Notes
-
[1]
Article 9 de la loi du 10 juillet 1965.
-
[2]
Article 9 de la loi du 10 juillet 1965, sous réserve que la restriction soit justifiée par la destination de l’immeuble.
-
[3]
Articles 25b et 30 al. 4.
-
[4]
Article 30 alinéa 1 : exécution par le syndicat de travaux d’amélioration.
-
[5]
Civ. 3e, 9 juin 2010.
-
[6]
Civ. 3e, 8 juin 2011.
-
[7]
Rappel d’une clause interdisant la cession de chambres de service dans un immeuble situé dans un quartier résidentiel (Civ. 3e, 4 juin 1998).
-
[8]
Civ. 3e, 9 juin 2010.
-
[9]
Cour d’appel de Paris 2e ch., 16 nov. 2011.
-
[10]
Cour d’appel d’Aix, 4e chambre civile, 19 octobre 1989.
-
[11]
Rappel de la décision ci-dessus visée ; seule une décision unanime des copropriétaires peut modifier la destination de l’immeuble.
-
[12]
Cour d’appel de Paris, 23e B, 11 janvier 2007.
-
[13]
Civ 3e, 7 septembre 2011.
-
[14]
Civ. 3e, 13 septembre 2005, pourvoi n° 04-15 905.
-
[15]
Civ. 3e, 4 juil. 2012, n° pourvoi 11-16 051.
-
[16]
Cour d’appel de Lyon, 8 fév. 2011.
1 Le statut légal de la copropriété repose sur la présence simultanée de parties communes d’immeuble, possédées collectivement et gérées par le syndicat et de parties privatives, domaines de propriétaires individuels.
2 Cependant, l’immeuble en copropriété forme un tout unique et collectif.
3 La spécificité du lot au sein duquel l’individuel et le collectif se mélangent intimement, confère au copropriétaire un droit de propriété sur son lot et son corollaire : le droit d’en disposer.
4 Si chaque copropriétaire use et jouit librement des parties privatives et des parties communes, c’est « sous la condition de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de l’immeuble » [1].
5 Mais de quelle liberté jouit précisément un copropriétaire dans la détermination de l’affectation de la partie privative de son lot ?
6 La première difficulté résulte de l’apparente opposition des deux alinéas de l’article 8 de la loi du 10 juillet 1965.
7 Tandis que le premier énonce que le règlement de copropriété, qui a une nature conventionnelle, « détermine la destination des parties tant privatives que communes… » le second indique que ce même règlement de copropriété « ne peut imposer aucune restriction aux droits des autres copropriétaires, en dehors de celles qui seraient justifiées par la destination de l’immeuble ».
8 Pour reprendre l’expression du Professeur Souleau : « Du choc entre la destination de l’immeuble et la prérogative individuelle, laquelle doit sortir victorieuse ? ».
9 Dès lors, pour apprécier l’étendue de la liberté dont jouit le copropriétaire, il convient tout d’abord d’examiner le cadre dans lequel elle s’exerce ; délimité à la fois par la destination de l’immeuble d’une part et les droits des autres copropriétaires d’autre part.
10 Résumons-nous : une liberté certes et constamment réaffirmée par la Cour de cassation, on le verra, mais qui s’exerce dans un cadre très strict déterminé par la destination de l’immeuble, dont les modalités sont énoncées dans le règlement de copropriété.
11 Le principe : le règlement de copropriété -qui a valeur contractuelle- s’impose à tous les copropriétaires qui doivent en respecter les stipulations relatives à l’affectation donnée aux différents lots de l’immeuble.
12 La destination des parties privatives est subordonnée au respect de la destination de l’immeuble qui constitue une norme hiérarchiquement supérieure.
13 La destination de l’immeuble dont il est question aux articles 8 et 9 de la loi du 10 juillet 1965, est une notion d’ensemble, une donnée supérieure de la copropriété ; elle est la marque du collectif dans l’aménagement particulier de la propriété que constitue la copropriété.
14 Les droits des autres copropriétaires sont au contraire une donnée essentiellement individuelle, propre à chacun d’eux.
I – La destination de l’immeuble assigne une limite aux droits individuels du copropriétaire
15 Avant d’analyser le concept de destination de l’immeuble, attardons-nous quelques instants sur la rédaction de l’article 8 de la loi du 10 juillet 1965.
16 L’article 8 alinéa 1 dispose : « Un règlement conventionnel de copropriété, incluant ou non l’état descriptif de division, détermine la destination des parties tant privatives que communes de l’immeuble ainsi que les conditions de leur jouissance » tandis que l’alinéa 2 du même texte précise : « le règlement de copropriété ne peut imposer aucune restriction aux droits des copropriétaires en dehors de celles qui seraient justifiées par la destination de l’immeuble, telle qu’elle est définie aux actes par ses caractères ou sa situation ».
17 Le terme de destination est employé dans les deux alinéas de l’article 8, alors même qu’il ne revêt pas la même acception.
18 En effet, il ne faut pas confondre la destination des parties privatives, mentionnée à l’alinéa 1 avec la destination de l’immeuble telle qu’elle est définie à l’alinéa 2.
A – La destination de l’immeuble
19 La notion de « destination de l’immeuble » est une notion insaisissable, qu’on ne peut enfermer dans une définition stricte, car il y a au moins autant de destinations de l’immeuble que de copropriétés.
20 Le Professeur Souleau avait élaboré une définition : « c’est l’ensemble des conditions en vue desquelles un copropriétaire a acheté son lot, compte tenu de divers éléments notamment de l’ensemble des clauses ; des documents contractuels, des caractéristiques physiques, de la situation de l’immeuble, ainsi que de la situation sociale des occupants ».
21 La destination de l’immeuble est un instrument essentiel de la copropriété.
22 C’est une notion qui mêle l’objectif et le subjectif pour prendre en compte l’affectation, la fonction qui est assignée à l’immeuble (habitation, professionnelle, commerciale…) et les caractéristiques fondamentales de celui-ci (structure de la construction, qualité des matériaux et des équipements, environnement…) et c’est ce qui caractérise son individualité.
