Notes
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[1]
Cerema, « La consommation d’espaces et ses déterminants d’après les fichiers fonciers de la DGFip. Analyse et état des lieux au 1er janvier 2015 », 2016.
-
[2]
France Stratégie, Rapport « Zéro artificialisation nette : quels leviers pour protéger les sols ? », octobre 2019.
-
[3]
V. l’étude d’impact du projet de loi.
-
[4]
S. Traore, « Les nouvelles procédures d’aménagement », AJDA 2019, p. 88.
-
[5]
« La contractualisation dans le droit de l’urbanisme », Les Cahiers du GRIDAUH n° 25, La Documentation française, 2014, 334 p. ; O. Chambord, « Le nouveau droit de l’aménagement. Etude des rapports entre acte unilatéral et contrat », Thèse, Université de Bordeaux, 2012 ; S. Lamy-Willing, « La constructibilité des propriétés foncières : entre la règle et le contrat », Thèse, Université d’Aix, 2016.
1Aux termes de l’article L. 101-1 introduisant le code de l’urbanisme, « le territoire français est le patrimoine commun de la nation. Les collectivités publiques en sont les gestionnaires et les garantes dans le cadre de leurs compétences. En vue de la réalisation des objectifs définis à l’article L. 101-2, elles harmonisent leurs prévisions et leurs décisions d’utilisation de l’espace dans le respect réciproque de leur autonomie ».
2La loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ELAN) rompt cet équilibre fragile entre, d’une part, la décentralisation des compétences en matière d’urbanisme et d’aménagement et, d’autre part, la fixation d’un cap par l’État dans un contexte de pénurie de logements, de locaux d’activité et de prise de conscience d’une crise climatique. Cette double injonction contradictoire de production de l’urbain et de préservation des ressources naturelles pour les générations futures implique de changer radicalement de paradigme en promouvant des projets urbains qui délaissent une logique d’offre foncière au profit d’une vision de territoire raisonné. Le renouvellement urbain, l’intervention sur des secteurs tendus et des sites délaissés, l’incitation à une densité accrue seront les clés d’un renforcement de la préservation des espaces naturels et des terres agricoles par l’évitement au maximum de l’étalement urbain. L’émergence de solutions favorisant la renaturation d’espaces urbains délaissés peut également être une voie permettant des ajustements des besoins sur un territoire donné.
3Selon l’étude d’impact du projet de loi, « les grandes opérations urbaines permettent d’accélérer, de manière massive, la production de logements sur des secteurs tendus, de reconquérir des friches urbaines ou encore de transformer des zones d’activités ou des quartiers dégradés. Ces opérations, dont la durée dépasse la décennie, présentent souvent des risques importants par exemple en termes de pollution des sols ou de retournement de conjoncture de l’immobilier. De plus, elles nécessitent des financements importants pour mobiliser le foncier ou pour développer les équipements publics nécessaires à l’accueil de nouvelles populations. Ainsi, en dehors de quelques exceptions particulièrement favorables, ces grandes opérations n’intéressent pas le secteur privé qui intervient plutôt à l’aval pour conduire les opérations immobilières ».
4Ces enjeux à dimension nationale rendent nécessaire l’intervention de l’État en substitution ou aux côtés des collectivités territoriales pour donner une nouvelle impulsion aux pratiques d’aménagement. La portée de la réforme des outils d’aménagement opérée par la loi ELAN (II) ne peut véritablement s’apprécier qu’à l’aune de la compréhension de la volonté de l’État clairement exprimée de contenir drastiquement l’étalement urbain en vue de respecter à court terme l’objectif de zéro artificialisation nette des sols (I).
I. L’État, garant des objectifs de densification urbaine et de protection des ressources naturelles
5La volonté d’atteindre à court terme l’objectif présidentiel de zéro artificialisation nette (ZAN) des sols (A) a un impact significatif sur les choix à effectuer en matière de planification urbaine et lors de la conception/réalisation d’opérations d’aménagement dans un contexte de crise du logement et des locaux d’activités (B).
A. La satisfaction de l’objectif de zéro artificialisation nette des sols
6Un concept polymorphe. Le terme d’artificialisation des sols fait tout d’abord référence à la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF). Il recouvre également le changement de destination de ces espaces par l’effet de l’activité humaine. Ce concept renvoie enfin aux conséquences de ce phénomène, à savoir la transformation des caractéristiques des sols conduisant à leur imperméabilisation totale ou partielle. Le phénomène d’artificialisation se caractérise donc à la fois par une composante quantitative liée à la perte de surface de terres et une composante qualitative liée à la modification de la nature et de l’utilisation de ce sol [1].
