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Article de revue

Une invention du droit de l’urbanisme : l’expérience du G.U.R.D.U.A de l’Université de Nantes

Pages 69 à 91

Notes

  • [1]
    Groupe Universitaire de Recherche en Droit de l’Urbanisme et de l’Aménagement.
  • [2]
    Cet article constitue la version écrite et augmentée d’une communication prononcée le 11 mai 2011 aux soirées du droit public sous le titre « L’Ecole de Nantes ou l’invention du droit de l’urbanisme », elle doit beaucoup aux entretiens menés en 2010-2011 par l’auteur avec d’anciens membres du GURDUA, F. d’Arcy, J.-Cl Hélin, Y. Jegouzo, J. Morand-Deviller ; Y. Pittard ainsi qu’avec R. Savy.
  • [3]
    Y. Tanguy, préface à La norme, la ville, la mer, écrits de Nantes pour le doyen Yves Prats, éd. de la Maison des sciences de l’homme, 2000, p. 9 et s., spec. p. 17.
  • [4]
    A.-H. Mesnard, GURDUA 1970-1980, « Bilan institutionnel de dix années de recherches urbaines de jeunes juristes enseignants et chercheurs », in Mélanges Yves Prats, p. 223 et s. spec, p. 232.
  • [5]
    Pour un historique administratif et juridique de cette opération, v. G. Cazes, « Réflexions sur l’aménagement touristique du littoral Languedoc Roussillon », L’espace géographique, 1972, n° 3, p. 193
  • [6]
    Pour la compréhension de la construction textuelle du droit de l’urbanisme de cette époque, il faut avoir recours au précieux recueil de textes commentés (législatifs réglementaires circulaires et modèles) publié par les éditions du Moniteur en 1975 : Les « Z », zones d’aménagement – urbanisme réglementaire et opérationnel, 2e éd. 1975.
  • [7]
    L. Sfez, L’administration prospective, Armand Collin, coll. U, 1970.
  • [8]
    P. 162 et s. « les procédés juridiques nouveaux ».
  • [9]
    Pour une vision globale de l’état du droit à cette période on se reportera à l’ouvrage d’un des membres du GURDUA, A.-H. Mesnard, La planification urbaine, dossiers Thémis, PUF 1972 qui, bien que se présentant comme un recueil de textes est en réalité une riche et profonde analyse du droit applicable.
  • [10]
    L. Jacquignon, Le droit de l’urbanisme, Cités actuelles et villes nouvelles, 5e ed. 1975, p. 277.
  • [11]
    F. d’Arcy et Y. Prats, « La notion de concertation dans la LOF et dans son application », AJDA 1969, p. 336
  • [12]
    V. not. M. Sellier, « Les groupes d’action municipale », Sociologie du travail 1977, p. 41.
  • [13]
    V. not le rapport publié par les membres fondateurs du GURDUA, Les juristes et la ville, CERAT 1973, ch. 1 « la participation des administrés », p. 21 et s.
  • [14]
    M. A. Latournerie, « Réflexion sur l’évolution récente du permis de construire », EDCE 1970 n° 23, p. 54.
  • [15]
    La portée sociale du contentieux de l’urbanisme, le rôle du juge et ses limites, GURDUA 1975.
  • [16]
    C’est notamment le cas d’Y. Jegouzo et d’Y Pittard.
  • [17]
    M. Pinçon, « La dérogation comme phénomène idéologique », Espaces et société 1977 n° 20-21, p. 67.
  • [18]
    CE, 2 février 1972, Demoiselle Deman, p. 108.
  • [19]
    J.-Cl. Hélin, Y. Jegouzo, A.-H. Mesnard, Y. Tanguy et alii, La portée sociale du contentieux de l’urbanisme, le rôle du juge et de ses limites, Min. de l’équipement, GURDUA 1975.
  • [20]
    CE Ass. 18 juillet 1973 Ville de Limoges, AJDA 1973, p. 481, chr. Labetoulle et Cabanes ; RDP 1974, p. 259, note M. Waline.
  • [21]
    Actes du colloque de Grenoble, p. 49 et s.
  • [22]
    Dont on peut avoir une idée du contenu au travers de son Droit de la Construction (LITEC, 1970) qui en constitue le regroupement en volume.
  • [23]
    L. Jacquignon, Le droit de l’urbanisme, Eyrolles 1965 ; P. Rossillon, Les plans d’urbanisme, Berger Levrault 1963.
  • [24]
    F. d’Arcy et Y. Prats, « La notion de concertation dans la LOF et dans son application », AJDA 1969, p. 336. Au cours de l’entretien qu’il nous accordé, F. d’Arcy a indiqué que cet article leur avait été commandé par le Directeur de l’AJDA, A. de Laubadère, qui était un de seuls professeurs de droit public intéressé par cette matière.
  • [25]
    Pour une bibliographie complète sur le droit de l’urbanisme durant cette période, la meilleure source est l’ouvrage de Y. Jegouzo et Y. Pittard, Le droit de l’urbanisme, Masson, 1980 qui recense aussi bien les ouvrages et travaux théoriques que les ouvrages pratiques, ceux ayant une composante pluridisciplinaire et ceux édités en dehors des circuits d’édition traditionnels (ce qui est le cas pour les études du GURDUA). On peut le compléter pour ce qui concerne les références des notes d’arrêts par la 2e éd. des Grands arrêts du droit de l’urbanisme, Sirey, 1979.
  • [26]
    Op. cit., p.140.
  • [27]
    Les juristes et la ville, op. cit. p. 1.
  • [28]
    Y. Prats.
  • [29]
    A.-H. Mesnard.
  • [30]
    F. d’Arcy.
  • [31]
    Y. Tanguy, « Préface » aux Mélanges Y. Prats, op. cit. p. 18.
  • [32]
    Ibidem, p. 22 et s.
  • [33]
    L’expropriation en question, ATP n° 12, CNRS, 1977
  • [34]
    PUF, 1971.
  • [35]
    F. Bouyssou, La fiscalité de l’urbanisme en droit français, LGDJ, 1972.
  • [36]
    Op. cit. loc. cit.
  • [37]
    V. par ex. l’étude de M. Pinçon précitée sur la contestation de l’urbanisme dérogatoire.
  • [38]
    Colloques de Meyrargues, Pratiques locales du droit de l’urbanisme ; éd. du Centre de recherches d’urbanisme, 1980.
  • [39]
    N° cité, p. 4
  • [40]
    Op. cit, p. 3
  • [41]
    Qui est demeuré dans cette faculté jusqu’en 1956.
  • [42]
    Les juristes et la ville, op. cit., p. 6.
  • [43]
    Ibidem, p. 9.
  • [44]
    Pour ne pas être caricatural on y ajoutera le bel article d’Alexis Spire et Katia Weidenfeld, « Le Tribunal administratif, une affaire d’initiés ? Les inégalités d’accès à la justice et la distribution du capital procédural », Droit et Sociétés, 79/2011, pp. 689-71.
  • [45]
    V. nos travaux « Réformer le contentieux de l’urbanisme, pour quoi faire ? », DAUH 2019, p. 25.
  • [46]
    V. not, reprenant après quelques années les données de l’étude La portée sociale du contentieux de l’urbanisme (GURDUA 1975), J.-Cl. Hélin, « Les modes d’approche du contentieux de l’urbanisme », Annales de la recherche urbaine, n° précité, p. 19 et s.
  • [47]
    Le règlement des conflits en matière d’urbanisme, Paris, LGDJ, bibl. de science administrative,1979.
  • [48]
    Prec.
  • [49]
    Pratiques locales de l’urbanisme, prec. ; v. spec. l’intervention de M. Burdeau, p. 15 et s.
  • [50]
    Les juristes et la ville, op. cit., p. 115 et s. Compte rendu de deux rencontres organisées à Royaumont en 1971 et 1972. Dans les entretiens que nous avons réalisés, ces deux colloques demeurent parmi les beaux plus souvenirs des membres du GURDUA.
  • [51]
    V. si après la bibliographie complète.