23 Elle mêle l’objectif et le subjectif, car elle englobe à la fois le caractère composite de l’immeuble et la relativité qui s’attache aux éléments divers qui ont vocation à la constituer.
24 Comme telle, la destination de l’immeuble constitue une sorte de donnée supérieure à la copropriété et, pour reprendre l’expression de monsieur le Président Capoulade, au règlement de copropriété revient en principe le soin de déterminer l’affectation des parties privatives et les conditions de leur jouissance ; mais à l’arrière plan (d’aucuns même disent au premier) intervient la destination de l’immeuble qui altère le caractère conventionnel du règlement de copropriété au nom de ce qui est censé représenter l’intérêt supérieur de l’immeuble.
25 Dès lors, la notion de destination de l’immeuble, on le sait aujourd’hui, n’est pas de nature contractuelle ; c’est une notion de fait relative, variable, évolutive qui est définie par référence aux trois critères énoncés par l’article 8, à savoir : les actes de la copropriété, les caractéristiques matérielles de l’immeuble et sa situation géographique.
26 Ces critères sont à la fois cumulatifs et complémentaires et, si l’un d’eux fait défaut, il appartiendra au juge de se référer aux autres.
27 Ainsi, un immeuble vieillot et décrépi ne sera pas regardé comme résidence de grand standing parce que le règlement de copropriété l’affirme !
28 Dans un arrêt de principe rendu le 9 juin 2010, la Cour de cassation a rappelé que la destination de l’immeuble ne se définit pas seulement par référence aux clauses du règlement de copropriété et, dès lors, pour déclarer non écrite une clause restreignant le droit des copropriétaires de disposer de leur lot, les juges du fond devaient appréhender la notion de destination de l’immeuble dans toutes ses composantes, c’est-à-dire trois critères cumulatifs : les actes, mais également les caractères, et la situation de l’immeuble.
29 Enfin, la destination de l’immeuble est une notion politique qui commande l’organisation générale de la copropriété ; ainsi l’individuel doit s’incliner devant le collectif qui constitue une des particularités du droit de la copropriété, c’est-à-dire le droit du copropriétaire sur son lot, par rapport au droit de propriété.
30 La destination de l’immeuble est un instrument vital pour la copropriété puisque c’est un outil d’équilibre qui vient pondérer les initiatives individuelles au profit des intérêts collectifs et garantit les droits fondamentaux des copropriétaires minoritaires.
31 Elle est ainsi un contrepoids, à la fois naturel et nécessaire, des droits individuels des copropriétaires.
32 Un arrêt de la 3e chambre civile de la Cour de cassation du 19 octobre 2011 rappelle que la destination de l’immeuble ne peut être modifiée que par une décision de l’assemblée générale des copropriétaires prise à l’unanimité. C’est en cela qu’elle constitue un instrument de stabilité qui assure une orientation de la vie de l’immeuble.
33 Et c’est sous cet éclairage que doit désormais s’examiner le droit pour chaque copropriétaire de disposer de ses parties privatives d’une façon conforme à la destination de l’immeuble.
B – La destination des parties privatives
34 La destination des parties privatives est exprimée par le règlement de copropriété et a pour objet de préciser l’affectation du lot.
35 D’après le dictionnaire Robert, la destination c’est : l’emploi, l’utilisation, l’affectation à un usage déterminé. Ainsi, le lot est destiné à l’habitation, à l’exercice d’une profession, d’un commerce ou d’une industrie et l’affectation des parties privatives s’inscrit dans un ensemble qui donne son caractère à l’immeuble, en harmonie avec la destination générale.
36 À partir de là, les choses sont plus simples, du moins en apparence.
37 En vertu de l’article 8 al.1, le règlement de copropriété a bien vocation à fixer la destination des parties privatives ; mais, comme il ne peut, selon l’alinéa 2, imposer aux copropriétaires aucune restriction à leurs droits, en dehors de celles qui seraient justifiées par la destination de l’immeuble ; seules doivent être regardées comme licites les stipulations du règlement de copropriété conformes à cette exigence, c’est-à-dire à la destination de l’immeuble.
38 Il existe à cet égard un contentieux important et varié au sujet des limitations à la liberté des copropriétaires, apportées soit par le règlement de copropriété soit par une décision des organes de la copropriété (assemblées, syndic).
39 Les situations de fait étant d’une grande diversité, il m’est apparu intéressant de regrouper d’une part, quelques exemples de restrictions admises par la jurisprudence et d’autre part, de restrictions jugées injustifiées.
40 Pour reprendre l’expression de monsieur le Président Capoulade, la destination de l’immeuble est une véritable « tour de contrôle du droit de la copropriété » tant il s’agit d’une notion essentielle dont l’incidence se traduit de façon transversale.
41 Elle intervient soit pour interdire [2] : telle par exemple l’impossibilité pour l’assemblée sauf unanimité de décider l’aliénation d’une partie commune dont la conservation est nécessaire au respect de la destination de l’immeuble ; soit pour poser une condition à une autorisation [3], ou à une décision de l’assemblée générale [4].
42 C’est une notion qui est si essentielle que ni le syndicat (sauf unanimité en assemblée générale), ni les copropriétaires eux-mêmes, ne peuvent prendre de décisions ou exercer des prérogatives qui lui seraient contraires.
43 Je viens de citer un arrêt du 19 octobre 2011 qui rappelle l’impossibilité de porter atteinte à la destination de l’immeuble sauf décision unanime.
44 La notion de destination est donc une notion hiérarchiquement supérieure en droit de la copropriété mais difficile à appréhender, non seulement parce qu’elle procède de trois critères dont la loi n’a pas précisé l’importance hiérarchique respective (les actes, les caractères et la situation) mais aussi parce qu’il s’agit à l’évidence d’une notion évolutive en fonction de l’évolution de la société.
