Notes
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[1]
Comme on le sait, la Caisse des dépôts et consignations a créé en 2008 une filiale dédiée, CDC Biodiversité, dont l’objet est, notamment, de s’assurer la maîtrise de terrains, de les réhabiliter et/ou de les gérer dans une perspective de protection des écosystèmes présents, puis de « céder » la valeur écologique ainsi créée à des opérateurs tenus à des obligations de compensation, sous la forme d’unités de compensation. Pour un exemple d’intervention de la CDC Biodiversité et un point de vue critique, on peut voir A. Béchet, A. Olivier, « Cossure, un exemple à ne pas suivre ? », Le courrier de la nature, n° 284, juill.-août 2014, p. 40 et s.
-
[2]
Articles L.163-1 et s. du Code de l’env.
-
[3]
Pour une étude d’ensemble, cf. M. Lucas, Étude juridique de la compensation écologique, LDGJ, 2015 ; H. Levrel et allii, Restaurer la nature pour atténuer les impacts du développement – Analyse des mesures compensatoires pour la biodiversité, éd. Quae, 2015. V. également, P. Steichen, « Le principe de compensation : un nouveau principe du droit de l’environnement », in La responsabilité environnementale – prévention, imputation, réparation (C. Cans, dir.), Dalloz, Thèmes et commentaires, Paris 2009, p. 143 et s. ; M.-P. Camproux-Duffrène, « Les unités de biodiversité, questions de principes et problèmes de mise en œuvre », RJE 2008, n° spéc. p. 87 et s. ; A. Van Lang, « La compensation des atteintes à la biodiversité : de l’utilité technique d’un dispositif éthiquement contestable », RDI, nov. 2016, n° 11, p. 586 et s.
-
[4]
Voir spécialement, M. Prieur, « Le respect de l’environnement et les études d’impact », RJE 1981/2, p. 103 et s. ; J. Untermaier, « De la compensation comme principe général du droit et de l’implantation de télésièges en site classé, Commentaire de l’arrêt du CE du 27 novembre 1985, Commune de Chamonix-Mont Blanc », RJE 1986/4, p. 381 et s.
-
[5]
Art. L.163-1, al.2 du Code de l’environnement.
-
[6]
G. J. Martin, La compensation écologique : de la clandestinité honteuse à l’affichage mal assumé, RJE 2016/4, p. 603 et s.
-
[7]
La solution est différente si le projet d’aménagement s’inscrit dans un site Natura 2000. V. CJUE 15 mai 2014, aff. C-521/12, Briels et al. et CE 13 décembre 2013, n° 349541. Il reste que cette solution plus favorable reste limitée aux zones Natura 2000.
-
[8]
Pour plus de détails, v. G. J. Martin, op.cit,. et I. Doussan, Compensation écologique : le droit des biens au service de la création de valeurs écologiques et après ? » in Sarah Vanuxem et C. Guibet-Lafaye (dir.), Repenser la propriété, un essai de politique écologique, PUAM 2015, p. 99 et s.
-
[9]
Les guillemets sont ici aussi, voire plus, importants que le mot lui-même ; on en donnera plus loin la raison.
-
[10]
C’est nous qui soulignons.
-
[11]
Décrets n° 2017-264 et 265 du 28 février 2017 relatif à l’agrément des sites naturels de compensation. Arrêté du 10 avril 2017 fixant la composition du dossier de demande d’agrément d’un site naturel de compensation prévu à l’article D.163-3 du Code de l’environnement.
-
[12]
Article D.163-4, 4°) et article 2, 4° de l’arrêté susvisé.
-
[13]
Article D.163-4, 3°) et article 2, 5° du même arrêté.
-
[14]
Art. L. 163-1 du code de l’env.
-
[15]
Article 2, 6°), e) du même arrêté.
-
[16]
G. J. Martin, op.cit. p. 612.
-
[17]
Art. L.163-1, II du Code de l’env.
-
[18]
Art. L.163-4, al.4 du Code de l’env.
-
[19]
Cf. infra, III.
-
[20]
Actu environnement du 4 octobre 2017, Les Yvelines se dotent d’un groupement d’intérêt public comme opérateur de compensation écologique, https://www.actu-environnement.com/ae/news/compensation-ecologique-yvelines-groupement-interet-public-29773.php4#xtor=EPR-50
-
[21]
G. J. Martin, op.cit., p. 615.
-
[22]
Art. L.163-3, al. 2 du code de l’env.
-
[23]
Valérie Dupont, dans une thèse en cours de rédaction à Montpellier, soutient ce point de vue.
