Notes
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[1]
Le style oral a été conservé.
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[2]
J.-L. Aubert, R. Crône, La responsabilité civile des notaires, 5ème éd., Defrénois, 2008 ; J. de Poulpiquet, Responsabilité des notaires, civile, disciplinaire, pénale, 2ème éd. Dalloz, 2009.
-
[3]
Cass. civ. 1ère, 28 avril 2011, n° de pourvoi : 10-15056 ; D. 2011, p. 1725, note M. Baccache ; RTD Com. 2011, p. 631, obs. B. Bouloc ; RTD civ. 2011, p. 547 obs. P. Jourdain ; JCP G 2011, 1133 obs. Ph. Stoffel-Munck. V. aussi O. Bustin, « Les présomptions de prévisibilité du dommage contractuel », D. 2012, p. 238 ; Cass. civ. 1re, 26 septembre 2012, n° 11-13177.
-
[4]
Cass. civ. 1ère, 14 octobre 2009, n° 08-17994.
-
[5]
Sur ce point : v. M. Mekki, « De l’acte sous signature juridique à l’acte contresigné par l’avocat », JCP G 2009, I, 61, spé. n° 7 à 9. V. aussi le rapport annuel de la Cour de cassation pour l’année 2002 dans lequel on trouve une étude conjointe de la responsabilité des professionnels du droit : P. Cassuto-Teytaud, « La responsabilité des professions juridiques devant la première chambre civile ».
-
[6]
Cass. civ. 1ère, 7 mars 2006, Bull. civ. I, n° 328 ; D. 2006, p. 2894, note F. Marmoz ; RTD civ. 2006, p. 521, obs. P. Deumier ; RTD civ. 2006, p. 580 obs. P.-Y. Gautier ; RTD civ. 2007, p. 103, obs. J. Mestre et B. Fages ; Defrénois 2006, art. 38397, n° 14, obs. B. Gelot ; JCP éd. N 2006, p. 1217, obs. F. Buy.
-
[7]
Cass. civ. 1ère, 5 févr. 2009, Bull. civ. I, n° 21, JCP S 2009, 1414 obs. A. Barège et B. Bossu.
-
[8]
Cass. civ. 1ère, 25 mars 2010, n° 09-12294, Bull. civ. I, n° 72.
-
[9]
Cass. com., 4 décembre 2012, n° 11-27454.
-
[10]
Ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945 portant institution de l’ordre des experts comptables et des comptables et réglementant les titres et professions d’expert comptable et comptable agréé.
-
[11]
Sur la reconnaissance de conseil donné, v. G. Rouzet, Précis de déontologie notariale, 3ème éd., Presses universitaires de Bordeaux, 2004, p. 83 ; Th. Sanséau, J.-F. Sagaut, JCl. Notarial Formulaire, V. Responsabilité notariale, Fasc. 10. ; J.-L. Aubert, R. Crône, La responsabilité civile des notaires, 5ème éd., Defrénois, 2008, p. 158 s.
-
[12]
Th. Sanséau, J.-F. Sagaut, art. préc., n° 3 et 4.
-
[13]
Cass. civ. 1ère, 28 nov. 1995, n° 93-17836.
-
[14]
Cass. civ. 1ère, 25 février 1997, n° 94-19685.
-
[15]
Cass. civ. 1ère, 3 févr. 1998, n° 96-13201.
-
[16]
Loi n° 2011-331 du 28 mars 2011 de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et certaines professions réglementées.
-
[17]
O. Deshayes, L’acte contresigné par avocat est né (conjugaison à l’imparfait du législatif), LEDC 2011, n° 5, p. 1.
-
[18]
Cass. civ. 1ère, 30 mai 2012, n° 11-18166.
-
[19]
En ce sens, v. J.-L. Aubert, R. Crône, La responsabilité civile des notaires, 5ème éd., Defrénois, spé. n° 114, p. 158.
-
[20]
Sauf dans certaines hypothèses précises, telle l’illégalité de l’opération, ou son inefficacité totale : v. art. 3.2.3 du Règlement national.
-
[21]
Cass. civ. 1ère, 7 mars 2006, Bull. civ. I, n° 328 ; D. 2006, p. 2894, note F. Marmoz ; RTD civ. 2006, p. 521, obs. P. Deumier ; RTD civ. 2006, p. 580 obs. P.-Y. Gautier ; RTD civ. 2007, p. 103, obs. J. Mestre et B. Fages ; Defrénois 2006, art. 38397, n° 14, obs. B. Gelot ; JCP éd. N 2006, p. 1217, obs. F. Buy.
