Notes
-
[1]
P. Piotet, Nature et mutations des propriétés collectives, éd. Stämpfli, Berne, 1991, n° 10.
-
[2]
P.-H. Steinhauer, Les droits réels, tome I, 5e édition, éd. Stämpfli, Berne, 2012, n° 113.
-
[3]
Ibid.
-
[4]
J. Schmid et B. Hürlimann-Kaup, Sachenrecht, 3e éd., Zurich, 2009, n° 1013 et s.
-
[5]
V. en ce sens les comparaisons relevées par R. Weber, Die Stockerwerkeigengentümergemeinschaft, thèse, Zurich, 1979, p. 9 et s.
-
[6]
P.-H. Steinhauer, op. cit., n° 1116.
-
[7]
Ibid., n° 1117.
-
[8]
P.-H. Steinhauer, op. cit., n° 1372.
-
[9]
Selon M. Piotet, il s’agit cependant de personnes morales et non de communautés et il convient donc de les exclure du champ des propriétés communes, P. Piotet, op. cit., n° 6.
-
[10]
R. Ruedin, Droits des sociétés, éd. Staempfli, Berne, 1999, n° 626.
-
[11]
P. Engel, Contrats de droit suisse, éd. Staempfli, 2e édition, 2000, p. 641.
-
[12]
R. Patry, Précis suisse de droit des sociétés, tome I, p. 204.
-
[13]
P.-H. Steinhauer, op. cit., n° 1372.
-
[14]
P. Piotet, op. cit., n° 211.
-
[15]
Ce terme est utilisé dans la mesure où les propriétaires collectifs forment une communauté.
-
[16]
V. Massé, Du caractère juridique de la communauté entre époux dans ses précédents historiques, Paris Boyer, 1902, Saleilles, « Étude sur l’histoire des sociétés en commandite », Annales de droit commercial 1895, p. 10 et 49 et 1897, p. 29 et Josserand, Essai de la propriété collective, livre du centenaire du Code civil I, 1904, p. 357.
-
[17]
V. not. J. Ricol, La propriété en main commune (Gesammte Hand) et son application possible au droit français, thèse, Toulouse, 1907.
-
[18]
P.-H. Steinhauer, op. cit., n° 1369 et s.
-
[19]
Ibid., n° 1371.
-
[20]
P.-H. Steinhauer, op. cit. n° 1385.
-
[21]
ATF 119/1993, Ia 342/345.
-
[22]
Ibid., n° 1386.
-
[23]
P. Piotet, op. cit., n° 19.
-
[24]
P.-H. Steinhauer, op. cit., n° 1388.
-
[25]
Ch. Atias, L’indivision, 2e édition, Edilaix, 2010, n° 42.
-
[26]
P. Piotet, op. cit., n° 16.
-
[27]
Ch. Atias, op. cit., n° 43.
-
[28]
P.-H. Steinhauer, op. cit., n° 1379.
-
[29]
V. not. J. Guinand, M. Stettler et A. Leuba, Droit des successions, 6ème édition, Schulthess, 2005.
-
[30]
G. Piller, L’hoirie et ses soucis, étude Piller & Morel, Fribourg, 2011.
-
[31]
J. Guinand, M. Stettler et A. Leuba, op. cit., n° 580.
-
[32]
P. Piotet, Traité de droit privé suisse, tome IV, Droit successoral, éditions universitaires de Fribourg, 1975, p. 760.
-
[33]
En ce sens, ATF 96 II 325, Journal des tribunaux 1972, I, 72.
-
[34]
M. Baddeley, « L’indivision de famille », in Mélanges publiés par l’Association des notaires vaudois à l’occasion de son centenaire, Schulthess, Genève, 2005, p. 56.
-
[35]
V. sur ce point R. L. Bisang, Die Zwangsverwertung von Anteilen an Gesamthandschaften, Zurich, 1978, p. 40 et s.
-
[36]
U. Lehmann et U. Hänseler, art. 340 in Basler Kommentar, Zivilgesetzbuch I, 2e éd., Bâle, 2002.
-
[37]
Ibid., art. 342.
-
[38]
M. Baddeley, op. cit., p. 67.
-
[39]
M. Baddeley, op. cit., p. 70.
1Si, en droit français, l’indivision se caractérise notamment par l’imprécision de ses contours, la notion de propriété collective est par contre très encadrée en droit suisse. À chaque situation, universalité successorale, couple lié par un régime de séparation de biens, concubinage, indivision familiale, correspond une catégorie spécifique dotée le plus souvent d’un régime adapté complétant le régime de droit commun. Cet encadrement présente l’avantage de clarifier des situations marquées le plus souvent par une relative confusion. Pour autant, comme nous le verrons, le système suisse est loin d’être exempt de tout défaut. Si les contours de la propriété collective sont indiscutablement plus précis qu’en droit français, si la notion est beaucoup mieux catégorisée, le régime qui lui est associé pose néanmoins souvent problème, en raison notamment de l’omniprésence du principe d’unanimité.