1Créé sous la forme d’une association en 1973 [3] et « mis en sommeil » en 1980 [4] le « Groupe Universitaire de Recherche en Droit de l’Urbanisme et de l’Aménagement » eut une existence institutionnelle assez brève. Les recherches collectives menées par ses membres et fondateurs, commencées quelques années avant cette institutionnalisation, vers 1968 et achevées quelques années plus tard enferment l’expérience de ce groupe dans une durée d’une douzaine d’années, durée somme toute restreinte si on la compare à d’autres expériences de centres de recherches universitaires juridiques nés à la même époque. Malgré ce temps bref, le GURDUA a constitué le laboratoire où s’est construite la plus originale, et de notre point de vue la plus riche, des propositions de recherche universitaire en droit de l’urbanisme.

2C’est de cette expérience dont nous voudrions rendre compte dans les développements qui suivent. Pour entreprendre cette étude, il est nécessaire de poser une question liminaire : où en est le droit de l’urbanisme en 1968, date à laquelle débute cette aventure.

I. Où en est le droit de l’urbanisme en 1968 ?

3Pour poser la question de la situation du droit de l’urbanisme, il faut d’abord poser celle de l’urbanisme en général. De ce point de vue, 1968 est une année charnière.

4Elle marque tout d’abord l’arrivée à son terme du programme des « zones à urbaniser en priorité » (ZUP) créées par un décret du 31 décembre 1958. Celui-ci est abrogé par la loi d’orientation foncière du 30 décembre 1967 dont il sera question plus loin et marque ainsi la fin du mouvement qui aura permis de construire plus de 2 millions de logements en dix années.

5Elle marque ensuite l’arrivée à maturité des grands projets d’aménagements régionaux ou sectoriels et notamment ceux menés sous l’égide de la DATAR initiée au début des années 1960, tel que celui mené par la Mission interministérielle d'aménagement touristique du littoral du Languedoc-Roussillon qui aboutit à l’expropriation de dizaines de milliers d’hectares et à la création des grandes stations balnéaires de la côte Méditerranéenne dont la commercialisation commence en 1968 [5], ou le « plan neige » des stations de sport d’hiver lancé en 1964 et qui lui aussi voit ses premières réalisations émerger après 1965. On peut y ajouter également le quartier de la Défense dont les premières tours sortent de terre en 1966-1967.

6Et surtout elle marque la mise en place d’une troisième étape : un programme d’aménagements encore plus ambitieux, celui des « Villes nouvelles ». C’est en effet en 1968 que sont créées les premières « missions d’aménagement » à Lille-Est, à Cergy au Vaudreuil, à L’isle Dabeau, qui préfigurent les Etablissements publics d’aménagement dont le statut sera fixé par la loi Boscher du 10 juillet 1970.

7Ce mouvement d’équipement absolument considérable et l’expérience acquise des instruments juridiques, plus ou moins adaptés, conduit à des mouvements importants dont le droit est loin d’être absent et, en particulier, le vote et l’entrée en vigueur de la célèbre loi d’orientation foncière du 30 décembre 1967 instituant l’articulation générale du droit de l’urbanisme contemporain. A la vérité, cette entrée en vigueur ne fut que progressive, les décrets d’application prenant du retard et des modifications lui étant rapidement apportées [6]. Mais précisément, la question de la manière dont doivent être rédigés et mis en œuvre la nouvelle génération des documents d’urbanisme suscite d’intenses réflexions dans les milieux administratifs, urbanistiques mais aussi juridiques.

8Mais il ne faut pas s’en tenir à cette approche phénoménologique : ces opérations d’aménagement, ces évolutions textuelles, traduisent (ou conduisent à) des évolutions plus profondes dont elles sont à la fois causes et conséquences.

9Ces évolutions se manifestent notamment dans le champ du social avec la contestation de l’autorité de l’État pour mener à bien ces projets, dans le champ intellectuel avec l’émergence de concepts nouveaux tels que celui d’écologie ou de ruralité : tous thèmes qui seront bien évidemment au cœur de la contestation de mai-juin 1968. Pour ce qui nous concerne, nous nous concentrerons sur les aspects juridiques et administratifs de ces évolutions car elles sont à l’origine de l’intuition et du projet du GURDUA.

A. L’émergence d’un droit complexe et coproduit

10La Loi d’orientation foncière de 1967 est le produit de l’expérience engrangée du fait de l’ensemble des opérations d’aménagement réalisées ou en cours de réalisation que l’on a rappelé, mais également de la volonté de remédier aux insuffisances manifestes des plans d’urbanisme directeurs et des plans de secteurs et, précisément, de mieux intégrer les opérations d’aménagement dans une planification urbaine à la fois stratégique et réglementaire. La création des « schémas directeurs d’aménagement et d’urbanisme » et des « plans d’occupation des sols » répond en particulier à ces objectifs.

11La réflexion sur le contenu, les objectifs et plus encore les techniques de normativité de ces documents va participer à l’émergence d’un droit complexe : normativité de documents graphiques, normes « floues », normes « directives », normes « prévisionnelles » en sont autant de caractérisations. De ce point de vue, le droit de l’urbanisme avec l’émergence de ces techniques « planistes » se situe à l’avant-garde des réflexions qui animent le droit administratif général. Le remarquable ouvrage de Lucien Sfez paru en 1970 « l’administration prospective » [7] en souligne toutes les conséquences [8] : essor de la contractualisation, réduction corrélative de l’impérativité de l’acte unilatéral, émergence de normes prévisionnelles, de la « quasi réglementation », nécessité de la concertation et de la participation du public pour rendre la norme acceptable etc.