45 C’est donc à la lumière de cette limite que doivent s’apprécier toutes les modalités de détermination d’affectations des parties privatives résultant du règlement de copropriété qui s’articulent, de la façon suivante :
- soit le règlement de copropriété édicte une affectation particulière et contient des clauses restrictives aux droits des copropriétaires, dictées par la destination de l’immeuble. Cette affectation particulière est incontournable, sauf décision unanime ;
- soit la restriction imposée n’est pas exigée par la destination de l’immeuble -qu’elle lui soit contraire ou étrangère- et la clause est alors réputée non écrite en vertu de l’article 43 de la loi du 10 juillet 1965. Dans ce cas, elle ne peut apporter aucune entrave à la liberté du copropriétaire.
46 À la lumière de ces précisions, le débat devient plus clair.
47 La liberté du copropriétaire, sur la partie privative de son lot, est déterminée soit par une restriction légale du règlement de copropriété soit, à l’inverse, par une interdiction qui serait prohibée.
48 Pour une illustration, nous pouvons citer l’arrêt de la Cour d’appel de Toulouse, 1ère ch., 8 septembre 2008. Statuant à propos d’un recours en annulation d’une décision d’assemblée générale pour abus de droit, la Cour de Toulouse s’est prononcée sur le thème du rapport entre les notions de destination de l’immeuble et de destination des parties privatives.
49 En l’espèce, il s’agissait d’un groupe d’immeubles, les uns affectés à l’habitation, les autres à divers usages commerciaux.
50 À la suite de divers aménagements, la Cour a conclu que l’assemblée générale critiquée a pu valablement approuver la création de nouveaux logements à la place de locaux jusqu’alors utilisés à des activités commerciales, sans qu’il y ait eu rupture d’égalité entre les copropriétaires.
51 La Cour rappelle que la destination de l’immeuble dont il est question aux articles 8 et 9 de la loi du 10 juillet 1965, est une notion d’ensemble, liée à ses caractéristiques propres, à son environnement, et à son mode d’occupation.
52 Elle détermine un cadre général dans lequel s’exercent les droits des copropriétaires, dont les modalités sont énoncées dans le règlement de copropriété.
53 La destination des parties privatives est par contre subordonnée au respect de la destination de l’immeuble, laquelle constitue une norme hiérarchiquement supérieure : l’une et l’autre sont susceptibles d’évolution, mais dans le respect du lien de subordination de l’une par rapport à l’autre.
54 Cet arrêt met particulièrement en lumière l’étroit rapport entre les deux notions.
55 Même si des changements d’affectation des parties privatives ont été opérés dans le groupe d’immeubles, ils sont restés sans conséquence sur la destination générale de cette copropriété qui a pu évoluer en raison du nombre de logements supérieur à celui d’origine, mais sans en altérer ses caractéristiques.
II – Différentes sortes d’affectation définies dans les règlements de copropriété
A – Diversités d’affectations dans l’immeuble
56 Le règlement de copropriété énonce d’abord la destination générale de l’immeuble : habitation bourgeoise, habitation avec possibilité d’exercer certaines professions, immeuble mixte habitation/activités professionnelles ou commerciales etc. L’affectation conventionnelle des lots est donc impérative.
57 L’intangibilité de la destination des parties privatives doit être relativisée ; une certaine souplesse d’appréciation s’avère nécessaire.
58 Selon la jurisprudence, il convient de ne pas se laisser enfermer dans une interprétation trop étroite de clauses souvent imprécises, ambiguës ou inappropriées qui, en réalité, ne reflètent pas clairement les intentions réelles des copropriétaires à propos de la destination qu’ils ont entendu donner à leur immeuble.
59 La faculté pour un copropriétaire de modifier la destination de son lot obéit donc à la directive suivante : la faculté de modifier la destination de parties privatives doit être examinée en fonction des clauses du règlement de copropriété exprimant la destination de l’immeuble et les modalités dont elle peut être assortie.
60 Si les lots sont réservés à l’habitation, chaque copropriétaire doit respecter cette affectation : il ne saurait la modifier sans le consentement unanime des copropriétaires.
B – Interprétation des clauses de portée subsidiaire
61 Une fois déterminée l’affectation générale des lots, le règlement se borne à énumérer les divers locaux secondaires de l’immeuble sous les termes caves, combles, greniers, remises ou garages, dont l’utilisation n’est pas forcément immuable et par conséquent susceptible de varier au cours des ans et des copropriétaires.
62 L’ambiguïté ou l’imprécision de telles clauses nécessite alors une interprétation pour déterminer leur conformité à la destination de l’immeuble, comme le démontre une très abondante jurisprudence en la matière.
C – Clauses d’interdiction
63 Le règlement de copropriété prohibe par ailleurs un certain nombre d’activités ou de comportements, qu’il s’agisse d’interdire les troubles de voisinage ou l’exploitation de commerces déterminés nuisibles à leur environnement.
64 Dès lors qu’elles ont pour objet de protéger la destination de l’immeuble, les clauses sont licites et obligatoires pour les copropriétaires ; ils ne peuvent affecter leurs lots à une activité prohibée.
D – Distinction entre destination et modalités d’utilisation du lot
65 La destination des parties privatives concerne le type d’usage auquel elles sont réservées : habitation, exercice d’une activité professionnelle, exploitation commerciale ou industrielle, emplacements de stationnement…
66 En revanche chaque type d’usage peut lui-même faire l’objet de modalités particulières, notamment pour les locaux commerciaux ou secondaires.
67 Par exemple, dans ces locaux peuvent être exploités différents commerces : épicerie, garage, magasin d’habillement, salon de coiffure, … l’affectation elle-même demeurant inchangée.
68 Le lot est bien toujours à usage commercial, mais il est utilisé selon des modalités variables en fonction du commerce exercé.
69 En d’autres termes, un changement de commerce n’entraîne pas, au regard des principes, un changement de l’affectation d’un lot défini à usage commercial par le règlement de copropriété. Jurisprudence constante.
