Introduction
1L’enfermement carcéral expose ceux qui le subissent à diverses tensions que la pratique d’une activité sportive peut contribuer à réduire par ses perspectives d’hygiène physique et morale mais également de réinsertion (Bodin et al., 2007 ; Gras, 2003). En prison, les activités sportives prennent des formes variées, plus ou moins organisées, individuelles ou collectives. La plupart des établissements pénitentiaires offrent ainsi à leurs détenus la possibilité de pratiquer certains sports lors des heures de préau, comme le football ou le basketball, mais aussi des activités de musculation et de fitness autour de machines de remise en forme dans des installations souvent rudimentaires et accessibles à une fréquence qui varie au gré de la politique et des contraintes de chaque établissement. Ce sont précisément ces activités de musculation et de fitness en prison et leur lien avec la problématique des « produits de la performance » (en anglais, performance and image enhancing drugs : PIED) que nous examinons et analysons dans cet article. Ces produits sont traditionnellement désignés et résumés, dans un usage courant, sous le vocable de « dopage », un concept trop souvent à géométrie variable dans la littérature scientifique mais qui, sur un plan légal, peut être défini comme l’ensemble des artifices interdits utilisés dans le cadre d’une pratique sportive. Dans cet article, nous n’utilisons cependant pas le mot « dopage » dès lors que celui-ci renvoie classiquement au référentiel du sport et de ses compétitions, même si la lutte antidopage tend aujourd’hui de plus en plus à étendre son champ d’application, dans un nombre croissant de pays, à des formes non compétitives, comme le sport amateur ou les salles de fitness (Backhouse, 2014 ; Kayser, 2018). En privilégiant l’expression « produits de la performance », nous observons toutefois une certaine prudence en gardant à l’esprit que plusieurs de ces produits peuvent également être utilisés par les détenus à des fins non exclusivement ou non directement sportives. Dans le cadre de cet article, nous nous focalisons par ailleurs, pour des raisons que nous venons d’indiquer, sur une catégorie spécifique de PIED, à savoir la consommation de stéroïdes anabolisants (en anglais, anabolic-androgenic steroids : AAS).
2La littérature scientifique a déjà abondamment documenté les liens qui existent entre la pratique sociétale du fitness (par exemple : powerlifting, bodybuilding) et la consommation de PIED (Andreasson, Johansson, 2020 ; Christiansen et al., 2017). De nombreux chercheurs ont également analysé les pratiques d’usage endémique de drogues dans le contexte carcéral (Fazel et al., 2017 ; O’Hagan, Hardwick, 2017 ; Wheatley et al., 2018). Peu de recherches se sont cependant penchées jusqu’à présent sur la problématique de la consommation des PIED par des détenus. Quelle est la diffusion de ces pratiques ? Quel sens les détenus donnent-ils, le cas échéant, à ces usages ? Quel lien ces derniers ont-ils avec l’activité physique en prison, en particulier la musculation, et que nous disent dès lors ces pratiques sur la place et le sens du corps et du sport en prison ? Comment les institutions carcérales intègrent-elles ces problématiques dans le fonctionnement général de la prison ? Le présent article a pour but de dresser un premier état des lieux de la question au terme d’une recherche empirique menée au sein de quatre prisons belges francophones. Dans une première partie, nous réalisons un état de l’art sur la thématique des PIED et du sport en prison. Nous explicitons dans une deuxième partie le cadre méthodologique qui a guidé cette étude, en rendant compte de la démarche suivie au sein de chaque prison. La troisième partie est consacrée à la présentation de nos principaux résultats de recherche. Enfin, nous contextualisons ces résultats et les discutons au regard de la littérature existante, en précisant quelles perspectives de recherche mais aussi quelles réflexions sur l’organisation et la régulation de la pratique sportive en prison ce travail ouvre.
Revue de littérature
3Parmi le très large éventail d’études et de publications scientifiques relatives au dopage sportif et à la consommation de PIED, une majorité a trait à ces pratiques dans le sport professionnel et aux politiques mises en œuvre pour les combattre ou les prévenir dans un contexte purement sportif (De Hon et al., 2015 ; Møller et al., 2015 ; Momaya et al., 2015). L’utilisation de substances destinées à améliorer les performances physiques et/ou mentales ne se cantonne toutefois pas au milieu sportif professionnel. Leur diffusion touche également une proportion croissante d’individus qui consomment ces produits à des fins sportives non-professionnelles (Andreasson, Johansson, 2020 ; Bojsen-Møller, Christiansen, 2010 ; Stubbe et al., 2014) ou même dans des buts indépendants de toute pratique sportive. Il en va ainsi du recours aux PIED dans des milieux comme ceux de la sécurité, de la nuit, de la vie estudiantine, de l’industrie du sexe ou de différents secteurs de la vie économique (Kiepek, Baron, 2019 ; Lucke et al., 2011 ; McVeigh et al., 2015 ; Van Hal et al., 2013 ; Wiegel et al., 2015). L’usage illégitime des PIED a donc cessé d’être un problème exclusif de la sphère sportive pour devenir une préoccupation de santé publique au sens large.
4De nombreux chercheurs ont tenté de déterminer la prévalence, les facteurs de risque ou les effets sur la santé de l’utilisation des PIED au sein de populations variées. Par-delà les écueils méthodologiques et épistémologiques auxquels doivent souvent faire face ces chercheurs, notamment liés à la difficulté de faire parler sur des pratiques illicites conduisant ainsi régulièrement à une vraisemblable sous-estimation des phénomènes étudiés (Petroczi et al., 2008 ; Pitsch, 2019), certains contextes d’investigation ont cependant été jusqu’ici peu ou prou totalement ignorés de la recherche académique. Il en va ainsi des prisons, au sujet desquelles seuls quelques rapports internes des administrations pénitentiaires pointent le risque peu défini d’un usage répandu et problématique de AAS (Meek, 2014, 158). Pourtant, les établissements pénitentiaires sont connus pour être des hauts lieux de consommation et de trafics de toutes sortes de substances psychotropes (Fazel et al., 2017 ; Kolind, Duke, 2016 ; Mjåland, 2016 ; Tompkins, 2016). L’analyse de la diffusion et des enjeux sanitaires ou sociaux de ces substances s’arrête toutefois classiquement aux drogues les plus communément étudiées, comme le cannabis, la cocaïne ou l’héroïne. Le dernier rapport de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies consacré à l’état des drogues en prison (EMCDDA, 2018) n’aborde ainsi pas du tout la question de l’usage (ou du trafic) des PIED par les détenus. Les raisons d’étendre le champ d’étude et d’analyse aux PIED, et en particulier aux AAS, ne manquent cependant pas.
5L’examen de la consommation de AAS par la population des détenus présente tout d’abord un intérêt lié au fait qu’il a été démontré que la prise de ces produits augmente l’agressivité et le risque de violence, notamment conjugale (Batrinos, 2012 ; Beaver et al., 2008 ; Klötz et al., 2006 ; Lundholm et al., 2010 ; Schulte et al., 1993). L’usage de AAS pose donc question vis-à-vis des raisons qui peuvent conduire un individu en prison mais aussi, une fois la personne en détention, sur les conséquences que l’éventuelle consommation de AAS peut a priori entraîner en termes d’agressivité ou de violence entre détenus et/ou entre détenus et agents pénitentiaires. Deuxièmement, il est aujourd’hui établi que la consommation de AAS constitue un problème général et grandissant de santé publique (McVeigh, Begley, 2017 ; Yesalis, 2000) et que les AAS sont souvent utilisés en complément ou en combinaison avec d’autres drogues (polydrug use : voir Salinas et al., 2019). Dans un environnement où, plus encore qu’ailleurs, la consommation de drogues est un problème de santé publique et pose des questions en termes de sécurité, il va donc de soi qu’il s’avère nécessaire de mieux comprendre et analyser la nature et les enjeux de la problématique des AAS.
