Couverture de DS_421

Article de revue

Une institutionnalisation contestée. La participation des personnes détenues à la gestion de la prison

Pages 207 à 236

Notes

  • [1]
    Je reprends par ailleurs, dans cet article, l’appellation générale de « comités de détenus » qu’il propose. Celle-ci n’est pas employée par les acteurs de l’expérimentation, chaque dispositif recevant une dénomination choisie au niveau local.
  • [2]
    Sur l’exemple de la guerre d’Algérie et des pratiques de mobilisation qu’elle a pu occasionner, on peut par exemple se référer aux travaux de Juliette Spire (Spire, 1990).
  • [3]
    Les centres de détention sont des établissements pénitentiaires procédant de la classification introduite en 1975. Ils incarcèrent les condamnés à un an ou plus considérés comme présentant de meilleures perspectives de réinsertion.
  • [4]
    Les noms des établissements ont été anonymisés. Cette enquête de terrain a porté sur trois établissements pénitentiaires, sélectionnés en raison de leur type (une maison d’arrêt, un centre de détention, un centre de semi-liberté) et de leur plus ou moins grande proximité par rapport à l’expérimentation nationale.
  • [5]
    L’« affaire Buffet-Bontems », en 1971, désigne la prise d’otage intervenue à la maison centrale de Clairvaux, attribuée à Claude Buffet et Roger Bontems, qui se solde par l’exécution d’un surveillant et d’une infirmière, ainsi que leur condamnation à mort l’année suivante et leur exécution en 1972, leur demande de grâce ayant été rejetée par le président Pompidou.
  • [6]
    Journal des prisonniers, 1973, 7, p. 8.
  • [7]
    In North America, the development of prisoners’ unions was concurrent with the inability of the inmate advisory councils to effect meaningful change within prison institutions.
  • [8]
    Il n’est alors pas question de reconnaître un droit d’expression collective aux personnes détenues.
  • [9]
    Circulaire B.25 du 26 mai 1975.
  • [10]
    Y étaient représentés : l’Autriche, la Belgique, Chypre, le Danemark, la Finlande, la France, l’Irlande, l’Italie, le Japon, le Luxembourg, la Norvège, la Nouvelle-Zélande, les Pays-Bas, le Portugal, la République d’Afrique du Sud, la République Fédérale d’Allemagne, le Royaume-Uni, la Suède, l’ONU et le Conseil de l’Europe.
  • [11]
    Libération, 14 décembre 1982.
  • [12]
    La Coordination syndicale pénale (COSYPE) regroupe, au début des années 1980, plusieurs associations et syndicats actifs dans le champ pénitentiaire, dont la principale étude, Le lobby pénitentiaire (COSYPE, 1982) entend décrypter les causes de l’« immobilisme » carcéral et des rapports de force internes à l’Administration pénitentiaire.
  • [13]
    L’émission est retranscrite dans Le Monde Libertaire du 2 mai 1985.
  • [14]
    Le Monde, 17 février 1986.
  • [15]
    Pour une étude approfondie du fonctionnement effectif de dispositifs similaires et de leur diversité, on peut se reporter à l’étude du Prison Reform Trust réalisée par Kimmett Edgar et Enver Solomon portant sur les prisoners’ councils mis en place dans certaines prisons britanniques (Edgar, Solomon, 2004).
  • [16]
    L’article 27 de la même loi pénitentiaire dispose en effet : « Toute personne condamnée est tenue d’exercer au moins l’une des activités qui lui est proposée ».
  • [17]
    On peut évoquer, entre autres, les lois du 2 janvier et du 4 mars 2002, concernant respectivement les secteurs social et médico-social d’une part, le système de santé d’autre part, et prévoyant notamment la création d’instances de représentation des usagers. Pour une discussion sur les enjeux de la participation des usagers au système de santé, on peut se reporter aux analyses proposées par Pierre Lascoumes (2007).
  • [18]
    Les ERIS, créées en 2003 par Dominique Perben dans la foulée d’une succession de révoltes et tentatives d’évasions qui marquent les premières années de la décennie, constituent une unité d’intervention sollicitée en cas de trouble à l’ordre carcéral ou dans la supervision d’opérations de fouilles générales ou sectorielles d’établissements.
  • [19]
    On retrouve ici l’idée, récurrente dans le discours des personnels pénitentiaires, selon laquelle l’institutionnalisation de la participation des détenus aboutirait, in fine, à renforcer la position de personnes détenues exerçant un pouvoir jugé illégitime sur une partie de la population carcérale.
  • [20]
    Celui-ci regroupe à l’origine 16 membres, trois représentants de l’administration centrale, sept des services déconcentrés et locaux ainsi que six membres extérieurs. Parmi ceux-ci, deux personnes contactées par Cécile Brunet-Ludet en raison de leur implication dans le déploiement de formes de « démocratie sanitaire » dans les champs du travail social et médico-social.
  • [21]
    Cette stratégie d’enrôlement s’étendra, par ailleurs, à l’École nationale de l’administration pénitentiaire, considérée comme un acteur-clé du projet réformateur, puisque chargée de l’enseignement délivré aux cohortes de personnels pénitentiaires, ainsi qu’aux associations du monde prison-justice, sans réel succès dans les deux cas.
  • [22]
    On retrouve parmi ceux-ci deux membres du secours catholique, un membre de l’association gérant l’accueil des familles à l’entrée du centre pénitentiaire, une conseillère d’insertion et de probation, un enseignant, un surveillant et l’une des autres directrices adjointes de l’établissement.
  • [23]
    Organisée les 14 et 15 février 2013 sous l’égide de la garde des Sceaux Christiane Taubira, la conférence de consensus sur la prévention de la récidive entendait proposer, par la mise en commun d’expertises principalement associatives, syndicales, professionnelles et scientifiques, un ensemble de réformes pénales et pénitentiaires.
  • [24]
    On pourrait à ce titre parler de gouvernementalisme, en écho à la notion de spatialisme telle qu’elle a été appliquée aux politiques pénitentiaires par Olivier Milhaud (Milhaud, 2015). Celle-ci désigne la croyance en la capacité d’une configuration spatiale à dépasser les contradictions sociales de la prison, on peut. De manière récurrente, depuis l’émergence d’un discours réformateur sur la prison et plus particulièrement en ce qui concerne l’introduction de formes de participation des personnes détenues en prison, la tentation de replier la question carcérale sur celle du « bon » mode de gouvernement des conduites constitue un élément de permanence.

Introduction

1 Dans un rapport sur « le droit d’expression collective des personnes détenues », remis en janvier 2010 à la Direction de l’Administration pénitentiaire (DAP), Cécile Brunet-Ludet, magistrat, résume le résultat de son exercice de repérage de formes de participation des prisonniers à la gestion des prisons : « Historiquement en France, la notion de droit d’expression collective des personnes détenues est controversée, contestée, parfois taboue. » (Brunet-Ludet, 2010, 5).

