Couverture de ECOPO_026

Article de revue

Johannesburg. Les défis du nouveau siècle

Pages 5 à 8

Notes

  • [1]
    J. Chirac, « Notre maison brûle…», intervention au Sommet de Johannesburg, cité dans Le Monde, 5 septembre 2002.
  • [2]
    M. Gorbatchev, Mon manifeste pour la Terre, Le Relié, Gordes, 2002.
  • [3]
    Ibid., p. 41-42.
  • [4]
    M. Jollivet (dir.), Le développement durable de l’utopie au concept, de nouveaux choix pour la recherche, NSS, Elsevier, Paris, 2001.
  • [5]
    A.-M. Ducroux, Les nouveaux utopistes du développement durable, Editions Autrement, Paris, 2002.
English version

1Le sommet de Rio, il y a dix ans, proclamait la conscience internationale de la vulnérabilité de la planète Terre face à son exploitation irresponsable. Il s’agissait alors de permettre à la biosphère mutilée et asphyxiée de reprendre un souffle vital pour notre propre survie, de redonner sens à des formes inédites de progrès dans une nouvelle alliance entre la science et la conscience, entre les trésors du patrimoine, naturel et culturel, légué par les générations passées, les impératifs immédiats d’une survie décente pour les plus démunis et les choix du futur. C’était en l’an 92 du XXème siècle. Depuis, les conférences ambitieuses et les conventions de faible portée pratique se sont multipliées, mais la planète continue de céder sous les coups que lui portent les civilisations humaines, en particulier les plus florissantes d’entre elles. Les données sont accablantes, comme le montre irréfutablement l’article de Catherine Aubertin. La préparation de Johannesburg manifeste le tragique aveu d’impuissance de la communauté internationale soumise aux visées à courte vue de l’imperium américain et à la montée en puissance de grands empires industriels et financiers préoccupés de leur propre développement, lui-même orienté par la seule logique du marché.

2Plus personne cependant ne doute de la gravité de la situation de la planète, dont l’enjeu final n’est ni plus ni moins que le sort de l’humanité.

3Comme l’a dit le Président de la République : « Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas ! Prenons garde que le XXIème siècle ne devienne pas, pour les générations futures, celui d’un crime de l’humanité contre la vie[1]. »

4Au-delà des déclarations d’intention, aussi nécessaires soient-elles, il nous faut revenir aux basculements planétaires survenus entre la période qui a précédé Rio et celle de Johannesburg. Les dates calendaires qui marquent la succession des siècles ne coïncident jamais avec les changements historiques réels. Rio avait été précédé par le plus grand accident industriel civil de l’histoire, Tchernobyl. Ensuite, la politique gorbatchévienne de détente militaire entre les deux blocs, conférence de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe à Vienne en 1987, premiers accords américano-soviétiques sur la réduction de missiles à tête nucléaire, retrait des troupes soviétiques d’Afghanistan, puis d’Europe de l’Est avec l’abrogation du pacte de Varsovie, et finalement chute du mur de Berlin, permettait d’entrevoir de nouvelles possibilités de coopération internationale. Selon Mikhaïl Gorbatchev [2] lui-même, la reconversion des immenses ressources consacrées à la course aux armements devait être réorientée vers des investissements dans la lutte contre la pauvreté et un développement respectueux de l’écologie planétaire. L’Europe en particulier avait vu naître la possibilité de créer une vaste confédération « ayant surmonté sa profonde division intérieure, construite sur la solide assise de valeurs et d’idéaux communs […], à l’avant-garde de la construction d’une communauté à l’échelle planétaire, [en mesure] de résister au modèle de monde unipolaire que les Etats-Unis cherchaient à imposer à l’humanité[3] ». Septembre 2002. En dépit du nouvel accord russo-américain de désarmement nucléaire signé en mai de cette année, la dernière décennie n’a en rien été le début du règne de la paix sur Terre. C’est au contraire le fracas des attentats du 11 septembre 2001 qui a marqué l’entrée de l’humanité dans le nouveau siècle. Comme le montre parfaitement Guillaume Sainteny, ils ont porté un coup dramatique à l’idée même de développement durable, en apportant notamment la preuve que le capitalisme mondialisé est certes un géant, mais un géant aux pieds d’argile par la vulnérabilité de ses installations nucléaires, sa dépendance vis-à-vis des immenses réserves d’hydrocarbures de la région du Golfe et d’Asie centrale, la violence avec laquelle il détruit l’écosystème mondial ; c’est-à-dire finalement par son propre mode de vie et la culture qui le sous-tend, dévalorisant cultures et civilisations différentes. Force est de constater que cette situation légitime les craintes et les refus qu’engendrent les formes dominantes de la globalisation de l’économie et de la politique mondiale.

