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Article de revue

Le renforcement international des droits de propriété intellectuelle

Pages 63 à 81

Notes

  • [1]
    Émmanuel Combe est professeur à l’Université du Havre, professeur affilié à l’ESCP-EAP et membre de TEAM-CESSEFI, Université de Paris-I (combe. emmanuel@ wanadoo. fr) ; Étienne Pfister est doctorant à l’Université de Paris-I et membre de TEAM-CESSEFI. Ce travail de recherche a été réalisé dans le cadre du programme de recherche « Négociations multilatérales et politiques commerciales : les nouveaux enjeux à l’aube du troisième millénaire », animé par le Commissariat général du Plan.
    Les auteurs remercient les deux rapporteurs anonymes pour leurs remarques critiques.
  • [2]
    Trade-Related Intellectual Property RightS.
  • [3]
    Pour les pays en voie de développement, une période transitoire de 10 ans est prévue : l’accord TRIPS s’appliquera donc aux signataires dans sa totalité en janvier 2005.
  • [4]
    L’accord TRIPS a également obligé les États-Unis à modifier leur législation en matière de protection par le brevet : la durée de la protection est ainsi passé de 17 années à partir de la date de dépôt à 20 années à partir de la date de demande.
  • [5]
    Ces stratégies ont été facilitées par les pratiques de licences obligatoires, en vertu desquelles une firme étrangère peut être obligée, avant de s’implanter, de céder certaines de ses technologies aux firmes locales (sans pour autant recevoir de contrepartie financière).
  • [6]
    Cette inefficience allocative peut être illustrée par le cas de l’industrie pharmaceutique, où le brevet protège efficacement les innovateurs (Lanjouw, 1998) : l’instauration du brevet dans les pays en voie de développement permettra sans doute aux grands laboratoires pharmaceutiques du Nord de retarder l’entrée sur les marchés étrangers de produits génériques commercialisés par des firmes locales, lesquelles devront attendre l’expiration du brevet. Par exemple, les firmes pharmaceutiques indiennes sont connues pour commercialiser rapidement des copies de nouveaux médicaments développés par des firmes du Nord (en moyenne 4 à 5 ans après leur lancement par l’innovateur sur le marché mondial).
  • [7]
    Par exemple, Takeyama (1994) suppose deux groupes de consommateurs H et L, avec respectivement NH et NL consommateurs. Chaque consommateur souhaite consommer une unité du bien X. Son prix de réservation est de Vi(XN) avec XN le nombre total de consommateurs (des deux groupes) achetant le bien X. L’externalité de réseau du côté de la demande se traduit par : Vi (XlN > Vi (X2N) pour tout i avec XlN > X2N. On suppose que VH(XN) > VL(XN) pour tout XN : la disposition à payer des consommateurs de type H excède celle des consommateurs du groupe L, à taille donnée du réseau. Takeyama montre alors que, sous certaines conditions, la stratégie optimale de la firme consiste à laisser les consommateurs du groupe L acheter des copies pour accroître la disposition à payer des consommateurs du groupe H, via un effet de réseau.
  • [8]
    Le coût de développement et de commercialisation d’un nouveau médicament est estimé à 125 millions de dollars sur dix ans pour les États-Unis (Nogues, 1990).
  • [9]
    Ces études ne prennent toutefois pas en compte un aspect institutionnel très important dans le cas de l’industrie pharmaceutique : l’existence, dans la plupart des pays en voie de développement, d’une politique de régulation du prix des médicaments, visant à limiter le pouvoir de monopole des innovateurs. Dans la mesure où ces mesures réglementaires n’entrent pas dans le cadre de l’accord TRIPS, on peut supposer qu’elles perdureront après le renforcement des DPI (pour le cas de l’Inde, cf. Lanjouw, 1998).
  • [10]
    Ainsi, selon l’Organisation Mondiale de la Santé, 100% des cas de malaria et de tétanos et 99,9% des cas de polio, de syphilis et de lèpre se trouvent dans des pays à revenu faible ou moyen.
  • [11]
    Le taux de multinationalisation se définit comme la probabilité qu’une firme décide de se multinationaliser à un instant t. Soit w ce taux ; la probabilité qu’une firme se multinationalise entre t et t + dt est wdt. Le taux d’innovation correspond au taux instantané d’accroissement du nombre de produits.
  • [12]
    Markusen (1995) rappelle que les multinationales doivent disposer d’un avantage spécifique basé sur la conception du produit, la publicité ou la réputation pour compenser des coûts de production supérieurs à ceux des firmes locales.
  • [13]
    En particulier, la probabilité de victoire d’un détenteur de brevet semble avoir significativement augmenté entre la fin des années soixante-dix et le début des années quatre-vingt-dix. Le domaine de brevetabilité des inventions s’est également considérablement élargi, incluant désormais les logiciels, l’ingénierie financière et économique (business methods), de même que la nature des personnes pouvant déposer des brevets (essor du nombre de brevets accordés à des universités et à des laboratoires publics) ; cf. Jaffe (2000) pour un survey de ces réformes.
  • [14]
    À travers, notamment, l’augmentation du nombre de brevets déposés dans ces domaines thérapeutiques et du nombre de publications scientifiques qui leur sont consacrées.
  • [15]
    La « spécificité» revêt ici une triple nature : certaines maladies, éradiquées depuis longtemps dans les pays développés, concernent exclusivement les pays en voie de développement, à l’image de la malaria. En second lieu, certaines maladies, pourtant communes aux pays développés et aux PVD, présentent des caractéristiques locales ; le cas du SIDA est à cet égard exemplaire : le virus HIV n’est pas du même type dans les pays riches, où il fait l’objet d’importants investissements en R&D, et dans les pays en voie de développement. En dernier lieu, le traitement d’une même maladie nécessite d’adapter les médicaments selon les régions, notamment pour des considérations climatiques (conservation, etc.) et économiques (différences de niveau de revenu).
  • [16]
    La création de flux de commerce, suite au renforcement des DPI n’est pas nécessairement efficiente : comme le met en évidence le modèle de Helpman (1993), les imitateurs du Sud, à faibles coûts de production et placés en situation de concurrence, sont remplacés par les firmes du Nord, à coûts de production élevés et en position de monopole.
  • [17]
    On peut noter que de tels conflits ne concernent pas seulement les pays en voie de développement : le système de brevets en vigueur au Japon privilégie souvent la diffusion de l’innovation au détriment de l’efficacité des brevets et a ainsi été mentionné dans de nombreux conflits juridiques et commerciaux (Girouard, 1996).
  • [18]
    Deux indices sont fréquemment utilisés pour mesurer l’étendue de la protection. L’indice de Rapp et Rozek (1990) varie de 0 à 5, une valeur égale à zéro indiquant l’absence de législation sur le brevet ou bien encore d’importantes limitations au droit du brevet (exclusion de certains biens du domaine de brevetabilité ; non application de la législation en vigueur sur le brevet). Plus rigoureux, l’indice de Park et Ginarte (1998) classe 110 pays, sur une échelle de 0 à 5, selon le degré de protection des droits de propriété intellectuelle. Pour calculer la valeur d’un pays sur l’indice, les auteurs prennent en compte cinq critères (évaluées de 0 à 5) : l’étendue de la protection ; l’appartenance du pays à un accord international sur le brevet ; la durée de la protection ; l’effectivité de la protection (enforcement), la possibilité de révocation des brevets. Le score d’un pays est alors la moyenne simple des notes obtenues sur chacun des cinq critères. Ainsi, les États-Unis obtiennent une note finale de 4,52 (le plus haut score) alors que des pays en voie de développement comme l’Éthiopie ou l’Angola ont un score de 0. Par rapport à l’indice de R&R, celui de P&G présenterait plusieurs avantages : i) il couvre un plus grand nombre de pays et d’années ; ii) il a le mérite de prendre en compte l’effectivité du respect des droits de propriété intellectuelle et pas seulement l’existence d’une législation. Ceci étant, les deux indices s’appuient exclusivement sur la protection théorique (telle qu’elle est suggérée par les textes légaux) et non sur la protection de fait. Dans le cas de l’Inde, Lanjouw (1998) fournit quelques indications sur la faiblesse des moyens dont disposent les agences de brevet et sur l’inexpérience relative des tribunaux en matière de contestation des brevets.
  • [19]
    L’indice de R&R n’est plus significatif que dans 8 industries sur 28.
  • [20]
    Dans la plupart des pays de l’OCDE, l’indice est supérieur ou égal à quatre. Dans la plupart des PVD, la valeur de l’indice de R&R est inférieure à trois. Maskus (1998b) obtient une relation non-linéaire entre le PNB par habitant et l’indice de R&R : les pays à niveau de revenus intermédiaire sont plus aptes à absorber les technologies étrangères et présentent en conséquence un faible niveau de protection pour que cette absorption soit possible.
  • [21]
    Des conclusions identiques sont atteintes lorsque l’on estime initialement le modèle de commerce construit par Helpman et Krugman (1985).
  • [22]
    La distinction entre les industries s’effectue notamment à partir des enquêtes menées par Levin & al. (1987).
  • [23]
    Les auteurs introduisent dans un second temps la taille du pays en voie de développement, en distinguant grand/petit pays : la variable DPI apparaît alors significative pour les trois groupes d’industries, surtout dans le cas de pays de grande taille.
  • [24]
    Le comportement des firmes américaines pharmaceutiques au Brésil, pays disposant d’une faible protection du brevet, est à cet égard révélateur : en 1985, l’investissement de ces firmes américaines atteignait 700 millions de dollars, avec une production essentiellement orientée vers la demande locale ; en revanche, les exportations de produits pharmaceutiques des firmes américaines à destination du Brésil s’élevait à 50 millions de dollars (Maskus & Penubarti, 1996).