7Ordre de grandeur de l’artificialisation. Dans sa feuille de route « pour une Europe efficace dans l’utilisation des ressources » du 20 septembre 2011, la Commission européenne avance des chiffres consternants en termes de consommation de l’espace : « plus de 1 000 km² de nouvelles terres sont utilisés chaque année pour le logement, l'industrie, les infrastructures routières ou les loisirs », étant précisé que la moitié de cette surface est rendue imperméable (§ 4.6). Selon le rapport « Zéro artificialisation nette » de France Stratégie, « 20 000 hectares d’espaces naturels sont artificialisés chaque année (en moyenne entre 2006 et 2016) en France. L’habitat représente 41,9 % des terres artificialisées, les réseaux routiers 27,8 %, les services et les loisirs 16,2 % » [2]. Si aucune mesure n’est prise pour inverser la tendance, « ce sont 280 000 hectares d'espaces naturels supplémentaires qui seront artificialisés d’ici 2030, soit un peu plus que la superficie du Luxembourg pour comparaison ». Le phénomène d’artificialisation n’est pas uniforme sur le territoire national. « Une forte artificialisation des sols est ainsi observée sur la quasi-totalité des zones côtières, ainsi que dans le Nord, en région parisienne et dans le sillon rhodanien. Les régions de montagne et le Grand Est apparaissent moins fortement artificialisées sur cette période. (…) Les stocks de terres artificialisées varient très fortement en fonction des régions. Ainsi, les régions Nouvelle-Aquitaine et Auvergne-Rhône-Alpes connaissent la plus forte consommation d’ENAF de 2006 à 2015, la Corse constituant la région la moins impactée » (p. 18). Il existe certes une corrélation entre l’artificialisation et la densité de la population centrée sur de grandes métropoles (Paris, Lille, Strasbourg, Lyon, Marseille, Montpellier, Bordeaux, Nantes, Rennes, Toulouse) mais cette densité reste néanmoins inférieure à celle de nombreuses métropoles mondiales, et majoritairement en dessous de 10.000 habitants par km² (p. 20).
8Objectif européen et français. La Commission européenne fixe en 2011 comme objectif de supprimer à d’ici 2050 toute augmentation nette de la surface de terres occupée et, avec un raisonnement prônant une évolution constante, comme objectif à moyen terme de ramener l’occupation des nouvelles terres à 800 km² par an en moyenne entre 2000 et 2020. Dans son plan biodiversité dévoilé le 4 juillet 2018, l’État français vise à atteindre, sans pour autant fixer d’année butoir, l’objectif de « zéro artificialisation nette » (ZAN) en limitant drastiquement la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers.
9Leviers d’action. Dans son rapport précité d’octobre 2019 remis aux ministres de la Transition écologique et solidaire, de la Cohésion des territoires et de la Ville et du logement, France Stratégie évoque deux trajectoires volontaristes d’évolution à la baisse de l’artificialisation. La première s’appuie sur l’augmentation de la densité et du taux de renouvellement urbain. « Aujourd’hui, la densité de construction pour le bâti existant varie en moyenne en France entre 0, 08 et 0, 17 pour l’habitat individuel et entre 0, 48 et 1, 18 pour l’habitat collectif en fonction des régions étudiées selon le cerema » (p. 92). Le rehaussement des constructions de plain-pied existantes d’un étage afin de doubler la surface de plancher permettrait d’augmenter la densité des constructions de 0, 16 à 0, 3 par exemple. France Stratégie considère avec lucidité que de tels objectifs nécessitent de revoir les règles de conception des PLU(i) en imposant notamment « un coefficient d’occupation des sols (COS) minimal aux nouvelles constructions et l’obligation d’avoir atteint un niveau minimal de renouvellement urbain avant de délivrer des permis de construire sur des zones non artificialisées » (p. 93). Le scénario « densification forte » envisage ainsi de durcir les conditions de construction avec un taux de renouvellement de 0, 6 et à une densité de 0, 4. Il en résulterait une économie de 14 500 hectares d’ENAF en 2030 en comparaison du scénario actuel. La seconde trajectoire volontariste propose en complément d’agir sur l’augmentation du prix du foncier agricole et sur la réduction du taux de vacance des logements de 2 %. France stratégie concède que ces deux dernières hypothèses paraissent difficiles à mettre en œuvre et ceci pour des effets limités sur le phénomène d’artificialisation des sols. La recherche d’une densification de l’habitat reste donc la solution opérationnelle privilégiée. France Stratégie propose enfin de compléter le dispositif avec un système de compensation par la renaturation des terres anthropisées, sous réserve du développement d’un modèle économique adapté (pp. 64-88).