12La complexité de ce droit va aussi être générée par la mise en place d’un certain nombre d’outils de ce qui apparaissent alors comme la rationalisation de la génération antérieure des documents d’urbanisme : la hiérarchisation « souple » entre les documents stratégiques (les SDAU) et les documents réglementaires (les POS), sous le signe du rapport de compatibilité entre ces normes, les techniques « d’application anticipée » pour éviter la spéculation foncière et les projets opportunistes, ou encore l’articulation entre les règles ordinaires et celles liées à un projet d’aménagement (les Plans d’aménagement de zones des ZAC). On voit alors émerger un ensemble de questions, aussi bien dans les règlements d’application de la loi LOF que dans les circulaires administratives et un peu plus tard dans la jurisprudence sur les manières de mettre en œuvre ces nouveaux outils qui mettent en évidence cette complexité.

13Une autre évolution majeure tient à ce que le droit de l’urbanisme prend à la fin des années 60 un tournant essentiel lié au fait que l’urbanisme n’a plus vocation à être aussi dominé par l’État qu’il l’était auparavant : on sait que les grandes opérations d’aménagement dont on a parlé plus haut avaient été pour l’essentiel l’œuvre de l’État et des « architectes urbanistes » qu’il désignait. Désormais, l’objectif affiché est celui d’une « coproduction ». Cette coproduction s’opère d’abord entre l’État et les collectivités locales avec l’émergence de procédures de « concertation » voire de « codécision » [9]. Elle s’opère ensuite avec les « urbanistes » grâce à la possibilité ouverte par la loi LOF de créer des « agences d’urbanisme » codirigées par l’État et les collectivités locales.

14L’ensemble de ces mouvements conduit à la montée en puissance des acteurs locaux et à la mise en place d’un droit de l’urbanisme plus ouvert sur des enjeux sociologiques et de politiques publiques locales, ce que certains auteurs de l’époque appellent un « droit global » ou un « urbanisme humaniste », selon l’expression de Louis Jacquignon [10].

15Cette coproduction va-t-elle jusqu’à admettre la participation du public ? La LOF l’admet très timidement et surtout au profit des promoteurs ou des propriétaires [11]. L’idée d’une participation plus générale du public est pourtant déjà dans les esprits. Rappelons notamment l’apparition des « Groupes d’action municipale », dont les premiers, sont nés à Grenoble et ont déjà pris part avec succès aux élections municipales de 1965 [12]. En 1968 ils essayent de se constituer en mouvement national dont le but principal est de militer pour des formes renouvelées de gestion urbaine laissant une plus large place à la participation des citoyens, tout particulièrement dans le domaine de l’urbanisme et du « cadre de vie ». On voit également apparaître des initiatives modestes et localisées de « comités de quartier » ou de « commissions extramunicipales » [13]. Mais globalement ces initiatives restent limitées et leur incorporation dans les procédures juridiques pratiquement inexistante. Peut-être est-ce la raison pour laquelle la fin des années 1960 voit l’émergence d’un nouveau phénomène : la conflictualité du droit de l’urbanisme.

B. L’émergence de la conflictualité de l’urbanisme

16Dans une étude publiée en 1970 sur l’évolution du permis de construire [14], M.-A. Latournerie fournissait un certain nombre de données statistiques sur le contentieux de l’urbanisme laissant apparaître une faible conflictualité : 2000 recours gracieux pour 262.000 permis accordés en 1968, 950 recours contentieux en 1e instance et 100 appels au Conseil d’État. Et l’auteure, sur la base de données parcellaires collectées pour les années suivantes, indiquait ce qui lui semblait être une baisse de ce nombre de recours. Elle allait cependant être démentie, comme le montrera une des plus importantes études du GURDUA publiée en 1975 [15] sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir car cette période marque au contraire la montée en puissance du contentieux de l’urbanisme, d’un point de vue quantitatif, mais surtout avec une forte rupture qualitative et symbolique.

17Il faut pour cela donner quelques éléments sur un phénomène que l’on qualifia à l’époque « d’urbanisme dérogatoire » et permettant à l’administration d’autoriser des projets de construction alors même que les plans d’urbanisme s’y opposaient. Si nous souhaitons insister sur ce point, c’est parce qu’au cours des entretiens qu’ils nous ont accordés, plusieurs membres du GURDUA ont souligné à quel point ce phénomène avait été important dans leur engagement dans ces recherches [16].

18Dans le cadre de ce pouvoir d’accorder des dérogations émergèrent certains des scandales les plus retentissants de ce qu’on a pu appeler le « gaullisme immobilier ». Monique Pinçon en a un donné une remarquable lecture synthétique et sociologique [17] au travers des articles parus dans Le Monde entre 1960 et 1975. Elle montre qu’à partir de 1968 une contestation de plus en plus aigüe émerge contre ces dérogations : contestation d’habitants, d’associations, de communes, même contre ces décisions de l’État qui aboutiront à des annulations retentissantes : celle de l’affaire du lotissement du Parc de Béarn, à Saint Cloud, autorisant 350 logements dans un parc arboré et qui sera finalement annulé par le Conseil d’État pour défaut d’autorisation de déforestation [18], à une date à laquelle tous les arbres avaient été coupés et les constructions réalisées, ou encore l’affaire du lotissement de Montval à Marly-le-Roi qui déboucha sur une annulation du permis de construire une fois les tours achevées, lesquelles bénéficièrent d’un permis de régularisation sur la base d’un document d’urbanisme fabriqué pour les besoins de la cause et permettant au promoteur d’échapper au paiement de 7.000.000 de Francs de taxe de « surdensité ». Or, ce que révèle l’étude de Monique Pinçon c’est que dans la très grande majorité des cas les contestations, juridiques ou médiatiques, furent le fait d’associations, de comités ou de voisins agissant collectivement, ce qui constituait un fait nouveau qu’une étude du GURDUA, publiée en 1975, mettra également en évidence [19].

19Cette conflictualité nouvelle déboucha également sur l’émergence de la figure centrale du juge dans la résolution de ces conflits. Il rendit en 1972–1973 plusieurs arrêts retentissants : ceux annulant les permis de construire dérogatoires dans les affaires précitées puis, de manière encore plus fondamentale en 1973, le célèbre arrêt Ville de Limoges [20] décidant d’exercer sur les dérogations un contrôle à mi-chemin entre l’erreur manifeste d’appréciation et le contrôle du bilan, et dont le retentissement dépassa nettement le cercles des spécialistes comme en témoigne la note que lui consacra Marcel Waline.

20Cette apparition du juge dans la régulation de la conflictualité du droit de l’urbanisme fut d’ailleurs très mal perçue par l’administration et, au colloque du XXe anniversaire des Tribunaux administratifs qui se tint à Grenoble en 1974, le rapport présenté par le représentant du Ministre de l’équipement contenait ces mots : « Notre administration a aujourd’hui le sentiment qu’à son égard le juge s’est mué en justicier. Tout permis de construire est regardé comme suspect, il y a contre lui une véritable présomption d’illégalité… Nous sentons grandir l’incompréhension entre nos services et leurs juges » [21].