70 Selon les termes de la Cour de cassation : un changement de la nature de l’activité commerciale dans un lot où le règlement de copropriété autorise l’exercice du commerce n’implique pas par lui-même une modification de la destination de l’immeuble et peut s’effectuer librement sous réserve de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires ni à des limitations conventionnelles justifiées par la destination de l’immeuble.
71 En revanche, le changement d’affectation d’un lot peut être impossible parce que contraire à la destination générale de l’immeuble même s’il n’entraîne pas de nuisances plus graves qu’auparavant pour les autres copropriétaires : par exemple, affectation d’un appartement à l’exercice d’une profession libérale interdite par le règlement.
72 Inversement, un changement d’affectation licite peut cependant être interdit parce que de nature à entraîner des sujétions anormales de voisinage donc à porter atteinte aux droits des autres copropriétaires : par exemple, l’affectation régulière d’un logement à l’exercice d’une profession génératrice de nuisances.
73 Les modalités d’utilisation effective d’un lot dans le cadre de sa destination conventionnelle jouent de la sorte un rôle également important lorsqu’il s’agit d’apprécier la validité d’une éventuelle modification de cette destination ; les tribunaux s’en inspirent constamment pour résoudre les conflits dont ils sont saisis.
E – La clause d’occupation bourgeoise exclusive
74 Le règlement de copropriété peut spécifier que l’immeuble a un caractère exclusivement d’habitation. Il prohibe alors l’exercice de tout commerce et de toute profession, même libérale.
75 Une telle clause limite strictement le droit de disposer de son bien en dehors des fins d’habitation.
76 Une telle clause est reconnue valable car elle est conforme à la destination de l’immeuble et elle est justifiée par un désir d’une occupation paisible, résidentielle et spécialement protégée.
77 La jurisprudence donne de nombreux exemples de problèmes posés par l’application de cette clause.
F – La clause simple d’occupation bourgeoise sans précision supplémentaire
78 Elle permet un usage plus diversifié ; elle ne s’oppose pas à l’exercice de certaines professions. Sont seulement exclues les professions commerciales, industrielles ou artisanales ; à noter que les professions libérales sont admises.
79 La clause d’habitation bourgeoise cherche à assurer une relative tranquillité dans l’immeuble, l’exercice d’une profession libérale est présumée ne pas y porter atteinte.
G – L’affectation professionnelle ou commerciale
80 Lorsque le règlement de copropriété admet l’exercice d’activités professionnelles, commerciales ou artisanales dans les parties privatives, il émet aussi souvent des restrictions afin d’éviter des nuisances que ces activités sont susceptibles d’apporter à la copropriété.
81 Ces clauses doivent donc être respectées, dans la mesure où elles sont compatibles avec la destination de l’immeuble et ne créent pas de rupture d’égalité entre les droits des copropriétaires.
III – Le principe : la liberté du propriétaire des parties privatives. L’outil : la rédaction de clauses du règlement de copropriété et l’appréciation de leur conformité à la destination
82 Chaque immeuble est particulier par ses dimensions, par sa construction et son architecture, par son environnement, par le confort qu’il procure à ses occupants ; une clause ne peut intégrer toutes ces caractéristiques.
83 Dès lors, l’admission ou l’exclusion par principe d’un type d’activités ne peuvent résulter que de clauses expresses.
84 Par une série d’arrêt, la Cour de cassation paraît désormais privilégier la liberté individuelle du copropriétaire, en sanctionnant par exemple un type de raisonnement : celui qui consiste à privilégier la clause d’exclusion d’un type d’activités, sans s’interroger sur la conformité de cette clause à la destination de l’immeuble.
85 Pourquoi ? Parce que la notion de destination de l’immeuble est décisive dans l’appréciation du changement d’affectation. L’article 8 alinéa 2 n’admet d’autres limites aux droits des copropriétaires que celles qu’impose cette destination et les droits des autres copropriétaires.
86 Quant à l’article 9, il ne dit rien d’autre s’agissant de la liberté d’usage dont bénéficie tout copropriétaire sur ses parties privatives.
A – Exemples de clauses déclarées non conformes à la destination de l’immeuble
1 – Référence à l’affectation des parties privatives telle qu’elle est définie à l’article 8 alinéa 1
87 Dans un arrêt du 14 décembre 2010, la problématique était la suivante : le règlement de copropriété d’un immeuble à usage mixte, d’habitation et de commerce, comporte une clause au terme de laquelle : « il ne pourra y être exercé aucune profession ni aucun métier bruyant, insalubre ou exhalant de mauvaises odeurs ».
88 L’assemblée générale saisie, par un copropriétaire concerné, d’une demande d’autorisation d’exploiter un restaurant dans les lieux l’avait refusée en se prévalant de cette clause.
89 La Cour d’appel, saisie d’une demande d’annulation de cette décision de refus, l’avait rejetée au motif que l’exploitation du restaurant était susceptible d’entraîner une gêne et considérant que la décision de l’assemblée générale lui avait paru suffisamment justifiée par la clause du règlement de copropriété interdisant les activités bruyantes, insalubres ou exhalant de mauvaises odeurs.
90 La cassation est prononcée au double visa des articles 8 et 9 de la loi du 10 juillet 1965. Quel est le raisonnement de la Cour de cassation ?
91 À partir du moment où aucune clause du Règlement de copropriété n’interdit effectivement l’activité de restaurant, celle-ci ne peut a priori être condamnée en raison de nuisances hypothétiques.
92 Et cette solution est conforme à un courant jurisprudentiel qui considère qu’à partir du moment où le règlement de copropriété autorise les activités commerciales, il n’est pas possible par anticipation de s’opposer à l’installation d’un restaurant au motif qu’elle provoquerait des nuisances.
93 La clause relative aux nuisances n’est pas balayée ; il faut cependant que la preuve des nuisances soit avérée et non pas supposée.
94 En l’espèce, l’activité de restauration n’est pas expressément interdite par le règlement de copropriété ; la difficulté réside dans l’opposition marquée entre les clauses générales faisant référence à des catégories d’activités et des clauses plus concrètes du règlement de copropriété visant leurs inconvénients éventuels.
