Notes
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[1]
Les premiers mots d’Ursule Mirouet. La comédie humaine.
-
[2]
Exposition historique à la BNF en 2002. Préface de J.-N. Jeanneney.
-
[3]
CE 11 juin 1999 commune de St Michel, n° 171200.
-
[4]
CE 24 avril 2019 Mme Dumas, n° 403442.
-
[5]
CE 2 octobre 2019, n°420808.
-
[6]
Claude Simon, Le tramway, Les éditions de minuit, 2001, p. 109.
-
[7]
Voir le rapport du GRIDAUH de juillet 2011 « La règle locale d’urbanisme en question » et les références citées.
-
[8]
CE 11 juillet 2011 commune de Neugartheim-Ittlenheim, n° 344871, BJDU 4/2011 p.309, concl. Maud Vialettes.
-
[9]
Richard Trapitzine, Pour un urbanisme humaniste, L’Harmattan 2018.
-
[10]
Robin Rivaton, La ville pour tous. Repenser la propriétré privée, L’Observatoire, 2019. L’auteur défend une thèse de Droite moderniste.
-
[11]
CE 2 octobre 2019, Association la Clave, n° 418666.
-
[12]
Livre 2, Chapitre 7.
-
[13]
CC 30 septembre 2011, n° 2011-169 QPC.
-
[14]
CC 7 octobre 2011 n° 2011-176 QPC.
-
[15]
CE 3 juillet 1998, Bitouzet, n° 158592 et, dans la même ligne, CE 27 juin 2007 M. Mieille, n° 280693.
-
[16]
CC 7 octobre 2011, n° 2011-177 QPC : sur la définition du lotissement pour la loi de 1943.
-
[17]
CC 7 octobre 2011 n° 2011-176 QPC : à propos des cessions gratuites de terrains, pourtant prévues depuis la loi d’orientation foncière du 30 décembre 1967.
-
[18]
CE 29 mars 2017 association Garches est à vous, n° 395419.
-
[19]
CE 26 avril 2017 syndicat des copropriétaires de la résidence Clairefontaine, n° 400625 après CE 13 avril 2016 M. Bartolomei n° 389798 BJCL 4/16, concl. R. Decout-Paolini.
-
[20]
CE. S. 5 mai 2017 commune de St Bon-Tarantaise, Rec. p. 150.
-
[21]
CE 25 mai 2018 préfet des Yvelines, n° 417350.
-
[22]
CE 17 juillet 2013 société française du radiotéléphone, n° 350380.
-
[23]
CE 25 septembre 2019, n° 42968, dans la rédaction du L 600-3 issu de la loi du 23 novembre 2018.
-
[24]
CE 4 octobre 2013, n° 358401 et CE 6 avril 2018 association NARTECS, n° 402714.
-
[25]
CE 29 juin 2018 commune de Sempy n° 395963 et S. 22 décembre 2017, Rec. p. 380.
-
[26]
CE 22 février 2018 SAS Udicité, n° 389518.
-
[27]
CE 15 octobre 2014 SCI des Fins et commune d’Annecy, n° 359175.
-
[28]
CE 20 mars 2017 Mme Driassa, n° 401463. V. Francis Polizzi « La mise en place d’un délai de jugement des recours contre certains permis est elle réaliste et efficace ? », AJDA 2018, p. 1718.
-
[29]
CE 16 octobre 2017 OPH d’Avignon, n° 396494.
-
[30]
AJDA 24 juin 2019 22/2019 nécessité d’un nouvel article L. 600-12-1 du code ?
La décision de construire devient bien protégée… et voir AJDA 27 mai 2019, p. 1086 sur l’excès de régularisation par rapport à la légalité. Aussi, Jean-Marc Février « Le droit au juge à l’épreuve de l’évolution du contentieux de l’urbanisme » JCP n° 25 24 juin 2019. Et Laurent Marcovici, « Principe de légalité, nouvel équilibre ou déséquilibre assumé ? », AJDA 25 février 2019, p. 361. -
[31]
Editorial AJDA du 24 juin 2019, p. 1249 « Nécessaire le nouvel article L 600-12-1 du code de l’urbanisme ? » par Camille Mialot.
