Couverture de DV_078

Article de revue

L’exercice des compétences : de la contractualisation des aides à la pierre à la contractualisation des pouvoirs de police spéciale

Pages 13 à 30

Notes

  • [1]
    Loi n° 2014-366, 24 mars 2014, JO 26 mars, p. 5809.
  • [2]
    P. Piganiol, L’habitat contemporain, Un habitat pour l’homme d’aujourd’hui, Encyclopédie Universalis.
  • [3]
    Selon l’analyse réalisée par le Rapport du Comité Balladur « Il est temps de décider », de mars 2009, le logement et l’habitat constituent une matière où, les compétences sont « enchevêtrées » entre régions, départements, communes, État, tandis que l’urbanisme se caractérise par « un niveau de collectivités locales principalement compétent », une solution moins répandue et qui porte sur l’échelon communal.
  • [4]
    Cf. fiche loi ALUR, Lutte contre l’habitat indigne : permettre l’émergence d’un acteur unique, Ministère du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité, juin 2014.
  • [5]
    Conseil d’État, Rapport public de 2008, « Le contrat, mode d’action publique et de production des normes », p. 9.
  • [6]
    Régime général des délégations modifié et complété par la loi MAPTAM du 27 janvier 2014 : CGCT, art. L. 1111-8 ; art. L. 1111-8-1.
  • [7]
    Caractéristique soulignée par la Cour des Comptes dans son Rapport public thématique. Les aides à la pierre : l’expérience des délégations de l’État aux intercommunalités et aux départements, mai 2011, p. 13.
  • [8]
    Loi n° 2009-323 de mobilisation pour le logement et de lutte contre l’exclusion, 25 mars 2009 (art. 28 V).
  • [9]
    PLH (CCH, art. L. 302-1). La loi MOLLE a étendu l’obligation de PLH aux communes de plus de 20 000 habitants non couvertes par un PLH intercommunal (CCH, art. L. 302-4-1).
  • [10]
    CC, Rapport public thématique, Les aides à la pierre : l’expérience des délégations de l’État aux intercommunalités et aux départements, mai 2011.
  • [11]
    En particulier : Rapport d’information Sénat n° 570, Les délégations de compétences dans le domaine du logement (aides à la pierre et contingent préfectoral), Ph. Dallier, 1er juin 2011. Rapport d’information Assemblée nationale n° 1285, conclusion des travaux de la mission d’évaluation et de contrôle sur l’optimisation des aides à la construction de logements sociaux en fonction des besoins, C. Caresche, M. Piron, 18 juillet 2013.
  • [12]
    La Cour des comptes a montré l’évolution des délégations marquée par « un poids financier qui se réduit », R. préc., p. 16. Le Rapport du Sénat va dans le même sens, les incertitudes budgétaires étant cause d’« une attractivité qui se réduit », R. préc., p. 27. Le Rapport de l’Assemblée nationale comporte une recommandation n° 41, par laquelle ses auteurs « invitent d’ores et déjà l’État à réfléchir à la mise en place d’une délégation réelle des aides à la pierre au lieu de l’actuelle délégation qui fixe des objectifs mais ne donne pas les moyens de les atteindre », R. préc., p. 151.
  • [13]
    Ces chiffres progressent lentement : en 2010, 78 EPCI selon le Rapport précité de la Cour des comptes précité, p. 22. ; au 15 avril 2014, 85 EPCI, selon la fiche loi ALUR juin 2014, précitée.
  • [14]
    L’étude d’impact relève seulement deux cas d’intercommunalités ayant « choisi de ne pas reconduire leur convention de délégation ».
  • [15]
    Réforme associée à celle du PLH., cf. la communication de F. Zitouni.
  • [16]
    Loi, art. 60, 61, CGCT, art. L. 5210-1-1.
  • [17]
    Loi, art. 10, complétant l’article L. 5210-1-1 CGCT, et 11, pour les départements limitrophes de la ville de Paris.
  • [18]
    http://www.collectivites-locales.gouv.fr/files/files/BIS_98(2).pdf DGCL, janvier 2014 : 2145 EPCI à fiscalité propre dont 222 CA, 1903 CC.
  • [19]
    L’article L. 122-I-4° de la loi procède aussi à l’élargissement de l’objet du PLH (CCH, art. L. 302-1).
  • [20]
    Réquisition avec attribution créée par la loi n° 98-657 du 29 juillet 1999 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions modifiée par la loi n° 2013-61 du 18 janvier 2013 mobilisation du foncier public en faveur du logement et renforcement des obligations de production du logement social ; Réquisition, CCH, art. L. 641-1.
  • [21]
    Mise en œuvre du droit au logement opposable : point sur les chiffres de l’année 2013 (données arrêtées au 13/02/2014) Direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages. http://www.hclpd.gouv.fr/IMG/pdf/Ppt_comite_de_suivi.pdf
  • [22]
    USH, Loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, Présentation générale, ww.acteursdelhabitat.com/…/note_acte_iii_loi_metropoles_definitive
  • [23]
    Pour Aix-Marseille-Provence, Lyon à statut de collectivité particulière, aucune originalité n’est ajoutée sur le fond. Le droit commun des métropoles est étendu à Aix-Marseille-Provence, à défaut de disposition propre. Le régime de la métropole de Lyon reprend la distinction des conventions du droit commun des métropoles (CGCT, art. L. 3641-5-I et -II).
  • [24]
    Signalons les analyses critiques développées sur les délégations des aides à la pierre par le rapporteur, D. Goldberg, dans l’Avis logement, sur le projet de loi de finances pour 2014, Assemblée nationale, n° 1395, Tome XIII (2013-2014), 10 octobre 2014. Face aux mécontentement des élus locaux qui ressortent d’enquêtes, il propose de répondre au « désenchantement » en ouvrant des choix aux délégataires et avance l’idée non pas d’élargir la délégation mais de la rendre plus souple, par dissociation de la délégation entre aides pour le logement social et celles pour logement privé, en total divergence avec les solutions de la loi ALUR.
  • [25]
    Cette disposition n’est pas formellement abrogée.
  • [26]
    Rapport Sénat n° 65 (2013-2014) C. Dilain, C. Bérit-Débat, fait au nom de la commission des affaires économiques, 9 octobre 2013. La réalité est difficile à saisir. Selon la fiche Loi ALUR précitée, sur le sujet : « Il existe en France environ 420 000 logements occupés considérés comme indignes » (données « Filocom » 2011).
  • [27]
    J.-M. Pontier, Le transfert des pouvoirs de police du maire, JCP Adm. 2011 n° 2362 ; voir également L. Martin, le président de l’EPCI à fiscalité propre, une autorité de police administrative en devenir, AJDA 2012, p. 135.
  • [28]
    Pour les métropoles subdivisées en territoires, (Grand Paris, Aix-Marseille-Provence), l’article L. 5211-9-2-I-1° prévoit en cas de délégation de la compétence habitat à un conseil de territoire, une délégation du président de la métropole au président du conseil de territoire.
  • [29]
    Ces transferts pourront susciter des difficultés, liées au concours de police générale du maire non transférée et police spéciale. Le Conseil d’État au sujet des rapports entre police spéciale des immeubles menaçant ruine et police administrative générale a admis, dans son arrêt du10 octobre 2005, commune de Badinières, req. n° 259205, que les pouvoirs conférés par ces deux polices sont distincts, « toutefois, en présence d’une situation d’extrême urgence créant un péril particulièrement grave et imminent, le maire peut, quelle que soit la cause du danger, faire légalement usage des ses pouvoirs de police générale, et notamment prescrire l’exécution des mesures de sécurité qui sont nécessaires et appropriées ».
  • [30]
    Rapport Assemblée nationale n° 307 (2013-2014), D. Goldberg, A. Linkenheld, 19 décembre 2013, Tome I et Tome II, Tableau comparatif ; Rapport Sénat, n° 307 (2013-2014), C. Dilain, C. Bérit-Débat, 22 janvier 2014, reprenant l’évolution de la rédaction de l’article 41, avant 2ème lecture par le Sénat.
  • [31]
    La fiche Loi ALUR, précitée, Lutte contre l’habitat indigne : permettre l’émergence d’un acteur unique, rappelle l’application ici du décret n° 2008- 580 du 18 juin 2008 et la distinction entre mise à disposition des services et des agents.
  • [32]
    Tableau comparatif précité.
  • [33]
    La fiche Loi ALUR précitée, précise que la législation actuelle ne permet pas aux EPCI de percevoir la Dotation Générale de Décentralisation, perçue par 208 communes dotées de services communaux d’hygiène et de santé.
  • [34]
    Avis logement, projet de loi de finances pour 2014, Assemblée nationale, n° 1395,Tome XIII (2013-2014), D. Goldberg, 10 oct. 2013 ; voir aussi sur cet avis, supra note 25.