95 C’est donc la liberté individuelle du copropriétaire qui est ici mise en lumière, le juge du droit fonde sa censure sur la clause du règlement de copropriété : dès lors qu’elle autorise en général l’exercice d’activité commerciale, tous les commerces sont admissibles.
96 L’interdiction des exploitations bruyantes, insalubres ou malodorantes ne peut justifier l’exclusion systématique d’une catégorie générale d’activités et de restaurants, par exemple.
2 – Clause restrictive déclarée non écrite
97 Dans une autre espèce [5], la problématique était la suivante : le règlement de copropriété contenait une clause aux termes de laquelle : « Les garages ne pourront être aliénés par vente ou location qu’au bénéfice exclusif des personnes ayant nommément qualité d’occupants de l’immeuble ».
98 Un garage ayant été vendu à une personne extérieure à la copropriété, certains copropriétaires avaient agi en nullité de la vente.
99 Pour rejeter cette demande et déclarer non écrite la clause restrictive, la Cour d’appel s’était bornée à se référer aux actes (uniquement) « pour déclarer que la clause n’était pas justifiée par la destination de l’immeuble ».
100 L’arrêt retient : « qu’en l’espèce, rien n’est mentionné dans les actes versés aux débat sur ce point ».
101 Censure de la Cour de cassation : tout d’abord la destination de l’immeuble procède de trois critères : les actes, les caractères et la situation. Dès lors, la Cour d’appel devait rechercher si la clause restrictive était justifiée par la destination de l’immeuble au regard des trois critères qui la composent : les actes, les caractères et la situation.
102 Cet arrêt illustre encore une fois la liberté du copropriétaire, protégée, dès lors que la clause restrictive n’est pas justifiée par la destination de l’immeuble, notion prise dans son acception globale.
103 En l’espèce, la clause me paraissait justifiée justement parce qu’il s’agissait d’un immeuble de grand standing, dans une station touristique avec un nombre de lots limité pour assurer la tranquillité des occupants.
104 Dès lors la clause était bien justifiée par les actes, la situation et les caractères de l’immeuble.
3 – Clause soumettant la location en meublé à autorisation de l’assemblée générale déclarée non écrite
105 Dans cette espèce [6] : le règlement de copropriété comportait une clause selon laquelle : « Les appartements devant être occupés bourgeoisement, ne pourront être consacrés à la location meublée sans autorisation de l’assemblée générale des copropriétaires votant à la majorité… ».
106 Pour prononcer l’annulation de cette clause, comme comportant une restriction aux droits des copropriétaires non justifiée par la destination de l’immeuble, l’arrêt retient : que le règlement de copropriété autorise expressément l’exercice de professions libérales, qui entraînait des inconvénients similaires à ceux dénoncés par le syndicat pour la location meublée de courte durée ; et que la location meublée ne provoquait au demeurant aucune nuisance (supérieure à celles résultant de professions libérales), de sorte que c’est à bon droit que la Cour d’appel a considéré que la restriction n’était pas justifiée par la destination de l’immeuble.
107 Que retenir de cet arrêt ?
108 Que les clauses restrictives des droits des copropriétaires doivent être justifiées par la destination de l’immeuble [7].
109 La notion de destination de l’immeuble doit s’apprécier in concreto, en fonction d’éléments extérieurs au règlement de copropriété, tenant à la situation de l’immeuble, son environnement et ses caractéristiques [8].
B – Exemples de stipulations conformes à la destination de l’immeuble
1 – Appréciation du caractère évolutif de la notion de destination pour déterminer le caractère licite de l’activité envisagée
110 Dans cette affaire [9], le règlement de copropriété se référait à un cahier des charges de 1858, devenu avec le temps obsolète, qui interdisait l’occupation des lieux par des personnes se livrant à ce qu’on pouvait appeler « les vieux métiers de Paris » :
« les boutiques ne pourront être occupées par des artisans ou ouvriers à marteaux, marchands de vins, liqueurs, cafés et fruits sur comptoir, bouchers, charcutiers, cabaretiers, par tous marchands de substances susceptibles de putréfaction, ni par aucun état bruyant, insalubre ou de nature à dégrader la maison… ».
112 L’instance se présentait par une procédure introduite à l’initiative du syndicat des copropriétaires à l’encontre du copropriétaire qui avait consenti un bail commercial à son locataire pour une activité d’« épicerie fine, salon de thé, petite restauration, vente de boissons, vente à emporter de produits comestibles frais et conserve, dégustation sur place de produits comestibles frais et conserve, vente à emporter d’alcool, possibilité de vente d’alcool sur place servi avec les produits comestibles ».
113 La Cour d’appel a jugé que l’activité commerciale envisagée par le locataire n’était pas de nature à entraîner des nuisances, comme celles redoutées par le passé.
114 C’est l’occasion de rappeler que tout copropriétaire est libre d’affecter son lot à l’activité de son choix, sous la seule condition qu’elle soit conforme à la destination de l’immeuble.
115 Les restrictions à l’affectation de lots peuvent sans doute s’imposer si elles sont justifiées par cette destination, elle-même évolutive dans le temps.
116 Ainsi, le règlement doit être interprété en fonction de l’évolution des techniques, de l’évolution commerciale d’un quartier.
2 – Clause interdisant la location des mansardes à des tiers
117 La Cour d’appel d’Aix-en-Provence [10] a jugé que la clause interdisant la location des mansardes aux personnes étrangères à l’immeuble comme portant atteinte à la tranquillité de l’immeuble et à son habitation bourgeoise, était conforme au règlement de copropriété.
3 – Clause interdisant tout commerce
118 Dans une copropriété à destination exclusive d’habitation, la clause interdisant tout commerce est licite : la stipulation du règlement de copropriété est incontournable [11].