1Le système des droits de propriété intellectuelle (DPI) a connu cette dernière décennie de profondes mutations au niveau international, allant le plus souvent dans le sens d’un renforcement de la protection. Ainsi, dès la fin des années quatre-vingt, plusieurs pays émergents, à l’image de la République de Corée, de la Chine, de Taïwan ou de l’Argentine, procédaient à une refonte de leur régime de DPI (UNCTAD, 1996 ; Maskus, 1997a), en partie sous la pression des États-Unis. De même, les accords de régionalisation conclus au début des années quatre-vingt-dix, tel l’Accord de Libre-Échange Nord-Américain (ALENA), comportaient déjà des clauses visant à garantir le respect par le Mexique de la propriété intellectuelle des firmes américaines et canadiennes (Maskus, 1997b).

2Mais l’aspect le plus marquant de ces réformes reste sans aucun doute la signature de l’accord relatif aux « aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce » (ADPIC) ou accord TRIPS [2], négocié dans le cadre de l’Uruguay Round et progressivement entré en vigueur à partir de janvier 1995 [3]. Cet accord prévoit en effet que tous les membres de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) adoptent et fassent respecter des standards minimums en matière de DPI.

3L’accord TRIPS a très clairement pour objectif de remédier aux disparités importantes qui subsistent encore aujourd’hui entre pays industrialisés et économies en voie de développement ou émergentes en matière de respect des droits de propriété intellectuelle [4]. En effet, l’absence de protection effective en matière de copyright, de marques ou de brevets a favorisé les comportements d’imitation à grande échelle, qu’il s’agisse de produits informatiques, textiles, culturels, ou encore pharmaceutiques, dans les pays en développement et émergents [5]. Une industrialisation basée pour partie sur la contrefaçon a dès lors pu s’y développer (Vaitsos, 1971). Ainsi, l’industrie pharmaceutique indienne repose largement sur l’importation et la copie des substances mises au point et brevetées par les firmes pharmaceutiques des pays industrialisés. À l’expiration du brevet, ces stratégies d’imitation donnent ensuite aux firmes indiennes un avantage important dans la concurrence entre producteurs de médicaments génériques (The Economist, 30/09/2000). De même, les industries textiles de l’Est asiatique ou de la Turquie réaliseraient une proportion significative de leur chiffre d’affaires grâce à la contrefaçon de marques provenant de pays industrialisés (Commission européenne, 1998). De nombreux autres exemples pourraient ainsi être relevés, comme le rôle de la Chine dans la production et le commerce de logiciels et de biens culturels contrefaits (The Economist, 20/2/1999).

4Face à cette situation, l’accord TRIPS vise à instaurer des standards minimaux de protection des DPI devant être progressivement atteints par tous les membres de l’OMC. On mentionnera notamment l’instauration d’un système de protection pour une large gamme de produits qui en étaient auparavant dépourvus dans la plupart des économies émergentes (logiciels, bases de données, produits pharmaceutiques, innovations végétales), l’arrêt des contraintes de production locale et la limitation des procédures de licence obligatoires (accompagnées d’une compensation financière équitable le cas échéant) et enfin l’instauration de sanctions et de mesures répressives telles que le contrôle aux frontières, le paiement de dommages aux ayants droit et l’imposition de sanctions pénales à l’encontre des contrefacteurs.

5Cette tendance au renforcement international des DPI n’est guère surprenante, au vu de la place qu’occupent aujourd’hui dans les échanges internationaux (commerce et investissement direct) la technologie et les applications du savoir. De ce point de vue, le renforcement international des DPI apparaît d’abord comme l’expression de l’intérêt des pays industrialisés, producteurs de connaissances. On observe d’ailleurs une forte corrélation entre le niveau de développement d’un pays ou ses dépenses de R&D et le niveau des DPI en vigueur (Maskus, 1998 ; Ginarte & Park, 1997 ; Marron & Steel, 2000). Lorsqu’un pays commence à disposer des capacités nécessaires au développement autonome de nouvelles technologies, il tend à adopter un système de DPI réellement efficace. Au contraire, un pays importateur net de nouvelles technologies préférera garder un système de DPI relativement permissif vis-à-vis des imitateurs et contrefacteurs (Lai & Qiu, 1999).

6Si l’identification des forces ayant conduit au renforcement des droits de propriété apparaît relativement aisée, les effets à long terme de l’accord TRIPS restent quant à eux très largement incertain. En l’occurrence, la littérature économique qui s’est essentiellement développée à partir du milieu des années quatre-vingt-dix, s’organise autour de trois problématiques successivement abordées dans cet article :

  • les effets statiques d’un renforcement des DPI dans les pays du Sud et du Nord : en particulier, à combien s’élèvera la perte sèche des consommateurs (du Nord et du Sud) et dans quelles proportions sera-t-elle compensée par une hausse des profits des firmes ?
  • les effets dynamiques du renforcement des DPI : en particulier, dans quelle mesure la hausse des profits des innovateurs (suite à la réduction de l’imitation) induit-elle une accélération du rythme de l’innovation ?
  • les effets du renforcement des DPI sur les flux de commerce et d’investissement direct : en particulier, les DPI exercent-ils une influence significative sur les exportations des pays industrialisés vers les pays émergents ? Cette influence est-elle également présente dans les choix de localisation des firmes ?

Les effets statiques d’un renforcement des DPI

7L’impact d’un renforcement des droits de la propriété intellectuelle (DPI) dans les pays émergents ou en voie de développement peut être appréhendé dans un premier temps sous un angle purement redistributif, et ce à un double niveau : redistribution entre le Nord et le Sud et redistribution interne entre consommateurs et producteurs du Nord.

