Couverture de DV_086

Article de revue

Les délais en droit de la construction

Pages 91 à 103

Notes

  • [1]
    Guillaume Apollinaire : Le pont Mirabeau tiré du recueil Alcool.
  • [2]
    Cass. 3e civ., 22 mars 2000, Bull. III, no 63, p. 43, Constr.-Urb. 2000, n° 143, obs. Sizaire, RDI 2000, 353, obs. Saint-Alary-Houin, Defrénois 2000, p. 1258, obs. Périnet-Marquet ; 3 juin 2015, n° 14-14706, JCP N 2016, 1274, obs. Zalewski-Sicard. Les acquéreurs ne sont donc pas obligés de dénoncer vices apparents et défauts de conformité dans le délai d’un mois et les clauses contraires des actes doivent être réputées non écrites (Cass. 3e civ., 15 févr. 2006, Bull. III, no 36, p. 30, RDI 2006, 305, obs. Tournafond, Defrénois 2006, art. 38460, obs. Périnet-Marquet, Constr.-Urb. 2006, 80, obs. Sizaire ; Cass. 3e civ., 16 déc. 2009, no 08-19612, Bull. III, n° 208, RDI 2010, 102, obs. Tournafond).
  • [3]
    Cf art. L. 242-1 du code des assurances et clauses types annexées à l’article L. 243-1.
  • [4]
    N° pourvoi 16-13591, reprenant un arrêt du 17 février 2016 n° pourvoi 14-29612.
  • [5]
    Cf. Cass 3e civ 15 juin 2017, n° 16-19640 ; 14 septembre 2017, n° 16-17323.
  • [6]
    Cass. 3e civ., 3 juin 2015, no 14-17744, RTDI n° 4-2015, p. 37, obs. Lionel Marie, Constr.-Urb. 2015, 108, obs. Pagès de Varenne, JCP N 2016, 1258, obs. F. Garcia.
  • [7]
    Cass. 3e civ., 2 févr. 2017, n° 14-19279, sera publié au bulletin, Constr.-Urb. 2017, n° 57, obs. Pagès de Varenne ; cf. C. Charbonneau, « De la réception par lots dans les contrats de louage d’ouvrage », RDI 2017, p. 224.
  • [8]
    Cass. 3e civ., 19 janv. 2017, n° 15-27068 sera publié au bulletin, Constr.-Urb. 2017, n° 42, obs. Pagès de Varenne.
  • [9]
    n° 16-10.486, Constr urb 2017 n° 90 obs Pagès de Varenne, JCP N 2017 1179 obs V. Zalewski Sicard.
  • [10]
    Cass 3e civ 12 oct 2017 N° de pourvoi : 15-27802.
  • [11]
    Cass. 3e civ., 24 nov. 1999, Bull. III, n° 225, p. 157 ; Constr.-Urb. 2000, no 1, Defrénois 2000, art. 37152, obs. Périnet-Marquet, RDI 2000, p. 193, obs. Saint-Alary-Houin ; 20 juin 2006 RDI 2007 349, obs. Tournafond ; 11 janv. 2012, n° 10-22294, Bull. III, n° 5, RDI 2012, 225, obs. Tournafond ; 8 oct 2013, n° 12-23275, RDI 2013, 594, obs. Tournafond et Tricoire, JCP N 2012, n° 1133, obs. Barbieri.
  • [12]
    Cass. 3e civ., 29 mars 2006, Bull. III, no 87, p. 75, Constr.-Urb. 2006, 105, obs. Sizaire ; 10 mai 2007, Constr.-Urb. 2007, 137, obs. Sizaire ; 21 oct. 2008, no 07-18270, Constr.-Urb. 2008, 187, obs. Sizaire. En revanche, la réception d’une maison non habitable, même acceptée par le maître, ne vaut pas livraison et continue donc de faire courir les pénalités de retard (Cass. 3e civ., 16 juin 2015, n° 13-11609, Constr.-Urb. 2015, 142, obs. Sizaire).
  • [13]
    Cass. 3e civ., 9 mai 2012, no 11-10293, Bull. III, n° 70, Constr.-Urb., 202, 116, obs. Pagès de Varenne. Il n’est également plus nécessaire de mentionner précisément les personnes visées. En effet, « l’autorisation donnée au syndic vaut, à défaut de limitation des pouvoirs de celui-ci, à l’égard de l’ensemble des personnes concernées par les désordres signalés » (Cass. 3e civ., 4 déc. 2002, Bull. III, n° 248, p. 215, Defrénois 2003, 1279, obs. Périnet-Marquet ; 26 mars 2003, RDI 2003, 354, obs. Malinvaud ; 23 juin 2004 Constr.-Urb. 2004 162, obs. Sizaire.
  • [14]
    Cass. 3e civ., 22 sept. 2004, Bull. III, no 152, p. 138, RDI 2004, 569, obs. Malinvaud.
  • [15]
    Cass. 3e civ., 10 nov. 2016, n° 15-24289, Constr.-Urb. 2017, n° 9, obs. Pagès de Varenne.
  • [16]
    Cass. 2e civ., 19 mai 2016 n° 15-19792.
  • [17]
    N° de pourvoi : 02-10372, Bull III n° 58 p. 54.
  • [18]
    Cass. 3e civ., 24 oct 2012, no 11-17800, Bull. III, no 152, RDI 2013, 93, obs. Tournafond et Tricoire, Constr.-Urb. 2012, 182, note Sizaire, JCP N 2013, no 1093, obs. Laporte-Leconte, RTD com. 2013, 40, obs. Sénéchal, Defrénois 2013, 525, obs. Périnet-Marquet ; 12 juin 2013, n° 12-19285, RDI 2013, 597, obs. Tricoire et Tournafond ; CA Versailles, 16 janvier 2012, CA Amiens, 1er févr. 2011, Constr.-Urb. 2012, no 72, obs. Sizaire.
  • [19]
    N° 16-10.486, Constr urb 2017 n° 90 obs. Pagès de Varenne, JCP N 2017 1179 obs. V. Zalewski Sicard.

