Notes
-
[1]
CE 4 mars 2011, n° 336243 : JurisData n° 2011-003238.
-
[2]
L. 634-5 et s. CCH.
-
[3]
CA Paris 2e ch., 15 mai 2013 : Loyers et copr. 2013, n° 284, obs. G. Vigneron.
-
[4]
CA Paris 2e ch., 23 mai 2012 : JurisData n° 2012-021591. Administrer nov. 2012, p. 49, obs. JR. Bouyeure.
-
[5]
CA Paris 2e ch., 11 sept. 2013, n° 11/12572 : JurisData n° 2013-019520 - CA Paris 2e ch., 21 mai 2014, n° 12/17679 : JurisData n° 2014-011746.
-
[6]
Cass.3e civ., 8 juin 2011, n° 10-15.891 : JurisData n° 2011-011067.
-
[7]
Cass 3e civ., 8 mars 2018, n° 14-15.864 : JurisData n° 2018-003731 ; Loyers et copr. 2018, comm. 101, C. Coutant-Lapalus.
-
[8]
Art. 25-4, L. 6 Juill.1989.
-
[9]
CA Bordeaux 28 Novembre 2001 - JurisData : 2001-162421.
-
[10]
Cass. 3e civ., 29 juin 1994, n° 92-13.274 : Loyer et copr. 201, comm. 41.
-
[11]
Cass. 3e civ., 22 juin 2017, n° 16-17.946 : Loyers et cpr. 2017, comm. 191.
-
[12]
Cass.3e civ., 10 déc. 2002 : loyers et copr. 2003, comm. 87- CA Paris 6e ch.B, 11 mai 2006 : loyers et copr. 2006, comm. 175.
-
[13]
Cass 3e civ., 20 oct. 2016 : Loyers et copr. 2017, comm. 13.
-
[14]
Par exemple s’il veut exploiter dans les lieux un débit de boissons de 4ème catégorie : CA Paris 23e ch., 31 mai 2000 : JurisData n° 2000-118254.
-
[15]
Cass. 3e civ., 2 fév. 2010 : JurisData n° 2010-051470 ; Loyers et copr. 2010, comm. 155.
-
[16]
Cass. 3e civ., 2 juill. 2013, n° 11-28.496 : Loyers et copr. 2013, comm. 280 - 9 Juillet 2008 - n° 07-14.631.
-
[17]
art. R.145-35. 2°.
-
[18]
CA Paris, 6e ch. B, 8 avr. 1994 : Loyers et copr. 1994, no 277.
-
[19]
CA Versailles, 1re ch., 4 oct. 2011 : JurisData no 2011-020826.
-
[20]
Cass. 3e civ., 20 juin 1995 : Loyers et copr. 1995, no 412 - Adde pour une utilisation à des fins professionnelles d’un fax, ordinateur : CA Versailles 1ere ch., 5 nov. 2009 : JurisData n° 2009-379647 ; Loyers et copr. 2010, comm. 95.
-
[21]
CA Paris 29 sept. 1992 : JCP N 1993, II, 173, note Alioune-Djigo - CA Paris, 6e ch. C, 16 mai 1995 : Loyers et copr. 1995, no 465, confirmé par Cass. 3e civ., 14 mai 1997 : JCP G 1997, IV, 1385 ; RD imm. 1997, p. 495, obs. Collart-Dutilleul.
-
[22]
CA Paris, 6e ch. B, 22 mai 2003 : AJDI 2003, p. 580.
-
[23]
Cass. 3e civ., 25 févr. 2016 : JurisData no 2016-003202 ; Loyers et copr. 2016, comm. 82.
-
[24]
Cass. 3e civ., 25 mai 1992 : Loyers et copr. 1992, n° 318.
-
[25]
Cass. Ass. Plén., 2 fév. 1996, n° 91-21.373 : JCP G 1996, II, 22610, note F. Auque.
