Couverture de ECOPO_028

Article de revue

Initiatives économiques de femmes : potentialités, freins et obstacles

Pages 105 à 113

English version

1Alors qu’aujourd’hui de nombreux discours déplorent le repli sur soi et le désengagement d’une partie de la population pour la vie civique et citoyenne, lorsque des citoyens s’organisent pour prendre leur vie en main, ils sont soumis à de nombreux freins et obstacles. Cette situation est particulièrement observable dans les zones sensibles urbaines. Les quartiers faisant l’objet d’une procédure de développement social urbain sont confrontés à des difficultés graves liées au problème de marginalisation sociale, professionnelle et d’exclusion d’une grande partie de sa population très précarisée face à l’emploi et démunie face aux circuits administratifs et décisionnels. Les associations de femmes, souvent multiculturelles, y sont très dynamiques. Ces femmes, souvent d’origine immigrée, au chômage ou en situation précaire, se mobilisent pour utiliser au mieux leurs possibilités et leurs compétences en créant des lieux de rencontres, en améliorant la vie de leur quartier. Ce sont des femmes, sans emploi, au chômage, ou percevant les minima sociaux et le plus souvent chefs de famille. Elles investiguent des secteurs trop souvent inexploités, par la mise en place de petites unités de production collective leur permettant de créer leur propre emploi tout en agissant sur leur environnement. En particulier les projets liés à l’alimentation-nutrition et à la restauration sont multiples et concernent de nombreuses femmes qui souhaitent transférer leurs savoir-faire traditionnels en compétences professionnelles. La prise en compte de ces différentes composantes dépasse la simple dimension économique, pour s’inscrire dans une perspective plus large de prévention et de régulation sociale. Ces initiatives locales s’inscrivent dans une dynamique de citoyenneté active par leur dimension pluriculturelle, en particulier la lutte contre la montée des intégrismes et du communautarisme, la démarche d’économie solidaire, le rôle de dynamique locale et sociale mené sur le quartier, la recherche d’autonomie par l’auto-emploi.

L’exemple du Flamboyant

2Le Flamboyant, restaurant à statut associatif, est ouvert depuis 1988 dans le quartier du Plateau Rouher à Creil, en Picardie, à 60 kilomètres de Paris. Il est situé dans un quartier en grande difficulté, où l’on constate un fort taux de chômage, marqué notamment par la fermeture des usines Chausson et une immigration importante. Ce quartier cumule un certain nombre de difficultés : une paupérisation de la population, une absence d’infrastructure, des zones commerciales désertifiées, un éloignement du centre ville.

3Petit établissement de 40 couverts, Le Flamboyant est ouvert le midi en semaine et le samedi soir. Il propose une carte composée de plats traditionnels et surtout un choix de spécialités étrangères qui a fait sa réputation. Le service restauration est complété par un service traiteur fonctionnant de manière occasionnelle, mais dont les résultats sont loin d’être négligeables, tant en terme de chiffres d’affaires que de développement de la notoriété du restaurant. Il assure des buffets pour plusieurs centaines de personnes dans la région. Il fonctionne sous statut associatif et fait travailler six femmes d’origine immigrée auparavant sans emploi. Ces femmes du quartier ont ainsi créé leur propre emploi rémunéré, légèrement au-dessus du salaire minimum, sur une base d’un mi-temps chacune. De cette manière, elles concilient partage du travail et vie familiale. Cette activité de restauration a permis au quartier de posséder un lieu d’animation susceptible de dynamiser la vie du quartier.

4Par sa localisation, Le Flamboyant offre un lieu de brassage multiculturel et permet de revaloriser l’image du quartier. L’association Femmes sans frontière souhaitait créer un lieu en transformant des acquis traditionnels des femmes en savoir-faire professionnel. Cette association, qui regroupait une centaine de femmes de diverses origines, était très dynamique sur le quartier et menait un certain nombre d’actions : alphabétisation, permis de conduire. Les pouvoirs publics voulaient une activité, initiée par les gens du quartier, qui garantisse une meilleure cohésion sociale. Pour cette opération, de nombreux partenaires se sont mobilisés : collectivités territoriales, services de l’État, organisme logeur, FAS, la Communauté européenne. L’Agence pour le développement de l’économie locale a assuré l’accompagnement méthodologique du projet sur trois ans dans le cadre d’un dispositif global d’intervention très axé sur les ressources humaines. L’étude, en plus d’une étude de marché classique, était centrée sur une analyse des potentialités des femmes et une analyse institutionnelle permettant de mobiliser ou de neutraliser les partenaires. La formation était axée sur l’acquisition de savoir-faire techniques et des compétences d’entrepreunariat collectif.