6L’usage de PIED et de AAS en prison peut essentiellement être analysé à travers deux grands prismes. Le premier consiste à envisager les produits de la performance sous l’angle de l’usage de drogues en général. On sait en effet que les prisons sont un environnement propice à la consommation de substances psychotropes en tout genre et que la prévalence de la consommation de drogues en prison serait significativement supérieure aux niveaux de consommation observables au sein de la population générale (Carpentier et al., 2018 ; Fazel et al., 2006 ; Lintonen et al., 2011). Wheatley et al. (2018) identifient cinq facteurs pour rendre compte du haut niveau de consommation de drogues parmi les détenus. Les produits auraient pour fonction de : faire face à la difficulté de l’enfermement en tant que tel, passer le temps et combattre l’ennui, développer des liens sociaux en luttant contre l’isolement et en favorisant la solidarité entre détenus, obtenir un statut social, et gagner de l’argent grâce aux nombreuses opportunités de trafic à l’intérieur de la prison et souvent en lien avec des réseaux opérant à l’extérieur de la prison.
7La deuxième façon d’aborder la problématique de la consommation de PIED en prison est d’inscrire celle-ci dans une analyse des pratiques sportives en milieu carcéral. Dans la mesure où la consommation de PIED, et de AAS en particulier, demeure encore malgré tout fortement associée à la pratique sportive, même lorsque celle-ci n’est pas compétitive, il est en effet tentant d’examiner la question sous l’angle de l’activité physique et du sport en prison, et du sens et des enjeux associés à ces pratiques. On sait que le recours aux PIED et aux AAS est de nature à aider les performances athlétiques (Hartgens, Kuipers, 2004 ; Peltier, Pettijohn, 2018). Il n’y a en revanche pas de littérature scientifique qui traiterait des antécédents sportifs, quels qu’ils soient, des détenus. On peut donc tout au plus supposer, d’une part, que les prisons comptent un certain nombre d’individus pour lesquels la consommation de PIED représenterait un enjeu en termes de maintien d’une condition physique acquise avant la détention. D’autre part, alors que les bénéfices de la pratique sportive sur la santé, la qualité de vie et le bien-être de la population en général sont communément admis, seul un nombre encore limité de travaux se sont penchés sur les bienfaits de l’activité sportive en prison sur la santé physique (Nelson et al., 2006), la santé mentale (Buckaloo et al., 2009 ; Cashin et al., 2008 ; Verdot et al., 2010), ainsi que sur l’agressivité et la gestion au quotidien des difficultés de la détention (Martos-Garcia et al., 2009 ; Wagner et al., 1999). Ces travaux peuvent ainsi être lus à la lumière de ceux mettant plus largement en avant les vertus du sport vis-à-vis de la prévention des comportements agressifs ou de l’amélioration de dispositions comme l’estime de soi, l’autocontrôle, l’empathie, la résolution de problèmes, la prise de décision, le travail en équipe ou la gestion de conflit (Eitzen, 2000 ; Ekeland et al., 2005 ; Kelly, 2013 ; Mutz, Baur, 2009 ; Nichols, 2007). Menées en dehors du contexte pénitentiaire, certaines études montrent également les effets souvent positifs de la pratique sportive sur les problématiques d’addiction et d’usage de drogues (Collingwood et al., 2000 ; Werch et al., 2005). Il existe en revanche peu de travaux similaires analysant l’impact du sport auprès de détenus présentant des comportements toxicomaniaques, même si diverses initiatives et recommandations en ce sens ont déjà vu le jour au Royaume-Uni (Meek, 2014).
8L’utilisation de produits de la performance par des détenus peut également s’inscrire dans un objectif de gain de masse musculaire et d’amélioration de l’apparence corporelle (Klötz et al., 2010). Le cas échéant, c’est bien toute la question des enjeux autour de la culture du corps qui se pose. Le corps joue alors le rôle de ressource symbolique au service de détenus qui, par son intermédiaire, se voient conférer une forme de pouvoir, de prestige et de reconnaissance. La prison est en effet un cadre régi par des normes de masculinité (Hua-Fu, 2005 ; Ricciardelli et al., 2015) qui s’apparentent à une stratégie de survie dans les interactions qui se nouent au sein de l’univers carcéral (Jewkes, 2005). La place du sport dans la construction de cette masculinité en prison demande en revanche encore à être davantage explorée scientifiquement (Sabo, 2001 ; Solini et al., 2011).
9Les activités physiques et sportives en prison ont été analysées et comparées entre cinq pays (Belgique, Danemark, Espagne, Pays-Bas, Roumanie) dans un projet Prisoners on the Move de la Commission européenne (2012). Au terme d’une enquête menée auprès de 341 responsables des pratiques sportives au sein de 153 prisons de ces cinq pays, les auteurs de l’étude ont identifié pas moins de 61 activités différentes, les plus courantes étant le football et le fitness/bodybuilding, puis le tennis de table, le badminton, le basketball et le volleyball (Devis-Devis et al., 2012). Le personnel pénitentiaire associait massivement ces activités sportives à des vertus tant thérapeutiques que récréatives et éducatives, la majorité y voyant prioritairement un moyen d’améliorer la santé des détenus et de promouvoir des valeurs « positives ». En Belgique francophone, un état des lieux similaire a été réalisé en 2014 par l’association CAAP (Concertation des associations actives en prison). Cette étude indique qu’alors que certaines prisons ne disposent d’aucune salle de sport à l’exception du préau, la majorité des établissements pénitentiaires de Bruxelles et de Wallonie ne proposent pas d’offre globale structurée d’encadrement sportif (CAAP, 2014). Le rapport souligne toutefois « l’importance des activités sportives sur la santé des détenus », mettant en avant les bienfaits de l’activité physique en prison à de multiples niveaux (socialisation, intériorisation des règles, décompression psychologique, etc.). Tout type d’activité sportive ne conduit cependant pas aux mêmes outputs comportementaux. Tout un pan de la littérature étudie ainsi les effets cathartiques de différents sports, notamment les sports de contact et les arts martiaux, sur l’agressivité (Hartmann, Massaglia, 2007 ; Harwood et al., 2017 ; Vertonghen, Theeboom, 2010).
10On le comprend donc, la problématique de la consommation de produits de la performance en prison, avec ses diverses implications sur le plan à la fois sanitaire et sécuritaire, n’a reçu qu’une attention limitée de la communauté scientifique. Le présent article a donc pour objectif d’offrir une contribution innovante sur ce thème. Examinons-en dès à présent les considérations méthodologiques.
Méthodologie
11Le présent article s’appuie sur les résultats d’une recherche qualitative réalisée au sein de quatre établissements pénitentiaires belges francophones entre juin et novembre 2019. L’étude repose sur deux modes de collecte de données : des observations de type ethnographique, d’une part, et des entretiens semi-directifs avec des détenus et des membres du personnel pénitentiaire, d’autre part. Le recours à une méthodologie qualitative est fréquent dans les recherches en milieu carcéral (Abbott et al., 2018). Dès lors que la recherche qualitative se fonde essentiellement sur la quête de diversité dans le choix des populations rencontrées, nous avons mené notre enquête au sein de quatre prisons qui font office de maison d’arrêt ou de maison de peine. Les maisons d’arrêt sont les prisons destinées aux personnes qui sont en détention préventive et donc en attente de jugement. Les maisons de peine sont les prisons pour les condamnés. En pratique, en raison de la surpopulation pénitentiaire, les prisons font cependant le plus souvent fonction à la fois de maison d’arrêt et de maison de peine, tout en conservant un régime de détention principal. Nous nous étions également assurés de la présence d’installations sportives, et en particulier de salles de musculation, dans les prisons sélectionnées mais, dans un souci de diversité, nous avons retenu des établissements présentant un niveau d’infrastructures sportives varié sur le plan de l’ancienneté et du nombre d’équipements présents. Enfin, il s’agissait de quatre prisons relativement importantes en nombre de détenus puisque, parmi les trente-cinq prisons belges, les quatre établissements que nous avons visités abritent à eux seuls un peu moins de 20 % des un peu plus de 10000 détenus que compte la Belgique. Cibler ces quatre prisons devait ainsi aussi maximiser nos chances de rencontrer des utilisateurs de AAS.
