ?est égal à 1/(1-v +v?); pour une valeur de ?égale à 1, il devrait être égal lui aussi à 1.

Tableau 1

les résultats empiriques Variable expliquée : lit

Tableau 1
Tableau 1 : les résultats empiriques Variable expliquée : lit Effet... Variable explicative Paramètre Estimation … desubstitution ( )?it it it c w- ? 0,40(0,022) … de $ [ (  ) ]b c w- + -? ?1 0,92 compétitivité jt it it it it ? (0,026) SCR = 41 7, N T× = ×767 5 Sargan =1,2 Ecart-type estimé entre parenthèses. $bjt est la valeur ajoutée instrumentée dans une première étape. Les résultats relatifs aux constantes individuelles et aux constantes temporelles ne sont pas rapportés dans ce tableau.

les résultats empiriques Variable expliquée : lit

Tableau 2

les effets sur l'emploi d'une baisse de 1 % du coût du travail

Tableau 2
Tableau 2 : les effets sur l'emploi d'une baisse de 1 % du coût du travail l Effet... … desubstitution … decompétitivité … tota(en %) pour "l'entreprisemoyenne" 0,10 0,69 0,79 pour "l'entreprise Q1 " 0,06 0,79 0,85 pour "l'entreprise Q3 " 0,13 0,63 0,75

les effets sur l'emploi d'une baisse de 1 % du coût du travail

32 Il convient de relever que l'estimation de l'élasticité de substitution capital-travail est assez faible. Les possibilités de substitution, au sein des entreprises, ne seraient pas très élevées : les facteurs de production ne peuvent être considérés comme « parfaitement » substituables comme cela serait le cas si cette élasticité était égale à 1. Pour ce qui a donc trait à la flexibilité de la structure productive au niveau micro-économique, il ne faudrait pas attendre de la modération du coût du travail un ralentissement très sensible du rythme de la substitution du capital au travail. Ce même diagnostic ne peut bien sûr pas être porté au niveau macro-économique où se manifestent de nombreux effets de structure. La substitution du capital au travail est ainsi un phénomène qui doit surtout s'apprécier au niveau macro-écono miq ue, en tre les différentes entreprises, entre les différentes activités et entre les différents pays partenaires commerciaux.

33Ces résultats peuvent être mieux appréciés en envisageant les conséquences sur l'emploi d'une baisse de 1 % du coût du travail. Nous retenons comme situation de référence celle de « l'entreprise moyenne » de l'échantillon pour laquelle la part du coût du capital ?est égale à 0,25. Pour rendre justice à notre perspective, celle de tenir comptede la grande variété des réactions des entreprises face à la même baisse du coût du travail, nous portons aussi les effets pour « l'entreprise Q » (celle pour laquelle la part du 1 coût du capital est égale au premier quartile de la distribution de cette variable) et pour « l'entreprise Q3 ». Rappelons que l'effet de substitution est modulé par ?alors que l'effet de compétitivité est modulé par 1 - ?.

34Les trois enseignements suivants peuvent être dégagés. En premier lieu, on voit que l'effet total est élevé : une baisse du coût du travail de 1 % pourrait conduire à une augmentation de l'emploi de l'ordre de 0,80 %. La masse salariale n'en serait réduite que de 0,20 % et cette évaluation accrédite ainsi un discours en termes de « partage de la masse salariale ». En second lieu, on voit que l'effet dominant relève de l'effet de compétitivité, celui consécutif à l'expansion du produit à la suite d'une baisse des prix de vente. Il serait responsable des sept huitièmes de l'effet total. En dernier lieu, on voit intervenir le phénomène de compensation suivant : les entreprises qui mettent en œuvre des combinaisons productives intensives en travail sont plus faiblement sensibles à l'effet de substitution et plus fortement sensibles à l'effet de compétitivité que les entreprises qui ont adopté des combinaisons productives intensives en capital. Les deux effets, quand ils se conjugent, tendent à se compenser : l'effet total n'est ainsi que faiblement dépendant de la structure initiale de la combinaison productive.

35Enfin, nous ne voulons pas dissimuler les limites de notre travail. Les données mobilisées sont anciennes : elles portent sur les années 80 et se prêtent ainsi mal à l'évaluation des politiques récentes d'allégement de charges patronales sur les bas salaires. Elles sont relatives à la seule industrie alors que les effets de substitution entre le capital et le travail s'exercent dans d'autres secteurs dont le poids dans l'emploi total est tout aussi significatif. La dernière limite a trait au fait que les différentes catégories de main-d'œuvre ne sont pas distinguées : nous ne pouvons pas ainsi vraiment contribuer à l'évaluation des politiques de l'emploi catégorielles, alors que les interventions publiques dans ce domaine prennent de plus en plus la forme de politiques sélectives et ciblées.