-
[24]
Marketstructure and equilibrium, Springer. Traduction de l’allemand vers l’anglais de l’ouvrage de Stackelberg Heinrich Freiherr Von (1934), Marktform und Gleichgewicht, Düsseldorf, Verlag Wirtschaft und Fianzen, coll. « Klassiker der Nationalökonomie », VI+138 p., Springer. (préface de Reinhard Selten, prix Nobel 1994 et Éric S. Maskin, prix Nobel 2007).
-
[25]
G. J. Martin, op. cit., p. 615.
-
[26]
Les conservatoires d’espaces naturels se préoccupent, depuis plusieurs années, de ces questions déontologiques et éthiques. Cf. Bruno Mounier, La compensation et les Cen, exigences et ambitions, Espaces naturels, janvier 2014, n° 45. Disponible sur : http://www.espaces-naturels.info/compensation-et-cen-exigences-et-ambitions. On apprend dans ce dossier que le Conservatoire du littoral comme l’ONF conduisent également une telle démarche.
-
[27]
Voir pour une première démarche largement perfectible la norme NF X10-900.
-
[28]
G. J. Martin, op. cit., p. 615.
-
[29]
Valérie Dupont, Thèse en cours, précitée.
1Avant d’essayer de traiter le thème relatif aux unités de compensation – qui existaient déjà sur le terrain [1], mais qui ont été consacrées par la loi nouvelle [2] –, nous soutiendrons que, s’agissant de la compensation écologique [3], les vrais problèmes nous semblent ailleurs.
2Si l’on accepte de dépasser les objections radicales qui furent (et sont toujours) opposées au principe même de de la compensation [4], deux difficultés majeures devraient retenir davantage l’attention.
3La première découle directement de l’unité de la séquence « Éviter-Réduire-Compenser (ERC) ». Certes, la loi a pris soin de prévoir que la compensation ne pouvait pas venir se substituer aux mesures d’évitement et de réduction [5]. Il reste qu’en disposant, dans le même alinéa que « [S]i les atteintes liées au projet ne peuvent être ni évitées, ni réduites, ni compensées de façon satisfaisante, celui-ci n’est pas autorisé en l’état », le législateur réaffirme l’unité de la séquence. Ce faisant, il ne pourra être évité que « le promoteur ou l’aménageur réalise des arbitrages (notamment financiers) et essaye de “déporter” sur la compensation ce qu’il ne veut (ou ne peut économiquement) ni éviter, ni réduire » [6]. Le seul moyen d’empêcher un tel risque de dérapage eût été de prévoir que la décision administrative d’autoriser ou de refuser le projet ne puisse intervenir qu’au seul examen des mesures d’évitement et de réduction des dommages. Si l’utilité sociale du projet était retenue à ce stade, malgré les dommages résiduels, alors – mais alors seulement – la compensation de ces dommages devrait être envisagée dans un second temps, distinct du premier [7].
4Le deuxième « vrai problème » tient évidemment à la question non résolue de la pérennité problématique des mesures de compensation. Sans pouvoir entrer ici dans le détail [8], relevons simplement que rien dans la loi ne garantit cette pérennité, alors que les travaux ou aménagements autorisés affecteront dans tous les cas la biodiversité de manière pérenne. C’est là une question essentielle qui ne pourra rester longtemps sans solution.
5La focalisation du débat sur les unités de compensation masque ces deux difficultés majeures. Cette focalisation s’explique, selon nous, par une réaction de nature un peu irrationnelle et idéologique très marquée chez les défenseurs de l’environnement, qui voient le diable partout où ils décèlent l’intervention de l’économie – et plus encore de la finance – dans un domaine qui, par nature et par principe, est considéré comme devant leur rester extérieur. Ces préventions nous sont étrangères et nous évoquerons donc ces unités sans a priori négatif. Les critiques – car il y en aura ! – ne seront donc pas motivées par une posture anti économique ou anti financière, mais porteront plutôt sur les failles et les faiblesses du dispositif mis en place. Cette présentation comportera trois temps : un premier temps de définition et d’approche des unités de compensation, un deuxième consacré à leur place dans la loi et un dernier consacré à la nécessaire régulation de ce marché et au caractère très insatisfaisant et très incomplet des décrets et arrêté d’ores et déjà adoptés.
I – Les unités de compensation – définition et première approche
6Les unités de compensation sont des « titres » [9] qui représentent la « valeur écologique » créée sur une certaine surface et pendant une certaine durée, au sein d’un site naturel de compensation. Ces « titres » seront vendus à des aménageurs ou des réalisateurs de travaux soumis à compensation et leur permettront ainsi d’exécuter l’obligation de compensation mise à leur charge par la loi et par la décision administrative qui les autorise, sous cette condition, à réaliser leur aménagement ou leurs travaux.