-
[22]
Cass. civ. 1ère, 31 mars 1998, n° 96-12874. V. aussi Cass. civ. 1ère, 10 juillet 2002, n° 99-15217.
-
[23]
Cass. civ. 1ère, 14 nov. 2012, n° 11-24726.
11. Il m’a été confié la charge de traiter de la reconnaissance de conseil donné [1]. En guise d’introduction, et puisqu’il s’agit d’une journée d’étude consacrée aux contours de la responsabilité notariale, je me permettrais de dire quelques mots plus généraux sur la responsabilité notariale [2]. En simplifiant, on pourrait dire que la responsabilité notariale est passée de la singularité vers le modèle. Longtemps, on a en effet pu pointer la rigueur de l’attitude de la Cour de cassation, et de sa première Chambre civile en particulier, à l’encontre des notaires. En outre, la doctrine avait tendance à expliquer cette rigueur par le statut d’officier public du notaire. Les notaires ayant été nommés par le garde des sceaux, et bénéficiant d’un domaine réservé et d’un numerus clausus, se devaient d’être irréprochables dans l’accomplissement de leur tâche. Autrement dit, le surcroît de rigueur exigé des notaires était lié à la confiance qui avait été placée en eux.
22. La sévérité particulière de la jurisprudence à l’encontre du notaire a toutefois tendance à s’estomper. Non pas que la jurisprudence fasse preuve de plus de sollicitude, ou de complaisance, c’est selon, envers les notaires. S’il en est ainsi c’est parce que le haut niveau de protection accordé par la jurisprudence au client du notaire a servi de modèle, si bien que des solutions jadis propres au notariat sont aujourd’hui appliquées à d’autres professionnels du droit et, en particulier, aux avocats. Certes, le mouvement n’a pas encore totalement abouti. On sait par exemple que c’est le statut d’officier public du notaire qui justifie encore que la responsabilité du notaire soit, en principe, délictuelle, là où celle de l’avocat reste par essence contractuelle. Il n’y a pas là qu’un symbole, même si les différences entre ces deux ordres de responsabilité ont tendance à s’effacer. Il reste en effet l’interdiction pour les notaires de faire accepter à leurs clients des clauses limitatives ou élusives de responsabilité. Néanmoins, on doute que les avocats puissent le faire, et ce, même si leur responsabilité professionnelle est contractuelle.
33. Face à un particulier ayant recours aux services de l’avocat pour une raison n’ayant pas de lien direct avec sa profession, ces clauses tomberaient sans doute sous le coup de la législation consumériste relative aux clauses abusives. Au-delà, l’introduction de telles clauses est théoriquement possible, mais pratiquement peu envisageable. Reste alors la prévisibilité du dommage, qui connaît ces derniers temps un certain regain d’intérêt jurisprudentiel [3], mais qui n’a pas vocation à se déployer dans de nombreux litiges relatifs à la responsabilité professionnelle. Pourtant, la Cour de cassation mentionne encore parfois la qualité d’officier public du notaire dans ses attendus, comme pour renforcer la légitimité de ses décisions [4]. Il n’empêche que l’on ne peut que constater une convergence des responsabilités des professionnels du droit [5]. Par exemple, les exigences de la Cour de cassation relatives à la connaissance du droit positif par les notaires [6] sont équivalentes à celles qui pèsent sur les avocats [7]. De même, le devoir de conseil de l’avocat semble aujourd’hui aussi absolu que celui du notaire. De la sorte, il n’est plus possible d’affirmer que la compétence attendue du notaire est plus importante que celle attendue de l’avocat.
44. C’est dans cette perspective que deux arrêts peuvent être évoqués. D’abord, un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 25 mars 2010 [8]. Dans cette affaire, il était reproché à un huissier, qui avait rédigé un contrat de bail, de ne pas avoir suffisamment conseillé les parties au contrat. La Cour d’appel avait débouté le client de sa demande de dommages et intérêts, ce qui incita celui-ci a formé un pourvoi en cassation. Pour rejeter le pourvoi en question, la haute juridiction s’est attelée à définir les contours du devoir de conseil, non pas des huissiers, ni même des officiers publics, mais des « rédacteurs d’actes ». C’est donc avec grand soin que les hauts magistrats ont choisi leurs mots pour donner à leur décision, publiée au bulletin, un important degré de généralité. Ce sont donc les « rédacteurs d’actes », les « praticiens du droit », et les « professionnels » qui sont tour à tour visés, ce qui englobe aussi bien les huissiers, les notaires, que les avocats. Or, les notaires ne seront pas surpris de lire que « le devoir de conseil auquel est tenu le rédacteur d’actes s’apprécie au regard du but poursuivi par les parties et de leurs exigences particulières lorsque, dans ce dernier cas, le praticien du droit en a été informé ». Et « que si le professionnel doit veiller, dans ses activités de conseil et de rédaction d’actes, à réunir les justificatifs nécessaires à son intervention, il n’est, en revanche, pas tenu de vérifier les déclarations d’ordre factuel faites par les parties en l’absence d’éléments de nature à éveiller ses soupçons quant à la véracité des renseignements donnés ». La solution vaut donc uniformément pour tous les rédacteurs d’actes, quelle que soit leur qualité, ce qui accrédite l’idée d’une convergence de la responsabilité des professionnels du droit.