Une redistribution entre le nord et le sud

8Le modèle de Helpman (1993) permet de présenter de manière succincte l’impact redistributif du renforcement des droits de propriété intellectuelle. Soit deux régions, le Nord et le Sud, commerçant entre elles. Dans la première, les firmes introduisent à un taux constant de nouveaux produits, sur lesquels elles conservent un monopole de production jusqu’à ce que les firmes du Sud soient parvenues à les imiter. Une fois l’imitation réalisée, la concurrence se fait par les prix (concurrence « à la Bertrand ») et les firmes du Nord sont exclues du secteur du fait de leurs coûts de production supérieurs à ceux des firmes du Sud. L’imitation s’effectue elle aussi à un taux constant (c’est-à-dire qu’à chaque instant t, chaque produit a une probabilité p d’être imité).

9En entraînant une réduction du rythme de l’imitation, le renforcement des DPI se traduit en premier lieu par une réallocation de la production vers le Nord : à chaque instant t, le Nord produit une proportion plus importante de biens et le Sud une proportion moins importante. L’augmentation de la protection équivaut à protéger les firmes du Nord de la concurrence des firmes du Sud, ce qui conduit à une double inefficience :

  • inefficience allocative : le renforcement de la protection permet à l’innovateur de pratiquer des prix de monopole sur une durée plus importante [6] ;
  • inefficience productive : un nombre croissant de biens est réalisé dans le pays à coût de production élevé, au lieu d’être réalisé dans les pays du Sud puis réimporté vers le Nord.
La combinaison de ces deux effets conduit à une augmentation des prix.

10Pour le Sud, l’impact du renforcement des DPI est donc forcément négatif. En effet, le déplacement de la production du Sud vers le Nord entraîne une détérioration des termes de l’échange (la demande de facteurs de production (travail) augmente dans le Nord et diminue dans le Sud) combinée à une augmentation des prix due aux coûts de production supérieurs des firmes du Nord et au pouvoir monopolistique accru des firmes innovatrices. Les réticences des pays en voie de développement au renforcement des droits de propriété, exprimées lors des négociations de l’accord TRIPS et reprises récemment dans le rapport des Nations Unies sur le Développement Humain (1999), trouvent ici une certaine justification.

11La situation du Nord suite au renforcement des DPI est plus ambiguë. En effet, cette région bénéficie d’une amélioration des termes de l’échange mais les consommateurs du Nord sont confrontés à une hausse du prix des biens. Comme ceux du Sud, ils doivent désormais payer au prix de monopole les innovations créées. Helpman (1993) montre que l’effet net du renforcement des DPI va dépendre de trois facteurs :

  • le taux d’imitation initial : s’il est faible, les termes du commerce sont dès le départ favorables au Nord. L’effet marginal d’un renforcement des DPI est alors faible et inférieur à l’effet négatif induit par la hausse des prix. A contrario, si le taux d’imitation initial est élevé, les termes du commerce sont initialement défavorables au Nord, et le renforcement des DPI entraîne une amélioration substantielle sur ce point ;
  • l’offre de main-d’œuvre relative du Sud : plus l’offre de main-d’œuvre du Sud est importante par rapport à Nord, plus le différentiel de coût de production est élevé et plus les consommateurs du Nord vont pâtir d’une réduction du taux d’imitation ;
  • le taux d’innovation : plus il est élevé, plus la production localisée dans le Nord est importante et moins le Nord gagne à une réallocation induite par le renforcement des DPI, à moins précisément que le taux d’imitation ne soit élevé.

Des effets surestimés ?

12De manière générale, il est admis que les hypothèses du modèle d’Helpman tendent à surestimer l’impact réel du renforcement des DPI.

13En premier lieu, l’hypothèse d’une concurrence à la Bertrand amplifie l’impact de l’imitation sur les profits des firmes du Nord. Dès lors, l’augmentation des prix consécutive au renforcement risque d’entraîner un effet d’éviction de la demande, une partie des consommateurs n’ayant pas les moyens nécessaires pour consommer le bien original. Lanjouw (1998) souligne ainsi qu’en Inde, la pauvreté des habitants, combinée à l’absence de prise en charge des dépenses de santé, implique une forte élasticité prix de la demande.

14Il faut également souligner que bien souvent, les imitations sont différenciées des produits originaux. Dans le domaine de l’habillement comme dans celui de l’informatique, une contrefaçon peut être distinguée d’une marque originale, notamment au niveau de la qualité des produits. Le mode de concurrence qui s’instaure entre producteurs originaux et imitateurs est davantage celui d’une concurrence verticale que d’une concurrence frontale, entre produits homogènes, à la Bertrand. Dans ce cas, l’augmentation des profits consécutive à l’élimination des firmes imitatrices est moins marquée.

15En second lieu, il existe des spécificités sectorielles dans la relation entre bien imité et bien d’origine au niveau de la fonction d’utilité du consommateur. Dans le cas de biens ostentatoires (industrie du luxe), l’existence d’une contrefaçon réduit la disposition à payer de ceux qui souhaitent acheter le bien d’origine : en effet, leur utilité diminue dans la mesure où elle est fonction croissante du nombre de consommateurs de biens d’origine et décroissante avec le nombre de consommateurs de copies. Un renforcement des DPI produit alors un effet d’extension du marché (déplacement de la droite de demande) des biens d’origine dans les pays du Nord, parallèlement à la hausse du prix due à la position de monopole. Dans le cas de biens à fortes externalités de réseau du côté de la demande (cas du logiciel mais aussi de certains segments de l’habillement), on peut considérer que l’imitation accroît la disposition à payer des consommateurs du bien d’origine (Takeyama, 1994 ; Slive & Bernhardt, 1998) [7]. Dans ces industries, certaines firmes pourraient opter pour une stratégie de défense à l’égard des contrefacteurs relativement permissive.

16En troisième lieu, l’absence de protection efficace dans les pays du Sud n’implique pas pour autant le libre-échange des biens contrefaits. De nombreux pays industrialisés, dont la France, ont une législation très sévère à l’égard des importateurs, voire des consommateurs de biens contrefaits. Dès lors, le renforcement de la protection au Sud n’a qu’un effet marginal sur le prix des biens au Nord.

17En dernier lieu, le modèle d’Helpman suppose que l’absence de protection juridique implique nécessairement l’absence d’appropriation des profits de l’innovation. Au contraire, la plupart des études empiriques tendent à souligner que les brevets et les marques constituent rarement l’instrument d’appropriation privilégié par les firmes. Rares sont les industries (l’exemple le plus frappant étant celui de l’industrie pharmaceutique) s’appuyant de manière privilégiée sur le brevet pour dissuader l’imitation.

18Les effets d’un renforcement des DPI ne seront donc peut-être pas aussi marqués que ceux envisagés dans le modèle d’Helpman. Le mérite essentiel du modèle réside certainement dans l’identification des principaux mécanismes de transmission de la redistribution induite par l’augmentation de la protection. L’intégration de spécificités sectorielles permet également de déterminer, pour une grande part, l’impact d’un renforcement des DPI sur le bien-être social.

Des effets redistributifs difficiles à mesurer

19Essentiellement basées sur les estimations des firmes concernées, les premières estimations des pertes liés à la contrefaçon concluent évidemment à des dommages substantiels : une première étude de la chambre de commerce américaine évalue ces pertes à près de 60 milliards de dollars par an (Stalson, 1987). Dans le cas de la France, les pertes de profit s’élèveraient à près de 40 milliards de dollars, les produits français étant une cible privilégiée des contrefacteurs (à l’image de l’industrie du luxe). Au niveau sectoriel, l’association des éditeurs de logiciels estime en 1994 à 1,05 milliard de dollars la perte de revenu résultant du piratage sur le seul territoire américain. En prenant en compte les marchés étrangers, la perte de revenu s’élèverait à plus de 8 milliards de dollars (Takeyama, 1997).