7Au simple énoncé de ce qui précède, une multitude de questions se posent.
Qu’est-ce qu’un site naturel de compensation ?
8La loi ne le dit pas, mais on peut le comprendre à la lecture de l’article L.163-3 du Code de l’environnement qui dispose que « Des opérations de restauration ou de développement d’éléments de biodiversité, dénommées “sites naturels de compensation”, peuvent être mises en place par des personnes publiques ou privées, afin de mettre en œuvre les mesures de compensation définies au I de l’article L. 163-1, de manière à la fois anticipée et mutualisée. [10] »
Il s’agit donc de sites sur lesquels des professionnels (publics ou privés) de l’ingénierie écologique, qui se seront assurés la maîtrise foncière des terrains « soit par acquisition, soit par signature de contrats à long terme, soit par la mise en place de tout autre dispositif adapté (sic !) », vont créer de la « valeur écologique » (soit en restaurant, soit en développant des éléments de biodiversité : revitalisation d’écosystèmes détruits ou abîmés par le projet, création de nouveaux écosystèmes). Cette « valeur écologique » est traduite en unités de compensation qui seront vendues aux aménageurs ou initiateurs de projets tenus à compensation.« Les sites naturels de compensation font l’objet d’un agrément préalable par l’État, selon des modalités définies par décret ».
Où seront localisés ces sites et par qui ?
9Si l’on comprend bien les décrets et arrêté récemment adoptés [11] relatifs à l’agrément de ces sites, celui-ci sera délivré aux sites qui pourront, entre autres exigences, préciser « la cartographie envisagée de la zone dans laquelle devront se trouver les projets d’aménagement soumis à obligation de compensation pour que leurs maîtres d’ouvrage soient autorisés à acquérir des unités de compensation auprès du site naturel de compensation » [12]. C’est l’opérateur de compensation qui, dans sa demande d’agrément, fixe « la localisation précise du site » [13]. Pour le dire plus simplement, les opérateurs de compensation, gestionnaires de sites, devront estimer quels sont les projets d’aménagements appelant compensation qui sont prévus dans une zone, et ils pourront demander l’agrément d’un site naturel de compensation situé soit sur le site bientôt endommagé, soit à proximité de ces futurs aménagements. La loi prévoit, en effet, que les mesures de compensation doivent être réalisées « en priorité sur le site endommagé ou, en tout état de cause, à proximité de celui-ci afin de garantir ses fonctionnalités de manière pérenne » [14].
Comment (et qui) va fixer la « valeur écologique » créée sur le site naturel de compensation ?
10C’est l’opérateur gestionnaire du site qui proposera dans sa demande d’agrément « la définition des unités de compensation (composition, nombre, prix unitaire) [15] ». Il est possible d’en déduire, d’une part, que l’opérateur de compensation proposera la « valeur écologique » qu’il envisage de créer, la traduction de cette valeur en un certain nombre d’unités de compensation évaluées à un certain prix unitaire et, d’autre part, que cette évaluation sera validée par l’agrément délivré.
11Bien entendu, pour savoir combien d’unités de compensation l’aménageur devra acheter pour exécuter son obligation de compensation, l’État devra aussi traduire en « unités » – qualifions les « d’unités de dommages » – les atteintes à la biodiversité qui seront causées par l’aménagement ou les travaux à venir.
Quelle sera la durée de vie des unités de compensation ?
