Notes
-
[1]
« The Luddites. Against the Monster Machine », Second Luddite Congress, Barnesville (Ohio), avril 1996.
-
[2]
C. Glendinning, « Notes towards a Neo-Luddite Manifesto », Utne Reader, mars-avril 1990 et When Technology Wounds. The Human Consequences of Progress, William Morrow & Co, New York, 1990 ; J. Zerzan, Futur primitif, L’Insomniaque, Paris, 1998 ; K. Sale, La révolte luddite. Briseurs de machines à l’ère de l’industrialisation, L’Échappée, Paris, 2006 ; T. Kaczynski, La société industrielle et son avenir, Éditions de l’Encyclopédie des nuisances, Paris, 1998.
-
[3]
G. Simondon, « Il faut sauver l’objet technique », entretien avec Anita Kechickian, Esprit, n° 76, avril 1983.
-
[4]
Cf. I. Illich, La convivialité, Seuil, Paris, 1973, p. 13.
-
[5]
Cf., par exemple, Groupe Marcuse, La liberté dans le coma. Essai sur l’identification électronique et les motifs de s’y opposer, La Lenteur, Vaour, 2019, p. 162 et suiv.
-
[6]
Expression empruntée à Günther Anders (L’obsolescence de l’homme. Tome 2 : Sur la destruction de la vie à l’époque de la troisième révolution industrielle, Fario, Paris, 2011, p. 97).
-
[7]
La crise sanitaire actuelle révèle que l’utopie technologique que l’on croyait réalisée ne fonctionne pas. On a cru pouvoir faire basculer les universités de leur fonctionnement normal en présentiel vers un fonctionnement en distanciel et – avec toutes les tentations que cela offre et donc tous les risques que cela comporte – créer une université virtuelle n’ayant pas besoin de locaux et ne craignant donc pas les blocages.
-
[8]
G. Anders, op. cit., p. 63.
-
[9]
I. Illich, Énergie et équité, Seuil, Paris, 1975, p. 56.
-
[10]
G. Simondon, Du mode d’existence des objets techniques, Aubier-Montaigne, Paris, 1958, p. 9.
-
[11]
G. Simondon, L’individuation à la lumière des notions de forme et d’information, Éditions Jérome Millon, Grenoble, 2005, p. 514.
-
[12]
La liberté dans le coma du Groupe Marcuse contient une très intéressante réflexion sur la liberté qui explique bien ce qu’est la « liberté individuelle » – cette liberté que les marxistes regardaient de haut et qualifiaient d’« abstraite », « formelle » ou « bourgeoise » –, en quoi elle est un moment de la « liberté civile » et donc d’une politique démocratique, comment elle est pourtant réduite à une forme de « liberté intérieure » et que cette réduction a le sens d’une « autodestruction du libéralisme [politique] » (op. cit., p. 42 et suiv. et p. 165 et suiv.).
-
[13]
Cf., par exemple, G. Anders, Die molussische Katakombe, C. H. Beck, Munich, 2012, p. 254.
-
[14]
K. Marx, Le capital. Livre I, Garnier-Flammarion, Paris, 1969, quatrième section, chap. XV, « IV. La Fabrique », p. 304.
-
[15]
K. Marx, Le manifeste du parti communiste, Éditions Sociales, Paris, 1977, p. 39.
-
[16]
H. Selye, Le stress de la vie. Le problème de l’adaptation, Gallimard, 1962.
-
[17]
G. Anders, « L’obsolescence du monde humain », dans L’obsolescence de l’homme, op. cit., p. 61-79.
-
[18]
Dans cet essai, Anders va contre le lieu commun qui veut que la technique soit neutre en affirmant non pas qu’elle est politique mais qu’elle suscite des affects. Sa comparaison qui sexualise immédiatement le monde de la technique a évidemment une dimension heuristique.
-
[19]
G. Anders, L’obsolescence de l’homme, op. cit., p. 64.
-
[20]
Ibid., p. 67.
-
[21]
Ibid., p. 64.
-
[22]
Ibid., p. 65.
-
[23]
E. J. Hobsbawm, « Les briseurs de machine », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n° 6, 2006, p. 13.
-
[24]
Cf. E. J. Hobsbawm, Les primitifs de la révolte dans l’Europe moderne, Fayard, Paris, 1963 ; Les bandits, Maspero, Paris, 1972 ; et, avec G. Rudé, Captain Swing, Lawrence & Wishart, Londres, 1969.
-
[25]
E. P. Thompson, La formation de la classe ouvrière anglaise, Seuil, Paris, 2012, p. 788. On trouvera l’ensemble des documents relatifs au luddisme historique dans K. Binfield (dir.), Writings of the Luddites, The Johns Hopkins University Press, Baltimore, 2004.
-
[26]
Ibid., p. 789 et suiv.
-
[27]
C. Ferrer, « Les casseurs de machines. En hommage aux luddites », dans Tête d’orages. Essais sur l’ingouvernable, Rue des Cascades, Paris, 2011, p. 154.
-
[28]
« Interview with the Luddite », entretien de K. Kelly avec K. Sale, Wired, 6 janvier 1995, <www.wired.com/1995/06/saleskelly>, notre traduction.
-
[29]
Gustav Metzger (1926-2017) est un artiste anglais d’origine allemande qui a développé le concept d’autodestructive art dans les années 1960.
-
[30]
Cf. la note de Pete Townshend sur le site <www.thewho.com/petes-blog/gustav-metzger-1926-2017/>.
-
[31]
Le mot « télématique » renvoie à une époque où la convergence télécommunications-informatique culminait dans ce drôle d’objet qu’était le Minitel, père de l’ordinateur portable et grand-père du smartphone.
-
[32]
« Le CLODO parle… », Terminal 19/84, n° 16, octobre 1983, p. 3 et suiv.
-
[33]
Cf. le texte intitulé « The Sound of NYC » figurant dans la cassette 1/2 Alive (ROIR, 1981).
-
[34]
Frankie Teardrop / Frankie a 20 ans / Il est marié, il a un enfant / et il travaille dans une usine / Il travaille de sept à cinq / Il essaie juste de survivre / […] / On applaudit Frankie / […] / Eh bien, Frankie ne s’en sort pas / parce que c’est trop difficile / Frankie ne gagne pas assez d’argent / Frankie ne peut pas acheter assez à manger / Et Frankie se fait expulser / On applaudit Frankie / […] / Frankie est si désespéré / Il va tuer sa femme et son enfant / Frankie va tuer son enfant / Frankie a pris un revolver / l’a braqué sur l’enfant de 6 mois dans le berceau / Oh Frankie /Frankie a regardé sa femme / tiré sur elle / « Qu’est-ce que j’ai fait ? » / On applaudit Frankie / Frankie Teardrop / Frankie a mis le revolver contre sa tempe / Frankie est mort / Frankie gît en enfer / Nous sommes tous des Frankie / Nous gisons tous en enfer.
-
[35]
G. Anders, « Une contestation non violente est-elle suffisante ? », dans La violence : oui ou non, Fario, Paris, p. 157 et suiv.
-
[36]
J. Zerzan, « L’Unabomber de qui ? » (1995), <http://lanredec.free.fr/polis>.
-
[37]
Cf., par exemple, G. Anders, Nous, fils d’Eichmann, Rivages, Paris, 1999, p. 85 : « Le jour où [s’accomplira] le royaume millénariste du totalitarisme technique […], nous n’aurons plus d’autre existence que celle de pièces mécaniques ou de matériaux nécessaires à la machine : en tant qu’êtres humains, nous serons alors liquidés. »
-
[38]
G. Anders, L’obsolescence de l’homme, op. cit., p. 265, en italique dans le texte.
-
[39]
Ibid., p. 178, en italique dans le texte.
-
[40]
Ibid., p. 120, n. 16. Sans se référer directement à Anders, le Groupe Marcuse produit une analyse du totalitarisme technique comparable en partant de l’idée que « le totalitarisme ne réside pas seulement dans des finalités condamnables mais aussi dans les moyens employés » (cf. La liberté dans le coma, op. cit., p. 68, ainsi que p. 153 et suiv.).
