Notes
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[1]
Auteur correspondant: Clotilde Granger, Doctorante, EURIsCO-Equipe universitaire de recherche “Institutions: Coordination, Organisation”, Université Paris IX Dauphine (clotildegranger@ wanadoo. fr)
Jean-Marc Siroen, Professeur à l’Université Paris IX Dauphine, EURIsCO. -
[2]
Voir notamment Edwards (1993, 1998); Frankel et Romer (1999); Sachs et Warner (1995); Serranito (2000); Wacziarg (1998).
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[3]
Supposée prise en compte par la différence entre le taux d’ouverture effectif et le taux d’ouverture naturel.
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[4]
Cet indice est disponible sur: http:// www. freedomhouse. org/ ratings/ index. htm. Il est notamment utilisé par Barro (1996), Tavares et Wacziarg (2000), Rodrik (1997), Wei (2000). Il est construit à partir de critères relevant des droits politiques (droits de vote, existence d’une opposition, etc.) et des libertés civiles (liberté d’expression et de croyance, droit d’association, droit de propriété, etc.) Nous avons vérifié sa fiabilité par rapport aux indicateurs de démocratie de la base de donnée Polity IV de l’Université du Maryland (http:// www. bsos. umd. edu/ cidcm/ polity/ #exec). Pour les 135 pays communs, le coefficient de détermination était de 86,5% pour les droits politiques et de 76,7% avec les libertés civiles ce qui indique une assez forte concordance entre les deux bases. Freedom House range également les pays en trois catégories: libres, partiellement libres et non libres.
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[5]
Un pays est considéré comme fermé s’il satisfait au moins un des cinq critères suivants: taux moyen de tarif supérieur à 40%, barrières non tarifaires couvrant plus de 40% des importations, système économique socialiste, monopole d’État sur les exportations principales, prime sur le marché parallèle des changes supérieure à 20% soit durant les années soixante-dix, soit durant les années quatre-vingt.
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[6]
Le volume des échanges peut également augmenter avec les ressources minières (Combes et al., 2000). Une variable indicatrice des pays pétroliers Dpaysp a donc été testée; n’étant pas significative, elle n’a pas été prise en compte.
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[7]
Plusieurs variables indicatrices de différents accords régionaux ont été testées; seules celles qui étaient significatives ont été retenues et sont présentées dans le tableau de résultats.
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[8]
Le résidu est calculé en prenant en compte l’ensemble des variables définissant l’équation (6) (tableau 3B); l’influence de FH et FH2 est retirée dans un second temps; enfin, le résidu est normalisé. L’existence de valeur négative tient au fait que la variable endogène est en log. La courbe de tendance est obtenue en régressant le résidu sur FH et FH2.
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[9]
Voir le plaidoyer de Rodrik (2000) en faveur du gradualisme.
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[10]
Les auteurs remercient les rapporteurs anonymes ainsi que Sébastien Jean, Régis Bourbonnais et Christophe Hurlin pour leurs conseils éclairés. Ils restent évidemment responsables des erreurs commises.
1La question du lien entre la démocratie et la croissance économique reste débattue. L’expérience de certains pays du sud-est asiatique ou du Chili a accrédité la thèse d’une contribution positive de l’autoritarisme. Mais le caractère exemplaire de ces cas se heurte à une multitude d’exemples opposés, notamment en Afrique ou en Amérique latine. Si, à long terme, les pays les plus riches sont aussi les plus démocratiques, les liens de causalité ne sont pas assurés: la démocratie est-elle un préalable de la croissance comme le sous-tend une philosophie politique libérale ? La démocratie n’est-elle, au contraire, envisageable qu’après une phase préalable de développement comme l’affirment souvent les gouvernements autoritaires ?