55. Le second arrêt, qui date du 4 décembre 2012, a été rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation [9]. Dans cette affaire, un expert-comptable s’était vu confier, par des associés, la rédaction d’un acte de cession de leurs parts sociales. Peu de temps après la cession, la société cédée fut placée en redressement judiciaire. En conséquence, les banques qui avaient accordé des financements à la société, garantis par le cautionnement solidaire des cédants, se retournèrent contre ces derniers. En réaction, les cédants attaquèrent l’expert-comptable en lui reprochant de ne pas s’être assuré, avant la cession, de la mainlevée de leurs engagements de caution. La Cour d’appel débouta les cédants de leur action au motif, d’une part, que la mission donnée par les cédants à l’expert-comptable n’était pas précise, et qu’il ne pouvait lui être reproché de ne pas avoir effectué, voire conseillé de réaliser les formalités de mainlevée. Et, d’autre part, que les cédants étaient des personnes avisées des affaires, et qu’elles n’avaient donc pas de conseil particulier à recevoir en la matière. Cette décision a été censurée dans l’arrêt précité, au visa des articles 1147 du Code civil et 22 de l’ordonnance du 19 septembre 1945 [10].
66. Dans son chapeau, la chambre commerciale a en effet précisé que « l’expert-comptable, qui accepte, dans l’exercice de ses activités juridiques accessoires, d’établir un acte de cession de droits sociaux pour le compte d’autrui, est tenu, en sa qualité de rédacteur, d’informer et d’éclairer de manière complète les parties sur les effets et la portée de l’opération projetée », et « que l’expert-comptable n’est pas déchargé de cette obligation par les compétences personnelles de l’une des parties à l’acte qu’il dresse ». C’est donc bien la qualité de rédacteur d’acte qui sert de fondement à l’obligation de conseil sur les effets et la portée de l’opération projetée. On reconnaît en outre le caractère absolu du devoir de conseil qui pèse sur le notaire, et, plus largement aujourd’hui, sur le rédacteur d’actes. Où l’on voit définitivement que la Cour de cassation a édifié un régime commun de responsabilité applicable aux rédacteurs d’actes. Si la rigueur de la responsabilité n’est plus l’apanage du notariat, cette rigueur incite, non seulement les notaires à se conformer strictement aux règles professionnelles et déontologiques de leur profession, mais également à se préconstituer la preuve de la bonne exécution de leurs devoirs par le biais de « reconnaissances de conseil donné » [11].
77. L’expression « reconnaissance de conseil donné » est de loin préférable à celle, erronée, de « décharge de responsabilité » qui est parfois retenue par la pratique [12]. Comme on l’a vu, le notaire ne peut en aucun cas se décharger de sa responsabilité par le biais d’une clause limitative de responsabilité. Même dans les cas où la responsabilité du notaire est contractuelle, lorsqu’il intervient, en dehors de son champ classique de compétence, sur la base d’un mandat exprès ou tacite, par exemple pour renouveler une inscription d’hypothèque, on peut douter que la jurisprudence le laisse faire. Ainsi, lorsqu’un notaire se préconstitue la preuve de l’exécution de son obligation de conseil, il ne se décharge pas de sa responsabilité. Il se réserve en effet un moyen de démontrer qu’il n’est pas en faute, et, par conséquent, qu’il n’est pas responsable. Les mentions finales des « reconnaissances de conseil donné » qui indiquent trop souvent que le client décharge le notaire de sa responsabilité devraient donc être supprimées, car ce n’est de toute façon pas l’objet de ces actes. Voyons donc successivement pourquoi le notaire est tenu de se préconstituer la preuve de la bonne exécution de ses obligations (I), quand doit-il le faire (II), et comment (III) ?
I – Pourquoi ?