1Le délai pourrait être défini comme un rapport du droit au temps. Cependant l’apparence est trompeuse. Le temps n’a d’impact que sur les personnes et les choses, pas sur les concepts. Il entraîne un vieillissement biologique, chimique ou mécanique mais n’a pas d’effets directs sur les créations intellectuelles. Or, le droit, pur concept, ne vieillit pas, ne se délite pas, ne rouille pas. Il se contente de se démoder, de s’oublier, mais sans que cela ne soit lié à ses caractères propres. Il ne se démode ni ne s’oublie que dans la tête de l’homme. Le Code Civil n’a pas vieilli en lui-même. Seuls ses utilisateurs le datent et sont susceptibles de le trouver obsolète.

2La seule vraie question est donc de savoir comment le droit traduit le rapport de l’homme au temps ? De ce point de vue deux remarques peuvent être faites.

3Tout d’abord, l’homme n’a, bien évidemment, aucun pouvoir sur le temps car seul le cinéma permet de remonter ses couloirs. Il peut, certes, avoir l’impression de se plonger dans le passé lorsqu’une information lui arrive en décalé, comme cela est le cas avec les exo-planètes, dont les signaux mettent plusieurs milliards d’années-lumière pour l’atteindre. Mais cette information tardive n’a aucun rapport avec un retour en arrière, faute pour l’homme de pouvoir vivre la situation ancienne, définitivement achevée dont seule l’information lui arrive trop tardivement.

4Mais l’homme, dans sa volonté de puissance, trouve insupportable de ne pas avoir de pouvoir sur le temps et n’a donc de cesse de tenter de le recréer. Deux exemples de cette propension naturelle se manifestent. Dans les années 60, lorsque les traités européens ou d’autres textes avaient fixé une date limite et qu’aucun compromis n’avait été trouvé, les négociateurs avaient coutume d’« arrêter les horloges », selon l’expression de l’époque, jusqu’à ce qu’ils se soient mis d’accord. Mais un tel arrêt du temps était artificiel et spatialisé et, dès qu’ils sortaient de la salle de réunion, ils pouvaient constater que le temps et leur train ne les avaient pas attendus. La rétroactivité de la loi est une autre tentative d’organiser ce qui dépasse. Cette technique est toujours tentante mais on sait ses dangers et les réserves constitutionnelles qu’elle génère, notamment en matière pénale où elle est interdite. Elle n’a donc qu’un impact limité. L’homme demeure prisonnier du temps qui passe : « Vienne la nuit sonne l’heure, Les jours s’en vont je demeure » [1].

5Ainsi, à son grand regret, il n’a d’autre choix que de prendre en compte, par l’intermédiaire du droit, l’écoulement du temps qui s’impose à lui. Il a donc été obligé d’inventer les délais. Mais le thème de cet exposé ne concerne que les délais en droit de la construction, ce qui pose, bien évidemment, la question de son champ. En la matière, le choix ne peut qu’être arbitraire. On se contentera donc de se raccrocher au Code de la construction, en oubliant sa partie habitation sociale, trop complexe, et en évitant d’empiéter sur le territoire des autres exposés.