10Les praticiens constatent actuellement que l’État ne considère pas l’objectif de ZAN comme un vœu pieux qui ne serait pas suivi d’effet. Le gouvernement entend, par le biais de ses représentants régionaux et départementaux, lui conférer sa pleine effectivité en opérant un renouveau des pratiques dans ses relations avec les collectivités territoriales en matière d’urbanisme mais aussi en exigeant plus fermement une interdiction de la consommation d’espaces naturels et agricoles. Cette position a nécessairement des conséquences sur l’exercice par les collectivités territoriales de leurs compétences en la matière.
B. Le recadrage des politiques publiques locales
11Volonté affirmée de l’État. Dans son instruction du 29 juillet 2019 relative à l’engagement de l’État en faveur d’une gestion économe de l’espace, le gouvernement appelle au renforcement de la mobilisation des préfets de région et de département pour lutter contre l’artificialisation des sols. L’État entend accompagner et faciliter « la recherche de solutions favorisant la sobriété foncière, la nature en ville et la renaturation ». L’ambition exprimée est « la baisse du rythme de consommation d’espace » posé comme « un préalable impératif avant la mise en œuvre de l’objectif présidentiel de zéro artificialisation nette ». Le gouvernement demande expressément aux services déconcentrés de l’État de mobiliser tous les moyens à leur disposition pour y parvenir sur les plans réglementaire, financier et foncier. En matière de planification, les préfets de régions sont chargés de définir une stratégie, articulée avec le schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET), fournissant un cadre aux actions départementales assurant ainsi une égalité de traitement des porteurs de projet à l’échelle régionale. Au stade de l’élaboration des PLU(i), les préfets de département sont invités à dialoguer plus en amont avec les collectivités « pour les sensibiliser aux enjeux de sobriété foncière et discuter avec elles leurs hypothèses de développement ». Ces derniers doivent en particulier être vigilants à ce que le rapport de présentation opère une analyse de l’offre existante et justifie l’urbanisation programmée au regard des besoins définis et répartis à l’échelle du territoire de l’intercommunalité. A défaut de coopération des collectivités territoriales, les préfets sont invités à mobiliser les moyens réglementaires à leur disposition (de l’avis défavorable jusqu’à la suspension du caractère exécutoire du document) pour les contraindre à opérer les modifications considérées comme nécessaires. Sur les plans financier et foncier le gouvernement recommande le recours aux nouveaux outils créés par la loi ELAN qui replacent le projet au centre des interventions de l’État (cf. Infra).
12Le renouvellement de la dépense publique. Dans leur rapport de novembre 2019, l’Inspection générale des finances (IGF) et le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) ont procédé, à la demande du gouvernement, à une évaluation du dispositif fiscal d’aide à l’investissement locatif, prévu à l’article 199 novovicies du code général des impôts, dit « dispositif Pinel ». Pour mémoire, ce dispositif d’incitation fiscale est destiné au développement de l’offre locative, essentiellement neuve, avec des conditions portant sur le niveau des loyers, sur les ressources familialisées des locataires et sur la localisation du logement. Les principaux inconvénients relevés portent sur l’inadaptation des logements très standardisés qui répondent davantage aux besoins des investisseurs qu’à ceux de leurs potentiels occupants. Les collectivités territoriales considèrent que l’automaticité de la réduction fiscale ignore les priorités des politiques locales de l’habitat, notamment en termes de localisation fine, de nombre et de types de logements. Ces dernières ont également signalé l’impact en matière de dégradation de copropriétés voire de quartiers. L’inconvénient du dispositif pour l’État est qu’il n’atteint que faiblement son objectif de réduction des loyers. « Seuls 9, 3 % du montant accordé par l’État au titre de la réduction d’impôt se traduisent par des baisses de loyer ». Les conclusions de ce rapport ne préconisent pas la suppression de toute aide aux particuliers investisseurs au motif que ce dispositif a favorisé un développement important de l’offre locative privée en jouant un rôle d’accélérateur, voire de déclencheur, des projets de logements collectifs en France, « puisque la moitié des VEFA sont réalisées en le mobilisant ». La mission recommande en revanche l’étude d’un dispositif incitant « à la construction de logements répondant davantage aux besoins des habitants (localisation de l’offre locative, niveau des loyers, type et qualité des logements…), en coordination avec les politiques locales d’habitat et d’aménagement, et qui « n’évince pas des projets et des acteurs qui ne s’appuient pas sur lui ».