88. Traiter du pourquoi de la reconnaissance de conseil donné revient à évoquer la question bien connue de la charge de la preuve. Longtemps, la charge de la preuve en matière de devoir de conseil notarial a reposé sur le client. On peut, par exemple, évoquer un arrêt du 28 novembre 1995 dans lequel la première chambre civile avait énoncé que « celui qui fait grief à un notaire d’avoir manqué à son devoir de conseil [est] tenu d’en faire la preuve, par tous moyens » [13]. La matière a cependant été bouleversée par l’arrêt du 25 février 1997 dans lequel la haute juridiction a décidé que celui qui est légalement ou contractuellement tenu d’une obligation particulière d’information doit en rapporter la preuve [14]. Posé en matière médicale, le principe a été très rapidement, dès 1998, appliqué à la relation du notaire avec son client [15]. S’agissant de la pertinence de ce revirement de jurisprudence, il faut distinguer la raison juridique, de l’opportunité.
99. En droit, et bien qu’on ait pu soutenir le contraire, la solution ne s’imposait pas avec la force de l’évidence. Pour mettre à la charge du débiteur de l’obligation d’information, la preuve de la bonne exécution de cette obligation, la Cour de cassation a fait application de l’article 1315 du Code civil. Le raisonnement tenu est le suivant : l’existence de l’obligation d’information étant suffisamment prouvée par le contrat, ou par la loi, le client, n’a pas à prouver sa qualité de créancier. Il s’agit alors, pour le débiteur de l’obligation d’information, conformément à l’article 1315, alinéa 2, du Code civil de démontrer qu’il n’est plus débiteur parce qu’il s’est libéré de son obligation. Le raisonnement aurait été irréprochable si le client réclamait l’exécution forcée du contrat. Or, ce n’est jamais le cas. Le client a été informé de l’existence du risque par sa matérialisation. Lorsqu’il se retourne contre le débiteur, il ne réclame pas de lui qu’il paye, au sens juridique d’exécuter son obligation d’information, mais qu’il répare le préjudice causé par l’absence d’information. Autrement dit, son action n’est pas une action en exécution forcée, mais une action en responsabilité. Ainsi, puisqu’il prétend que le notaire est responsable, il devrait prouver qu’il est en faute… À cet égard, que l’on qualifie l’obligation de conseil de résultat ne change rien à l’affaire, puisqu’il faudrait encore que le client prouve que le résultat n’a pas été atteint, c’est-à-dire qu’il n’a pas été informé…
1010. Mais si, en droit, la solution ne s’imposait pas, il faut bien reconnaître, qu’en opportunité, elle était légitime. Le client était en effet confronté à la nécessité de démontrer un « fait négatif », ce qui est, sinon impossible, au moins particulièrement difficile. Le revirement de jurisprudence de 1997 incite donc les notaires à se préconstituer la preuve de la bonne exécution de leur obligation de conseil. Certes, s’agissant de la preuve d’un fait, à savoir la transmission d’une information, la preuve est libre. Elle pourrait donc être rapportée par des témoignages, voire par des présomptions du fait de l’homme. Reste qu’il est plus prudent de conserver un écrit, pouvant être produit dès les premiers reproches formulés à l’encontre du notaire pour, sinon empêcher que le litige soit porté en justice, au moins abordé celui-ci avec un peu plus de sérénité. On notera que les avocats sont soumis au même régime s’agissant de la charge de la preuve de la bonne exécution de leur obligation de conseil. Certains auteurs ont pourtant tenté d’exploiter les dispositions de la loi du 28 mars 2011 relative à la modernisation des professions judiciaires ou juridiques [16], instituant l’acte contresigné par avocat, pour tenter de les y soustraire.
1111. Parmi les propriétés de cet acte, il en est en effet une qui est mystérieuse [17]. La loi précise qu’« en contresignant un acte sous seing privé, l’avocat atteste avoir éclairé pleinement la ou les parties qu’il conseille sur les conséquences juridiques de cet acte ». Le sens de cet article ne se laisse pas découvrir facilement. Il semble ne pas avoir de portée normative véritable. Mais, pour certains auteurs, il pourrait signifier que l’avocat, en signant l’acte d’avocat, se préconstitue la preuve qu’il a bel et bien exécuté son obligation de conseil. Cette interprétation n’est pas acceptable. Ce n’est en effet pas ce qui ressort des débats devant le Parlement, et on comprendrait mal, de toute façon, que, par le truchement de sa propre signature, l’avocat opère un renversement de la charge de la preuve. Il est ainsi peu probable que la jurisprudence opte pour cette interprétation et, si c’était le cas, cela signerait l’arrêt de mort de l’acte d’avocat. Il faudrait en effet déconseiller la signature de cet acte aux clients puisqu’il se révèlerait bien moins protecteur qu’un acte sous seing privé, rédigé par l’intermédiaire d’un professionnel du droit.