2 Cette affirmation prend place dans un contexte institutionnel particulier. Le rapport cité initie un épisode réformateur qui voit, entre 2010 et 2011 et à titre expérimental, l’installation dans dix établissements pénitentiaires de comités consultatifs de détenus. Ces dispositifs, pensés comme instruments d’une participation des prisonniers à la vie carcérale, sont loin de constituer une innovation française. Comme Norman Bishop [1] (2006) le souligne, plusieurs pays européens, tels le Danemark ou l’Allemagne, ont intégré des modèles de gestion pénitentiaire associant, de diverses manières, les personnes détenues au fonctionnement quotidien de l’établissement dans lequel elles sont incarcérées.

3 Plus récemment, en janvier 2016, Gilles Bouvaist (2016) décrit, dans le Monde Diplomatique, la naissance du Gewerkschaft-Bundesweite Organisation, syndicat de prisonniers crée deux ans plus tôt en Allemagne. L’article évoque également la fondation, en Argentine, le 13 juillet 2012, du Sindicato Unico de Trabajadores Privados de la Libertad Ambulatoria, autre organisation de prisonniers reconnue par un accord passé avec le service pénitentiaire fédéral.

4 À travers la juxtaposition de ces deux exemples, on peut envisager un ensemble de pratiques, réformatrices ou subversives, et de dispositifs traduisant l’institutionnalisation de l’expression collective des personnes détenues. Le spectre ainsi dessiné va de l’instauration administrative d’un dialogue formalisé entre personnes détenues et directions d’établissement à l’auto-organisation, clandestine ou déclarée, d’un contre-pouvoir en détention.

5 Le présent article propose une réflexion sur les modalités de cette institutionnalisation, mais également des résistances qu’elle suscite. Il s’appuie, pour ce faire, sur l’analyse de deux épisodes historiques : celui de l’émergence et du déclin d’une stratégie syndicale dans les luttes de prisonniers en France à partir de 1970 et celui de l’expérimentation contemporaine, impulsée par l’Administration pénitentiaire elle-même. La période historique considérée est néanmoins le produit d’un parti pris de ne pas évoquer ici, par souci de concision, les règles et pratiques liées au statut de prisonnier de guerre ou de prisonnier politique à l’occasion, par exemple, tant de la guerre d’Algérie que des deux conflits mondiaux [2].

6 Le champ d’investigation qu’ouvre la question de la participation des personnes détenues est peu représenté dans la sociologie française. L’étude, par Gilles Chantraine (2006) du modèle de « prison post-disciplinaire » ou la contribution de Corinne Rostaing (2008) à l’analyse des formes d’« expression des détenus » y font figure d’exceptions. Inversement, cet ensemble de questionnements est largement débattu depuis les années 1960-1970, notamment aux États-Unis ou au Canada. L’étude de dispositifs participatifs et de leur articulation avec les conceptions changeantes de la peine (Baunach, Murton, 1975), les mobilisations de prisonniers (Huff, 1974) ou la manière dont ils affectent les dynamiques relationnelles et de pouvoir en détention (Stastny, Tyrnauer, 1982) y sont régulièrement débattues. Dans un autre registre, les contributions de Donald Tibbs (2012) ou de Thomas Mathiesen (2014) analysent tant l’émergence de syndicats intra muros que la manière dont celle-ci entre en concurrence avec des formes plus institutionnelles de participation carcérale.

7 La perspective développée dans cet article est double. Par la mise en contexte sociohistorique qu’il propose, son objectif est de saisir les articulations entre mobilisations en faveur du « droit à la parole » des prisonniers et institutionnalisation d’« offres publiques de participation » (Gourgues, 2013) en milieu carcéral. Cette contextualisation sert ensuite de support à une réflexion sur les modalités empiriques de l’institutionnalisation de cette participation, qui constitue un second objectif. Les conflits, internes et externes, qui ont pu se cristalliser autour de cet enjeu apparaissent alors comme autant de révélateurs des dilemmes pratiques et des contradictions politiques et institutionnelles que rencontre, dans les deux cas, l’émergence d’une participation des personnes détenues.

8 Dans ce cadre, je m’appuie sur un travail de thèse mené à l’université Lille entre 2010 et 2016 avec le soutien de l’École nationale de l’administration pénitentiaire. Les matériaux mobilisés sont issus d’une enquête de terrain réalisée entre 2010 et 2014 auprès du comité de pilotage de l’expérimentation « droit d’expression collective des personnes incarcérées » et du lieu principal de ma recherche, le centre de détention [3] de « Parssis » [4]. J’aurai également recours à une série d’archives privées et publiques réunies au cours de ce doctorat, parmi lesquelles les notes de la présidente du comité de pilotage rendant compte d’échanges réalisés au cours de déplacements de celui-ci dans les différents établissements ayant participé à l’expérimentation.

9 La première partie de cette contribution propose une analyse croisée des mobilisations en faveur du droit de s’associer et de se syndiquer en prison et de l’émergence concomitante de formes limitées de participation institutionnelle. Dans un second temps, elle se concentre sur le déroulement de l’expérimentation contemporaine, les stratégies de légitimation adoptée par ses acteurs, ainsi que les critiques ou remises en cause dont elle a fait l’objet.

La subversion ou le dialogue ? Organisations de prisonniers et projets réformateurs

10 À l’aube de la décennie 1970, les prisons, qui semblent hermétiquement séparées des événements de mai 1968, sont gagnées par la contestation. La répression et l’incarcération de militants d’extrême gauche (notamment dans la foulée de l’édiction de la loi « anti-casseurs » par le gouvernement Chaban-Delmas) ainsi que le durcissement de la politique pénitentiaire à la suite de l’affaire Buffet-Bontems [5] contribuent à l’électrisation progressive des établissements pénitentiaires. Fondé en 1971 par Jean-Marie Domenach, Michel Foucault et Pierre Vidal-Naquet, le Groupe d’information sur les prisons (GIP) se donne pour mission de relayer la parole des prisonniers et de soutenir les acteurs et les revendications des révoltes carcérales. L’année suivante, le même GIP diffuse et relaye la « déclaration à la presse et aux pouvoirs publics » émise par un groupe de prisonniers de la maison centrale de Melun (Groupe d’information sur les prisons, 1972, 9). Dans ce texte, les rédacteurs exigent l’élection démocratique de comités de détenus chargés de négocier, avec la direction, une fin au conflit qui prend place dans l’établissement. La revendication du droit à la représentation y est présentée à la fois comme un gage de responsabilité de la part des personnes détenues, comme la première condition d’une négociation avec l’Administration pénitentiaire locale mais également comme illustration d’un principe qui devait rapidement être repris et reformulé par le Comité d’action des prisonniers (CAP), actif entre 1972 et 1980 : La réinsertion sociale des prisonniers ne saurait être l’œuvre que des prisonniers eux-mêmes. En effet, le Comité, comme le souligne Christophe Soulié, émerge en partie d’une composante « syndicaliste », issue des mobilisations des prisonniers de la maison centrale de Melun (Soulié, 1995).