6Ainsi circonscrite, la question ne paraît pas présenter de spécificités importantes. Les contrats de construction sont, en effet, des contrats à exécution instantanée, puisque la réception est unique, de même que la livraison ou la prise de possession. Cependant, la réalisation de l’ouvrage immobilier peut être plus longue que prévue et le droit de la construction porte sur un bien durable, dans tous les sens du terme. Il n’est pas, dès lors, étonnant de trouver dans le code plusieurs centaines de délais et plusieurs dizaines de catégories de délais. Examiner les délais en droit de la construction conduit donc à s’affronter à une double rigueur, celles de la loi et du chiffre (I). Cependant, l’homme est trop intelligent et surtout trop malin, pour accepter de s’enfermer dans les chiffres qu’il a lui-même posés. Il va donc essayer de retrouver de la souplesse dans le régime du chiffre (II).

I – Le chiffre et sa rigueur

7Face à la diversité des délais, il est indispensable d’en dresser un inventaire sommaire. Cet exercice fastidieux pourrait être égayé si le droit avait eu le talent de Prévert. Mais qu’aurait fait ce dernier s’il n’avait dû compiler, dans sa liste, que des choses identiques ou presque. Reste cependant à se poser la question de la pertinence de la multiplication de ces chiffres et à constater des tentatives d’évasion de cette rigueur.

A – L’inventaire des chiffres

8Le droit inscrit ses délais dans toute la palette du temps. Il les compute en jours et en mois, mais aussi en année.

91) Les jours et les mois sont très utilisés à des fins diverses et il est difficile d’en dresser une liste même non exhaustive. On tentera de le faire au regard de leur finalité.

10Existent ainsi des délais d’instruction comme celui afférent au permis de louer, au changement d’usage ou aux autorisations de travaux dans l’immeuble en copropriété qui sont fixées à deux mois dans le Code de la Construction et de l’Habitation. En revanche, l’article L 111-6-3 le limite à 15 jours pour la création d’une pluralité de locaux.

11Les délais d’information sont relativement courts : 8 jours pour adresser copie des contrats de sous-traitance à l’établissement garant en vertu de l’article R 231-12, 10 jours pour informer de l’ordre du jour avant une réunion, comme le précisent les articles R 142-6 pour celle du Centre Scientifique et Technique du Bâtiment ou R 213-10 pour les assemblées générales des sociétés coopératives.

12Les délais de réflexion, au sens large du terme, sont également généralement de 10 jours. Il en va ainsi, depuis la loi ALUR, des célèbres délais de réflexion et de rétractation de l’article L 271-1, mais aussi de l’offre de cession de droits réels dans un bail réel et solidaire de l’article L 255-10, ou de la période d’acceptation d’une offre de logement de l’article R 441-10. Mais la réflexion peut être plus longue. Ainsi, le contrat définitif de vente en l’état futur d’achèvement doit être proposé à l’acquéreur un mois à l’avance, comme l’indique l’article R 261-30, ce délai s’appliquant également pour le maintien de l’offre dans le bail réel immobilier à l’article R. 254-5.

13Les délais de dénonciation sont proches dans leur quantum. Huit jours sont offerts pour dénoncer les vices en cas de réception en l’absence d’un homme de l’art dans le contrat de construction de maisons individuelles dans l’article L. 231-8, et 1 mois pour dénoncer les vices et défauts de conformité apparents dans la vente d’immeuble à rénover, ce délai, très mal posé dans la vente d’immeubles à construire, ayant été oublié par la Cour de cassation qui considère qu’action et dénonciation bénéficient du même délai d’un an [2].

14Enfin, le droit connaît des délais d’action. Il peut s’agir de délais conditionnant l’action, par exemple, celui de 30 jours à partir duquel va être pris en compte le retard que devra indemniser le garant dans le contrat de construction de maison individuelle, en vertu de l’article L. 231-6. Il peut s’agir également d’un délai dans lequel on doit simplement agir, 15 jours pour le garant dans le contrat de construction de maisons individuelles, un même délai pour l’assureur au reçu de la déclaration de sinistre, et des délais plus longs de 60 à 90 jours pour la réparation du dommage dans l’assurance dommage-ouvrage [3]. Il peut également s’agir de délais à partir desquels une action peut être interrompue. Ainsi, un entrepreneur non payé peut, au regard de l’article L. 113-3-1 du code de la construction, suspendre sa prestation 15 jours après le moment où il aurait dû être payé.

15Cet inventaire trop bref suscite deux remarques.

16La première tient à l’extrême variété de ses éléments. Le Code de la construction comprend environ 150 délais en jours, ce qui montre que la liste énoncée plus haut est loin d’être exhaustive (5 délais de 5 jours, 12 de 8 jours, 18 de 10 jours, 71 de 15 jours…).