1212. En définitive, la nécessité, pour le notaire, de se préconstituer la preuve de la bonne exécution de son obligation de conseil vient du renversement de la charge de la preuve, opéré par la Cour de cassation en la matière, non pas tant en application des règles de droit, que par faveur pour le créancier de l’obligation, c’est-à-dire le client. Mais quand une telle reconnaissance de conseil donné doit-elle être signée ?
II – Quand ?
1313. Il y a dans cette question deux aspects : un aspect temporel, à quel moment la reconnaissance de conseil doit-elle être signée ? Et un aspect matériel : dans quelles circonstances est-il opportun de faire signer une reconnaissance de conseil donné ? S’agissant de l’aspect temporel, la reconnaissance de conseil donné doit être signée au plus tard au moment de la signature de l’acte authentique, si une telle signature est envisagée. On peut en effet s’appuyer sur un arrêt du 30 mai 2012 pour affirmer cela [18]. Dans cette affaire, un notaire avait rédigé un projet de contrat de bail, auquel il devait donner ultérieurement la forme authentique. Munies de ce projet, et sans doute pour économiser les frais de notaire, les parties ont finalement décidé de se passer de la forme authentique. Le bailleur a alors subi un redressement fiscal, et a tenté d’en faire supporter la charge au notaire qui aurait dû, selon lui, l’informer de ce risque, et lui proposer de signer, non pas un nouveau bail, mais un avenant au bail existant.
1414. L’arrêt d’appel qui, pour condamner le notaire à la réparation avait insisté sur l’obligation du notaire de conseiller les parties, même lorsqu’il intervient à titre gracieux, est censuré. La Cour de cassation semble en effet affirmer dans sa décision que le notaire doit se libérer de son obligation de conseil, au plus tard lors de la signature de l’acte authentique, lorsque cette forme a été envisagée par les parties. En l’espèce, l’acte authentique n’ayant pas été signé, le notaire ne pouvait pas être considéré comme en retard… C’est dire que, puisque le notaire ne doit son conseil qu’au moment de la signature de l’acte, il doit également se préconstituer la preuve de la délivrance de son conseil, au plus tard, à ce moment.
1515. Quelles sont, en outre, les circonstances qui doivent amener à se préconstituer une preuve ? La reconnaissance de conseil donné, comme son nom l’indique, épouse les contours de l’obligation de conseil du notaire. Cela va sans dire, mais cela va encore mieux en le disant. En effet, s’agissant de l’efficacité de l’acte, la charge de la preuve de la faute du notaire repose sur le client. La faute, ou l’absence de faute, découlera en général de l’acte lui-même qui vaut donc en quelques sortes préconstitution de la preuve de la bonne exécution de ce devoir d’efficacité [19]. En outre, si l’acte est efficace en lui-même, mais qu’il ne permet pas au client d’atteindre l’objectif particulier qu’il s’était fixé, il appartiendra au client de démontrer qu’il avait bien informé le notaire de cet objectif. C’est dire que les notaires devraient en principe se préconstituer systématiquement la preuve de l’exécution de leur obligation de conseil, y compris lorsqu’ils expliquent à leur client les conséquences les plus banales d’une loi ou d’un acte.
1616. En pratique, cette automaticité est difficilement envisageable, sous peine d’instaurer un climat de défiance entre le notaire et le client, climat particulièrement antinomique avec la confiance qui doit guider cette relation. Tout l’art du notaire est donc de détecter quand il convient de se préconstituer cette preuve en se basant par exemple sur l’attitude du client, la nature de l’affaire, ou encore ses enjeux financiers. Dans trois circonstances, la reconnaissance de conseil donné doit cependant être automatique.
17D’abord, lorsque, pour atteindre le but qu’il s’est fixé, le client a plusieurs options qui n’emportent pas les mêmes conséquences juridiques ou fiscales. Il est alors absolument nécessaire pour le notaire de se préconstituer la preuve qu’il a complètement informé le client de ses choix et des conséquences de ses choix.