13Renversement de paradigme. Comme rappelé dans les propos introductifs, le territoire français est le patrimoine commun de la nation. La satisfaction des besoins de la population existante et la préservation des ressources naturelles pour les générations futures ont comme point de convergence le droit de l’urbanisme trouvant une singularité d’application, depuis la décentralisation des compétences en 1982-1985, au sein des communes et des intercommunalités. Le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales a conduit le législateur à raisonner par la fixation de principes directeurs, tantôt complémentaires tantôt contraires, guidant la rédaction des documents d’urbanisme et d’objectifs d’intérêt général d’aménagement orientant le déploiement des opérations. Les communes et celles-ci au sein de leur intercommunalité n’ont eu de cesse de préserver leur capacité de développement mesurée à l’aune de l’offre foncière disponible et de s’assurer de la satisfaction des autres objectifs de politiques sociale, économique, de protection de la nature et de la biodiversité par la planification d’actions successives sans une cohérence globale particulièrement marquée. L’État appelle de ses vœux, dans son instruction ministérielle du 29 juillet 2019 précitée, une gestion économe de l’espace conçue comme « un objectif de convergence et de cohérence de nos politiques publiques en matière d’énergie, de climat, d’écologie, d’urbanisme, de cohésion et d’agriculture, et non comme une politique sectorielle supplémentaire ». Il entend ainsi favoriser le contrepied de la pratique actuelle du droit de l’urbanisme qui vise à traduire et à appliquer localement des objectifs définis à l’échelle nationale en promouvant directement des projets urbains « qui délaissent une logique d’offre foncière au profit d’une vision politique et d’un projet de territoire raisonné ». Concrètement, la satisfaction des besoins en termes de logements, de commerces, d’emplois tout en préservant la nature, les espaces agricoles et la biodiversité passe par la densification de zones déjà bâties, le redimensionnement des équipements publics nécessaires à l’accueil de la nouvelle population, le renouvellement des friches urbaines et l’accompagnement d’un processus de renaturation d’espaces artificialisés depuis délaissés.
14Ces opérations vertueuses nécessitent une volonté politique forte s’accompagnant d’une intervention financière et immobilière des collectivités territoriales, mais aussi de l’État pour créer les conditions d’acceptabilité du marché dopé par la rareté foncière aux alentours. La création de nouveaux outils d’aménagement par la loi ELAN prend ici toute sa portée dans la mesure où ils permettent, d’une part, de traduire l’ambition nationale à l’échelle locale de mise en œuvre des opérations, et d’autre part, de garantir une affectation directe de la dépense publique par l’intervention de l’État dans la conception et la réalisation de l’opération.
II. L’État, producteur ou co-producteur de biens immobiliers
15L’intervention du secteur public est nécessaire pour créer les conditions d’une intervention dans des secteurs tendus en matière d’offre de logements, dans des zones d’activités ou quartiers dégradés. Compte-tenu de l’ampleur ou de la complexité, du coût et de la durée des opérations d’aménagement sur ces territoires à enjeux, les acteurs privés ne prennent aucune initiative. L’État a vocation à intervenir sur certains sites stratégiques en termes d’aménagement du territoire national (infrastructures industrialo-portuaires, aéroportuaires, requalification de copropriétés dégradées d’intérêt national, etc.). Par la création des GOU, la loi ELAN est venue intercaler entre les opérations d’intérêt national (OIN) et les opérations d’aménagement locales un outil de réalisation d’opérations d’ampleur, au niveau intercommunal, avec l’objectif affiché « de remettre sur le marché des secteurs stratégiques pour le développement urbain mais qui, dans leur état actuel nécessitent une intervention des pouvoirs publics » [3]. L’engagement de l’État est ici requis pour des besoins d’équilibre financier de l’opération, de maîtrise foncière et plus largement de gouvernance. Son action aux côtés des collectivités pour la promotion de leur territoire oblige ces dernières à dépasser les clivages politiques et les dynamiques malthusiennes ancrées dans leur histoire.
16La loi ELAN a su réajuster le régime juridique des OIN à la faveur du retour d’expériences des établissements publics d’aménagement (EPA) sur les opérations dont ils ont la charge aux fins d’en améliorer la performance sur le plan opérationnel (A). Le législateur a également su s’inspirer des effets énergiques des OIN pour les transposer dans la création d’un nouvel outil – la grande opération d’urbanisme (GOU) – en concentrant ici au niveau supra-communal les leviers nécessaires à la réalisation d’une ou plusieurs opérations d’aménagement d’ampleur dans des secteurs à enjeux (B).