2Il existe en droit suisse deux grandes catégories de propriété collective : la copropriété et la propriété commune. Si la titularité est la même dans les deux cas, l’exercice, à travers l’usage, l’administration et la disposition, sont par contre fondamentalement différents [1]. La distinction entre copropriété et propriété commune ne tient donc pas à la nature du droit de propriété, mais à la manière dont la propriété est constituée et ensuite exercée [2]. Ainsi, la copropriété, d’origine romaine, ne suppose pas de liens antérieurs entre les copropriétaires et est exercée de manière individualiste, par l’intermédiaire de parts dont chaque copropriétaire est titulaire. Au contraire, la propriété commune, d’origine germanique, « n’est que la conséquence d’une communauté (de caractère familial, successoral ou commercial) qui lie les propriétaires communs et elle est exercée de façon collective, sans qu’existent des parts dont chaque communiste puisse disposer » [3].
3La copropriété conduit à la création d’une communauté (article 659b du Code civil) et fait l’objet de deux régimes distincts : la copropriété ordinaire pour les meubles et les immeubles (articles 646 à 651 du Code civil) et la copropriété par étages, pour les immeubles seulement (articles 712a à 712t du Code civil). La seconde se distingue de la première par l’existence d’un droit exclusif sur un emplacement particulier de la chose (article 712a). Elle correspond à la copropriété immobilière telle qu’on l’entend en droit français, même si le système retenu diffère. Le droit du propriétaire d’étage est en effet un droit de copropriété sui generis qui comporte deux éléments liés l’un à l’autre : un droit de copropriété qui porte sur l’immeuble tout entier, et un droit exclusif de jouissance et d’administration, qui porte sur une partie déterminée dudit immeuble. Ce droit exclusif n’est pas considéré comme un droit de propriété portant sur une partie de l’immeuble, mais comme un attribut attaché à la part de copropriété lorsque celle-ci est organisée en propriété par étages [4]. Alors qu’en droit français, le copropriétaire est à la fois titulaire d’un droit privatif de propriété sur son lot et d’un droit indivis sur les parties communes de l’immeuble, le propriétaire par étages suisse bénéficie d’un droit sur l’immeuble tout entier [5]. L’article 712a du Code civil prévoit néanmoins que cette copropriété est aménagée de manière que chaque copropriétaire ait le droit exclusif « d’utiliser et d’aménager intérieurement des parties déterminées d’un bâtiment ».
4De son côté, la copropriété ordinaire est définie par l’article 646 du Code civil comme la propriété d’une chose qui n’est pas matériellement divisée entre plusieurs personnes, qui ont chacune une quote-part. Le second alinéa ajoute que les quotes-parts sont présumées égales. Il s’agit « d’une forme de propriété collective qui n’exige pas l’existence d’une communauté antérieure entre les propriétaires collectifs et dans laquelle chaque titulaire a une part idéale de la chose ou de l’animal » [6]. Le droit de propriété est unique, mais plusieurs personnes en sont titulaires : « chacun des copropriétaires a un droit qui porte sur la totalité du bien, mais qui est limité par l’existence du droit des autres copropriétaires » [7]. Le troisième alinéa de l’article 646 précise enfin que « chacun des copropriétaires a les droits et les charges du propriétaire en raison de sa part, qu’il peut aliéner ou engager et que ses créanciers peuvent saisir ». Le titulaire peut ainsi disposer de son droit, même si les autres copropriétaires bénéficieront alors, en vertu de l’article 682, d’un droit de préemption légal, qui pourra être exercé par plusieurs copropriétaires, la part étant alors attribuée en proportion de leur part de copropriété au moment de l’attribution.
5Bien que la copropriété ordinaire soit plus rare en pratique que la copropriété par étages, son importance pratique ne doit pas être négligée. Il s’agit en effet notamment de la forme la plus usuelle d’organisation du patrimoine des couples non mariés et des conjoints qui ont opté pour le régime de la séparation de biens. Elle est ainsi utilisée dans une hypothèse dans laquelle le droit français a recours à la technique de l’indivision. Ceci étant dit, la comparaison entre le droit suisse et le droit français est surtout intéressante lorsque l’on se place sur le terrain de la seconde variante de propriété collective, la propriété commune. C’est pourquoi cette étude sera essentiellement consacrée à cette dernière, en commençant par une présentation générale du concept (I), avant de nous intéresser plus spécifiquement à certaines de ses variantes (II).