C. La place de l’Université

21A L’issue de ce rapide survol du « moment 1968 » en droit de l’urbanisme, il reste évidemment à s’interroger sur la manière dont l’Université aussi bien du point de vue de la recherche que de l’enseignement, s’est inscrite dans ces mouvements. Sur ce point encore, dans le cadre limité de notre étude, nous nous concentrerons principalement sur les Facultés de droit. Nous assumons que c’est sans doute une insuffisance car la question de l’interaction des Facultés de droit avec les autres sciences sociales en cette matière (ou plus exactement de la faiblesse de ces interactions) aurait de toute évidence été fructueuse.

22Du point de vue de la recherche, la situation est très simple : avant 1968, la doctrine est anémique, pour ne pas dire inexistante. Si l’on passe sous silence deux thèses à usage pratique sur le lotissement et le permis de construire, elle est portée par un seul homme, G. Liet-Veaux, qui publie les premiers fascicules du Juris-classeur [22] et préface les quelques manuels pratiques qui paraissent [23]. Symptomatiquement, aucun des arrêts rendus par le Conseil d’État avant 1968 ne donne lieu à des notes d’arrêts d’universitaires : seules certaines rares chroniques du Centre de documentation du Conseil d’État ou conclusions de commissaires du gouvernement sont publiées sur ces questions.

23En revanche, en 1968 et 1969, l’Actualité Juridique Droit administratif publie une série d’articles de commentaires sur la Loi d’orientation Foncière dont un est publié par deux futurs fondateurs du GURDUA [24]. Et après cette date, l’augmentation du volume des publications est exponentielle, qu’il s’agisse de thèses, de manuels, de notes de jurisprudence au point que l’on peut considérer que les années 1970 connurent sans doute une sorte de « mode » du droit de l’urbanisme, comme les années 2000 ont pu connaître celle du contrat et celles que nous connaissons celle du domaine public [25].

24Du point de vue de l’enseignement, nous disposons d’une source très précieuse dans le rapport publié en 1973 par les membres fondateurs du GURDUA, « Les juristes et la ville » [26], sous la forme d’un tableau qui recense tous les enseignements touchant au droit de l’urbanisme dans les « UER » de droit, pour rependre la terminologie de l’époque. Ce tableau est daté de juin 1972 et recense donc les formations existant au début des années 1970. Il recense 13 universités dans lesquelles un tel enseignement existe, sans distinction des niveaux d’enseignements ou des libellés exacts des cours. Et si l’on affine l’analyse, on mesure qu’il existe moins de 10 enseignements en 4e année de licence et seulement 2 D.E.S, l’un à Aix, et l’autre à Grenoble, dans lesquels le droit de l’urbanisme joue un rôle important (encore s’agit-il, dans les deux cas, de D.E.S pluridisciplinaires). Malheureusement nous ne disposons pas de semblables données pour les années ultérieures, ce qui empêche de suivre la progression qui n’a pas dû manquer de se produire.

25C’est dans ce contexte que va prendre corps le projet des fondateurs du GURDUA dont on peut dire qu’il est à la fois le produit de cette effervescence intellectuelle et qu’il en sera un des acteurs. Sa grande originalité, et probablement la raison de la fécondité de ses analyses, tient à ce qu’il se positionne au centre de tous les mouvements que nous venons de souligner : il participe de la réflexion universitaire et de la construction d’un enseignement renouvelé de ce droit, est associé à l’action des pouvoirs publics, manifeste une proximité avec l’action associative et s’intéresse aux problématiques contentieuses.

II. Construction et déconstruction du projet du GURDUA

A. Construction

26Dès le premier rapport de recherche publié par ce qui n’est pas encore le GURDUA [27], ses fondateurs, Yves Prats, François d’Arcy et Andre-Hubert Mesnard éprouvent le besoin de dire l’histoire de cette entreprise, ce qui témoigne sans doute de sa singularité dans le contexte universitaire de l’époque. Il faut leur donner la parole pour en prendre la mesure : « Lorsqu’en octobre 1968 ils répondirent à l’appel d’offres “pouvoir urbain“, les trois auteurs de ce rapport étaient assistants à la Faculté de droit et des sciences économiques de Paris. En avril 1971, lorsque le contrat faisant suite à cette réponse fut signé, l’un avait été nommé à la Faculté de droit de Nantes [28], l’autre à celle de Reims [29], le troisième à l’Institut politique de Grenoble [30] ».

27Il faut s’arrêter ici un instant car en quelques mots se dévoile toute l’originalité de ce projet :

28Faculté de droit et des sciences économiques de Paris ? C’est plus précisément au sein du CERSA, tout récemment créé par Roland Drago pour promouvoir la science administrative, que s’opère cette rencontre. Ainsi donc, dès l’origine, et l’idée d’équipe de recherche et celle de proximité avec les sciences sociales s’inscrit dans les lignes directrices du futur groupe.

29Octobre 1968 ? S’il s’agit de la date à laquelle ils réalisent la réponse à l’appel d’offres du Ministère, ils se connaissent depuis plus longtemps, ils ont tous trois soutenu leur thèse et surtout, comme rappelé par F. d’Arcy et J.-Cl. Hélin au cours des entretiens qu’ils m’ont accordés, ont fait partie du mouvement de « grève » contre l’agrégation des Facultés de droit de 1968 et Yves Prats a d’ailleurs été un des meneurs du mouvement. On sait que ce mouvement tendait en particulier à la rénovation du concours et à l’introduction de nouvelles méthodes d’enseignement comme d’évaluation des connaissances et, là encore, le renouvellement pédagogie que cherchera à mener le GURDUA est inscrit en filigrane.

30Appel d’offres ? C’est la troisième originalité à relever, celle qui fera la marque de fabrique du GURDUA : travailler sur contrat dans le cadre d’appels d’offres lancés par le ministère de l’équipement et la Délégation générale à la recherche scientifique et technique (DGRST). A la vérité, même si cela ne ressort pas nettement des écrits ni même tout à fait des entretiens que nous avons menés, nous avons le sentiment qu’une fois les relations de confiance nouées entre l’équipe et le ministère, les contrats de recherche permettront de financer des recherches dont les membres du groupe choisissaient eux-mêmes les objets.