1Textes relatifs à la destination. Si le Code de l’urbanisme et le code de la construction et de l’habitation contiennent des règles très précises sur les notions de destination et d’usage et sur les conséquences qui leur sont attachées, il n’y a rien de tel dans les réglementations relatives aux baux. Aucun texte du Code civil ne traite spécifiquement de la destination du bail, pour délimiter les différents usages auxquels les locaux loués peuvent être destinés. Seules sont envisagées les implications de la destination choisie dans les articles 1719, 1728 et 1729, dispositions de droit commun du bail. Dans un secteur où règne la liberté individuelle, rien d’étonnant sans doute. Mais la réglementation d’ordre public spécifique aux baux d’habitation, comme celle relative aux baux professionnels n’en disent pas davantage. Il n’y a finalement que la réglementation des baux commerciaux qui contient des dispositions plus précises sur la destination et plus précisément sur la possibilité d’opérer des déspécialisations.
2Terminologie. Quel terme faut-il utiliser en matière de bail : destination, usage, affectation ? Contrairement là encore au code de l’urbanisme qui privilégie le terme de destination et le code de la construction et de l’habitation celui d’usage, le Code civil emploie tantôt le terme d’usage, tantôt celui de destination sans véritablement les différencier. A vouloir insister sur la sémantique, on pourrait dire de la destination qu’elle est l’affectation juridique du local tandis que l’usage correspondrait plus concrètement à l’utilisation permise par la destination : l’affectation à usage d’habitation doit servir de logement au locataire ; un local loué à titre professionnel doit être utilisé pour exercer une activité. Quoi qu’il en soit, ces deux notions, à les supposer distinctes, ne déclenchent pas en matière de bail de conséquences juridiques différentes.
3Diversité des destinations. En matière locative, les destinations sont variées puisqu’il peut être conclu un bail rural, professionnel, commercial ou d’habitation pour s’en tenir aux affectations les plus fréquentes. Il existe des règles communes à ces différentes destinations qui relèvent du Code civil. L’objet du présent rapport est de faire état de ces règles générales, tout en insistant sur la destination à usage d’habitation, assujettie à des règles spécifiques qui génèrent un contentieux important. L’autre rapport traitera de la destination dans le bail commercial.
4La destination dans le bail : un mélange de liberté et de contraintes. Si l’on voulait résumer en quelques mots la destination dans le bail, on pourrait dire qu’elle est un mélange de liberté et de contraintes. Liberté car le bailleur dispose d’une latitude certaine pour fixer la destination d’un bail, même s’il s’agit d’une liberté encadrée (I). Contraintes néanmoins car la destination une fois déterminée doit être respectée aussi bien par le locataire que par le bailleur (II)
I. Détermination de la destination des baux : une liberté encadrée
5Généralement, la destination est fixée par une clause du bail. Si le contrat est muet ou équivoque sur la destination, il appartiendra aux juges du fond de déterminer la nature de l’affectation convenue en recherchant la commune intention des parties
6En principe, le bailleur est libre du choix de la destination qui dépend avant tout de la nature du bien dont il est propriétaire. S’il s’agit de terres exploitables, il pourra consentir un bail rural. S’il s’agit d’un local, il pourra le louer à usage de garage, à usage d’habitation, à usage professionnel ou commercial. S’agissant d’un bail à usage d’habitation, il peut encore affiner son choix et envisager une sous-destination en louant à usage exclusif d’habitation plutôt qu’à usage mixte professionnel et d’habitation, à titre de résidence principale ou secondaire, en habitation meublée ou non meublée.
7Des raisons de rentabilité peuvent l’orienter vers une destination plutôt qu’une autre. Au-delà de l’aspect financier, c’est aussi le régime juridique du bail, qui découle directement de la destination choisie, qui peut « impacter » sa décision. Le bailleur peut souhaiter adopter la réglementation la moins contraignante.
8Il reste que son choix n’est pas sans contrôle et que le juge pourra intervenir parce que la plupart des réglementations applicables aux baux sont aujourd’hui d’ordre public et que le juge doit pouvoir vérifier que la destination choisie n’est pas frauduleuse ou tout simplement qu’elle correspond bien à ce que les parties ont réellement souhaité lors de la conclusion du contrat. En dehors même de tout contrôle judiciaire (B), qui n’est qu’hypothétique, la liberté du bailleur connait des restrictions d’origines diverses (A).