I – Présentation générale de la propriété commune en droit suisse
6Nous commencerons ici par nous intéresser au fondement de la propriété commune (A), avant d’examiner les grands traits de son régime (B).
A – Le fondement de la propriété commune
7La propriété commune est définie par l’article 652 du Code civil, qui énonce que « lorsque plusieurs personnes formant une communauté en vertu de la loi ou d’un contrat sont propriétaires d’une chose, le droit de chacune s’étend à la chose entière ». Contrairement à la copropriété, elle ne peut donc être constituée par elle-même dans la mesure où elle est toujours liée à une communauté préexistante entre les intéressés [8]. Il existe au moins quatre types de propriétés communes : celle des époux soumis à un régime matrimonial communautaire, celle des héritiers, celle de l’indivision de famille (article 336 à 348 du Code civil) et celle de la société simple (articles 530 et suivants du Code des obligations), à laquelle certains ajoutent parfois la société en commandite simple et la société en nom collectif [9] (…).
8La communauté de biens entre époux, visée par les articles 221 à 246 du Code civil prend naissance dès la conclusion du contrat de mariage. Il faut noter en effet que le régime légal en Suisse est le régime de la participation aux acquêts depuis la loi fondamentale du 5 octobre 1984, entrée en vigueur le 1er janvier 1988. La communauté d’héritiers, ou hoirie, est elle prévue par les articles 602 à 640 du Code civil. Selon l’article 602 « s’il y a plusieurs héritiers, tous les droits et obligations compris dans la succession restent indivis jusqu’au partage ». Les héritiers sont alors propriétaires et disposent en commun des biens qui dépendent de la succession. L’indivision de famille, que l’on retrouve aux articles 336 et suivants du même Code, correspond de son côté à une convention par laquelle les membres d’une même famille décident de créer un patrimoine commun distinct de leur patrimoine propre afin de maintenir un ou plusieurs biens dans le giron familial. La société simple, enfin, est régie par les articles 530 et suivants du Code des obligations et figure donc au chapitre des contrats spéciaux et non des sociétés. L’article 530 dispose que « la société est une société simple, dans le sens du présent titre, lorsqu’elle n’offre pas les caractères distinctifs d’une des autres sociétés réglées par la loi ». Cette société a ainsi un caractère subsidiaire ; elle « est la forme de toutes les sociétés qui ne remplissent pas les conditions d’une autre forme » [10]. Elle peut être déduite du comportement des associés [11] et existe « même si les associés n’ont vraisemblablement pas eu conscience d’avoir conclu un tel contrat » [12].
9Alors que la copropriété porte sur une chose déterminée, la propriété commune porte sur un patrimoine. L’objet de la propriété commune « n’est cependant pas ce patrimoine comme tel, mais chacun des biens qui en font partie, pris individuellement » [13]. Effectivement, le régime matrimonial communautaire, l’hoirie ou l’indivision de famille concernent forcément un patrimoine. Par ailleurs, la société simple a également un patrimoine. « Même s’ils sont à un certain moment titulaires en commun d’un seul droit, les associés sont virtuellement, potentiellement à la tête d’un patrimoine social, qui existera effectivement à proprement parler dès qu’un ou plusieurs droits communs s’ajouteront au premier. En cas de pluralité de droits collectifs, il y a donc une seule communauté, contrairement à ce qui se passe pour la copropriété » [14].
10On parle de propriété en main commune (Gesammte Hand) dans la mesure où les « communistes » [15] ne peuvent disposer que conjointement de leur droit. Un propriétaire en main commune ne possède pas une part idéale du bien mais son droit s’étend sur l’entier de la chose. Les décisions au sein de la propriété en main commune sont donc prises à l’unanimité. Notion inconnue du droit français et d’origine germanique, la Gesammte Hand a fait l’objet de nombreuses études en France, notamment à la fin du XIXe et au début du XXe siècle [16]. S’il existe un certain nombre de points communs avec l’indivision, la notion reste fondamentalement différente dans la mesure où la propriété n’entre pas, même en partie, dans le patrimoine des personnes concernées. Certains auteurs avaient proposé de reprendre cette notion en droit français [17], mais cette consécration s’est toujours heurtée au « mur » de la théorie classique du patrimoine. La Gesammte Hand ne peut en effet se concevoir que si l’on admet qu’une même personne puisse avoir plusieurs patrimoines.