4 – Clause interdisant la division de lots [12]
119 Est licite la clause du règlement de copropriété tendant à interdire la division de lots si ces clauses sont conformes à la destination de l’immeuble, lorsque celui-ci, par ses caractéristiques propres et son environnement à la fois géographique et social, lui confèrent « un standing particulier » auquel la division porterait atteinte.
120 En l’espèce, la clause litigieuse interdisait la division des lots sauf accord des copropriétaires.
121 Situation ambiguë et délicate. En effet, un tel accord dérogeant aux stipulations d’interdiction de division supposée valable, nécessiterait une décision unanime des copropriétaires.
122 A contrario, si l’unanimité n’était pas obtenue, un copropriétaire opposant serait alors fondé à contester la décision de l’assemblée générale pour violation d’une stipulation conforme à la destination de l’immeuble.
IV – Le trouble causé aux autres copropriétaires
123 Par un arrêt de la 3e chambre civile du 29 février 2012, la Cour de cassation décide que : « même si le commerce incriminé n’est pas en lui-même contraire à la destination de l’immeuble, les troubles de voisinage que génère son activité doivent conduire le juge à prendre les mesures de nature à les faire cesser ».
124 En l’espèce, se plaignant de nuisances sonores, imputables à l’exploitation d’un débit de boissons et restaurant dans un lot de l’immeuble, des copropriétaires ont demandé en justice la cessation de l’activité de ce commerce.
125 La Cour d’appel les a déboutés au motif que le règlement de copropriété ne prévoyait pas de restrictions dans l’usage commercial du lot, de sorte que l’activité incriminée n’était pas contraire à la destination de l’immeuble.
126 L’arrêt est cassé. La haute juridiction relève que la Cour d’appel, ayant constaté que l’activité exercée dans les lieux était bien source de troubles de voisinage, aurait dû en tirer les conséquences en prescrivant les mesures appropriées pour mettre fin à ces nuisances.
127 En effet, la conformité d’une affectation commerciale à la destination de l’immeuble constitue sans doute la condition préalable de la licéité de l’activité exercée par un copropriétaire. Mais cette conformité ne saurait faire échec à l’obligation générale incombant à chacun, de ne pas porter atteinte aux droits des autres copropriétaires ainsi que le prévoit l’article 9 alinéa 1 de la loi du 10 juillet 1965.
128 L’existence de ces troubles anormaux de voisinage constitue, par conséquent, une violation de cette obligation, nonobstant la conformité à la destination de l’immeuble de l’activité perturbatrice.
V – La question de l’état descriptif de division
129 Par un arrêt du 7 septembre [13], la Cour de cassation a rappelé que l’état descriptif de division n’a pas en principe de caractère contractuel au regard notamment de la destination des lots.
130 Celle qui est mentionnée est donc simplement descriptive et indicative.
131 Ce n’est que dans des circonstances tout à fait particulières que ces mentions peuvent avoir un effet lorsqu’il n’y a pas de règlement de copropriété ou lorsque l’état descriptif de division constitue le seul document de références.
132 En l’espèce, il s’agissait de savoir si la désignation de deux lots comme locaux à usage d’entrepôts avait une valeur contractuelle et en interdisait dès lors à leur propriétaire de les transformer pour les affecter à l’habitation.
133 Pour reconnaître une telle valeur contractuelle, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence avait retenu qu’une telle désignation résultait d’un acte modificatif de l’état descriptif de division, postérieur au Règlement de copropriété et que, dès lors que ce modificatif n’avait pas été contesté par les copropriétaires et avait été publié, il s’imposait à eux.
134 Censure de la Cour de cassation qui retient « Que la publication postérieure au règlement de copropriété d’un nouvel état descriptif de division non contesté ne lui donne pas de valeur contractuelle ».
135 Dès lors, un état descriptif de division modificatif n’a pas plus de force obligatoire quant à l’affectation des parties privatives que le document d’origine.
V – Les changements d’affectation
136 L’un des problèmes les plus délicats à résoudre en droit de la copropriété est, sans conteste, celui de l’intangibilité de l’affectation des lots prévue dans le règlement de copropriété.
137 Le problème consiste alors à savoir si les copropriétaires successifs d’un lot doivent en respecter indéfiniment la destination convenue lors de la constitution de la copropriété ou s’il leur est loisible de la modifier et, dans l’affirmative, suivant quelles modalités.
138 Le principe est le suivant : tout changement d’affectation des parties privatives, soit dès l’origine de la copropriété, soit ultérieurement, ne peut être réalisé par le copropriétaire, que dans la mesure où il est compatible avec la destination de l’immeuble et ne porte pas atteinte aux droits des autres copropriétaires, tels qu’ils résultent du règlement de copropriété.
139 Il n’est donc pas possible de s’opposer à un changement d’affectation en invoquant la destination contractuelle du lot, ou le caractère contractuel obligatoire de son affectation actuelle.
A – À l’occasion de travaux : changements votés à l’unanimité
140 La question du changement d’affectation se pose très souvent à l’occasion d’une demande d’autorisation de travaux.
141 Si le changement d’utilisation du lot est compatible avec la destination générale de l’immeuble, il procède de la liberté du copropriétaire du droit de jouir de son lot. L’assemblée des copropriétaires ne peut y faire obstacle.
142 Toutefois, le changement d’affectation nécessite souvent des travaux d’adaptation concernant les parties communes ou l’aspect extérieur de l’immeuble. Une autorisation doit donc impérativement être demandée à l’assemblée dans les conditions de l’article 25, pour les entreprendre.
143 En cas de refus injustifié, un recours judiciaire est recevable, au besoin en invoquant l’abus de majorité.
144 Dans une espèce [14], la Cour de cassation a rappelé que l’autorisation de travaux permettant le changement d’affectation d’un local affectant la destination de l’immeuble, devait être votée à l’unanimité.