12Notre objectif étant de comprendre et d’analyser les attitudes et expériences des détenus par rapport aux PIED en prison, nous avons fait le choix de prendre pour point de départ l’observation des pratiques sportives en milieu carcéral. En particulier, nous nous sommes focalisés sur les activités de fitness et de musculation, qui étaient a priori les plus à même de nous faire rencontrer des utilisateurs de PIED. Nous n’avons ainsi pas réellement investigué, ou alors seulement de façon complémentaire, les autres formes d’activités sportives qui se déroulent en prison, comme les sports collectifs (football, basketball) ou des sports individuels tels le tennis de table ou le yoga. Ce choix comportait par ailleurs le risque d’un biais de sélection dès lors que nous serions passés à côté de consommateurs de PIED non sportifs. Nous l’avons vu, l’utilisation de PIED est toutefois souvent liée aux activités sportives, et plus particulièrement à des pratiques comme le bodybuilding, qui sont au cœur de la vie carcérale. Nous avons ainsi demandé à la direction des prisons sélectionnées de pouvoir accéder directement aux salles de fitness afin de pouvoir partager des moments avec les détenus, et ainsi prendre le temps d’établir un premier lien de confiance avant de leur proposer, le cas échéant, des entretiens sur un sujet comme les produits de la performance, dont nous savions qu’il était porteur d’une certaine désirabilité sociale, c’est-à-dire comportant une probabilité plus ou moins importante de récolter des réponses conformes à ce que les répondants croient être les attentes du chercheur ou les prescriptions sociales vis-à-vis des attitudes ou des comportements étudiés (Bergen, Labonté, 2020). Le contexte pénitentiaire ajoute une difficulté supplémentaire puisqu’à la sensibilité inhérente au sujet de l’enquête se conjugue le fait que la prison est un low-trust environment (Liebling, Arnold, 2004).
13Si l’observation participante repose, selon les mots d’Alain Touraine, sur une volonté de compréhension de l’autre dans le partage d’une condition commune, notre durée d’immersion au sein de la communauté de détenus était cependant limitée à quelques heures, sous forme d’une journée complète de travail par prison. À travers la participation à diverses activités sportives aux côtés des détenus (exercices de musculation mais aussi tournoi de football), notre objectif était d’obtenir, autour de ce temps d’observation périphérique (Adler, Adler, 1987), un degré d’implication suffisant pour établir des bases de relation de confiance avec les interviewés. L’objectif premier étant d’établir un contact positif avec les détenus, nous n’utilisions pas de grille d’observation en tant que telle. Bien que la détention favorise la perte d’identité ou la relégation de toute autre identité que celle de « criminel » (Jewkes, 2005), notre approche des détenus était avant tout basée sur l’intérêt que nous leur portions d’abord en tant que « sportifs au sein de la prison ». Ces considérations ont ainsi pu contribuer à améliorer notre acceptation par les détenus, qui passait aussi par la reconnaissance d’un duo mixte de chercheurs (Gurney, 1985). Subjectivement, nous dirions que le fait de nous présenter comme chercheurs d’une université étrangère et en sciences du sport a sans doute également contribué à susciter une forme de curiosité et de bienveillance de la part des détenus.
14À notre arrivée au sein des différentes prisons, nous étions conduits vers la (ou les) salle(s) de fitness, le plus souvent accompagnés par un agent pénitentiaire en charge des activités sportives. De premiers échanges se nouaient avec l’agent pénitentiaire mais, rapidement, nous pouvions interagir librement avec les détenus sur place. Dans la majorité des cas, les détenus semblaient avoir été informés de notre venue, même si certains ont découvert sur place la raison de notre présence, ce qui nous a amenés à nous présenter aux personnes intéressées. En complément des entretiens structurés, nos résultats se basent donc également sur un ensemble de discussions informelles et spontanées avec les détenus. Les entretiens proprement dits ont quant à eux été menés avec des détenus sur une base volontaire. Nous avons essuyé un certain nombre de refus de détenus ne souhaitant pas s’entretenir en tête-à-tête avec nous. Les refus ont été motivés par une maîtrise insuffisante de la langue française ou par le simple souhait de ne pas participer. Malgré les garanties présentées sur le cadre de l’entretien (confidentialité et anonymisation des données), nous avons toutefois conscience que l’accord des détenus a pu être influencé par leur condition de détenu et l’espoir d’un impact sur les modalités de leur détention (Hanson et al., 2015).
15La sélection des interviewés suivait les règles de purposive sampling (Miles et al., 2014), une technique courante en recherche qualitative selon laquelle les sujets sont choisis en fonction de la valeur ajoutée attendue de leur intégration à l’étude. En conséquence, les sujets ne sont pas interchangeables et la taille de l’échantillon est déterminée par le seuil de saturation des données (Fusch, Ness, 2015). Les entretiens avec les membres du personnel pénitentiaire ont quant à eux été menés en dehors des horaires de sport des détenus, ou par téléphone. Au total, nous avons ainsi pu mener dix-neuf entretiens avec des détenus, auxquels il convient d’ajouter neuf entretiens avec des agents pénitentiaires en charge des activités sportives et/ou des membres de la direction. Notre analyse repose donc sur un corpus de vingt-huit entretiens. Précisons encore qu’il s’agissait uniquement de détenus masculins. D’une part, selon les statistiques obtenues du ministère belge de la Justice, les hommes constituent environ 96 % de la population carcérale. D’autre part, la littérature scientifique indique qu’on compte davantage d’hommes que de femmes parmi les consommateurs de PIED (Henne, Livingstone, 2020).
16Chaque entretien reposait sur la technique de l’entretien compréhensif (Kaufmann, 2013). Le guide d’entretien était adapté d’une étude sur les consommateurs de AAS au Royaume-Uni (Kimergard, 2015). Il couvrait cinq grands thèmes : les antécédents sportifs des détenus, les activités sportives pendant la détention, l’usage de drogues et de PIED, l’image du corps, et l’expérience de la détention, y compris les relations avec les autres détenus et les agents pénitentiaires. Les entretiens ont été enregistrés puis retranscrits verbatim. En complément, nous nous sommes également appuyés sur des notes d’observation, même si celles-ci ont dû être reconstituées à l’issue des périodes d’observation et d’échanges informels avec les détenus dans la mesure où ces moments ne permettaient pas la prise de notes en direct. Enfin, l’ensemble des données a fait l’objet d’une analyse thématique conduisant à identifier des thèmes et patterns, puis à les comparer entre eux (Braun, Clarke, 2006).
Résultats
17L’analyse de nos entretiens et des données d’observation indique trois résultats essentiels. Tout d’abord, s’il est certain que des PIED, et en particulier des AAS, sont utilisés en prison, l’estimation de leur réelle diffusion demeure incertaine mais semble en revanche largement liée aux activités de musculation au sein de la prison. Deuxièmement, nous montrons et illustrons une série de différences entre les PIED et les autres substances psychotropes, aussi bien dans l’organisation de leur usage que dans le regard posé dessus par les différents acteurs de la prison. Enfin, nos résultats indiquent qu’il faut contextualiser cette question dans une analyse élargie du sport en prison et des enjeux autour de la culture du corps. Les résultats présentés ci-dessous s’articulent donc autour de ces trois grands axes.
