1La présentation de la base MAcMaps ainsi que le commentaire détaillé d’Antoine Bouët sur mes estimations du niveau et du coût de la protection dans la Communauté européenne (CE) au cours des années quatre-vingt-dix appellent un certain nombre de remarques qui, espérons-le, seront utiles pour des travaux ultérieurs.
2Il convient, auparavant, de souligner un point sur lequel il n’y a pas débat – et c’est fort heureux. En effet, il est clair qu’un certain nombre d’acquis théoriques essentiels constitue désormais le patrimoine commun des économistes français en commerce international. Cette remarque peut paraître évidente, voire déplacée. Mais elle permet de souligner le fait que les économistes français ont rejoint, en matière d’analyse théorique, leurs collègues du reste du monde alors que, il y a vingt ans encore (lors du débat sur la reconquête du marché intérieur), la plupart d’entre eux refusait assez largement l’analyse théorique des gains et des coûts de la protection, ainsi que le classement des instruments devant accompagner la libéralisation des échanges en cas de distorsions dans l’économie nationale. Nous en sommes donc à discuter chiffres – et sans doute en sera-t-il ainsi pour très longtemps – vu les problèmes à surmonter.
3Ceci dit, il y a des points de désaccord. Pour les présenter de la manière la plus simple, je partirai essentiellement du commentaire d’A. Bouët à propos de mon livre, l’exposé sur la base MAcMaps étant plus elliptique sur ces sujets. Il y a aussi des points sur lesquels je voudrais exprimer mes doutes, cette fois plutôt en discutant la construction de la base MAcMaps. Enfin, il y a des points qui apparaissent des pistes de recherche importantes pour les années à venir.
Les points de désaccord
4Tant la base MAcMaps que mon étude (Messerlin, 2001) ont dû affronter des problèmes précis liés aux différents instruments de protection commerciale qui contribuent au régime de protection “globale” (c’est-à-dire, à la protection accordée par tous les instruments confondus) d’un produit dans un pays: que faire de l’antidumping, quelle importance accorder aux régimes tarifaires préférentiels, comment traiter la protection agricole dans les pays industriels? Un dernier point de désaccord se situe au niveau de la définition des coûts de la protection (non pas de la mesure du niveau de protection, deux aspects à séparer clairement).
5Selon A. Bouët, le traitement que j’ai choisi pour ces différents points ferait que mon estimation de la protection européenne serait trop élevée. Il propose des solutions alternatives (qui sont utilisées dans la construction de la base MAcMaps) qui, à mon sens, sous-estiment la protection européenne. Du coup, la vraie question posée pour chacun des points examinés dans cette section est plutôt la suivante: dans quelle mesure ma surestimation risque-t-elle de s’écarter davantage de la “vraie” mesure que la sous-estimation suggérée par A. Bouët et la base MAcMaps?
Le traitement de l’antidumping
6Dans mon estimation du coût de la protection en Europe, les mesures antidumping sont supposées porter sur la totalité des importations du produit en question, soit sous forme de droits antidumping, soit sous forme de hausses du prix du produit mis en œuvre par les exportateurs eux-mêmes. Pour A. Bouët, cette approche serait excessive car les mesures antidumping ne sont imposées que sur les importations en provenance des seuls pays visés par la plainte antidumping, et que ces derniers ne fournissent parfois qu’une faible part des importations européennes.