1La loi ALUR [1], conçue dans l’objectif prioritaire de l’accès au logement et de remédier à l’insuffisance de l’offre, dans un contexte de crise récurrente du logement, comporte des mesures destinées à renforcer les politiques urbaines envisagées dans leurs différents volets, du logement, de l’habitat, de l’urbanisme. Ces politiques sont plus que jamais transversales, placées dans l’objectif du développement durable. Elles sont appelées à croiser différentes législations, qui sont de moins en moins indépendantes les unes des autres, comme une approche classique de la règle de droit le voulait. Elles relèvent en même temps de l’exercice de compétences, qui ont été décentralisées pour être attribuées aux collectivités territoriales et aux EPCI, tandis que l’État conserve des compétences dont l’importance varie selon les domaines. Le logement et l’habitat, plus large que le logement, car il renvoie en réalité, à « un ensemble socialement organisé », [2] est concerné dans une configuration d’enchevêtrement des compétences, qui est dominante. À cet égard, les réformes introduites par la loi ALUR s’inscrivent dans le même mouvement que celui de la loi n° 2014-58 de Modernisation de l’Action Publique Territoriale et d’Affirmation des Métropoles (MAPTAM) du 27 janvier 2014. Dans un système où les compétences, réparties entre plusieurs collectivités publiques, sont souvent imbriquées [3], il s’agit de renforcer celles des EPCI à fiscalité propre : différentes communautés et nouvelles métropoles. Il s’agit aussi de parvenir à ce qu’elles soient exercées dans des conditions de meilleure gouvernance, en raison d’une meilleure coordination. C’est pourquoi la loi ALUR développe le recours au contrat entre collectivités publiques, afin de préciser l’exercice des compétences. Une telle avancée s’inscrit dans le mouvement de contractualisation de l’action publique, qui peut servir de base à des partenariats. Ce processus a d’ailleurs accompagné les réformes de la décentralisation depuis 1983, afin de remédier à l’enchevêtrement des compétences, à défaut d’avoir pu réaliser des blocs, par spécialisation matérielle des différents échelons de collectivités.

2En l’absence de réforme fondamentale, sur la rationalisation de la répartition des compétences, la loi ALUR compte, parmi ses mesures innovantes, d’introduire la contractualisation de l’exercice de plusieurs compétences de polices administratives spéciales pour lutter contre l’habitat indigne dont elle prévoit le transfert des maires aux présidents d’EPCI à fiscalité propre [4]. La contractualisation avait commencé à être employée en matière de police spéciale de l’environnement depuis la loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales. À son tour, l’article 75, de la loi ALUR, recourt à la contractualisation pour « permettre l’unification des polices de l’habitat ».

3En général, le recours au contrat entre personnes publiques est protéiforme puisque tributaire des caractéristiques de la répartition de compétences du champ considéré. Il peut être fondé simplement sur le principe de la liberté contractuelle, attribut des collectivités publiques. Il est aussi de plus en plus encadré, comme ici, par le législateur, qui en définit les conditions. De tels développements se font dans les limites assignées par notre système juridique, soulignées par le Vice-président du Conseil d’État, J.-M. Sauvé : le procédé ne permettant pas « aux personnes publiques de disposer de leurs compétences » [5].

4Le contrat a aussi servi de fondement à l’exercice des compétences par délégation, prévues par le législateur, depuis la réforme de décentralisation par la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 Libertés et Responsabilités Locales. Elle a permis à une collectivité d’en confier la mise en œuvre à une autre collectivité, tout en restant titulaire de la compétence. Son champ inclut les délégations entre collectivités publiques décentralisées : dont les compétences d’une collectivité territoriale à une autre, entre collectivité territoriale et EPCI. La délégation peut constituer, de plus, un instrument de mise en œuvre des compétences non décentralisées, lorsque l’État procède à la délégation de ses compétences à une collectivité territoriale ou un EPCI [6]. La solution a été retenue depuis 2004, comme « délégation spécifique » [7], dans le secteur du logement, pour la délégation des aides à la pierre, prévue par le Code de la construction et de l’habitation (CCH, art. L. 301-5-1), destinée au financement du logement et applicable d’abord aux EPCI compétents en matière de politique locale de l’habitat. La loi ALUR étend ce dispositif dans son article 122, tandis que l’article 75 crée une nouvelle délégation de l’État, de différentes polices spéciales, régies par le Code de la santé publique (CSP). L’ensemble est conçu en complémentarité.