Des initiatives citoyennes

5Ces projets d’initiatives économiques émergent de regroupements de femmes qui ont leur dynamique propre. Ils favorisent, non seulement l’« emploi » de quelques individus, mais la dynamisation de la vie dans des quartiers en difficulté. Les associations développent des initiatives pour satisfaire des besoins fondamentaux de types variés : nourriture, logement, alphabétisation, éducation, besoins relationnels, services et soins essentiels et services permettant des choix véritables, expression publique. Elles sont souvent dans des territoires où la vie quotidienne prend la forme de « survie ». Les femmes veulent « changer le monde » en expérimentant des nouvelles manières de produire, de consommer et d’échanger, à partir de leurs préoccupations et de leurs valeurs. Ces initiatives s’inscrivent dans des démarches de citoyenneté et d’autonomie. Les femmes s’investissent dans des dynamiques interculturelles pour dépasser les logiques communautaires et contrebalancer le poids des cultures traditionnelles. Elles tentent de faire un pont entre culture d’origine et culture du pays d’accueil et de lutter contre la montée des intégrismes et la dégradation de la vie sociale. Elles s’inscrivent dans des projets collectifs, qui leur permettent de compenser les faiblesses et les fragilités individuelles. En effet, seule une dynamique collective, mutualisant les compétences, donne les forces suffisantes pour se lancer dans des démarches longues et difficiles, pour résister aux pressions et développer des stratégies efficaces. Elles choisissent un mode d’organisation plus « autogestionnaire » qui leur permette de garder les dynamiques collectives. L’entrepreunariat collectif favorise la polyvalence, la maîtrise de l’outil de production, le partage des responsabilités et des tâches.

6C’est cette organisation démocratique, où les femmes ont la maîtrise de leur outil de travail, qui leur donne la volonté de continuer malgré les différentes contraintes. Ces initiatives s’appuient sur une démarche spécifique avec ses temporalités propres, ses temps de maturation et de construction, ses rythmes d’apprentissage. Par exemple, des périodes de transition sont obligatoires pour gérer les déstabilisations de la sphère familiale, notamment pour des publics immigrés où la place de la femme est fortement définie par la tradition. Les projets économiques portés par les associations sont toujours en lien avec la vie de celles-ci. Les femmes ont mené une vie associative intense et à un moment donné ont voulu vraiment s’appuyer sur leurs savoir-faire et transformer l’essai de leurs activités bénévoles pour sortir de l’assistanat en s’inscrivant dans des démarches professionnelles. Il n’y a pas de rupture, mais une continuité, un prolongement, un dépassement des activités de l’association, le désir de s’inscrire et de se confronter à la sphère économique pour trouver des solutions originales et adaptées aux femmes de l’association et dans leur logique propre. Ces initiatives favorisent la création d’emplois, mais sont aussi des espaces de cohésion sociale, de rencontres interculturelles et intergénérationnelles. Elles favorisent de réelles passerelles avec le centre-ville, car souvent les personnes viennent découvrir des plats dans des quartiers où elles ne viendraient pas habituellement. De plus, ces restaurants représentent des passerelles inter-initiatives et parfois internationales. Beaucoup d’associations sont engagées dans des actions de solidarité avec leur pays d’origine.

7Les femmes immigrées, qui initient ces actions, ont fait le choix de s’investir fortement dans le quartier où elles vivent. Elles savent qu’el les vont devoir rester, au moins un certain temps, dans le pays d’accueil et développer des stratégies pour y rendre la vie possible. Elles souhaitent favoriser l’intégration de leurs enfants en leur donnant des images positives d’intégration. Elles savent qu’elles ont peu de chance d’avoir un travail salarié ordinaire, compte tenu de la situation globale du marché du travail et des contraintes en termes de temps et de mobilité auxquelles elles sont soumises. Développer sa propre activité sur son territoire équivaut à se doter des moyens adaptés pour créer son propre emploi, les structures familiales ne permettant plus d’assurer leurs besoins et ceux de leurs enfants. Elles veulent, soit valoriser leurs savoir-faire, certains acquis au cours de leur parcours migratoire, soit utiliser des compétences professionnelles qu’elles n’arrivent pas à négocier sur le marché du travail compte tenu de leur origine et des facteurs liés à leur installation sur des quartiers sensibles.