31Lorsqu’en 1973, le rapport de cette première étude est finalement publié, il l’est sous l’égide du CERAT (Centre de Recherche sur le politique, l’administration et le territoire) de l’IEP de Grenoble où François d’Arcy est en poste. A cette date, le GURDUA n’existe donc pas encore et on peut s’étonner que le volume n’ait pas été publié à Nantes. Il nous semble que cette publication grenobloise éclaire les raisons de la constitution du GURDUA et sa forme juridique : c’est vraisemblablement pour des raisons financières que la publication est supportée par Grenoble et la création du Groupe, sous la forme d’une association à laquelle adhéreront universités et personnes physiques, permettra à la fois de recevoir les fonds du Ministère pour les prochains appels d’offres et d’assurer une autonomie financière du groupe. C’est donc sans doute à la toute fin de l’année 1973 que le GURDUA est officiellement constitué, son siège étant à la Faculté de droit de Nantes qu’Yves Prats quittera pourtant cette année là pour rejoindre l’Institut d’aménagement régional d’Aix-en-Provence [31].

32D’après l’article qu’A.-H. Mesnard a consacré au fonctionnement institutionnel du GURDUA dans les mélanges Yves Prats [32], le « premier cercle » des fondateurs s’agrandit très vite « d’une demi-douzaine de personnes » qui formèrent le noyau dur du GURDUA. D’après les entretiens que nous avons réalisés et quelques indications figurant dans les différentes publications, il nous semble que peuvent figurer ceux d’Yves Jegouzo, nommé professeur à Angers en 1972, de Jean-Claude Hélin, de René Hostiou, d’Yves Pittard et de Yann Tanguy, qui soutiendra sa thèse en 1977 dans une relation très étroite avec les travaux du GURDUA.

33André-Hubert Mesnard évoque ensuite un groupe plus large d’une vingtaine de personnes intéressées par les recherches menées et comprenant essentiellement des enseignants de droit de l’urbanisme. Avec prudence nous proposons ici quelques noms, qui ne correspondent d’ailleurs pas toujours à des spécialistes du droit de l’urbanisme mais qui apparaissent dans les publications ou les personnes présentent aux colloques : J. Chevallier, qui publiera dans la collection « dossiers Thémis » qu’il dirigeait l’ouvrage d’A.-H. Mesnard sur la planification urbaine et participera à une recherche avec F. d’Arcy sur l’expropriation [33] ; A. Heyman-Doat qui publiera dans la même collection un ouvrage sur l’extension des villes [34], et participera à plusieurs colloques du GURDUA ; A. Pecheul, qui participera à la recherche sur la portée sociale du contentieux ; J. Morand-Devillers, vers la fin de la période. Les autres sont plus difficiles à discerner. En revanche, et malgré les propos de M. Mesnard, nous n’avons pas le sentiment qu’y figuraient tous les enseignants de droit de l’urbanisme. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, R. Savy nous a indiqué de ne pas avoir eu de contacts fréquents avec les membres du GURDUA, de même les travaux de F. Bouyssou, et notamment sa thèse sur la fiscalité de l’urbanisme [35], ou ceux des urbanistes niçois ne sont pratiquement jamais cités et ils ne figurent pas non plus dans les listes de présents aux colloques. De notre point de vue, et d’après les indications que nous avons recueillies, il ne s’agit pas là d’une opposition idéologique, mais davantage de réseaux qui n’entraient pas en connexion.

34Enfin, il faut laisser à A.H. Mesnard la parole pour décrire le « 3e cercle » : « (il) comprenait quelques hauts fonctionnaires intéressés par la recherche urbaine et quelques chercheurs en urbanisme, de formations diverses, rattachés à des institutions de recherches publiques (service des affaires économiques et internationales du ministère de l’équipement, Mission de la recherche, Environnement), parapubliques (Centre de recherche urbaine, Centre de documentation urbaine) » [36]. Malgré ces indications sur la présence de représentants d’autres sciences sociales, le sentiment que l’on peut retirer des diverses lectures qui ont pu être faites tient à ce que si les juristes du GURDUA s’intéressaient aux sciences sociales, celles-ci le leur rendaient fort mal. Il est ainsi symptomatique qu’une revue aussi investie dans l’urbanisme et sa sociologie qu’Espaces et Sociétés ne cite jamais les travaux du GURDUA, y compris dans des articles s’intéressant au contentieux [37]. Est-ce le fait de l’isolement du droit ou d’une insuffisante diffusion des textes du GURDUA ? Il est de difficile de le dire, mais force est de constater que le GURDUA est demeuré un projet principalement juridique.

B. Déconstruction

35Les présents développements seront beaucoup plus brefs car il n’est guère plaisant de devoir rendre compte de la fin d’une aventure de la nature de celle du GURDUA.

36Cette déconstruction interviendra en réalité assez rapidement. A.-H. Mesnard la date d’un colloque réalisé en 1977 [38] et il certain que cette date marque une rupture : bien que les membres du GURDUA soient les chevilles ouvrières des communications de ce colloque, celui-ci marque une reprise en main par l’administration et la volonté de créer un « groupe administratif de réflexion et de recherche » piloté par le ministère qui conduit à ce que le GURDUA ne soit jamais cité mais ravalé au rang des « divers groupes de recherche » ayant précédé ce « groupe administratif » auquel l’organisation et le succès du colloque est attribué.

37M. Mesnard indique qu’à la suite de ce colloque, le GURDUA aurait été « mis en sommeil », car le ministère aurait cessé de le financer, comme il aurait arrêté de financer les autres groupes de recherches constitués sous forme d’association pour financer directement les UER de droit. Pourtant, de 1977 à 1979 continueront de paraître sous l’indication d’éditeur GURDUA une série de 9 « cas et dossiers d’aménagement et d’urbanisme » et les Annales de la recherche urbaine publieront dans leur livraison n° 16 de l’automne 1982 un numéro spécial « Questions au droit de l’urbanisme » que Jean-Pierre Gaudin décrit dans la présentation comme « des éléments issus du colloque du GURDUA de juin 1982 », « à l’occasion des dix ans d’activité de ce réseau de recherches » [39]. Force est néanmoins de constater qu’A.-H. Mesnard ne figure pas dans la liste des contributeurs. Est-ce à dire qu’outre la fin du financement ministériel, il y eut un désaccord sur la suite à noter à l’aventure ? A.-H. Mesnard le laisse entendre à demi-mot dans sa contribution précitée, les entretiens que nous avons menés également, mais une chose est certaine, après ce colloque de 1982, on ne trouve plus trace de publication du GURDUA.

III. Le projet du GURDUA

38Dans la présentation du numéro thématique des Annales de la recherche urbaine précédemment mentionné, J.-P. Gaudin rendant compte des dix années de recherches collectives menées les décrit de la sorte :

39« “refaire du droit une science sociale“ cette orientation générale soutenue par le biais de recherches contractuelles (…) s’est développée (…) Selon deux grandes perspectives :

40

  • Le droit de l’urbanisme au sein des conflits et des ajustements de pouvoirs (…)
  • L’analyse du droit comme mode d’approche des transformations sociales (…) » [40].