17Faut-il en déduire que le droit de la construction est un droit de fonds qui se « processualise », à l’excès ? Probablement pas car l’immense batterie de délais qu’il comprend n’est que le reflet de la multiplication des institutions qu’il abrite. De ce point de vue, le régime du bail réel immobilier et du bail réel solidaire est révélateur !

18La seconde tient à la difficulté de l’unification possible de ces délais. Intellectuellement, le juriste aime bien rationaliser. Or, les délais de 5, 7, 8 ou 10 jours ne se justifient pas dans leurs différences. Dans l’absolu, le nombre de délais en jours pourrait être réduit à 2 ou 3. Mais une telle unification est à des années lumières, pour rester dans le thème, des préoccupations du législateur. Une telle réforme, par-delà la beauté du geste, n’aurait, en effet, qu’un impact des plus limités et il paraît pour le moins difficile de convaincre nos gouvernants d’y procéder.

192) Les délais en année sont, heureusement, moins nombreux. Ainsi la dénonciation de défauts de conformité et vices apparents dans la VEFA et l’action à leur encontre sont enfermés dans un délai d’1 an, tout comme l’action (mais pas la dénonciation) contre des défauts de conformité et vices apparents dans la vente d’immeubles à rénover ou l’action en nullité des clauses contraires aux règles impératives de la vente d’immeuble à construire dans le secteur protégé. La garantie phonique de l’article L. 111-11 du CCH, la garantie de parfait achèvement de l’article 1792-6 du code civil sont également soumises au délai d’un an, tout comme la prescription de la sanction en matière de permis de diviser en vertu de l’article L. 111-6-1-3. Le délai de deux ans s’applique, bien évidemment aux désordres de l’article 1792-3 mais aussi à la prescription en matière d’assurance de l’article L. 114-1 du code des assurances. On ne doit pas, de plus, oublier le délai de droit commun de l’article 2224 du Code civil qui est de cinq ans, et celui, décennal, des articles 1792-4-1 et suivants, mais aussi le délai de 18 ans minimum d’un bail réel qui peut aller jusqu’à 99 ans.

B – Pertinence de la rigueur

20L’arbitraire des délais courts rend très difficile la remise en cause de leur pertinence.

21Qui pourrait raisonnablement soutenir qu’un délai de 7, 8 ou 10 jours est meilleur que son concurrent ? Le choix résulte souvent de compromis politiques, d’actions de lobby et toute détermination de l’intérêt général est, en la matière, aléatoire.

22La question est différente en ce qui concerne les délais se comptant en année.

23Existent, en la matière, de véritables spécificités qui imposent une justification. Pourtant, bien peu se hasardent à prôner une remise en cause de ces longs délais.

24La décennale a bien évidemment eu et a sans doute encore des détracteurs. Elle résulte toutefois d’un compromis entre les intérêts des uns et des autres qu’il paraît difficile de remettre en cause, d’autant qu’elle s’ancre profondément dans notre histoire juridique. Il est d’ailleurs révélateur de voir que ce délai a eu les faveurs successives du juge et du législateur. La jurisprudence sur les dommages futurs et les désordres évolutifs est là pour montrer que la Cour de cassation n’entend pas mettre entre parenthèses le délai de 10 ans. La grande rigueur avec laquelle elle qualifie le dol dans l’exécution du contrat, pour permettre de s’en abstraire, en est une autre preuve. Le législateur, lui-même a manifestement trouvé ce délai pertinent, puisque dans les articles 1792-4-2 et 3, introduits dans le code civil par la loi du 17 juin 2008, il n’a pas hésité à l’appliquer à la responsabilité contractuelle des sous-traitants et des constructeurs au titre du droit commun. En droit français, la décennale demeure donc pleinement pertinente. Il n’en va certes pas de même en matière de droit européen où elle est loin d’être majoritaire au sein des 27 États membres.

25Mais cette diversité n’a, pour l’instant, pas généré de tentatives sérieuses de remise en cause de notre droit national. Au contraire, les rapports ELIOS I et II, s’ils ont listé les différences et tenté de voir certaines convergences, n’ont pas abouti à une volonté sérieuse de remise en cause des systèmes nationaux. Si tant est qu’elle ait été vraiment, à un moment donné, à l’ordre du jour, l’harmonisation de la responsabilité des constructeurs s’éloigne.

26Une autre possibilité serait de remettre en cause la pertinence de la responsabilité biennale, mal comprise et mal aimée et de la coupler avec une garantie de parfait achèvement dont le délai serait remonté à deux ans. Cependant, une telle idée ne présente pas que des avantages dans la mesure où, aujourd’hui, cette garantie de parfait achèvement coïncide avec la garantie phonique et où son expiration est le point de départ de la couverture normale par l’assurance dommages ouvrage, comme l’indique l’article L. 242-1.