A. Le renouveau du régime des OIN
17Une définition désormais légale. La loi ELAN prend acte de l’accroissement progressif des OIN depuis leur création par la loi du 7 janvier 1983. Elles sont à ce jour au nombre de vingt figurant à l’article R. 102-3 du code de l’urbanisme. Les OIN sont à la fois une catégorie et une procédure régies par plusieurs articles du code de l’urbanisme (L. 101-2, L. 102-12, L. 102-13, L. 132-1, L. 213-1, L. 240-2, R. 102-3 et R. 132-1). Il s’agit de prérogatives et d’instruments entre les mains de l’État qui lui permettent de faire prévaloir des objectifs et des projets à portée supra-communale ou nationale sur l’application et l’exercice des compétences des collectivités territoriales en matière d’urbanisme.
18Le nouvel article L. 102-12 vient encadrer la compétence discrétionnaire du Premier ministre de créer une OIN par décret en Conseil d’État en ayant recours à deux critères cumulatifs de qualification juridique. Le premier a trait à l’importance des enjeux et à la dimension nationale de l’opération d’aménagement. Le souhait du législateur est ici d’opérer un rattachement aux finalités d’intérêt général d’aménagement listées à l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme, tout en faisant expressément référence à l’initiative de l’État ou de l’un de ses établissements publics dans la réalisation de l’opération considérée. Le second critère est relatif aux conditions de réalisation de l’opération d’aménagement considérée qui se voit consacrer des moyens particuliers par décision de l’État.
19La modulation des compétences étatiques au regard des enjeux de l’OIN. Si l’État reste la seule autorité administrative compétente pour délivrer les autorisations d’occupation des sols (AOS) (article L. 102-13, 5° du code de l’urbanisme), il existe désormais une possibilité de dérogation à ce régime lui-même dérogatoire. Aux termes de l’article L. 102-14, la compétence pour délivrer les AOS se fera dans les conditions de droit commun (article L. 422-1) lorsque le stade de réalisation de l’aménagement ou la zone concernée au sein de l’OIN ne justifiera pas l’intervention de l’État. Cette réintégration des compétences des collectivités territoriales d’implantation dans l’exercice de certaines compétences est de nature à favoriser leur implication dans la réalisation de l’OIN dont le rattachement au reste du territoire en sera d’autant plus facilité. Ce retour au droit commun devrait également avoir pour conséquence une réduction non négligeable des tâches administratives permettant ainsi à l’État de concentrer ses moyens sur ce qui lui paraît essentiel et à même de justifier son intervention dans la réalisation de l’opération.
20L’extension de la compétence territoriale d’intervention des EPA en charge d’une OIN. La loi ELAN étend par ailleurs la compétence territoriale d’intervention des établissements publics d’aménagement en charge de la conduite d’une OIN en leur permettant de réaliser en dehors de leur périmètre, pour le compte de l’État, des collectivités territoriales et de leurs groupements ou d’un autre établissement public, des opérations d’aménagement et les acquisitions foncières et immobilières nécessaires à ces opérations, lorsqu’ils sont titulaires d’une concession d’aménagement (article L. 321-23 du code de l’urbanisme). Cette dérogation au principe de spécialité des établissements publics se comprend par le souhait du législateur de faire profiter un autre secteur à enjeux de l’expérience en matière d’opérations d’aménagement du personnel de l’EPA en charge d’une OIN sur des problématiques semblables. Cette extension géographique d’intervention peut également trouver une explication dans la nécessité pratique de recherche de recettes complémentaires pour équilibrer le budget de l’OIN.
21Les ZAD dédiées aux OIN. La loi ELAN renforce la compétence des autorités déconcentrées de l’État dans le domaine de l’instauration et de l’exercice du droit de préemption à l’intérieur des périmètres d’accueil des OIN. Aux termes de l’article L. 102-15, alinéa 1 du code de l’urbanisme, « Le décret en Conseil d'État prévu à l’article L. 102-12 peut délimiter une zone d'aménagement différé, au sens du chapitre II du titre Ier du livre II, sur tout ou partie du périmètre de l'opération d'intérêt national. Dans ce cas, il désigne le titulaire du droit de préemption afférent ». Ce droit de préemption peut être exercé, par dérogation au droit commun des ZAD, « pendant une période de dix ans, renouvelable une fois par décret » (alinéa 2 du même article).