18Ensuite, lorsque le notaire déconseille l’opération. On sait en effet que pèse sur le notaire l’obligation d’instrumenter. Lorsque l’acte qu’on lui demande de dresser fait parti de son domaine réservé, il ne peut donc refuser de prêter son concours [20]. Ainsi, lorsque le client décide de passer outre l’avis du notaire, dans une hypothèse où l’opération projetée n’est pas contraire à la loi, le notaire est tenu de rédiger l’acte, mais il doit nécessairement se préconstituer la preuve du conseil donné.
19Enfin, mais sans souci d’exhaustivité, la dernière situation dans laquelle la reconnaissance de conseil donné doit être automatique, coïncide avec l’existence d’un contexte juridique incertain. Pendant un temps, la Cour de cassation a semblé mettre à la charge du notaire l’obligation de prévoir les revirements de jurisprudence [21]. Le notaire avait donc la lourde tâche de débusquer, dans les arrêts de la Cour de cassation, les linéaments d’un potentiel revirement de jurisprudence afin de permettre à son client de s’en prémunir.
2017. Cette solution était particulièrement rude, d’autant qu’elle revenait à faire peser le poids de la rétroactivité, inhérente aux revirements de jurisprudence, sur les épaules du notaire. Aujourd’hui, le notaire n’est censé connaître que le droit positif existant au moment où il dresse son acte, ce qui est déjà une tâche suffisamment écrasante. C’est dire que, lorsque le droit positif est incertain, parce que la jurisprudence n’est pas claire, ou parce que la loi est lacunaire, le notaire doit informer le client de cette incertitude et des conséquences concrètes de celle-ci sur l’efficacité de son opération : surcroît d’impôts, nullité partielle ou totale, etc… Bien évidemment, si le notaire veut éviter que le client lui reproche ce surcroît d’impôts, ou cette nullité, il faudra qu’il se soit préconstitué la preuve de l’avertissement qu’il lui aura fait. Mais, comment effectuer cet avertissement ?
III – Comment ?
2118. La reconnaissance de conseil donné peut se faire, hors l’acte, dans l’acte, mais toujours de façon précise. Le plus souvent, la reconnaissance de conseil donné figurera dans un document écrit distinct de l’acte authentique. Plusieurs choix s’offrent alors au notaire. Le premier consiste à envoyer au client une lettre dans laquelle les choix qui s’offrent à lui seront, par exemple, expliqués. Cette lettre est souvent envoyée après un entretien au cours duquel les explications auront été données oralement. On l’appelle parfois « lettre parapluie », le notaire se « couvrant » contre les éventuels recours fondés sur le devoir de conseil. Reste que le client pourrait contester avoir reçu la lettre en question. De deux choses l’une alors. Soit le client répond par lettre ou courriel ; dans ce cas, il faudra garder précieusement la lettre ou le courriel par lequel le client atteste avoir été informé ou choisit entre les différentes options proposées. Soit le client ne répond pas, et il faudra procéder à un nouvel envoi par lettre recommandée avec accusé de réception.
2219. Le second procédé peut consister à faire signer, préalablement à la signature de l’acte authentique, et au cours de la même entrevue, un document dans lequel les risques de l’opération, les conséquences du choix du client, ou toute autre information utile seront consignés. La reconnaissance de conseil donné prend alors la forme d’un acte sous seing privé. Procéder par acte séparé permet de démontrer que le notaire a suffisamment appelé l’attention du client sur les points évoqués. Cela permet également d’être précis, sans alourdir l’acte authentique d’une clause obèse, les actes authentiques n’en manquant pas par ailleurs.
2320. La jurisprudence admet cependant que la reconnaissance de conseil donné puisse figurer dans l’acte authentique lui-même. Elle l’a fait en particulier dans un arrêt du 31 mars 1998 [22], dans lequel un acte de vente contenait précisément une clause intitulée urbanisme, libellée comme suit : « l’acquéreur reconnaît que, bien qu’averti par le notaire soussigné de la nécessité d’obtenir des renseignements d’urbanisme, il a requis l’établissement de l’acte sans la production de ces pièces, il déclare être parfaitement informé de la situation de l’immeuble à cet égard et se reconnaît seul responsable de servitudes particulières, renonçant à tous recours contre le vendeur ou le notaire ». La mention de la renonciation au recours contre le notaire apparaît ici superflue. Elle pourrait être considérée comme une clause élusive de responsabilité interdite. Heureusement, l’objet de la clause n’était pas tant de faire renoncer le client à son recours contre le notaire, que de l’informer des risques relatifs à l’absence de document d’urbanisme.