Le droit d’association en prison, « le gros morceau ! »

11 Animé notamment par Serge Livrozet, Claude Vaudez, Michel Boraley, le CAP affirme, dès les premiers numéros de son journal, ses principales exigences. Celles-ci incluent par exemple la suppression du casier judiciaire, la réorganisation du travail en prison et notamment la garantie du Smic et de la protection sociale des travailleurs.

12 Deux modalités privilégiées de lutte collective, celle de la création de syndicats et d’associations de prisonniers, sont détaillées dans le no 7 du Journal des Prisonniers. Le « droit de faire grève et de se syndiquer » est intégré à la revendication plus générale de la « réorganisation du travail », tandis que « le droit d’association dans les prisons », « le gros morceau » de la lutte du CAP, fait l’objet d’un développement à part. Elle constitue un « moyen essentiel de faire valoir les revendications précédentes » :

13

Nous avons pu jusqu’à présent argumenter sur un tas de problèmes pénitentiaires, réclamer des aménagements, des suppressions, etc. On nous a laissé faire, sachant bien que tout ce que nous réclamions se résumait à de simples vœux. Que de luttes, que de temps, que de crânes fracassés avant de voir seulement l’abolition du casier judiciaire ! Sans organisation, sans combat concerté, les détenus n’obtiendront jamais rien. […] Détenus, amis, camarades, ce que vous avez pu lire dans les numéros précédents ne signifie rien, si vous n’obtenez pas auparavant le droit de vous associer, ne fût-ce que pour protéger ce que vous avez conquis[6].

14 Le droit d’association des prisonniers, tel qu’il a été formulé par le CAP, ne peut se comprendre que dans le contexte du développement des résistances collectives en prison. Il y est conçu comme instrument stratégique dans le cadre d’un rapport de force, mais également comme le moyen, pour les prisonniers mobilisés, de résister tant au « bâton » de la répression qu’à la « carotte » des privilèges/sanctions ou du « crédit de peine ». Plus largement, dans la lignée des positions exprimées par les prisonniers de Melun sur la réinsertion des prisonniers, la liberté de constituer des associations de prisonniers est également présentée comme l’affirmation d’un « droit à la responsabilité » que les détenus mobilisés doivent « arracher », face à la « version sociale des psychologues, des psychiatres, des juges, des éducateurs qui vous jugent et vous gardent ».

15 La stratégie syndicale au sein des mouvements de prisonniers n’est pas une spécificité de l’histoire carcérale française. Elle fait écho à des processus similaires qui deviennent visibles pour peu que l’on change d’échelle d’observation. Lorsqu’en 1974, Clarence R. Huff (1974, 77) recense les mouvements de prisonniers en Europe, les pays scandinaves et la Grande-Bretagne ont vu l’émergence de syndicats de prisonniers. Aux États-Unis, l’auteur identifie le même processus dans plus d’une quinzaine d’États. Thomas Mathiesen (2014) retrace, de la même manière, les interactions entre mouvements extérieurs de défense des prisonniers et fondation de syndicats intra muros dans les pays d’Europe du Nord, dès 1972. Il souligne que la collectivisation des revendications des prisonniers, à l’origine de ces organisations, a également pu se développer sous d’autres formes, notamment à travers la revendication d’un « droit à la représentation » organisé par l’Administration pénitentiaire, ou encore à travers le refus de l’institutionnalisation des luttes collectives et le recours, à l’inverse, à la clandestinité. Parallèlement, Renee Goldsmith Kasinsky (1977, 60) note que, dans le cas étatsunien, ces syndicats naissent justement de « l’incapacité des comités consultatifs de détenus à provoquer des changements significatifs à l’intérieur des prisons » [7].

16 En France, c’est donc à travers l’expérience du CAP qu’émerge l’enjeu d’une organisation collective des prisonniers. Son travail de légitimation du droit de s’associer pour les prisonniers n’est, néanmoins, pas audible en l’état pour l’Administration pénitentiaire et les ministres de la Justice successifs. En revanche, sur la même période, une coalition réformatrice hétérogène se constitue autour de l’appel à un aggiornamento carcéral, tant dans les modalités de gestion des établissements que dans la détermination des objectifs de l’enfermement. Dans un contexte marqué par la crainte de nouvelles vagues de révoltes et la recherche d’une « modernisation » carcérale, la participation institutionnelle des personnes détenues est une option qui connaît, en 1975, une timide apparition dans le discours gouvernemental et dans les politiques pénitentiaires.

La réforme de 1975 : une première tentative de formalisation d’un « dialogue » institutionnel sans lendemain

17 Devant l’ampleur de la crise carcérale, le pouvoir giscardien adopte, dans un premier temps, une approche réformiste axée sur l’« humanisation » qui se traduit également dans les modalités du gouvernement des conduites intra muros. La perspective de l’amendement des condamnés se mue progressivement en objectif de responsabilisation et de resocialisation des détenus. Il n’y a, en la matière, pas d’invention française. On peut y voir l’importation de modèles de gestion pénitentiaire dont l’émergence peut se lire dans les textes internationaux régulant la pratique de l’incarcération. Ces évolutions se situent sur deux plans qui seront, pour les décennies à venir, les principales surfaces d’émergence de projets réformateurs visant à assurer une participation active des détenus à la gestion de leur quotidien en détention : celui du maintien de l’ordre et celui de l’amendement des détenus. Dix-huit ans après l’adoption de l’ensemble des règles minima pour le traitement des détenus de l’ONU (1955), la première version des Règles pénitentiaires européennes (RPE) développe la contribution d’un dialogue formalisé à ces deux niveaux. À travers l’établissement de « communications entre les détenus et le personnel », il s’agit d’« empêcher les tensions qui peuvent apparaître », mais également d’« assurer l’adhésion des détenus au programme de traitement » (Conseil de l’Europe, 1973). Mathiesen (2014, 247) voit, dans cette articulation entre participation des prisonniers et perspectives de leur « traitement » l’occasion d’une distinction radicale. Selon l’auteur, ce qui caractérise, en effet, les « contre-organisations » de formes institutionnelles de participation réside dans l’affirmation ou non d’un conflit d’intérêts entre les prisonniers et les différentes catégories de personnel.