A. Restrictions au choix de la destination
9Très généralement, ce sont des motifs d’intérêt général (a) qui peuvent restreindre la liberté du bailleur. Mais la liberté des uns s’arrêtant là où commence celle des autres, on peut comprendre que des intérêts privés (b) soient également à l’origine de ces restrictions.
a) restrictions d’intérêt public
10- L’une d’entre elles a été évoquée ce matin. Elle résulte des articles L. 631-7 du CCH qui ne permettent pas à un propriétaire de consentir librement un bail commercial ou professionnel sur un local au départ à usage d’habitation. Sans autorisation administrative préalable, difficile à obtenir dans certaines communes comme Paris, le local conservera sa destination initiale. S’agissant d’autorisation préalable, il faut évidemment évoquer l’encadrement des meublés touristiques de courtes durées. Le code du tourisme et le code de la construction et de l’habitation prévoient ainsi un ensemble de règles destinées à permettre aux collectivités territoriales de réguler cette offre afin d’éviter que des biens ne soient soustraits d’un marché locatif en crise. Ainsi, une autorisation préalable de changement d’usage est obligatoire pour ce type de location lorsque les locaux ne constituent pas la résidence principale du loueur. Une autorisation qui sera plus ou moins facilement obtenue en fonction des règles adoptées par les règlements municipaux qui peuvent subordonner cette autorisation à un système de compensation, comme à Paris, Lyon, Bordeaux ou encore Nice. Si le bien donné à bail constitue la résidence principale du loueur, ce qui suppose que ce dernier occupe le logement au moins 8 mois par an, aucune demande de changement d’usage n’est nécessaire, sous réserve de ne pas louer plus de 120 jours par an. Pour pouvoir contrôler le respect du plafond des 120 jours, les communes peuvent mettre en place un système d’enregistrement de chaque local loué en meublé touristique et de lourdes obligations sont mises à la charge des professionnels qui servent d’intermédiaires dans ces locations, avec pour ligne de mire les plateformes de réservation, style Airbnb ou Abritel. Ils doivent s’assurer auprès des loueurs qu’ils ont bien satisfait à leurs obligations légales d’enregistrement et d’autorisation préalable ; faire figurer le numéro d’enregistrement sur leur annonce ; transmettre à la commune qui en fait la demande le décompte des nuitées effectuées pour le compte des propriétaires et enfin cesser d’offrir à la location jusqu’à a fin de l’année en cours un logement qui a fait l’objet de plus de 120 jours de location.
11La loi Elan a renforcé le contrôle de ces locations en prévoyant des amendes civiles à l’encontre des loueurs et des intermédiaires, ces derniers n’étant jusque-là pas sanctionnés, faute de décret d’application. Des amendes qui s'ajoutent à celle très lourde déjà applicable en cas de location illégale, c'est-à-dire soumise à un changement d'usage qui n'a pas été effectué, qui est de 50.000 € par logement.
12- Autre restriction, un propriétaire ne peut pas louer des locaux impropres à l’habitation. En application de l’article L. 1331-22 du Code de santé publique, les caves, sous-sols, combles, pièces dépourvues d'ouverture sur l'extérieur et autres locaux par nature impropres à l'habitation ne peuvent être mis à disposition aux fins d'habitation, à titre gratuit ou onéreux. Cette interdiction joue alors même que les locaux visés par ce texte répondent aux critères de décence du décret du 30 janvier 2002 ; ce sont en effet les règles fixées par le règlement sanitaire départemental qui comptent [1].