-
[32]
CE 15 février 2019 n°401384 commune de Cogolin, RFDA juillet 2019, p. 543, concl. Louis Dutheillet de Lamothe.
-
[33]
Editorial à l’AJDA du 13 mai 2019, p. 961.
-
[34]
Notamment dans l’effectivité des sanctions pénales : Ph. Bonfils « Le droit pénal de l’urbanisme risques et opportunités », BJDU 2/2007.
-
[35]
CE 30 mars 2018 commune des Sables d’Olonne, n° 411122.
-
[36]
Christian Vigouroux, « La loi et l’urbanisme », Etudes foncières, décembre 1992.
-
[37]
CE 28 juillet 2011 société au verger de Provence, n° 349382.
-
[38]
CEDH 7 juin 2011 EHRMANN, n° 2777/10.
-
[39]
CC n°2018-740 QPC du 19 octobre 2018 sur renvoi du Conseil d’Etat : constitutionnalité de l’article L 442-10 du Code de l’urbanisme.
-
[40]
« Auch schlechte Planung treibt die Baukosten », Frankfurter Allgemeine Zeitung 7 octobre 2016.
-
[41]
CE 27 juillet 2009 commune de Villeneuve les Bézier, s n° 292947 : à propos de ce qui était alors le « programme d’aménagement d’ensemble ».
-
[42]
CE 27 juillet 2009 commune de Bono, n° 306946.
-
[43]
CE avis 25 mai 2018 n° 417350, AJDA 23 juillet 2018, p. 1506, note Michel Richard.
-
[44]
CE 10 octobre 2011 commune de Ramatuelle, n°329623.
-
[45]
CE 23 septembre 2019, n° 424270.
-
[46]
V. Colette Pétonnet (1929-2012), Variations sur la ville, CNRS édition, 2018.
-
[47]
Jacqueline Morand-Deviller, Droit de l’urbanisme, 10e éd., Dalloz, 2018.
-
[48]
Le Monde du 3 janvier 2019.
-
[49]
Loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine. Elle crée les SPR (sites patrimoniaux remarquables) et remplace les 500 m aux abords des monuments historiques par une décision ad hoc.
1« En entrant à Nemours du côté de Paris, on passe sur le canal du Loing… Depuis 1830, on a malheureusement bâti plusieurs maisons en deçà du pont. Si cette espèce de faubourg s’augmente, la physionomie de la ville y perdra sa gracieuse originalité. » A sa manière, Balzac [1] donne son avis sur une « entrée de ville ». Il devine l’altération future de la ville non planifiée. L’œil de l’artiste distingue « la forme d’une ville » et sait ce qu’il doit ou devrait à la planification urbaine. Ou, du moins, à la si indispensable attention des institutions d’une ville pour leur espace.
2Il faut savoir regarder une ville pour pouvoir y vivre mieux.
3Quoi de plus important que le décor et la fonctionnalité de la vie en commun ? S’agglomérer ensemble suppose quelques réflexions préalables.
4I. l’urbanisme est indispensable ;
5II. l’urbanisme est sous-estimé ;
6III. l’urbanisme sera l’une des grandes questions du siècle.
I. L’urbanisme est indispensable
7Si la puissance publique néglige ou même oublie l’urbanisme, la vie collective s’avère rapidement insupportable. Souvenons-nous des Rêves de capitale. Paris et ses plans d’embellissement [2]. La loi du 21 juin 1865 sur les associations syndicales inventait l’efficacité de la volonté collective pour la transformation des équipements et des villes. La loi du 22 juillet 1912 relative à l’assainissement des voies privées, la loi Cornudet du 14 mars 1919 créant les projets d’aménagement et d’embellissement, et la loi Loucheur du 13 juillet 1928 marquent cette conquête progressive d’un dessin et d’un dessein urbain.
8Le père Goriot de Balzac nous ramène à la passion française pour la spéculation immobilière : « il achète des terrains nus sous son nom, puis il y fait bâtir des maisons par des hommes de paille. Ces hommes concluent les marchés pour les bâtisses avec tous les entrepreneurs qu’ils payent en effets à long terme, et consentent moyennant une légère somme, à donner quittance à mon mari qui est alors possesseur des maisons, tandis que ces hommes s’acquittent avec les entrepreneurs dupés en faisant faillite ».