27La remise en cause des délais des garanties spécifiques des constructeurs, décennale, biennale et de parfait achèvement paraît donc aujourd’hui exclue.

C – L’évasion de la rigueur des chiffres

28L’homme, qui, comme on l’a vu, n’aime pas être enfermé dans des délais, a eu l’idée de tourner la rigueur des chiffres en inventant des délais sans chiffre.

29La première illustration de cet abandon de la rigueur du chiffre est le recours, fréquent, à l’expression « sans délai » qui est présente 33 fois dans le code de la construction.

30Ainsi, à titre d’exemple, l’article L. 232-3 du CCH prévoit une obligation de ravalement qui est faite au syndic, laquelle doit être transmise sans délai aux copropriétaires. L’article L. 231-6 précise que si le délai de livraison n’est pas respecté, le garant met, sans délai, le constructeur en demeure de terminer les travaux. De même, l’article L. 152-2 exige une transmission sans délai du procès-verbal d’infraction au Ministère Public. Cette expression est cependant trompeuse car, malgré les apparences, elle n’implique pas une immédiateté d’heure à heure. Il n’est même pas certain qu’elle impose une action le jour même. En réalité, les mots « sans délai » impliquent simplement l’existence d’un bref délai raisonnable, cet élément devant être alors apprécié au regard de l’objet du texte et c’est d’ailleurs ainsi que la jurisprudence le conçoit.

31Le « délai raisonnable » pointe également son nez dans le Code de la construction où l’on en trouve 3 occurrences.

32Ainsi, à l’article L. 111-6-4 le propriétaire peut refuser la création d’installations de recharge de véhicules électriques demandée par le locataire s’il a pris la décision de la faire dans un délai raisonnable.

33De même, l’article L. 125-2-1 exige la fourniture d’une notice d’entretien d’un ascenseur par le fabricant propriétaire à prix et délai raisonnables. Et l’article R. 138-3 impose la réalisation de travaux d’économie d’énergie dans un délai raisonnable en copropriété.

34Un tel « délai raisonnable » n’est rien d’autre que la variante longue d’un « sans délai ». Dans les deux cas, le législateur renvoie aux parties, surtout au juge, l’appréciation de la pertinence des délais.

35La sécurité juridique y perd ce que la souplesse y gagne. Les besoins d’adaptation et de dérogation s’évanouissent puisque la rigueur du délai a disparu. Mais, même lorsque le délai reste fixé en chiffre, il est possible d’en assouplir la rigueur en jouant sur la souplesse de son régime.

II – Le régime du chiffre et sa souplesse

36Une telle souplesse se manifeste de quatre points de vue, au regard des conflits de délai, de la détermination de leur point de départ, des modalités de leur interruption et de leur suspension et du rôle de la convention dans leur mise en œuvre.

A – La souplesse liée à l’existence de conflit des délais

37A priori, ne devrait pas exister de choc de délais en droit de la construction.

38L’article 1104 du Code Civil fait primer le droit spécial sur le droit général. La position jurisprudentielle conduit d’ailleurs, depuis longtemps, à considérer que la responsabilité de droit commun est subsidiaire par rapport aux responsabilités décennales, biennales et de parfait achèvement. Mais le législateur, lui-même, a écarté d’autant plus ce choc des délais que, dans les articles 1792-4-2 et 1792-4-3, il a aligné le délai de responsabilité de droit commun sur le délai décennal, supprimant, dès lors, tout conflit de délai en la matière.

39Demeure cependant un conflit entre le droit commun et le droit de la consommation.

40La Cour de cassation considère, en effet, que s’applique, de préférence à celui de l’article 2224, le délai de l’article L. 218-2 du Code de la consommation qui impose à un professionnel de se faire payer sa créance dans un délai de deux ans.

41Il est d’ailleurs intéressant de voir que son arrêt de la troisième Chambre Civile du 26 octobre 2017 [4] précise que l’article L. 213-2, « texte de portée générale, avait, en l’absence de dispositions particulières, vocation à s’appliquer ».

42Ainsi, un texte que l’on pouvait penser, a priori, spécial, puisque limité au droit de la consommation se voit reconnaître une portée générale qui ne pourrait être primée que si des dispositions particulières à un contrat spécial donné étaient différentes. Tel n’est manifestement pas le cas.

43On ne saurait, par ailleurs, oublier certains conflits de délais indirects entre droit commun et décennale.