2L’autoritarisme politique permettrait aux gouvernements d’imposer des mesures impopulaires favorables à la croissance. Il permettrait d’éloigner les groupes de pression des centres de décision et de maîtriser les conflits ethniques. La démocratie, plus sensible au clientélisme, organiserait des transferts et introduirait des protections catégorielles qui seraient à l’origine de distorsions défavorables au développement. Au contraire, pour certains auteurs, la démocratie faciliterait la gestion des conflits et la prévention des guerres civiles. En faisant participer les perdants et les pauvres à la vie politique, elle introduirait un élément de stabilité favorable à la croissance. En privilégiant les préférences de l’électeur médian, elle préserverait le pays des politiques extrêmes. Elle limiterait le caractère discrétionnaire du pouvoir (Rodrik, 1997; Tavares et Wacziarg, 2001) et permettrait de révéler les “bonnes” institutions adaptées aux particularités du pays (Rodrik, 2000).
3Pour Bourguignon et Verdier (2001), l’oligarchie qui exerce un pouvoir autoritaire peut avoir intérêt à favoriser l’éducation si le travail qualifié complète le capital. Elle favorise alors l’émergence d’une classe moyenne qui doit conduire à la démocratisation. Mais l’ouverture financière ralentit cette évolution si elle favorise la convergence du rendement du capital sur les normes mondiales et retire ainsi à l’oligarchie son incitation à soutenir l’éducation.
4La littérature empirique ne permet pas de trancher. Elle n’isole pas de corrélation simple entre la démocratie et la croissance. On trouve des cas de succès et des cas d’échec, aussi bien dans les pays démocratiques que dans les pays peu démocratiques. Borner et alii (1995) recensent que sur 16 études, trois concluent à une relation positive, trois à une relation négative et dix ne tranchent pas.
5Des modèles empiriques plus sophistiqués qui “contrôlent” cette relation par la prise en compte d’autres éléments explicatifs de la croissance ne sont pas davantage concluants. Après avoir pris en compte l’éducation et l’investissement, Helliwell (1994) ne trouve pas de relation significative. Rodrik (1997) arrive à la même conclusion lorsque le revenu initial, l’éducation et la qualité des institutions gouvernementales sont considérés. Barro (1996) identifie un seuil critique en deçà duquel la relation entre le niveau de démocratie et la croissance est positive alors qu’au-delà la relation s’inverserait. Ce seuil serait assez bas puisqu’il voisinerait autour du niveau de démocratie de pays comme le Mexique ou la Malaisie en 1994. D’après l’étude empirique de Tavares et Wacziarg (2001) la démocratie favoriserait la croissance via ses effets positifs sur l’accumulation de capital humain et sur l’égalité des revenus. Mais elle exercerait des effets défavorables en réduisant le taux d’accumulation du capital physique et en favorisant l’accroissement des dépenses publiques.
6La multiplication des variables explicatives apportant peu de réponses, les études récentes se sont davantage intéressées aux variables expliquées, élargies à la stabilité ou à la soutenabilité de la croissance. Rodrik (1997; 2000) établit ainsi que les démocraties ont des taux de croissance plus stables à court et à long terme (la variance des taux de croissance est plus faible). Elles permettent une meilleure gestion des chocs économiques et versent des salaires plus élevés (Rodrik, 1999).
7Alors que la relation empirique démocratie-croissance apparaissait difficile à identifier, de nombreux travaux ont confirmé l’existence d’une relation positive robuste entre la croissance et l’ouverture commerciale [2]. Ce consensus apparent n’a pourtant pas permis de surmonter toutes les réserves dues aux imperfections des méthodes et, notamment, à la mesure de l’ouverture commerciale (Pritchett, 1996; Rodriguez et Rodrik, 1999; Siroën, 2001).
8Si la démocratie n’exerce pas d’influence évidente sur la croissance alors que le commerce et l’ouverture commerciale agiraient favorablement, on doit logiquement s’attendre à une absence de lien solide entre la démocratie et l’ouverture commerciale. Taveres et Wacziarg (2001) concluent ainsi qu’un plus haut niveau de démocratie conduit à une diminution faible et peu significative du degré d’ouverture.
9L’objet de cette communication est de vérifier ce lien entre la démocratie d’une part et l’ouverture commerciale d’autre part. L’étude conclut sur l’existence d’une relation convexe entre la démocratie et l’ouverture commerciale ce qui invite à un réexamen des relations entre la croissance, la démocratie et l’ouverture commerciale.