9Le droit de l’urbanisme est indispensable. Il développe sa logique propre qui peut l’amener à déroger au grand Code civil [3].
10Mais indispensable pour qui ?
11L’urbanisme est l’art du prince. Mais par le mouvement de 1982-1985, il est (re)devenu d’abord l’art du prince local, le maire. Et le droit de l’urbanisme bien compris, bien exprimé et bien pratiqué est une assurance pour tous les investisseurs, les acheteurs et les vendeurs de biens immobiliers. Il doit être un élément de sécurité juridique. Son vocabulaire des articles du PLU (plan local d’urbanisme) n’a pas varié depuis 1967, les articles 7 portent toujours [4] sur la distance aux limites séparatives, 10 sur la hauteur, 11 sur l’aspect extérieur [5], 13 sur les plantations ou 14 sur les coefficients d’occupation des sols, du moins avant leur suppression par la loi n° 2014-366 du 14 mars 2014 dite loi ALUR.
12Un triple mouvement de correction a d’abord permis que l’État s’affirme par la primauté des grandes nécessités des services publics (transport, déchets, internet), ensuite que l’urbanisme soit traité au bon échelon, celui des intercommunalités. Le mouvement de coopération a fortement marqué les vingt dernières années.
13Enfin, et ce n’est pas le moins important, la profession d’urbaniste et les métiers qui lui sont liés, non seulement l’architecture, s’organisent pour la meilleure qualification des praticiens. Claude Simon mesurait cette importance, qui mentionnait « la ville (ou tout au moins les conseillers des conseillers municipaux, les tenanciers de café et les entrepreneurs en bâtiment) avaient maintenant… entrepris avec orgueil d’affirmer un style architectural propre à satisfaire à la fois la fierté locale et les appétits touristiques d’exotisme méditerranéen » [6]. Quand les édiles agissent avec leurs conseillers, urbanistes ou ingénieurs, avec orgueil et fierté locale, c’est bien que la ville est perçue comme un enjeu fondamental.
II. L’urbanisme est sous-estimé
14Il existe deux manières (au moins) d’asphyxier une législation d’urbanisme : en faire trop ou trop peu.
15En faire trop est dénoncé depuis toujours [7]. Et pourquoi ne pas admettre la prise en compte de certaines traditions locales [8] ? Comme si le PLU devait camper dans toute sa raideur conceptuelle ? Pour certains professionnels, le droit, tel qu’il est pratiqué, est le « talon d’Achille de l’urbanisme » [9].
16En faire trop peu consiste, à coup de souplesses, de dérogations, d’allégements de normes, à privilégier envers et contre tous les chantiers de construction et d’équipements.
Gaspillage
17Chacun, comme l’écrivain Houllebecq, ressent le vide d’un rond point qui ne sert à rien et ne témoigne que de la folie urbanistique productiviste : « en direction du sud le village se terminait par le rond-point Emmanuel Kant, une création urbanistique pure, d’une grande sobriété esthétique, un simple cercle de macadam d’un gris parfait qui ne conduisait à rien, aux alentours duquel n’avait été bâtie aucune maison ». Le pays dispose d’un certain nombre de « ronds-points » ou d’autres installations aussi inutiles ou, si elles pourraient être utiles, mal entretenues.
18Ces gaspillages sont renforcés par le déclin des grandes politiques de réserves foncières. Le détournement subversif de l’acronyme ZAD, « zone à défendre » au lieu de « zone d’aménagement différé », s’impose progressivement. La loi du 18 janvier 2013 sur la mobilisation du foncier public et le logement social ne suffit pas à relancer les politiques foncières. La jeune pensée économique et urbaine peut nous aider à retrouver les fondamentaux en ce domaine [10].
Déséquilibre
19L’équilibre installé après les lois de décentralisation n’existe plus. Liberté pour les communes et leurs groupements, mais disparition programmée du contrôle de légalité. Le recentrage annoncé de ce contrôle sur les plus importantes décisions marque le renoncement de fait à l’exigence de la loi dans maintes autorisations d’urbanisme dont la somme construit et déconstruit le paysage à bas bruit.
20Au fond, les dispositions de protection sont progressivement édulcorées comme la loi Montagne [11].