-
[41]
F. Herbert, Dune, Pocket, Paris, 1990, p. 398 et suiv.
-
[42]
G. Anders, La menace nucléaire, Le Serpent à plumes, Paris, 2006, p. 99.
-
[43]
G. Anders, L’obsolescence de l’homme. Tome 1 : Sur l’âme à l’époque de la deuxième révolution industrielle, Éditions de l’Encyclopédie des nuisances/Ivrea, Paris, 2002, p. 69.
-
[44]
S. Mills, C. Glendinning et K. Sale, « Three Luddites Talking », CounterPunch, mai 2009. Toutes les citations qui suivent, dont la traduction est notre fait, sont extraites de cet entretien. Sur la notion d’échelle, cf. K. Sale, The Human Scale, New Catalyst Books, Gabriola Island, 2007 [1980].
-
[45]
C’est ainsi que l’on peut expliquer le regain d’intérêt actuel pour la pensée de Michel Foucault. Les questions de l’oppression et du contrôle sont au cœur de la question de la technique, dans un sens que Foucault ne pouvait pas imaginer, avec les puces RFID et la biométrie.
-
[46]
Chellis Glendinning distingue trois générations de luddites : 1) les luddites historiques auxquels elle associe les poètes Percy Shelley et William Wordsworth, 2) la seconde génération qui inclut des intellectuels comme Lewis Mumford et Jacques Ellul et 3) les néoluddites américains des années 1990 dont elle a fait partie (cf. The Dark Mountain Project, Walking on Lava. Selected Works for Uncivilised Times, Chelsea Green Publishing, White River Jonction, 2017, p. 86).
-
[47]
C. Péguy, Victor-Marie, Comte Hugo, dans Œuvres en prose complètes, Gallimard, Paris, 1992, t. 3, p. 331 et suiv.
-
[48]
J. Ellul, Ellul par lui-même. Entretiens avec Willem H. Vanderburg, La Table Ronde, Paris, 2008, p. 40.
-
[49]
Groupe Marcuse, op. cit., p. 184 et suiv.
-
[50]
Ibid., p. 234.
-
[51]
Ibid., p. 232.
-
[52]
Ibid., p. 187.
-
[53]
Ibid., p. 16.
[…] to name the enemy, which is technology […].
1On pourrait croire que le néoluddisme est une aventure américaine qui appartient à un temps que les moins de 40 ans ne peuvent pas connaître. Il y a eu les « Notes toward a Neo-Luddite Manifesto » et When Technology Wounds de Chellis Glendinning (1990), le Second Luddite Congress (1996), la fondation de la Jacques Ellul Society (1996), les textes de John Zerzan et Kirkpatrick Sale, les colis piégés de Theodore Kaczynski, la publication de son manifeste et son arrestation en 1996 [2]. Tout cela peut sembler appartenir au passé, peut-être même paraître dépassé aux yeux de certains – qui prêchent aujourd’hui la réconciliation avec les machines en citant Simondon (« L’objet technique doit être sauvé […] il y a de l’humain dans l’objet technique, et […] cet humain aliéné peut être sauvé à la condition que l’homme soit bienveillant à son égard [3] ») comme d’autres invitaient à leur faire bon accueil dans les années 1980 au nom de l’idée d’« outil convivial » d’Ivan Illich [4] – mais, au cours de la vingtaine d’années qui nous séparent de ce moment néoluddite, la présence des machines dans le monde n’a fait que croître au point qu’elles ont fini par « colonis[er] le quotidien [5] ». Les foyers en sont désormais remplis : à l’automobile, à la télévision et à l’électroménager prétendument « émancipateurs » des années 1950 sont venus progressivement s’ajouter les ordinateurs, les consoles de jeux, les ordinateurs portables, les téléphones portables, les smartphones, les sex toys, etc., prétendant mener toujours plus loin l’« émancipation » ; les supermarchés, les bureaux de poste, les gares sont remplis de troupeaux de machines accompagnés de leurs bergères et bergers [6] qui ne veillent pas vraiment sur elles mais pallient leurs dysfonctionnements permanents pour entretenir la fiction d’un monde technologisé accessible à tous et dans lequel tout fonctionnerait bien [7] ; les smartphones sont dans les mains de tous ou presque, leurs écrans captent leurs yeux, leurs écouteurs leurs oreilles et si ce n’était que ça, ils ont achevé de modifier le rapport des gens au monde et les rapports entre les gens. Ils ont achevé de monter en réseaux non plus seulement les machines mais aussi leurs utilisateurs, substituant l’idée de réseaux à celle de société à tel point qu’une étude de ce que l’on continue à désigner du mot rassurant de « société » peut et doit même prendre aujourd’hui la forme d’une sociologie des réseaux.
Vivre dans un monde de machines
2Comme l’écrit Anders : « Le monde auquel les hommes ont à faire quotidiennement est avant tout un monde de choses et d’appareils dans lequel il y a aussi d’autres hommes ; ce n’est pas un monde humain dans lequel il y aurait aussi des choses et des appareils [8]. » Qu’il y a de l’humain dans les objets techniques, cela veut juste dire qu’ils sont donc, comme l’humain, capables du meilleur comme du pire. Ce que les hommes mettent dans la conception et la réalisation d’un missile nucléaire, d’une mine antipersonnel, d’une grenade GLI-F4 ou GM2L, d’une puce RFID, d’un système biométrique, d’un dispositif de vidéosurveillance n’est bien sûr pas la même chose que ce qu’ils ont mis, par exemple, dans l’invention de la bicyclette, outil convivial « parfait » selon Illich [9]. On trouve vraiment de tout parmi les objets techniques, comme parmi les hommes. Faire leur place aux techniques dans la culture [10], intégrer l’étude des techniques à l’humanisme [11], oui, bien sûr, mais à condition d’exercer un droit d’inventaire, de ne « sauver » que les « êtres techniques » dans lesquels l’homme a mis le meilleur et non le pire de lui-même.
3La famille des mauvais objets techniques ne contient pas que les armes les plus tordues (animées – du fait des hommes qui les ont conçues et réalisées – par l’intention mauvaise et criminelle de tuer), elle contient aussi toute une série de machines qui sont animées – du fait des hommes qui les ont conçues et réalisées – par l’intention mauvaise et criminelle d’intensifier le contrôle et donc d’atteindre à la liberté individuelle [12]. Les premières de ces machines sont exceptionnellement mauvaises ; les secondes sont une des figures de la banalité du mal. Peut-on regarder avec sympathie ce qui de l’humain est projeté dans ces machines ? N’est-il pas tout simplement moral de les haïr et de souhaiter leur disparition ?
4Après, il y a des objets techniques plus ambigus : les machines-outils et les chaînes de machines de l’industrie. Leur finalité première est de permettre de produire des marchandises ; la seconde (à moins que ce ne soit elle la première) d’engendrer du profit. C’est pour cette raison que, du point de vue des patrons, on devrait les aimer. Mais, pour produire des marchandises, elles asservissent ceux qui travaillent sur elles. Et, là, il est difficile, du point de vue des ouvriers, de continuer à les aimer. L’amour des machines est un sentiment que les patrons exigent des ouvriers mais qu’ils ne partagent pas. « Je la nettoie tous les jours », dit un ouvrier voulant prouver à son patron qu’il aime la machine sur laquelle ce dernier le fait travailler alors que le patron, lui, n’hésitera pas à remplacer cette machine par un nouveau modèle plus performant [13].