7À l’appui de son argument, A. Bouët donne une série d’exemples de droits antidumping (tableau 1) où les pays visés ne représentent qu’une faible proportion des importations totales. Le problème est que le tableau 1 donne une vue inexacte de la réalité de l’antidumping (même en laissant de côté les cas antidumping non cités par le tableau). Prenons, par exemple, le produit 85-32-22 (grands condensateurs électrolytiques à l’aluminium ou GCEA) cité dans le tableau 1, avec la Corée dont les exportations de ce produit sont soumises à des droits antidumping de 70% à la suite d’une procédure initiée par la CE en 1993. Mais le tableau 1 ne mentionne pas l’existence de deux autres actions antidumping, l’une initiée en 1991 (contre les exportateurs japonais qui ont été soumis à un droit antidumping moyen de 38%), l’autre initiée en 1997 (contre des exportateurs américains et thaïlandais qui ont été soumis à des droits antidumping provisoires de 28 et 39%). Or ces deux actions sont soumises à réexamen (pour la première) et à examen (pour la seconde) au cours de l’année 1998 qui est l’année de référence du tableau 1. Ce tableau ne mentionne pas non plus le fait que l’industrie européenne ne comprend que quatre gros producteurs, dont le plus important (Philips) fait à lui seul 41% de la production européenne de GCEA, tout en étant un importateur conséquent de GCEA en provenance des États-Unis, et dont un autre (Siemens) est associé au producteur japonais Matsushita. Enfin, il n’est pas inintéressant de savoir que le cas antidumping de 1997 a été clôturé sans droits antidumping définitifs pour des raisons de délais de procédure sur lesquelles aucune information officielle n’est disponible (mais qui fait probablement suite à des accords privés entre plaignants et défendants).
Les différentiels entre droits de douane NPF et droits préférentiels, 1999
Les différentiels entre droits de douane NPF et droits préférentiels, 1999
8Le cas des GCEA a l’avantage d’illustrer la plupart des problèmes fréquemment rencontrés dans l’antidumping, et en particulier de souligner combien de telles procédures sont habilement utilisées pour conjuguer protection et collusion sur des marchés initialement très concentrés, ce qui rend doublement coûteuse la protection antidumping. Il permet aussi de poser les bonnes questions. Par exemple, dans quelle mesure cette série de mesures antidumping n’est-elle pas comprise par tous les principaux producteurs dans le monde comme fixant un ou des prix minimum des GCEA sur lesquels il convient de s’aligner en Europe? Les importations faites par Philips en provenance des États-Unis “n’incorporent-elles” pas, d’une façon ou d’une autre, le droit antidumping imposé sur les exportations japonaises ou coréennes, afin d’aligner ses propres prix sur les prix japonais ou coréens incluant les droits antidumping? Au vu de ce qui se passe depuis 1991, tout entrant potentiel et efficient sur le marché européen des GCEA n’est-il pas quasiment certain de devoir faire face à une mesure antidumping dès qu’il aura commencé à gagner quelques parts de marché, si faibles soient-elles? La réponse la plus plausible à toutes ces questions est “oui”, c’est-à-dire que toute la ligne tarifaire est sous l’influence réelle ou future des droits antidumping existants.
9Le cas des GCEA est loin d’être isolé, comme le montre la littérature, maintenant importante (cf. par exemple Willig, 1998; Shin, 1998; Bourgeois et Messerlin, 1998; Blonigen et Prusa 2001), qui documente ou analyse, de façon systématique, les liens entre antidumping et comportements collusifs, bien au-delà de l’article de Yano cité par A. Bouët (lequel est, contrairement à ce que suggère ce dernier, parfaitement applicable aux actions antidumping dans la mesure où une partie importante des mesures antidumping sont des limitations volontaires à l’exportation déguisées). Une des implications essentielles de cette littérature est que les plaignants ont intérêt à déposer leurs plaintes antidumping rapidement - dès que de nouveaux entrants prêts à faire baisser les prix se manifestent, même s’ils ne représentent qu’une faible part de marché (et ce d’autant plus que les plaignants anticipent le déroulement dans le temps des procédures). Il s’agit d’une condition nécessaire pour que les plaignants conservent leur situation de dominance initiale sur leurs marchés domestiques, et les rentes qui s’y attachent, y compris celles liées aux importations car les plaignants sont souvent aussi des importateurs importants (il serait d’ailleurs intéressant d’avoir non pas la part de marché des producteurs étrangers soumis à l’action antidumping dans les importations européennes totales, mais leur part dans les importations européennes non liées aux entreprises européennes plaignantes). De fait, les études disponibles sur les importations des pays non concernés par les mesures antidumping montrent que, le plus souvent, celles-ci ne réagissent guère, ni longtemps aux mesures antidumping, suggérant que ces mesures sont certes discriminatoires, mais qu’elles visent bien tous les “vrais” (efficaces) concurrents, d’autant qu’elles se développent dans le cadre de “filiations” d’actions antidumping s’étalant sur des années, voire des décennies, et dans le cadre d’“échos” d’actions antidumping (le même produit provenant des mêmes exportateurs faisant l’objet de plaintes déposées par les mêmes plaignants dans plusieurs pays à la fois).