11La justification théorique de la propriété collective fait l’objet en Suisse d’un débat doctrinal qui oppose trois grandes théories. Selon la première, la propriété commune confère une maîtrise solidaire dans laquelle chaque communiste bénéficie d’un droit de propriété complet sur la chose. Selon la seconde, la propriété commune implique au contraire pour chaque communiste une maîtrise séparée de l’objet en propriété commune. Chacun bénéficierait ainsi d’une part idéale du bien, sans pour autant pouvoir en disposer. Selon la troisième, enfin, la propriété commune correspond à une maîtrise indivise de chaque bien sur lequel elle porte. Le bien appartiendrait ainsi à tous les communistes ensemble, qui exerceraient, ensemble également, leurs droits sur ce bien [18]. La doctrine dominante et la jurisprudence semblent aujourd’hui avoir tranché en faveur de cette dernière explication. Pour reprendre l’expression de M. Steinauer, « sans être une personne morale, la communauté qui est à l’origine de la propriété commune n’en a pas moins une certaine unité et les biens qui font partie de cette propriété constituent un patrimoine commun, distinct du patrimoine des membres de la communauté et objet d’une liquidation séparée [19]. La propriété commune est donc moins individualiste que l’indivision de droit français, ce que confirme l’examen de son régime.
B – Le régime de la propriété commune
12L’article 653 alinéa 1 du Code civil opère un renvoi aux règles de la communauté légale ou conventionnelle qui est à l’origine de la propriété commune. Le régime de la propriété commune dépend ainsi du type de communauté. En matière immobilière, le registre foncier doit par conséquent indiquer quelle est la communauté sur laquelle repose la propriété commune. Seules l’hoirie et la communauté entre époux font l’objet d’un statut légal. Pour les autres, il existe des règles de droit commun qui ont vocation à être aménagées par les parties.
13Parmi ces règles de base figure en premier lieu l’unanimité. L’article 653 du Code civil prévoit en effet qu’ « à défaut d’autre règle, les droits des communistes, en particulier celui de disposer de la chose, ne peuvent être exercés qu’en vertu d’une décision unanime ». Ce principe vaut, comme en matière de copropriété, pour les actes de disposition, mais aussi, contrairement à ce qui est prévu en matière de copropriété, pour les actes d’administration. Il n’y a pas d’exception, y compris pour les cas d’urgence ou de nécessité [20]. Les communistes ne peuvent par ailleurs agir en justice en relation avec le ou les biens en propriété commune qu’en vertu d’une décision unanime. Le Tribunal fédéral, dans une décision rendue en 1993, a toutefois admis qu’un communiste puisse agir seul pour protéger la communauté dans la mesure où le comportement des autres communistes lui portait préjudice [21]. La portée du principe est cependant largement tempérée par le fait que les dispositions propres à chaque communauté confèrent en général à l’un des communistes le droit de représenter la communauté pour l’administration ou la disposition des biens en propriété commune. C’est le cas pour la communauté héréditaire (article 602 alinéa 3), mais aussi pour la communauté entre époux (article 227 et suivants) [22].
14Le troisième alinéa du même article précise ensuite que « le partage et le droit de disposer d’une quote-part sont exclus aussi longtemps que dure la communauté ». Ainsi, « le propriétaire en main commune ne peut aliéner son droit individuel sur une chose entrant dans le patrimoine commun. Il ne peut, d’ailleurs dans certains cas seulement et sous des conditions restrictives, que transférer l’ensemble de ses droits compris dans le patrimoine commun » [23]. Cette règle découle du fait que le droit du communiste sur le bien en propriété commune n’est que l’expression de sa participation à la communauté qui est à l’origine de la propriété commune [24]. Elle implique une impossibilité pour les créanciers de faire réaliser la part dans le cadre d’une procédure d’exécution forcée. Seule la valeur retirée par le communiste est susceptible de faire l’objet d’une exécution forcée.
15De son côté, la modification de la composition de la communauté obéit à des règles spécifiques selon le type de communauté envisagée. Ainsi, alors que l’article 542 du Code des obligations prévoit, pour la société simple, que le remplacement d’un membre par un autre est possible, sous la seule réserve du consentement des autres associés, l’article 222 alinéa 2 du Code civil énonce expressément, même si cela ressort de l’évidence qu’un époux soumis au régime de communauté ne peut céder sa position à un tiers, tandis que l’article 635 alinéa 1 du même Code prévoit lui qu’un héritier ne peut céder sa position qu’à un autre héritier. Alors qu’en droit français, le décès d’un indivisaire ou l’aliénation de sa part n’affecte pas directement l’indivision [25], une communauté de propriétaires en main commune « est en réalité remplacée par une autre quand un des communistes en sort, quand un tiers y rentre ou quand un des communistes est remplacé par un tiers » [26]. Ainsi, s’il y a en droit français « autant d’indivisions que de biens indivis » [27], il n’y a par contre, en droit suisse, qu’une seule propriété commune même si celle-ci concerne plusieurs biens.