12Les choses sont ici beaucoup moins claires et l’ambiguïté qui peut être relevée n’est pas sans relation avec ce que nous écrivions plus haut sur la question de la pérennité des mesures compensatoires. Nous sommes en effet en présence de deux textes qui sont, par certains côtés, contradictoires. D’une part, le I. de l’art. L.163-1 dispose que : « Les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité … doivent … être effectives pendant toute la durée des atteintes ». « Si les mots ont un sens, il faut en déduire que l’obligation de compensation doit perdurer tant que l’aménagement cause des atteintes à la biodiversité. Si l’on prend l’exemple d’une infrastructure ferroviaire ou routière, d’un pont ou d’un parking, cela signifie que l’obligation de compensation doit durer tant que cette infrastructure, ce pont ou ce parking sont là, c’est-à-dire vraisemblablement des dizaines, voire des centaines d’années » [16]. D’autre part, l’article D.163-5, comme l’article 2, 1°), c) de l’arrêté du 10 avril 2017, prévoient que l’agrément des sites naturels de compensation est délivré pour une durée déterminée qui ne peut pas être inférieure à 30 ans. Si l’on se cale sur cette durée minimum ou même si l’on raisonne sur une durée plus longue (50 ans par exemple), il s’en infère que les unités de compensation auront aussi une durée déterminée vraisemblablement plus courte que celle de l’obligation de compensation. Comment articuler ces deux dispositions ? Deux possibilités seulement peuvent être envisagées : ou bien, à l’issue du terme de l’agrément, un nouvel agrément est requis pour le site qui se poursuit et l’aménageur renouvelle son achat de « titres » pour une nouvelle période, ou bien il trouve une nouvelle façon de poursuivre la compensation en choisissant une autre option (par exemple, en acquérant un terrain sur lequel il poursuit la compensation ou en concluant un contrat avec un tiers qui continue de compenser pour son compte). Il n’est nul besoin d’insister sur les difficultés de cette deuxième voie. Ce sera néanmoins la seule ouverte si le site naturel de compensation ne poursuit pas son exploitation ou s’il n’obtient pas le renouvellement de son agrément. On peut avancer, sans grand risque de se tromper, que l’État y regardera à deux fois avant d’opposer un tel refus, même si la gestion et le fonctionnement du site naturel de compensation ne donnent pas entière satisfaction.
L’acquisition d’unités de compensation libère-t-elle l’aménageur de toute contrainte et responsabilité ?
13La réponse est clairement négative. La loi dispose, en effet, que « [D]ans tous les cas, le maître d’ouvrage reste seul responsable à l’égard de l’autorité administrative qui a prescrit ces mesures de compensation » [17]. Pourtant, il ne serait pas absurde de considérer que l’aménageur, s’étant adressé à un professionnel de la compensation agréé par l’État, et acquérant auprès de ce professionnel le nombre d’unités de compensation que lui a prescrit l’administration au regard des atteintes à la biodiversité qu’il a causées, devrait être « libéré ». Ce sera de fait souvent le cas, mais dans l’hypothèse, par exemple, d’un retrait d’agrément au site naturel de compensation ou d’une disparition de l’opérateur de compensation (liquidation judiciaire), l’administration pourrait-elle revenir vers l’aménageur en lui demandant de proposer une nouvelle compensation et celui-ci pourrait-il lui opposer qu’il détient dans son actif un bien incorporel, le fameux « titre », représentant l’exécution de son obligation de compensation ? Au soutien de sa position, il pourra arguer que les textes ne lui laissaient pas le pouvoir de contrôler l’exploitation du site naturel de compensation, contrôle entièrement dévolu par ces mêmes textes à l’administration. Où l‘on retrouve la question de la pérennité…
En quoi la qualification de « Titre » se justifie-t-elle pour définir les unités compensation. En quoi les guillemets s’imposent-ils ?
14« Titre », parce que les unités de compensation sont bien des représentations dématérialisées d’une réalité concrète, la gestion écologique d’une certaine zone pendant un certain temps.
15Les guillemets, parce que ce « titre », s’il est revêtu d’une valeur monétaire au moment de sa vente, n’est assurément pas un titre négociable, comme le serait une action ou comme l’est un quota d’émission de gaz à effet de serre. Le « titre » n’est pas un actif financier indépendant de l’opération de compensation qu’il représente ; s’il a une valeur au bilan de l’aménageur, il reste corrélé à l’opération concrète qu’il traduit. Il n’est pas fongible et ne pourra pas être échangé contre d’autres « titres », par exemple. Tout au plus sera-t-il peut-être cessible et transmissible, par exemple, à l’entreprise qui se porterait acquéreur de l’aménagement ou au repreneur d’un aménageur en faillite. Cela ne devrait pouvoir se faire qu’avec l’aval de l’administration.
16L’observation conduit à nuancer – voire à contredire ! – ce qui a été écrit plus haut : si le « titre » demeure corrélé à l’opération qu’il représente, et si celle-ci n’existe plus, il se pourrait bien que l’aménageur ne puisse pas se targuer de sa détention pour s’opposer à l’administration qui viendrait lui demander de mettre en œuvre d’autres mesures compensatoires dans le cas où le site ne serait plus exploité ou ne bénéficierait plus d’un agrément. Observons, cependant, que sur tous ces points rien n’est prévu expressément dans la loi, ni dans les décrets ou arrêté pris pour son application. C’est encore une fois la question de la pérennité des mesures compensatoires qui est en cause.
17Cette première approche des unités de compensation montre que les questions ne manquent pas et que les réponses ne sont pas toujours évidentes. Malgré cela, la loi a placé ce recours aux unités de compensation au centre du dispositif.