5Il n’a pas fallu longtemps après le début de la révolution industrielle pour que l’on comprenne que la mécanisation du travail n’avait pas que des effets émancipateurs : « En même temps que le travail mécanique fatigue à l’extrême le système nerveux, il supprime le jeu varié des muscles et tue toute libre activité physique et intellectuelle. Même la facilité plus grande du travail devient un moyen de torture puisque la machine ne dispense pas l’ouvrier du travail, mais enlève à celui-ci son intérêt », écrivait déjà Marx [14]. La machine n’est pas un outil, elle ne prolonge pas le corps de l’homme ; l’homme en devient, à l’inverse, un simple « appendice [15] ». Le problème n’est plus d’avoir un outil adapté, c’est de s’adapter à la machine. La fatigue nerveuse dont parle Marx dans les années 1860, c’est ce que Hans Selye appellera le stress (« l’ensemble des moyens physiologiques et psychologiques mis en œuvre par une personne pour s’adapter à un événement donné ») dans les années 1950 [16]. Manque d’intérêt, asservissement et stress – le tableau est complet.
6Le patron demande à l’ouvrier d’aimer une machine qui vide son travail de tout intérêt, l’asservit et le stresse. Cette situation et ses effets, Anders les a thématisés et décrits d’une façon surprenante dans « L’obsolescence du monde humain », un essai qu’il a écrit au retour de son voyage au Japon en 1958 [17].
7L’histoire-fable imaginée ici par Anders raconte comment le monde industriel a engendré un secteur – celui des jeux d’arcades – pour sauver les machines de ses usines en détournant la violence que ces dernières engendrent vers d’autres machines.
8Anders y redistribue les machines selon les grandes lignes de la vie sexuelle telle que conçue par le xixe siècle et oppose ainsi deux rapports hommes-machines : celui laborieux des hommes avec les machines-outils ou les chaînes de machines « graisseuses » de l’usine, qu’il présente comme des épouses, et celui ludique qu’ils entretiennent avec les « sirènes chromées » des salles de jeux d’arcades (de pachinkos, en l’occurrence), salles qu’il présente comme des bordels. Cette sexualisation [18] permet d’expliquer, en partant de l’hypothèse d’un amour dû aux machines, pourquoi les hommes peuvent en venir à haïr celles-ci et comment ils gèrent cet affect haineux.
9Cette comparaison du monde technique avec la société du xixe siècle (d’un côté, la violence conjugale et, de l’autre, la prostitution et sa fonction sociale qui serait de « canaliser » la violence conjugale), dit que, dans un cas comme dans l’autre, on a à faire à des dispositifs visant à contenir la violence et à sauver la société. Dans aucun des deux mondes qu’Anders compare on ne répond au problème de la violence, on se contente de trouver des « trucs » pour le gérer [19]. Les hommes font avec ce problème parce qu’ils ne voient pas comment en sortir et ont tragiquement « abandonné tout espoir de s’échapper [20] ». Cette comparaison permet de comprendre qu’au lieu d’affronter un problème P1 (engendré par une machine M1), on crée une machine M2 qui n’est pas une solution à P1 mais qui en détourne, en distrait et se révèle vite engendrer un autre problème P2. Cette machine M2, Anders la qualifie de « complice » de la machine M1 [21]. Ces machines complices constituent un dispositif de gestion de la violence et, pour s’assurer que toute la haine engendrée par les machines-outils ou les chaînes de machines va bien vers elles, on « refoule » « l’affect antimachines » et on crée un « tabou [22] ». La machine comme totem et l’affect antimachine comme tabou. Entre l’époque où Anders a imaginé ce modèle et aujourd’hui, la mégamachine a accueilli de nouvelles machines, elles ont pris le contrôle d’autres machines plus anciennes ou les ont remplacées, mais le dispositif M1-M2 semble toujours organiser le monde des machines. Dans son usage professionnel, l’ordinateur a rejoint la machine-outil ou la chaîne de machines parmi les « épouses » possibles et, dans son usage ludique, il a rejoint les pachinkos. C’est que l’ordinateur permet de « concilier travail et loisir », comme aiment à dire les publicités. Qu’elles soient réunies dans un ordinateur (fixe ou portable) ou dans un smartphone, il y a toujours une machine qui asservit l’homme et une autre qui lui donne l’impression qu’il se venge de celle qui l’asservit mais qui, en fait, contribue à l’asservir autrement. « On peut transposer sans scrupules le modèle hégélien du maître et de l’esclave à la relation homme-machine », écrit Anders, et à ce jeu – qui domine qui ? – l’homme est toujours « vaincu d’avance ». Il ne faut jamais accepter de jouer avec une machine : on ne joue jamais avec elle, on est toujours son jouet.
Briser dans le monde des machines
10La révolte luddite anglaise du début des années 1810 n’a pas rencontré que compréhension et sympathie parmi nos contemporains. « On peut comprendre et avoir de la sympathie pour le long combat d’arrière-garde qu’une minorité de travailleurs privilégiés mena à l’encontre du nouveau système, mais on doit reconnaître son inutilité et le caractère inéluctable de sa défaite », a écrit, par exemple, l’historien anglais Eric J. Hobsbawm [23]. Dans les limites d’une histoire politique progressiste, qui se veut écrite « from below » mais dont la perspective reste tributaire de choix idéologiques datés, le luddisme ne peut exister que comme un mouvement pour rien, voire réactionnaire. Le sentiment de la vanité de ce mouvement est rétrospectif, tout comme celui du caractère inéluctable de sa défaite. Pourtant, dans les années 1810, au seuil de la révolution industrielle, les machines étaient moins nombreuses, elles n’étaient pas encore « installées » au cœur du système de la production et l’acte de briser une machine avait un sens fort. Si Hobsbawm s’est passionné pour la figure du « brigand social » et a consacré un livre aux Swing Riots, qui sont au monde agricole de l’Angleterre du xixe siècle ce que le luddisme fut pour son monde industriel [24], il est resté fermé à la révolte luddite : dès qu’il s’agit du monde du travail, il préfère les militants aux révoltés. Sur le sens du luddisme on préfèrera lire Edward P. Thompson, historien plus morrissien que marxiste (dixit Miguel Abensour), qui, dans le chapitre 14 (« Une armée de justiciers ») de La formation de la classe ouvrière anglaise, dit avec justesse le sens social, moral et politique de ce « mouvement sans direction ni centres nationaux [25] ». Dire que ce qu’il s’est passé à ce moment-là en Angleterre aura été inutile parce que ce combat était perdu d’avance participe d’une réécriture marxiste et progressiste de l’histoire. Or, « ce fut […] un mouvement capable de mobiliser 12 000 hommes de troupe pendant plusieurs mois, et qui conduisit le vice-lieutenant du West Riding à déclarer, en juin 1812, que le pays était sur le chemin d’une insurrection ouverte », explique Thompson [26]. Le sociologue argentin Christian Ferrer résume le luddisme en quelques chiffres saisissants : « Deux années d’une violente lutte sociale, onze cents machines détruites, une armée envoyée pour “pacifier” les régions insurgées, cinq ou six usines entièrement brûlées, quinze luddites tués, treize déportés en Australie, quatorze autres pendus face aux murailles du château d’York et quelques soubresauts finals [27]. » C’est tout le centre de l’Angleterre, autrement dit le cœur de la révolution industrielle, que ce mouvement déterminé et puissant a ébranlé entre 1811 et 1816.
11Faisons un bond dans le temps, sans transition. Dans un entretien avec Kevin Kelly publié dans Wired, le néoluddite américain Kirkpatrick Sale parlait début 1995 de ses fameux bris d’ordinateurs :
Kelly : Vous considérez-vous comme un luddite des temps modernes ?
Sale : Oui, dans le sens où nous, les luddites des temps modernes, nous ne brandissons pas, ou du moins pas encore, le marteau du forgeron, la torche et le revolver pour résister à la nouvelle machinerie, mais plutôt le livre, la conférence et l’organisation des gens dans le but de soulever ces questions. La plupart des gens qui pourraient se qualifier aujourd’hui de luddites limitent leur résistance, jusqu’à présent en tout cas, à une sorte de résistance intellectuelle et politique.
Kelly : Vous avez pourtant cassé un ordinateur récemment, n’est-ce pas ?
Sale : Je l’ai fait.
Kelly : J’espère que ça vous a fait du bien.