44Au Moyen-Âge, était souvent utilisé l’adage selon lequel la mauvaise monnaie chasse la bonne. On pourrait dire, en notre matière, que le bon délai chasse le mauvais, c’est-à-dire que le plus long tend à s’imposer par rapport au plus court. La technique utilisée, tant par les avocats que par les juges, est, en la matière, assez simple. Il s’agit d’apprécier libéralement l’application du délai long pour, par voie de conséquences, rendre inapplicable le délai court. Les exemples sont, en la matière, extrêmement nombreux, la décennale étant devenue en quelque sorte la responsabilité de droit commun quant à sa fréquence d’application à tout le moins en droit de la construction. Le dernier en date est manifestement la jurisprudence controversée sur les éléments d’équipement dissociables installés sur existants qui appliquent la décennale dans des hypothèses où, jusque-là, la responsabilité de droit commun était largement privilégiée [5].

B – Souplesse au regard des points de départ et d’arrivée des délais

45Le droit de la construction ne connaît pas de difficultés spécifiques de compilation des délais, lesquelles sont les mêmes que dans les autres branches du droit. En revanche, on ne peut manquer de signaler quelques variations jurisprudentielles sur les points de départ et d’arrivée.

46Tout d’abord, la jurisprudence n’a de cesse de faciliter le point de départ des délais, comme le montre celle sur la réception. Ainsi, aujourd’hui, la réception peut être expresse, bien que l’entrepreneur n’ait pas signé le procès-verbal, et même s’il n’est pas présent, puisque depuis le 3 janvier 2015, la jurisprudence admet une réception expresse par défaut [6].

47De même, après quelques hésitations, elle admet une réception par lot dans l’arrêt du 20 avril 2017 [7]. La réception tacite est toujours aussi aisée, les conditions n’ayant pas varié et ayant été appliquées à l’auto-construction par un arrêt du 5 janvier 2017 [8], et même aux contrats de construction de maisons individuelles dans un arrêt du 20 avril 2017 [9] alors que pourtant le législateur avait expressément refusé une telle possibilité.

48La Cour de cassation va même jusqu’à rendre plus facile la réception judiciaire qui peut avoir lieu, en l’absence de réception amiable, comme le montre un arrêt du 12 octobre 2017 [10]. Elle peut aussi adapter le point de départ lorsque celui fixé par la loi ne lui convient pas, comme le montrent les décisions sur la garantie de contenance dans la vente en état futur d’achèvement qui interprètent largement l’article 1622 pour repousser le point de départ du délai d’un an qu’il fixe à la livraison [11].

49Enfin, la jurisprudence peut encadrer le point d’arrivée du délai. On le voit avec la jurisprudence sur la computation des pénalités de retard dans le contrat de construction de maisons individuelles. Dans une jurisprudence initiée le 29 mars 2006, et qui se poursuit avec un arrêt du 27 février 2013, la Cour de cassation a considéré que ces pénalités étaient inapplicables après la livraison, même en cas de réserves [12].

C – Souplesse dans l’appréciation de l’interruption et de la suspension des délais

50Au regard de l’interruption des délais, le principe reste, en droit de la construction, celui de la nécessité d’une assignation ou d’une reconnaissance de responsabilité.

51À l’intérieur de ce cadre bien défini, des éléments peuvent être assouplis. Ainsi en va-t-il de l’habilitation du syndic en copropriété qui n’a désormais plus besoin d’être aussi précise qu’auparavant.

52Il suffit que les désordres soient décrits sans avoir besoin d’un niveau de précision aussi important que par le passé [13].

53De même, la jurisprudence est venue au secours des avocats en admettant le principe d’une interruption finalisée. En effet, dans un arrêt du 26 juin 2002, la troisième Chambre précise que si, en principe, l’interruption ne peut s’étendre d’une action à l’autre, il en est autrement lorsque les deux actions, quoiqu’ayant des causes distinctes, tendent à un seul et même but [14].

54L’oubli d’un fondement de l’action ne sera donc pas gênant si cette action a la même finalité que celle pour laquelle le délai est interrompu.

55Mais, étrangement, la tolérance du juge, réelle en matière d’interruption, ne se manifeste pas en matière de suspension.

56La Cour de cassation applique, en effet, strictement, les termes de la loi. Dans la mesure où le texte de l’article 2220 n’applique la suspension qu’au seul délai de prescription et non au délai préfix, il a été écarté, dans un certain nombre d’hypothèses de délais considérés comme préfix. Ainsi en va-t-il dans un arrêt du 10 novembre 2016 en matière de décennale [15]. En revanche, les modalités de suspension du délai ont été appliquées dans un arrêt du 19 mai 2016 au délai biennal de l’assurance construction [16].