PIED : une ampleur difficile à évaluer mais en lien avec les activités sportives
18Dans chacune des quatre prisons visitées, la consommation de PIED était une réalité de la vie carcérale. Plusieurs détenus ont ainsi reconnu avoir utilisé ou utilisent encore aujourd’hui de tels produits. Tout d’abord, certains PIED sont en vente libre dans les cantines des prisons. Il en va ainsi des vitamines et compléments alimentaires que l’on retrouve également en vente dans la plupart des grandes enseignes de sport. Tous les PIED ne sont en revanche pas des produits légaux et des cas d’usage de AAS nous ont donc été rapportés, soit directement par leurs utilisateurs, soit via des suspicions de consommation chez d’autres détenus mais sans qu’il soit alors toujours possible d’interviewer ces consommateurs supposés. De façon analogue, de nombreuses études sur le dopage montrent ainsi qu’il y a classiquement plus d’athlètes qui croient identifier des dopés que d’athlètes qui se déclarent ou s’avèrent dopés (Mignon, 2002). Il est donc particulièrement délicat d’estimer la prévalence de ce genre de conduites sur base des témoignages et des déclarations concernant les pratiques d’autrui. Plus fondamentalement, l’ampleur de la diffusion des PIED, et plus encore de AAS, est très difficile à évaluer, d’une part, parce que notre approche qualitative ne permet pas de tirer de conclusions sur la prévalence globale de pratiques de consommation. D’autre part, parce que ces pratiques restent souvent cachées et qu’une sous-estimation de ce genre de conduites demeure par conséquent probable.
19Bien que très pauvre sur le sujet, la littérature n’est pas unanime quant à l’association faite entre la participation à des activités sportives (souvent de bodybuilding) en prison et l’usage de AAS (Meek, 2014). Cependant, dans notre étude, les détenus ont toujours justifié le recours aux stéroïdes par des motivations en lien avec la pratique d’activités physiques et sportives.
Je suis d’abord longtemps resté aux protéines et tout ça. Après un moment, j’ai voulu pousser un peu plus loin. J’ai pas pris n’importe quoi non plus. Je suis pas directement arrivé avec de la testostérone. Je me suis renseigné chez des gens qui ont beaucoup fréquenté les salles de sport et qui s’y connaissent, qui font du sport depuis plus de vingt ans et qui prennent des anabolisants.
21Dans notre approche méthodologique, nous partions toutefois des utilisateurs des salles de sport pour traiter la question des stéroïdes. Il est donc évidemment possible que nous soyons passés à côté de consommateurs non sportifs, même si ce scénario apparaît peu probable selon la direction, les agents pénitentiaires et les détenus rencontrés.
22Si l’on situe l’usage de AAS parmi l’ensemble des pratiques de consommation de produits stupéfiants au sein de la prison, il semble également que les AAS ne doivent représenter qu’une proportion marginale des usages de produits par rapport à la consommation de drogues plus « traditionnelles » comme le haschisch ou certaines substances dites « dures ». C’est toutefois moins la prévalence plus faible des AAS que le niveau exceptionnellement élevé de l’usage des autres drogues (EMCDDA, 2019 ; Kolind, Duke, 2016) qui expliquerait la relative marginalité des AAS. Par ailleurs, la plus faible disponibilité mais aussi le prix élevé des AAS en prison peuvent expliquer leur usage plus parcimonieux.
Un frein aux stéroïdes en prison, c’est le prix, je pense. Regarde, mon produit, je le paie 160 € pour une cure. Quelqu’un qui veut s’en procurer ici, il va devoir mettre 500 € parce que tout ce qui se vend dans la prison, ça se vend 3-4 fois plus cher que dehors. Donc moi, par exemple, je le lui vendrais 500 €. Mais qui est-ce qui va mettre 500 € pour prendre une cure de stéroïdes ? Peu de personnes sont prêtes à ça ici.
24Dès lors que les AAS sont associés aux activités physiques, principalement de musculation, plusieurs détenus jugent également que c’est la situation alarmante de l’ensemble des drogues en prison qui est responsable du faible investissement sportif, en moyenne, des détenus, et donc, par ricochet, de l’ampleur limitée de la consommation de AAS en prison. L’usage extensif des autres drogues reléguerait ainsi la consommation de AAS à un rang plutôt anecdotique au sein des pratiques toxicomaniaques.
Ici, honnêtement, je n’ai jamais vu ça. J’ai déjà fait de la prison dans trois pays mais en Belgique, les drogues, c’est incroyable. Je crois que les gens ici, pour beaucoup, ils ne sont même pas en état de venir faire du sport. Alors, prendre des stéroïdes pour faire gonfler leurs muscles… Tu ne te rends même pas compte.
26On peut néanmoins se demander dans quelle mesure l’utilisation de AAS peut ou non s’inscrire dans le cadre d’une polyconsommation de drogues. L’imbrication entre les consommations de produits comme les AAS, d’une part, et de médicaments ou drogues « classiques », d’autre part, a en effet déjà été démontrée dans le contexte de la pratique du bodybuilding (Salinas et al., 2019). Dans le cas de la prison, les choses semblent moins claires. Pour analyser cette question, et aller au-delà du constat quant à la nature et l’ampleur de la consommation de AAS, il convient alors de resituer ces enjeux dans un contexte élargi à un double niveau : celui des drogues plus généralement et celui de la pratique sportive en prison.
Stéroïdes anabolisants : des drogues pas comme les autres ?
27Nos résultats indiquent une série de convergences mais surtout de divergences avec la problématique des drogues davantage traditionnelles qui circulent en prison. Tout d’abord, dans un contexte caractérisé à la fois par une surpopulation pénitentiaire et par des effectifs en nombre jugé insuffisant, et à la différence des autres drogues, les AAS ne sont la plupart du temps vus ni comme un enjeu sanitaire de premier plan, ni comme une menace majeure pour le fragile équilibre de la sécurité pénitentiaire. En particulier, la plus faible prévalence, réelle ou supposée, de la consommation des AAS par rapport à celle de produits comme le cannabis ou l’héroïne est un facteur qui pèse dans l’analyse des besoins de contrôle ou de régulation des trafics de produits illicites en prison. La diffusion moindre des AAS ouvrirait en effet moins de perspectives pour les détenus, ou de risques pour les autorités, de voir se développer des trafics internes incontrôlables ou incontrôlés. Ainsi, Tompkins (2016) indique que le marché de la drogue en prison est divisé en deux grandes catégories d’acteurs : ceux qui opèrent en tant que established enterprises et ceux qui agissent davantage en tant que separate suppliers, c’est-à-dire en tant que détenus revendant, au gré des opportunités, à d’autres détenus, souvent pour financer leur propre consommation. Ceci fait écho, dans une certaine mesure, à la distinction opérée par Coomber et Moyle (2014) entre social supply et minimally commercial supply pour décrire les réseaux et modes de transaction en dehors du cadre pénitentiaire. Or, en l’espèce et à la différence de la situation des drogues traditionnelles, la circulation de AAS en prison ne semble pas répondre à des logiques commerciales dures organisées autour d’established enterprises. Les moyens de se procurer des AAS nous ont été décrits comme assez simples et pour l’essentiel le fruit de combines individuelles principalement basées sur la créativité des passeurs. À l’instar des moyens trouvés pour faire entrer de la drogue en prison, de nombreuses techniques nous ont ainsi été rapportées au cours d’anecdotes qui fourmillent : cas de complicité d’agents pénitentiaires, livraison via des colis soigneusement emballés et dissimulés par la famille et/ou les proches en visite, approvisionnement à l’occasion de congés pénitentiaires dans des centres de fitness. De l’aveu même des détenus, « tout rentre en prison » et les AAS ne font pas exception, même si leur part de marché dans le flux d’entrées de produits illicites demeure marginale.