20Ces premières analyses suscitent néanmoins plusieurs réserves :

  • elles raisonnent à structure de marché donnée : en particulier, elles n’intègrent pas la substitution d’une industrie en monopole à une industrie concurrentielle ; dès lors, les firmes n’intègrent pas dans leurs estimations le fait qu’une fois les imitateurs exclus du secteur et les hausses de prix effectuées, la demande totale s’adressant au secteur va diminuer ;
  • les firmes peuvent être tentées de surestimer leurs pertes afin d’influencer les décisions politiques ;
  • les variations de surplus des consommateurs ne sont pas prises en compte.
Les évaluations globales, prenant en compte à la fois le surplus des firmes et celui des consommateurs, permettent d’aboutir à des résultats plus convaincants d’un point de vue méthodologique. Ainsi, en modélisant le marché étranger sous la forme d’un duopole entre une firme du Nord en position dominante et plusieurs concurrents, Feinberg et Rousslang (1990) estiment les pertes des innovateurs dues à la contrefaçon à « seulement » 2,3 milliards de francs en 1986 contre un surplus des consommateurs équivalent à 3 millions de dollars et des profits « indus » de 600 millions de dollars. Selon ces estimations, le renforcement des DPI conduirait donc à une perte nette de 1,3 milliard de dollars.

21Ces estimations globales ont été complétées par des études sectorielles : en particulier, l’industrie pharmaceutique a constitué un terrain d’étude privilégié, compte tenu des enjeux et de la relative disponibilité des données. Les études de Subraminian (1995) et de Maskus et Eby-Konan (1994) font apparaître des différences extrêmement importantes selon les pays, les structures de marché et l’élasticité-prix de la demande.

22Dans le cas des produits pharmaceutiques en Argentine et en Inde, Subraminian (1995) montre que la substitution d’un monopole à un duopole induirait une perte sèche variant entre 110 millions de dollars et 410 millions de dollars pour l’Argentine et entre 341 millions et 1,3 milliard de dollars pour l’Inde.

23L’étude de Maskus et Eby-Konan (1994) prend en compte la diversité des structures de marché possibles tant avant qu’après l’introduction de la protection. Les auteurs, qui considèrent le cas des produits pharmaceutiques dans quatre pays (Argentine, Brésil, Inde et Mexique), comparent quatre structures de marchés différentes et montrent que selon la configuration retenue, les estimations diffèrent de manière significative. Comme prévu, la transformation d’une situation concurrentielle en une situation de monopole génère une augmentation importante du prix du médicament, allant de 25 à 67% selon l’élasticité de la demande. La perte en terme de surplus du consommateur dépend de la taille du marché mais excède systématiquement les hausses de profit des firmes pharmaceutiques. Ces dernières peuvent cependant être substantielles, de 746 millions de dollars à près de 2 milliards, un surplus largement suffisant pour induire le développement de nouveaux médicaments [8]. Par rapport à cette situation extrême et certainement peu réaliste – encore que l’efficacité du brevet dans l’industrie pharmaceutique soit réelle (Cohen & al., 1997 ; Combe & Pfister, 1999) – les autres configurations étudiées conduisent à des conclusions moins spectaculaires. Si la protection ne permet pas de garantir à l’innovateur une position de monopole mais une simple position de leader (au sens de Stackelberg, par exemple), l’instauration du brevet pourrait conduire à une augmentation de prix de seulement de 2 à 4%.

24Plusieurs travaux récents ont tenté d’améliorer l’exactitude de ces estimations. Watal (1998) et Fink (2000) utilisent ainsi des données désagrégées au niveau de la marque (et non du produit) et tenant compte des propriétés thérapeutiques des différents médicaments en concurrence. L’intensité de la concurrence entre marques d’une même thérapie ou même entre thérapies différentes joue alors un rôle crucial dans l’estimation des augmentations de prix consécutives au renforcement et rend difficile toute tentative de généralisation. On peut toutefois retenir que l’introduction de brevets pour des thérapies incrémentales n’entraîne pas d’augmentation de prix très significative. En revanche, la protection de thérapies radicalement nouvelles induira une augmentation de prix – et une perte sèche du fait de la faible élasticité prix – très significative [9].

Les effets dynamiques d’un renforcement des DPI

25Comme nous l’avons vu, une analyse statique qui ne prend pas en compte les effets du renforcement des DPI sur le taux d’innovation conclut à un impact négatif du renforcement des droits de propriété industrielle pour les pays du Sud. Le contre-argument souvent avancé par les partisans du renforcement des DPI (et notamment par les firmes des pays développés) s’appuie sur le triple effet positif d’une telle mesure sur le rythme et l’orientation de l’innovation :

  • la hausse des droits de propriété intellectuelle constituerait une incitation à l’innovation, laquelle bénéficierait tant aux pays du Nord qu’à ceux du Sud (Taylor, 1994) ;
  • le renforcement des DPI favoriserait les recherches destinées à satisfaire les besoins spécifiques des pays en voie de développement (voir Diwan & Rodrik, 1991 ; Grinols & Lin, 1999) : ainsi, dans le cas de la pharmacie, il a été souvent avancé que l’introduction des DPI inciterait les grands laboratoires à développer des vaccins et des thérapies pour les maladies dites « tropicales », spécifiques aux pays en voie de développement [10] ;
  • la mise en place d’un système de DPI permettrait la diffusion rapide de l’information sur l’innovation (fonction de « divulgation » du brevet), ce qui évite la duplication des efforts de R&D et favorise les innovations cumulatives (par cession de licences).

Les effets sur le rythme d’innovation du Nord

26En reprenant le modèle de Helpman (1993) et en supposant que seules les firmes du Nord peuvent innover, on comprend intuitivement qu’une réduction du risque d’imitation par un renforcement des droits de propriété doit avoir un impact positif sur le taux d’innovation à court terme : comme les profits générés par l’innovation augmentent, les dépenses de R&D sont accrues. Le mérite essentiel de Helpman est de montrer qu’à long terme, le renforcement des droits de propriété entraîne paradoxalement un ralentissement de l’innovation. En effet, la réduction du risque d’imitation augmente la proportion de produits réalisés dans le Nord, et plus le temps passe, plus la proportion de produits existants produite par le Nord augmente. Il s’ensuit une augmentation des coûts de main-d’œuvre qui va dissuader l’innovation. Après le renforcement des DPI, il devient en quelque sorte préférable de continuer à produire les produits existants plutôt que d’en développer de nouveaux. En augmentant les ressources nécessaires à la production des biens existants par rapport à la situation où les biens étaient imités et produits dans le Sud, le renforcement des DPI réduit les ressources productives disponibles pour développer de nouveaux produits.

27Les conclusions du modèle d’Helpman avec taux d’innovation endogène sont donc claires :

  • un renforcement des DPI entraîne une diminution à long terme des innovations et avec elles du bien-être des consommateurs ;
  • les pays du Sud ne peuvent donc que pâtir d’un tel renforcement puisque les effets statiques (redistributifs) sont également en leur défaveur ;
  • les pays du Nord peuvent bénéficier du renforcement des DPI à condition que les effets statiques soient positifs et suffisamment élevés pour compenser la perte d’efficience dynamique, c’est-à-dire à condition que le taux d’imitation initial soit suffisamment élevé (cf. supra).
Le modèle de Helpman exclut toutefois la possibilité d’investissements directs du Nord vers le Sud. Or, les économies de coût de production permises par l’IDE permettraient d’une part d’alléger la contrainte de main-d’œuvre pesant sur les firmes du Nord, et d’autre part de modifier les effets statiques des DPI sur le bien-être des pays du Sud qui réalisent, par le biais des firmes du Nord délocalisées, une part plus importante de la production. Comme le démontre Lai (1998), un renforcement des DPI, s’il entraîne une augmentation du taux de multinationalisation, va également conduire à une augmentation du taux d’innovation [11]. En réalité, les deux effets interagissent : la réduction du risque d’imitation conduit les firmes du Nord à se multinationaliser davantage (ce qui entraîne une hausse des salaires dans le Sud) ; compte tenu de cette multinationalisation accrue, la réduction du taux d’imitation est sans incidence sur les capacités de production disponibles dans le Nord : le coût de l’innovation reste identique et suite à l’augmentation des profits des innovateurs par réduction de l’imitation, le rythme de l’innovation augmente et avec lui, le bien-être des pays du Sud. Encore faut-il que le taux de multinationalisation soit suffisamment élevé et qu’un renforcement des brevets entraîne effectivement une multinationalisation accrue, ce que les études empiriques ne parviennent pas toujours à établir de manière convaincante (cf. infra).