10Tous ces arguments conduisent à soutenir que mon approche offre probablement une meilleure approximation du niveau réel de la protection procurée par l’antidumping (notamment dans le traitement des importations faites par les plaignants européens) que celle suggérée par A. Bouët. Ceci est important car les actions antidumping contribuent substantiellement au taux de protection globale: elles élèvent ce dernier de près d’un pour-cent dans le secteur industriel, ce qui réduit d’un quart l’écart entre les estimations du niveau de la protection européenne fournies par la base MAcMaps et par mon étude.
La non-prise en compte des régimes tarifaires préférentiels
11La CE est connue pour la multiplicité de ses régimes tarifaires préférentiels – des accords bilatéraux qui la lient aux pays d’Europe centrale ou méditerranéens aux accords dit du Système Généralisé de Préférences (SGP) ou des pays Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP). Ne pas tenir compte de ces droits préférentiels serait surestimer à la fois le niveau de protection et son coût (il convient de distinguer ces deux aspects).
12Mon estimation du niveau de la protection européenne repose entièrement sur les droits de douane imposés sous la clause de la nation la plus favorisée (NPF). Elle ne tient donc pas compte des droits préférentiels et, en ce sens, elle surestime le niveau de la protection européenne. Mais la vraie question est plutôt de savoir (i) si tenir compte de ces droits préférentiels ne revient pas à sous-estimer le niveau réel de protection européen, et (ii) si l’erreur de sous-estimation associée à la prise en compte des droits préférentiels n’est pas plus grande que celle de surestimation liée à leur non-prise en compte. La question se pose parce qu’il n’existe, actuellement, aucun moyen permettant de connaître avec précision dans quelle mesure les partenaires commerciaux de la CE utilisent les régimes tarifaires préférentiels plutôt que le régime NPF (et ce en laissant de côté le problème des distorsions possibles engendrées par ces multiples régimes, et de leurs coûts). Les informations disponibles laissent simplement à penser que l’utilisation des régimes tarifaires préférentiels est au mieux “limitée.”
13Un emploi limité des régimes tarifaires préférentiels européens paraît effectivement la réponse raisonnable pour une bonne raison économique. En effet, les régimes tarifaires préférentiels s’accompagnent d’un coût bien spécifique, celui de se plier aux règles d’origine européennes pour en bénéficier – et il est étonnant que ni la présentation de la base MAcMaps ni le commentaire d’A. Bouët n’évoquent l’existence de ces règles d’origine qui pourtant figurent d’une manière proéminente dans les négociations commerciales, tant multilatérales que bilatérales. Ces règles d’origine sont très complexes et souvent restrictives, donc très coûteuses. Si le régime préférentiel européen donne un droit de douane préférentiel dont le différentiel par rapport au droit de douane NPF est faible (disons moins de 4-5% pour être prudent), il ne vaut pas la peine de se plier aux règles d’origine, et il sera moins coûteux de payer le droit de douane NPF. En d’autres termes, les régimes tarifaires préférentiels sont largement inutiles pour les 57% de lignes tarifaires de la CE dont le droit NPF est égal ou inférieur à 5%.