5Le recours au contrat présente des avantages et, en premier, de fournir un instrument plus souple que la voie unilatérale. La négociation sert à mieux définir les conditions et les moyens de mise en œuvre de l’action publique. Il est, de plus, un instrument de territorialisation des politiques publiques afin de mieux les adapter, au territoire visé, qui devrait en principe être pertinent, tout en permettant de mobiliser les collectivités parties au contrat sur l’action publique à réaliser. La contractualisation n’est pas pour autant la panacée. Elle n’est pas sans ajouter à la complexité de notre système de définition des compétences, dont la lisibilité devient difficile, et sans apparaître contradictoire avec le discours sur la simplification du droit.

6Les dispositions de la loi ALUR, sur la contractualisation de l’exercice de compétences, qui concernent spécialement le secteur du logement et de l’habitat, s’inscrivent dans le prolongement de ces conceptions. Aussi nous semble-t-il nécessaire d’en proposer une lecture qui les mette en perspective par rapport aux axes d’évolution. La loi, particulièrement technique sur ce sujet, cherche surtout à élargir, améliorer la contractualisation engagée au fil de réformes successives. Les dispositions adoptées marquent la volonté de réunir des compétences, à l’échelon des EPCI à fiscalité propre, dans l’objectif d’aller vers un interlocuteur unique. Elles consistent, d’une part, à élargir les conventions de délégation des aides à la pierre pour la mise en œuvre d’une politique du logement (I). Elles consistent, d’autre part, à introduire le contrat pour la mise en œuvre des polices spéciales de lutte contre l’habitat indigne, transférées et déléguées (II).

I – L’élargissement des conventions de délégation des aides à la pierre pour la mise en œuvre de la politique du logement

7L’article 122 commence par donner une nouvelle rédaction de l’article L. 301-5-1 du CCH, initialement prévu pour les aides à la pierre. Il est inséré dans le titre III de la loi « améliorer la lisibilité et l’efficacité des politiques publiques du logement » et fait partie du chapitre IV « élargir les délégations de compétence en matière de politique du logement ». Cette réforme est à replacer dans son contexte (A) avant d’en analyser l’apport (B).

A – Le contexte de la réforme

8Depuis la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales (L. art. 61), modifiée en 2009 par la loi MOLLE [8], le législateur a prévu la possibilité de conclure des conventions à l’échelon intercommunal, entre EPCI dotés d’un PLH (CCH, art. L. 301-5-1), ou encore les départements, et l’État (CCH, art. L. 301-5-2), d’une durée de six ans, afin d’articuler les compétences de l’État, qui définit la politique nationale du logement, et celles des communes, intercommunalités, départements, en la matière. Les EPCI sont, par principe, les premiers bénéficiaires du droit de contracter, sur la base du volontariat. Les départements ne le sont qu’à titre subsidiaire, hors territoire couvert par un EPCI, partie à une telle convention. Le PLH, également d’une durée de six ans, est une condition déterminante, sachant qu’il fixe des objectifs, prévoit un programme d’action. Il est de la compétence des EPCI : obligatoire dans les communautés urbaines, les communautés d’agglomération, les communautés de communes compétentes en matière d’habitat de plus de 30 000 habitants, comprenant au moins une commune de plus de 10 000 habitants, et les métropoles, instituées par la loi de réforme des collectivités territoriales du 16 décembre 2010 [9]. Son élaboration obéit à une procédure qui réserve des prérogatives au préfet pour en contrôler le contenu. Le PLH est ainsi le « socle » du dispositif, tandis que la convention permet, par sa mise en œuvre, de déléguer la gestion des aides publiques, allouées annuellement, selon les dotations des lois de finances, au titre des aides à la pierre, en matière de logement social et privé. Elle comporte de plus les engagements financiers de l’EPCI pour la réalisation des objectifs qu’elle définit. L’État, en tant que cocontractant délégant, dispose de prérogatives particulières, dont le droit de la dénoncer pour insuffisance d’exécution du PLH, en se fondant sur les résultats de son bilan triennal. Le renouvellement de la convention n’est pas de droit, pouvant être refusé, par le préfet en raison de prise en compte insuffisante des demandes de modification du projet de PLH, au cours de sa procédure d’élaboration.

9La préparation de la loi ALUR a permis de tirer le bilan de la mise en œuvre de ces conventions. L’étude d’impact, qui s’inscrit dans le prolongement de différents travaux effectués par la Cour des Comptes [10] et des commissions parlementaires [11], a montré que la délégation des aides à la pierre était un succès mais rencontrait aussi des limites, liées notamment à son champ trop étroit. Ce qui a fourni, un argument pour préconiser son extension. Toutefois, hors procédure de loi de finances, elle a éludé la question de l’insuffisance des moyens financiers dont cette délégation de l’État est assortie : une faiblesse que les rapports précités avaient relevée [12]. Le diagnostic a insisté sur « l’appropriation de la délégation des aides à la pierre par les EPCI ». Elle s’exprimait en chiffres, actualisés au 1er janvier 2013, date à laquelle, quatre-vingt-quatre EPCI avaient conclu une convention de délégation des aides à la pierre [13], soit : quatorze communautés urbaines et métropoles, soixante-six communautés d’agglomération, quatre communautés de communes. S’y ajoutaient les conventions conclues par vingt-six départements. En 2012, ces délégations couvraient des territoires correspondant à presque 50 % de la population, à 55 % de programmation du parc locatif social et environ 45 % des subventions attribuées dans le cas du parc privé. La réussite du système s’étant manifestée par le renouvellement des conventions conclues [14]. Son apport a été envisagé en termes de gouvernance. La délégation dont les EPCI ont bénéficié, en particulier, a constitué « un effet de levier dans la production de logements locatifs sociaux », tandis que « ces établissements ont renforcé leur rôle de coordination des acteurs de l’habitat ». Les différents rapports précités admettent également la pertinence de son échelon intercommunal. C’est pourquoi, dans l’objectif d’« amélioration de la gouvernance des politiques locales de l’habitat », le projet de loi est caractérisé par « l’élargissement des compétences déléguées [15]… » des EPCI.