57Reste une question qui est de savoir si cette mise à l’écart de l’article 2239 est susceptible de concerner le délai de 10 ans de droit commun des articles 1792-4-2 et 1792-4-3. Si la Cour de cassation est logique et applique les termes de la loi, elle devrait considérer que ce délai peut être suspendu dans la mesure où il est indiqué « qu’il se prescrit », ce qui évoque bien le délai de prescription, alors que pour le délai décennal de l’article 1792-4-1, il est indiqué que les constructeurs « sont déchargés », signe d’un délai préfix.

D – Souplesse par la possibilité d’aménagements conventionnels

58La souplesse peut enfin être apportée aux délais en matière de construction par certains aménagements conventionnels.

59A priori, l’article 2254 laisse une certaine liberté puisqu’il permet des aménagements conventionnels compris entre 1 et 10 ans. Cependant, ce texte se heurte frontalement à l’article 1792-5 qui rend impératives les dispositions sur la responsabilité des constructeurs. Il ne faut sans doute pas, d’ailleurs, s’arrêter ici à une lecture littérale du texte qui ne vise pas les articles 1792-4-1 à 1792-4-3. L’on doit considérer que les délais de responsabilité des constructeurs ne peuvent pas être modifiés.

60En revanche, rien n’interdit d’aménager certains délais de réflexion. Si une telle possibilité est interdite, en ce qui concerne le délai de 10 jours de réflexion et de rétractation, la Cour de cassation l’a, au contraire, parfaitement admise au regard du délai d’un mois de l’article R. 261-30, dans un arrêt du 12 mars 2003 [17].

61On ne doit pas oublier, également, que certains délais sont purement conventionnels et qu’au vu de leur nature, ils sont laissés à la libre disposition des parties.

62Il en va ainsi notamment du délai de réalisation d’une construction dont on sait le caractère fondamental dans notre matière. La question qui peut se poser à propos de cet aspect conventionnel est de savoir si les parties peuvent librement prévoir des clauses rallongeant les délais qu’ils se sont eux-mêmes fixés. La réponse est évidemment positive sous réserve, toutefois, de l’application de la théorie des clauses abusives lorsque le contrat est passé entre professionnels et consommateurs ou lorsqu’il s’agit d’un contrat d’adhésion. Même si la Cour de cassation s’est montrée relativement libérale dans un arrêt du 24 octobre 2012 [18], considérant qu’un report normal du délai ne posait pas problème, il en va d’évidence différemment si des clauses sont excessivement rallongées. Elle a d’ailleurs refusé, dans un arrêt du 6 mars 2015 [19], de considérer, en matière de contrat de construction de maison individuelle, que la prise de possession pouvait valoir réception, mais avait admis, avant 2009, la validité de réduction de 30 ans à un an du délai en matière de défaut de conformité apparent. Une marge de manœuvre existe donc même si elle n’est pas considérable. Les parties peuvent contribuer à donner de la souplesse à la rigueur des délais.

63La conclusion sera la simple inversion de la phrase célèbre de Carbonnier selon laquelle « le droit a mis sur le monde bariolé des choses le capuchon gris des biens ».

64En notre matière, le droit a su mettre sur le monde gris du temps le manteau d’arlequin des délais, ce qui montre qu’il peut, lorsqu’il le veut, être un couturier imaginatif.