Non effectivité
21Balzac, encore, épingle dans César Biroteau les règlements d’urbanisme qui ne sont pas respectés, tels ces « chenaux où il cultivait des fleurs nonobstant les ordonnances de police relatives aux jardins suspendus de la moderne Babylone ».
22Cette non effectivité peut être implicitement ou explicitement soutenue par le libéralisme qui renonce à vouloir se servir de la machine réglementaire. Tocqueville dans l’Ancien régime et la révolution, souligne : « ces princes concentraient de plus en plus dans Paris ou à ses portes toute la vie publique de la France et ils voulaient que Paris restât petit. On défend de bâtir de nouvelles maisons, ou l’on oblige de ne les bâtir que de la manière la plus coûteuse et dans les lieux peu attrayants qu’on indique à l’avance. Chacune de ces ordonnances constate, il est vrai, que malgré les précédentes, Paris n’a cessé de s’étendre. Six fois pendant son règne, Louis XIV en sa toute puissance, tente d’arrêter Paris et y échoue : la ville grandit sans cesse, en dépit des édits » [12].
Poids de la défense de la propriété
23L’article 544 du Code civil est constitutionnel [13]. Mais les modalités des cessions gratuites de terrains à l’occasion d’autorisations de construire ne le sont pas [14], alors qu’elles étaient l’une des techniques efficaces de la loi d’orientation foncière de 1967.
24L’atteinte à la propriété sanctionnée dans le contentieux QPC ralentit et inquiète le maniement des prérogatives. Le vieil article L 160-5 sur la non indemnisation des servitudes résiste encore après le compromis historique trouvé avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales [15]. Et le Conseil constitutionnel contrôle la législation de l’urbanisme, qu’il la valide [16], ou qu’il la censure [17].
Démantèlement juridique
25Le 15 juin 2009, Les Echos titraient : « Nicolas Sarkozy poursuit à marche forcée l’allègement des règles d’urbanisme ». Le 29 juin 2016, le Sénat présente son rapport n° 720 « Droit de l’urbanisme et de la construction : l’urgence de simplifier ».
26Il faut méditer le livre VI du Code de l’urbanisme et ses articles limitatifs du contentieux. L’article L 600-1 était ainsi présenté comme « limitant les effets potentiellement dévastateurs du mécanisme de l’exception d’illégalité à l’encontre des documents d’urbanisme ».
27Se sont ainsi succédées la loi d’habilitation du 1er juillet 2013, l’ordonnance du 18 juillet 2013, le décret n° 2103-879 du 3 octobre 2013 relatif au contentieux de l’urbanisme, la loi ELAN du 23 novembre 2018 (évolution du logement, de l’aménagement et du numérique). Tout a été tenté pour réduire le contentieux de l’urbanisme, de nouvelles exigences pour la recevabilité des recours associatifs [18] (L 600-1-1) et pour l’intérêt pour agir [19] (L 600-1-2), la limitation des moyens utiles (L 600-1), l’inopérance du moyen contre un PLU tiré de l’illégalité de la délibération prescrivant le plan [20], la cristallisation des dispositions applicables en cas d’annulation de refus de permis de construire [21] (L 600-2), le dépassement des moyens de légalité externe [22], la réduction du délai pour assortir une demande d’annulation d’un permis de construire d’une demande de suspension [23] (L 600-3), la réduction de l’intérêt pour agir, les régularisations [24] y compris avec sursis à statuer (L 600-9) [25] et la possibilité de régulariser en appel après avoir écarté les autres moyens [26] ou, encore, la possibilité d’annulation partielle (L 600-5) [27], la réduction du délai de traitement des recours dans les zones où le marché du logement est tendu [28] (L 811-1-1 du CJA). Et l’article L 600-7 facilite les dommages et intérêts aux constructeurs victimes de recours abusifs [29]. Enfin, l’article L 600-11 évite les annulations du seul fait des vices entachant la concertation… comme si celle-ci n’était pas au centre du processus.
28Cette concentration de barrières pour tenter d’obtenir un jugement, si elle était généralisée à toutes les matières, et non seulement à l’urbanisme, priverait le juge administratif d’une large partie de ses fonctions.