22La redéfinition conceptuelle des OIN a le mérite de clarifier leur singularité par rapport à d’autres opérations et procédures d’aménagement figurant dans le code de l’urbanisme. L’adaptation de son régime juridique aux contraintes opérationnelles rencontrées par les EPA est de nature à améliorer l’efficacité du dispositif au service des opérations concernées.
B. La création d’une nouvelle catégorie d’opération d’aménagement : les GOU
23Les critères de qualification d’une GOU. Une opération d’aménagement au sens de l’article L.300-1 du code de l’urbanisme peut être qualifiée de « grande opération d’urbanisme » si elle est prévue par un contrat dit « projet partenarial d’aménagement » (PPA) qui associe l’État et la Ville de Paris ou un établissement public intercommunal à fiscalité propre à la définition d’un projet et des moyens permettant sa mise en œuvre et si, en raison de ses dimensions ou de ses caractéristiques, la réalisation de tout ou partie de ce projet requiert un engagement conjoint spécifique de l’État et de la collectivité ou de l’établissement public en cause (article L. 312-3 du code de l’urbanisme). Le premier critère est celui de l’inscription de l’opération d’aménagement concernée dans un contrat spécifique appelé projet partenarial d’aménagement prévu à l’article L. 312-1 nouveau du code de l’urbanisme. Le PPA permet de définir un « projet de territoire, à l’échelle intercommunale, doté d’un programme d’aménagement adapté aux différents territoires, afin de favoriser la production de logements, la réalisation d’équipements publics caractéristiques, l’accueil et l’installation d’activités et de services » [4]. L’article L. 312-2 prévoit que les communes concernées sont associées à l’élaboration du PPA et que toutes les collectivités et tous les établissements publics intéressés peuvent, à leur demande, être signataires de ce contrat. Cette disposition est de nature à faciliter l’émergence d’un projet de territoire, étant précisé qu’en cas de divergence en cours de réalisation de l’opération d’aménagement c’est la Ville de Paris ou l’EPCI à fiscalité propre compétent qui tranchera après avoir recueilli, si nécessaire, l’avis de l’État. L’alinéa 3 de ce dernier article dispose que, sur proposition d’un ou plusieurs signataires du PPA, « le contrat peut également être signé par toute société publique locale, par toute société d’économie mixte ainsi que par toute autre personne publique ou tout acteur privé implantés dans son périmètre territorial et susceptibles de prendre part à la réalisation des opérations prévues par ce même contrat ».
24Le recours au procédé contractuel est en soi dérogatoire en matière d’urbanisme réglementaire [5]. Les collectivités territoriales exercent en principe leur compétence par le biais de l’acte unilatéral aussi bien en amont, lors de la conception des règles applicables, qu’en aval, au stade de la délivrance des autorisations. Les enjeux, l’ambition affichée et la complexité de l’intervention liée à la fois aux caractéristiques de l’opération d’aménagement et à la diversité des acteurs en présence justifient pleinement le recours au contrat renforçant la démarche partenariale mise en œuvre pour une transformation en profondeur du morceau de ville. La possibilité pour un opérateur privé ou toute SEM de signer un contrat de PPA sans mise en concurrence préalable sur simple proposition d’un ou plusieurs signataires publics intéressés ne manque pas de surprendre au regard des exigences de la commande publique et plus largement du droit de la concurrence entre entreprises intervenant sur le même secteur d’activité. L’intérêt d’associer un acteur privé à la conception et à la réalisation d’une GOU est de faire bénéficier la collectivité ou l’établissement public et l’État des connaissances du secteur privé sur les pratiques locales des opérateurs ayant vocation à intervenir dans le périmètre de la GOU.
25Le second critère de qualification d’une GOU est celui des « dimensions » et des « caractéristiques » de l’opération. La GOU est une opération d’aménagement au sens de l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme. Elle s’écarte néanmoins des opérations « ordinaires » et a vocation, par son ampleur ou son envergure, à mobiliser des moyens importants sur une ou plusieurs décennies. Comme rappelé plus haut, l’étude d’impact du projet de loi ELAN faisait référence à des interventions sur des secteurs délaissés par le marché comme des friches urbaines, des sites pollués ou encore des zones d’activités ou des quartiers dégradés.
26Le troisième critère est celui de l’engagement conjoint spécifique de l’État et de la Ville de Paris ou d’un EPCI à fiscalité propre. Les dispositions de l’article L. 312-3 ne renseignent pas sur le contenu exact des engagements possibles de l’État. La lecture de l’étude d’impact du projet de loi et de certaines dispositions définitivement adoptées permettent de comprendre qu’ils peuvent prendre la forme de versements financiers et de cessions de terrains appartenant au domaine privé de l’État, par dérogation aux dispositions du Code général de la propriété des personnes publiques (article R. 3211-7).