14Il faut ajouter que, quand le régime préférentiel concerne un droit de douane NPF élevé, le droit préférentiel est souvent lui-même élevé, car le produit en question est bien évidemment, par nature, un produit “sensible” pour l’industrie européenne, en sorte qu’il a toutes les chances d’être soumis à des réductions préférentielles limitées. L’exemple bien connu de cette situation est celui des produits textiles et habillement sous le SGP. Ce cas de figure est d’ailleurs illustré par l’exemple du fructose pris par A. Bouët. Le droit de douane ad valorem NPF sur ce produit est de 16%. Le droit préférentiel étant de 13,6% pour les pays SGP, de 7,8% pour les exportateurs de l’Espace Économique Européen (EEE), de 0% pour la Tunisie, les pays les moins avancés (PMA) et ceux du Pacte Andin, les régimes tarifaires préférentiels ne seraient assurément avantageux que pour les pays sous droit préférentiel nul, le régime EEE n’étant probablement que marginalement intéressant si l’on ajoute le coût des règles d’origine. Mais ce même fructose est aussi soumis à un droit spécifique, lequel risque fort de pénaliser la Tunisie et les PMA dont les produits sont probablement d’une qualité justifiant des prix plus bas (en sorte que le droit spécifique a un équivalent ad valorem plus élevé), mais guère les pays de l’EEE qui en sont exemptés…
15Pour conclure sur une vue globale, il est utile de se référer à l’analyse de la politique commerciale européenne par l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC, 2000) rappelée dans le Tableau 1. Les différentiels de moins de 5% sont, en moyenne, inexistants dans l’industrie (les estimations dans l’agriculture ne tiennent compte que des droits de douane et ne sont guère fiables). C’est dire que la sous-estimation de la protection européenne par une approche qui tient compte systématiquement des régimes tarifaires préférentiels sans tenir compte du coût des règles d’origine est, en moyenne, plus grande que la surestimation de cette même protection par une approche qui n’en tient pas compte.
16Reste le problème de l’analyse des régimes tarifaires préférentiels pour le calcul du coût de la protection (et non plus du niveau de la protection). Il convient de noter que, par construction, mon estimation du coût de la protection intègre, dans une certaine mesure, les régimes tarifaires préférentiels dans le calcul du droit de douane agrégé pour le secteur “reste de l’économie.” Ce n’est pas toujours le cas pour les produits les plus protégés, mais ces derniers sont soumis à des mesures (antidumping, quotas, subventions à l’exportation et à la production) d’une ampleur sans commune mesure avec les différentiels de droits de douane apportés par les régimes tarifaires préférentiels.
17Au-delà de cette précision de calcul, il est toujours important d’interpréter la protection d’un pays à l’aune de la production domestique qui la crée – car une protection n’est jamais accordée que parce qu’elle est demandée. Il faut en effet distinguer les droits de douane qui protègent des producteurs européens des droits de douane qui jouent le rôle d’une simple taxation de la demande parce qu’il n’y a pas d’industries européennes. En forçant le trait, la CE n’applique le régime NPF qu’à huit pays dans le monde. Mais ces huit pays – des États-Unis, au Japon et à Hong Kong – sont les vrais concurrents des producteurs européens. Le régime NPF est donc la partie vraiment coûteuse de la protection européenne dans la mesure où c’est elle qui distord les structures de production européennes. En d’autres termes, les régimes tarifaires préférentiels sont en large partie accordés parce qu’ils ne sont pas pertinents du point de vue de la protection: ils s’appliquent à des produits que l’Europe ne produit pas ou peu, et/ou à des pays que l’Europe sait incapables d’être compétitifs. Les plus belles illustrations de ces deux aspects sont l’évolution de la situation des exportateurs sous régimes SPG et ACP, et le fait que le bénéfice de ces régimes est prestement retiré par la CE aux pays couverts dès que ces derniers se montrent efficients, comme le savent bien la Corée, Hong Kong, Singapour ou l’Île Maurice.
La protection agricole
18L’estimation de la protection agricole grâce aux mesures de soutien calculées par l’OCDE me paraît justifiée pour trois raisons. En premier lieu, ces mesures fournissent une estimation synthétique des écarts entre prix mondial et prix consommateur en pourcentage du prix mondial – ce qui est la définition même des équivalents tarifaires ad valorem que l’on recherche. Dans ces conditions, il est difficile de voir l’intérêt de calculer des équivalents ad valorem des droits spécifiques indépendamment des autres instruments de protection, d’autant que les risques de double comptabilité et de “water in the tariff” sont importants en ce domaine.
19En second lieu, une observation similaire peut être faite pour les quotas tarifaires définis dans l’Uruguay Round (qui représentent une proportion très faible de la consommation domestique). Rien n’assure que les consommateurs européens soient les principaux bénéficiaires de ces quotas tarifaires. Les producteurs étrangers, ou plus vraisemblablement, les importateurs domestiques ont tout intérêt à garder pour eux, s’ils le peuvent, les différentiels entre prix dans le cadre des quotas tarifaires et prix sur les marchés européens correspondants.