B – L’apport de la loi ALUR

10Selon l’article L. 301-5-1 du Code de la construction et de l’habitation, modifié, ces conventions, à périmètre de compétences déléguées élargi, sont en principe conclues par les EPCI, dotés d’un PLH exécutoire. Pour ce document pivot du système, l’exigence d’être exécutoire, au sens du droit administratif, d’acte entré en vigueur, devient une condition juridiquement plus précise, que celle antérieure de disposer d’un PLH. Les conventions sont réservées aux EPCI, à fiscalité propre, toujours sur la base du volontariat. L’élargissement n’est pas prévu, à l’égard des conventions de délégation des aides à la pierre conclues, par les départements, qui restent subsidiaires (CCH, art. L. 301-5-2). La solution s’inscrit clairement dans l’objectif de renforcer l’échelon intercommunal. Observons que, du point de vue institutionnel, ce renforcement ne peut qu’être favorisé par la généralisation de l’intercommunalité à l’ensemble des communes, engagée depuis la loi de réforme des collectivités territoriales du 16 décembre 2010 [16] et complétée, pour une partie des collectivités territoriales d’Ile-de-France, par la loi MAPTAM du 27 janvier 2014 [17]. Sur l’ensemble du territoire, la généralisation très avancée au 1er janvier 2014 [18] doit être achevée, au 31 décembre 2015.

11La loi ALUR ne comporte pas l’intégralité de la réforme, puisque le législateur a introduit des dispositions particulières applicables aux métropoles, dans la loi MAPTAM. Les nouvelles métropoles ne sont que partiellement soumises à l’article L. 301-5-1 du CCH, qui procède par renvois aux dispositions du CGCT qui leur sont applicables. De plus, le système va désormais au-delà de l’intercommunalité, puisque le législateur a créé la nouvelle métropole de Lyon, sous le statut de collectivité particulière, au sens de l’article 72 de la Constitution.

12Du point de vue matériel, la réécriture de l’article L. 301-5-1 du CCH s’insère dans l’objectif général de la loi de traiter de l’accès au logement dans ses différentes composantes et étapes. C’est pourquoi, du point de vue de son objet, le contenu des conventions est élargi et mieux défini (art. L. 301-5-1-III). Il porte sur le logement complété en amont, par l’hébergement et s’étend de plus à l’habitat indigne [19]. La convention « précise, par commune, les objectifs et les actions à mener dans le cadre de lutte contre l’habitat indigne ». Ce qui complète le dispositif de la loi ayant pour but de « renforcer… l’articulation entre logement et hébergement », (articles 33 à 45), puisqu’il s’agit de traiter de tout le parcours d’accès au logement, en tenant compte en particulier de la situation des personnes qui sont le plus en difficultés pour y accéder, dont celles bénéficiaires du Droit au logement opposable (DALO), et de toutes les formes d’habitat jusqu’aux plus dégradées.

13Du point de vue des compétences déléguées, le régime de droit commun, applicable aux EPCI, autres que les métropoles, prévu à l’article L. 301-5-1-IV et V, est fondé sur la distinction entre des compétences obligatoirement déléguées, qui correspondent au champ antérieur de la délégation des aides à la pierre, et des compétences optionnelles qui sont susceptibles de s’y ajouter. Le système devient partiellement à la carte. Les compétences obligatoirement déléguées par l’État (L. 301-5-1-IV-1° ; 2°) portent, d’une part, sur « l’attribution des aides au logement locatif social et la notification aux bénéficiaires » et, d’autre part, sur « l’attribution des aides en faveur de l’habitat privé » assortie d’une délégation de signature de l’ANHA, des conventions d’aides particulières aux propriétaires bailleurs.

14Ensuite, « la délégation peut porter sur tout ou partie » de trois compétences distinctes (L. 301-5-1-V-1° ; 2° ; 3°). La première visée est « la garantie du droit à un logement décent et indépendant », c’est-à-dire, la garantie du droit au logement opposable, selon les conditions d’attribution de logement aux bénéficiaires de ce droit (art. L. 441-2-3 et L. 441-2-3-1) dont le dispositif est amélioré par la loi ALUR. Pour en permettre l’exercice, la délégation s’étend d’abord aux moyens, en logements à attribuer : d’une part, la délégation des réservations de logements, destinées au préfet (art. L. 441-1), exceptées les réservations au bénéfice des agents civils et militaires de l’État ; d’autre part, la délégation de conclure la convention avec les organismes agréés par l’UESL portant réservation particulière de logements à cette fin (art. L. 313-26-2). La deuxième est relative à « la mise œuvre de la procédure de réquisition avec attributaire prévue aux articles L. 642-1 à L. 642-28 ». Normalement attribuée au préfet, elle est exercée, sur « des locaux… qui sont vacants depuis plus de douze mois, dans les communes où existent d’importants déséquilibres entre l’offre et la demande de logement au détriment de personnes à revenus modestes et de personnes défavorisées » (CCH, art. L. 642-1). Il s’agit d’un instrument récent de lutte contre la vacance, mieux adapté aux problèmes actuels du logement, ajouté à la procédure classique de réquisition de logement par l’État [20]. La troisième porte sur « la gestion de la veille sociale, de l’accueil, de l’hébergement et de l’accompagnement au logement de toute personne ou sa famille sans domicile ou éprouvant des difficultés particulières d’accès au logement en raison de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’existence… », incluant des moyens d’intervention et leur financement, en complémentarité du Code de l’action sociale et des familles (CASF) et du Code de la construction et de l’habitation. Le texte renvoie aux fondements de cette politique d’hébergement d’urgence et d’accompagnement à respecter (CASF, art. L. 345-2-2, L. 345-2-3), à la mise en place d’un dispositif de veille sociale (art. L. 345-2), pour les personnes sans domicile ou mal logées, à leur accueil en principe à titre temporaire dans des structures d’hébergement d’urgence, notamment : en établissements et services médico-sociaux, avec hébergement (CASF, art. L. 312-1-I-8°), en résidence hôtelière (CCH art. L. 631-11), en logement-foyer (CCH art. L. 633-1).