Le lien entre la démocratie et la politique commerciale
10Alors qu’une assez longue tradition de l’économie politique lie le commerce sinon à la démocratie, du moins aux institutions (les “mœurs douces” de Montesquieu), les études empiriques ont été peu nombreuses. Les gouvernements démocratiques sont-ils moins protectionnistes que les gouvernements autoritaires ? Sont-ils “naturellement” plus ouverts à l’échange ?
11Si, à première vue, les grandes démocraties apparaissent plus ouvertes aux échanges, des contre-exemples peuvent aisément être trouvés. L’Inde est, par exemple, une démocratie plus fermée aux échanges que la dictature chinoise. La littérature sur l’économie politique du protectionnisme est d’ailleurs pessimiste et incline plutôt vers l’hypothèse d’un lien négatif. En effet, un système démocratique laisse libre cours aux pressions des lobbies protectionnistes.
12Les groupes de pression qui gagnent au protectionnisme investiraient alors pour influencer la décision politique quitte à se confronter aux lobbies libre-échangistes et, notamment, aux exportateurs (Findlay et Wellisz, 1982) et aux importateurs de biens intermédiaires. Cette influence peut jouer, notamment par le financement des partis politiques (Magee, Brock et Young, 1989; Grossman et Helpman, 1994), la satisfaction des électeurs charnières (par exemple, les agriculteurs avantagés dans les systèmes électoraux par circonscription qui sur-représentent un groupe en général favorable à la protection), la concentration des rentes protectionnistes sur des petits groupes qui s’organisent plus aisément que les grands et maîtrisent mieux les comportements de resquillage (free riding). Mais cette approche repose sur des hypothèses très contestables. L’évolution générale vers le libre-échange dément l’idée selon laquelle, dans les démocraties, les groupes protectionnistes domineraient les groupes libre-échangistes.
13L’alternative du marché politique dans les démocraties est une plus grande corruption dans les pays non démocratiques. Ce lien n’est pas, lui non plus, complètement évident: d’une part, l’autoritarisme et l’oligarchie rendent plus difficile la mise en place d’institutions visant à lutter contre la corruption, mais, inversement, ils disposent d’une autorité plus grande pour la combattre. L’étude empirique de Wei (2000) met bien en évidence un lien négatif entre la démocratie et la corruption même si les démocraties sont souvent des pays riches en général moins corrompus. Néanmoins, il ne parvient pas à mettre en évidence une relation entre la corruption et la politique commerciale [3].
14Pour Alesina et Spolaore (1997), la démocratie favorise la sécession des pays et donc des nations plus étroites. Or les petits pays sont “naturellement” plus ouverts. On peut donc s’attendre à une corrélation positive entre la démocratie et le taux d’ouverture qui transiterait par la taille des nations.
15L’indice le plus utilisé pour apprécier le niveau de démocratie, est celui de la Freedom House [4] qui prend en compte le respect d’un certain nombre de critères comme les élections libres ou l’existence d’une opposition représentative. Les corrélations simples à partir d’indicateurs de mesure directe ou d’indices construits de politique commerciale sont modérément concluantes comme l’indique le tableau 1. Néanmoins, dans tous les cas, avec des niveaux de significativité différents, le sens de la corrélation est toujours le même: la démocratie serait positivement associée à des politiques commerciales libérales.
Corrélation (R2) entre l’indice de Freedom House et d’autres indicateurs d’ouverture commerciale
Corrélation (R2) entre l’indice de Freedom House et d’autres indicateurs d’ouverture commerciale
16Le tableau 2 est plus convaincant pour constater l’association entre la libéralisation commerciale et la libéralisation politique. Il range les pays en développement ou émergents en grandes catégories, moins exigeantes sur la quantification. Le niveau de démocratie est divisé en trois catégories selon le relevé de Freedom House. Il est croisé avec les deux catégories de politique commerciale dans le classement de Sachs et Warner (1995). Les pays les plus ouverts au commerce sont aussi les plus démocratiques. Ce constat est d’autant plus robuste que toutes les grandes démocraties des pays industriels, non repris ici, sont classées comme ouvertes par Sachs et Warner [5]. Si de nombreux pays ouverts, selon ces auteurs, sont classés “partiellement libres”, la grande majorité des pays fermés sont parmi les moins démocratiques. De plus, dans de nombreux pays, l’ouverture politique suit ou précède l’ouverture commerciale, les deux processus pouvant apparaître comme quasi-simultanés. Si une relation de causalité apparaît hasardeuse, la quasi-totalité des pays qui, comme Taiwan ou la Corée du sud, ont ouvert leur commerce avec des régimes “non libres” ont, par la suite, démocratisé leur système politique. À l’inverse, les pays démocratiques fermés sont rares. Ces faits relatifs aux pays en développement rendent difficiles une analyse en terme de causalité qui ne sera donc pas menée ici.