Sale : C’est étonnant comme ça m’a fait du bien ! Je ne peux pas vous dire. J’étais sur la scène du Town Hall de New York avec un public de 1 500 personnes. J’étais derrière un pupitre et, devant ce pupitre, il y avait cet ordinateur. Et j’ai fait une très courte description, d’une minute et demie, de ce qui n’allait pas avec la technosphère, de la façon dont elle détruisait la biosphère. Puis je me suis approché, j’ai pris cette masse très puissante et j’ai fracassé l’écran d’un coup et le clavier d’un autre. C’était merveilleux. Le son qu’elle produisait, le vomissement des entrailles sans doute toxiques dans les projecteurs, la poussière qui flottait dans l’air… Certains dans le public ont applaudi. J’ai salué et je suis retourné m’asseoir.
Kelly : Qu’avez-vous fait là, du coup ?
Sale : C’était une déclaration d’opinion [a statement]. Dans d’autres forums, j’essaie d’expliquer qu’il est important de comprendre les nouvelles technologies et ce qu’elles nous font. Mais là, à ce moment-là, alors que je n’avais que quatre minutes pour parler, j’ai pensé que cette déclaration d’opinion valait mieux que tout ce que j’aurais pu dire d’autre [28].
13Quelques slogans, un geste théâtral et symbolique. La destruction spectaculaire de machines a travaillé pas mal de gens (de l’« Homage to New-York » de Jean Tinguely (1960) – performance sous influence Metzger [29], au cours de laquelle une machine s’autodétruit en 27 minutes – aux guitares électriques cassées à chaque concert par Pete Townsend des Who, qui a suivi le cours de Metzger sur l’art autodestructif à l’Ealing Art College, en 1962 [30]). La performance de Sale a un indéniable côté Metzger. On est quelque part entre l’art conceptuel (Metzger) et la rock attitude (The Who, The Clash), ou au point où les deux se croisent.
14Quelques années plus tôt, en France, entre 1980 et 1983, un comité se faisant appeler le CLODO (Comité pour la Liquidation Ou la Destruction des Ordinateurs, ou Comité Liquidant Ou Détournant les Ordinateurs) a mis le feu aux locaux de diverses entreprises du secteur informatique (CII-Honeywell-Bull, International Computers Limited, Sperry Univac), à des bureaux de l’Union des assurances de Paris et à un centre de traitement informatique de la préfecture de Haute-Garrone. Le Comité expliquait ses gestes dans un entretien donné à la revue Terminal en 1983 :
Terminal : Pourquoi avoir entrepris ces actions ?
Le CLODO : Pour interpeller chacun, informaticien ou non, pour que, nous tous, réfléchissions un peu plus au monde dans lequel nous vivons, à celui que nous créons et de quelle façon l’informatisation transforme cette société.
Il faut bien que la vérité de cette informatisation soit parfois démasquée, qu’il soit dit qu’un ordinateur n’est qu’un tas de ferraille qui ne sert qu’à ce à quoi l’on veut qu’il serve, que, dans notre monde il n’est qu’un outil de plus, particulièrement performant, au service des dominants.
C’est essentiellement à la destination de l’outil que nous nous en prenons : mise en fiches, surveillance par badges et cartes, instrument de profit maximalisé pour les patrons et de paupérisation accélérée pour les rejetés…
L’idéologie dominante a bien compris que l’ordinateur simple outil, la Kalashnikov indolore, servait mal ses intérêts. Elle en a fait une entité parahumaine (voir le discours sur l’intelligence artificielle), un démon ou un ange mais domesticable (ce dont les jeux et bientôt la télématique [31] devraient persuader), surtout pas le serviteur zélé du système dans lequel nous vivons. Ainsi, espère-t-on transformer les valeurs du système en système de valeurs.
Par nos actions, nous avons voulu souligner d’une part la nature matérielle de l’outil informatique, et d’autre part, la vocation dominatrice qui lui est conférée. Enfin, s’il s’est agi avant tout de propagande par le fait, nous savons aussi que nos destructions provoquent un manque à gagner et un retard non négligeable [32].
16Entre la performance valant déclaration d’opinion (ici, faire c’est dire) de Sale et la « propagande par le fait » du CLODO, on est dans le symbolique, même s’il y a symbolique et symbolique. Sale avait bien conscience que ce n’était pas dans sa performance que se jouait le néoluddisme. Son geste, près de deux siècles plus tard, n’a aucune commune mesure avec ceux des luddites historiques : il n’en est que la « répétition » grotesque. Le CLODO savait bien que la distance entre ses actes de propagande et la prise de conscience qu’il visait à faire naître était infinie. Avec ces gestes, on est dans une reprise anachronique du marteau et de la torche luddites. Force est de reconnaître qu’aujourd’hui, « c’est dur d’être un héros de c’côté-ci d’la planète »…
Mourir et tuer dans le monde des machines
17Cette histoire peut se terminer par l’homme se retournant contre des machines, comme on vient de le voir ; elle peut aussi se terminer par l’homme se retournant contre lui-même. C’est ce que raconte la chanson « Frankie Teardrop » du groupe Suicide, sorte de prière pour un défunt qui est elle-même un face-à-face entre une voix (celle d’Alan Vega qui tantôt feule et tantôt hurle) et une machine (l’orgue Farfisa « gonflé » malmené par Martin Rev de façon à produire un « inquiétant buzz monotone » [Lester Bangs [33]]) :
19À la différence de la fable racontée par Günther Anders, celle racontée par Alan Vega n’expose pas comment le monde industriel sauve ses machines en détournant la violence qu’elles engendrent vers d’autres, elle dit comment un très jeune père travaillant en usine retourne la violence que fait naître en lui le travail sur des machines-outils ou sur un chaîne de machines contre sa famille puis contre lui. Elle dit que, si l’on ne décharge pas la violence transmise par les machines du monde industriel (M1) sur une autre machine (M2), ce monde est un enfer que l’on ne quitte que pour un autre enfer.
20Si l’ouvrier ne retourne pas contre les machines, ni contre lui et les siens la violence que celles-ci engendrent, il peut la retourner contre des hommes du monde de la technique. Cette violence vise alors non plus les machines créées mais leurs créateurs ou leurs revendeurs et elle implique de passer outre un tabou, celui du meurtre. En 1987, immédiatement après le super-accident de Tchernobyl, Anders a ouvert une discussion sur l’opportunité du recours à la violence dans la lutte contre la mégamachine (dont certains des éléments sont des bombes atomiques et d’autres des réacteurs nucléaires – ce qui, pour lui, revient au même) ; entre 1978 et 1995, il y a eu les colis piégés de Theodore Kaczynski. Anders se demande si « tuer des choses inanimées est […] suffisant », s’il ne faut pas en venir à « menacer ceux qui nous menacent », ceux qui utilisent l’énergie nucléaire à des fins militaires ou civiles, et transgresser le « tabou du meurtre [35] ». Kaczynski n’a pas pris autant de précautions, il a envoyé des colis piégés à diverses personnes, en a tué trois et blessé vingt-trois. Le primitiviste John Zerzan s’est interrogé sur ces actes a posteriori (mais avant l’arrestation et le procès de celui qui les a accomplis). Il distingue deux questions : celle de la légitimité morale de ces actes et celle de leur accomplissement pratique. Contre toute attente, la seconde rejaillit sur la première : « En termes de pratique, poster des engins explosifs destinés aux agents qui conçoivent la catastrophe actuelle est trop aléatoire. Des enfants, des postiers et d’autres auraient facilement pu être tués. Même si l’on admettait la légitimité de s’attaquer au spectacle d’horreur de la haute technologie en terrorisant ses indispensables architectes, les dommages collatéraux ne sont pas justifiables. » Si Zerzan ne dit pas que ces actes sont légitimes, il dit qu’ils ne sont pas immoraux : « Est-il contraire à la morale d’essayer d’arrêter ceux dont les contributions apportent une agression sans précédent contre la vie ? […] Comme un ami californien l’a exprimé récemment, quand la justice est contre la loi, seuls les hors-la-loi peuvent rendre la justice [36]. » Avec cet ami californien, on entre dans un débat énorme et néanmoins très délicat – du point de vue moral et du point de vue politique – sur la nature de la justice : doit-elle se régler sur le légal ou sur le légitime ?