2421. Les juges du fond, dont le raisonnement est approuvé par la Cour de cassation, avait donc pu estimer que « l’officier ministériel avait appelé l’attention de la SCI sur l’importance des documents relatifs à l’urbanisme ». Reste que la clause informative peut parfois être considérée comme une simple clause de style, n’appelant pas suffisamment l’attention du client sur le problème considéré. Tout dépend donc des circonstances, et les juges du fond peuvent tout aussi bien estimer que, noyée au milieu d’autres clauses, la clause informative n’était pas suffisante pour attirer l’attention du client. De ce point de vue, la clause informative, insérée dans un acte authentique, peut se révéler moins efficace que la reconnaissance de conseil donné figurant dans un acte séparé.
2522. En outre, il serait erroné de penser que la présence de la clause informative dans l’acte authentique lui confère une force probante supérieure à celle figurant dans un acte sous seing privé séparé. Prenons l’hypothèse d’une clause d’un acte authentique dans laquelle le client déclarerait être parfaitement informé d’un risque et faire son affaire personnelle du risque en question. Le client pourrait-il soutenir qu’il n’a pas été correctement informé ? Devrait-il nécessairement procéder par la voie de l’inscription de faux, s’agissant d’un fait que le notaire a personnellement accompli ? Le notaire a en effet personnellement informé le client et l’a mentionné dans l’acte. Non, répond, évidemment serait-on tenté de dire, la Cour de cassation dans un arrêt du 14 novembre 2012 [23]. Dans cette affaire, une clause d’un acte de vente précisait que l’acquéreur déclarait être parfaitement informé d’un jugement concernant un mur et en faire son affaire personnelle. En l’espèce, un jugement avait attribué la propriété d’une bande du terrain acheté à un voisin.
2623. La Cour d’appel avait donné son plein effet à cette clause figurant dans l’acte authentique. Pourtant, la Cour de cassation a censuré cette décision au motif que « le notaire, tenu professionnellement d’éclairer les parties et de s’assurer de la validité et de l’efficacité des actes qu’il instrumente, ne pouvait décliner le principe de sa responsabilité en alléguant que son client avait déclaré faire son affaire personnelle des conséquences du jugement du 29 avril 1992 ». La clause en question peut donc parfaitement être contestée. Elle ne constitue, selon la Cour de cassation, qu’une allégation. On est donc très loin de l’authenticité. Cette solution est compréhensible. En affirmant que le client fait son affaire personnelle d’un risque, sans le mentionner précisément, le notaire se décharge en effet de sa responsabilité. Or, comme on l’a vu, un notaire ne peut, en aucune façon, exclure sa responsabilité, ce que la Cour de cassation rappelle en affirmant que le notaire ne « peut décliner le principe de sa responsabilité ». En outre, la haute juridiction, après avoir noté que le jugement dont le client déclarait faire son affaire personnelle n’était pas annexé à l’acte, précise qu’il incombait au notaire de « s’assurer que les acheteurs avaient connaissance de la teneur de ce jugement et de son incidence sur le sort de l’opération que constatait l’acte qu’il recevait ». Autrement dit, la haute juridiction a estimé que la clause ne prouvait pas suffisamment que l’information avait été donnée, et comprise, par les acheteurs.
2724. La clause qui figure dans l’acte authentique n’a donc pas plus de force que celle qui figure dans un acte sous seing privé séparé ; elle n’est pas couverte par l’authenticité, et doit répondre aux mêmes exigences de précision. La reconnaissance de conseil donné doit en effet contenir toutes les informations dont le client devait disposer pour exercer son choix en toute connaissance de cause. En outre, et même si cela peut ressembler à la quadrature du cercle dans certaines hypothèses, le langage employé doit être simple et accessible afin d’éviter que le client puisse avancer qu’il n’a pas compris l’information qui lui a été transmise. La reconnaissance de conseil donné obscure pourrait en effet se retourner contre le notaire en permettant au client de démontrer que, compte tenu de la teneur du conseil donné, il n’avait pas été en mesure de le comprendre.
2825. Les exigences de la Cour de cassation relative à l’intensité, au périmètre et à la charge de la preuve de l’exécution de l’obligation de conseil étant ce qu’elles sont, la reconnaissance de conseil donné est devenue un outil indispensable pour sécuriser l’activité du notaire. Elle doit ainsi devenir un réflexe pour prémunir le professionnel contre des recours qui, par hypothèse, seraient injustifiés, dès lors que le conseil adéquat a bel et bien été donné.
Notes
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[1]
Le style oral a été conservé.
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[2]
J.-L. Aubert, R. Crône, La responsabilité civile des notaires, 5ème éd., Defrénois, 2008 ; J. de Poulpiquet, Responsabilité des notaires, civile, disciplinaire, pénale, 2ème éd. Dalloz, 2009.