28Cependant, comme le soulignent les études empiriques de Mansfield et al. (1981) ou de Levin et al. (1987), les brevets se rendent efficaces en augmentant le coût de l’imitation : les imitateurs doivent en effet ajouter à leur produit des caractéristiques nouvelles pour éviter de se voir intenter un procès par les producteurs du produit original. Cette hausse des coûts va bien entendu à l’encontre de l’efficience statique, mais peut également influer sur l’efficience dynamique des droits de propriété lorsque sont introduites des contraintes de ressources, comme le montrent Glass et Saggi (1999b). Leur modèle introduit deux modifications par rapport aux modèles précédents. D’abord, pour mieux adapter leur produit à la demande de Sud, les multinationales engagent un coût fixe supplémentaire par rapport aux firmes restées dans le Nord tandis que leur coût unitaire de production est supérieur au coût des firmes du Sud [12]. Ensuite, le renforcement des droits de propriété entraîne une hausse du coût d’imitation (et non plus simplement une baisse exogène du risque d’imitation). Dès lors, la hausse du coût de l’imitation réduit le taux d’imitation mais oblige également les firmes du Sud à engager des ressources plus importantes pour imiter, notamment en main-d’œuvre. En conséquence, la main-d’œuvre disponible pour travailler dans les multinationales est réduite et le taux de multinationalisation diminue. La main-d’œuvre utilisée dans le Nord pour le processus de production augmente, si bien que la main-d’œuvre disponible pour la R&D diminue. Le coût de l’innovation augmente et, au final, le renforcement des droits de propriété a réduit le taux de multinationalisation et le taux d’innovation par augmentation des coûts de main-d’œuvre.

Quelle portée empirique ?

29D’un point de vue théorique, l’impact d’un renforcement des DPI sur l’innovation est donc incertain. Les (rares) études empiriques menées autour de ce thème ne parviennent pas non plus à des conclusions définitives.

30Rappelons d’emblée qu’en économie industrielle l’impact des DPI sur l’incitation à innover apparaît incertain. Tout d’abord, au travers des enquêtes menées dans les années quatre-vingt (Levin & al., 1987) ou plus récentes (Cohen & al., 1997), il apparaît que les brevets ne constituent pas la seule stratégie d’appropriation utilisée par les firmes innovatrices. De plus, les déterminants de la rentabilité de l’innovation sont multiples, allant des caractéristiques sectorielles (concentration, opportunités technologiques, etc.) aux caractéristiques de firmes (capacité de financement interne, pouvoir de marché, diversification, etc.). Il est alors difficile d’isoler le rôle des DPI parmi cet éventail de déterminants, d’autant que l’on ne dispose pas d’une mesure sans équivoque de l’efficacité des DPI contre les imitateurs.

31Compte tenu de ces obstacles, la plupart des études empiriques menées sur les pays développés ne parviennent pas à identifier un impact significatif des DPI sur les efforts de recherches ou sur leur productivité. Sur le cas américain, Kortum et Lerner (1999) montrent ainsi que l’augmentation drastique des dépôts de brevets à partir du milieu des années quatre-vingt est peu liée aux réformes institutionnelles qui, dans l’ensemble, ont entraîné une protection accrue des innovateurs [13]. De même, dans le cas du Japon, Branstetter et Sakakibara (1999) ne parviennent pas à déceler un impact de l’extension de la protection sur le nombre de brevets déposés par les firmes japonaises. De manière générale, aucune conclusion robuste ne permet d’étayer la thèse selon laquelle un renforcement des brevets entraînerait nécessairement une augmentation des efforts de R&D (Jaffe, 2000). Il est vrai cependant que plusieurs études sectorielles viennent relativiser ce jugement. Le rôle des brevets aurait ainsi été déterminant dans l’éclosion des biotechnologies, même si certains reprochent à ces derniers d’être trop étendus (Mazzolini & Nelson, 1999). Hall et Ham (1999) attribuent également au renforcement des brevets dans l’industrie des semi-conducteurs le rôle grandissant pris par des firmes de conception (par opposition aux firmes de production).

32Dans le cas du renforcement des DPI dans les pays en voie de développement, les réformes semblent trop récentes, voire encore trop mineures, pour espérer déceler un impact sur les efforts de recherche des firmes locales ou des pays industrialisés. Les firmes innovatrices risquent en effet d’attendre l’entrée en vigueur de la totalité des accords TRIPS dans les pays en voie de développement, en janvier 2005, avant de modifier leur comportement en matière de R&D. De surcroît, la législation sur les DPI ne deviendra effective aux yeux des firmes que si les PVD se dotent d’un arsenal judiciaire et administratif permettant de poursuivre efficacement les contrefacteurs. On ne peut donc se livrer qu’à des spéculations basées sur un faisceau d’indices.

33Ainsi, dans une étude qualitative portant sur le marché du médicament, Lanjouw (1998) estime que la relative étroitesse du marché dans les pays pauvres ne justifie pas pour l’heure un accroissement des investissements en R&D des firmes du Nord sur les thérapies « usuelles » : les dépenses en médicament par habitant s’élevaient en 1990 à 3 $ en Inde, 7 $ en Chine, contre 191 $ aux États-Unis et 222 $ en Allemagne. Il est vrai toutefois qu’à long terme, l’élévation du niveau de vie (les dépenses de santé étant un bien supérieur) et la mise en place d’un système d’assurance maladie dans certains pays émergents sont de nature à créer un marché du médicament solvable. D’ailleurs, Lanjouw et Cockburn (2000) décèlent une tendance à l’augmentation des efforts de recherche [14]dans le domaine des maladies tropicales. Autrement dit, conformément à certaines intuitions théoriques (Diwan & Rodrik, 1991 ; Grinols & Lin, 1999), le renforcement des DPI serait l’occasion pour les firmes de consacrer des dépenses plus importantes aux maladies spécifiques aux pays en voie de développement [15]et notamment à la malaria. Compte tenu toutefois des difficultés méthodologiques rencontrées par les auteurs (identification précise des programmes de recherche, etc.), ces premiers résultats doivent être considérés avec prudence.

Les effets d’un renforcement des DPI sur les échanges

34La protection des brevets et des marques ne vise pas uniquement à stimuler l’innovation. Elle est également susceptible de faciliter les échanges internationaux de technologies, par le biais des flux de commerce et de l’investissement direct.