II – La place des unités de compensation dans la loi
18Toutes les dispositions du texte contribuent à favoriser le choix des sites naturels de compensation ou, en d’autres termes, à « faire glisser » (comme dans un entonnoir) le mécanisme de la compensation vers les sites naturels de compensation et la vente des unités de compensation. Cette faveur est présente à tous les stades du processus et dans toutes les hypothèses.
19Dès l’origine : parmi les trois options offertes par la loi au débiteur de l’obligation de compensation – exécution directe des mesures compensatoires sur un terrain acquis à cet effet ou dont il se sera assuré la maîtrise par un bail emphytéotique, conclusion d’un contrat avec un opérateur de compensation pour que celui-ci réalise les mesures compensatoires pour son compte, acquisition d’unités de compensation « produites » sur un site naturel de compensation –, il est assez évident que la dernière branche de l’alternative apparaît comme la plus simple à mettre en œuvre. Elle évite à l’aménageur de rechercher et d’acquérir un terrain proche du lieu de son aménagement et de se lancer dans des opérations qui, dans la quasi-totalité des cas ne sont pas au cœur de son métier ; elle le dispense de gérer la relation avec un cocontractant qui accepterait de compenser pour son compte ;… en d’autres termes, elle se limite à prendre en charge un coût, ce qui n’est certes pas négligeable, mais qui est la pratique normale d’une entreprise.
20Cette solution de plus grande facilité peut avoir des effets pervers : le risque existe que les mesures de compensation imposées au pétitionnaire soient calquées sur les unités de compensation produites sur un site voisin…
21Ensuite, au moment du renouvellement nécessaire de l’opération de compensation. Nous avons vu plus haut que la compensation doit perdurer aussi longtemps que les atteintes à la biodiversité et qu’il y a de fortes chances pour que cette durée soit plus longue que celle de l’agrément délivré au site naturel de compensation. En conséquence, au terme de la durée de l’agrément, l’aménageur se trouvera à nouveau devant les trois options déjà énoncées. L’acquisition d’un terrain ou la conclusion d’un bail emphytéotique pour poursuivre l’exécution des mesures compensatoires sera plus délicate encore qu’à l’origine du projet. Dès lors, demeureront ouvertes les deux autres options. La conclusion d’un contrat avec un opérateur de compensation pourra retrouver un certain intérêt,… notamment si cet opérateur est l’ancien exploitant du site naturel de compensation désormais privé d’agrément ! Celui-ci pourra ainsi poursuivre sa relation avec l’aménageur sur la base d’un contrat de ce type, en étant débarrassé des contraintes de l’agrément. Encore faudra-t-il, cependant, que l’administration accepte de considérer que ce contrat répond aux exigences de compensation qui s’imposent à l’aménageur. Si c’est le cas, la compensation qui était initialement par l’offre deviendra alors une compensation par la demande. Enfin, dernière possibilité, le site naturel de compensation pourra demander le renouvellement de son agrément et « revendre » les unités de compensation à l’aménageur. Dans toutes les hypothèses, il est donc vraisemblable que la situation conduira l’aménageur à poursuivre, sous une forme ou sous une autre, sa relation avec le même partenaire.
22Enfin, en cas de mauvaise volonté de l’aménageur. La loi prévoit, en effet, que « [L]orsqu’une personne soumise à une obligation de mettre en œuvre des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité n’y a pas satisfait dans les conditions qui lui ont été imposées, l’autorité administrative compétente la met en demeure d’y satisfaire dans un délai qu’elle détermine, dans les conditions prévues à l’article L. 171-8.
23Lorsque, à l’expiration du délai imparti, la personne n’a pas déféré à cette mise en demeure et que les mesures prises en application du II de l’article L. 171-8 n’ont pas permis de régulariser la situation, l’autorité administrative compétente fait procéder d’office, en lieu et place de cette personne et aux frais de celle-ci, à l’exécution des mesures prescrites, en confiant la réalisation de ces mesures à un opérateur de compensation ou en procédant à l’acquisition d’unités de compensation dans le cadre d’un site naturel de compensation dont les caractéristiques, définies dans son agrément, correspondent aux caractéristiques des mesures prescrites ».
24La mise en œuvre de ces mesures de contraintes sera facilitée par les garanties financières qui auront pu être demandées à l’aménageur [18]. Quant au choix que retiendra l’administration, qui ne voit que le plus simple à mettre en œuvre sera le recours à un site naturel de compensation par l’achat, pour le compte et aux frais de l’aménageur, d’unités de compensation ?