8Alors qu’elles représentent des potentialités intéressantes en terme de « mieux vivre ensemble » dans des quartiers relégués et en souffrance sociale, les initiatives sont confrontées à de nombreux freins et résistances

Un déficit de reconnaissance

9La question centrale est celle de la reconnaissance et de la crédibilité de projets initiés par des publics maîtrisant insuffisamment les codes sociaux, les règles administratives, et donc rarement pris au sérieux. Ces initiatives atypiques, à forte valeur citoyenne, se retrouvent dans la mouvance de l’économie solidaire, qui, elle aussi, a des difficultés aujourd’hui à faire reconnaître ses spécificités. Par exemple, un restaurant dans un quartier sensible vend des plats et des boissons, mais joue aussi un rôle important de cohésion sociale, permettant rencontres et convivialité. Pour fonctionner, il s’appuie sur les prestations qu’il vend, mais il a aussi besoin de financement pluriannuel pour compenser le manque à gagner dû à son installation dans un quartier pauvre et l’embauche de personnes hors du marché de l’emploi. Or cet aspect est très difficile à intégrer dans des moules administratifs et les montages sont fort complexes. L’hybridité est mal acceptée surtout venant de public marginalisé de l’emploi peu crédible. L’économie solidaire se trouve aux confins des actions touchant la participation des habitants, la création d’activités économiques et l’entrepreunariat collectif, qui actuellement sont soumis à de nombreux freins politiques et administratifs. Alors qu’on pourrait faire l’hypothèse qu’ils préfigurent de nouvelles formes sociales en terme d’organisation du travail, de transformation sociale, de régulation des sphères sociale et privée, ces projets auraient besoin d’un environnement institutionnel et administratif favorable pour éclore et se développer. L’économie solidaire s’appuie sur les capacités des initiatives et les potentialités des gens. Or les pouvoirs publics en France résistent à faire confiance aux capacités d’organisation et d’initiatives des populations.

10De plus, ces initiatives sont portées par des publics atypiques souffrant d’une triple discrimination. Les femmes, qui sont concernées par ces dispositifs de la politique de la ville, sont, non seulement, des femmes en situation de pauvreté, soit par leur niveau de vie, soit par le territoire où elles vivent ; mais aussi des femmes immigrées. Elles restent souvent dans une relative invisibilité et leur spécificité, la richesse et la qualité de leurs interventions trouvent peu d’écho. Pourtant la situation des femmes d’origine immigrée est très diverse. De nombreuses femmes d’origine africaine ont fait des études supérieures, mais cela ne facilite pas, bien au contraire, leur démarche. Alors que leur maîtrise des codes des systèmes devrait aider au montage des projets, nous constatons paradoxalement des résistances plus lourdes et plus ambiguës de la part des institutions. Être femme, jeune, intelligente, élégante et vivre dans un quartier sensible dérange et génère des réactions de l’institution dont l’extrême violence nous surprend toujours.

Une inadéquation entre projet et procédure

11Les institutions sont très réservées sur les actions novatrices avec leurs zones d’incertitudes sur les résultats. Elles ne soutiennent guère et même souvent résistent aux initiatives portées par des publics fragilisés. En effet, celles-ci, pour réussir impliquent une démarche singulière en terme de durée, globalité, méthodologie spécifique d’intervention qui est mal adaptée à l’urgence des politiques sociale et d’emploi qui veulent des résultats rapidement visibles.

12Les dispositifs d’emploi, conçus en terme de procédure à mettre en place et de ligne budgétaire à dépenser et non de projet à soutenir sont inadaptés aux innovations. Créer une activité de proximité nécessite de s’appuyer sur les capacités, les connaissances, les compétences des femmes et sur les potentialités de l’environnement, ainsi que sur la mobilisation des différents acteurs concernés dans une temporalité spécifique. L’erreur la plus habituelle consiste à partir des procédures et de quelques modèles de projets et à réduire le processus à une question d’adaptation des populations à ce qui est prédéfini. Cette logique administrative génère une série de paradoxes complexes à dépasser, en particulier les décalages ou ajustements temporels. En effet, le temps des administrations et des politiques est difficile à harmoniser et à coordonner avec le temps des gens soumis de près à l’urgence de situations problématiques, mais aussi au temps nécessaire des apprentissages.