20Enfin, une large partie de la protection agricole européenne passe par les énormes subventions à l’exportation et à la production, lesquelles sont prises en compte dans les estimations de l’OCDE, mais pas dans la base MAcMaps.
La définition des coûts de la protection
21Il est tout-à-fait exact que la théorie du coût de la protection ne prend en compte, pour estimer ce dernier, que les seules “pertes sèches en bien-être.” Ces dernières sont bien présentées de façon lisible dans mon étude pour le lecteur qui voudrait en rester là.
22Choisir comme indicateur principal le coût de la protection pour les consommateurs (qui inclut, outre les pertes sèches, les rentes empochées par les opérateurs et les recettes douanières) obéit à la volonté de prendre en compte un aspect largement ignoré par les études empiriques de la protection, celui des coûts de gaspillage de cette dernière, alors qu’il est dominant dans le vécu de la protection. La théorie fait une série d’hypothèses qui reviennent à nier ce gaspillage (qui n’est pas son objet d’étude à proprement parler). Ainsi, elle considère comme nuls les coûts de perception des droits de douane alors que ces derniers sont, pour des droits de douane inférieurs à environ 3-5% (une circonstance très fréquente dans la CE), plus importants que les revenus qu’ils procurent. De même, un euro prélevé par les Douanes et dépensé par la puissance publique est supposé avoir une valeur toujours équivalente à celle du même euro dépensé par le consommateur du même pays. Enfin, les droits antidumping et autres restrictions quantitatives consomment, pour être établis, des ressources importantes et fournissent des rentes qui auraient pu être employées plus utilement ailleurs.
23La vraie question est donc, à nouveau, celle de la définition la moins éloignée de la réalité de la politique commerciale. Quand on observe les efforts et moyens gigantesques employés par les États et les firmes pour mener une politique commerciale, on est en droit de douter que la théorie ait, en fermant les yeux sur les coûts en gaspillage pur de la protection, saisi le problème dans toute son étendue.
Les points à doutes
24Le problème essentiel que pose la base MAcMaps est celui du “trade-off” entre les gains que procure un niveau maximal de détail et les coûts imposés par cet effort, et par voie de conséquence la robustesse des interprétations qui peuvent être retirées de l’emploi de la base. La base MAcMaps repose sur l’idée centrale qu’il faut, autant que possible, travailler au niveau le plus détaillé de la nomenclature tarifaire (idéalement jusqu’au niveau de la définition des produits par les codes à 10-12 chiffres), une approche rendue possible par la puissance des instruments informatiques.
25Mon impression générale est que la base MAcMaps exige trop d’efforts pour des détails, au détriment de certains éléments qui manquent, alors qu’ils sont essentiels pour porter un jugement global sur le régime de protection d’un pays. Bien évidemment, ceci reflète assez largement la discussion de la première section dans la mesure où les commentaires d’A. Bouët sur mon étude découlent largement du constat inverse – je n’aurais pas pris suffisamment de détails en compte.
Agréger les lignes tarifaires
26Si la protection d’un pays se limitait à des droits de douane ad valorem, travailler sur une base de données très détaillée ne se heurterait qu’à un seul obstacle. Mais il s’agit déjà d’un obstacle de taille, celui de la méthode d’agrégation. On connaît le problème de fond (dans ce qui suit, on suppose résolus tous les problèmes de l’existence des données au niveau fin). La méthode préférable d’agrégation des droits de douane serait celle reposant sur les importations qui existeraient en libre-échange. Ces dernières n’étant pas disponibles, quelles sont les alternatives, si l’on ne veut pas utiliser des moyennes simples (non-pondérées) et se concentrer sur les seuls secteurs ou produits à forte protection, en laissant de côté le reste (l’approche que j’ai privilégiée)? Utiliser les importations observées du pays pour pondérer les droits de douane à sommer aboutit à sous-estimer systématiquement le niveau de protection puisque les importations sous forts droits de douane sont réduites, alors que celles sous droits de douane faibles sont proches de ce qu’elles devraient être, voire plus importantes (en cas de substitution avec des importations restreintes par la protection).