29Après un temps d’hésitation, les revues juridiques marquent les excès de cette déconstruction du contentieux de l’urbanisme [30]. Le décret n°2018-617 du 17 juillet 2018 portant modification des codes de la justice administrative et de l’urbanisme, comme la loi ELAN, témoignent de la priorité accordée à la sécurité du constructeur contre le droit au juge [31]. Les effets en sont clairs et commentés à l’AJDA du 8 avril 2019 (p.752) « le médecin malgré lui : le juge de l’excès de pouvoir au chevet des autorisations d’urbanisme » [32].
30Le professeur F. Bouyssou a raison de souligner l’éventuelle opposition entre « Procès d’urbanisme ou procès équitable ? » [33].
31Et pourtant, tout n’est pas perdu.
III. L’urbanisme sera l’une des grandes questions du siècle
32Pour être fiers de nos villes, nous devons prouver une pratique du droit de l’urbanisme efficace [34] et conciliant respect de la création et des initiatives et nécessaire projet collectif. En ce sens, le juge administratif continue à censurer les plans locaux d’urbanisme qui se lancent dans une réglementation détaillée des logements selon leur taille en imposant plusieurs types de logements et fixant les proportions à respecter pour chacun de ces types [35].
33Le droit de l’urbanisme est un droit sans complexe qui sait s’adapter. Plusieurs réécritures, que nous appelions de nos vœux en 1992 [36], ont été faites : qu’il s’agisse de la stabilisation du contentieux, on l’a vu, menée au-delà de ce qui était nécessaire, de la réduction de l’arbitraire des anciennes applications anticipées de plans, l’arbitraire des préemptions. Le quatrième point sur l’effectivité du droit et les sanctions reste plus compliqué. Mais le droit de l’urbanisme vit et prouve tous les jours son utilité tant par ce qu’il empêche que par ce qu’il promeut et sécurise.
34Et le juge administratif admet que « pour des motifs d’intérêt général » des différenciations et de mesures d’incitation puissent contribuer à modeler la ville future [37].
35La Cour européenne des droits de l’homme affirme que « l’objet de la réglementation d’urbanisme est d’assurer, à travers le contrôle des constructions et travaux réalisés à proximité, un environnement de qualité aux éléments du patrimoine national protégés » [38]. Le Conseil constitutionnel fait de même en admettant, par exemple, les procédures de modifications unilatérales par l’administration, au nom de l’intérêt général, des documents d’urbanisme des lotissements [39].
Sur les opérations
36Peut-on maîtriser par le règlement la vie d’une ville, son empilement de maisons dans le désordre ? Ce que Balzac abhorrait dans Ferragus, « les cabajoutis… ni les étages ni les fenêtres ne sont ensemble, pour emprunter à la peinture un de ses termes les plus pittoresques tout y jure, même les ornements extérieurs. Le cabajoutis est à l’architecture parisienne ce que le capharnaum est à l’appartement, un vrai fouillis où l’on a jeté pêle-mêle les choses les plus discordantes ».
37L’heure est venue de retrouver le moteur d’un minimum d’ordre urbain. Ne serait-ce que parce qu’avec les Allemands, il faut constater que la planification défectueuse accroit les coûts du logement [40].
38Le frémissement de la reconquête se fait sentir avec des politiques nationales : aux articles L 102-1 et suivants, l’on apprend qu’existent des « objectifs de l’État », ce qui est une bonne nouvelle et une réaffirmation utile. Les directives territoriales lancées par le ministre d’Ornano dès avant la décentralisation continuent : des décrets du 10 et 17 juillet 2016 approuvent deux nouvelles directives pour la Normandie et les Pays de Loire. L’État promeut l’action Cœur de ville pour 222 villes de métropole et d’outre-mer, lancée en 2017 avec ses ORT (opérations de revitalisation du territoire). L’action soutient les « sites patrimoniaux remarquables » qui ont succédé aux secteurs sauvegardés et jouent leur rôle très utile. L’action est étendue aux 25 quartiers du programme de requalification des quartiers anciens (PNRQAD) et à une cinquantaine des 480 quartiers du nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) de la politique de la ville. C’est ainsi un renouveau des politiques nationales d’urbanisme sur les villes et quartiers qui en ont le plus besoin [41].