La relation entre la démocratie et l’ouverture commerciale (78 pays en développement)
La relation entre la démocratie et l’ouverture commerciale (78 pays en développement)
Démocratie et ouverture naturelle: une analyse économétrique
17Le degré d’ouverture d’un pays dépend aussi d’une multitude de facteurs. Certains éléments naturels ne sont pas imputables à la démocratie comme la taille ou l’isolement géographique du pays. D’autres peuvent lui être indirectement liés comme le niveau de développement. Enfin certains sont plus directs, comme la politique commerciale (voir supra) mais aussi, d’une manière plus générale, l’environnement de l’échange: liberté de communication, coûts de transaction (dont la corruption), sécurité des contrats, etc. L’analyse économétrique proposée tente donc de prendre en compte différents facteurs afin d’apprécier l’influence de la démocratie sur le degré d’ouverture.
18L’étude porte sur des données en coupe avec un échantillon de 67 pays, dont 43 sont à revenu faible et intermédiaire (voir la liste des pays en annexe 1). Conformément à la classification de Freedom House, 34 sont des pays libres, 20 le sont partiellement et 13 ne le sont pas. Pour chaque variable utilisée, les données correspondent à une moyenne sur 3 ans (1994-1996).
19L’ouverture commerciale est définie de manière traditionnelle, comme la somme des exportations et des importations exprimées en pourcentage du PIB. Dans les modèles présentant les déterminants structurels de l’ouverture (notamment Combes et al., 2000; Wei, 2000), celle-ci apparaît d’abord comme une fonction décroissante de la taille du pays, souvent représentée par la population (POP), des coûts de transport, approchés par l’éloignement du pays par rapport aux 15 premiers marchés mondiaux (dist15), et du degré d’enclavement, mesuré par l’indicateur de Gallup, Mellinger et Sachs (1999) qui rapporte l’étendue du territoire à celui des côtes (Cote) [6].
20À ces déterminants structurels, d’autres variables, corrélées à la fois avec l’ouverture commerciale et le niveau de démocratie, peuvent être ajoutées. En particulier, les arguments du débat théorique, invitent à prendre en compte des indicateurs de politiques commerciales (PC) et le niveau de développement économique. Sont successivement introduits dans l’équation la variable muette (Dopen) de Sachs et Warner (1995) déjà utilisée (tableau 2), le niveau des barrières tarifaires (BT) et l’appartenance à une zone de libre-échange: Due, Dalena et Dasean, variables indicatrices de l’appartenance respectivement à l’Union européenne, l’Alena et l’Asean [7]. Est enfin ajouté le niveau du PNB par habitant (PNBHAB).
21Ces facteurs d’ouverture étant “contrôlés”, l’indice de Freedom House est introduit dans l’équation sous sa forme quantitative (FH). Originellement compris entre 1 (démocratie) et 7 (autocratie), il est habituellement ramené à l’intervalle [0 (autocratie); 1 (démocratie)] comme chez Barro (1996), Helliwell (1994) et Rodrik (1997, 1999 & 2000).
22L’équation estimée par la méthode des MCO s’écrit:
24Elle présente à la fois les déterminants naturels et politiques de l’ouverture commerciale.
25Si l’impact de la démocratie sur le degré d’ouverture commerciale apparaît dans un premier temps positif (tableau 3A – colonnes 1 et 2), ce résultat est très dépendant des variables explicatives utilisées: la significativité du coefficient de FH disparaît en présence des variables avec lesquelles se pose un problème de colinéarité (tableau 3A – colonnes 3 à 5); en particulier, lorsque le PNB par habitant est introduit dans l’équation, le coefficient n’est plus significatif et devient négatif.