13Ces projets intègrent l’ensemble des données liées à la vie, donc globales, se heurtent à des politiques publiques sectorisées et ne rentrent pas dans les cases administratives. Dans un pays à tradition jacobine chaque institution possède sa culture administrative, ses logiques et ses fonctionnements propres. En France aujourd’hui, on souffre beaucoup de cultures institutionnelles cloisonnées qui fonctionnent trop souvent comme des mondes parallèles sourds aux autres cultures. De plus, on se trouve face à une rigidification d’un certain nombre de fonctionnaires qui ne maîtrisent plus bien l’ensemble du système et s’accrochent d’autant plus à leurs prérogatives. À cela se rajoutent des tensions entre économique et social. Une des difficultés majeures que l’on croise dans le montage de micro-initiatives est le maintien d’une tension équilibrée et dynamique entre économique et social. Or, actuellement il est très difficile de ne pas être happé soit par la sphère économique, soit par les tenants du tout social.

14Toutes ces tensions génèrent une inadaptation des moyens, notamment des financements publics conçus dans une logique de subvention et non de contractualisation reconnaissant la plus-value sociale des activités citoyennes sur le développement humain et les nouveaux facteurs de richesse.

La systématique sous-évaluation des ressources humaines

15Dans ces projets, tout ce qui touche l’immatériel est peu reconnu. Financer le temps de montage est une véritable gageure. De nombreux intervenants accompagnent les projets, consultants, experts, chercheurs, intervenants sociaux, mais les femmes ne peuvent même pas prétendre à une rémunération pour monter « leur projet » sur lequel tout le monde est financé pour travailler. À cela se rajoute l’inadéquation des dispositifs de formation. La question de la professionnalisation est rarement posée comme condition nécessaire pour la réalisation d’une activité. On surévalue leurs compétences techniques, comme si le savoir familial était garant d’un savoir professionnel. Par contre les compétences entrepreunariales sont toujours sous-évaluées, comme si ces femmes n’étaient pas en capacité de gérer une activité. L’accompagnement souffre de la même dévalorisation. Pourtant celui-ci est essentiel pour amener un public ne maîtrisant pas les codes et les règles administratives à gérer une activité. Si on vise à terme l’autonomisation des publics et la prise en charge par les personnes elles-mêmes de leur activité, alors l’accompagnement formatif est un axe essentiel de travail. S’il s’agit d’une activité plus liée à l’auto-organisation ou à l’économie solidaire, on se retrouve dans un champ vide, où les montages sont toujours limités et fragiles puisque rien n’est prévu en soutien à la constitution, à l’organisation, en accompagnement et en formation. Il faut grappiller sur les lignes de crédit, négocier pour obtenir des conventions sur la question de l’entrepreunariat collectif.

16À ces difficultés, se rajoute la complexité endémique des dispositifs. L’inadéquation entre besoins et demandes de la population, entraîne une institutionnalisation systématique des dispositifs et une émergence d’acteurs intermédiaires, qui ne facilitent pas, et parfois même limitent, la capacité d’initiative des habitants. En effet, les montages sont de plus en plus complexes et sophistiqués, et à terme seuls les techniciens et les spécialistes pourront les maîtriser. Aujourd’hui, alors qu’on vit une évolution de la société excessivement préoccupante, avec une société qui se fragmente, des entreprises qui excluent de plus en plus de personnes et une paupérisation galopante d’une partie de la population, les dispositifs sont de plus en plus compliqués, les systèmes de plus en plus fermés. Des dispositifs d’emploi coexistent avec des dispositifs d’insertion et d’assistance sociale sans cohérence d’ensemble et sans véritable lisibilité. Ceci ne facilite pas l’utilisation des procédures par un public marginalisé des circuits de décision. Le maniement des procédures est indispensable pour s’inscrire dans le cadre légal de fonctionnement, de financement, et il est souvent mieux maîtrisé par les agents de développement, les travailleurs sociaux, les différents intervenants qui parfois monopolisent la connaissance des circuits. Pratiquement toutes les initiatives rencontrent des problèmes de place et de positionnement face aux travailleurs sociaux. Un intervenant social aide un groupe à émerger, puis à se structurer, mais ensuite ne le laisse ni s’organiser, ni se développer seul et en général la démarche d’autonomisation avorte.