39Le frémissement s’appuie aussi sur le juge qui, tant bien que mal, s’efforce de jouer son rôle de gardien des concepts. Les dispositions de la loi Littoral peuvent faire obstacle à ce qu’une maison isolée soit considérée comme « en continuité avec les agglomérations et villages existants » [42]. Et surtout l’annulation d’un refus de permis de construire permet désormais au juge d’enjoindre de délivrer ledit permis [43].
40Le juge pousse l’audace jusqu’à oser poser certaines limites au mécanisme mentionné ci-dessus de l’article L 600-1 restreignant l’exception d’illégalité à l’encontre des documents d’urbanisme [44]. Il veille aussi à la rédaction de procés verbaux en cas d’infractions [45].
L’idée d’urbanisme maîtrisé recevra demain le soutien de cinq alliés de poids :
• En premier lieu, l’écologie :
41Un certain affolement règne avec la prise de conscience de l’artificialisation des sols incontrôlée dans notre pays. Les plans d’urbanisme doivent tenir compte des cheminements des inondations et des mutations du climat. C’est le moment de lire et relire les grands urbanistes [46].
42L’exigence « d’évaluation environnementale » est posée dès les premiers articles du code (L 104-1 et suiv.). Les lois Grenelle du 3 août 2009 et Grenelle 2 du 12 juillet 2010 « renforcent les exigences de développement durable dans le droit de l’urbanisme, en prévoyant de « grenelliser » les documents locaux de planification [47] ». L’inscription, par la loi de finances du 29 décembre 2010, du « versement pour sous densité » (art. L 331-35 et suiv) permet aux communes et à leurs groupements de mieux lutter contre l’étalement urbain. Il se situait utilement dans la ligne du Grenelle de l’environnement et utilisait les travaux du GRIDAUH. Et les politiques « d’aménagement et de protection » de la montagne et du littoral continuent. Même encadrées par trop d’articles (L 121-1 à L 122-27). Le trop grand nombre d’articles est un signal d’incertitude car il révèle trop de complications, d’exception, de différenciations et trop de contournement d’un cap clair et net.
43Déjà, la loi SRU (solidarité et renouvellement urbain) du 13 décembre 2000 avait orienté l’urbanisme vers la prise en compte de l’impératif écologique avec le PADD (projet d’aménagement et de développement durable).
• En deuxième lieu, le coût de la vie :
44La désorganisation urbaine reporte sur les plus faibles les coûts de la vie : essence et transports, fatigue y compris pour les enfants éloignés de leur école. La ville doit être plus économe pour répartir les coûts de son fonctionnement de manière juste et supportable.
45Le partage du fardeau des équipements est plus nécessaire que jamais et la « convention de projet urbain partenarial » de l’article L 332-11-3 du Code de l’urbanisme doit être utilisée à condition de fixer ces participations non en fonction de la superficie du terrain, mais en fonction de la nature et de l’importance des constructions.
46Il faut souhaiter enfin que le secteur bancaire retrouve l’ambition de mettre ses techniques financières au service de la qualité de l’urbanisme.
• En troisième lieu, la sécurité :
47Ce n’est plus le temps de Haussmann et de ses avenues pour la manœuvre de l’armée en maraude de maintien de l’ordre. Mais la ville recèle, comme à toutes les époques, des marges et des groupes hostiles à son existence même.
48Depuis longtemps le Code de l’urbanisme a introduit les études de sécurité publique au cœur de la production des documents d’urbanisme (actuellement art. L. 114-1 et suiv.). Elles ne sont pas communicables (art. L 114-3) au sens du Code des relations entre le public et l’administration…
49La ville, c'est-à-dire ses élus et ses gestionnaires, entendent mettre sous contrôles les soubresauts de la population. A Paris comme ailleurs, des milliers de caméras observent les points névralgiques, et bientôt balaieront de leurs faisceaux l’ensemble des espaces publics avant même que soit admise la « reconnaissance faciale ». Les gardes privées vont se multiplier encore plus qu’aujourd’hui, secondées par des contrôles et des cartes magnétiques. Qui saurait assurer que demain l’espace public ne sera pas compartimenté en fonction des « statuts » des populations et des individus ? Tout le monde n’aura plus accès à n’importe quelle voie ou n’importe quel espace…
50Pour prévenir de telles évolutions, il convient donc de penser la sécurité de la ville de manière ouverte et inclusive, de manière à confondre les délinquants, mais sans soumettre la masse de la population à une surveillance importune.