145 En l’espèce, un copropriétaire ne pouvait effectuer dans son local commercial une transformation des locaux sans porter atteinte à la destination et à la solidité de l’immeuble, de sorte que ces travaux devaient être autorisés à l’unanimité (travaux de percement d’un mur mitoyen entre deux copropriétés) après rapport d’expertise qui constatait d’une part, que la suppression d’une partie de la maçonnerie porteuse avait concentré les charges sur la maçonnerie conservée sans certitude sur les capacités des fondations à absorber ces charges ; d’autre part, que l’existence d’un supermarché engendrait des nuisances supérieures à celle d’un garage antérieurement exploité.
B – Changement d’affectation de lots accessoires
146 Dans une autre espèce [15], un copropriétaire s’est vu refuser l’autorisation de l’assemblée générale pour transformer des locaux en sous-sol de l’immeuble pour les utiliser à des fins d’habitation.
147 La Cour d’appel a rejeté la décision de refus du syndicat des copropriétaires au motif que les termes du règlement de copropriété -état descriptif de division-, ne comportait pas de dispositions limitant l’affectation des lots, de sorte qu’ils pouvaient être affectés à toutes sortes d’usages, y compris l’habitation.
148 La Cour de cassation casse cet arrêt, faute d’avoir recherché si le changement d’affectation ne portait pas atteinte à la destination de l’immeuble et aux droits des autres copropriétaires.
149 En conclusion, l’absence de clause limitative ne suffit pas ; le contrôle de la Cour de cassation porte en outre sur la compatibilité de la nouvelle affectation d’un lot avec la destination de l’immeuble qui constitue aujourd’hui le critère fondamental de la légalité de l’opération.
150 Dans une autre espèce [16], l’assemblée générale des copropriétaires avait refusé à un copropriétaire des travaux d’aménagement de son lot affectant pour partie la façade, envisagés pour l’exploitation d’un commerce de vente de sushis à consommer sur place ou à emporter (Sushi-shop), motif pris de la clause restrictive du règlement de copropriété qui, dans sa rédaction du début du siècle, interdisait dans l’ensemble des lots du bâtiment, les activités suivantes :
152 Dans cette espèce, je défendais le syndicat des copropriétaires et je me suis plongée avec délectation dans la fabrication de sushis pour démontrer que l’activité envisagée rentrait très précisément dans le champ d’action de l’interdiction, laquelle me paraissait parfaitement justifiée par la destination de l’immeuble, même appréciée au regard de l’activité actuelle et tenant compte des spécificités de l’immeuble : situation, caractères…
153 Cependant, les juges de la Cour d’appel, pour légitimer l’activité de sushi-shop, se sont livrés à une exégèse de la clause interdisant la vente de poissons, de la façon suivante :
« L’activité de sushis-shop est une activité de restauration rapide, livraison à domicile et vente sur place, de produits de cuisine japonaise à base de poissons. Cette activité ne peut être assimilée à l’activité de marchand de poissons visée par le règlement, activité renvoyant à l’activité de poissonnerie supposant la présence d’étals de poissons non préparés, provenant directement de la pêche et susceptibles de générer des nuisances olfactives et non à celle de préparation et vente sur place ou à emporter de plats cuisinés constitués, pour partie seulement, de poissons froids, dans un magasin fermé ou une salle de restaurant ».
155 N’y a-t-il pas, dans le cas d’espèce, une interprétation, voire une ré-écriture totalement extensive de la clause d’origine, pour considérer que la demande d’autorisation de travaux était parfaitement conforme à la destination de l’immeuble ?
156 Car au fond, qu’il s’agisse de marchands de poissons ou de sushis, les nuisances olfactives dans les containers de l’immeuble sont les mêmes ! En fait, ce sont les restrictions du règlement pour exclure les nuisances anormales de voisinage, compte tenu de la spécificité de l’immeuble et de son environnement, qui doivent être prises en considération pour se prononcer sur la licéité d’une affectation donnée à un lot.
157 En l’espèce, il me semble que la motivation de la Cour d’appel dépassait largement le cadre d’une appréciation in concreto, pour considérer que la clause d’interdiction ne pouvait faire échec à l’activité envisagée.
158 En conclusion :
159 Il apparaît, à l’examen de la jurisprudence, que la validité d’un changement d’affectation doit s’apprécier en fonction de ses répercussions sur l’équilibre conventionnellement admis par le règlement de copropriété entre avantages et sujétions générés pour chaque lot.
160 Dans l’hypothèse où la clause du règlement de copropriété n’est pas imposée ni justifiée par la destination de l’immeuble, les copropriétaires bénéficient de la liberté que lui ménagent les articles 8 alinéa 2 et 9 alinéa 1 de la loi du 10 juillet 1965, en particulier ils n’ont pas d’autorisation à demander pour échapper à la restriction d’usage édictée par un règlement de copropriété.
161 Toutefois, cette solution ne s’applique pleinement que dans le cas où le changement d’usage n’a pas d’incidence sur les parties communes.
162 S’il en va autrement, par exemple s’il ne s’agit plus seulement du libre usage des parties privatives, une autorisation est nécessaire. Par exemple, dans le cas de transformation d’un grenier en logement avec ouverture d’un châssis dans la toiture, partie commune.
163 En second lieu, la liberté des copropriétaires n’est évidemment pas d’introduire n’importe quel usage nouveau, il faut que l’usage substitué soit lui-même conforme à la destination de l’immeuble peu importe que le règlement de copropriété soit muet au regard de cet usage ; et qu’il ne porte pas atteinte aux droits des autres copropriétaires.
C – Le problème de la domiciliation des entreprises
164 Les articles L. 123-10 et L. 123-11-1 du Code de commerce disposent :
165 Art. L. 123-10. « Les personnes physiques demandant leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers doivent déclarer l’adresse de leur entreprise et en justifier la jouissance. Elles peuvent notamment domicilier leur entreprise dans des locaux occupés en commun par plusieurs entreprises dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État. Ce décret précise, en outre, les équipements ou services requis pour justifier la réalité de l’installation de l’entreprise domiciliée.
166 Les personnes physiques peuvent déclarer l’adresse de leur local d’habitation et y exercer une activité, dès lors qu’aucune disposition législative ou stipulation contractuelle ne s’y oppose.