Les effets sur le commerce international

35D’un point de vue théorique, les effets d’un renforcement des DPI sur les flux de commerce ne sont pas univoques. On peut d’abord associer le renforcement des DPI à l’élimination de distorsions commerciales et donc à une augmentation du commerce [16], et ce pour plusieurs raisons :

  • si un pays en développement accorde à une firme domestique un brevet sur une innovation déjà réalisée par une firme d’un pays développé, cette dernière est exclue du pays en voie développement. Le non-respect de la propriété industrielle constitue alors une barrière non-tarifaire et c’est initialement à ce titre qu’il est combattu par l’OMC [17] ;
  • plus généralement, une firme peut refuser de commercialiser ses innovations dans un pays où elle ne dispose pas d’une protection efficace ;
  • les différences entre systèmes de propriété intellectuelle génèrent des coûts de transaction (coûts d’information, etc.), qui limitent les flux de commerce (Maskus, 1990 et 1996) ;
  • lorsque la protection des DPI est faible, la firme peut choisir de réaliser un IDE plutôt que d’exporter, afin d’assurer une présence locale dissuasive (cf. infra).
À l’inverse, les distorsions induites par la faiblesse des DPI dans les pays émergents peuvent se révéler créatrices de commerce. En premier lieu, les imitations des innovations brevetées réalisées dans les pays du Sud peuvent être exportées vers les pays du Nord : s’il existe une demande pour de tels produits, dont le prix ou la qualité sont souvent moins élevés que les biens d’origine, l’imperfection des droits de propriété stimule le commerce du Sud vers le Nord, comme le met en évidence le modèle d’Helpman (1993).

36En second lieu, le renforcement des DPI permet aux firmes innovatrices du Nord d’accroître leur pouvoir de marché (hausse des prix) dans les pays du Sud et donc de réduire les quantités qu’elles y exportent (Maskus & Penubarti, 1995 ; Smith, 1999). Cet effet devrait diminuer avec la capacité d’imitation des firmes étrangères : plus celle-ci est élevée, plus les firmes peuvent contourner le brevet et moins une stratégie de réduction des quantités sera profitable.

37Au niveau empirique, l’examen du rôle des DPI sur les flux de commerce passe par l’élaboration d’un cadre d’estimation basé, le plus souvent, soit sur les modèles gravitationnels, soit sur le modèle de Helpman et Krugman (1985). La corrélation entre les résidus de ces modèles et l’étendue de la protection offerte dans le pays d’accueil détermine l’ampleur et la nature du rôle joué par les DPI.

38Dans ce domaine, l’étude de Smith (1999) s’est pour l’instant révélée la plus satisfaisante au regard des différentes propositions théoriques évoquées ci-dessus. En utilisant l’indice de protection [18] par le brevet construit par Ginarte et Park (1997), l’auteur montre en effet que l’impact de cet indice sur les exportations des États-Unis est plus fort dans les industries qui sont sensibles au brevet (comme l’industrie pharmaceutique, par exemple). De surcroît, conformément aux prédictions théoriques, il apparaît que cet impact peut être positif (market expansion effect) ou négatif (market reduction effect) selon les capacités d’imitation du pays d’accueil.

39Mais plusieurs autres études viennent relativiser la portée de ces résultats. Ferrantino (1993) ne parvient pas à trouver une relation significative entre les exportations américaines et l’appartenance du pays importateur à la convention de Berne, à celle de Paris ou à la durée légale du brevet dans ce pays. En revanche, ses résultats mettent en évidence un effet significatif (et négatif) des DPI sur le commerce intra-firme. Il est en effet possible qu’une faible protection dissuade une firme multinationale de transférer dans le pays d’accueil les phases de production intensives en technologies. De plus, les pays à faible protection étant souvent des pays pauvres, disposant de faibles capacités technologiques, il est difficile pour la firme multinationale de réaliser certaines phases du produit dans le pays d’accueil.

40Le rôle important joué par le niveau de développement dans ces estimations est confirmé dans plusieurs études, dont celle de Maskus et Konan (1994). Ils montrent en effet que la corrélation entre l’indice de Rapp et Rozek et les résidus d’un modèle gravitationnel (estimé à partir 5 exportateurs industrialisés et 51 pays importateurs en voie de développement, émergents ou industrialisés) est positive pour la plupart des 28 industries étudiées : les exportations vers les pays à faibles DPI seraient donc inférieures au niveau prévu par l’équation gravitationnelle. Toutefois, une partie importante de l’influence des DPI disparaît [19]lorsque sont incluses des variables mesurant le niveau de développement des pays importateurs (comme le taux de croissance moyen en 1960 et 1984, la scolarisation ou le service de la dette). En d’autres termes, l’influence de l’indice de R&R est essentiellement due à la corrélation de cet indice avec le niveau de développement du pays concerné [20]. Une régression conjointe sur toutes les industries donne un estimateur significatif pour l’indice de R&R : l’absence de droits de propriété intellectuelle tend effectivement à réduire les exportations vers ce pays mais la réduction est de faible ampleur [21].

41Si les estimations diffèrent quant à l’ampleur du rôle joué par les DPI dans les échanges internationaux, elles diffèrent également selon les industries qui seraient les plus sensibles à l’étendue de la protection. Smith (1999) conclut ainsi que les industries s’appuyant sur le brevet pour protéger leurs innovations sont également les plus sensibles à l’étendue de la protection qu’offrent les pays importateurs [22]. En revanche, Maskus et Penubarti (1995) ainsi que Fink et Primo-Braga (1999) avancent des résultats plus nuancés. Pour les premiers, la variable DPI (indice de Rapp et Rozek) n’est significative (et positive) dans les exportations américaines que pour les industries qui ne sont pas, ou moyennement, sensibles à la protection par le brevet [23]. Pour les seconds, bien que les DPI jouent un rôle globalement positif sur le commerce bilatéral de 110 pays, cette influence est négative et non-significative pour les industries de haute technologie.

Les effets sur l’investissement direct

42L’étendue des DPI est susceptible d’influencer tant le volume que les formes de l’investissement direct à l’étranger (cessions de licence/filiale).

43D’un point de vue théorique, les effets des DPI sur le volume des investissements étrangers ne sont pas univoques. On peut supposer qu’une firme préférera exporter (plutôt que de réaliser un IDE) vers un pays où la protection est faible, même lorsque les coûts de production y sont inférieurs : l’accord de licence et/ou l’investissement direct étranger se révéleraient trop risqués. Markusen (1998) ou Glass et Saggi (1999a) montrent ainsi qu’un renforcement de la protection réduit la prime que les firmes étrangères versent à leurs employés ou partenaires pour éviter qu’ils ne révèlent des secrets technologiques à des firmes locales (qui pourraient ensuite imiter à peu de frais les innovations de la firme étrangère). Dans ces conditions, le renforcement des DPI réduit le coût de la licence ou de l’investissement étranger et permet une meilleure exploitation des différentiels de salaire. Pour le pays hôte, l’augmentation de l’IDE se fait au détriment des salaires perçus par les employés.

44À l’inverse, on peut considérer que l’IDE est effectué pour dissuader les imitateurs potentiels, en assurant une présence locale de la firme du Nord [24] ; dans ces conditions, un renforcement des DPI limite l’incitation à rester dans le pays d’accueil, en l’absence d’autres avantages à la localisation.

45La méthodologie empirique suivie par ces études consiste le plus souvent à adjoindre aux déterminants traditionnels de l’IDE (taille du pays d’accueil, barrières tarifaires et ouverture commerciale, développement technologique dans le cas d’investissement intensifs en technologie, etc.) une mesure de la protection des DPI. À nouveau cependant, les études empiriques ne parviennent pas à un consensus unanime sur l’impact réel des DPI sur l’investissement direct, bien qu’une influence positive et significative soit une conclusion fréquente.

46Lee et Mansfield (1996) testent la relation entre le volume de l’IDE américain dans 14 pays d’accueil et la protection des droits de propriété dans ces pays, cette dernière variable étant estimée sur la base d’une enquête auprès d’un échantillon de 100 grandes firmes américaines. Outre les DPI, les variables indépendantes incluent la taille du marché du pays d’accueil, le stock total d’IDE, le degré d’ouverture du pays ainsi que des variables années et pays. La variable DPI est systématiquement positive et significative, de telle sorte qu’une forte protection semble attirer davantage d’investissement direct. Le même article étudie également l’intensité technologique des IDE de grandes firmes chimiques américaines dans 14 pays et conclue à nouveau à une influence positive des DPI sur la « qualité» de l’investissement direct : en l’occurrence, le pourcentage d’IDE comprenant la production de biens intermédiaires ou des unités de R&D (par oppositions aux succursales de ventes et de distribution ou aux unités d’assemblage) augmente avec la satisfaction des firmes à l’égard du respect des DPI (telle que cette satisfaction est exprimée à travers le questionnaire construit par Lee et Mansfield).