Mise en ligne 01/01/2020

https://doi.org/10.3917/dv.086.0091

Notes

  • [1]
    Guillaume Apollinaire : Le pont Mirabeau tiré du recueil Alcool.
  • [2]
    Cass. 3e civ., 22 mars 2000, Bull. III, no 63, p. 43, Constr.-Urb. 2000, n° 143, obs. Sizaire, RDI 2000, 353, obs. Saint-Alary-Houin, Defrénois 2000, p. 1258, obs. Périnet-Marquet ; 3 juin 2015, n° 14-14706, JCP N 2016, 1274, obs. Zalewski-Sicard. Les acquéreurs ne sont donc pas obligés de dénoncer vices apparents et défauts de conformité dans le délai d’un mois et les clauses contraires des actes doivent être réputées non écrites (Cass. 3e civ., 15 févr. 2006, Bull. III, no 36, p. 30, RDI 2006, 305, obs. Tournafond, Defrénois 2006, art. 38460, obs. Périnet-Marquet, Constr.-Urb. 2006, 80, obs. Sizaire ; Cass. 3e civ., 16 déc. 2009, no 08-19612, Bull. III, n° 208, RDI 2010, 102, obs. Tournafond).
  • [3]
    Cf art. L. 242-1 du code des assurances et clauses types annexées à l’article L. 243-1.
  • [4]
    N° pourvoi 16-13591, reprenant un arrêt du 17 février 2016 n° pourvoi 14-29612.
  • [5]
    Cf. Cass 3e civ 15 juin 2017, n° 16-19640 ; 14 septembre 2017, n° 16-17323.
  • [6]
    Cass. 3e civ., 3 juin 2015, no 14-17744, RTDI n° 4-2015, p. 37, obs. Lionel Marie, Constr.-Urb. 2015, 108, obs. Pagès de Varenne, JCP N 2016, 1258, obs. F. Garcia.
  • [7]
    Cass. 3e civ., 2 févr. 2017, n° 14-19279, sera publié au bulletin, Constr.-Urb. 2017, n° 57, obs. Pagès de Varenne ; cf. C. Charbonneau, « De la réception par lots dans les contrats de louage d’ouvrage », RDI 2017, p. 224.
  • [8]
    Cass. 3e civ., 19 janv. 2017, n° 15-27068 sera publié au bulletin, Constr.-Urb. 2017, n° 42, obs. Pagès de Varenne.
  • [9]
    n° 16-10.486, Constr urb 2017 n° 90 obs Pagès de Varenne, JCP N 2017 1179 obs V. Zalewski Sicard.
  • [10]
    Cass 3e civ 12 oct 2017 N° de pourvoi : 15-27802.
  • [11]
    Cass. 3e civ., 24 nov. 1999, Bull. III, n° 225, p. 157 ; Constr.-Urb. 2000, no 1, Defrénois 2000, art. 37152, obs. Périnet-Marquet, RDI 2000, p. 193, obs. Saint-Alary-Houin ; 20 juin 2006 RDI 2007 349, obs. Tournafond ; 11 janv. 2012, n° 10-22294, Bull. III, n° 5, RDI 2012, 225, obs. Tournafond ; 8 oct 2013, n° 12-23275, RDI 2013, 594, obs. Tournafond et Tricoire, JCP N 2012, n° 1133, obs. Barbieri.
  • [12]
    Cass. 3e civ., 29 mars 2006, Bull. III, no 87, p. 75, Constr.-Urb. 2006, 105, obs. Sizaire ; 10 mai 2007, Constr.-Urb. 2007, 137, obs. Sizaire ; 21 oct. 2008, no 07-18270, Constr.-Urb. 2008, 187, obs. Sizaire. En revanche, la réception d’une maison non habitable, même acceptée par le maître, ne vaut pas livraison et continue donc de faire courir les pénalités de retard (Cass. 3e civ., 16 juin 2015, n° 13-11609, Constr.-Urb. 2015, 142, obs. Sizaire).
  • [13]
    Cass. 3e civ., 9 mai 2012, no 11-10293, Bull. III, n° 70, Constr.-Urb., 202, 116, obs. Pagès de Varenne. Il n’est également plus nécessaire de mentionner précisément les personnes visées. En effet, « l’autorisation donnée au syndic vaut, à défaut de limitation des pouvoirs de celui-ci, à l’égard de l’ensemble des personnes concernées par les désordres signalés » (Cass. 3e civ., 4 déc. 2002, Bull. III, n° 248, p. 215, Defrénois 2003, 1279, obs. Périnet-Marquet ; 26 mars 2003, RDI 2003, 354, obs. Malinvaud ; 23 juin 2004 Constr.-Urb. 2004 162, obs. Sizaire.
  • [14]
    Cass. 3e civ., 22 sept. 2004, Bull. III, no 152, p. 138, RDI 2004, 569, obs. Malinvaud.
  • [15]
    Cass. 3e civ., 10 nov. 2016, n° 15-24289, Constr.-Urb. 2017, n° 9, obs. Pagès de Varenne.
  • [16]
    Cass. 2e civ., 19 mai 2016 n° 15-19792.
  • [17]
    N° de pourvoi : 02-10372, Bull III n° 58 p. 54.
  • [18]
    Cass. 3e civ., 24 oct 2012, no 11-17800, Bull. III, no 152, RDI 2013, 93, obs. Tournafond et Tricoire, Constr.-Urb. 2012, 182, note Sizaire, JCP N 2013, no 1093, obs. Laporte-Leconte, RTD com. 2013, 40, obs. Sénéchal, Defrénois 2013, 525, obs. Périnet-Marquet ; 12 juin 2013, n° 12-19285, RDI 2013, 597, obs. Tricoire et Tournafond ; CA Versailles, 16 janvier 2012, CA Amiens, 1er févr. 2011, Constr.-Urb. 2012, no 72, obs. Sizaire.
  • [19]
    N° 16-10.486, Constr urb 2017 n° 90 obs. Pagès de Varenne, JCP N 2017 1179 obs. V. Zalewski Sicard.
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