13- Pour lutter contre l’habitat indigne, les locaux insalubres ou dangereux, la mise en location peut par ailleurs être assujettie à une déclaration préalable ou autorisation préalable, « permis de louer » délivré par l’administration [2].
b) restrictions d’intérêt privé :
14Le libre choix de la destination du bail peut être également restreint par des motifs d’intérêt privé, en particulier ceux des copropriétaires qui souhaitent ne pas subir de troubles de voisinage consécutifs à la multiplication du nombre d’occupants dans l’immeuble, ou à la rotation fréquente de locataires dans le cadre des locations touristiques de courte durée. D’où l’insertion dans le règlement de copropriété de clauses visant à interdire ou à restreindre certaines locations. La licéité ou l’illicite de telles clauses dépend de chaque cas d’espèce, au regard de la destination de l’immeuble qui seule peut justifier des restrictions au droit des copropriétaires. Il est certain que les clauses seront plus facilement reconnues licites dans un immeuble à caractère résidentiel.
15Ainsi ont pu être validées les clauses interdisant la location de chambres de services à des personnes étrangères à la copropriété [3], la colocation [4] ou encore les locations touristiques de courte durée. A propos de ces dernières, la jurisprudence s’oriente vers davantage de sévérité. La cour d’appel de Paris considère que ce type de location est assimilé à l’exercice d’une activité commerciale, prohibé par le règlement de copropriété [5]. Quant à la Cour de cassation, après avoir validé ces locations en faisant un parallèle avec l’exercice autorisée d’une activité professionnelle [6], elle a récemment décidé qu’elles n’étaient pas compatibles avec la destination mixte permise par le règlement [7].
B. Contrôle judiciaire de la destination
16Les juges peuvent être amenés à vérifier que la destination prévue par le bail correspond bien à ce que les parties ont souhaité en réalité. Volontairement ou involontairement, il peut y avoir une contradiction entre la destination juridique du bail et l’usage réel, ce qui amènera le juge à une requalification de la destination (b). Pour ce faire, encore faut-il connaitre au préalable les critères caractéristiques de chaque destination (a).
a) caractérisation des usages.
17Lorsque la destination est définie par la loi, ce n’est pas difficile pour un juge de contrôler que l’affectation choisie par le bailleur est conforme à la loi. C’est le cas lorsque la location est à usage d’habitation principale, plus précisément selon les termes plus concrets insérés par la loi Alur du 24 mars 2014 dans la loi du 6 juillet 1989, lorsque le bien loué constitue la résidence principale du locataire. Il faut alors que le logement soit occupé au moins huit mois par an, sauf exceptions liées notamment à des obligations professionnelles. C’est le cas également pour la destination de meublés qui suppose selon la loi un logement équipé d’un mobilier en nombre et en qualité suffisant pour permettre au locataire d’y dormir, manger et vivre convenablement [8]. Un décret fixe d’ailleurs la liste des éléments minimaux que doit comporter ce mobilier.
18En revanche, d’autres destinations non définies peuvent être plus délicates à appréhender et nécessitent une appréciation judiciaire. Qu’est-ce qu’une destination mixte par exemple ? La loi du 6 juillet 1989 précise qu’elle permet un usage à la fois professionnel et d’habitation, étant entendu qu’il s’agit des professions libérales car lorsque la location est à usage mixte d’habitation et commerciale, elle relève en principe pour le tout de la réglementation des baux commerciaux, le logement du preneur étant considéré comme exclusivement destiné à faciliter cette exploitation [9].
19Faut-il accorder une importance aux surfaces respectives consacrées à l’habitation et à l’usage professionnel ? Non a répondu la Cour de cassation [10]. Peu importe que la partie affectée à l’usage professionnel soit largement supérieure à celle à usage d’habitation. Il faut juste que la faculté d’habiter, même réduite, soit réelle.
20Cette jurisprudence a d’ailleurs été confirmée à propos de l’application de la réglementation du Code de la construction sur les changements d’usage : « l’importance respective des surfaces consacrées à l’usage d’habitation et à l’usage professionnel est indifférente à l’application des articles L. 631-7 et s. du CCH » [11].