18 En France, l’importation de modèles de gestion carcérale faisant appel à la participation des détenus est consubstantielle à l’affirmation de l’objectif institutionnel de resocialisation des prisonniers. Il apparaît tout d’abord dans la circulaire ministérielle du 26 mai 1975 du garde des Sceaux Jean Lecanuet. Dans le cadre de la politique d’« humanisation » carcérale, mais également en accompagnement des nouvelles classifications d’établissement distinguant maisons d’arrêt, centres de détention et maisons centrales, ce texte expose dès ses premières lignes un premier principe, « l’appel au sens des responsabilités des détenus », et en tire rapidement une conséquence : la nécessité d’une « évolution dans l’organisation de la vie quotidienne en prison ». Jean Lecanuet y mentionne deux pratiques dont il souhaite voir le développement [8]. Tout d’abord, et dans le cadre de la croissance des activités culturelles en milieu carcéral, le garde des Sceaux juge nécessaire de laisser « une part à la réflexion et à l’initiative des détenus ». D’autre part, et concernant les seuls centres de détention, le ministre énonce les évolutions qui doivent constituer la particularité du régime de tels établissements :

19

L’un des aspects les plus importants de cette évolution me paraît consister dans l’instauration ou le développement d’un dialogue aussi fréquent que possible entre les détenus d’une part et la direction ainsi que l’ensemble du personnel d’autre part. Dans cette perspective […] il importe de faire place à des modes de relation nouveaux[9].

20 Comme le note Monique Seyler (1980, 133), la formulation de conceptions de la peine et de ses modalités mettant en avant la « responsabilisation » et la « resocialisation du détenu » vient s’opposer au modèle « technico-médical de guérison et de normalisation » (Foucault, 1975, 340), dans un contexte marqué par l’urgence. C’est déjà cette crainte, et les réformes qu’elle suggère, qui marquait, deux ans plus tôt, la réunion des représentants de dix-huit administrations pénitentiaires [10] organisée sous l’égide de la Fondation internationale pénale et pénitentiaire, dont Georges Picca propose un compte rendu en 1973. Le thème de cette réunion est évocateur : « Faut-il démocratiser la prison ? ». S’il faut entendre, rapporte Picca, « démocratisation » en un sens qui n’est pas « politique ou idéologique, mais fonctionnel », les participants à la réunion s’accordent autour du constat selon lequel :

21

Depuis quelques années, les transformations que connaissent les sociétés développées ont conduit à remettre en cause certaines formes d’organisation sociale trop hiérarchisées et suscité des modèles nouveaux inspirés notamment du secteur économique. (Picca, 1973, 926)

22 Et en effet, « force est de constater », poursuit l’observateur, « qu’à des degrés divers, toutes les administrations pénitentiaires représentées ont été confrontées au cours des derniers mois à une contestation, larvée ou violente, du régime pénitentiaire ». Citant un participant à la réunion, l’auteur se demande dès lors : « Parlerait-on de démocratisation des prisons si l’attitude des détenus n’avait pas changé au cours des dernières années ? ».

23 La circulaire Lecanuet reste, comme le souligne Monique Seyler (1980, 144), sans lendemain. Néanmoins, lorsque le CAP s’autodissout, en 1980, il semble avoir réussi à produire une certaine politisation de sa revendication centrale. En 1976, par exemple, le Parti socialiste publie une Charte des libertés et des droits fondamentaux en vue de son accession au pouvoir, dans laquelle figure le droit, pour les personnes détenues, de former des groupements représentatifs (Comité pour une charte des libertés, 1976). Parallèlement, plusieurs voix, au sein de la magistrature (Favard, 1981) ou parmi les avocats (Fagart, 1982), s’expriment également, avec plus ou moins de véhémence, dans ce sens.

L’Association syndicale des prisonniers de France et le dilemme de l’organisation

24 Si la promesse de campagne de la gauche ne trouve pas d’écho direct dans l’action gouvernementale menée par Robert Badinter à partir de 1981, la décennie 1980 est marquée par la poursuite d’une politique mobilisant, à la marge, une participation institutionnelle des détenus, notamment à l’occasion de la généralisation des associations socioculturelles. Apparues au cours de la décennie précédente, celles-ci ont pour mission principale d’organiser le développement progressif d’activités culturelles ou sportives. Ainsi, dans les colonnes de Libération[11], le ministre évoque la généralisation de ces structures en prévoyant l’association des détenus à leur fonctionnement. De même, l’accent est mis sur la possibilité de « réunion[s] à l’initiative des chefs d’établissement de telle ou telle partie de la population pénale pour évoquer les problèmes de loisirs, de sport, de règlement intérieur ». Une décennie plus tard, Philippe Combessie (1996, 144) souligne qu’au sein de ces structures, « un consensus existe pour que cette participation des détenus demeure limitée et que la gestion réelle reste entre les mains des professionnels ou bénévoles ».

25 C’est néanmoins la concurrence directe entre ces amorces de participation institutionnelle et la dynamique de collectivisation des résistances initiée par le CAP qui constitue la caractéristique principale de la période. La revendication centrale du Comité est, par exemple, reprise dans les prises de position de la Coordination syndicale pénale [12]. Trois ans plus tard, la fondation en 1985 de l’Association syndicale des prisonniers de France (ASPF) à l’initiative d’un groupe de prisonniers de Fleury-Mérogis constitue un épisode important, quoique peu documenté, de l’histoire des prisons françaises et des acteurs de leur critique. Elle s’inscrit dans un contexte marqué par un regain de contestation carcérale, faisant partiellement écho à la lenteur des réformes évoquées ou promises. Dans le même établissement, deux ans plus tôt, quarante-et-un détenus de Fleury-Mérogis s’automutilaient au bâtiment D4 (Chatbi, Menenger, 2009, 80), dénonçant un Parti socialiste « plus soucieux d’accéder au pouvoir que de tenir ses engagements » et réclamant, à partir des arguments du CAP, la reconnaissance du « droit d’association » des prisonniers.

26 Lorsque naît l’ASPF, le 4 avril 1985, elle adopte rapidement une structure bicéphale. Jacques Gambier, militant anarchiste incarcéré et proche du CAP, en assume la présidence « intérieure ». Jacques Lesage de La Haye, sollicité par le « président-détenu », prend en charge le bureau externe, dans l’éventualité d’un musèlement du bureau intra muros. Sur les ondes de Radio Libertaire, le 30 avril 1985, une discussion réunit Jean Lapeyrie, Jacques Lesage de La Haye et Maurice Joyeux. La création de l’ASPF y est saluée, mais les réticences dont elle fait déjà l’objet illustrent les conflits internes aux mouvements de prisonniers dans lesquels le syndicat naissant se trouvera rapidement enferré. Les intervenants prennent en effet acte de voix « inquiète[s] de savoir » si la création de l’ASPF n’aboutira pas à la répression autogérée au profit de la gauche » [13]. De la même manière, pour les prisonniers comme à l’extérieur, le caractère émancipateur et révolutionnaire du syndicalisme n’est plus une évidence. Jacques Lesage de La Haye reconnaît qu’« un syndicat n’est pas révolutionnaire, sauf dans la tradition anarchosyndicaliste », mais ajoute immédiatement que « ce qui est révolutionnaire […], c’est de créer un syndicat ».