25Ainsi, tout incite les aménageurs comme l’administration à recourir plutôt aux sites naturels de compensation et à la vente d’unités de compensation. C’est la grande victoire des opérateurs de compensation comme la CDC Biodiversité, qui n’ont pas ménagé leur peine pendant tous les débats parlementaires et dont l’action de lobbying a été couronnée de succès.
26Faut-il s’en offusquer et regretter qu’il en soit ainsi ? Ceux qui considèrent que tout montage impliquant des financiers ou des entrepreneurs dans la gestion de la nature est une dérive mortifère, le soutiennent. Sous une très grosse réserve qui sera exprimée plus loin [19], nous ne partageons pas ce point de vue. D’une part, compte tenu des difficultés techniques qu’elles font naître, il ne nous paraît pas choquant que les mesures compensatoires soient mises en œuvre par des professionnels et que l’accès à ce mécanisme puisse être relativement aisé (ce qui ne veut pas dire peu coûteux) pour les aménageurs ; pareillement, le recours à des mécanismes qui traduisent dans un « titre » non négociable la valeur écologique créée, ne nous paraît pas être une monstruosité. D’autre part, il n’est pas inéluctable que les sites naturels de compensation soient uniquement gérés et exploités par des acteurs issus du monde de la finance. Plusieurs organismes, au premier rang desquels il faut citer les Conservatoires d’espaces naturels, réfléchissent à la question et pourraient jouer un rôle éminent, compte tenu de leur expertise en la matière. Pareillement, on vient d’apprendre très récemment que deux départements, une communauté urbaine, un établissement public d’aménagement, une entreprise privée et une association de naturalistes ont créé un Groupement d’intérêt public dédié à l’offre de compensation écologique dans leur zone dintervention [20].
27Mais se pose alors avec une particulière acuité la question du contrôle des opérateurs et celle de la régulation des échanges sur ce nouveau « marché ».
III – Le contrôle des opérateurs et la régulation du « marché » de la compensation
28Les opérateurs de compensation sont évoqués à l’article L.163-1, III du Code de l’environnement et les sites naturels de compensation à l’article L.163-3. « Sont ainsi consacrées, d’une part, l’existence d’un nouveau « métier », dont l’objet sera de mettre en œuvre des mesures de compensation pour le compte des personnes tenues à une telle obligation, d’autre part, celle d’un nouveau « marché », en permettant à certains opérateurs de compensation d’anticiper les besoins des aménageurs en « fabriquant » de la biodiversité, afin de leur vendre des unités de compensation correspondant à ces besoins » [21]. Très peu loquace pour une fois, la loi précise seulement que « les sites naturels de compensation font l’objet d’un agrément préalable de l’État, selon des modalités définies par décret » [22].
29La qualification de « marché » appelle une nouvelle fois les guillemets. Les économistes ne valideront pas cette qualification et ils auront sans doute raison. Il reste que s’il n’y a pas de marché au sens habituel du terme, il existe bien un secteur marchand [23] qui doit être pris en compte et être soumis à une régulation adaptée pour être efficace. Même si l’auteur raisonnait sur de véritables marchés, il ne nous paraît pas sans intérêt de faire ici référence aux analyses et à la classification de Stackelberg [24], en les transposant à notre hypothèse.
30Compte tenu de l’agrément, du lien entre l’offre, qui devra être « anticipée », et de la nature même de la demande, le secteur marchand qui nous préoccupe présente des particularités qui doivent retenir l’attention. Toujours « imparfait », il fonctionnera, selon la classification de Stackelberg, tantôt sur le modèle d’un monopole bilatéral (un seul demandeur et un seul offreur), tantôt comme un monopsone contrarié (un seul demandeur confronté à quelques rares offreurs), voire, dans le meilleur des cas, dans les régions les plus actives, comme un oligopole bilatéral (quelques rares demandeurs face à quelques rares offreurs). En tout état de cause, c’est un secteur qui, parce qu’il ne connaîtra jamais des conditions normales de concurrence, réclamera toujours une très forte régulation.
31Or, rien ne ressemble à une vraie régulation dans les textes actuels. Plus exactement, la régulation mise en œuvre frappe par son classicisme (contrôle des capacités financières et techniques, vérification portant sur la maitrise des terrains, suivi du processus, mises en demeure possibles, etc.) et son inadaptation aux vrais enjeux qu’elle omet de prendre en compte. Les opérateurs de compensation, en tant que tels, ne font l’objet d’aucun agrément. L’agrément des sites naturels de compensation est, pour sa part, loin de répondre aux besoins. On peut, parfois, avoir le sentiment que les auteurs des textes ont raisonné à propos de ces sites, comme ils raisonnent à propos des installations classées pour la protection de l’environnement, en omettant de prendre en compte la dimension de droit économique, qu’imposerait pourtant l’émergence d’un nouveau secteur marchand.