21Autre exemple d’incertitude sur la destination du bail et donc sur son régime juridique : qu’est-ce qu’un bail à usage professionnel, régi quant à lui par les articles 57 A et B de la loi du 23 décembre 1986 ? Négativement, on peut affirmer que l’usage professionnel est celui qui n’est ni commercial, ni industriel, ni artisanal, ni rural. Mais plus positivement ? On peut s’accorder pour dire qu’il s’agit d’une profession où l’activité intellectuelle joue le rôle principal et consiste dans la pratique en toute indépendance d’un service ou d’un art. C’est en résumé ce qui résulte de la définition qu’en a donné l'article 29 la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l'allégement des démarches administratives :
« Les professions libérales groupent les personnes exerçant à titre habituel, de manière indépendante et sous leur responsabilité, une activité de nature généralement civile ayant pour objet d'assurer, dans l'intérêt du client ou du public, des prestations principalement intellectuelles, techniques ou de soins mises en œuvre au moyen de qualifications professionnelles appropriées et dans le respect de principes éthiques ou d'une déontologie professionnelle, sans préjudice des dispositions législatives applicables aux autres formes de travail indépendant ».
23Il n’empêche que malgré cette définition, les critères du bail professionnel ne sont pas nettement arrêtés. En particulier, la question s’est posée de savoir si l’usage exclusivement professionnel suppose l’exercice d’activités économiques lucratives. L’exigence d’une activité exercée à titre onéreux a pu découler de plusieurs arrêts qui ont considéré qu’une association qui tire des ressources de ses activités peut bénéficier d'un bail professionnel [12]. Plus récemment cependant, à propos de locaux loués à usage de bureau pour les besoins de l’activité professionnelle d’une société mutuelle d’assurance, la Cour de cassation a affirmé de façon assez péremptoire que le caractère lucratif ou non était indifférent à la qualification de bail professionnel [13].
b) requalification des destinations
24Au vu de ces critères de qualification plus ou moins précis, le juge peut être amené à requalifier la destination mentionnée au bail.
25Parfois, cette requalification interviendra suite une erreur du bailleur qui aura dénommé bail professionnel ce qui est en réalité un bail commercial, eu égard à l’activité exercée par le preneur. L’utilisation par des propriétaires néophytes de baux pré imprimés est souvent à l’origine de ces erreurs. C’est d’ailleurs la raison qui justifie qu’en matière de bail d’habitation, un contrat type soit imposé depuis la loi Alur du 24 mars 2014.
26Parfois aussi, pour ne pas dire souvent, la mauvaise qualification de départ résulte d’une intention frauduleuse du propriétaire, qui souhaite échapper ainsi à une réglementation trop contraignante. Ainsi, a-t-on vu de très nombreux arrêts requalifiant un bail soi-disant meublé en bail non meublé à l’époque où les meublés étaient principalement assujettis à la réglementation libérale du Code civil. La jurisprudence témoigne aussi de baux destinés à usage de résidence secondaire du preneur alors qu’en réalité il s’agissait de son habitation principale.
II. Respect de la destination
27Lorsqu’on évoque le respect de la destination du bail, on songe d’emblée au locataire qui doit jouir des lieux conformément aux prévisions contractuelles (B). Mais le bailleur est lui aussi tenu de respecter cette destination. Il doit ainsi pendant le cours du bail entretenir le bien en état de servir à l’usage pour lequel il a été loué. Mais il doit avant tout, au titre de son obligation de délivrance, délivrer un bien qui soit compatible avec la destination prévue (A).
A. Par le bailleur : délivrance conforme à la destination
28Une fois que les parties se sont entendues contractuellement sur la destination du bail, le bailleur doit faire en sorte que le locataire puisse jouir des lieux loués conformément à leur destination. D’où une obligation dite de délivrance conforme qui oblige le propriétaire à vérifier et à faire en sorte que la chose louée puisse être affectée à l’usage prévue au bail. La nature même (b) de cette obligation justifie qu’elle soit très étendue (a).