16L’extinction de la propriété commune est enfin prévue par l’article 654 du Code civil, qui énonce dans son alinéa 1 que la propriété commune s’éteint par l’aliénation de la chose ou la fin de la communauté, puis dans son alinéa 2 que le partage s’opère, sauf disposition contraire, comme en matière de copropriété. Il faut noter que la propriété commune ne s’éteint pas immédiatement lorsque la communauté prend fin. Elle subsiste aussi longtemps que dure la liquidation de la communauté : « c’est le transfert des biens (à un tiers ou à l’un des communistes) qui met effectivement un terme à la propriété commune » [28]. S’agissant de l’application des règles de la copropriété pour la liquidation, il convient de se référer aux articles 650 et suivants du Code civil. L’article 650 énonce en premier lieu dans son premier alinéa que « chacun des copropriétaires a le droit d’exiger le partage, s’il n’est tenu de demeurer dans l’indivision en vertu d’un acte juridique, par suite de la constitution d’une propriété par étages ou en raison de l’affectation de la chose à un but durable ». Il ajoute en second lieu que « le partage peut être exclu par convention pour cinquante ans au plus » avant de préciser que « le partage ne doit pas être provoqué en temps inopportun ». Les modalités du partage sont elles fixées par l’article 651, qui énonce tout d’abord que « la copropriété cesse par le partage en nature, par la vente de gré à gré ou aux enchères avec répartition subséquente du prix, ou par l’acquisition que l’un ou plusieurs des copropriétaires font des parts des autres » avant d’ajouter que « si les copropriétaires ne s’entendent pas sur le mode du partage, le juge ordonne le partage en nature et, si la chose ne peut être divisée sans diminution notable de sa valeur, la vente soit aux enchères publiques, soit entre les copropriétaires ».
II – L’indivision en droit suisse : un régime spécifique de propriété commune
17Même si, comme nous venons de le voir, la communauté d’héritiers figure parmi les catégories de propriétés communes visées par l’article 652 du Code civil, elle s’apparente suffisamment à l’indivision de droit français pour qu’on lui accorde une place à part. Cette indivision forcée (A) s’oppose alors à l’indivision à proprement parler, qui constitue également une variété de propriété commune, et qui ne peut être que volontaire (B).
A – L’indivision forcée : la communauté d’héritiers
18L’article 602 du Code civil énonce que « s’il y a plusieurs héritiers, tous les droits et obligations compris dans la succession restent indivis jusqu’au partage ». Le terme d’indivision est donc expressément utilisé dans le cadre de la communauté d’héritiers. Il l’est, d’ailleurs, également par la doctrine [29]. Le second alinéa de l’article ajoute cependant que « les héritiers sont propriétaires et disposent en commun des biens qui dépendent de la succession, sauf les droits de représentation et d’administration réservés par le contrat ou la loi ». Il s’agit ainsi bien d’une propriété commune, mais dont le régime déroge aux règles générales que nous venons d’étudier. Il serait évidemment trop long de s’intéresser à l’ensemble des aspects de la communauté d’héritiers, qui fait l’objet de trente-huit articles du Code civil et qui constitue par conséquent le régime de propriété commune le plus détaillé du droit suisse. Nous nous attacherons donc uniquement ici à essayer de dégager quelles sont les principales problématiques posées par cette communauté afin de déterminer si le système retenu est plus avantageux que celui du droit français.