Ouverture commerciale et démocratie
Relation linéaire
Relation linéaire
Relation non linéaire
Relation non linéaire
Ouverture commerciale et démocratie
27Quelle que soit la spécification de l’équation d’ouverture retenue, les coefficients de FH et FH2 sont stables; le premier est toujours négatif et le second, toujours positif (tableau 3B). Lorsque les indicateurs de politique commerciale sont introduits dans l’équation structurelle (colonnes 2 à 4), les coefficients de FH et FH2 restent significatifs et la probabilité jointe, permettant de tester la significativité simultanée de ces deux coefficients, est inférieure ou égale à 1%. Le respect de la démocratie semble donc avoir une influence directe sur le volume des échanges, indépendante des choix de politiques commerciales. En présence du PNB par habitant, les seuils de significativité sont plus élevés en raison de la colinéarité existant entre le niveau de développement économique et le respect de la démocratie (annexe 3). Néanmoins, lorsque l’échantillon est suffisamment grand et le nombre de variables explicatives suffisamment important pour compenser les effets dus à cette colinéarité (tableau 3B – colonne 6), l’impact de la démocratie est significatif et la probabilité jointe vaut 5,5%.
28L’ensemble des résultats obtenus permet donc de conclure à une relation convexe entre la liberté politique et la libéralisation commerciale: l’ouverture est fonction décroissante du respect de la démocratie pour des niveaux faibles de démocratie; la relation devient ensuite croissante pour des niveaux plus élevés. Le minimum de la fonction est atteint pour un indicateur de Freedom House compris entre 0,45 (tableau 3B – équation 4) et 0,6 (équation 6), ce qui correspond respectivement au niveau de démocratie de la Malaisie et du Brésil et donc à des pays classés comme partiellement libres.
29Le graphique 1 montre la corrélation entre un indicateur d’ouverture commerciale résiduel [8]et celui de Freedom House. Cet indicateur est calculé après la prise en compte des déterminants structurels, des politiques commerciales et du niveau de développement. Il confirme la convexité de la relation. Néanmoins, plusieurs pays s’éloignent de la tendance mise en évidence et tendent à la renverser. En particulier, il apparaît à gauche du graphique un groupe composé de cinq pays musulmans (Syrie, Iran, Algérie, Indonésie, Égypte) considérés, à l’exception de l’Indonésie, comme fermés par Sachs et Warner (1995) et caractérisés par de faibles taux d’ouverture et de démocratie.
Corrélation entre ouverture commerciale et respect de la démocratie
Corrélation entre ouverture commerciale et respect de la démocratie
30Cette relation convexe remet en cause certaines conclusions de l’économie politique: les pays qui atteignent des niveaux de démocratie élevés, comme les grands pays industriels, ont des taux d’ouverture plus élevés ce qui laisse supposer une relative inefficacité des lobbies protectionnistes ou un activisme plus fort des groupes de pression libre-échangistes (exportateurs, firmes multinationales, importateurs de produits intermédiaires).
31D’autre part, l’inversion de tendance, qui se produit pour des pays qualifiés de partiellement libres (tels que le Bangladesh, le Brésil, la Thaïlande, la Roumanie), peut s’expliquer par le degré de maturité de la démocratie: une démocratie “immature” se caractériserait par la prédominance des groupes de pressions protectionnistes et plus généralement, par l’instabilité politique, la faiblesse des institutions permettant de lutter contre la corruption et de faire respecter un état de droit… Si un régime autoritaire peut imposer l’ouverture, une démocratie “mûre” maîtriserait mieux les groupes de pression. Ces résultats sont à mettre en regard avec ceux de Barro (1996), qui démontre l’existence d’une relation non linéaire, mais concave, entre le respect de la démocratie et la croissance. Cette fonction atteint son maximum pour des niveaux de démocratie similaires pour des seuils très proches de ceux identifiés dans notre étude. Les deux approches sont différentes: Barro teste des taux de croissance moyens et non des taux d’ouverture. Toutefois, en superposant les deux résultats, on constate que des pays initialement peu démocratiques augmentent leur taux de croissance et diminuent leur taux d’ouverture en se démocratisant. À partir d’un certain seuil, ils voient leur taux de croissance se ralentir et leur taux d’ouverture augmenter. La démocratie serait donc un facteur qui jouerait contre la relation positive entre le taux d’ouverture et le taux de croissance le plus souvent constatée dans les études empiriques. Un certain nombre d’hypothèses peuvent être émises.