a) étendue de l’obligation
29S’il s’agit d’un bail d’un immeuble destiné à l’habitation principale du preneur, le bailleur doit délivrer un logement décent. Une obligation affirmée aussi bien par un texte de droit commun, l’article 1719 du Code civil, que par l’article 6 de la loi du 6 juillet 1989, qui impose entre autres que le logement ne laisse pas apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé et qu’il soit doté des éléments le rendant conforme à l’usage d’habitation, tels que précisés par un décret du 30 janvier 2002. Lorsque les locaux loués à usage habitation sont impropres à cet usage, le bailleur ne peut se prévaloir de la nullité ou résiliation pour demander l’expulsion du locataire. Il peut aussi être contraint d’effectuer les travaux de mise en conformité nécessaires et être condamné à des dommages-intérêts pour le préjudice de jouissance subi par le locataire, qui n’a pu jouir de la chose louée conformément à son usage.
30L’obligation de délivrance prend une ampleur particulière dans les baux commerciaux compte tenu des contraintes spécifiques résultant de la destination des lieux et des obligations de conformité à de nombreuses normes Ainsi, en fonction de l’activité souhaitée par le locataire, le bailleur se doit de vérifier si certaines restrictions administratives ne l’interdisent pas [14] ou encore solliciter de l’assemblée générale des copropriétaires les autorisations de travaux nécessaires. Quant à l’exécution des travaux imposés par l’administration, la jurisprudence estime qu’ils relèvent de l’obligation de délivrance ou de l’obligation de maintenir les lieux en état de servir à l’usage auxquels ils sont destinés.
31Naturellement, le bailleur qui ne délivre pas un bien loué en état de servir à l’exploitation prévue au bail engage sa responsabilité, avec des conséquences juridiques qui seront appréciées en fonction de chaque cas d’espèce : exécution forcée, dommages-intérêts, résiliation du bail, exception d’inexécution (sous réserve d’une impossibilité totale d’exploitation). Il a peu de possibilités de s’en exonérer compte tenu de la nature de cette obligation de délivrance
b) Nature de l’obligation
32Il s’agit d’une obligation essentielle du bailleur sans laquelle le bail ne saurait exister. Le bailleur ne peut donc s’en décharger sur le locataire. Ainsi, la clause par laquelle prend les lieux dans l’état où il se trouvent ne décharge pas le bailleur de son obligation de délivrance [15].
33Pas davantage n’est valable la clause imposant au preneur de faire son affaire personnelle des autorisations nécessaires à l’exercice de son activité alors que le bailleur est seul à pouvoir obtenir de telles autorisations, comme en matière de copropriété.
34Autre exemple, si le bailleur peut mettre à la charge du locataire les travaux d’entretien et de réparation, il ne peut, en raison de l’obligation de délivrance s’exonérer de l’obligation de procéder à des travaux rendus nécessaires par les vices affectant la structure de l’immeuble [16]. Affirmée originairement par la jurisprudence, cette solution est depuis la loi Pinel du 18 juin 2014 consacrée expressément par le code de commerce [17].
35Peu importe que ces travaux soient exigés en cours de bail car l’obligation de délivrance n’est pas une obligation instantanée, mais une obligation continue qui perdure tout au long du bail.
36L’obligation de délivrance est donc particulièrement étendue compte tenu de sa nature et du fait qu’elle est continue tout au long du bail. Une limite tout de même : l’obligation de délivrance ne s’étend pas au maintien de la commercialité dans les centres commerciaux qui connaitraient une baisse de fréquentation suite au départ d’une « locomotive ».
B. Par le locataire : utilisation conforme à la destination
37Quelle que soit la destination contractuelle, le locataire se doit de la respecter. Cette obligation est affirmée par l’article 1728 du Code civil qui impose au preneur « d’user de la chose louée raisonnablement, et suivant la destination qui lui a été donné par le bail », obligation qui vaut pour tous les baux. En matière de bail d’habitation, c’est l’article 7 de la loi du 6 juillet 1989 qui dispose que le locataire est obligé « d’user paisiblement des locaux loués suivant la destination qui leur a été donné par le contrat de location ». D’où l’importance évidemment de clairement préciser cette destination, en particulier dans les baux commerciaux.