19La première grande différence entre l’indivision successorale française et la communauté d’héritiers de droit suisse tient évidemment au fait que la masse successorale constitue un patrimoine distinct de celui des héritiers. La seconde grande différence réside elle dans le caractère purement collectif de la propriété. L’indivision de droit français laisse en effet subsister l’autonomie des parts, alors que la communauté d’héritiers repose sur un principe de propriété vraiment collective, ce qui n’est pas sans conséquences. En effet, sur le plan pratique, les documents doivent être établis au nom de l’ensemble des héritiers et signés par chacun d’eux. Par ailleurs, la communauté est soumise au principe de l’action commune. Ce principe « présente l’avantage de protéger chaque héritier, qui a l’assurance de ne pas être tenu à l’écart ou minorisé. En revanche, il complique l’administration des biens et risque de paralyser l’hoirie en cas de divergences » [30]. Les héritiers sont par conséquent incités à se faire représenter par l’un d’eux ou par un tiers. Le choix du représentant et l’étendue de ses pouvoirs peuvent être fixés conventionnellement ou par le juge de paix en cas de désaccord entre les héritiers. Ce caractère commun de la propriété a également conduit le législateur a consacré deux règles fondamentales souvent critiquées par la doctrine. La première est la responsabilité solidaire, qui entraîne la responsabilité des héritiers du fait des négligences des autres héritiers. Bien que la masse successorale constitue un patrimoine distinct de celui des héritiers, selon la règle de la propriété commune, il existe en effet une responsabilité externe à raison des dettes de la succession, qui subsiste pendant cinq ans à compter du partage ou de l’exigibilité de la créance (article 639 du Code civil). Chaque héritier dispose alors d’un droit de recours interne pour les dettes qu’il a payées en sus de sa part contributive (article 640 alinéa 1 du Code civil). Chaque héritier peut toutefois demander que les dettes soient payées ou garanties avant le partage, ce qui lui permet de se prémunir pour les dettes au-delà du partage [31].
20La seconde règle est évidemment le principe d’unanimité, qui conduit les héritiers à devoir trouver une solution d’un commun accord, sous réserve d’une action en partage successoral. Cette action, qui permet à un héritier de demander sa quote-part et de sortir de la communauté héréditaire, présente toutefois l’inconvénient d’être longue et coûteuse, de sorte qu’une médiation est souvent recommandée par les avocats et notaires suisses. La règle d’unanimité s’impose également, comme dans le cadre du régime général de propriété commune, pour les actes d’administration. La seule exception concerne les situations d’urgence.
21Il faut toutefois noter que, contrairement aux autres formes de propriété commune, qui ont vocation à durer et que l’on peut aménager dans ce but, la communauté d’héritiers, comme l’indivision de droit français, est par nature précaire. Le premier alinéa de l’article 604 du Code civil prévoit ainsi que « chaque héritier a le droit de demander en tout temps le partage de la succession ». L’article poursuit cependant en précisant que cela ne vaut qu’« à moins qu’il ne soit conventionnellement ou légalement tenu de demeurer dans l’indivision ». Le second alinéa pose justement une limite légale en précisant qu’« à la requête d’un héritier, le juge peut ordonner qu’il soit sursis provisoirement au partage de la succession ou de certains objets, si la valeur des biens devait être notablement diminuée par une liquidation immédiate ». Il n’empêche, comme l’indivision successorale de droit français, la communauté d’héritiers de droit suisse « est un stade intermédiaire et provisoire, qui doit normalement durer assez peu de temps ; elle est destinée à être liquidée » [32]. Elle se différencie en cela de l’indivision volontaire, qui a vocation à durer.
B – L’indivision volontaire : l’indivision de famille
22Alors que l’indivision française est souvent fortuite, l’indivision de famille de droit suisse est toujours volontaire. L’indivision ne peut en effet être constituée que par contrat. La rédaction d’un acte authentique est même exigée par l’article 337 du Code civil. L’indivision ne peut donc naître de la seule volonté de ses membres [33].
23Si la loi ne précise pas qui peut fonder une telle indivision, certains indices laissent penser qu’il ne peut s’agir que de personnes liées par un lien de parenté. L’article 336 du Code civil énonce en effet que « des parents peuvent convenir de créer une indivision, soit en y laissant tout ou partie d’un héritage, soit en y mettant d’autres biens ». L’indivision permet ainsi de maintenir un patrimoine dans une famille. Elle est utilisée pour des exploitations agricoles, des entreprises artisanales, des participations dans une entreprise ou pour des immeubles. « En instaurant une indivision de famille, les membres entendent ne pas partager un patrimoine dans le but de l’exploiter et d’en jouir ensemble » [34].
24La constitution d’une indivision de famille conduit à l’établissement d’un patrimoine propre de l’indivision, distinct de celui de ses membres. Toutefois, l’article 342 du Code civil prévoit que les indivis répondent solidairement, et également sur leurs biens personnels, de toutes les dettes de la communauté. S’agissant d’une propriété commune, le droit s’étend à la chose entière. L’article 339 prévoit en conséquence que les indivis font valoir leurs droits en commun et ne peuvent disposer individuellement de leurs parts, qu’ils ne peuvent céder ou dont ils ne peuvent disposer par donation. L’article 345 prévoit par contre qu’ils peuvent les transmettre par voie de succession.