27Pour résoudre ce problème, la base MAcMaps utilise cinq groupes de référence générés par trois indicateurs (le PIB, les importations et exportations par tête), chaque pays se voyant affecter un groupe de référence. Laissant de côté, comme plus secondaires, les questions sur le bien-fondé du choix de ces trois indicateurs, je reste perplexe devant cette approche pour une raison essentielle. Elle a, paradoxalement, le défaut de ne pas permettre de savoir si l’on est dans une situation de sous- ou de sur-estimation systématique (d’autant que le processus d’agrégation peut être à plusieurs étapes). Or savoir le type d’erreur que l’on commet me paraît essentiel dans un domaine comme la mesure du niveau et du coût de la protection, où l’on sait fort bien que l’on n’arrivera pas à avoir la mesure parfaite.
28Ce défaut de MAcMaps me paraît particulièrement gênant pour une base qui veut couvrir tous les pays du monde. En effet, la protection d’un pays sera sous-estimée alors que celle d’un autre sera surestimée. Mais il n’y a aucun moyen de savoir si un pays se trouve dans la première ou dans la seconde situation (et ceci pourra d’ailleurs changer dans le temps).
Agréger les instruments de protection
29Le problème d’un travail à un niveau fin se complique singulièrement lorsque la protection mise en place par un pays ne se limite pas aux seuls droits ad valorem, ce qui est le cas général. Droits de douane spécifiques et restrictions quantitatives (les mesures antidumping étant soit des droits ad valorem, soit des droits spécifiques, soit des restrictions quantitatives) posent deux types différents de problèmes. Soit ces instruments de protection sont définis eux-mêmes au niveau fin, comme ce sera souvent le cas pour les droits spécifiques. En ce cas, il faut en définir les équivalents ad valorem. Bien évidemment, les solutions théoriques pour ce faire existent mais, appliquées à un niveau aussi fin, elles exigent des informations qui, tout simplement, n’existent pas de façon fiable. Bon gré, mal gré, il faut retravailler à un niveau plus agrégé. Soit ces instruments de protection sont dès le départ définis à un niveau bien plus agrégé, et ce sera souvent le cas des restrictions quantitatives (par exemple, un seul quota dans le cadre des Accords Multifibres peut couvrir des dizaines de lignes tarifaires à lui seul). Comme ces nouveaux instruments de protection ne peuvent être raisonnablement introduits que directement à un niveau agrégé, ce dernier s’impose désormais aux droits de douane ad valorem.
30Ceci dit, la base MAcMaps pose deux questions supplémentaires. La façon dont sont évités les risques de redondance entre différents instruments de protection n’est pas claire. En général, ces derniers ne s’additionnent pas, mais ils s’emboîtent comme des poupées russes, le plus contraignant rendant les autres instruments redondants en termes de niveau de protection (mais la coexistence de divers instruments conserve un rôle en matière de redistribution des recettes tarifaires et des rentes entre les différents opérateurs sur les marchés).
31La seconde question est la suivante. Compte tenu des difficultés d’obtention de données, dans quelle mesure travailler au niveau le plus fin ne crée-t-il pas des estimations soumises à des erreurs de plus grande ampleur que celles qui existeraient en travaillant à un niveau moins désagrégé? Il n’est pas exclu que l’on puisse aboutir au paradoxe suivant: une agrégation de données plus fines, mais moins bonnes, donnant un résultat plus sensible (ce qui est le but recherché, et intéressant) mais de moins bonne qualité. Reprenons l’exemple proposé dans l’exposé sur la base MAcMaps de deux produits, l’un soumis à un droit de douane de 20% devant être réduit de 50% dans le cadre d’un programme de libéralisation, l’autre soumis à un droit de douane de 4% devant être réduit de 25%. Disposer de l’information sur les deux produits, plutôt que sur la moyenne des produits, montre que le droit final moyen sur ces deux produits serait de 6,5% (non pas 9%).
32Dans un monde simple où la protection est limitée à des droits ad valorem, plus d’information est probablement toujours préférable à moins d’information (encore qu’il ne paraît pas absolument essentiel de savoir pourquoi le tarif douanier bulgare comporte trois ou quatre fois plus de lignes tarifaires dans l’industrie automobile que le tarif douanier américain ou européen). Mais les aléas des données nécessaires pour calculer les équivalents tarifaires des droits spécifiques, quotas et autres prix minima peuvent fort bien aboutir à ce que l’information détaillée comporte des erreurs suffisantes pour détruire le gain espéré en information. Et encore une fois, agréger les gains en bien-être des petites réductions de droits sur l’ensemble des produits concernés permet de concentrer ses efforts sur les gains consistant à passer de 20 à 10% (lesquels ne sont d’ailleurs qu’imparfaitement traduits par le passage de 12 à 6.5%).