47D’autres études parviennent cependant à des résultats plus nuancés. Kumar (1996) montre ainsi qu’une protection accrue n’exerce une influence positive sur la multinationalisation des activités de R&D que dans le cas de pays d’accueil relativement développés. Selon lui, la nature essentiellement incrémentale de la R&D effectuée par les firmes multinationales dans les pays en voie de développement la destine à l’adaptation aux caractéristiques locales de produits/procédés existants, une activité par définition peu sensible aux régimes de droit de propriété. Au contraire, la R&D conduite dans les pays développés a pour objectif la création de nouveaux produits ou procédés, et les firmes seront donc naturellement plus attentives à la protection de leurs innovations.

48À l’inverse, à partir d’un système d’équations simultanées analysant les ventes des filiales, les exportations vers ces filiales et le volume d’actifs des firmes américaines, Maskus (1998b) conclut que le volume d’actifs des filiales, de même que leur chiffre d’affaires, est positivement corrélé à la protection des DPI (mesurée par l’indice de Rapp et Rozek) dans le cas des pays en voie de développement, alors que ce paramètre n’a pas d’influence significative lorsqu’il s’agit des pays développés. Pour expliquer ce résultat, Maskus avance une explication plausible s’appuyant sur l’arbitrage IDE/accord de licence : il est très possible, écrit-il, qu’une fois le niveau de protection parvenu à un certain seuil, les firmes préfèrent recourir à des relations de marché, et ce d’autant plus facilement que le pays d’accueil dispose des capacités technologiques et humaines nécessaires pour assurer les phases de production de manière indépendante.

49Il est certes très clair que le niveau des DPI peut influer sur les formes de l’investissement direct étranger, que ce soit au niveau de l’arbitrage entre joint venture et filiale à 100% ou de l’arbitrage filiale à 100%/licence. Plusieurs modèles théoriques concluent en effet que des DPI forts rendent plus probable le choix d’un accord de licence par rapport à un investissement direct (Vishwasrao, 1994 ; Fosfuri, 2000) : en présence de droits de propriété forts, la firme étrangère redoute moins d’être imitée en cas de cession de licence à une firme locale. Les données d’enquêtes de Sherwood (1990) et de Mansfield (1994) confirment effectivement que la faiblesse des DPI est un obstacle à la conclusion de joint venture et de contrats de licence. Au niveau économétrique, les études de Yang et Maskus (2000) et de Nair-Reichert (2000) soulignent également l’impact positif qu’aurait un renforcement des DPI sur les redevances de licence perçues par les firmes américaines, même si l’on ne peut distinguer l’augmentation des redevances par contrat de l’augmentation du nombre de contrats. Selon Nair-Reichert (2000), l’impact est particulièrement important dans le cas de pays disposant des capacités nécessaires pour imiter les technologies ou pour concurrencer la firme étrangère. En utilisant un système d’équations simultanées, cette dernière étude note également qu’une partie de l’augmentation des redevances de licence s’effectuerait au détriment de l’investissement direct étranger.

50Que conclure de ces travaux empiriques sur la relation entre protection des innovations et échanges internationaux ? Il apparaît tout d’abord une grande diversité des résultats selon les industries et les pays étudiés, qui renvoie elle-même à l’ambiguïté théorique de la relation. En second lieu, une fois pris en compte le niveau de développement du pays d’accueil, il semble que les DPI jouent un rôle secondaire ; on peut d’ailleurs se demander si le rôle que jouent les DPI ne pourrait être attribué à l’omission de certaines variables comme les barrières non tarifaires, le niveau de corruption des administrations du pays d’accueil ou même le système politique en vigueur, variables avec lesquelles le niveau de protection offert aux innovateurs est potentiellement significativement corrélé (Ginarte & Park, 1997 ; Lerner, 2000).

Conclusion

51Depuis le début des années quatre-vingt-dix, les études économiques sur le renforcement international des DPI se sont fortement développées, dans une perspective à la fois théorique et empirique. Elles ont permis de mieux comprendre par quels canaux les accords TRIPS en cours d’application pourraient influer sur le bien-être (statique et dynamique) et sur les flux d’échange entre les pays du Nord et du Sud.

52En dépit de ces avancées, il semble encore difficile d’adopter une position définitive en faveur ou en défaveur de ces réformes. Initialement, les pays en voie de développement devraient sans aucun doute enregistrer une perte du surplus statique apporté par les différentes stratégies d’imitation qu’ils mettaient en œuvre. Le montant de ces pertes varie cependant grandement selon les estimations et la nature du produit étudié. Il n’est pas non plus possible, en l’état des connaissances, d’évaluer si ces pertes seront compensées par des échanges plus importants entre ces pays et les pays industrialisés. Tant les modèles théoriques que l’évidence empirique soulignent que, pour certains pays (ceux qui ne disposent pas d’une capacité d’imitation suffisante), le renforcement des DPI pourrait bien entraîner un ralentissement des échanges. De même, l’effet du renforcement de la protection a un effet théoriquement ambigu sur l’innovation, une ambiguïté que les rares études empiriques menées jusqu’à présent ont bien du mal à lever.

53E. C. & E. P.

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  • Vishwasrao S. (1994), “Intellectual Property Rights and the Mode of Technology Transfer”, Journal of Development Economics, 44 : 381-402.
  • Watal J. (1998), Product Patents, Pharmaceutical Prices and Welfare Losses : the Indian Numbers Revisited, mimeo.