5On ne saurait désormais établir facilement de hiérarchie dans les calamités écologiques qui ravagent le monde, tant la liste en est longue et les coups portés à la biosphère violents. Mais le pire fléau est sans aucun doute culturel et écologique : l’autisme de nos sociétés protégées devant la dégradation de notre monde et la misère de la majorité de ses habitants ainsi que l’illusion mortelle qu’un développement économique hors contrôle serait la condition ultime du sauvetage d’un navire qui a déjà commencé sa plongée vers les abîmes. Non qu’il faille désespérer des progrès étonnants de notre capacité à connaître notre monde ou de notre inventivité technique, bien au contraire. Ce dont il agit aujourd’hui, c’est de l’urgence de l’inversion de la hiérarchie des valeurs qui orientent l’agir humain. Humilité devant les lois de la nature qu’il est pure folie de prétendre transcender et haute conscience de la grandeur de toutes les solidarités humaines doivent guider la décision politique, seule à même d’orienter l’activité économique dont nous savons qu’elle est structurellement sollicitée par les forces du marché, lui-même aveugle aux temporalités de l’écologie et indifférent aux souffrances humaines.

6C’est ainsi que la parole et l’action politiques peuvent retrouver dignité et crédibilité. C’est dans cette situation, au foyer de convergence du pessimisme de l’intelligence et de l’optimisme de la volonté qu’a été conçu ce numéro 26 d’Ecologie & Politique dont il faut rappeler que tous les articles ont été pensés et écrits avant la conférence de Johannesburg. Conférence dont nous devrons continuer à analyser tous les aspects et tous les résultats, aussi minces et décevants soient-ils.

7Nous ne sommes pas seuls dans cet effort, comme en témoigne un nombre impressionnant de publications, dont nous ne pouvons citer ici que les plus marquantes, parmi lesquelles nous distinguerons le recueil de réflexions sur le développement durable publié sous la direction de Marcel Jollivet [4], importante contribution aux recherches en sciences sociales sur ce thème ; et, dans un registre tout différent, le remarquable ouvrage publié sous la direction de Anne-Marie Ducroux, qui place en exergue la belle définition de l’utopie [5] par Ernst Bloch : « l’utopie n’est pas la fuite dans le réel, c’est l’exploration des possibilités objectives du réel et la lutte pour leur concrétisation » et donne la parole à une foisonnante multiplicité d’acteurs sociaux impliqués dans l’action et la réflexion.

8Parmi les plaisanteries qui circulaient à Johannesburg, la suivante a connu un franc succès. Deux planètes se rencontrent dans le cosmos. L’une a triste mine et se plaint de souffrir de la maladie d’Homo sapiens. La seconde, en pleine forme, lui répond par ce message d’espoir : « Ne t’inquiète pas, j’ai eu la même maladie, mais elle est passée toute seule… ». Cet humour très noir, qui ressort en définitive de l’écologie profonde, est cependant une manifestation de cet incorrigible don d’ironie dont fait toujours preuve notre espèce ainsi que de l’écologisation de nos consciences, condition de l’émergence d’une véritable solidarité planétaire envers les déshérités de la Terre. C’est à ce niveau précis mais en des termes différents que la parole et la décision politiques ont un rôle irremplaçable à tenir, sous la forme notamment de la critique des périls dont est porteuse l’attitude américaine, ce qui une fois de plus a été exprimé dans le discours officiel tenu par le représentant de l’Etat français, sous une forme imagée. Il faudrait en effet à l’humanité « deux planètes » supplémentaires si elle adoptait le modèle de production et de consommation des pays du Nord !

9Car il y a en effet une contradiction flagrante et que nous avons maintes fois soulignée entre le niveau de consommation matérielle qu’implique ce mode de vie extravagant et la perpétuation des possibilités de la vie sur Terre. Il revient au Politique de souligner cette contradiction, dont nous pouvons penser en effet qu’elle est constitutive du système économique dominant. De nombreux observateurs ont relevé une contradiction entre la clarté du discours politique et la confirmation à Johannesburg du rôle dévolu aux entreprises privées pour avancer sur le chemin d’un développement durable. Se contenter de relever cette contradiction pour s’en plaindre est cependant profondément démobilisateur et inutile.

10Il est par contre infiniment plus intéressant et positif de jouer sur elle pour pousser toutes les avancées concrètes qu’elle légitime, y compris de la part du monde industriel ; et en dépit de la minceur des décisions prises lors de ce sommet et du goût amer qui nous en reste, il faut retenir les quelques décisions positives ainsi que le message politique qui a été porté et entendu à Johannesburg, aussi ténus soient-il. Il serait totalement vain de s’en tenir à la posture de ces Olympiens dont la fine bouche ne sait qu’opposer la grandeur des discours à la faiblesse des engagements concrets. Il revient à Ecologie & Politique d’en apprécier la portée et les limites, entre le doute de notre raison critique et notre incorrigible optimisme d’humains sur Terre.


Date de mise en ligne : 01/07/2011

https://doi.org/10.3917/ecopo.026.0005

Notes

  • [1]
    J. Chirac, « Notre maison brûle…», intervention au Sommet de Johannesburg, cité dans Le Monde, 5 septembre 2002.
  • [2]
    M. Gorbatchev, Mon manifeste pour la Terre, Le Relié, Gordes, 2002.
  • [3]
    Ibid., p. 41-42.
  • [4]
    M. Jollivet (dir.), Le développement durable de l’utopie au concept, de nouveaux choix pour la recherche, NSS, Elsevier, Paris, 2001.
  • [5]
    A.-M. Ducroux, Les nouveaux utopistes du développement durable, Editions Autrement, Paris, 2002.

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