Une vue d’ensemble
33Le très gros effort de la base MAcMaps qui consiste à ramener tout le régime de protection d’un pays, autant que faire se peut, au niveau de détail disponible pour les droits ad valorem a des coûts importants, dont le plus grand est de ne pas prendre en considération des instruments de protection aussi cruciaux que les subventions à la production et à l’exportation. C’est l’ambiguïté de la base que de parler de protection agricole sans évoquer les subventions de la Politique Agricole Commune, soit les quelques 40 milliards d’euros par an qui font vraiment la différence entre la protection agricole dans les pays de l’OCDE protectionnistes en ce secteur et la protection dans le reste du monde.
34Ce manque va bien au-delà d’une simple difficulté statistique. Il tend à ne pas donner une vue d’ensemble des négociations commerciales à venir, et ce faisant, à les biaiser involontairement. Par exemple, il incite à penser que pays de l’OCDE et pays en développement vont négocier sur les tarifs agricoles – alors que, bien évidemment, ils devraient négocier sur la totalité de leurs paquets respectifs d’instruments de protection, lesquels se limitent aux droits de douane et quotas pour les pays en développement, mais lesquels incluent les subventions pour les pays OCDE.
Les points ouvrant des pistes de recherche
35La base MAcMaps, comme le commentaire d’A. Bouët, ouvrent deux perspectives de recherche particulièrement intéressantes.
36La première concerne l’impact protectionniste des normes techniques. Ces dernières sont à suivre avec une attention toute particulière, notamment au sein de la CE et en matière agricole.
37La seconde a trait à la dispersion intersectorielle des protections commerciales à propos de laquelle A. Bouët mentionne que “caractériser la politique commerciale mérite au moins l’estimation de ces deux indicateurs” que sont les moyennes et les variances. On doit aller plus loin. Toute politique commerciale devrait être jugée sur plusieurs caractéristiques, comme son degré d’ouverture (ceci est toujours fait et couvre l’indicateur des moyennes), son degré d’irréversibilité (ceci est parfois fait et couvre à la fois l’indicateur de variance et le concept juridique de consolidation), et enfin son degré de simplicité (ceci n’est jamais fait et couvre des aspects comme le faible nombre de régimes d’exception, par exemple d’accords préférentiels, la simplicité des règles d’origine, etc.). Il a été possible, à partir des données publiées par l’OMC (OMC, 2001) de construire, de la manière la plus simple possible, trois indicateurs correspondant à ces trois dimensions (Laird et Messerlin, 2002). On s’aperçoit que les pays ont une structure d’indicateurs assez différente – la CE apparaissant comme un pays à politique commerciale relativement compliquée (un écho à la discussion sur les régimes tarifaires préférentiels européens) et réversible (un écho à la discussion sur l’antidumping).
Bibliographie
Références
- Blonigen, B.A., Thomas, J.-P., 2001. Antidumping, NBER Working Paper 8398, National Bureau of Economic Research, juillet.
- Bourgeois, J.H.J., Messerlin, P.A., 1998. The European Community experience, Brookings Trade Forum, Washington DC: The Brookings Institution.
- Laird, S., Messerlin, P.A., 2002. Trade policy regimes and development strategies: a comparative study, Working Paper, Washington: InterAmerican Development Bank.
- Messerlin, P.A., 2001. Measuring the Cost of Protection in Europe, Institute for International Economics, Washington D.C.
- OMC, 2000. The European Community, Trade Policy Review, Genève.
- OMC, 2001. Market Access: Unfinished Business, Special Studies 6, Genève.
- Shin, H.J., 1998. Possible instances of predatory pricing in recent U.S. antidumping cases, Brookings Trade Forum, Washington DC: The Brookings Institution.
- Willig, R., 1998. Economic effects of antidumping, Brookings Trade Forum, Washington DC: The Brookings Institution.