25Bien que l’indivision de famille ressemble à une sorte de société familiale, celle-ci ne bénéficie pas de la personnalité morale. Elle ne peut donc ester en justice, effectuer des actes en son nom ou poursuivre une activité commerciale en son nom propre. Les actes de poursuite doivent donc être dressés aux noms des membres de l’indivision. Ils sont nuls s’ils ne sont adressés qu’à l’indivision, y compris si un « chef » a été désigné comme le permet l’article 341 du Code civil [35]. Il convient de noter à cet égard qu’une inscription au registre du commerce est alors requise afin de pouvoir opposer ce mode de représentation aux tiers de bonne foi (article 342 du Code civil).
26En vertu de l’article 340 du Code civil, chaque membre de l’indivision a le droit d’accomplir seul les actes d’administration courante. L’unanimité n’est exigée que pour les affaires les plus importantes, telles que les actes de disposition ou l’éventuelle dissolution de l’indivision [36]. Les membres de l’indivision sont par ailleurs soumis à une responsabilité solidaire pour les dettes de l’indivision, même si celle-ci ne se répercute pas sur le plan interne. Le membre de l’indivision sollicité par un créancier de l’indivision peut ainsi être indemnisé par ses co-indivisaires [37].
27Enfin, l’indivision prend fin par mutuus dissensus, par dénonciation par l’un des indivis avec un préavis de six mois, par l’expiration du temps pour lequel elle a été constituée, lorsque la part d’un indivis est saisie, lorsqu’un individu est déclaré en faillite ou à la demande d’un indivis fondé sur de justes motifs [38]. Les membres qui le souhaiteraient ont la possibilité de continuer l’indivision et de se restreindre à la liquidation du membre concerné. L’article 344 prévoit également qu’un membre puisse sortir de l’indivision à l’occasion de son mariage. Les membres d’une indivision peuvent également être remplacés par leurs héritiers ou par des remplaçants désignés. Ceux-ci doivent alors être admis par les autres membres.
28Par rapport à l’indivision du droit français, l’indivision suisse est beaucoup plus structurée. Il s’agit d’une organisation durable. Toutefois, comme le relève Mme Baddeley, l’indivision « n’est pas un instrument facile à créer et à manier ». Elle se caractérise « par un formalisme certain et, partant, onéreux, à son établissement, lors de la sortie ou du remplacement de ses membres et à sa dissolution ». Par ailleurs, « son administration et sa gestion sont alourdies par l’absence de personnalité juridique » et « la responsabilité solidaire des membres pour la dette relativise les avantages économiques à espérer ». Enfin, ses contours ne sont pas nets, ce qui rend la distinction avec d’autres figures juridiques malaisée. « Les avantages de l’indivision par rapport à la succession indivise, à la communauté de biens, à la société simple ou à la fondation n’ont jamais été patents ». Selon l’auteur, seuls l’avènement du partenariat enregistré et l’abandon éventuel de la forme authentique pourraient lui redonner un intérêt dans les années à venir [39]. Concernant les partenaires, le régime légal est en effet, comme en France pour le pacte civil de solidarité (PACS), le régime de la séparation des biens, mais il est toujours possible de rédiger une convention. L’indivision constituerait ainsi une base intéressante, à condition que les partenaires soient considérés comme formant une famille, ce qui semble être admis par une grande partie de la doctrine suisse.
29Contrairement au droit français, qui utilise de manière générale la technique de l’indivision pour régler des problèmes relativement distincts, le droit suisse a prévu des contours plus nets pour encadrer la propriété collective. La copropriété ordinaire est soigneusement distinguée de la propriété commune et, au sein de cette dernière, chaque catégorie est identifiée et fait l’objet de règles spécifiques complétant les règles de droit commun applicables de manière générale. Toutefois, même si cette relative clarté des contours de la propriété collective constitue indiscutablement un plus par rapport à l’indivision de droit français, il est assez difficile, à l’heure du bilan, d’affirmer que le système suisse l’emporte sur celui de son voisin. Certains avantages sont en effet contrebalancés par des inconvénients aussi importants que ceux que l’on peut rencontrer en France en matière d’indivision. Ainsi, si la propriété collective de droit suisse est moins précaire que l’indivision de droit français, il en résulte une certaine rigidité. Le principe de l’unanimité, notamment, est très marqué et fait l’objet de peu de dérogations, alors qu’en droit français, le principe majoritaire permet d’éviter des blocages. Le système ne fonctionne véritablement bien que si les copropriétaires ou les communistes ont pris la peine d’établir conventionnellement des règles précises et adaptées, lorsque cela est possible. Les difficultés rencontrées en France et en Suisse en matière de propriété collective ne sont donc pas toujours les mêmes, mais elles sont suffisamment importantes pour justifier l’insatisfaction de la doctrine et de la pratique dans les deux cas.