27La création de la GOU. Aux termes de l’article L. 312-4 du code de l’urbanisme, « La qualification de grande opération d'urbanisme est décidée par délibération de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou de l'établissement public cocontractant mentionné à l'article L. 312-3, après avis conforme des communes dont le territoire est inclus en tout ou partie dans le périmètre de l'opération et avec l'accord du représentant de l'État dans le ou les départements concernés ». La procédure de création, d’une GOU repose sur un processus de codécision entre l’autorité locale à son initiative et l’État dans une démarche partenariale encadrée par le contrat de PPA conclu entre eux.
28Les communes d’implantation de l’opération sont associées à la décision de création d’une GOU à travers la procédure de l’avis conforme. Ces dernières doivent se prononcer sur la qualification de la GOU concernée, son périmètre, sa durée et sur le transfert des compétences en matière d’AOS et de maîtrise d’ouvrage des équipements publics nécessaires. L’article L. 312-7 leur impose un délai de trois mois pour se prononcer par délibération à compter de la réception de la demande de l’EPCI et leur silence vaut avis favorable implicite. Leur avis conforme peut être subordonné au respect de prescriptions particulières.
29La création d’une GOU est enfin conditionnée à l’accord des représentants de l’État dans les départements. Celui-ci se comprend au regard de sa qualité de co-contractant dans le PPA ayant prévu la GOU et de ses engagements financiers et immobiliers. A défaut d’accord de l’État, la GOU ne peut naître. Ce processus de codécision oblige donc les parties au PPA à des concessions réciproques au service d’un projet de territoire raisonné.
30Le transfert automatique des compétences en matière d’AOS. Transposant le régime des OIN (article L.102-13, 5°du code de l’urbanisme), la loi ELAN transfère la compétence en matière d’autorisation d’urbanisme au Maire de Paris ou au Président de l’établissement public intercommunal à fiscalité propre ayant décidé la qualification de grande opération d’aménagement (nouveaux articles L. 312-5 et L. 422-1 du code de l’urbanisme). Dans son avis n° 394435 du 29 Mars 2018 sur le projet de loi, le Conseil d’État a estimé que « le transfert de la compétence pour délivrer les autorisations d’urbanisme au président de l’établissement public ou de la collectivité à l’initiative de la grande opération d’urbanisme ne méconnaît pas le principe de libre administration et n’aboutit pas à instaurer une tutelle sur les communes comprises dans le périmètre de cette opération dans la mesure où il répond à l’objectif d’intérêt général d’assurer l’aménagement cohérent d’une zone précisément délimitée et où, en cas d’avis défavorable d’une des communes comprises dans ce périmètre, la qualification de grande opération d’urbanisme est décidée par le préfet, ce qui confère à l’État le soin d’apprécier l’existence de cette nécessité ». L’objectif poursuivi est celui de l’émergence d’un interlocuteur unique dans le périmètre de la GOU, de faciliter ainsi les discussions informelles avec les opérateurs ayant vocation à intervenir et à permettre au représentant de la collectivité ou de l’établissement public compétent de sanctionner par la délivrance d’une AOS les accords des différents acteurs publics et privés intéressés. Ce transfert de compétence doit être rapproché de la mise en compatibilité des normes locales d’urbanisme qui poursuit le même dessein de cohérence d’intervention dans le périmètre concerné.
31La mise en compatibilité des documents d’urbanisme. A l’instar des OIN et dans le but de faciliter, au regard des règles locales d’urbanisme applicables dans leurs périmètres, la réalisation des GOU, le législateur a spécifiquement prévu la mise en compatibilité du schéma directeur de la région Ile-de-France, du plan d’aménagement et de développement de Corse, d’un schéma d’aménagement régional, d’un schéma de cohérence territoriale, d’un PLU ou d’un document en tenant lieu dans le cadre de la procédure intégrée prévue à l’article L. 300-6-1 du code de l’urbanisme. Cette faculté, si elle n’est pas nouvelle en s’inscrivant pleinement dans la logique de l’urbanisme de projet, est, en raison des dimensions et des caractéristiques de l’opération d’aménagement concernée, un retour en arrière à l’urbanisme dérogatoire auquel la loi SRU du 13 décembre 2000 avait mis fin en supprimant les plans d’aménagement de zone (PAZ) applicable à l’intérieur des zones d’aménagement concerté (ZAC). La crise du logement et du climat a raison du principe selon lequel la fin justifie les moyens les plus efficaces.