32Les groupes de pression protectionnistes sont plus efficaces aux premières phases de démocratisation (ce qui signifierait que les variables démocratiques intègrent une dimension de politique commerciale mal prise en compte dans les autres indicateurs). Mais, si on suit Barro, cela signifie aussi que ces actions protectionnistes seraient favorables à la croissance en imposant, peut-être, un certain gradualisme dans la transition économique qui se révélerait finalement favorable à la croissance [9].
33Les pays les moins démocratiques sont plus ouverts que les pays intermédiaires mais au prix de distorsions importantes dans l’économie (régimes dérogatoires et soutiens au secteur exportateur; taux de change favorable au prix relatif des exportations). La démocratisation conduirait à réduire ces distorsions et ainsi à provoquer à la fois une diminution du taux d’ouverture et une augmentation du taux de croissance. Toutefois, celui-ci s’épuise avec la réduction des distorsions. La “mise à niveau” permet dans un second temps à l’économie de redéfinir sa spécialisation et d’accroître son taux d’ouverture.
34Le pays en cours de démocratisation bénéficierait d’abord d’un taux de croissance élevé et ne favoriserait l’ouverture que dans un second temps lorsque les effets du rattrapage se sont épuisés.
35Ces hypothèses appellent de nouveaux tests empiriques.
Conclusion
36L’analyse économétrique a permis de montrer que le choix du régime politique dans son ensemble, et non seulement celui des politiques commerciales, a un impact direct sur le degré d’ouverture commerciale. Plus précisément, il existe une relation convexe entre ces deux variables: lorsque le respect de la démocratie progresse, les échanges diminuent dans un premier temps pour augmenter lorsque le pays atteint un niveau de démocratie intermédiaire. Cette influence apparaît indépendamment des variables de politique commerciale ou du niveau de développement.
37Étant donné le caractère séquentiel et temporel de ces conclusions, l’analyse présentée ici pourrait être complétée par des études de cas. Celles-ci porteraient sur l’évolution historique des échanges de pays transitant du statut de pays non libres à celui de pays libres. Une estimation économétrique à partir de données de panel permettrait de mieux saisir la relation entre démocratie et ouverture commerciale. Cela se justifie d’autant plus que les résultats obtenus mettent en évidence un paradoxe empirique puisque, dans la littérature existante, la démocratie ne semble pas influencer la croissance alors que l’ouverture agit positivement.
39Date de réception de l’article: 10 septembre 2001
40Date d’acceptation pour publication: 25 juin 2002
Liste des pays (étude économétrique)
Liste des pays (étude économétrique)
Description des variables et sources des données
41Nom de la variable: Taux d’ouverture commerciale (X + M/PIB)
42Description: part des exportations (X) et des importations (M), de biens et services, en pourcentage du PIB PPA ($ courants).
43Source: World Bank, World Development Indicators.
44Nom de la variable: Pop
45Description: nombre total d’habitants.
46Source: World Bank, World Development Indicators.
47Nom de la variable: Dist15
48Description: distance moyenne séparant un pays des 15 premiers marchés mondiaux, identifies par l’importance de leur PIB ($ courants1996).
49Source: Dist15, calcul des auteurs; PIB, World Development Indicators; Distances bilatérales: base de J. Havemann, http:// www. eiit. org/ TradeRessources/ Data/ Gravity/ dist. txt.
50Nom de la variable: Cote
51Description: “The proportion of a country’s total land area within 100 km of the ocean coastline, excluding coastline in the artic and sub-artic region above the winter extent of sea ice” (Gallup et Sachs, 1999, p. 35).
52Source: Gallup, Mellinger & Sachs (1999).