27 Dès sa mise en place, l’ASPF défend sa légitimité dans l’opinion publique, dans les médias et auprès du gouvernement. Dans Le Monde, Jean Favard, passé au ministère, dénonce une politique « jusqu’au-boutiste ». À cette perspective, le conseiller technique de Robert Badinter préfère la « volonté d’ouverture » qui caractérise le fonctionnement des associations socioculturelles telles que remaniées par le gouvernement [14]. Inversement, Étienne Bloch, ancien juge de l’application des peines et soutien de l’ASPF tout au long de son existence, défend la légalité et la légitimité du syndicat. Dans le même article, il juge que sa reconnaissance est nécessaire afin de « permettre [aux prisonniers] de connaître leurs droits, de les faire appliquer face à la machine judiciaire, pénitentiaire et policière ».

28 Ancrée dans une position légaliste, l’ASPF cherche des soutiens dans les mouvements de prisonniers, les centrales syndicales, parmi les magistrats et les avocats. Explicitement abolitionniste, elle affirme la nécessité d’une organisation démocratique et collective des prisonniers en mesure d’interrompre le cycle mutineries – répression qui recèle, pour ses animateurs, la promesse de l’échec des luttes carcérales. Cependant, l’état d’exaspération d’une partie des prisonniers mobilisés et le discrédit pour ce qui est alors perçu comme une forme d’institutionnalisation de la contestation cristallisent rapidement une série de conflits dans lesquels l’ASPF tentera de légitimer le bien-fondé de son existence et de sa stratégie. Christophe Soulié s’interroge sur les raisons pouvant expliquer, outre la rapide censure de son courrier par l’Administration pénitentiaire, les difficultés de la jeune organisation :

29

Le dispositif ASPF ne se met-il pas en place trop tard ? En effet, en 1985, la situation des prisons s’est bien détériorée. Les prisonniers ne croient plus à une dynamique de changement. La répression s’est durcie. Le pouvoir veut montrer à son opposition de droite qu’il n’est pas laxiste comme elle le prétend. Dans ce contexte, le dispositif va faire long feu. (Soulié, 1995, 257)

30 Deux ans après sa création, l’ASPF cesse d’opérer après avoir réuni, selon ses fondateurs, plus de 380 membres incarcérés. La fin de non-recevoir opposée par ses potentiels alliés, le refus administratif et gouvernemental de la considérer comme interlocuteur légitime ainsi que la contestation au sein des mouvements de prisonniers asphyxient rapidement l’organisation. Sa disparition marque le reflux rapide d’un modèle de contestation de la prison basé sur la convergence des revendications et des mouvements de prisonniers et leur organisation collective qui avait émergé au début des années 1970.

31 La disparition de l’ASPF ne sera pas suivie d’inflexions majeures dans les politiques pénitentiaires en ce qui concerne la participation des prisonniers. En 1989, le rapport Bonnemaison appelle ainsi à sortir du « tout ou rien » en ce qui concerne l’expression collective des personnes détenues :

32

Interdite actuellement, l’expression collective se manifeste en cas de tension extrême par des mouvements qui peuvent dégénérer en mutineries. Une expression collective contrôlée permettra de prendre en compte les attentes des détenus et contribuera ainsi à éviter des tensions néfastes (Bonnemaison, 1989, 87).

33 Les éléments présentés ne prétendent pas rendre compte exhaustivement des pratiques, militantes ou pénitentiaires, impliquant l’association des personnes détenues à la gestion de la prison. Un tel inventaire, comme le propose par exemple J. E. Baker (Baker, 1985) dans le cas étatsunien, reste hors de portée de cette contribution. L’enjeu est, bien plutôt, de présenter les grandes lignes d’une double histoire articulant dynamiques militantes et projets réformateurs sur la question de l’émergence de modes de gestion carcérale reposant sur la participation des personnes détenues. Cette double histoire permet, d’une part, de repérer une tension analytique entre une participation envisagée comme un droit à la revendication collective, en conflit avec le caractère « despotique » du pouvoir carcéral (Chauvenet, 2006), et son utilisation comme outil de pacification des détentions ou, a minima, de légitimation de l’action pénitentiaire. Elle invite, d’autre part, à considérer le déclin de la stratégie syndicale au sein des mouvements de prisonniers, l’émergence d’amorces de consultation des personnes détenues, mais également la grande difficulté avec laquelle celles-ci parviennent à modifier si peu que ce soit les pratiques en établissement comme un cadre historique à travers lequel il est possible de rendre compte de dynamiques plus contemporaines. Comme je le soulignerai dans la seconde partie de cet article, l’expérimentation semble avoir hérité de la charge symbolique et des obstacles à l’institutionnalisation de formes de participation des détenus.

Une expérimentation sous tension

34 L’apparition d’un intérêt institutionnel et, plus rarement, gouvernemental, pour des formes de gestion de la détention à laquelle sont associées, à différents degrés et sous différentes formes, les personnes détenues n’est donc pas une innovation pénitentiaire de la première décennie du XXIe siècle. Pourtant, c’est bien à partir du vote de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 et à la mise en place consécutive de l’expérimentation que débutera l’institutionnalisation controversée d’une « offre publique de participation » (Gourgues, 2013). Avant d’entrer dans l’exploration du déroulement de cette expérimentation et des conflits qu’elle n’a pas manqué de soulever, il importe de préciser le cadre dans lequel les données mobilisées ont été recueillies ainsi que leur domaine de validité.

35 L’enquête de terrain réalisée dans le cadre de ma thèse porte en effet sur un épisode particulier d’action publique en matière pénitentiaire, une expérimentation administrative, dont le déroulement et les conséquences immédiates sont concomitantes de mon travail. Cette configuration d’enquête est en mesure de rendre plus tangibles les lignes de force, mais également les réorientations du processus expérimental. Elle ne peut, en revanche, informer sur « ce que sont » ou « ce que font » ces dispositifs de manière générale, ni en France ni, a fortiori, hors des frontières hexagonales [15]. Néanmoins, elle offre l’occasion d’observer et de rendre compte de la socialisation des acteurs à ces dispositifs, des rapports de force mouvants qu’ils cristallisent ou des dilemmes pratiques rencontrés par ses promoteurs dans le cours d’une séquence particulière d’action publique « en train de se faire ». De la même manière, l’illustration de l’aspect local de cette institutionnalisation à travers l’exemple du dispositif mis en place au centre de détention de « Parssis » ne peut être directement généralisée. Les principaux éléments d’analyse que j’exposerai me semblent néanmoins révélateurs de dynamiques ayant pu se retrouver dans d’autres établissements, au cours de mon enquête ou à travers la consultation des comptes rendus de visite du comité de pilotage dans les différents sites expérimentaux.