21Le néoluddisme part du postulat que la machine sur laquelle l’homme travaille est violente – au commencement était la machine et elle était violente – et que, si elle ne le tue pas, comme Frankie Teardrop, il peut retourner cette violence contre la machine, la détourner vers une autre machine ou la détourner contre son créateur ou son revendeur. « A tale full of sound and fury… », vous dit-on. Si le discours néoluddiste se hisse « à hauteur de mort », c’est parce qu’il voit dans la machine un « être » par essence violent avec l’homme et dans cette société de machines (qui ne vise in fine à rien moins que « liquider » les hommes [37]) qu’est la mégamachine, une forme de totalitarisme.
22La comparaison filée par Anders dans Nous, fils d’Eichmann (1964) et dans Visite dans l’Hadès (1979), entre, d’un côté, le devenir-monde de la mégamachine et, de l’autre, la montée du totalitarisme nazi n’est pas qu’une provocation de plus, elle a pour objectif d’introduire à un nouveau type de totalitarisme. L’idée qu’il y aurait quelque chose de totalitaire dans la technique est une idée qui traverse toute la littérature néoluddiste. Totalitaire veut dire ici que la technique ne tolère rien à l’extérieur d’elle-même et qu’elle exige donc des hommes qu’ils se conforment à elle : du conformisme comme résultat d’une mise au pas. « La douceur de la variété de totalitarisme appelée “conformisme” est tout sauf un signe d’humanité. Que nous soyons traités avec douceur, c’est un stigmate de notre défaite. […] Si le conformisme n’est pas sanglant, c’est exclusivement parce qu’il nous a déjà avalés, parce qu’il n’a plus à compter avec la naissance de cette opposition pour la liquidation de laquelle le totalitarisme d’hier avait besoin ou croyait avoir besoin de sa terreur. Il est doux parce qu’il peut se permettre de refuser la menace et l’effusion de sang [38]. » On retrouve l’idée que la mégamachine exerce un « totalitarisme doux » au fondement de tous les néoluddismes. Quel objectif vise ce totalitarisme qui n’est pas moins totalitaire parce qu’il s’exerce en douceur ? Il vise à transformer les hommes, sans violence et à leur insu, en « agents doubles » : quand ils travaillent à se faire plaisir, ils travaillent pour la mégamachine. « Puisque la transformation de notre travail en acte de consommation est la meilleure méthode pour garantir la fonction d’agent secret qui nous est assignée, l’état idéal du système conformiste ne sera réalisé que par un totalitarisme du plaisir, c’est-à-dire si l’on réussissait à donner à toutes nos activités les “dehors” d’un acte plaisant ou à leur associer le “sentiment” correspondant à un tel acte. Peu importe si ce paradis artificiel vulgaire peut être atteint ou si son idée doit rester utopique. Ce qui est certain, c’est qu’on essaie systématiquement de nous amener aussi près que possible de ce but. En témoignent, par exemple, ces innombrables textes publicitaires américains qui […] culminent sans exception dans un slogan nous assurant : “It’s fun !” L’idée du “plus grand bonheur pour le plus grand nombre” ne pouvait pas aller plus loin [39]. » Si les victimes de ce « totalitarisme du plaisir » pour lesquelles la recherche de ce triste fun est un moteur comprenaient de quoi celui-ci est fait, ils lui trouveraient à coup sûr un sale goût. Anders sait bien qu’on va lui reprocher de faire travailler le concept de totalitarisme pour le décoller du nazisme et du stalinisme et il prend les devants : « J’utilise l’adjectif “totalitaire” aussi rarement que possible, et à vrai dire parce que je considère qu’il est mal employé et à peine moins suspect que la chose qu’il désigne. Si je l’emploie malgré tout ici, c’est pour le corriger, c’est-à-dire le remettre à la place qui est la sienne. On sait que cette expression est employée presque uniquement par des théoriciens et des politiciens qui affirment solennellement être citoyens d’États non ou antitotalitaires – ce qui la plupart du temps revient à faire de l’autojustification ou de la flatterie. Dans 99 cas sur 100, on considère le totalitarisme comme une tendance d’abord politique ou un système d’abord politique. Je crois que c’est faux. À la différence de cette majorité, on défend ici la thèse que la tendance au totalitaire appartient à l’essence de la machine et qu’à l’origine, elle vient du domaine de la technique ; que la tendance inhérente à chaque machine en tant que telle – la tendance à maîtriser le monde, à profiter de façon parasitaire de ses éléments non maîtrisés, à fusionner avec d’autres machines et à cofonctionner avec elles comme des pièces à l’intérieur d’une machine totale unique – constitue le fait fondamental ; et que le totalitarisme politique, aussi épouvantable soit-il, n’est jamais qu’une conséquence et une variante de ce fait technologique fondamental [40]. »
Peut-on résister au totalitarisme technique ?
23Que faire contre un adversaire aussi singulier que ce si funny Léviathan ?
24Dans le cycle de Dune, Frank Herbert parle d’une guerre contre la mégamachine. C’est le fameux « Jihad butlérien », appelé aussi « Grande révolte », et défini comme une « croisade lancée contre les ordinateurs, les machines pensantes et les robots conscients […]. Son principal commandement figure dans la Bible Catholique Orange : “Tu ne feras point de machine à l’esprit de l’homme semblable” [41] ». L’évocation récurrente du « Jihad butlérien » reste assez floue : on ressort de Dune avec l’image d’une sorte de guerre de religion entre technoclastes et technolâtres. C’est seulement dans les (mauvais) romans apocryphes de Brian Herbert (le fils de Franck) et Kevin J. Anderson – Le Jihad butlérien (2002), La guerre des machines (2003), La bataille de Corrin (2004) –, postérieurs au moment néoluddiste américain et portés par une toute autre vision du monde que les romans de Frank Herbert, que l’on trouve l’idée d’une guerre contre les machines.
25Anders a souligné d’avance l’absurdité d’une telle « croisade ». Quand il écrit : « Nous ne pouvons plus effacer ou oublier ce que nous avons mis en dépôt dans les entrepôts de la science et de la technique [42] », il dit bien pourquoi et comment le geste consistant à briser une machine est voué à l’échec. Contrairement à l’animal qui sait tout ce dont il a besoin pour vivre dans son monde, l’homme passe sa vie à apprendre et, au cours de cet apprentissage, il construit a posteriori un monde qui lui convient. Mais cet apprentissage a un fonctionnement bien particulier : ce que les hommes découvrent ou inventent, ils le partagent, puisqu’ils l’inscrivent dans leur culture et leur praxis scientifiques et techniques, et dans leurs langues. L’avantage est qu’ils peuvent oublier ce savoir devenu patrimoine commun de l’humanité, car ils savent qu’ils le retrouveront là où ils l’ont inscrit. Mais – et Anders a le don de faire émerger ce genre de questions en reconsidérant la technique moderne à partir de la bombe atomique – est-ce si intéressant de ne pas pouvoir oublier lorsque cela empêche les hommes d’« oublier » des process mortifères comme ceux qui ont permis de fabriquer, par exemple, des bombes atomiques ? Avec le nucléaire militaire, les hommes ont joué aux apprentis sorciers. Les militants pacifistes peuvent toujours demander aux politiques de ne pas faire usage de l’atome à des fins guerrières, ils ne peuvent pas leur demander d’en finir avec le nucléaire militaire. Les hommes doivent donc vivre avec la bombe, avec l’idée qu’ils ne s’en débarrasseront jamais, qu’ils n’ont plus d’avenir mais seulement un délai, comme l’expose Anders dans « Le délai » (1960). Ce qui vaut pour la bombe atomique vaut pour toutes les machines qui, toutes ensemble, sont liées dans cette mégamachine qu’est le monde industriel dans lequel nous vivons : il est impossible de se débarrasser définitivement de ces machines (les bombes atomiques, mais aussi les postes de télévision, les voitures, les ordinateurs, etc.) et tout néoluddisme doit commencer par tenir compte de cette contrainte. On peut toujours briser des machines : c’est sans effet. Comme les originaux des livres brûlés dans les autodafés organisés par les nazis dansaient une « farandole moqueuse » au-dessus des bûchers en criant : « Brûlez nos exemplaires ! Brûlez-les ! Vous ne nous brûlerez pas pour autant [43] ! », les prototypes des machines brisées par les néoluddites pourraient crier : « Cassez nos exemplaires ! Cassez-les ! Vous ne nous casserez pas pour autant ! »
26Faut-il s’avouer vaincu ?