Conclusion

36Nous avons développé, dans la première partie de ce travail, un modèle de concurrence imparfaite permettant de mieux cerner les effets favorables d'une baisse du coût du travail sur l'emploi. Deux canaux principaux doivent être distingués. Le premier relève d'un effet de substitution : une baisse du coût du travail conduirait à un ralentissement du rythme de la substitution du capital au travail. Le second a trait à un effet de compétitivité car la baisse du coût du travail est l'un des moyens de réduire les coûts unitaires de production et d'améliorer ainsi la compétitivité des entreprises.

37Notre expérimentation économétrique avait pour but de mieux quantifier l'importance relative de ces deux effets. Nous avons obtenu les résultats suivants. D'une part, le capital et le travail seraient des facteurs de production assez peu substituables au sein des entreprises – nous obtenons une élasticité de substitution de l'ordrede 0,40. On peut attendre d'une baisse du coût du travail un ralentissement du rythme de la substitution du capital au travail dans les entreprises, mais ce ralentissement est limité. Une baisse de 1 % du coût du travail pourrait, par ce canal, accroître l'emploi en moyenne de 0,10 %. Cet ordre de grandeur est modeste mais l'effet serait assuré.

38D'autre part, l'effet prédominant est l'effet de compétitivité. Une baisse de 1 % du coût du travail pourrait, par ce canal, accroître l'emploi en moyenne de 0,70 %. Cet effet, en revanche, n'est pas assuré. À partir de notre exercice économétrique, qui reste inscrit dans une perspective d'équilibre partiel, une partie de l'effet que nous identifions pourrait ne relever que d'un « sophisme de composition ». La mesure dans laquelle cet effet s'exprime effectivement dépend alors crucialement du degré d'ouverture de notre économie (et du fait que nos principaux partenaires commerciaux soient dans l'impossibilité de réagir à une augmentation de la part de marché de nos entreprises), de l'importance des gisements d'emplois actuellement inexploités du fait d'un coût trop élevé du travail, du fait que les consommateurs puissent modifier la structure de leur demande en la réorientant vers des produits plus intensifs en travail, etc. Si la baisse du coût du travail est obtenue par un allègement de charges patronales, il convient aussi d'évaluer l'incidence d'une telle réduction du fardeau social, en lien avec le mode de formation des salaires, et les effets du financement alternatif de la protection sociale qu'un tel allègement rend nécessaire.

39Ces résultats pourraient contribuer à expliquer la grande diversité des croyances quant aux effets sur l'emploi à escompter d'une baisse du coût du travail. L'effet total que nous obtenons est, en effet, très favorable. Pour nous, il représente cependant le majorant de l'effet que la modération salariale permettrait effectivement d'obtenir.


Annexe A : une rationalisation possible de la fonction de demande inverse

40 Pour rationaliser la fonction de demande inverse utilisée dans cette étude, nous pouvons proposer la modélisation sui van te. Les préférences d'un c onso mmat eur « représentatif » sont spécifiées sous la forme d'une fonction d'utilité de type CES, définie sur le panier de biens ( , ,...,Q Q Qn1 2 ) :

equation im27

où ?j est un paramètre qui mesure la contribution du bien j au bien-être total du consommateur et où ?s'interprète comme l'élasticité de substitution (dans la consommation) entre les différents biens. Nous prenons, pour simplifier les calculs qui suivent,

equation im28

Il s'agit d'une simple condition de normalisation, licite puisque l'utilité du consommateur n'est ici que cardinale.

41Ce consommateur est confronté à la contrainte budgétaire suivante :

equation im29

Pj est le prix du bien j et où R est le revenu du consommateur.

42En définissant par l'indice suivant le niveau général des prix pour le consommateur :

equation im30

on peut montrer que la demande du consommateur pour le bien j, quand ce dernier est « preneur de prix », est de la forme suivante :

equation im31

Dans ce travail, de notre côté, nous avons supposé que la demande inverse s'écrivait :

equation im32

L'on peut donc identifier, d'une part, le paramètre ? et, d'autre part, la variable Bj :

equation im33

Une telle rationalisation de la fonction de demande inverse permet de préciser l'interprétation de la variable Bj. Cette variable retrace bien le niveau d'ensemble de la demande qui s'adresse au marché du bien j; il est légitime qu'elle soit tenue pour fixée par les entreprises qui interviennent sur ce marché. Elle dépend de ?j (la mesure dans laquelle le bien j contribue au bien-être du consommateur), de R (le revenu du consommateur « représentatif ») et de ? (le niveau général des prix à la consommation) de sorte que la demande du bien j soit homogène de degré 0 en Pj, en ?et en R.

Annexe B : la validité des instruments dans un modèle à effets fixes individuels

43Cette seconde annexe a pour objet de montrer que l'endogène retardée ne constitue pas un instrument valide dans le modèle à effets fixes employé dans cette étude et que l'endogène retardée en différence première souffre elle aussi d'une faible corrélation asymptotique avec le terme résiduel. Nous remercions un rapporteur anonyme d'avoir attiré notre attention sur ces difficultés.