15À la différence de ces dispositions, celles prévues, spécialement pour les métropoles, ouvrent une part optionnelle plus réduite, qui va même jusqu’à disparaître pour faire prévaloir la solution, d’un bloc de compétences déléguées, insécable. Le système prévu par le Code général des collectivités territoriales n’est pas uniforme, la loi MAPTAM ayant distingué entre les métropoles de droit commun et les métropoles à statut spécial. Concernant les premières, le CGCT (art. L. 5217-2-II et -III) distingue désormais deux séries de délégations, chacune donnant lieu à convention, dont la première série forme un bloc, tandis que la seconde est totalement optionnelle. La première est essentielle, puisqu’elle reprend la délégation des aides à la pierre, tant pour le logement social que le logement privé, en y ajoutant la délégation relative au droit au logement opposable, simplement optionnelle pour les autres EPCI. Cet ajout tient compte de la réalité du DALO, dont la mise en œuvre a montré, une application différenciée sur les territoires, essentiellement concentrée dans les grandes agglomérations [21]. La seconde série de délégations reprend les deux autres délégations optionnelles prévues par le Code de la construction et de l’habitation (art. L. 305-1-V-2° ; 3°) en y ajoutant des délégations supplémentaires, dont la compétence en matière de conventions d’utilité sociale, allant dans le sens d’une « globalisation de la compétence habitat » [22]. Concernant les métropoles à statut spécial, seule la métropole du Grand Paris fait l’objet d’une spécificité très marquée. Elle est compétente pour adopter un Plan métropolitain de l’habitat et de l’hébergement, qui est ici le socle d’une seule convention de délégation prévue « afin de favoriser la construction de logements neufs, la réhabilitation des logements anciens et la résorption de l’habitat indigne » qui porte sur « la totalité des compétences suivantes, sans pouvoir les dissocier », qui correspondent à l’ensemble de celles mentionnées à l’article L. 301-5-1 du CCH. (CGCT, art. L. 5219-1-VI) [23].

16La réforme de la loi ALUR fait perdre l’unité du dispositif du point de vue de l’objet des compétences déléguées, motivée par l’évolution de l’intercommunalité et l’objectif d’ajuster des compétences aux territoires et de fournir, sauf exception, un système qui ne soit pas trop rigide pour les EPCI qui s’engagent. Cette voie de la diversification se justifie pour parvenir à une unité renforcée de la politique du logement menée à l’échelon intercommunal. Aux conventions de délégation des aides à la pierre succèdent des conventions de délégation sur la politique du logement. L’ensemble n’est pas, toutefois, sans risque de rendre plus complexe la négociation des conditions de ces délégations, entre les EPCI et l’État, et plus encore d’être dissuasif. D’une part, l’élargissement des compétences déléguées n’est pas forcément en soi attractif, portant sur des matières délicates [24]. Il faut penser au précédent du DALO. L’État en est le garant depuis qu’il a été institué par la loi n° 2007-290 du 5 mars 2007. Or, la possibilité d’expérimentation de délégation, aux EPCI à fiscalité propre, prévue par l’article 14 de ce texte, en cas de convention de délégation des aides à la pierre, n’a jamais été utilisée [25]. D’autre part, de manière générale, le contexte de contrainte des finances publiques risque de rendre problématique, le volet financier de ces délégations.

II – L’introduction du contrat pour la mise en œuvre des polices spéciales de lutte contre l’habitat indigne, transférées et déléguées

17Elle résulte de l’article 75 de la loi ALUR, destiné à « permettre l’unification des polices de l’habitat », c’est-à-dire, de diverses polices spéciales, relevant de différentes législations (CGCT, CCH, CSP). Il est inséré dans le titre II de la loi, dont le premier objectif est de « lutter contre l’habitat indigne », au chapitre III, qui prévoit d’en « renforcer les outils ». Cet article s’articule avec différentes dispositions de la loi, sur le logement, l’habitat, et avec celles de la loi MAPTAM. Selon la démarche précédemment suivie, la réforme est à replacer dans son contexte (A), avant d’en analyser l’apport (B).

A – Le contexte de la réforme

18La loi ALUR exprime la volonté de renforcer les moyens de l’action publique contre toutes les formes du « mal-logement » et celles extrêmes, qui résultent de l’habitat indigne. Il importait donc tout d’abord de mieux cerner la notion et de compléter la définition introduite, dans la loi du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement, par la loi MOLLE du 25 mars 2009. Son article 1er-l, tel qu’il résulte de l’article 34-III, fournit une définition large : « Constituent un habitat indigne les locaux ou les installations utilisées aux fins d’habitation et impropres par nature à cet usage, ainsi que les logements dont l’état, ou celui du bâtiment dans lequel ils sont situés, expose les occupants à des risques manifestes pouvant porter atteinte à leur sécurité physique ou à leur santé ». Ces références, à la sécurité, à la santé, placent le sujet dans le champ des questions de police administrative et d’action préventive des pouvoirs publics. D’autant plus que l’habitat indigne correspond à une réalité inquiétante par l’ampleur qu’il a pris. Au cours des travaux préparatoires, en chiffres, il a été estimé, à 611 000 logements dans le parc privé, où vivent plus d’un million de personnes [26].

19Or, les procédures de traitement de cet habitat sont traditionnellement partagées entre le maire et le préfet de département. Elles relèvent de régimes de police administrative spéciale, dont l’économie générale consiste à attribuer à l’autorité de police, le pouvoir de prendre des arrêtés ordonnant aux exploitants, aux propriétaires de ces locaux à risque du point de vue de la sécurité ou de la santé, de prendre les mesures pour le faire cesser. Des obligations de travaux sont imposées, et à défaut d’exécution, une procédure d’exécution d’office est mise en œuvre. Des obligations de relogement ou d’hébergement s’y ajoutent. Dans une matière très sensible, qui touche aussi à la propriété, l’objectif du législateur est d’unifier ces polices, exercées par une autorité unique, afin de rendre le système plus efficace. Dans la logique du renforcement de l’intercommunalité, en matière de logement et d’habitat, telle que précédemment observée, ces prérogatives devraient pouvoir être concentrées à l’échelon des EPCI à fiscalité propre. C’est pourquoi, la solution passe par de nouveaux transferts de compétences, l’exposé de motifs du projet de loi ayant clairement exprimé la volonté de faire des EPCI « des acteurs uniques de la lutte contre l’habitat indigne en donnant à leurs présidents les prérogatives en matière de polices spéciales du logement ».

20Cependant, la question la plus délicate concerne les cas de police administrative spéciale des maires. Le procédé du transfert de compétences a déjà été employé certes, dans d’autres matières que le logement, mais avec une certaine prudence. Depuis la loi Libertés et responsabilités locales, du 13 août 2004, le CGCT (art. L. 5211-9-2) comporte des dispositions innovantes qui servent de fondement à des transferts de compétence de police spéciale aux présidents d’EPCI, réformées ensuite par la loi du 16 décembre 2010, pour les faciliter. Il convient de souligner que de tels transferts ne concernent pas les prérogatives de police administrative générale des maires, auxquelles ils demeurent profondément attachés. Comme l’a souligné J.-M. Pontier : le pouvoir de police du maire « est perçu … comme un signe distinctif de la décentralisation », et « apparaissait -apparaît toujours- comme un îlot de résistance de ce transfert à une institution intercommunale » [27]. Le système, tel que modifié en 2010, a ajouté, en plus des transferts facultatifs, des cas de transferts de plein droit, prévus dans des domaines clairement identifiés. Ils relèvent d’abord de l’environnement -assainissement, élimination des déchets ménagers- et s’étendent de plus, à la police du stationnement des gens du voyage, lorsque l’EPCI est compétent en matière d’aire d’accueil ou de terrains de passage. En outre, l’automaticité des transferts comporte un tempérament, puisque le CGCT réserve au maire le droit de s’y opposer. Lorsque le transfert a lieu, sa mise en œuvre fait l’objet d’une convention.