38Dans les baux d’habitation, la clause de destination appelle moins d’attention car de deux choses l’une : soit il est prévu une location à usage exclusif d’habitation, soit il est prévu un usage mixte habitation et professionnel. Reste à préciser au regard de ces deux usages possibles, la latitude qui est laissée au preneur
a) Bail à usage exclusif d’habitation
39L’usage exclusif d'habitation implique déjà une occupation effectivement les lieux par le preneur, son conjoint ou une personne à charge sans que ce soit en permanence comme le précise l’article 2 de la loi du 6 juillet 1989. Il interdit surtout toute utilisation à usage professionnel, commercial ou artisanal..., même si elle n'est que partielle. Ainsi ne pourrait être exercée dans les lieux loués la profession d’avocat, de masseur ou encore d’architecte.
40L’obligation de respecter la destination est écartée lorsque le locataire obtient du bailleur le droit d’exercer une profession dans les lieux. Ce changement de destination ne peut cependant résulter que d'un consentement exprès du bailleur qui manifeste de façon non équivoque son intention. La jurisprudence est claire à cet égard : peu importe que le propriétaire n'ait pas réagi immédiatement et que la situation illicite se soit prolongée, peu importe que l’activité illicite ait été exercée au vu et su du bailleur. La tolérance du bailleur ne crée aucun droit au profit du locataire [18]. A défaut, le bailleur peut obtenir la résiliation du bail ou refuser le renouvellement en notifiant un congé pour motif légitime et sérieux [19].
41Encore faut-il pour qu’il y ait contravention à la destination, que le commerce ou la profession ait été effectivement exercé dans les lieux, ce qui donne lieu à appréciation judiciaire. Jugé par exemple que le fait d'introduire dans les lieux des machines à écrire, un ordinateur et une photocopieuse ne suffit pas à transformer des pièces d’habitation en bureaux [20]. Faisant preuve de souplesse, la jurisprudence admet par ailleurs que le fait d'exercer dans les lieux loués l'activité d'assistante maternelle est compatible avec l'affectation des locaux loués à usage d'habitation [21]. L’interprétation jurisprudentielle peut cependant être plus rigoureuse sur ce point en fonction de l’analyse des clauses du bail [22].
42Par ailleurs, il faut rappeler qu’aux termes des articles L. 123-10 à L. 123-11-1 du Code de commerce, le locataire peut, sous certaines conditions, domicilier une entreprise qu'il crée dans des locaux loués à usage d'habitation Cette déclaration n’entraine ni changement d‘affectation des locaux, ni application du statut des baux commerciaux. Ainsi, la domiciliation d'une société commerciale dans un local à usage d'habitation ne suffit pas à conférer à l'occupation un caractère commercial [23].
b) Bail à usage mixte
43Le respect de la destination mixte d’un bail a suscité des difficultés et controverses jurisprudentielles. C’est encore la notion de bail à usage mixte qui a donné lieu à hésitation, la question étant posée de savoir si le locataire doit respecter les deux usages prévus par le bail ou s’il peut utiliser les lieux à un seul des usages ? Autrement dit, la destination mixte est-elle une obligation ou une simple faculté pour le preneur ? L’hypothèse n’est pas d’école car les cas sont fréquents en pratique ou des professionnels, médecins, dentistes, prennent à bail des locaux qui sont des appartements, mais qu’ils n’utilisent que pour l’exercice de leur profession, utilisant la salle de séjour comme salle d’attente et les différentes chambres comme lieu d’exercice.
44La Cour de cassation a tranché dans un premier temps en faveur d’une simple faculté [24], ce qui a pour conséquence qu’en cours de bail, le bailleur ne peut pas fonder la résiliation du bail sur le fait que les lieux ont été utilisés exclusivement à usage professionnel. Elle a maintenu cette analyse par la suite tout en rectifiant un peu le tir et en affinant sa jurisprudence afin d’éviter qu’un bail qui est en réalité affecté à un usage exclusivement professionnel ne bénéficie d’un statut protecteur, la loi de 1989, alors qu’il devrait relever du régime applicable aux baux professionnels. Elle a en conséquence décidé que si les locaux ne sont pas au terme du bail au moins en partie affectés à usage d’habitation, le locataire n’a pas droit au renouvellement de son bail [25].