Si je veux, à partir du moment où je peux le payer, je peux avoir ce que je veux demain. C’est vraiment la partie la plus facile. On n’est pas à Guantanamo ici ! Ce n’est pas vraiment ultra sécurisé. C’est disciplinaire mais pas sécurisé. En fait, chacun a un peu son système, chacun a son truc, même si on ne raconte pas toujours notre méthode. En fait, pense juste que tout ce que tu peux imaginer, ça a déjà dû être fait !
29L’analyse de l’attitude du personnel pénitentiaire indique ensuite un traitement différent entre les AAS et les autres types de produits. Dans le chef des agents pénitentiaires, la tolérance serait ainsi plus grande par rapport à des AAS, qui incarnent, moins que d’autres, une menace sanitaire. Par ailleurs, comme nous le confie une personne de la direction d’une des prisons visitées :
Je pense que parmi nos agents, il y en a pas mal qui consomment ce genre de produits. Des gens qui vont au body dans la vie de tous les jours et qui ne doivent pas vraiment s’affoler de voir des produits comme ça chez les détenus.
31Le parallélisme entre la consommation de AAS et la consommation de tout autre type de drogues a aussi pour effet d’euphémiser la gravité de la problématique des AAS en milieu carcéral. Ainsi, pour une direction quotidiennement confrontée à des risques d’overdose de détenus ou de règlements de compte liés aux trafics internes à la prison, la problématique d’usage des AAS apparaît moins centrale. En cela, la position des autorités pénitentiaires ne fait toutefois que rejoindre la faible attention réservée aux AAS dans le traitement de la question des drogues en prison (EMCDDA, 2019).
32L’analyse de nos entretiens avec les détenus indique également une légitimité différentielle des AAS par rapport aux produits stupéfiants ordinaires. En fait, la dynamique de tolérance se trouve inversée chez les détenus par rapport à celle observée chez les agents pénitentiaires : là où les AAS sont davantage acceptés par les seconds, leur usage est regardé plus sévèrement par les premiers. Dans le grand déballage sur le thème des drogues en prison, les détenus parlent ainsi plus facilement de leur consommation de cannabis que de celle de AAS, dont l’usage demeure davantage caché vis-à-vis des codétenus. Nous revenons sur ce point dans la discussion de cet article.
33À travers l’analyse des données sur l’attitude et l’expérience des détenus vis-à-vis des AAS se pose enfin la question du sens des activités sportives et en particulier de l’importance du rapport au corps en milieu carcéral.
Des pilules pour un statut : la fonction instrumentale des produits de la performance en prison
34Comme il nous fut répété à l’envi par la grande majorité des détenus rencontrés, « en prison, le choix à faire, c’est un peu le sport ou la drogue ». Les détenus ont en effet souvent présenté l’activité sportive en prison, en plus d’être une façon de combler l’ennui et la sédentarité, comme un rempart contre la drogue, et les détenus consommateurs de AAS, sans toujours nier avoir essayé diverses drogues, vont essentiellement dans le même sens. Dans ce cadre, le statut hybride des AAS interpelle puisque ces produits s’inscrivent, le cas échéant, dans le contexte de la pratique sportive mais qu’ils sont également une forme de consommation psychotrope. Or, là où les drogues traditionnelles peuvent s’inscrire dans un contexte de dépendance au produit, de réponse à l’ennui, au mal-être ou à l’assimilation de certaines normes et valeurs sous-culturelles propres à l’univers carcéral (Connor, Tewksbury, 2016 ; Mjåland, 2016), la consommation de AAS nous est essentiellement apparue dans sa dimension instrumentale, comme un goal-oriented behaviour, à savoir un usage dans le but d’être plus performant, d’avoir une musculature plus importante, d’être davantage fier de son corps, à l’instar donc des facteurs classiquement avancés par les usagers de AAS en dehors du contexte pénitentiaire (Kimergard, 2015).
On peut expliquer ça par le fait que les prisons proposent à l’ensemble des détenus des activités physiques, de faire de la musculation, du body et donc il y a sans doute une demande au fait que particulièrement il y a des gens qui souhaitent prendre de la masse musculaire ou améliorer leur performance. Il y a des gens qui à l’extérieur ont connu des salles de sport, qui connaissaient elles-mêmes ce genre de trafic et donc par voie d’importation, on retrouve ces trafics en milieu carcéral.
36Par leur contribution à une augmentation de la masse musculaire dans un univers carcéral où, sans doute plus encore qu’ailleurs, le corps est une ressource symbolique d’affirmation de son identité et de sa masculinité, elle-même source de prestige et de respect (Hua-Fu, 2005 ; Ricciardelli et al., 2015), les AAS apparaissent donc comme un moyen au service de la quête d’un statut.
Il y en a au préau qui sont dans une politique d’entraînement intensif : montrer aux autres que c’est eux le chef et donc ils y vont avec des pompages, des tractions, etc. On les voit, on les connaît, on les voit au body et ce sont des gaillards qui viennent ici pour travailler une heure.
J’ai commencé jeune, ma première cure à la testostérone, des produits basiques à l’âge de 20 ans. À l’époque, je travaillais dans la salle de mon frère et en discothèque et c’était tellement courant les gens qui prenaient ça… Dans mon esprit, en étant plus jeune, je me disais « plus je suis costaud, plus je suis impressionnant ». Ces produits-là nous donnent de la force, on prend du gabarit et le jour où tu arrives en prison, tu te rends compte que le gabarit, ça compte, ça amène le respect on va dire. Donc ben j’ai continué.
39D’autres facteurs individuels, sociaux ou culturels jouent cependant également un rôle dans le risque de voir se développer une consommation de AAS en prison. En particulier, le passé (background) sportif des détenus préalablement à leur entrée en prison semble avoir un impact sur la consommation de stéroïdes durant l’incarcération. Parmi les détenus rencontrés, un nombre substantiel s’est ainsi prévalu d’une expérience du bodybuilding et/ou des sports de combat, soit des environnements sportifs dans lesquels la culture des AAS se pose avec davantage d’acuité que dans d’autres sports (Christiansen et al., 2017 ; Coquet et al., 2018). Maintenir son niveau sportif, y compris l’image corporelle forgée par cette pratique, peut dès lors inciter certains à vouloir recourir à des produits destinés à augmenter la masse musculaire, perdre du poids et/ou de la graisse (« je pousse donc je suis »).
Avant d’arriver en prison, je faisais beaucoup de sport mais je n’avais pas le temps de faire mes régimes parce que je travaillais et que je ne mangeais pas à heure fixe. Les stéroïdes, ça aide vraiment à avoir les mêmes protéines dans l’organisme. Au début, c’était plutôt pour remplacer les régimes. Après, chaque stéroïde a sa façon d’agir sur l’organisme. Y en a pour la prise de masse, y en a pour la période de sèche. En arrivant en prison, je n’avais pas envie de perdre le physique que j’avais en entrant. Donc voilà, les stéroïdes, ça fait partie de mon entretien, on va dire.
41Au-delà de leur fonction occupationnelle pour les détenus, les activités sportives sont donc également perçues comme un levier permettant d’acquérir, d’asseoir ou de faire fructifier un statut qui se traduira au niveau des relations de pouvoir entre détenus. Ces rapports de force ne se limitent cependant pas aux relations entre détenus. Ils se matérialisent également dans le discours de certains agents pénitentiaires lorsque ceux-ci se montrent peu favorables au développement d’une offre sportive en prison. Outre les contraintes en termes de gestion des flux au sein de la prison, certains agents s’inscrivent en effet dans une perspective foucaldienne de disciplinarisation des corps (Foucault, 1975) pour justifier la crainte accrue de voir des détenus musculeux s’ériger en menace pour leur propre sécurité. Au grand dam des détenus, les activités sportives sont ainsi parmi les premières à passer à la trappe lorsque la prison fait face à des difficultés organisationnelles.