• En quatrième lieu, l’évolution des technologies ouvre le chapitre de la ville connectée :
51Les consommations d’énergie seront strictement proportionnées, l’éclairage sera limité aux mouvements décelés, les arrosages seront strictement mesurés, les usages et de voirie seront mesurés régulièrement et la température dans les bâtiments modulée par des capteurs extérieurs. L’ubérisation de l’hébergement ou des transports modifie la conception du zonage traditionnel.
52Le droit de l’urbanisme devra tenir compte de ces nouvelles possibilités.
• En cinquième lieu, la réinvention de la vie collective :
53Les « gilets jaunes » ont rendu tangible ce que chacun savait depuis longtemps : il est temps de « mettre en œuvre une politique permettant à chacun de jouir d’un droit à la ville », selon les termes de l’urbaniste Stéphane Leclerc [48].
54Les nouveaux modes de transport, les réseaux sociaux, les commerces en ligne et les télé-distractions n’impliquent plus autant de places et de stades que par le passé. L’espace peut être réorganisé pour mixer les usages et redécouvrir une mixité sociale urbaine d’échanges et non de confrontation.
55Cette réinvention de la vie collective passe par une nouvelle cohésion des territoires et il est bon de voir mentionné les plans locaux d’urbanisme « intercommunaux » (L 131-8).
56* * *
57Nous rêvons que la ville ne soit plus cette « versatilité pétrifiée » que décrit Robert Musil. Les lois se succèdent pour favoriser « la liberté de création [49] ». A cet effet, nous avons besoin d’un droit de l’urbanisme juste, clair et exigeant, seulement quand il le faut, suscitant autant qu’encadrant.
58Le droit de l’urbanisme est plus indispensable que jamais parce que nos sociétés ne peuvent se passer ni de droit ni d’urbanisme. A condition de les élaborer en prenant le temps et les moyens des études, de l’explication et de l’évaluation.
59Au service de l’imagination du futur.
Notes
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[1]
Les premiers mots d’Ursule Mirouet. La comédie humaine.
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[2]
Exposition historique à la BNF en 2002. Préface de J.-N. Jeanneney.
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[3]
CE 11 juin 1999 commune de St Michel, n° 171200.
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[4]
CE 24 avril 2019 Mme Dumas, n° 403442.
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[5]
CE 2 octobre 2019, n°420808.
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[6]
Claude Simon, Le tramway, Les éditions de minuit, 2001, p. 109.
-
[7]
Voir le rapport du GRIDAUH de juillet 2011 « La règle locale d’urbanisme en question » et les références citées.
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[8]
CE 11 juillet 2011 commune de Neugartheim-Ittlenheim, n° 344871, BJDU 4/2011 p.309, concl. Maud Vialettes.
-
[9]
Richard Trapitzine, Pour un urbanisme humaniste, L’Harmattan 2018.
-
[10]
Robin Rivaton, La ville pour tous. Repenser la propriétré privée, L’Observatoire, 2019. L’auteur défend une thèse de Droite moderniste.
-
[11]
CE 2 octobre 2019, Association la Clave, n° 418666.
-
[12]
Livre 2, Chapitre 7.
-
[13]
CC 30 septembre 2011, n° 2011-169 QPC.
-
[14]
CC 7 octobre 2011 n° 2011-176 QPC.
-
[15]
CE 3 juillet 1998, Bitouzet, n° 158592 et, dans la même ligne, CE 27 juin 2007 M. Mieille, n° 280693.
-
[16]
CC 7 octobre 2011, n° 2011-177 QPC : sur la définition du lotissement pour la loi de 1943.
-
[17]
CC 7 octobre 2011 n° 2011-176 QPC : à propos des cessions gratuites de terrains, pourtant prévues depuis la loi d’orientation foncière du 30 décembre 1967.
-
[18]
CE 29 mars 2017 association Garches est à vous, n° 395419.