Émergence et développement d’un enjeu réformateur

36 C’est en 2009, à l’occasion du vote de la loi pénitentiaire promise par Nicolas Sarkozy qu’intervient l’insertion d’une disposition, qui deviendra l’article 29 dans la version finale du texte, inscrivant dans la loi le principe d’une consultation des personnes détenues « sur les activités qui leur sont proposées ».

37 L’ajout de cet article se fait à l’initiative de la commission des lois du Sénat et plus particulièrement de son rapporteur, Jean-René Lecerf, sénateur UMP du Nord. Ce dernier y voit un outil potentiel de responsabilisation des personnes détenues, mais également une contrepartie à l’autre mesure, également controversée, qu’il propose d’inclure dans le texte : l’obligation d’activité [16] pour toutes les personnes condamnées. Cependant, bien qu’elle en soit à l’origine, la seule logique du débat parlementaire ne peut rendre compte du contexte dans lequel est proposée, puis retenue, cette disposition.

38 Entre 2000 et 2006, en effet, les prises de positions militantes, institutionnelles et politiques en faveur de la reconnaissance d’un droit à la parole des prisonniers dans leurs relations avec l’Administration pénitentiaire se multiplient. La plus importante d’entre elles, les États généraux de la condition pénitentiaire, regroupent à partir de 2006 et autour de l’Observatoire international des prisons, une coalition d’associations, d’organisations de professionnels de la justice et deux syndicats pénitentiaires. Ces États généraux se traduisent notamment par l’organisation d’une consultation nationale des personnes détenues dans l’objectif affiché de faire émerger, dans la campagne présidentielle, la parole des premiers concernés par l’incarcération. Plus généralement, ces mobilisations dans le champ pénitentiaire s’appuient sur la production d’expertises diverses et concordantes. Différentes formes, plus ou moins ambitieuses, de participation des détenus à la gestion de la prison sont ainsi défendues par l’Assemblée nationale (Floch, Mermaz, 2000), la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH, 2004), le Comité d’orientation du projet de loi pénitentiaire de 2001 ou celui mis en place en préparation du texte voté en 2009.

39 Quatre éléments de compréhension peuvent être avancés afin de rendre compte de ce regain d’intérêt des discours réformateurs pour la reconnaissance d’un principe de participation des détenus.

40 En premier lieu, l’allongement des peines et la succession des programmes de construction d’établissements de taille importante incitent l’Administration pénitentiaire à réfléchir à de nouveaux modes de gestion de la détention. Cet élément, issu des orientations sécuritaires de la politique pénale et pénitentiaire, avait ainsi déjà été souligné en 1992 par un groupe de travail interne qui appelait notamment à « créer une parole reconnue et audible par l’institution – via – l’organisation de consultations individuelles et surtout collectives des détenus sur les diverses conditions d’exercice des activités et de l’organisation de la vie quotidienne en détention » (Direction de l’Administration pénitentiaire, 1992).

41 Outre cette dynamique proprement pénitentiaire, l’adoption de cette disposition reflète également la diffusion d’un modèle d’action publique valorisant les droits des usagers des services publics, et notamment la participation de ces derniers. Les réformes adoptées en ce sens, particulièrement dans les secteurs social et médico-social [17], inspireront par ailleurs largement l’argumentaire des acteurs et soutiens de l’expérimentation.

42 Par ailleurs, le fort écho médiatique donné à la publication, en janvier 2000, de l’ouvrage du docteur Vasseur, Médecin Chef à la prison de la Santé est l’occasion de multiples prises de position associatives et expertes tant en faveur de la clarification des droits des personnes détenues que dans le sens d’un changement d’orientation en matière de politique de sécurité pénitentiaire. Celles-ci interviennent dans les premières années de la décennie, marquées par un durcissement sécuritaire dans ce domaine qu’illustre, entre autres, la création des Équipes régionales d’intervention et de sécurité [18] en 2003.

43 Enfin, le Conseil de l’Europe conclut en 2006 un travail de refonte des Règles pénitentiaires européennes initié en 2001. Or, dans cette nouvelle mouture, dont la loi pénitentiaire de 2009 entend traduire partiellement le contenu en droit français, on trouve, au titre « Du bon ordre », une nouvelle règle no 50 ainsi formulée :

44

Sous réserve des impératifs de bon ordre, de sûreté et de sécurité, les détenus doivent être autorisés à discuter de questions relatives à leurs conditions générales de détention et doivent être encouragées à communiquer avec les autorités pénitentiaires à ce sujet (Conseil de l’Europe, 2006).

45 Écartée dans un premier temps par le directeur de l’Administration pénitentiaire française, Claude d’Harcourt, qui y voit la perspective d’un renforcement du caïdat [19] en prison, la disposition se trouve donc reprise, dans une version affaiblie, en 2009. C’est pourtant le même Claude d’Harcourt qui, un mois avant le vote de la loi, confie à Cécile Brunet-Ludet, magistrat à la DAP, la réalisation d’un rapport portant sur le « droit d’expression collective des personnes détenues ». Dans celui-ci, l’ancienne juge de l’application propose un état des lieux européen des dispositions encadrant l’exercice d’un tel droit et constate qu’à l’inverse, dans le cas français et « du point de vue de l’Administration pénitentiaire, le collectif est subversif par nature » (Brunet-Ludet, 2010, 11).

46 Les enjeux évoqués par ce rapport sont nombreux et mêlent des éléments de réforme pénitentiaire déjà présents dans la circulaire Lecanuet et des préoccupations plus contemporaines de l’Administration pénitentiaire.

47 Il souligne la nécessaire évolution des modes de gestion des établissements pénitentiaires ainsi que les bénéfices d’une sécurité dite « dynamique », fondée non plus sur des dispositifs matériels de surveillance et de contrôle, mais sur l’établissement de relations positives entre gardiens et gardés. Parallèlement, Cécile Brunet-Ludet prend acte de la diffusion d’un principe de participation des usagers dans d’autres champs institutionnels et, plus largement, dans l’action publique. Il s’agit alors d’une série d’évolutions à laquelle l’Administration pénitentiaire française est invitée à s’associer :

48

L’évolution de la société civile a été marquée ces dernières années par une place plus ambitieuse conférée par la loi à l’usager des services publics, […] reconnu comme un interlocuteur à part entière, intégré au processus participatif d’élaboration des méthodes d’accompagnement et de prise en charge (Brunet-Ludet, 2010, 13).

49 L’auteure du rapport repère, en outre, différents exemples locaux et souvent éphémères de formalisation d’une forme de dialogue entre personnels pénitentiaires et personnes détenues. Constatant l’existence de pratiques « aussi puissant[e]s qu’[elles] sont fragiles », Cécile Brunet-Ludet plaide pour la formalisation, sous l’angle du droit, de ces pratiques inspirées tant par l’article 29 de la loi pénitentiaire que par la règle pénitentiaire européenne no 50.