B – L’apport de la réforme

21La loi ALUR, par son article 75, modifie l’article L. 5211-9-2 du CGCT pour étendre ce régime aux polices spéciales des maires, en matière d’habitat. Elle y ajoute une originalité qui consiste à pouvoir en cumuler le bénéfice, avec une délégation de pouvoir de différentes polices spéciales du préfet, au président d’EPCI. Cette dernière fait l’objet d’une convention, dont le cercle des partenaires est élargi, toujours dans un objectif d’unité, et de renforcement des moyens de lutte contre l’habitat indigne.

221) Comme pour la délégation des aides à la pierre, les EPCI concernés par ces transferts de pouvoirs de polices administratives spéciales des maires à leurs présidents, sont les EPCI à fiscalité propre, compétents en matière d’habitat. Rappelons que les communautés de communes ne sont concernées que si elles bénéficient de cette compétence optionnelle. Les métropoles sont également visées par ce dispositif [28] ainsi que Lyon, collectivité à statut particulier. L’article 5211-9-2 du CGCT, modifié, comporte ainsi trois nouveaux cas de transfert de plein droit des prérogatives de polices spéciales des maires. Le premier porte sur la sécurité des immeubles recevant du public (CCH, art. L. 123-3). Le deuxième porte sur la sécurité des équipements communs des immeubles collectifs (CCH, art. L. 129-1 à 6), à savoir l’éclairage, le chauffage, la sécurité contre l’incendie, les ascenseurs, pour des immeubles à usage d’hébergement : hôtels, résidences mobiles, meublés. Le troisième concerne les bâtiments menaçant ruine (CCH, art. L. 511-1 à 6) [29]. Les maires ont cependant chacun le droit de refuser le transfert, qui porte alors sur l’ensemble de ces polices. L’article L. 5211-9-2-II, applicable ici, leur ouvre un délai de six mois pour s’y opposer par notification au président de l’EPCI. Ce délai est prévu suivant la date de l’élection du président de l’EPCI bénéficiant du transfert de plein droit ou du transfert de la compétence logement, habitat à l’EPCI. Il est, en ce cas, mis fin au transfert pour les communes dont les maires ont notifié leur opposition.

23Le système repose sur un compromis, destiné à ménager les maires. Ceci entraîne un transfert à géométrie variable, de sorte que l’objectif d’unification des prérogatives de police administrative spéciale au président de l’EPCI peut se trouver remis en cause et risque de perdre sa cohérence. C’est pourquoi, en cas d’opposition d’un ou plusieurs maires, le système réserve au président de l’EPCI, le droit de renoncer, à son tour, au transfert dont il a bénéficié, ouvert dans un délai de six mois, à compter de la première notification d’opposition de la part d’un maire. Potentiellement, l’unification est susceptible de configurations variables : allant de l’unification totale par non opposition des maires de l’ensemble des communes de l’EPCI ; en passant par l’unification partielle pour les communes dont les maires n’ont pas exercé leur droit d’opposition ; jusqu’au refus d’unification, par opposition de l’ensemble des maires sur l’intégralité des compétences ou encore par opposition du président de l’EPCI suite à opposition d’un ou plusieurs maires au transfert des compétences. Le cas de la métropole de Lyon échappe à ce dispositif, puisque l’article 75-II modifie la loi MAPTAM (CGCT, art. L. 3642-2-I-9) pour attribuer au président, l’exercice de plein droit de ces compétences.

24Considérant l’ampleur des problèmes rencontrés en matière de polices spéciales de l’habitat, et la sensibilité des maires à la question du transfert de compétences, la préparation de la loi a révélé certaines hésitations sur la solution à retenir. Le projet de loi avait opté, dans son l’article 41 (L. art. 75), pour le principe du transfert facultatif : « Les maires d’un EPCI …peuvent transférer … » mais comme le soulignait l’étude d’impact : « à la condition que les maires transfèrent leurs prérogatives, par décision prise à l’unanimité ». La solution était certes plus cohérente mais risquait de rester inappliquée, fragilisée par l’unanimité requise. La solution, finalement retenue, résulte des amendements parlementaires. Le Sénat, en première lecture, ayant prévu que l’opposition d’un maire n’empêche pas le transfert, l’Assemblée nationale, en seconde lecture, en est venue clairement au régime du transfert automatique, assorti du droit d’opposition [30]. Le régime adopté est en un sens plus favorable au transfert, en évitant qu’une seule opposition ne le bloque, mais reste très aléatoire quant à son effectivité. Du point de vue des moyens, ce régime est complété par une mise à disposition des services ou parties de services des communes correspondant à ces attributions, au président de l’EPCI, qui fait l’objet d’une convention entre les exécutifs locaux (art. L. 5211-9-2-VII) [31]. Il s’agit, en particulier, des services communaux d’hygiène et de santé.

252) L’existence de ce premier transfert est susceptible d’avoir un effet multiplicateur, car il permet de déclencher un élargissement supplémentaire, aux prérogatives de polices administratives spéciales du préfet, cette fois par délégation conventionnelle de l’État. Il fournit la première condition, à laquelle s’ajoute, pour l’EPCI, celle d’avoir conclu une convention de délégation des aides à la pierre avec l’État. Ces deux conditions cumulatives montrent l’imbrication des compétences et des instruments, en matière de politique de l’habitat. Ce à quoi, la loi ALUR s’efforce de remédier, en favorisant leur regroupement, à l’échelon intercommunal et en utilisant, tout au long du dispositif, la contractualisation. Il est intéressant d’observer que cette délégation ne figurait pas dans le projet de loi. Elle a été introduite en première lecture à l’Assemblée nationale, montrant une certaine banalisation du procédé de délégation lui-même, dans le traitement des compétences de l’État [32]. Elle fait l’objet du nouvel article L. 301-5-1-1 du CCH (L. art.75-III). Les prérogatives visées relèvent du Code de la santé publique mais circonscrites aux questions d’habitat, pour cinq polices. Il s’agit de la police spéciale des locaux impropres à l’habitat (CSP, art. L. 1311-22) de celle des locaux suroccupés du fait du logeur (CSP, art. L.1331-23), des locaux dangereux en raison de l’utilisation (CSP, art. L. 1331-24), des locaux et immeubles insalubres (CSP, art. L. 1331-25 à 30) et le cas de danger imminent sur immeubles insalubres (CSP, art. L. 1331-26-1). La délégation suppose de recueillir préalablement l’avis simple du directeur général de l’agence régionale de la santé.