-
[19]
CE 26 avril 2017 syndicat des copropriétaires de la résidence Clairefontaine, n° 400625 après CE 13 avril 2016 M. Bartolomei n° 389798 BJCL 4/16, concl. R. Decout-Paolini.
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[20]
CE. S. 5 mai 2017 commune de St Bon-Tarantaise, Rec. p. 150.
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[21]
CE 25 mai 2018 préfet des Yvelines, n° 417350.
-
[22]
CE 17 juillet 2013 société française du radiotéléphone, n° 350380.
-
[23]
CE 25 septembre 2019, n° 42968, dans la rédaction du L 600-3 issu de la loi du 23 novembre 2018.
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[24]
CE 4 octobre 2013, n° 358401 et CE 6 avril 2018 association NARTECS, n° 402714.
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[25]
CE 29 juin 2018 commune de Sempy n° 395963 et S. 22 décembre 2017, Rec. p. 380.
-
[26]
CE 22 février 2018 SAS Udicité, n° 389518.
-
[27]
CE 15 octobre 2014 SCI des Fins et commune d’Annecy, n° 359175.
-
[28]
CE 20 mars 2017 Mme Driassa, n° 401463. V. Francis Polizzi « La mise en place d’un délai de jugement des recours contre certains permis est elle réaliste et efficace ? », AJDA 2018, p. 1718.
-
[29]
CE 16 octobre 2017 OPH d’Avignon, n° 396494.
-
[30]
AJDA 24 juin 2019 22/2019 nécessité d’un nouvel article L. 600-12-1 du code ?
La décision de construire devient bien protégée… et voir AJDA 27 mai 2019, p. 1086 sur l’excès de régularisation par rapport à la légalité. Aussi, Jean-Marc Février « Le droit au juge à l’épreuve de l’évolution du contentieux de l’urbanisme » JCP n° 25 24 juin 2019. Et Laurent Marcovici, « Principe de légalité, nouvel équilibre ou déséquilibre assumé ? », AJDA 25 février 2019, p. 361. -
[31]
Editorial AJDA du 24 juin 2019, p. 1249 « Nécessaire le nouvel article L 600-12-1 du code de l’urbanisme ? » par Camille Mialot.
-
[32]
CE 15 février 2019 n°401384 commune de Cogolin, RFDA juillet 2019, p. 543, concl. Louis Dutheillet de Lamothe.
-
[33]
Editorial à l’AJDA du 13 mai 2019, p. 961.
-
[34]
Notamment dans l’effectivité des sanctions pénales : Ph. Bonfils « Le droit pénal de l’urbanisme risques et opportunités », BJDU 2/2007.
-
[35]
CE 30 mars 2018 commune des Sables d’Olonne, n° 411122.
-
[36]
Christian Vigouroux, « La loi et l’urbanisme », Etudes foncières, décembre 1992.
-
[37]
CE 28 juillet 2011 société au verger de Provence, n° 349382.
-
[38]
CEDH 7 juin 2011 EHRMANN, n° 2777/10.
-
[39]
CC n°2018-740 QPC du 19 octobre 2018 sur renvoi du Conseil d’Etat : constitutionnalité de l’article L 442-10 du Code de l’urbanisme.
-
[40]
« Auch schlechte Planung treibt die Baukosten », Frankfurter Allgemeine Zeitung 7 octobre 2016.
-
[41]
CE 27 juillet 2009 commune de Villeneuve les Bézier, s n° 292947 : à propos de ce qui était alors le « programme d’aménagement d’ensemble ».
-
[42]
CE 27 juillet 2009 commune de Bono, n° 306946.
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[43]
CE avis 25 mai 2018 n° 417350, AJDA 23 juillet 2018, p. 1506, note Michel Richard.
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[44]
CE 10 octobre 2011 commune de Ramatuelle, n°329623.
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[45]
CE 23 septembre 2019, n° 424270.
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[46]
V. Colette Pétonnet (1929-2012), Variations sur la ville, CNRS édition, 2018.
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[47]
Jacqueline Morand-Deviller, Droit de l’urbanisme, 10e éd., Dalloz, 2018.
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[48]
Le Monde du 3 janvier 2019.
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[49]
Loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine. Elle crée les SPR (sites patrimoniaux remarquables) et remplace les 500 m aux abords des monuments historiques par une décision ad hoc.