Se réfugier dans la morale ou inventer une stratégie politique appropriée ?
27Retrouvons les néoluddites américains. En 2009, trois anciens de la Jacques Ellul Society – Stephanie Mills, Chellis Glendinning et Kirkpatrick Sale – échangent par courriel (?). Oui, vous avez bien lu, « par courriel » (!). Dans les années 1990, ils partageaient une idéologie primitiviste, rêvaient d’un avenir, renouant avec un passé proto-technologique dans lequel la technologie serait réduite au minimum et, du coup, non dominante : « La technologie est essentiellement opposée à la nature – en fait, c’est pour cela qu’elle a été créée, pour faire quelque chose à ou avec la nature, quelque chose qui n’existait pas avant, qui n’est pas naturel. […] Ainsi, la meilleure technologie est celle qui altère le moins la nature […] et qui assure la plus grande intimité de l’homme avec la nature. Nous pourrions établir une échelle en gardant cela à l’esprit et juger toute technologie en fonction de la place qu’elle occupe sur cette échelle » (K. Sale) [44]. Une dizaine d’années plus tard, ils sont moins utopistes ou autrement utopistes (ils le restent à travers le biorégionalisme, par exemple) : « J’ai constaté que mon désir d’un âge d’or s’estompait ; la conscience de ce qui est a pris sa place. Et, ce qui est, c’est un monde triste et brisé qui tient à peine debout après avoir subi les assauts [de la technologie] pendant des millénaires » (C. Glendinning). Le mouvement se serait-il essouflé ?
Chellis Glendinning : Je ne pense pas que l’effort se soit « essoufflé ». Je suis plutôt du genre hasta-la-victoria-siempre. Tant qu’il y aura de l’oppression, il y aura de la résistance ; tant qu’il y aura une technologie de masse qui organisera la vie en vue de l’efficacité et de l’expansion, il y aura des gens pour défendre des valeurs décentes. […] Pour moi, ce qui est arrivé à notre génération de luddites, c’est que, lorsque les « nouvelles technologies » se sont imposées, elles ont littéralement reconfiguré les modes de socialisation. Je parle des ordinateurs, des téléphones portables et des BlackBerry, des autoroutes et des centres commerciaux, des grandes surfaces, du génie génétique, des sites Web et des technologies d’hyper-surveillance. Des sociétés transnationales géantes ont également pris le contrôle de notre espace d’expression, à savoir l’édition. Les communautés qui s’étaient trouvées grâce à des coups de téléphone fixe, des échanges de lettres et se réunissaient dans les cafés se sont désintégrées. Je pense que pendant une bonne dizaine d’années, les gens comme nous ont été désorientés, oubliés. On nous a laissés rattraper notre retard à contre-courant. Ou bien nous sommes tombés dans de nouveaux groupes socialisant par d’autres moyens. Ou bien nous nous sommes tout simplement retrouvés isolés dans un monde presque totalement recouvert de technologie. Ce nouveau monde a amené certains de nos amis à forger une politique façonnée par des mots et des concepts différents et – par crainte d’être rejetés par tous les gens avec leurs ordinateurs portables et leurs iPods – à cesser délibérément de parler du caractère central de la technologie pour parler de contrôle et d’oppression [45].
Kirkpatrick Sale : Si, le mouvement s’est essoufflé – je pense que c’est la bonne expression, car il n’existe plus en tant que mouvement aujourd’hui […]. Il a pris fin parce qu’il a perdu. C’est l’autre camp qui a gagné. Pensez à la transformation du monde dans les années qui ont suivi, disons, 1990. Tout ce que Chellis mentionne – tout cela repose en dernière instance sur la puce informatique – a balayé le monde social et l’économique avec la puissance d’un tsunami en l’espace d’une décennie, a passé le cap de l’an 2000 et pénétré chaque profession, chaque secteur, chaque moyen de communication, chaque transaction. C’était – et c’est de plus en plus – inéluctable. Comment une critique de la technologie peut-elle venir à bout de cela ? Quel sens y a-t-il à continuer à dire qu’elle a de mauvais côtés, que cela aura de terribles conséquences ? Même si quelqu’un voulait le croire – et je pense que beaucoup l’ont cru […] –, personne, individuellement ou collectivement, n’avait le pouvoir d’arrêter l’assaut de la technologie. La technologie était le mode de vie choisi par les pouvoirs économiques et gouvernementaux, qui ont tout l’argent et toutes les lois de leur côté, et il ne pouvait pas être arrêté. Regardez-nous… en train d’écrire des courriels.
29Cette longue citation permet de comprendre ce qui s’est passé en une dizaine d’années du point de vue néoluddite. Un monde a pris fin ; un autre a commencé. Au discours héroïque de résistant des années 1990 a succédé un discours résigné de vaincu. Cette génération de néoluddites semble s’être rabattue de la politique sur la morale : « Une position morale n’est peut-être pas une politique réussie, mais elle est juste », se console Sale. La « résistance » cède la place à une « [défense] des valeurs décentes » : on ne se bat plus pour transformer le monde, on se bat pour conserver des valeurs. On se fixe une ligne de conduite pour rester moralement en accord avec soi-même : « Bien que je puisse dire que ma vie est restée extérieurement aussi simple que possible, je dépends toujours d’un réseau électrique et d’une économie alimentée par le pétrole – et, maintenant, des courriels », explique Mills. Les néoluddites vaincus en sont réduits à opposer l’intérieur et l’extérieur et à s’aliéner au monde qu’ils considèrent aliéné : « Mon expérience intérieure dépend beaucoup de ma proximité avec la nature et de mon éloignement des technologies de l’information, poursuit Mills. Plus je suis proche d’Internet et de ses productions, plus je me sens écrasée. Les ordinateurs personnels nous obligent à devenir des auteurs entreprenants et à faire notre propre promotion. Tout l’appareil semble calculé pour encourager la compétence dans des choses que j’ai, toute ma vie, répugné à faire. L’un des aspects les plus sinistres et les plus dégradants de tout cela est la présupposition que, si vous avez les coudées franches, il existe toujours un moyen plus rapide et plus efficace de faire quelque chose. Et parce que, plus que jamais, le temps est de l’argent, la rapidité, l’efficacité et la productivité l’emportent sur la coutume, la communauté et l’art pour l’art. »
30À la lecture de ces déclarations, on a envie d’adresser à cette troisième génération de luddites, comme ils se désignent eux-mêmes [46], la critique que Péguy adressait au kantisme : ils ont les mains pures mais ils n’ont plus de mains [47]. Et ils n’ont plus de mains parce qu’ils ont baissé les bras. Ils s’avouent vaincus. Peut-être un peu facilement. Pour ces elluliens (tous également lecteurs de Mumford), depuis qu’il y a de la technique, autant dire depuis qu’il y a des humains, « chaque technique qui apparaît apporte avec elle des effets positifs et des effets négatifs, mêlés les uns aux autres », un peu plus d’effets négatifs que d’effets positifs, de telle sorte que, « si la croissance technicienne continue, […], nous pouvons prévoir avec certitude […] un accroissement du chaos [48] ». Là, avec l’informatisation du monde, c’est comme si un ultime assaut avait assuré à la technologie une victoire définitive sur l’homme. Cet assaut ultime de la technique contre l’homme – qui, telle une vision d’apocalypse, hante les écrits d’Ellul, d’Anders ou de Mumford –, les néoluddites américains des années 1990 l’ont halluciné dans le « tsunami [informatique] » (Sale) et en sont venus à croire que l’histoire était finie, qu’ils pouvaient baisser les bras, renoncer au combat politique et se réfugier dans une attitude morale. « La dernière attaque technologique [l’informatisation] s’est révélée plus complète et plus brutale que nous pouvions l’imaginer […]. Ce récent déchaînement est fonction de la croissance exponentielle des populations et des économies. Il est lié à la globalisation et à l’augmentation constante de la puissance de calcul informatique. C’est ce qu’Ellul a appelé la technique intrinsèquement hégémonique. Cet assaut est l’accélération de l’élan des technologies et des mentalités instrumentales qui exterminent la spontanéité, sapent et l’amour et la décence commune. Cet assaut nous a volé le temps et a rendu possibles toutes les violations palpables et subtiles du corps, de l’esprit et de l’âme que l’on a pu opérer au nom de la science, du gouvernement, de l’entreprise, du progrès et du profit. [Cet assaut] a la laideur de la production de masse et du consumérisme, la banalité de la publicité. Il est basé sur la déresponsabilisation et l’effacement des personnes bien qu’il prétende exactement le contraire », explique Mills. La morale du renoncement prônée par les néoluddites est une morale du salut individuel et ils en sont bien conscients : « Il n’y a évidemment pas de salut individuel. Les individus peuvent refuser d’utiliser une technologie donnée mais, à moins de vivre dans un isolement total, ils devront s’engager avec des personnes dont le psychisme a été façonné par une multitude de technologies », ajoute Mills.