Notes
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[1]
CE 4 mars 2011, n° 336243 : JurisData n° 2011-003238.
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[2]
L. 634-5 et s. CCH.
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[3]
CA Paris 2e ch., 15 mai 2013 : Loyers et copr. 2013, n° 284, obs. G. Vigneron.
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[4]
CA Paris 2e ch., 23 mai 2012 : JurisData n° 2012-021591. Administrer nov. 2012, p. 49, obs. JR. Bouyeure.
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[5]
CA Paris 2e ch., 11 sept. 2013, n° 11/12572 : JurisData n° 2013-019520 - CA Paris 2e ch., 21 mai 2014, n° 12/17679 : JurisData n° 2014-011746.
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[6]
Cass.3e civ., 8 juin 2011, n° 10-15.891 : JurisData n° 2011-011067.
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[7]
Cass 3e civ., 8 mars 2018, n° 14-15.864 : JurisData n° 2018-003731 ; Loyers et copr. 2018, comm. 101, C. Coutant-Lapalus.
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[8]
Art. 25-4, L. 6 Juill.1989.
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[9]
CA Bordeaux 28 Novembre 2001 - JurisData : 2001-162421.
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[10]
Cass. 3e civ., 29 juin 1994, n° 92-13.274 : Loyer et copr. 201, comm. 41.
-
[11]
Cass. 3e civ., 22 juin 2017, n° 16-17.946 : Loyers et cpr. 2017, comm. 191.
-
[12]
Cass.3e civ., 10 déc. 2002 : loyers et copr. 2003, comm. 87- CA Paris 6e ch.B, 11 mai 2006 : loyers et copr. 2006, comm. 175.
-
[13]
Cass 3e civ., 20 oct. 2016 : Loyers et copr. 2017, comm. 13.
-
[14]
Par exemple s’il veut exploiter dans les lieux un débit de boissons de 4ème catégorie : CA Paris 23e ch., 31 mai 2000 : JurisData n° 2000-118254.
-
[15]
Cass. 3e civ., 2 fév. 2010 : JurisData n° 2010-051470 ; Loyers et copr. 2010, comm. 155.
-
[16]
Cass. 3e civ., 2 juill. 2013, n° 11-28.496 : Loyers et copr. 2013, comm. 280 - 9 Juillet 2008 - n° 07-14.631.
-
[17]
art. R.145-35. 2°.
-
[18]
CA Paris, 6e ch. B, 8 avr. 1994 : Loyers et copr. 1994, no 277.
-
[19]
CA Versailles, 1re ch., 4 oct. 2011 : JurisData no 2011-020826.
-
[20]
Cass. 3e civ., 20 juin 1995 : Loyers et copr. 1995, no 412 - Adde pour une utilisation à des fins professionnelles d’un fax, ordinateur : CA Versailles 1ere ch., 5 nov. 2009 : JurisData n° 2009-379647 ; Loyers et copr. 2010, comm. 95.
-
[21]
CA Paris 29 sept. 1992 : JCP N 1993, II, 173, note Alioune-Djigo - CA Paris, 6e ch. C, 16 mai 1995 : Loyers et copr. 1995, no 465, confirmé par Cass. 3e civ., 14 mai 1997 : JCP G 1997, IV, 1385 ; RD imm. 1997, p. 495, obs. Collart-Dutilleul.
-
[22]
CA Paris, 6e ch. B, 22 mai 2003 : AJDI 2003, p. 580.
-
[23]
Cass. 3e civ., 25 févr. 2016 : JurisData no 2016-003202 ; Loyers et copr. 2016, comm. 82.
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[24]
Cass. 3e civ., 25 mai 1992 : Loyers et copr. 1992, n° 318.
-
[25]
Cass. Ass. Plén., 2 fév. 1996, n° 91-21.373 : JCP G 1996, II, 22610, note F. Auque.