41Cette synthèse, malgré quelques nuances, peut servir, aujourd’hui encore, de fil directeur pour réfléchir à la portée des travaux du GURDUA, à condition d’y ajouter une composante, celle de la recherche d’une liaison entre enseignement et recherche.

A. Refaire du droit une science sociale

42Nous touchons, avec cette première formule, à l’essence même du GURDUA. Celui-ci est le produit d’un groupe de juristes générationnel mais mû au sein de cette génération par une intuition commune : le droit ne peut pas être regardé comme un système de normes abstraites, il faut le réinscrire dans la logique générale des sciences sociales. Le sujet de thèse de chacun des trois fondateurs le montre suffisamment :

43

  • Yves Prats, Le développement communautaire à Madagascar, Paris, LGDJ, Bibl. africaine et malgache, Droit et sociologie politique T.17, 1972 (soutenue en 1966) ;
  • F. d’Arcy, Structures administratives et urbanisation : la S.C.E.T., Paris, Berger Levrault, 1968 (soutenue en 1967) ;
  • A.-H. Mesnard, L’action culturelle des pouvoirs publics, Paris, LGDJ, Bibl. de droit public, 1969 (soutenue en 1967).

44Et cette intuition, confortée au sein du CERSA dirigé par Roland Drago, sera partagée par tous ceux de Nantes ou d’ailleurs qui rejoindront ce groupe. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, Jean-Claude Hélin souligne à cet égard plusieurs points essentiels : élève de l’école municipale de droit de Nantes (qui précède la Faculté de droit créée en 1967), il reçoit les enseignements de Georges Dupuis et de Francis-Paul Bénoît, qui représentent « l’aile moderniste des Facultés de droit, pétris de sociologie générale et de science politique » qui le marquent profondément. A cela s’ajoute un « tropisme poitevin », lié à l’influence de J. Carbonnier [41] puis de R. Savatier, qui s’exerce jusqu’à Nantes et, enfin, l’arrivée de cette nouvelle génération et notamment d’Yves Prats qui transpose à Nantes ce qu’il a connu au CERSA de Paris et promeut également la sociologie et le droit appliqué concrètement et effectivement.

45Cette réinscription du droit dans le concert des sciences sociales est de toute évidence un des mantras du GURDUA. On le trouve réaffirmé dans chacune des publications. Pourtant à bien y lire, on se rend compte que cette réaffirmation a aussi un but de légitimation : dans l’introduction du rapport « Les juristes et la ville » (dont le titre est déjà signifiant), il s’agit en réalité de rétablir le rôle des juristes dans le nouveau droit de l’urbanisme, plus instrumental et plus éloigné des buts sociaux de la deuxième partie du XXe siècle que ne pouvait l’être le droit des services publics des buts sociaux du « moment 1900 ». Les juristes qui acceptent de réintégrer le droit dans les sciences sociales seront en effet ceux qui sauront décoder « la fonction de légitimation » [42] du droit, qui sauront « décoder les concepts et les notions » [43]. Autrement dit, les juristes seront les traducteurs de la langue étrangère du droit au profit des autres sciences sociales.

46Mais, nous dit également cette introduction, interprètes compétents des normes, les juristes sont également de bons interprètes des conflits qui se construisent selon des formes juridiques. Nous trouvons ici ce qui formera sans doute la colonne vertébrale du GURDUA.

B. Le droit de l’urbanisme au sein des conflits et des ajustements de pouvoirs : la sociologie du contentieux

47Disons-le d’emblée, si les travaux du GURDUA demeurent aussi essentiels à l’heure actuelle, c’est que ce sont les seuls qui n’ont jamais pris au sérieux la question de la sociologie du contentieux en droit public [44]. A tel point qu’aujourd’hui encore, les méthodes et les résultats auxquels ils aboutissent peuvent servir de point d’appui à une réflexion sur la réforme du contentieux de l’urbanisme [45]. Assumant les contraintes de l’analyse quantitative, ils ont fourni des données sur les volumes du contentieux, les auteurs des recours, leurs motivations, dans des termes qui remettaient largement en cause les idées reçues [46] et même les chiffres donnés par le Conseil d’État.

48Les raisons pour lesquelles la sociologie du contentieux a ainsi été placée au centre des préoccupations du GURDUA nous semble le produit d’un facteur de circonstances tout à fait remarquables.

49La première de ces circonstances tient à ce qu’au moment même où s’engage cette réflexion, un doctorant, Yann Tanguy, accepte de se lancer dans cette voie. Il sera de toute évidence la cheville ouvrière de ces travaux, et il rédigera à leur issue une thèse exceptionnelle [47].

50La deuxième tient à ce que et le juge administratif et l’administration ont besoin d’un « tiers de confiance » pour renouer des liens que les décisions du Conseil d’Etat sur le contrôle de l’urbanisme dérogatoire ont grandement distendus, comme le montre le discours du directeur de la DAFU au colloque du XXe anniversaire des tribunaux administratifs en 1973 [48]. On ignore à quel niveau se nouèrent les liens qui permirent au GURDUA d’avoir accès aux informations des tribunaux de Nantes, Versailles et Châlons-sur-Marne et, notamment, la part qu’y joua le Conseil d’État, mais de toute évidence les travaux du GURDUA contribuèrent à rétablir de la confiance comme en témoignent les propos du directeur du nouveau « groupe administratif de recherche » au colloque de Meyrargues en 1977 [49].

51La troisième, enfin, tient à ce que la dynamique engendrée par le GURDUA et les innovations pédagogiques qu’il initia, notamment à Nantes, permirent la réalisation de plusieurs mémoires de DES s’ajoutant à l’activité du groupe de recherche et déblayant notamment de nombreuses recherches quantitatives. Autrement dit, la dynamique de la recherche avait créé une masse critique favorisant l’étude quantitative de données et permettant ainsi au droit de s’inscrire dans la dynamique des sciences sociales.

C. Les innovations pédagogiques

52Parmi les objectifs du GURDUA figurait également une modernisation de la pédagogie. Dès 1971 et 1972, dans une étude complémentaire au contrat initial, les fondateurs du GURDUA avaient initié une réflexion sur les méthodes pédagogiques en droit de l’urbanisme [50]. Ces réflexions furent transcrites dans un projet très innovant dans les facultés de droit : les travaux par étude de cas en particulier au sein des 4e année de licence et des DES. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, Yves Jégouzo soulignait en souriant que les étudiants étaient presque trop compétents car ils avaient soulevé un cas qui s’inscrivait dans la lignée des scandales de l’urbanisme dérogatoire dont il a été question plus haut. Mais au-delà de l’anecdote, cette volonté de transformer les pratiques pédagogiques et, plus fondamentalement, la relation de l’Université à la pratique déboucha sur la réalisation d’une collection « d’études de cas » [51] qui demeurent, aujourd’hui encore, des modèles du genre.