L’expérimentation comme entreprise de légitimation tournée vers l’Administration pénitentiaire

50 À partir du 30 septembre, le comité de pilotage (COPIL) est installé par la DAP et la méthodologie de l’expérimentation fait l’objet d’échanges entre ce dernier et les sites pilotes. Celle-ci durera jusqu’au 28 juin 2011.

51 Le choix de l’expérimentation n’est, bien entendu, pas anodin. Cécile Brunet-Ludet, en entretien, évoque une « double contrainte » ayant guidé tant la composition du COPIL [20] que le choix de la forme expérimentale. Il s’agit, plus particulièrement, de s’assurer du soutien politique de la DAP tout en désamorçant l’hostilité attendue des organisations syndicales de l’Administration pénitentiaire à toute forme de dialogue formalisé entre les personnels et la population pénale. Dans une intervention ultérieure, elle précise que « le seul vote de la loi accordant le droit pour la population pénale d’être consultée […] ne suffit pas à le rendre « légitime et acceptable » auprès de l’ensemble des professionnels ou de certains syndicats ». Comme le souligne Jacques Chevallier (2005, 390) concernant cette forme particulière d’action publique, il s’agit notamment, par « le recours à l’expérimentation » comme « apprentissage du changement », de « créer les conditions propices à leur acclimatation progressive » et de « dissip[er] les craintes qu’ils suscitent ». En l’occurrence, dans les termes de la présidente du COPIL, l’enjeu est notamment de court-circuiter une série de « représentations collectives » associées au « syndicalisme des détenus » (Berthier et al., 2013, 63).

52 Dès la parution du premier rapport de Cécile Brunet-Ludet et plus encore au démarrage de l’expérimentation, les principales organisations syndicales, l’Union fédérale autonome pénitentiaire (UFAP), affiliée à l’UNSA, ainsi que les sections pénitentiaires des syndicats CFDT, FO et CFTC critiquent fortement le projet retenu. Les tracts ou les revues de ces organisations dénoncent « l’affront fait aux victimes », le refus d’« entendre les détenus s’exprimer sur la manière de servir des personnels » ou encore la possibilité de « syndicats de détenus », qui « se cach[ent] derrière le mot de « consultation »». Dans au moins deux sites expérimentaux, les dispositifs prévus se heurtent à des mobilisations pénitentiaires locales suffisamment amples pour conduire, dès le début ou au bout de quelques mois, à l’abandon total de l’expérimentation.

53 L’action du COPIL, dans ce contexte conflictuel, est donc essentiellement double. Il s’agit, d’une part, de proposer des pistes de formalisation d’un « droit d’expression collective des personnes détenues » en préparation d’un décret d’application à venir. Mais, dans un contexte conflictuel, la démonstration de l’acceptabilité d’un tel processus de formalisation au sein même de l’Administration pénitentiaire est omniprésente dans les entretiens menés. En ce sens, l’expérimentation peut être analysée comme une entreprise de légitimation essentiellement tournée vers la DAP, les personnels pénitentiaires de manière plus générale et les moins hostiles des organisations syndicales.

54 Dans les dix établissements, sélectionnés sur la base du volontariat, la traduction locale de l’expérimentation s’est effectuée de manières différentes. Cette variabilité est, de fait, inscrite dans le processus expérimental lui-même et constitue l’un des principaux aspects de sa démarche de formalisation, mais également une réponse à la situation de « double contrainte ». Elles s’organisent autour d’un « socle commun » et doivent voir l’organisation périodique de réunions « entre les représentants de la population pénale et l’Administration pénitentiaire de l’établissement » portant « sur un ordre du jour associant les personnes détenues et défini en amont ». Celles-ci doivent en outre faire l’objet d’un « compte rendu écrit communiqué en aval à tous les participants ». (Brunet-Ludet, 2012, 17).

55 En dehors de ces « figures imposées », les directions d’établissement se voient accorder une grande latitude dans le choix des thématiques à aborder ou de la composition des comités. Le recours à l’élection, à la désignation ou à la participation directe ont ainsi été choisis par certains établissements. De la même manière, certains comités ont restreint le champ des thématiques susceptibles de faire l’objet d’un traitement en comité aux seules activités culturelles, tandis que, dans d’autres situations, les consultations ont porté sur les conditions générales de détention. Seules trois interdictions sont formulées concernant les sujets susceptibles d’être abordés par les personnes détenues : ne pas mettre en cause un membre du personnel individuellement, ne pas évoquer sa situation personnelle et ne pas aborder les « questions de sécurité » au cours des réunions. Ces éléments de formalisation sont présentés, dans le discours du comité de pilotage, comme autant de mesures de prévention visant à éviter l’« usage stratégique » de la participation par les directions d’établissement, éphémère et peu encadré et celui d’un débordement des acteurs pénitentiaires par les revendications exprimées.

56 Au niveau national, l’expérimentation prend donc place dans un contexte marqué par une forte opposition interne à l’Administration pénitentiaire, dont la domestication est au centre de l’entreprise de légitimation du COPIL. Dans les entretiens réalisés, cela se traduit régulièrement par une mise en récit opposant un « camp réformateur », que le COPIL tente d’étendre et de fédérer autour de sa démarche [21] et d’un « camp réactionnaire », principalement illustré par les organisations syndicales pénitentiaires.

57 Si l’on déplace maintenant la focale vers le niveau des établissements, comment prend corps le processus d’institutionnalisation d’une participation des détenus à la gestion du quotidien en prison ? En rappelant les précautions méthodologiques évoquées supra, je propose, dans les paragraphes suivants, de retracer la trajectoire de l’un de ces comités, en mettant l’accent sur les formes d’investissement, de négociation, de résistance ou d’engagement des acteurs pénitentiaires qu’il a pu susciter. L’étude de la déclinaison locale de l’expérimentation au centre de détention de « Parssis » vise à illustrer les modalités, à l’échelle d’un établissement de transposition de l’entreprise de légitimation qu’elle me semble constituer. Il s’agit également, par la mise en perspective des modalités locales de résistance à ces dispositifs, de rapprocher les critiques qui leur sont adressées des contextes professionnels au sein desquels elles émergent.