Ici, on doit composer avec le personnel. Quand je suis arrivé ici, il y a six ans, voyant qu’il n’y avait pas d’équipement en suffisance, j’ai voulu organiser sur chaque section une petite salle de sport. Mais le personnel s’est opposé formellement pour deux raisons : une, systématiquement, c’est la sécurité, le personnel a peur de se faire taper. Et puis le fait que ça donne du travail aux agents, car le fait d’amener le détenu à la salle de sport demande aux agents de travailler et ici chaque fois qu’on présente quelque chose qui va donner un petit surplus de travail, c’est halte.
L’autre jour, on avait prévu d’aller au body et on n’a pas eu. Apparemment, ils manquaient d’agents, alors ils ont préféré en mettre un pour soutenir le préau supplémentaire que de donner le body. Or, bon, je vais pas dévoiler un gros secret, mais un des haut lieux du trafic de drogues, c’est le préau, alors qu’un haut lieu de trucs sains, c’est le body. Donc, on va plutôt favoriser le trafic de drogues plutôt que le sport. C’est un peu contradictoire.
44La problématique des produits de la performance en prison s’inscrit donc à l’intersection d’enjeux sanitaires, éthiques et sécuritaires. Par leur statut hybride au sein de la vie carcérale, ces produits posent des questions relatives à la régulation des trafics, à la perception de la légitimité des différentes drogues au sein de la prison, aux jeux de pouvoir et enjeux de domination entre détenus et vis-à-vis du personnel pénitentiaire, et au rôle joué par les activités sportives dans l’économie générale de la prison. Nos résultats soulèvent ainsi une série de discussions, qui font l’objet de la dernière partie de cet article.
Discussion
45Trois niveaux d’analyse sont ici retenus pour discuter et mettre en perspective nos résultats. Le niveau que nous appelons microsocial correspond aux facteurs davantage liés à des enjeux propres aux détenus. Le niveau mésosocial synthétise des éléments d’analyse de l’écosystème de la prison. Enfin, le niveau macrosocial aborde plutôt des considérations relatives à la politique pénitentiaire globale.
Niveau microsocial : l’ambivalence des bienfaits et des risques associés à la pratique sportive en prison
46Nous avons montré que, bien que la consommation de AAS soit une réalité de la vie carcérale, elle semble bien moins diffusée que celle d’autres produits psychotropes. En cela, la prison fait figure d’environnement inversé par rapport à la société libre, au sein de laquelle les niveaux de consommation moyens de AAS sont estimés supérieurs à ceux de drogues comme la cocaïne ou l’héroïne (Pope et al., 2014). Qu’en est-il toutefois de l’impact de l’incarcération sur la consommation de ces produits ? Certains auteurs mettent en avant que la consommation diminuerait avec la détention en raison de la surveillance accrue et de la disponibilité moindre des produits (Shewan et al., 1994), voire que certains détenus arrêteraient leur consommation (Dolan et al., 2007). D’autres études indiquent également que la détention aurait parfois un impact sur le type de drogues consommées, qui peuvent changer au gré de facteurs comme la durée de l’incarcération, le profil psychologique des détenus ou la disponibilité des produits (Boys et al., 2002). Dans notre enquête, le niveau de consommation des AAS semble marginal en raison d’une combinaison d’éléments, comme la disponibilité, le prix et la satisfaction qui peut être retirée d’un tel usage. En particulier, l’hypothèse d’un manque de motivation de nombreux détenus pour les activités physiques ainsi que les opportunités parfois limitées de faire de la musculation en prison restreignent l’utilité perçue d’un usage de AAS dans la mesure où ce dernier est le plus souvent associé à la pratique du bodybuilding. Ceci renvoie dès lors à la littérature sur les facteurs de consommation de PIED et de AAS par des sportifs guidés par des motivations essentiellement utilitaires (Christiansen et al., 2017).
47La problématique des AAS en prison pose donc la question plus générale de l’accès aux infrastructures et aux pratiques sportives. On pourrait ainsi faire l’hypothèse, par rapport à un public de détenus investis dans des activités de type bodybuilding, powerlifting, etc., que plus le détenu aura d’opportunités de faire du sport en prison et donc de poursuivre ses objectifs sportifs, plus grande sera, en théorie, sa prédisposition à utiliser, en prison, des produits de la performance en vue d’atteindre ses objectifs. À l’inverse, dans cette logique, moins l’accès aux installations sportives sera garanti, moins l’utilité de ces substances devrait apparaître et plus leur utilisation devrait s’en trouver réduite. On ne peut cependant pas raisonnablement soutenir la seule idée qu’une prison qui offrirait un large accès aux salles de musculation encouragerait le recours aux AAS parmi ses détenus. On se retrouverait en effet, dans ce cas, face à une sorte de dilemme qui pourrait être énoncé comme suit : encourager le sport en prenant le risque de voir se développer des pratiques plus larges de consommation, ou prévenir l’usage de certains produits au détriment de l’organisation de certaines activités sportives en milieu carcéral. Or, on sait que l’engagement dans des activités physiques régulières en prison est une façon de promouvoir une meilleure santé chez les détenus (Ross, 2013), d’autant plus que la détention en elle-même est un facteur aggravant la détérioration de la santé et de la condition physique (Fischer et al., 2012). Nos entretiens vont ainsi clairement dans le sens de la littérature indiquant les vertus du sport en prison (Meek, 2014, 30-31), en ce qu’il contribue à atténuer les méfaits de la prisonisation (Clemmer, 1950 ; Thomas, 1977) : stress, ennui, tension, etc. Dans un environnement pénitentiaire marqué par des formes de déshumanisation et de perte d’identité, la salle de musculation apparaît également comme un espace permettant une certaine reprise de contrôle sur les « territoires du moi » (Goffman, 1968), qui passe par la réappropriation de son corps, soumis en détention à de multiples limitations de sa mobilisation et de sa mise en scène. L’engagement dans des activités de musculation peut ainsi se lire comme s’inscrivant dans une volonté de quasi-survie et dans une nécessité de bouger un corps plus souvent qu’ailleurs alité ou confiné. Il a par conséquent une fonction cathartique permettant au détenu d’adapter son environnement à ses besoins de dépense physique dans un processus d’apprentissage d’un nouveau rapport au corps (Gras, 2011). Comme le souligne Courtine (2000), le développement du sport en prison participe aussi plus globalement à une entreprise de modernisation de l’exécution de la peine, notamment à travers son potentiel de revalorisation de l’identité des détenus et en leur permettant de retrouver une certaine dignité.
48Il serait néanmoins naïf et dangereux de n’attribuer au sport que des mérites en oubliant qu’il peut également être source d’une série de risques ou problèmes. Les installations et équipements sportifs en tant que tels peuvent ainsi parfois être utilisés comme armes ou instruments destinés à faciliter la commission de violences voire des évasions (pour une synthèse de cas semblables déjà produits, voir Meek, 2014, 158-159). Cela peut notamment être le cas lorsque les liens privilégiés qui s’établissent souvent par le biais des activités sportives entre détenus et agents pénitentiaires se retournent contre la sécurité de la prison dans l’hypothèse d’une trop grande complaisance ou d’un défaut de surveillance. Par ailleurs, la pratique sportive est source de diverses blessures et les excès liés à une activité physique inadaptée ou mal encadrée peuvent occasionner des effets négatifs sur le plan sanitaire. Notamment, des attentes irréalistes en termes de performance athlétique ou d’image corporelle, liées ou non au culte de masculinité, peuvent se traduire par des comportements à risque (Nelson et al., 2006).