26Afin d’unifier l’exercice, par le président de l’EPCI, des différents transferts précités des polices spéciales des maires et des délégations des polices spéciales du préfet, une seule convention est alors prévue, signée par les différentes autorités administratives concernées : d’une part, le président de l’EPCI et les maires ; d’autre part, pour l’État, le préfet et le directeur de l’agence régionale de santé. Le législateur a précisé l’objet de la convention, encadré dans la logique de cohérence de la politique locale de l’habitat et de ses liens avec les questions de santé, par les documents spécialisés : « la convention tient compte du PLH, du projet régional de santé » ainsi que « des contrats locaux de santé ». Il s’agit d’un rapport assez souple, qui se concilie avec la négociation contractuelle mais elle doit traiter ensuite d’une série de questions essentielles, non limitatives. Elle « précise notamment » : les objectifs prioritaires de lutte contre l’habitat indigne ; les moyens prévisionnels -personnel et financement [33]- affectés à cette mission et la coordination des services locaux concernés ; les conditions du recours aux services de l’État -directions départementales interministérielles- ou de ses établissements publics -dont les Agences régionales de santé- ; celles de mise en place de dispositifs d’observation ; celles d’évaluation et de suivi annuel. Ce qui impliquera, spécialement pour l’EPCI, d’organiser un service intercommunal d’hygiène et de santé, sachant que les ressources en personnel dans les services de l’État et ses agences régionales de santé ont subi les réductions générées par les restructurations, depuis le lancement de la RGPP et les contractions des ressources financières. La durée de la convention n’est pas précisée. L’interprétation du ministère recommande de l’aligner sur celle de la convention de la délégation de compétence politique du logement, prévue pour six ans (convention aides à la pierre élargie).

27Enfin, à défaut de transfert des prérogatives de polices des maires, au président d’EPCI, la loi ouvre la possibilité de délégation des prérogatives du préfet aux maires, à condition de disposer d’un service communal d’hygiène et de santé (CCH, art. L. 301-5-1-2), et la conclusion d’une convention. L’unification des compétences bénéfice alors au maire et non au président d’EPCI, perdant l’objectif de l’échelon intercommunal. Ce qui tend à placer l’ensemble dans un mouvement de désengagement de l’État, sujet à critique.

28Le système de transfert et de délégation des prérogatives de polices administratives spéciales se révèle, à son tour, complexe et de portée incertaine. Juridiquement, la réforme aurait pu emprunter d’autres voies mais pas nécessairement acceptables par les parties concernées. À l’Assemblée nationale, au cours des travaux préparatoires de la loi ALUR et dans la préparation de la loi de finances pour 2014, l’idée a été émise, puis confirmée : qu’« il aurait peut-être été préférable de procéder à la recentralisation de l’ensemble des services d’hygiène et de santé… pour procéder ensuite à une redistribution par le biais de conventions ou de « contrats d’objectifs » avec les communes ou avec les établissements publics de manière à s’assurer de ce que font effectivement les services sur l’ensemble du territoire et avec quels moyens » [34]. La contractualisation aurait pris place dans un processus plus rationnel, dont l’État aurait davantage gardé la maîtrise.

Conclusion

29Dans son ensemble, la mise en cohérence des acteurs et des compétences sur un fondement contractuel, dans le secteur du logement et de l’habitat, à laquelle s’emploie la loi ALUR, reste fragile. Les mesures étudiées se complètent, ouvrent la possibilité d’unification de l’exercice des compétences, à l’échelon intercommunal. Encore faudra-t-il que les différents acteurs acceptent de s’engager dans les procédures contractuelles nouvelles avec une marge de négociation qui permette d’aboutir. Le volet financier de ces contrats et les engagements de lois de finances à venir en sont un enjeu important, qui ne pourra éluder la réduction des ressources publiques. Il ne faut pas oublier, du côté de l’État, qu’en privilégiant la délégation de compétences, la réforme lui permet d’échapper à l’obligation prévue par l’article 72-2 de la Constitution, d’accompagner le transfert de compétences « de l’attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice ».