167 Lorsqu’elles ne disposent pas d’un établissement, les personnes physiques peuvent, à titre exclusif d’adresse de l’entreprise, déclarer celle de leur local d’habitation. Cette déclaration n’entraîne ni changement d’affectation des locaux, ni application du statut des baux commerciaux. »
168 Art. L. 123-11-1. « Toute personne morale est autorisée à installer son siège au domicile de son représentant légal et y exercer une activité, sauf dispositions législatives ou stipulations contractuelles contraires.
169 Lorsque la personne morale est soumise à des dispositions législatives ou stipulations contractuelles mentionnées à l’alinéa précédent, son représentant légal peut en installer le siège à son domicile, pour une durée ne pouvant ni excéder cinq ans à compter de la création de celle-ci, ni dépasser le terme légal, contractuel ou judiciaire de l’occupation des locaux.
170 Dans ce cas, elle doit, préalablement au dépôt de sa demande d’immatriculation ou de modification d’immatriculation, notifier par écrit au bailleur, au syndicat de la copropriété ou au représentant de l’ensemble immobilier son intention d’user de la faculté ainsi prévue. Avant l’expiration de la période mentionnée au deuxième alinéa, la personne doit, sous peine de radiation d’office, communiquer au greffe du tribunal les éléments justifiant son changement de situation, selon les modalités fixées par décret en Conseil d’État.
171 Il ne peut résulter des dispositions du présent article ni le changement de destination de l’immeuble, ni l’application du statut des baux commerciaux.
172 L’activité de domiciliataire ne peut être exercée dans un local à usage d’habitation principale ou à usage mixte professionnel. »
173 Des dispositions ont été adoptées dans le but de faciliter la création d’entreprises en supprimant certains obstacles juridiques tels que les clauses des contrats de location et les règlements de copropriété réservant les locaux exclusivement à l’habitation.
174 En ce qui concerne plus spécialement les immeubles en copropriété, il était admis que la domiciliation d’une société dans un logement qui, en vertu du règlement, devait être utilisé uniquement pour l’habitation, constituait une violation de la destination de l’immeuble.
175 Dorénavant, la copropriété ne peut plus, en dépit de ce type de clause dans le règlement, s’opposer à l’installation du siège d’une nouvelle entreprise dans les lieux dans les conditions que la loi du 21 décembre 1984 a énoncées.
176 La domiciliation de la société ne peut en elle-même constituer un « changement de destination de l’immeuble », ce qui implique par conséquent que les locaux, initialement d’habitation, soient utilisés uniquement comme le siège social, administratif, de l’entreprise.
177 Il ne saurait être question d’y installer un outillage ou des machines de production, ni d’y accueillir le public ou y créer un centre d’entreposage car il y aurait alors, sans aucun doute, une violation de la destination de l’immeuble. Le bénéfice du texte s’applique à celui qui dispose du titre d’occupation du local d’habitation, qu’il soit le copropriétaire lui-même ou son locataire.
178 Il convient de noter que la domiciliation de l’entreprise dans un local d’habitation est limitée dans le temps ; la durée ne peut excéder cinq ans ni dépasser le terme légal, contractuel ou judiciaire de l’occupation des locaux.
179 * * *
180 En raison de sa complexité, la destination de l’immeuble, même lorsqu’elle n’est pas expressément invoquée, influence la mise en corrélation des clauses du règlement de copropriété autorisant généralement certaines activités avec celles qui portent des interdictions déterminées.
181 L’appréciation de l’étendue de la liberté des copropriétaires dans l’usage des parties privatives de leur lot, donne lieu depuis 1965 à des difficultés et hésitations.
182 Il paraît souvent bien difficile de prévoir la position judiciaire et de dire si telle activité sera jugée licite dans tel immeuble.
183 Incertitudes tenant aux caractéristiques concrètes de chaque bâtiment et, par conséquent, de l’appréciation souveraine des juges du fond.
184 Rappelons que la liberté du copropriétaire se heurte à deux limites : destination de l’immeuble d’une part et droits des autres copropriétaires d’autre part, qui sont ni de même nature ni de même portée, la destination de l’immeuble étant une donnée supérieure de la copropriété, marque de l’intérêt collectif.
185 Mais ce principe, somme toute assez simple, laisse inévitablement place, dans les faits, à des difficultés diverses, en particulier celles qui résultent des incertitudes qui s’attachent à l’appréciation de la notion de destination de l’immeuble ; l’exemple des sushis en est une parfaite illustration.
Notes
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[1]
Article 9 de la loi du 10 juillet 1965.
-
[2]
Article 9 de la loi du 10 juillet 1965, sous réserve que la restriction soit justifiée par la destination de l’immeuble.
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[3]
Articles 25b et 30 al. 4.
-
[4]
Article 30 alinéa 1 : exécution par le syndicat de travaux d’amélioration.
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[5]
Civ. 3e, 9 juin 2010.
-
[6]
Civ. 3e, 8 juin 2011.
-
[7]
Rappel d’une clause interdisant la cession de chambres de service dans un immeuble situé dans un quartier résidentiel (Civ. 3e, 4 juin 1998).
-
[8]
Civ. 3e, 9 juin 2010.
-
[9]
Cour d’appel de Paris 2e ch., 16 nov. 2011.
-
[10]
Cour d’appel d’Aix, 4e chambre civile, 19 octobre 1989.
-
[11]
Rappel de la décision ci-dessus visée ; seule une décision unanime des copropriétaires peut modifier la destination de l’immeuble.
-
[12]
Cour d’appel de Paris, 23e B, 11 janvier 2007.
-
[13]
Civ 3e, 7 septembre 2011.
-
[14]
Civ. 3e, 13 septembre 2005, pourvoi n° 04-15 905.
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[15]
Civ. 3e, 4 juil. 2012, n° pourvoi 11-16 051.
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[16]
Cour d’appel de Lyon, 8 fév. 2011.