Notes

  • [1]
    Émmanuel Combe est professeur à l’Université du Havre, professeur affilié à l’ESCP-EAP et membre de TEAM-CESSEFI, Université de Paris-I (combe. emmanuel@ wanadoo. fr) ; Étienne Pfister est doctorant à l’Université de Paris-I et membre de TEAM-CESSEFI. Ce travail de recherche a été réalisé dans le cadre du programme de recherche « Négociations multilatérales et politiques commerciales : les nouveaux enjeux à l’aube du troisième millénaire », animé par le Commissariat général du Plan.
    Les auteurs remercient les deux rapporteurs anonymes pour leurs remarques critiques.
  • [2]
    Trade-Related Intellectual Property RightS.
  • [3]
    Pour les pays en voie de développement, une période transitoire de 10 ans est prévue : l’accord TRIPS s’appliquera donc aux signataires dans sa totalité en janvier 2005.
  • [4]
    L’accord TRIPS a également obligé les États-Unis à modifier leur législation en matière de protection par le brevet : la durée de la protection est ainsi passé de 17 années à partir de la date de dépôt à 20 années à partir de la date de demande.
  • [5]
    Ces stratégies ont été facilitées par les pratiques de licences obligatoires, en vertu desquelles une firme étrangère peut être obligée, avant de s’implanter, de céder certaines de ses technologies aux firmes locales (sans pour autant recevoir de contrepartie financière).
  • [6]
    Cette inefficience allocative peut être illustrée par le cas de l’industrie pharmaceutique, où le brevet protège efficacement les innovateurs (Lanjouw, 1998) : l’instauration du brevet dans les pays en voie de développement permettra sans doute aux grands laboratoires pharmaceutiques du Nord de retarder l’entrée sur les marchés étrangers de produits génériques commercialisés par des firmes locales, lesquelles devront attendre l’expiration du brevet. Par exemple, les firmes pharmaceutiques indiennes sont connues pour commercialiser rapidement des copies de nouveaux médicaments développés par des firmes du Nord (en moyenne 4 à 5 ans après leur lancement par l’innovateur sur le marché mondial).
  • [7]
    Par exemple, Takeyama (1994) suppose deux groupes de consommateurs H et L, avec respectivement NH et NL consommateurs. Chaque consommateur souhaite consommer une unité du bien X. Son prix de réservation est de Vi(XN) avec XN le nombre total de consommateurs (des deux groupes) achetant le bien X. L’externalité de réseau du côté de la demande se traduit par : Vi (XlN > Vi (X2N) pour tout i avec XlN > X2N. On suppose que VH(XN) > VL(XN) pour tout XN : la disposition à payer des consommateurs de type H excède celle des consommateurs du groupe L, à taille donnée du réseau. Takeyama montre alors que, sous certaines conditions, la stratégie optimale de la firme consiste à laisser les consommateurs du groupe L acheter des copies pour accroître la disposition à payer des consommateurs du groupe H, via un effet de réseau.
  • [8]
    Le coût de développement et de commercialisation d’un nouveau médicament est estimé à 125 millions de dollars sur dix ans pour les États-Unis (Nogues, 1990).
  • [9]
    Ces études ne prennent toutefois pas en compte un aspect institutionnel très important dans le cas de l’industrie pharmaceutique : l’existence, dans la plupart des pays en voie de développement, d’une politique de régulation du prix des médicaments, visant à limiter le pouvoir de monopole des innovateurs. Dans la mesure où ces mesures réglementaires n’entrent pas dans le cadre de l’accord TRIPS, on peut supposer qu’elles perdureront après le renforcement des DPI (pour le cas de l’Inde, cf. Lanjouw, 1998).
  • [10]
    Ainsi, selon l’Organisation Mondiale de la Santé, 100% des cas de malaria et de tétanos et 99,9% des cas de polio, de syphilis et de lèpre se trouvent dans des pays à revenu faible ou moyen.
  • [11]
    Le taux de multinationalisation se définit comme la probabilité qu’une firme décide de se multinationaliser à un instant t. Soit w ce taux ; la probabilité qu’une firme se multinationalise entre t et t + dt est wdt. Le taux d’innovation correspond au taux instantané d’accroissement du nombre de produits.
  • [12]
    Markusen (1995) rappelle que les multinationales doivent disposer d’un avantage spécifique basé sur la conception du produit, la publicité ou la réputation pour compenser des coûts de production supérieurs à ceux des firmes locales.
  • [13]
    En particulier, la probabilité de victoire d’un détenteur de brevet semble avoir significativement augmenté entre la fin des années soixante-dix et le début des années quatre-vingt-dix. Le domaine de brevetabilité des inventions s’est également considérablement élargi, incluant désormais les logiciels, l’ingénierie financière et économique (business methods), de même que la nature des personnes pouvant déposer des brevets (essor du nombre de brevets accordés à des universités et à des laboratoires publics) ; cf. Jaffe (2000) pour un survey de ces réformes.
  • [14]
    À travers, notamment, l’augmentation du nombre de brevets déposés dans ces domaines thérapeutiques et du nombre de publications scientifiques qui leur sont consacrées.
  • [15]
    La « spécificité» revêt ici une triple nature : certaines maladies, éradiquées depuis longtemps dans les pays développés, concernent exclusivement les pays en voie de développement, à l’image de la malaria. En second lieu, certaines maladies, pourtant communes aux pays développés et aux PVD, présentent des caractéristiques locales ; le cas du SIDA est à cet égard exemplaire : le virus HIV n’est pas du même type dans les pays riches, où il fait l’objet d’importants investissements en R&D, et dans les pays en voie de développement. En dernier lieu, le traitement d’une même maladie nécessite d’adapter les médicaments selon les régions, notamment pour des considérations climatiques (conservation, etc.) et économiques (différences de niveau de revenu).
  • [16]
    La création de flux de commerce, suite au renforcement des DPI n’est pas nécessairement efficiente : comme le met en évidence le modèle de Helpman (1993), les imitateurs du Sud, à faibles coûts de production et placés en situation de concurrence, sont remplacés par les firmes du Nord, à coûts de production élevés et en position de monopole.
  • [17]
    On peut noter que de tels conflits ne concernent pas seulement les pays en voie de développement : le système de brevets en vigueur au Japon privilégie souvent la diffusion de l’innovation au détriment de l’efficacité des brevets et a ainsi été mentionné dans de nombreux conflits juridiques et commerciaux (Girouard, 1996).
  • [18]
    Deux indices sont fréquemment utilisés pour mesurer l’étendue de la protection. L’indice de Rapp et Rozek (1990) varie de 0 à 5, une valeur égale à zéro indiquant l’absence de législation sur le brevet ou bien encore d’importantes limitations au droit du brevet (exclusion de certains biens du domaine de brevetabilité ; non application de la législation en vigueur sur le brevet). Plus rigoureux, l’indice de Park et Ginarte (1998) classe 110 pays, sur une échelle de 0 à 5, selon le degré de protection des droits de propriété intellectuelle. Pour calculer la valeur d’un pays sur l’indice, les auteurs prennent en compte cinq critères (évaluées de 0 à 5) : l’étendue de la protection ; l’appartenance du pays à un accord international sur le brevet ; la durée de la protection ; l’effectivité de la protection (enforcement), la possibilité de révocation des brevets. Le score d’un pays est alors la moyenne simple des notes obtenues sur chacun des cinq critères. Ainsi, les États-Unis obtiennent une note finale de 4,52 (le plus haut score) alors que des pays en voie de développement comme l’Éthiopie ou l’Angola ont un score de 0. Par rapport à l’indice de R&R, celui de P&G présenterait plusieurs avantages : i) il couvre un plus grand nombre de pays et d’années ; ii) il a le mérite de prendre en compte l’effectivité du respect des droits de propriété intellectuelle et pas seulement l’existence d’une législation. Ceci étant, les deux indices s’appuient exclusivement sur la protection théorique (telle qu’elle est suggérée par les textes légaux) et non sur la protection de fait. Dans le cas de l’Inde, Lanjouw (1998) fournit quelques indications sur la faiblesse des moyens dont disposent les agences de brevet et sur l’inexpérience relative des tribunaux en matière de contestation des brevets.
  • [19]
    L’indice de R&R n’est plus significatif que dans 8 industries sur 28.
  • [20]
    Dans la plupart des pays de l’OCDE, l’indice est supérieur ou égal à quatre. Dans la plupart des PVD, la valeur de l’indice de R&R est inférieure à trois. Maskus (1998b) obtient une relation non-linéaire entre le PNB par habitant et l’indice de R&R : les pays à niveau de revenus intermédiaire sont plus aptes à absorber les technologies étrangères et présentent en conséquence un faible niveau de protection pour que cette absorption soit possible.
  • [21]
    Des conclusions identiques sont atteintes lorsque l’on estime initialement le modèle de commerce construit par Helpman et Krugman (1985).
  • [22]
    La distinction entre les industries s’effectue notamment à partir des enquêtes menées par Levin & al. (1987).
  • [23]
    Les auteurs introduisent dans un second temps la taille du pays en voie de développement, en distinguant grand/petit pays : la variable DPI apparaît alors significative pour les trois groupes d’industries, surtout dans le cas de pays de grande taille.
  • [24]
    Le comportement des firmes américaines pharmaceutiques au Brésil, pays disposant d’une faible protection du brevet, est à cet égard révélateur : en 1985, l’investissement de ces firmes américaines atteignait 700 millions de dollars, avec une production essentiellement orientée vers la demande locale ; en revanche, les exportations de produits pharmaceutiques des firmes américaines à destination du Brésil s’élevait à 50 millions de dollars (Maskus & Penubarti, 1996).
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