Date de mise en ligne : 01/01/2020

https://doi.org/10.3917/dv.078.0013

Notes

  • [1]
    Loi n° 2014-366, 24 mars 2014, JO 26 mars, p. 5809.
  • [2]
    P. Piganiol, L’habitat contemporain, Un habitat pour l’homme d’aujourd’hui, Encyclopédie Universalis.
  • [3]
    Selon l’analyse réalisée par le Rapport du Comité Balladur « Il est temps de décider », de mars 2009, le logement et l’habitat constituent une matière où, les compétences sont « enchevêtrées » entre régions, départements, communes, État, tandis que l’urbanisme se caractérise par « un niveau de collectivités locales principalement compétent », une solution moins répandue et qui porte sur l’échelon communal.
  • [4]
    Cf. fiche loi ALUR, Lutte contre l’habitat indigne : permettre l’émergence d’un acteur unique, Ministère du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité, juin 2014.
  • [5]
    Conseil d’État, Rapport public de 2008, « Le contrat, mode d’action publique et de production des normes », p. 9.
  • [6]
    Régime général des délégations modifié et complété par la loi MAPTAM du 27 janvier 2014 : CGCT, art. L. 1111-8 ; art. L. 1111-8-1.
  • [7]
    Caractéristique soulignée par la Cour des Comptes dans son Rapport public thématique. Les aides à la pierre : l’expérience des délégations de l’État aux intercommunalités et aux départements, mai 2011, p. 13.
  • [8]
    Loi n° 2009-323 de mobilisation pour le logement et de lutte contre l’exclusion, 25 mars 2009 (art. 28 V).
  • [9]
    PLH (CCH, art. L. 302-1). La loi MOLLE a étendu l’obligation de PLH aux communes de plus de 20 000 habitants non couvertes par un PLH intercommunal (CCH, art. L. 302-4-1).
  • [10]
    CC, Rapport public thématique, Les aides à la pierre : l’expérience des délégations de l’État aux intercommunalités et aux départements, mai 2011.
  • [11]
    En particulier : Rapport d’information Sénat n° 570, Les délégations de compétences dans le domaine du logement (aides à la pierre et contingent préfectoral), Ph. Dallier, 1er juin 2011. Rapport d’information Assemblée nationale n° 1285, conclusion des travaux de la mission d’évaluation et de contrôle sur l’optimisation des aides à la construction de logements sociaux en fonction des besoins, C. Caresche, M. Piron, 18 juillet 2013.
  • [12]
    La Cour des comptes a montré l’évolution des délégations marquée par « un poids financier qui se réduit », R. préc., p. 16. Le Rapport du Sénat va dans le même sens, les incertitudes budgétaires étant cause d’« une attractivité qui se réduit », R. préc., p. 27. Le Rapport de l’Assemblée nationale comporte une recommandation n° 41, par laquelle ses auteurs « invitent d’ores et déjà l’État à réfléchir à la mise en place d’une délégation réelle des aides à la pierre au lieu de l’actuelle délégation qui fixe des objectifs mais ne donne pas les moyens de les atteindre », R. préc., p. 151.
  • [13]
    Ces chiffres progressent lentement : en 2010, 78 EPCI selon le Rapport précité de la Cour des comptes précité, p. 22. ; au 15 avril 2014, 85 EPCI, selon la fiche loi ALUR juin 2014, précitée.
  • [14]
    L’étude d’impact relève seulement deux cas d’intercommunalités ayant « choisi de ne pas reconduire leur convention de délégation ».
  • [15]
    Réforme associée à celle du PLH., cf. la communication de F. Zitouni.
  • [16]
    Loi, art. 60, 61, CGCT, art. L. 5210-1-1.
  • [17]
    Loi, art. 10, complétant l’article L. 5210-1-1 CGCT, et 11, pour les départements limitrophes de la ville de Paris.
  • [18]
    http://www.collectivites-locales.gouv.fr/files/files/BIS_98(2).pdf DGCL, janvier 2014 : 2145 EPCI à fiscalité propre dont 222 CA, 1903 CC.
  • [19]
    L’article L. 122-I-4° de la loi procède aussi à l’élargissement de l’objet du PLH (CCH, art. L. 302-1).
  • [20]
    Réquisition avec attribution créée par la loi n° 98-657 du 29 juillet 1999 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions modifiée par la loi n° 2013-61 du 18 janvier 2013 mobilisation du foncier public en faveur du logement et renforcement des obligations de production du logement social ; Réquisition, CCH, art. L. 641-1.
  • [21]
    Mise en œuvre du droit au logement opposable : point sur les chiffres de l’année 2013 (données arrêtées au 13/02/2014) Direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages. http://www.hclpd.gouv.fr/IMG/pdf/Ppt_comite_de_suivi.pdf
  • [22]
    USH, Loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, Présentation générale, ww.acteursdelhabitat.com/…/note_acte_iii_loi_metropoles_definitive
  • [23]
    Pour Aix-Marseille-Provence, Lyon à statut de collectivité particulière, aucune originalité n’est ajoutée sur le fond. Le droit commun des métropoles est étendu à Aix-Marseille-Provence, à défaut de disposition propre. Le régime de la métropole de Lyon reprend la distinction des conventions du droit commun des métropoles (CGCT, art. L. 3641-5-I et -II).
  • [24]
    Signalons les analyses critiques développées sur les délégations des aides à la pierre par le rapporteur, D. Goldberg, dans l’Avis logement, sur le projet de loi de finances pour 2014, Assemblée nationale, n° 1395, Tome XIII (2013-2014), 10 octobre 2014. Face aux mécontentement des élus locaux qui ressortent d’enquêtes, il propose de répondre au « désenchantement » en ouvrant des choix aux délégataires et avance l’idée non pas d’élargir la délégation mais de la rendre plus souple, par dissociation de la délégation entre aides pour le logement social et celles pour logement privé, en total divergence avec les solutions de la loi ALUR.
  • [25]
    Cette disposition n’est pas formellement abrogée.
  • [26]
    Rapport Sénat n° 65 (2013-2014) C. Dilain, C. Bérit-Débat, fait au nom de la commission des affaires économiques, 9 octobre 2013. La réalité est difficile à saisir. Selon la fiche Loi ALUR précitée, sur le sujet : « Il existe en France environ 420 000 logements occupés considérés comme indignes » (données « Filocom » 2011).
  • [27]
    J.-M. Pontier, Le transfert des pouvoirs de police du maire, JCP Adm. 2011 n° 2362 ; voir également L. Martin, le président de l’EPCI à fiscalité propre, une autorité de police administrative en devenir, AJDA 2012, p. 135.
  • [28]
    Pour les métropoles subdivisées en territoires, (Grand Paris, Aix-Marseille-Provence), l’article L. 5211-9-2-I-1° prévoit en cas de délégation de la compétence habitat à un conseil de territoire, une délégation du président de la métropole au président du conseil de territoire.
  • [29]
    Ces transferts pourront susciter des difficultés, liées au concours de police générale du maire non transférée et police spéciale. Le Conseil d’État au sujet des rapports entre police spéciale des immeubles menaçant ruine et police administrative générale a admis, dans son arrêt du10 octobre 2005, commune de Badinières, req. n° 259205, que les pouvoirs conférés par ces deux polices sont distincts, « toutefois, en présence d’une situation d’extrême urgence créant un péril particulièrement grave et imminent, le maire peut, quelle que soit la cause du danger, faire légalement usage des ses pouvoirs de police générale, et notamment prescrire l’exécution des mesures de sécurité qui sont nécessaires et appropriées ».
  • [30]
    Rapport Assemblée nationale n° 307 (2013-2014), D. Goldberg, A. Linkenheld, 19 décembre 2013, Tome I et Tome II, Tableau comparatif ; Rapport Sénat, n° 307 (2013-2014), C. Dilain, C. Bérit-Débat, 22 janvier 2014, reprenant l’évolution de la rédaction de l’article 41, avant 2ème lecture par le Sénat.
  • [31]
    La fiche Loi ALUR, précitée, Lutte contre l’habitat indigne : permettre l’émergence d’un acteur unique, rappelle l’application ici du décret n° 2008- 580 du 18 juin 2008 et la distinction entre mise à disposition des services et des agents.
  • [32]
    Tableau comparatif précité.
  • [33]
    La fiche Loi ALUR précitée, précise que la législation actuelle ne permet pas aux EPCI de percevoir la Dotation Générale de Décentralisation, perçue par 208 communes dotées de services communaux d’hygiène et de santé.
  • [34]
    Avis logement, projet de loi de finances pour 2014, Assemblée nationale, n° 1395,Tome XIII (2013-2014), D. Goldberg, 10 oct. 2013 ; voir aussi sur cet avis, supra note 25.

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