32En effet, pour délivrer l’agrément, il n’est pas prévu de vérifier, en premier lieu, si des liens capitalistiques entre aménageurs, bureaux d’études et opérateurs de compensation existent, ni de tenter de mettre en évidence d’autres formes d’influences possibles des uns sur les autres. Or, ce point est crucial ! « L’étroitesse relative du secteur multiplie, en effet, les risques de conflits d’intérêts, voire de collusions » [25]. Pour démontrer combien cette question est mal perçue, il suffit de rappeler que le Ministère se demande si, au motif que les aménageurs procèderont à des opérations de compensation, ils ne pourraient pas être considérés comme des « personnes morales de droit privé agissant pour la protection de l’environnement » et être bénéficiaires à ce titre d’obligations réelles environnementales consenties par un propriétaire !
33S’agissant, en second lieu, du contrôle des mesures mises en œuvre sur les sites naturels de compensation, il se fera au coup par coup, dans la mesure où les textes ne font aucune référence à des standards généraux tels qu’ils pourraient s’exprimer dans une charte d’éthique [26] ou, mieux encore, tels qu’ils pourraient résulter d’une normalisation, sur la base de laquelle serait délivrée une certification [27]. « Une telle démarche permettrait, notamment dans les marchés publics – mais aussi dans les prescriptions imposées par l’administration à l’aménageur –, d’insérer des clauses ou des dispositions garantissant le choix d’opérateurs dont la qualité des méthodes aurait été vérifiée et attestée » [28].
34Enfin, il est également nécessaire que, lors de la constitution et du développement du secteur, l’Autorité de la concurrence soit extrêmement vigilante pour identifier et sanctionner les ententes, comme les abus de position dominante, qui ne manqueront pas d’apparaître.
35Au-delà se pose encore la question de la coexistence dans un même secteur d’acteurs de nature très différente (sociétés commerciales, établissements publics, associations, agriculteurs recherchant un complément de revenus, etc.) et la nécessaire réflexion qu’une telle coexistence appelle. Le secteur marchand de la compensation mettra face à face des acteurs de l’économie capitaliste et d’autres venant de l’économie sociale et solidaire. Des analyses et des règles de droit économique s’imposent, si l’on veut éviter que les premiers étouffent les seconds et les empêchent de faire valoir leur expertise dans ce domaine.
36Mais il n’est pas possible d’en rester là. Si une régulation véritable et complète des sites naturels de compensation et du secteur marchand qui lui est associé venait à voir le jour, il y a de fortes chances que, pour y échapper, les opérateurs du secteur, et notamment les aménageurs, choisissent de privilégier la compensation par la demande.
37Apparaitrait alors au grand jour le véritable « désert régulatoire » qui caractérise cette forme de compensation au cas par cas (à la demande) et qui se traduit notamment – mais pas exclusivement – par l’absence de tout agrément des opérateurs de compensation. Cette situation émeut déjà aux USA les institutions financières qui se livrent aux opérations de « compensation banking », et qui se considèrent victimes d’une concurrence, à certains égards « déloyale », de la part des opérateurs de compensation à la demande, soumis à une régulation beaucoup plus légère [29].
38La route est donc encore longue pour que l’encadrement juridique de la compensation soit à la hauteur des enjeux… Mais le temps presse ! Plus le secteur se sera développé et structuré et plus il sera difficile de lui imposer un cadre garantissant – osons le mot ! – une éthique de la compensation.
Notes
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[1]
Comme on le sait, la Caisse des dépôts et consignations a créé en 2008 une filiale dédiée, CDC Biodiversité, dont l’objet est, notamment, de s’assurer la maîtrise de terrains, de les réhabiliter et/ou de les gérer dans une perspective de protection des écosystèmes présents, puis de « céder » la valeur écologique ainsi créée à des opérateurs tenus à des obligations de compensation, sous la forme d’unités de compensation. Pour un exemple d’intervention de la CDC Biodiversité et un point de vue critique, on peut voir A. Béchet, A. Olivier, « Cossure, un exemple à ne pas suivre ? », Le courrier de la nature, n° 284, juill.-août 2014, p. 40 et s.
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[2]
Articles L.163-1 et s. du Code de l’env.