31Sommes-nous condamnés à vivre « mis au pas » par la technologie ou à nous exclure du « monde technique » pour vivre une vie selon des « valeurs décentes » comme, par exemple, celles du biorégionalisme ?
32Ce n’est pas ainsi que l’entend le Groupe Marcuse, qui appartient à une nouvelle (une quatrième ?) génération de néoluddites et se distingue des néoluddites américains en refusant de se réfugier dans la morale individuelle pour repolitiser le débat. Si Sale dit (un peu facilement, selon moi) que le mouvement néoluddite a perdu, le Groupe Marcuse, lui, se demande « que faire ici et maintenant » pour lutter contre la mégamachine dans nos sociétés où « l’arrêt du développement économique et technologique n’est pas […] à l’ordre du jour », « quels moyens utiliser dans ce combat inégal et mal engagé ». La troisième partie de La liberté dans le coma est une réflexion de type stratégique : on s’y demande très concrètement, en mettant l’utopie à l’épreuve du réalisme, « comment attaquer le bloc, […] quels leviers actionner pour se trouver en prise avec le tout [49] ». Cette réflexion est indispensable parce que « la culture politique qui permettrait de s’opposer au type d’oppression que nous subissons n’existe pas, du moins pas encore, sous nos latitudes ; […] il nous faut la bricoler comme nous devons bricoler nos moyens de vivre, dans l’urgence, mais en se donnant du temps [50] ». L’idée, c’est de multiplier les « luttes partielles » « à l’endroit où l’on vit, où l’on travaille, où l’on passe » (contre le nucléaire, contre les trains à grande vitesse, contre les organismes génétiquement modifiés, contre le contrôle numérique, etc.), de « multiplier [les] guérillas locales contre l’industrie [51] », dans un esprit guévariste toujours vivant en Amérique latine [52]. Alors que les néoluddites américains considéraient qu’ils avaient « perdu » face au « tsunami informatique » et se réfugiaient dans la morale individuelle et la défense des valeurs, le Groupe Marcuse considère, lui, que l’ascèse numérique individuelle est « de plus en plus improbable » mais qu’en multipliant les actes de désobéissance civile, on peut « s’opposer au déferlement technologique, l’interrompre, le faire refluer [53] ».
33Il y a deux ans, dans The Guardian, le journaliste Jamie Bartlett demandait : « Will 2018 be the year of the neo-luddite ? » (4 mars 2018). Ce qui lui faisait craindre cela, c’étaient deux incendies volontaires : celui de La Cantine numérique, espace de coworking hébergeant des professionnels du Web, à Nantes, en novembre 2016, et celui de La Casemate, Centre de culture scientifique, technique et industrielle, à Grenoble, en novembre 2017. À côté du « luddisme réformiste » – la méfiance que la technique peut inspirer à tout un chacun sans pour autant le conduire à la rejeter et que l’auteur dit partager –, il voit renaître, à travers ces actes, le « vieux cassage de machines » et avec lui le spectre de Kaczynski. 2018 n’a pas été l’année des luddistes et il n’y aura pas d’année des luddistes. Ce que l’on peut souhaiter de mieux, c’est que, sous l’effet des « luttes partielles », un « changement de civilisation » s’engage, au rythme auquel ce genre de choses se font, et, qu’un jour, les hommes ne vivent plus dominés, dans un monde de machines, mais remettent les machines à leur place dans un monde humain. Les luddites historiques avaient connu le monde d’avant les machines-outils (qui sont apparues vers 1760) ; les néoluddites ont connu le monde d’avant les ordinateurs (qui sont apparus vers 1980). Pour refuser ces mondes avec autant de détermination, il faut sentir qu’avec leur avènement, on perd plus qu’on ne gagne. Les enfants de l’industrie sont persuadés que le monde, c’est le monde industriel dans lequel ils sont nés, les enfants du numérique (les fameux digital natives) sont persuadés que le monde, c’est le monde informatisé dans lequel ils sont nés. Il faudrait un William Morris aux enfants du numérique pour leur faire remonter la rivière et les faire se réveiller dans un monde préindustriel et prénumérique : sans Internet, sans appareils photo numériques, sans baladeurs musicaux, sans centrales nucléaires et sans trains à grande vitesse.
Mots-clés éditeurs : Günther Anders, totalitarisme, néoluddisme, luddisme, résistance
Date de mise en ligne : 22/12/2020.
https://doi.org/10.3917/ecopo1.061.0117Notes
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[1]
« The Luddites. Against the Monster Machine », Second Luddite Congress, Barnesville (Ohio), avril 1996.
-
[2]
C. Glendinning, « Notes towards a Neo-Luddite Manifesto », Utne Reader, mars-avril 1990 et When Technology Wounds. The Human Consequences of Progress, William Morrow & Co, New York, 1990 ; J. Zerzan, Futur primitif, L’Insomniaque, Paris, 1998 ; K. Sale, La révolte luddite. Briseurs de machines à l’ère de l’industrialisation, L’Échappée, Paris, 2006 ; T. Kaczynski, La société industrielle et son avenir, Éditions de l’Encyclopédie des nuisances, Paris, 1998.
-
[3]
G. Simondon, « Il faut sauver l’objet technique », entretien avec Anita Kechickian, Esprit, n° 76, avril 1983.
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[4]
Cf. I. Illich, La convivialité, Seuil, Paris, 1973, p. 13.
-
[5]
Cf., par exemple, Groupe Marcuse, La liberté dans le coma. Essai sur l’identification électronique et les motifs de s’y opposer, La Lenteur, Vaour, 2019, p. 162 et suiv.
-
[6]
Expression empruntée à Günther Anders (L’obsolescence de l’homme. Tome 2 : Sur la destruction de la vie à l’époque de la troisième révolution industrielle, Fario, Paris, 2011, p. 97).
-
[7]
La crise sanitaire actuelle révèle que l’utopie technologique que l’on croyait réalisée ne fonctionne pas. On a cru pouvoir faire basculer les universités de leur fonctionnement normal en présentiel vers un fonctionnement en distanciel et – avec toutes les tentations que cela offre et donc tous les risques que cela comporte – créer une université virtuelle n’ayant pas besoin de locaux et ne craignant donc pas les blocages.
-
[8]
G. Anders, op. cit., p. 63.
-
[9]
I. Illich, Énergie et équité, Seuil, Paris, 1975, p. 56.
-
[10]
G. Simondon, Du mode d’existence des objets techniques, Aubier-Montaigne, Paris, 1958, p. 9.
-
[11]
G. Simondon, L’individuation à la lumière des notions de forme et d’information, Éditions Jérome Millon, Grenoble, 2005, p. 514.