49Les AAS remplissent donc une fonction paradoxale, dans la mesure où ils s’inscrivent dans le cadre de pratiques sportives essentiellement vues comme positives tout en étant à l’origine de risques pour la sécurité, mais aussi de possibles effets secondaires (troubles du sommeil, agressivité, blessures, etc.) bien documentés dans la littérature scientifique (Hoffman, Ratamess, 2006 ; Van Amsterdam et al., 2010). Ainsi, la balance pourrait pencher en faveur d’un encouragement de la pratique sportive, fut-elle parfois accompagnée d’usage stéroïdien. Si le sport est effectivement érigé comme un outil de réduction ou de prévention de la consommation de drogues, le seul risque de voir se développer la consommation de AAS en prison peut sembler faible en comparaison du potentiel facteur de protection des activités physiques en milieu carcéral contre la consommation de tout type de produits stupéfiants, AAS exceptés. La réflexion à mener sur d’éventuelles pistes d’action motivées par des intérêts de santé publique ne peut donc survenir in abstracto mais bien prendre place dans une analyse, aussi souhaitable qu’urgente, de tout l’écosystème pénitentiaire.
Niveau mésosocial : l’impact sur l’écosystème pénitentiaire
50Le niveau mésosocial renvoie à la dynamique propre de fonctionnement de l’établissement pénitentiaire. Dans cette section, nous discutons ainsi trois points : la légitimité des AAS en prison, l’impact possible du sport sur le renforcement des inégalités entre détenus et l’exploitation des activités physiques dans l’interaction entre agents et détenus.
51Premièrement, nous avons vu que la consommation de AAS en prison apparaît, aux yeux des détenus, moins légitime que celle d’autres produits, comme le cannabis par exemple. Cette acceptation moindre sous-culturelle peut être interprétée à un double niveau. Elle peut tout d’abord suggérer que la diffusion des AAS n’est pas encore suffisamment large pour bénéficier d’un véritable « blanc-seing culturel » de la part des détenus. Dans la lignée de la théorie beckérienne de la déviance (Becker, 1963), on peut ainsi faire l’hypothèse que plus une pratique, fut-elle illégale, sera diffusée au sein du groupe de pairs, plus elle apparaîtra légitime à ses membres. En l’espèce, parler ouvertement de l’usage de AAS contribue à sa banalisation. Or, nos observations indiquent qu’à l’inverse des autres drogues, le recours aux AAS demeure largement tabou au sein des détenus, à l’instar d’autres conduites, comme les pratiques sexuelles en prison (Ricordeau, Schlagdenhauffen, 2016). Le sport ou la prison sécrètent leurs propres normes, qui peuvent entrer en conflit avec celles de la société ou s’avérer en pleine conformité avec les valeurs d’une sous-culture donnée. Coakley (2015) utilise ainsi le concept de positive deviance pour rendre compte de certaines conduites redéfinies comme acceptables voire encouragées par la culture sportive au terme d’un processus de socialisation secondaire (Berger, Luckmann, 1966). Or, la consommation de AAS ne semble pas avoir atteint ce stade de déviance positive. Nous allons toutefois plus loin et faisons l’hypothèse que cette « loi du silence » vis-à-vis des AAS traduit la pénétration, jusque dans la prison, de la rhétorique de l’antidopage, qui assimile le plus souvent les dopés à des tricheurs (Kayser, 2018). Dans ce contexte, le corps, en tant que ressource symbolique de pouvoir et de prestige, ne peut souffrir de voir sa valeur mise en doute par l’illégitimité perçue des moyens mis en œuvre pour le façonner. Tout se fait comme si l’aveu d’un recours à des substances ergogéniques devait conduire, en prison comme ailleurs, à disqualifier les performances sportives et ainsi ternir les efforts entrepris pour améliorer ou entretenir une image corporelle au carrefour d’enjeux de reconnaissance et de respect. La question des AAS en prison ne peut ainsi être dissociée d’un examen approfondi de la culture corporelle en détention (Sempé et al., 2007).
52Deuxièmement, en dépit des vertus reconnues du sport en termes d’intégration et de socialisation, l’organisation des activités sportives en prison présente un risque de voir se creuser les inégalités entre détenus, notamment en accroissant le fossé entre les plus forts et les plus vulnérables, avec des répercussions possibles en termes de maltraitance et de violence, réelle ou symbolique, entre détenus (Ireland, 1999). Nos observations indiquent en effet que les détenus qui fréquentent les salles de sport sont toujours les mêmes. Les détenus qui sont à la base les plus sportifs et qui disposent donc a priori du plus de ressources physiques voire mentales pour faire face aux conditions d’incarcération monopolisent l’accès aux salles de musculation, qui sont pour l’essentiel autogérées par les détenus. Ce faisant, ce modèle d’autogestion contribue à la réappropriation par les détenus d’un espace de liberté, à l’instar de celui représenté par le préau, qui fait aussi office de terrain d’exacerbation des pratiques corporelles masculines (Solini et al., 2011). Cette situation amène à réfléchir à l’opportunité d’encourager ou de promouvoir les pratiques sportives pour l’ensemble des détenus, y compris les plus vulnérables. La pratique des activités physiques en prison apparaît en effet comme une euphémisation de la violence consubstantielle à l’univers carcéral (Elias, Dunning, 1995). Leur rôle dans l’équilibre à trouver au sein de la prison rend sans doute nécessaire un encadrement de la part du personnel pénitentiaire et, plus spécifiquement, de coaches formés à cet effet. Or, les activités sportives en prison souffrent d’un déficit global d’encadrement par des moniteurs spécialisés (CAAP, 2014). Cette absence est d’autant plus regrettable qu’un encadrement accru, outre de probables effets en matière de régulation des rapports de force et de domination entre détenus, serait sans doute susceptible d’ouvrir ces derniers vers d’autres formes, davantage diversifiées, d’activités sportives. Ceci permettrait par ailleurs d’engager une réflexion plus globale sur l’impact du sport sur l’acquisition ou le renforcement de vertus d’intégration, de réhabilitation et de socialisation chez les détenus (Meek, Lewis, 2014).
53Troisièmement, alors que l’organisation des pratiques sportives au bénéfice des détenus requiert un investissement plus important de la part de certains membres du personnel pénitentiaire, elle présente un paradoxe qui se matérialise à travers l’analyse du développement et de l’entretien des relations entre détenus et agents pénitentiaires. Le sport contribue en effet à réduire voire effacer la distance ou l’opposition entre surveillants et surveillés (Crewe, 2011) mais il donne également aux agents pénitentiaires un instrument supplémentaire de pouvoir et de contrôle sur les détenus à travers la suspension des activités sportives en cas de mauvaise conduite. Ce faisant, l’encadrement des pratiques sportives par les agents pénitentiaires illustre la complexité des rapports de pouvoir en prison et en particulier la « double contrainte » qui pèse bien souvent sur la profession de surveillant (Chauvenet et al., 1994). Il est en effet attendu de ce dernier, lorsqu’il participe à l’encadrement des activités sportives, qu’il établisse une relation de confiance voire de proximité, créant parfois une situation de camaraderie virile (Wacquant, 2002) tout en conservant son rôle d’autorité. Ce flottement dans la nature et surtout l’ampleur de l’encadrement du sport en prison pose enfin la question de la politique institutionnelle pénitentiaire à l’égard de la pratique sportive.
Niveau macrosocial : la balkanisation institutionnelle rend illisible une politique du sport en prison
54Au niveau macrosocial, enfin, nous identifions deux points. Le premier concerne la mise en œuvre d’une politique de prévention de la consommation et, le cas échéant, des effets secondaires des AAS en prison. Le second a trait à la place globale du sport dans la vie pénitentiaire.