32L’octroi de dérogations aux règles de la construction. Le régime des GOU prévoit, comme en matière d’OIN (article L. 102-13, 7° du code de l’urbanisme), la faculté de déroger, à titre expérimental et pour une durée de sept ans, aux règles applicables aux projets dans les conditions prévues au II de l’article 888 de la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine (renvoi opéré par l’article L. 312-5, 2° du code de l’urbanisme), sous réserve du respect des dispositions de l’ordonnance n° 2018-937 du 30 octobre 2018 visant à faciliter la réalisation de projets de construction et à favoriser l’innovation, précisant le champ d’application et les conditions de mise en œuvre des dérogations prévues au titre du permis d’innover.
33La maîtrise d’ouvrage des équipements nécessaires à l’opération. La loi ELAN prévoit que l’autorité en charge de la réalisation de la GOU se substitue, pendant sa durée, aux communes d’implantation pour la construction, l’adaptation ou la gestion d’équipements publics nécessaires à la réalisation de l’opération, dès lors qu’ils ont été, préalablement, identifiés et localisés dans l’acte portant qualification de l’opération. Cette compétence peut être réduite ou prolongée d’un commun accord avec la commune d’accueil des équipements publics concernés. Les modalités de leur remise sont également conventionnées entre les mêmes parties. En outre, l’autorité en charge de la GOU peut, à l’instar du régime des OIN, conclure un contrat de projet urbain partenarial avec un ou plusieurs propriétaires, aménageurs ou constructeurs aux fins de calibrer le financement privé des équipements publics au regard des besoins des opérations de la zone concernée.
34Les ZAD dédiées GOU. A l’instar des OIN, la loi ELAN a créé des zones de préemption appropriées sous la forme de zones d’aménagement différé (ZAD) dans le régime juridique des GOU (article L. 312-6 du code de l’urbanisme). La validité de ces ZAD a été fixée, par dérogation au droit commun, à dix ans, renouvelable une fois, pour tenir compte de l’ampleur des opérations érigées au rang de GOU dont la réalisation sera étalée sur une ou deux décennies.
35Le régime juridique des GOU est doublement dérogatoire. Il l’est sur le plan de la gouvernance parce qu’il a vocation à associer la Ville de Paris ou un EPCI à fiscalité propre avec l’État dans un projet intercommunal sur la base d’un contrat comportant des engagements réciproques en termes financiers et immobiliers. Les leviers d’action sont en outre concentrés entre les mains de l’autorité à l’initiative de l’opération d’aménagement. Il l’est également sur le plan procédural puisque le droit commun s’ajuste à la définition et à la réalisation de la GOU.
36En synthèse, la loi ELAN est une « grande loi » en ce qu’elle dote les pouvoirs publics d’outils d’aménagement suffisamment dynamiques pour faire face aux défis du « construire plus, mieux et moins cher » (v. son titre I) dans un contexte de prise de retard sur l’application de textes datant (au mieux) de la loi SRU du 13 décembre 2000 prônant la définition et la mise en œuvre d’un Projet d’Aménagement et de Développement Durable (PADD), le renouvellement et la limitation de l’étalement urbain pour préserver les ressources naturelles pour les générations futures dans une logique de développement durable. L’urgence de la situation justifie un processus de concentration des pouvoirs de décision au bénéfice des autorités déconcentrées de l’État et des organes de l’EPCI au détriment des communes.
Notes
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[1]
Cerema, « La consommation d’espaces et ses déterminants d’après les fichiers fonciers de la DGFip. Analyse et état des lieux au 1er janvier 2015 », 2016.
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[2]
France Stratégie, Rapport « Zéro artificialisation nette : quels leviers pour protéger les sols ? », octobre 2019.
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[3]
V. l’étude d’impact du projet de loi.
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[4]
S. Traore, « Les nouvelles procédures d’aménagement », AJDA 2019, p. 88.
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[5]
« La contractualisation dans le droit de l’urbanisme », Les Cahiers du GRIDAUH n° 25, La Documentation française, 2014, 334 p. ; O. Chambord, « Le nouveau droit de l’aménagement. Etude des rapports entre acte unilatéral et contrat », Thèse, Université de Bordeaux, 2012 ; S. Lamy-Willing, « La constructibilité des propriétés foncières : entre la règle et le contrat », Thèse, Université d’Aix, 2016.