Notes
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[1]
P. Piotet, Nature et mutations des propriétés collectives, éd. Stämpfli, Berne, 1991, n° 10.
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[2]
P.-H. Steinhauer, Les droits réels, tome I, 5e édition, éd. Stämpfli, Berne, 2012, n° 113.
-
[3]
Ibid.
-
[4]
J. Schmid et B. Hürlimann-Kaup, Sachenrecht, 3e éd., Zurich, 2009, n° 1013 et s.
-
[5]
V. en ce sens les comparaisons relevées par R. Weber, Die Stockerwerkeigengentümergemeinschaft, thèse, Zurich, 1979, p. 9 et s.
-
[6]
P.-H. Steinhauer, op. cit., n° 1116.
-
[7]
Ibid., n° 1117.
-
[8]
P.-H. Steinhauer, op. cit., n° 1372.
-
[9]
Selon M. Piotet, il s’agit cependant de personnes morales et non de communautés et il convient donc de les exclure du champ des propriétés communes, P. Piotet, op. cit., n° 6.
-
[10]
R. Ruedin, Droits des sociétés, éd. Staempfli, Berne, 1999, n° 626.
-
[11]
P. Engel, Contrats de droit suisse, éd. Staempfli, 2e édition, 2000, p. 641.
-
[12]
R. Patry, Précis suisse de droit des sociétés, tome I, p. 204.
-
[13]
P.-H. Steinhauer, op. cit., n° 1372.
-
[14]
P. Piotet, op. cit., n° 211.
-
[15]
Ce terme est utilisé dans la mesure où les propriétaires collectifs forment une communauté.
-
[16]
V. Massé, Du caractère juridique de la communauté entre époux dans ses précédents historiques, Paris Boyer, 1902, Saleilles, « Étude sur l’histoire des sociétés en commandite », Annales de droit commercial 1895, p. 10 et 49 et 1897, p. 29 et Josserand, Essai de la propriété collective, livre du centenaire du Code civil I, 1904, p. 357.
-
[17]
V. not. J. Ricol, La propriété en main commune (Gesammte Hand) et son application possible au droit français, thèse, Toulouse, 1907.
-
[18]
P.-H. Steinhauer, op. cit., n° 1369 et s.
-
[19]
Ibid., n° 1371.
-
[20]
P.-H. Steinhauer, op. cit. n° 1385.
-
[21]
ATF 119/1993, Ia 342/345.
-
[22]
Ibid., n° 1386.
-
[23]
P. Piotet, op. cit., n° 19.
-
[24]
P.-H. Steinhauer, op. cit., n° 1388.
-
[25]
Ch. Atias, L’indivision, 2e édition, Edilaix, 2010, n° 42.
-
[26]
P. Piotet, op. cit., n° 16.
-
[27]
Ch. Atias, op. cit., n° 43.
-
[28]
P.-H. Steinhauer, op. cit., n° 1379.
-
[29]
V. not. J. Guinand, M. Stettler et A. Leuba, Droit des successions, 6ème édition, Schulthess, 2005.
-
[30]
G. Piller, L’hoirie et ses soucis, étude Piller & Morel, Fribourg, 2011.
-
[31]
J. Guinand, M. Stettler et A. Leuba, op. cit., n° 580.
-
[32]
P. Piotet, Traité de droit privé suisse, tome IV, Droit successoral, éditions universitaires de Fribourg, 1975, p. 760.
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[33]
En ce sens, ATF 96 II 325, Journal des tribunaux 1972, I, 72.
-
[34]
M. Baddeley, « L’indivision de famille », in Mélanges publiés par l’Association des notaires vaudois à l’occasion de son centenaire, Schulthess, Genève, 2005, p. 56.
-
[35]
V. sur ce point R. L. Bisang, Die Zwangsverwertung von Anteilen an Gesamthandschaften, Zurich, 1978, p. 40 et s.
-
[36]
U. Lehmann et U. Hänseler, art. 340 in Basler Kommentar, Zivilgesetzbuch I, 2e éd., Bâle, 2002.
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[37]
Ibid., art. 342.
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[38]
M. Baddeley, op. cit., p. 67.
-
[39]
M. Baddeley, op. cit., p. 70.