44Reprenons, tout d'abord, les notations habituelles du modèle linéaire à effets fixes utilisé sur données de panel :

equation im34

Supposons, ensuite, que la variable explicative x soit liée au terme résiduel si bien que les estimateurs usuels souffrent d'un biais de simultanéité. Plaçons nous, enfin, dans le cas où le nombre d'individus tend vers l'infini mais où le nombre d'années, lui, reste fixe.

45On peut, pour pallier cette difficulté, utiliser l'estimateur intra-individuel – within – par variables instrumentales. Il n'est cependant pas possible de faire figurer l'endogène retardée dans la liste des instruments. En effet, il faudrait que la quantité suivante :

equation im35

tende en probabilité vers 0 quand N tend vers l'infini. Dans l'expression précédente, yi( )-1 désigne la moyenne individuelle de yit-1, calculée à partir de y y y u T i1 2 1, ,..., ; - en revanche désigne la moyenne individuelle usuelle de uit, calculée à partir de u u uT2 3, ,...,. Cette quantité s'exprime aussi, en appliquant la définition de yit-1 que donne le modèle :

equation im36

soit encore

equation im37

Aucun de ces deux termes ne tend vers 0 quand N tend vers l'infini.

46Prenons, pour illustrer notre propos, T = 3 et le deuxième terme. Dans ce cas, ce dernier devient :

equation im38

En développant cette expression et en éliminant les termes qui tendent en probabilité vers 0 en retenant les hypothèses habituelles, on trouve finalement :

equation im39

47 Aussi, la corrélation asymptotique entre

equation im40

et

equation im41

est-elle égale à -0,5 quand T = 3. Il est clair cependant que cette corrélation diminue quand T augmente; les calculs analytiques restent compliqués. Nous avons procédé par simulation numérique et reporté, dans le tableau suivant, la corrélation calculée pour 50 000 réalisations individuelles pseudo-aléatoires tirées dans une loi normale pour différentes valeurs de T.

tableau im42
T 3 4 5 6 7 8 Corr ( , )u u u u it i it i- - - 1-0,50-0,33-0,25-0,20-0,17-0,14 ( )-1 -0,29-0,10-0,05-0,03-0,02 Corr ( , ) ( ) ? ?u u u u it i it i- - - - 1 1

48 On voit ainsi – première ligne de ce tableau – que la corrélation asymptotique ne décroît que faiblement avec T ce qui invalide bien l'utilisation de l'endogène retardée comme instrument. On peut alors songer à utiliser l'endogène retardée en différence première pour pallier cette difficulté. L'étude analytique montre cependant qu'une corrélation asymptotique subsiste; elle est mise en évidence dans la seconde ligne du tableau précédent. La corrélation devient toutefois très faibl e dès q ue le nombre d'observations dans la dimension temporelle dépasse 6.

49 Dans notre étude, les données sont disponibles initialement pour 8 années et l'utilisation de l'endogène retardée en différence première nous fait "perdre" les trois premières observations pour chaque entreprise – T = 8 avec les notations de cette annexe. Nous nous situons ainsi dans le cas de figure où cette corrélation asymptotique est très faible et nous nous sommes en conséquence autorisés à utiliser l'endogène retardée en différence première comme instrument.

Bibliographie

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Notes

  • (*)
    EPS-Adeps (Université Nancy-II et CNRS) et Conseil supérieur de l'emploi, des revenus et des coûts au moment de la réalisation de cette étude, actuellement Erudite (Université Paris-XII) et Caisse nationale des Allocations familiales ; e-mail : FF. Legendre@ univ-paris12. fr
  • (**)
    Université de Vannes et EUREQua (UMR 8594, Université Paris-I Panthéon Sorbonne et CNRS); e-mail : Patricia. LLe-Maitre@ wanadoo. fr
  • (1)
    Ces constats qualitatifs sont bien sûr contestables (et contestés) ; cf. par exemple l'étude récente de L'Horty et Rault (1997). Il semble toutefois, mais on manque de recul pour une telle évaluation, que les allègements de charges patronales sur les bas salaires aient pu renverser la tendance très nette à la baisse de la demande de travail peu qualifiée des années 80, cf. Cserc (1999).
  • (2)
    Nous notons en lettres minuscules les logarithmes des variables en niveau. Ainsi, x X=ln( ).
  • (3)
    Sa forme est particulièrement simple parce que nous avons retenu des hypothèses assez restrictives : i) une élasticité de la demande inverse constante, ii) une fonction de production homogène de degré v et iii) une élasticité de substitution constante.
  • (4)
    Nous ne pouvons pas, à partir des données utilisées, distinguer les différentes qualifications de la main-d'œuvre. Il s'agit là d'une limite d'importance puisque de nombreuses études empiriques mettent en évidence que la demande de travail faiblement qualifié serait plus sensible à son coût que la demande de travail fortement qualifié.
  • (5)
    Il s'agit d'un test global d'exogénéité des instruments qui repose sur la régression du résidu estimé sur les variables utilisées comme instruments.
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