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[3]
Pour une étude d’ensemble, cf. M. Lucas, Étude juridique de la compensation écologique, LDGJ, 2015 ; H. Levrel et allii, Restaurer la nature pour atténuer les impacts du développement – Analyse des mesures compensatoires pour la biodiversité, éd. Quae, 2015. V. également, P. Steichen, « Le principe de compensation : un nouveau principe du droit de l’environnement », in La responsabilité environnementale – prévention, imputation, réparation (C. Cans, dir.), Dalloz, Thèmes et commentaires, Paris 2009, p. 143 et s. ; M.-P. Camproux-Duffrène, « Les unités de biodiversité, questions de principes et problèmes de mise en œuvre », RJE 2008, n° spéc. p. 87 et s. ; A. Van Lang, « La compensation des atteintes à la biodiversité : de l’utilité technique d’un dispositif éthiquement contestable », RDI, nov. 2016, n° 11, p. 586 et s.
-
[4]
Voir spécialement, M. Prieur, « Le respect de l’environnement et les études d’impact », RJE 1981/2, p. 103 et s. ; J. Untermaier, « De la compensation comme principe général du droit et de l’implantation de télésièges en site classé, Commentaire de l’arrêt du CE du 27 novembre 1985, Commune de Chamonix-Mont Blanc », RJE 1986/4, p. 381 et s.
-
[5]
Art. L.163-1, al.2 du Code de l’environnement.
-
[6]
G. J. Martin, La compensation écologique : de la clandestinité honteuse à l’affichage mal assumé, RJE 2016/4, p. 603 et s.
-
[7]
La solution est différente si le projet d’aménagement s’inscrit dans un site Natura 2000. V. CJUE 15 mai 2014, aff. C-521/12, Briels et al. et CE 13 décembre 2013, n° 349541. Il reste que cette solution plus favorable reste limitée aux zones Natura 2000.
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[8]
Pour plus de détails, v. G. J. Martin, op.cit,. et I. Doussan, Compensation écologique : le droit des biens au service de la création de valeurs écologiques et après ? » in Sarah Vanuxem et C. Guibet-Lafaye (dir.), Repenser la propriété, un essai de politique écologique, PUAM 2015, p. 99 et s.
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[9]
Les guillemets sont ici aussi, voire plus, importants que le mot lui-même ; on en donnera plus loin la raison.
-
[10]
C’est nous qui soulignons.
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[11]
Décrets n° 2017-264 et 265 du 28 février 2017 relatif à l’agrément des sites naturels de compensation. Arrêté du 10 avril 2017 fixant la composition du dossier de demande d’agrément d’un site naturel de compensation prévu à l’article D.163-3 du Code de l’environnement.
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[12]
Article D.163-4, 4°) et article 2, 4° de l’arrêté susvisé.
-
[13]
Article D.163-4, 3°) et article 2, 5° du même arrêté.
-
[14]
Art. L. 163-1 du code de l’env.
-
[15]
Article 2, 6°), e) du même arrêté.
-
[16]
G. J. Martin, op.cit. p. 612.
-
[17]
Art. L.163-1, II du Code de l’env.
-
[18]
Art. L.163-4, al.4 du Code de l’env.
-
[19]
Cf. infra, III.
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[20]
Actu environnement du 4 octobre 2017, Les Yvelines se dotent d’un groupement d’intérêt public comme opérateur de compensation écologique, https://www.actu-environnement.com/ae/news/compensation-ecologique-yvelines-groupement-interet-public-29773.php4#xtor=EPR-50
-
[21]
G. J. Martin, op.cit., p. 615.
-
[22]
Art. L.163-3, al. 2 du code de l’env.
-
[23]
Valérie Dupont, dans une thèse en cours de rédaction à Montpellier, soutient ce point de vue.
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[24]
Marketstructure and equilibrium, Springer. Traduction de l’allemand vers l’anglais de l’ouvrage de Stackelberg Heinrich Freiherr Von (1934), Marktform und Gleichgewicht, Düsseldorf, Verlag Wirtschaft und Fianzen, coll. « Klassiker der Nationalökonomie », VI+138 p., Springer. (préface de Reinhard Selten, prix Nobel 1994 et Éric S. Maskin, prix Nobel 2007).
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[25]
G. J. Martin, op. cit., p. 615.
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[26]
Les conservatoires d’espaces naturels se préoccupent, depuis plusieurs années, de ces questions déontologiques et éthiques. Cf. Bruno Mounier, La compensation et les Cen, exigences et ambitions, Espaces naturels, janvier 2014, n° 45. Disponible sur : http://www.espaces-naturels.info/compensation-et-cen-exigences-et-ambitions. On apprend dans ce dossier que le Conservatoire du littoral comme l’ONF conduisent également une telle démarche.
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[27]
Voir pour une première démarche largement perfectible la norme NF X10-900.
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[28]
G. J. Martin, op. cit., p. 615.
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[29]
Valérie Dupont, Thèse en cours, précitée.