-
[12]
La liberté dans le coma du Groupe Marcuse contient une très intéressante réflexion sur la liberté qui explique bien ce qu’est la « liberté individuelle » – cette liberté que les marxistes regardaient de haut et qualifiaient d’« abstraite », « formelle » ou « bourgeoise » –, en quoi elle est un moment de la « liberté civile » et donc d’une politique démocratique, comment elle est pourtant réduite à une forme de « liberté intérieure » et que cette réduction a le sens d’une « autodestruction du libéralisme [politique] » (op. cit., p. 42 et suiv. et p. 165 et suiv.).
-
[13]
Cf., par exemple, G. Anders, Die molussische Katakombe, C. H. Beck, Munich, 2012, p. 254.
-
[14]
K. Marx, Le capital. Livre I, Garnier-Flammarion, Paris, 1969, quatrième section, chap. XV, « IV. La Fabrique », p. 304.
-
[15]
K. Marx, Le manifeste du parti communiste, Éditions Sociales, Paris, 1977, p. 39.
-
[16]
H. Selye, Le stress de la vie. Le problème de l’adaptation, Gallimard, 1962.
-
[17]
G. Anders, « L’obsolescence du monde humain », dans L’obsolescence de l’homme, op. cit., p. 61-79.
-
[18]
Dans cet essai, Anders va contre le lieu commun qui veut que la technique soit neutre en affirmant non pas qu’elle est politique mais qu’elle suscite des affects. Sa comparaison qui sexualise immédiatement le monde de la technique a évidemment une dimension heuristique.
-
[19]
G. Anders, L’obsolescence de l’homme, op. cit., p. 64.
-
[20]
Ibid., p. 67.
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[21]
Ibid., p. 64.
-
[22]
Ibid., p. 65.
-
[23]
E. J. Hobsbawm, « Les briseurs de machine », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n° 6, 2006, p. 13.
-
[24]
Cf. E. J. Hobsbawm, Les primitifs de la révolte dans l’Europe moderne, Fayard, Paris, 1963 ; Les bandits, Maspero, Paris, 1972 ; et, avec G. Rudé, Captain Swing, Lawrence & Wishart, Londres, 1969.
-
[25]
E. P. Thompson, La formation de la classe ouvrière anglaise, Seuil, Paris, 2012, p. 788. On trouvera l’ensemble des documents relatifs au luddisme historique dans K. Binfield (dir.), Writings of the Luddites, The Johns Hopkins University Press, Baltimore, 2004.
-
[26]
Ibid., p. 789 et suiv.
-
[27]
C. Ferrer, « Les casseurs de machines. En hommage aux luddites », dans Tête d’orages. Essais sur l’ingouvernable, Rue des Cascades, Paris, 2011, p. 154.
-
[28]
« Interview with the Luddite », entretien de K. Kelly avec K. Sale, Wired, 6 janvier 1995, <www.wired.com/1995/06/saleskelly>, notre traduction.
-
[29]
Gustav Metzger (1926-2017) est un artiste anglais d’origine allemande qui a développé le concept d’autodestructive art dans les années 1960.
-
[30]
Cf. la note de Pete Townshend sur le site <www.thewho.com/petes-blog/gustav-metzger-1926-2017/>.
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[31]
Le mot « télématique » renvoie à une époque où la convergence télécommunications-informatique culminait dans ce drôle d’objet qu’était le Minitel, père de l’ordinateur portable et grand-père du smartphone.
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[32]
« Le CLODO parle… », Terminal 19/84, n° 16, octobre 1983, p. 3 et suiv.
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[33]
Cf. le texte intitulé « The Sound of NYC » figurant dans la cassette 1/2 Alive (ROIR, 1981).
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[34]
Frankie Teardrop / Frankie a 20 ans / Il est marié, il a un enfant / et il travaille dans une usine / Il travaille de sept à cinq / Il essaie juste de survivre / […] / On applaudit Frankie / […] / Eh bien, Frankie ne s’en sort pas / parce que c’est trop difficile / Frankie ne gagne pas assez d’argent / Frankie ne peut pas acheter assez à manger / Et Frankie se fait expulser / On applaudit Frankie / […] / Frankie est si désespéré / Il va tuer sa femme et son enfant / Frankie va tuer son enfant / Frankie a pris un revolver / l’a braqué sur l’enfant de 6 mois dans le berceau / Oh Frankie /Frankie a regardé sa femme / tiré sur elle / « Qu’est-ce que j’ai fait ? » / On applaudit Frankie / Frankie Teardrop / Frankie a mis le revolver contre sa tempe / Frankie est mort / Frankie gît en enfer / Nous sommes tous des Frankie / Nous gisons tous en enfer.
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[35]
G. Anders, « Une contestation non violente est-elle suffisante ? », dans La violence : oui ou non, Fario, Paris, p. 157 et suiv.
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[36]
J. Zerzan, « L’Unabomber de qui ? » (1995), <http://lanredec.free.fr/polis>.
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[37]
Cf., par exemple, G. Anders, Nous, fils d’Eichmann, Rivages, Paris, 1999, p. 85 : « Le jour où [s’accomplira] le royaume millénariste du totalitarisme technique […], nous n’aurons plus d’autre existence que celle de pièces mécaniques ou de matériaux nécessaires à la machine : en tant qu’êtres humains, nous serons alors liquidés. »
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[38]
G. Anders, L’obsolescence de l’homme, op. cit., p. 265, en italique dans le texte.
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[39]
Ibid., p. 178, en italique dans le texte.
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[40]
Ibid., p. 120, n. 16. Sans se référer directement à Anders, le Groupe Marcuse produit une analyse du totalitarisme technique comparable en partant de l’idée que « le totalitarisme ne réside pas seulement dans des finalités condamnables mais aussi dans les moyens employés » (cf. La liberté dans le coma, op. cit., p. 68, ainsi que p. 153 et suiv.).
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[41]
F. Herbert, Dune, Pocket, Paris, 1990, p. 398 et suiv.
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[42]
G. Anders, La menace nucléaire, Le Serpent à plumes, Paris, 2006, p. 99.
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[43]
G. Anders, L’obsolescence de l’homme. Tome 1 : Sur l’âme à l’époque de la deuxième révolution industrielle, Éditions de l’Encyclopédie des nuisances/Ivrea, Paris, 2002, p. 69.
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[44]
S. Mills, C. Glendinning et K. Sale, « Three Luddites Talking », CounterPunch, mai 2009. Toutes les citations qui suivent, dont la traduction est notre fait, sont extraites de cet entretien. Sur la notion d’échelle, cf. K. Sale, The Human Scale, New Catalyst Books, Gabriola Island, 2007 [1980].
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[45]
C’est ainsi que l’on peut expliquer le regain d’intérêt actuel pour la pensée de Michel Foucault. Les questions de l’oppression et du contrôle sont au cœur de la question de la technique, dans un sens que Foucault ne pouvait pas imaginer, avec les puces RFID et la biométrie.
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[46]
Chellis Glendinning distingue trois générations de luddites : 1) les luddites historiques auxquels elle associe les poètes Percy Shelley et William Wordsworth, 2) la seconde génération qui inclut des intellectuels comme Lewis Mumford et Jacques Ellul et 3) les néoluddites américains des années 1990 dont elle a fait partie (cf. The Dark Mountain Project, Walking on Lava. Selected Works for Uncivilised Times, Chelsea Green Publishing, White River Jonction, 2017, p. 86).
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[47]
C. Péguy, Victor-Marie, Comte Hugo, dans Œuvres en prose complètes, Gallimard, Paris, 1992, t. 3, p. 331 et suiv.
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[48]
J. Ellul, Ellul par lui-même. Entretiens avec Willem H. Vanderburg, La Table Ronde, Paris, 2008, p. 40.
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[49]
Groupe Marcuse, op. cit., p. 184 et suiv.
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[50]
Ibid., p. 234.
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[51]
Ibid., p. 232.
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[52]
Ibid., p. 187.
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[53]
Ibid., p. 16.