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[3]
Cass. civ. 1ère, 28 avril 2011, n° de pourvoi : 10-15056 ; D. 2011, p. 1725, note M. Baccache ; RTD Com. 2011, p. 631, obs. B. Bouloc ; RTD civ. 2011, p. 547 obs. P. Jourdain ; JCP G 2011, 1133 obs. Ph. Stoffel-Munck. V. aussi O. Bustin, « Les présomptions de prévisibilité du dommage contractuel », D. 2012, p. 238 ; Cass. civ. 1re, 26 septembre 2012, n° 11-13177.
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[4]
Cass. civ. 1ère, 14 octobre 2009, n° 08-17994.
-
[5]
Sur ce point : v. M. Mekki, « De l’acte sous signature juridique à l’acte contresigné par l’avocat », JCP G 2009, I, 61, spé. n° 7 à 9. V. aussi le rapport annuel de la Cour de cassation pour l’année 2002 dans lequel on trouve une étude conjointe de la responsabilité des professionnels du droit : P. Cassuto-Teytaud, « La responsabilité des professions juridiques devant la première chambre civile ».
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[6]
Cass. civ. 1ère, 7 mars 2006, Bull. civ. I, n° 328 ; D. 2006, p. 2894, note F. Marmoz ; RTD civ. 2006, p. 521, obs. P. Deumier ; RTD civ. 2006, p. 580 obs. P.-Y. Gautier ; RTD civ. 2007, p. 103, obs. J. Mestre et B. Fages ; Defrénois 2006, art. 38397, n° 14, obs. B. Gelot ; JCP éd. N 2006, p. 1217, obs. F. Buy.
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[7]
Cass. civ. 1ère, 5 févr. 2009, Bull. civ. I, n° 21, JCP S 2009, 1414 obs. A. Barège et B. Bossu.
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[8]
Cass. civ. 1ère, 25 mars 2010, n° 09-12294, Bull. civ. I, n° 72.
-
[9]
Cass. com., 4 décembre 2012, n° 11-27454.
-
[10]
Ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945 portant institution de l’ordre des experts comptables et des comptables et réglementant les titres et professions d’expert comptable et comptable agréé.
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[11]
Sur la reconnaissance de conseil donné, v. G. Rouzet, Précis de déontologie notariale, 3ème éd., Presses universitaires de Bordeaux, 2004, p. 83 ; Th. Sanséau, J.-F. Sagaut, JCl. Notarial Formulaire, V. Responsabilité notariale, Fasc. 10. ; J.-L. Aubert, R. Crône, La responsabilité civile des notaires, 5ème éd., Defrénois, 2008, p. 158 s.
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[12]
Th. Sanséau, J.-F. Sagaut, art. préc., n° 3 et 4.
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[13]
Cass. civ. 1ère, 28 nov. 1995, n° 93-17836.
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[14]
Cass. civ. 1ère, 25 février 1997, n° 94-19685.
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[15]
Cass. civ. 1ère, 3 févr. 1998, n° 96-13201.
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[16]
Loi n° 2011-331 du 28 mars 2011 de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et certaines professions réglementées.
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[17]
O. Deshayes, L’acte contresigné par avocat est né (conjugaison à l’imparfait du législatif), LEDC 2011, n° 5, p. 1.
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[18]
Cass. civ. 1ère, 30 mai 2012, n° 11-18166.
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[19]
En ce sens, v. J.-L. Aubert, R. Crône, La responsabilité civile des notaires, 5ème éd., Defrénois, spé. n° 114, p. 158.
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[20]
Sauf dans certaines hypothèses précises, telle l’illégalité de l’opération, ou son inefficacité totale : v. art. 3.2.3 du Règlement national.
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[21]
Cass. civ. 1ère, 7 mars 2006, Bull. civ. I, n° 328 ; D. 2006, p. 2894, note F. Marmoz ; RTD civ. 2006, p. 521, obs. P. Deumier ; RTD civ. 2006, p. 580 obs. P.-Y. Gautier ; RTD civ. 2007, p. 103, obs. J. Mestre et B. Fages ; Defrénois 2006, art. 38397, n° 14, obs. B. Gelot ; JCP éd. N 2006, p. 1217, obs. F. Buy.
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[22]
Cass. civ. 1ère, 31 mars 1998, n° 96-12874. V. aussi Cass. civ. 1ère, 10 juillet 2002, n° 99-15217.
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[23]
Cass. civ. 1ère, 14 nov. 2012, n° 11-24726.