Conclusion : le GURDUA un jardin d’Eden ?

53Pour les spécialistes contemporains du droit de l’urbanisme, le GURDUA présente une forte analogie avec le jardin d’Eden : il rend compte d’un univers paradisiaque, mais il a disparu, et à la vérité disparu en laissant si peu de traces qu’on en vient à douter qu’il ait véritablement existé.

54Commençons par le plus assuré : oui, le GURDUA a bien existé et l’ensemble des travaux qui ont été produits, même s’ils ont souvent été publiés dans des circuits extérieurs à l’édition traditionnelle, sont là pour en attester.

55Poursuivons par le presqu’aussi assuré : oui, à bien des points de vue, le GUDUA présentait un aspect paradisiaque : recherche collective, liaison entre enseignement et recherche, financement assuré, réinscription du droit dans les sciences sociales, réalisations théoriques et concrètes… Aujourd’hui si un organisme devait évaluer le GURDUA, il lui donnerait de toute évidence la note de A+.

56Reste alors la question essentielle : pourquoi a-t-il disparu ? Au cours de l’entretien que nous ont accordé Y. Pittard, Y. Jégouzo et J.-Cl. Hélin, une même idée est revenue. Au-delà de l’éloignement de certains des membres du groupe, au début des années 1980, c’est le droit de l’urbanisme qui a changé. Paradoxalement, malgré l’arrivée de la gauche au pouvoir, les composantes sociologiques qui avaient irrigué le droit de l’urbanisme dans les années 1970 ont cédé la place à une conception beaucoup plus techniciste, que ce soit dans l’administration ou au sein des Facultés de droit. Ainsi le projet d’un droit retrempé dans les sciences sociales allait à l’encontre d’une tendance à rétablir le droit dans son rôle strictement technique et, dans cette évolution-là, le GURDUA n’avait plus sa place.

57Alors le GURDUA jardin d’Eden ? Non, mais sans doute une espèce qui a évolué. Aujourd’hui, comme nous l’indiquait Y. Jégouzo, le GRIDAUH, constitué sous la forme d’un GIP prolonge le projet du GURDUA, avec une recherche sur contrat qui lie théorie et mise en pratique, même si évidemment les sciences sociales y sont moins présentes, et dont la structure juridique garantit autant que faire se peut, la pérennité.

Bibliographie

Bibliographie du GURDUA

  • 1°) Etudes

    • - F. d’Arcy, A.-H. Mesnard, Y. Prats, Les juristes et la ville, Grenoble, CERAT 1973, 146 pp. (comprend en brochure séparée un « résumé » : « le droit à l’épreuve du développement urbain) ;
    • - J.-Cl. Hélin, Y. Jegouzo, A.-H. Mesnard, Y. Tanguy et autres, La portée sociale du contentieux de l’urbanisme
      T.1, Le rôle du juge et ses limites, GURDUA 1975, 172 pp.
      T.2, Les modes non-juridictionnels de règlement des différends, GURDUA 1978, 109 pp.
    • - M. Blanc-Pattin, J. Chevallier, F. d’Arcy, L’expropriation en question, ATP n° 12 CNRS 1977, 107 – III pp.
  • 2°) Actes de colloques

    • - Pratiques locales du droit de l’urbanisme, Colloque de Meyrargues, rencontre praticiens – universitaires 23-25 juin 1977, CRU 1980, 199 pp.
    • - Questions au droit de l’urbanisme, (actes du colloque de juin 1982 à Fontevrault), Annales de la recherche urbaine, n° 16- 1982, 132 pp.
  • 3°) Ouvrages publiés par des membres du GURDUA en lien avec ses recherches

    • - A. Heymann, L’extension des villes, Dossiers Thémis, PUF 1971, 96 pp.
    • - A.-H. Mesnard, La planification urbaine, Dossiers Thémis, PUF 1972, 96 pp.
    • - Y. Prats, Y. Pittard, B. Touret, La dérogation d’urbanisme, le droit et la pratique, éd. Du champ urbain 1979, 155 p.
    • - Y. Jégouzo et Y. Pittard, Le droit de l’urbanisme, Masson 1979, coll. Droit de l’administration locale, 217 pp.
  • 4°) série des cas et dossiers d’aménagement et d’urbanisme

    • (On a conservé les indications d’édition et de numérotation figurant dans les fiches des bibliothèques pour ceux qui n’ont pas pu être consultés.)
    • - Y. Tanguy, Un programme de modernisation et d’équipement du VIe plan, n° 1 1976, 64 pp. (Nantes GURDUA).
    • - Y. Pittard et Y. Tanguy, Une Zac, commune et promoteur en conflit, n° 2 1976, 59 pp. 
    • - Y. Prats, L’implantation d’une raffinerie dans un site viticole, n° 3 1976, 69 pp. (Nantes GURDUA).
    • - R. Hostiou et J. Caillosse, Une expropriation, l’extension d’un camp militaire n° 4 1976, 54 pp. (Nantes GURDUA).
    • - J.-Cl. Némery, Un plan d’aménagement rural, l’exemple d’un aménagement touristique, n° 5 1977, 67 pp.
    • - J.-L. Barbier, La politique de l’État en faveur de villes moyennes, un contrat d’aménagement, n° 6 1977, 70 pp.
    • - A. Pecheul, Une ZAD : la maîtrise foncière d’une opération d’urbanisme, n° 7 1977 (GURDUA CRU).
    • - Y. Jegouzo, Un programme d’action foncière, n° 8 1979 (GURDUA CRU).
    • - A.-H. Mesnard, Réhabilitation : le quartier du Panier à Marseille, n° 9 1979, 96 pp, (Nantes GURDUA).

Date de mise en ligne : 03/03/2020.