Inadaptation des statuts

17Les initiatives qui se créent articulent des objectifs économiques et sociaux et hybrident des ressources privées et publiques. Or les statuts juridiques qu’elles peuvent adopter ne prennent pas en compte cette mixité d’objectifs et de ressources. Elles sont renvoyées soit à un statut économique qui ne leur permet pas d’obtenir des compléments de financement comme les SCOP ou les SARL et les astreint à une rentabilité économique difficile, sinon impossible, et où elles ne peuvent mobiliser le réseau de bénévoles et de volontaires qui les soutient. Soit elles optent pour un statut associatif, souvent par défaut, mais alors elles ne peuvent bénéficier du soutien à la création d’entreprise et doivent au démarrage payer toutes les charges, ce qui affaiblit et limite leur possibilité de développement. Soit, enfin, elles choisissent le statut SCIC, mais celui-ci démarre seulement aujourd’hui et ce statut commercial ne permet pas que les entreprises puissent bénéficier des mêmes appuis publics (notamment des emplois aidés) que les associations. Ce statut est assez complexe pour des personnes ne bénéficiant pas d’un fort réseau social.

18L’entrepreunariat collectif n’est absolument pas reconnu. La majorité des dispositifs de la création d’entreprise ne reconnaissent pas le modèle coopératif ou associatif. Pour un public qui n’a pas le capital social, le réseau social qui fait le succès des créateurs d’entreprises, gérer collectivement une activité demande de maîtriser l’ensemble des savoirs institutionnel, organisationnel et technique, nécessaires pour la consolidation d’une activité.

Des stratégies de développement

19Pour que ces initiatives se développent, il est essentiel de faire reconnaître un droit à l’initiative économique pour tout public, où on considère les personnes comme responsables de leur projet et interlocutrices à part entière et non renvoyées à se mouler dans des procédures qui les détournent, les décalent de leur objectif et parfois les remettent en cause. Favoriser l’entrepreunariat collectif est une absolue nécessité. Une meilleure articulation avec les finances solidaires faciliterait certainement l’impact à l’émergence et le développement d’initiatives citoyennes mal perçues par le circuit bancaire traditionnel. La reconnaissance de l’économie solidaire comme un projet politique de transformation sociale et de contribution à une meilleure démocratie économique est une priorité. Ceci doit prendre appui sur la construction de nouveaux rapports entre la société civile et l’État, une co-construction au Nord et un renforcement d’un État garant de l’intérêt général au Sud.

20Dans ces architectures, le rôle des femmes dans la construction d’un nouveau modèle économique est central. Cette contribution des femmes au développement d’un modèle économique global, pluriel et solidaire, équitable pour elles et reconnaissant des rapports égaux entre les genres, demande d’analyser de nouveaux outils centrés sur le développement humain. L’apport des femmes à l’économie est aujourd’hui peu reconnu sinon invisible. Il est important de concevoir d’autres indicateurs de richesse et de travail pour les initiatives de femmes. Seuls des indicateurs revus pourront rendre visibles les activités traditionnelles des femmes, les activités volontaires des femmes et des hommes, les aspects immatériels de la qualité de vie des personnes, les activités créatrices de liens sociaux, l’importance des échanges gratuits, conviviaux et « non-productifs ». Ce travail pourrait servir de base pour la réinterpellation des concepts économiques.

21Les initiatives citoyennes représentent un champ de possibles encore peu développé. La constitution de collectifs forts et de réseaux peut faciliter des avancées en ce domaine. L’Inter-réseaux d’économie solidaire, puis le Mouvement d’économie solidaire par sa composition plurielle – acteurs de terrain, groupes d’appui, organisations de solidarité internationale et chercheurs – ont favorisé la reconnaissance de ce champ, permis des alliances notamment avec l’économie sociale. La construction, la consolidation et le développement de réseaux d’acteurs représentatifs des différentes composantes des mouvements, avec un souci de mixité sociale, d’interaction entre chercheurs et praticiens et des modes d’organisation transversaux à tous les niveaux (locaux, régionaux, nationaux et internationaux), sont indispensables.

22Mais plus que tout, l’enjeu de l’articulation de ces réseaux avec les mouvements altermondialistes est essentiel. Ce qui se construit actuellement autour des forums sociaux est une perspective intéressante. Il s’agit de fédérer des énergies pour développer ensemble des alternatives économiques permettant de changer les conditions de vie au quotidien. Tout ce qui favorise l’autonomie économique des personnes doit être soutenu. Une réelle place doit être faite à toutes les personnes, chômeurs, femmes immigrées, jeunes, qui sont porteuses de cette dynamique. La mobilisation des différents acteurs de l’altermondialisation sur ces questions est essentielle.


Date de mise en ligne : 01/11/2011

https://doi.org/10.3917/ecopo.028.0105

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