55Tout d’abord, nos résultats posent la question de la nécessité d’une politique de prévention de l’usage et du mésusage des AAS en milieu carcéral. Nos observations et discussions avec les détenus indiquent leur méconnaissance des risques et effets secondaires de la consommation de AAS. En amont d’une éventuelle intervention ou prise en charge, se pose donc la question de l’éducation et de la sensibilisation aux risques posés par une consommation affranchie de toute expertise ou supervision de type médical et reposant essentiellement sur l’échange d’expérience entre pairs (Kimergard, 2015). Ensuite, il importe de réfléchir à la mise en place de structures et de professionnels chargés d’accueillir ou de dépister les effets secondaires d’une utilisation abusive de AAS (Havnes et al., 2019). La situation des AAS en prison, et sans doute plus globalement des drogues, réactualise par ailleurs le débat autour de l’opportunité de la mise en œuvre d’une réelle politique de réduction des risques (harm reduction) dans le cadre pénitentiaire (Hughes, 2003 ; Zurhold, Stöver, 2016). Une telle politique ne prendrait cependant de sens que dans la mesure où elle s’articulerait avec une politique institutionnelle claire au sujet des activités physiques et sportives en prison. Or, sur ce dernier point, il n’en est rien.
56Notre analyse des pratiques sportives en prison démontre en effet qu’il est actuellement impossible de parler d’une réelle politique pénitentiaire en matière de sport en Belgique, tant sur le plan fédéral qu’au niveau des entités fédérées. Les autorités ont conscience que les activités physiques ne font aujourd’hui pas figure de priorité mais les contraintes organisationnelles et budgétaires, ainsi que certaines résistances internes, représentent tout d’abord un frein à une telle mise en place. Plusieurs de ces contraintes et de ces freins étaient d’ailleurs déjà épinglés explicitement par l’association CAAP dans son rapport en 2014, indiquant que « la pratique du sport n’est pas suffisamment développée dans les prisons de Wallonie et de Bruxelles » notamment en raison du « manque flagrant d’infrastructures et de matériels sportifs » (CAAP, 2014). L’accès au sport pour les détenus est ainsi inégal d’une prison à l’autre et dépend des installations existantes et de la motivation ou de l’investissement de certains membres du personnel pénitentiaire. L’organisation et la régulation de la pratique sportive en prison se font par conséquent au cas par cas, sans véritable ligne directrice ni agenda institutionnel au niveau politique global (Sempé, 2016). En outre, la gestion – ou l’absence de gestion – du sport en prison souffre, en Belgique, de la balkanisation des compétences entre l’État fédéral et les entités fédérées. Ainsi, différents niveaux de pouvoir sont responsables de l’infrastructure des prisons – alors que le type d’architecture, aggravé par la surpopulation pénitentiaire, joue un rôle manifeste sur la présence et la qualité des équipements sportifs –, de l’organisation des activités sportives (y compris en prison) et même de la politique antidopage. Chacune de ces compétences relève en effet de niveaux de pouvoirs distincts qui répondent à différentes logiques politiques, linguistiques et/ou territoriales. Par ailleurs, le sous-financement structurel des missions d’aide sociale en prison, qui incombent aux entités fédérées, favorise une hiérarchisation des activités qui se traduit par un rôle accessoire dévolu aux pratiques sportives (CAAP, 2014). Par conséquent, au gré des réformes de l’État belge depuis quarante ans, la segmentation des compétences et prérogatives se traduit par l’incapacité de mettre en œuvre une politique du sport en prison, en ce compris des actions qui viseraient à allier sport et santé au bénéfice des détenus. Or, les enjeux et potentialités de la pratique sportive en milieu carcéral sont importants et requièrent un examen approfondi et émancipé de la seule argumentation économique pour justifier sa relégation au rang de parent pauvre de la politique pénitentiaire.
Conclusion
57Dans cet article, nous avons analysé la consommation de produits de la performance et les activités sportives, plus spécifiquement la musculation, au sein de quatre prisons belges francophones. En particulier, nous avons tout d’abord cherché à saisir la diffusion des stéroïdes anabolisants parmi les détenus. Notre analyse indique que ces produits circulent mais qu’ils représentent une part marginale au sein de la consommation de l’ensemble des drogues. Nous cherchions également à mieux comprendre le sens que les détenus donnent à ces usages et le lien que ces derniers ont avec les activités physiques et sportives en prison. Nos résultats montrent que la consommation de produits de la performance est indissociable de la pratique du bodybuilding par les détenus. Ainsi, l’usage de stéroïdes recèle une forte dimension instrumentale : d’une part, ce type de produits est utilisé à des fins purement athlétiques de performance, d’entretien de la condition physique et de l’image corporelle ; d’autre part, il est un moyen pour obtenir et conserver un statut au sein de la prison dès lors que cette dernière valorise la culture du corps, en tant que ressource symbolique d’affirmation de son identité et d’une masculinité qui est source de prestige et de respect. Nous avons toutefois vu que la perception de la consommation des produits de la performance diffère de celle des autres drogues selon les acteurs de la prison. En effet, là où nous observons une forme de loi du silence entre détenus autour de la consommation de stéroïdes anabolisants, la consommation des autres drogues est banalisée. Cette légitimité différentielle s’explique par la diffusion moindre des stéroïdes et par ce que nous interprétons comme l’influence de la rhétorique de l’antidopage qui assimile les dopés à des tricheurs dans un contexte où le corps ne peut souffrir de voir sa valeur mise en doute par l’illégitimité des moyens utilisés pour le façonner. À l’inverse, les agents pénitentiaires manifestent une certaine tolérance à l’égard des produits de la performance, les enjeux sanitaires et sécuritaires autour de ces produits apparaissant moins problématiques, contrairement aux drogues dites dures. Ceci amène enfin à s’interroger sur l’approche institutionnelle de la prévention de l’usage de stéroïdes anabolisants, d’une part, et du sport en milieu carcéral, d’autre part. Nous montrons que ces questions apparaissent peu prioritaires dans la politique des établissements pénitentiaires, tant sur le plan de la réduction des dommages sanitaires que sur l’encouragement d’activités physiques dont les bienfaits psychologiques et physiques sont avérés. Les pratiques sportives font ainsi souvent figure de parent pauvre dans un contexte de parcellisation de l’action publique et d’éclatement des compétences qui sous-tendent la pratique du sport en prison. À la fois instrument de rapprochement ou de désamorçage des tensions inhérentes à la vie carcérale, mais parfois aussi outil supplémentaire de régulation et de contrôle donné à la direction, les activités physiques et sportives en prison sont le catalyseur d’enjeux multiples et de processus complexes dont la problématique des produits de la performance fait office de révélateur. Aussi bien au niveau académique que politique, ces questions ont cependant trop souvent été jusqu’ici reléguées à un rang subsidiaire. Cette contribution est donc aussi une invitation aux décideurs et aux chercheurs d’étendre leur regard et d’approfondir leurs réflexions sur cet enjeu important du fonctionnement de l’écosystème pénitentiaire.
Les résultats présentés dans cet article sont pour partie issus d’une étude financée entre février 2019 et mars 2020 par la Politique Scientifique Fédérale belge (« Prevalence and effects of performance enhancing drugs in different groups : lessons for a preventive and curative policy in Belgium »). L’étude a été conduite par l’Université de Gand, la KU Leuven et l’Université de Lausanne, chaque institution étant en charge d’un cluster spécifique et/ou de la collecte et l’analyse de données dans une région linguistique. Cette étude visait principalement à étudier la problématique des stéroïdes anabolisants dans différents contextes sociaux (prison, salles de fitness, secteur du transport et de la restauration). La présente contribution va toutefois plus loin que les résultats de cette étude (Hardyns et al., 2020) dès lors qu’elle s’inscrit dans une étude élargie de la problématique du sport et des produits de la performance en prison menée par les auteurs de cet article.
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