https://doi.org/10.3917/dv.088.0069

Notes

  • [1]
    Groupe Universitaire de Recherche en Droit de l’Urbanisme et de l’Aménagement.
  • [2]
    Cet article constitue la version écrite et augmentée d’une communication prononcée le 11 mai 2011 aux soirées du droit public sous le titre « L’Ecole de Nantes ou l’invention du droit de l’urbanisme », elle doit beaucoup aux entretiens menés en 2010-2011 par l’auteur avec d’anciens membres du GURDUA, F. d’Arcy, J.-Cl Hélin, Y. Jegouzo, J. Morand-Deviller ; Y. Pittard ainsi qu’avec R. Savy.
  • [3]
    Y. Tanguy, préface à La norme, la ville, la mer, écrits de Nantes pour le doyen Yves Prats, éd. de la Maison des sciences de l’homme, 2000, p. 9 et s., spec. p. 17.
  • [4]
    A.-H. Mesnard, GURDUA 1970-1980, « Bilan institutionnel de dix années de recherches urbaines de jeunes juristes enseignants et chercheurs », in Mélanges Yves Prats, p. 223 et s. spec, p. 232.
  • [5]
    Pour un historique administratif et juridique de cette opération, v. G. Cazes, « Réflexions sur l’aménagement touristique du littoral Languedoc Roussillon », L’espace géographique, 1972, n° 3, p. 193
  • [6]
    Pour la compréhension de la construction textuelle du droit de l’urbanisme de cette époque, il faut avoir recours au précieux recueil de textes commentés (législatifs réglementaires circulaires et modèles) publié par les éditions du Moniteur en 1975 : Les « Z », zones d’aménagement – urbanisme réglementaire et opérationnel, 2e éd. 1975.
  • [7]
    L. Sfez, L’administration prospective, Armand Collin, coll. U, 1970.
  • [8]
    P. 162 et s. « les procédés juridiques nouveaux ».
  • [9]
    Pour une vision globale de l’état du droit à cette période on se reportera à l’ouvrage d’un des membres du GURDUA, A.-H. Mesnard, La planification urbaine, dossiers Thémis, PUF 1972 qui, bien que se présentant comme un recueil de textes est en réalité une riche et profonde analyse du droit applicable.
  • [10]
    L. Jacquignon, Le droit de l’urbanisme, Cités actuelles et villes nouvelles, 5e ed. 1975, p. 277.
  • [11]
    F. d’Arcy et Y. Prats, « La notion de concertation dans la LOF et dans son application », AJDA 1969, p. 336
  • [12]
    V. not. M. Sellier, « Les groupes d’action municipale », Sociologie du travail 1977, p. 41.
  • [13]
    V. not le rapport publié par les membres fondateurs du GURDUA, Les juristes et la ville, CERAT 1973, ch. 1 « la participation des administrés », p. 21 et s.
  • [14]
    M. A. Latournerie, « Réflexion sur l’évolution récente du permis de construire », EDCE 1970 n° 23, p. 54.
  • [15]
    La portée sociale du contentieux de l’urbanisme, le rôle du juge et ses limites, GURDUA 1975.
  • [16]
    C’est notamment le cas d’Y. Jegouzo et d’Y Pittard.
  • [17]
    M. Pinçon, « La dérogation comme phénomène idéologique », Espaces et société 1977 n° 20-21, p. 67.
  • [18]
    CE, 2 février 1972, Demoiselle Deman, p. 108.
  • [19]
    J.-Cl. Hélin, Y. Jegouzo, A.-H. Mesnard, Y. Tanguy et alii, La portée sociale du contentieux de l’urbanisme, le rôle du juge et de ses limites, Min. de l’équipement, GURDUA 1975.
  • [20]
    CE Ass. 18 juillet 1973 Ville de Limoges, AJDA 1973, p. 481, chr. Labetoulle et Cabanes ; RDP 1974, p. 259, note M. Waline.
  • [21]
    Actes du colloque de Grenoble, p. 49 et s.
  • [22]
    Dont on peut avoir une idée du contenu au travers de son Droit de la Construction (LITEC, 1970) qui en constitue le regroupement en volume.
  • [23]
    L. Jacquignon, Le droit de l’urbanisme, Eyrolles 1965 ; P. Rossillon, Les plans d’urbanisme, Berger Levrault 1963.
  • [24]
    F. d’Arcy et Y. Prats, « La notion de concertation dans la LOF et dans son application », AJDA 1969, p. 336. Au cours de l’entretien qu’il nous accordé, F. d’Arcy a indiqué que cet article leur avait été commandé par le Directeur de l’AJDA, A. de Laubadère, qui était un de seuls professeurs de droit public intéressé par cette matière.
  • [25]
    Pour une bibliographie complète sur le droit de l’urbanisme durant cette période, la meilleure source est l’ouvrage de Y. Jegouzo et Y. Pittard, Le droit de l’urbanisme, Masson, 1980 qui recense aussi bien les ouvrages et travaux théoriques que les ouvrages pratiques, ceux ayant une composante pluridisciplinaire et ceux édités en dehors des circuits d’édition traditionnels (ce qui est le cas pour les études du GURDUA). On peut le compléter pour ce qui concerne les références des notes d’arrêts par la 2e éd. des Grands arrêts du droit de l’urbanisme, Sirey, 1979.
  • [26]
    Op. cit., p.140.
  • [27]
    Les juristes et la ville, op. cit. p. 1.
  • [28]
    Y. Prats.
  • [29]
    A.-H. Mesnard.
  • [30]
    F. d’Arcy.
  • [31]
    Y. Tanguy, « Préface » aux Mélanges Y. Prats, op. cit. p. 18.
  • [32]
    Ibidem, p. 22 et s.
  • [33]
    L’expropriation en question, ATP n° 12, CNRS, 1977
  • [34]
    PUF, 1971.
  • [35]
    F. Bouyssou, La fiscalité de l’urbanisme en droit français, LGDJ, 1972.
  • [36]
    Op. cit. loc. cit.
  • [37]
    V. par ex. l’étude de M. Pinçon précitée sur la contestation de l’urbanisme dérogatoire.
  • [38]
    Colloques de Meyrargues, Pratiques locales du droit de l’urbanisme ; éd. du Centre de recherches d’urbanisme, 1980.
  • [39]
    N° cité, p. 4
  • [40]
    Op. cit, p. 3
  • [41]
    Qui est demeuré dans cette faculté jusqu’en 1956.
  • [42]
    Les juristes et la ville, op. cit., p. 6.
  • [43]
    Ibidem, p. 9.
  • [44]
    Pour ne pas être caricatural on y ajoutera le bel article d’Alexis Spire et Katia Weidenfeld, « Le Tribunal administratif, une affaire d’initiés ? Les inégalités d’accès à la justice et la distribution du capital procédural », Droit et Sociétés, 79/2011, pp. 689-71.
  • [45]
    V. nos travaux « Réformer le contentieux de l’urbanisme, pour quoi faire ? », DAUH 2019, p. 25.
  • [46]
    V. not, reprenant après quelques années les données de l’étude La portée sociale du contentieux de l’urbanisme (GURDUA 1975), J.-Cl. Hélin, « Les modes d’approche du contentieux de l’urbanisme », Annales de la recherche urbaine, n° précité, p. 19 et s.
  • [47]
    Le règlement des conflits en matière d’urbanisme, Paris, LGDJ, bibl. de science administrative,1979.
  • [48]
    Prec.
  • [49]
    Pratiques locales de l’urbanisme, prec. ; v. spec. l’intervention de M. Burdeau, p. 15 et s.
  • [50]
    Les juristes et la ville, op. cit., p. 115 et s. Compte rendu de deux rencontres organisées à Royaumont en 1971 et 1972. Dans les entretiens que nous avons réalisés, ces deux colloques demeurent parmi les beaux plus souvenirs des membres du GURDUA.
  • [51]
    V. si après la bibliographie complète.
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