53Nom de la variable: Dopen
54Description: variable dummy qui prend la valeur 1 si le pays est ouvert (voir note 4 pour la définition de l’ouverture commerciale).
55Source: Sachs et Warner (1995).
56Nom de la variable: BT
57Description: barrières tarifaires sur les importations (en%).
58Source: World Bank, World Development Report 2000, tableau 6.6.
59Nom de la variable: PNBHAB
60Description: PNB par habitant, évalué en PPA (dollars courants). Dans les équations testées, il est introduit sous forme logarithmique.
61Source: World Development Indicators.
62Nom de la variable: FH
63Description: indicateur du niveau de démocratie (compris entre 0 et 1).
64Source: Freedom House, http:// www. freedomhouse. org/ ratings/ index. htm.
65Variables indicatrices des accords commerciaux.
66Source: World Bank, World Development Report 2000, tableau 6.5.
Matrice de corrélation simple
Matrice de corrélation simple
Bibliographie
Références
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- Wacziarg, R., 1998. Measuring the Dynamic Gains from Trade, World Bank Working Paper 2001.
- Wei, S.-J., 2000. Natural Openness and Good Ggovernment, NBER Working Paper 7765.
Notes
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[1]
Auteur correspondant: Clotilde Granger, Doctorante, EURIsCO-Equipe universitaire de recherche “Institutions: Coordination, Organisation”, Université Paris IX Dauphine (clotildegranger@ wanadoo. fr)
Jean-Marc Siroen, Professeur à l’Université Paris IX Dauphine, EURIsCO. -
[2]
Voir notamment Edwards (1993, 1998); Frankel et Romer (1999); Sachs et Warner (1995); Serranito (2000); Wacziarg (1998).
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[3]
Supposée prise en compte par la différence entre le taux d’ouverture effectif et le taux d’ouverture naturel.
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[4]
Cet indice est disponible sur: http:// www. freedomhouse. org/ ratings/ index. htm. Il est notamment utilisé par Barro (1996), Tavares et Wacziarg (2000), Rodrik (1997), Wei (2000). Il est construit à partir de critères relevant des droits politiques (droits de vote, existence d’une opposition, etc.) et des libertés civiles (liberté d’expression et de croyance, droit d’association, droit de propriété, etc.) Nous avons vérifié sa fiabilité par rapport aux indicateurs de démocratie de la base de donnée Polity IV de l’Université du Maryland (http:// www. bsos. umd. edu/ cidcm/ polity/ #exec). Pour les 135 pays communs, le coefficient de détermination était de 86,5% pour les droits politiques et de 76,7% avec les libertés civiles ce qui indique une assez forte concordance entre les deux bases. Freedom House range également les pays en trois catégories: libres, partiellement libres et non libres.
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Un pays est considéré comme fermé s’il satisfait au moins un des cinq critères suivants: taux moyen de tarif supérieur à 40%, barrières non tarifaires couvrant plus de 40% des importations, système économique socialiste, monopole d’État sur les exportations principales, prime sur le marché parallèle des changes supérieure à 20% soit durant les années soixante-dix, soit durant les années quatre-vingt.
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[6]
Le volume des échanges peut également augmenter avec les ressources minières (Combes et al., 2000). Une variable indicatrice des pays pétroliers Dpaysp a donc été testée; n’étant pas significative, elle n’a pas été prise en compte.
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Plusieurs variables indicatrices de différents accords régionaux ont été testées; seules celles qui étaient significatives ont été retenues et sont présentées dans le tableau de résultats.
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Le résidu est calculé en prenant en compte l’ensemble des variables définissant l’équation (6) (tableau 3B); l’influence de FH et FH2 est retirée dans un second temps; enfin, le résidu est normalisé. L’existence de valeur négative tient au fait que la variable endogène est en log. La courbe de tendance est obtenue en régressant le résidu sur FH et FH2.
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Voir le plaidoyer de Rodrik (2000) en faveur du gradualisme.
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Les auteurs remercient les rapporteurs anonymes ainsi que Sébastien Jean, Régis Bourbonnais et Christophe Hurlin pour leurs conseils éclairés. Ils restent évidemment responsables des erreurs commises.