La mise en place du comité de détenus de « Parssis » : stratégies de promotion et évitement de la contestation

58 Le centre de détention de « Parssis », situé en proche périphérie d’une importante agglomération française, est lui-même intégré à un centre pénitentiaire récemment mis en service et regroupant plusieurs bâtiments de détention aux régimes différents. Dès la mise en place du COPIL, le directeur adjoint chargé du centre de détention propose et obtient de participer à l’expérimentation dont il devient le principal promoteur local. Lorsqu’il revient en entretien sur les raisons de son intérêt pour la participation des personnes détenues, celui-ci m’explique qu’il découle du fait qu’il s’est « familiarisé », au cours d’une affectation précédente, avec les recommandations du Conseil de l’Europe en matière pénitentiaire. Par ailleurs, à travers son expérience passée de mobilisations de prisonniers, il m’explique être convaincu qu’il « [doit] y avoir moyen de discuter autrement avec les personnes détenues ». Il s’agit enfin, pour ce directeur adjoint, d’accompagner la « montée en charge » d’un établissement partageant, selon lui, les défauts des « nouvelles prisons ». Celles-ci « vivent mal au quotidien », du fait de leur gigantisme et de leur organisation interne : « tout est fait pour isoler les gens, […] les personnels comme les détenus ». Dès lors, la mise en place « canalisée » d’un comité « constitue un des moyens de contrer ces effets architecturaux, qui sont redoutables ».

59 Le comité expérimental est décrit comme un « conseil municipal en détention ». Les principes retenus sont ceux d’une élection d’un représentant titulaire et d’un suppléant par aile de détention et une consultation étendue à la « vie quotidienne » en détention. Après l’annonce d’une réunion à venir, les représentants élus des personnes détenues y ont la capacité de se réunir, initialement sans supervision pénitentiaire pour définir un ordre du jour, lequel est ensuite transmis pour validation et ajouts éventuels à la direction. Outre le directeur adjoint et son supérieur hiérarchique, des représentants d’association et d’aumôneries sont régulièrement invités à siéger, soit à la table, soit dans un public composé également de personnels et de détenus, de professionnels de la justice ou de membres du COPIL. Dans les premières ébauches, ce dernier prévoyait également la possibilité d’accueillir, ponctuellement ou plus régulièrement, des médias.

60 Les premières démarches qu’il effectue auprès du personnel de surveillance se heurtent rapidement à l’indifférence, ou à l’hostilité, d’une partie du personnel. Le directeur adjoint m’explique, en entretien, avoir « bien senti qu’ils n’accrochaient pas du tout sur le thème ». À ce stade, ajoute-t-il :

61

Si [le chef d’établissement] n’avait pas été favorable, je serais resté où j’en étais, je ne me serais pas lancé. Je ne suis pas fou non plus, j’ai des limites […] je ne peux pas imposer ça, moi tout seul contre l’ensemble du collectif des surveillants.

62 Les premières élections des représentants des détenus s’effectuent, de fait, dans une certaine discrétion :

63

J’ai été obligé de lancer ça sans en faire trop de publicité. Je n’ai pas battu pavillon dans tout l’établissement pour dire « venez assister aux premières élections de détenus en France en détention ». Je pense que c’était le meilleur moyen pour m’attirer les foudres de certains, des organisations syndicales notamment, des personnels qui n’aiment pas trop, je pense.

64 En décembre 2010, l’installation d’un comité au centre de détention de « Parssis » a gagné en publicité. Un premier tract de la section locale de l’UFAP, très largement majoritaire à « Parssis », dénonce « le vrai visage des comités de détenus », « antichambre syndicale de détenus » promues par un « directeur en manque de reconnaissance […] portant haut les revendications de la population pénale sans même la volonté première d’échanger avec les partenaires sociaux ».

65 La première réunion plénière du comité a ainsi lieu le 16 décembre 2011 et regroupe les représentants de l’Administration pénitentiaire et des personnes détenues, devant sept observateurs [22]. Y sont évoquées la possibilité de cantiner de la viande fraîche, les modalités de prise en charge de l’indigence au premier jour de l’entrée en détention, le coût de la location des téléviseurs, l’aménagement des cuisines et celui, à venir, de la cour de promenade de l’établissement. Plus généralement, le relevé des thématiques évoquées au cours des réunions du comité entre 2011 et 2014, souligne la prédominance de quatre thématiques : les équipements collectifs à disposition des personnes détenues (24,8 %), le fonctionnement des « cantines » et les produits qui y sont proposés (23,9 %), le maintien des liens avec l’extérieur (19,5 %) ainsi que les activités culturelles, le travail et la prise en charge éducative, somatique et psychologique (16,8 %). Cette distribution des thématiques varie largement d’un établissement à l’autre. Si, à « Parssis », le domaine de compétence du comité, celui de la « vie quotidienne » est relativement étendu, l’enquête menée en maison d’arrêt porte sur un comité explicitement dédié aux activités socioculturelle. Cet enjeu y est bien plus fortement représenté (67,3 %). Sur ces différentes thématiques, l’activité du comité semble bien plus proche de l’aide à la décision pour la direction d’établissement que de la fabrique d’évolutions concertées et négociées.

Les répertoires de la critique : au-delà de l’opposition entre « réforme » et « réaction »

66 Si aucun conflit majeur entre personnel de surveillance et de direction ne vient remettre en cause le fonctionnement du comité, les organisations syndicales rencontrées ainsi qu’une partie des personnels en uniforme, tout en prenant acte du caractère peu subversif de l’activité des comités, portent néanmoins un regard critique sur ceux-ci.

67 Ce que le responsable local de la CGT nomme l’« européanisation des prisons » constitue un premier répertoire de la critique du comité. Tous m’expliquent avoir été peu surpris par le lancement de l’expérimentation. Elle s’inscrit, plus largement, dans la continuité d’un processus amorcé en 2006 par l’adoption d’une « stratégie RPE » (Cépède, Février, 2010) initiée par Claude d’Harcourt, qui voit les recommandations du Conseil de l’Europe constituées en instrument de réforme et de légitimation de l’action pénitentiaire. Si « le comité ne soulève plus de problèmes » après un an d’activité, parmi les surveillants, cette « européanisation » lui est régulièrement associée. Outre l’idée que ce conseil actualise la formule syndicale consacrée, « tout pour les détenus, rien pour les surveillants », certains soulignent également l’« opération de communication » ou « l’énorme hypocrisie de l’administration » sur ce sujet « On nous parle de RPE, de respect de la dignité », poursuit mon interlocuteur, « et ici, on a 80 matelas au sol. L’encellulement individuel, le respect de la dignité humaine… et on les fait dormir par terre ».

68 Au-delà de ce premier registre de la critique de l’expérimentation, le responsable de la CFTC fait état de son inanité, voire des risques que les comités pourraient entraîner pour les personnels. Si la tenue de telles réunions ne constitue pas un risque en soi, elles demeurent « inutiles, parce que notre travail, nos missions, sont d’être à l’écoute des détenus. Après, qu’ils aillent rencontrer le directeur, pour moi, c’est du vent ! ». Le péril est en revanche situé dans les conséquences de ces réunions, la crainte étant que « derrière, ça n’avancera jamais ». Déclinée ici sous l’angle des conséquences sécuritaires de cette frustration, cette critique traduit également, pour certains, le peu de cas fait des demandes, jugées « raisonnables », des détenus, notamment parmi les surveillants ayant effectivement assisté à des réunions du conseil.

69 Cet argumentaire n’est pas sans lien avec un troisième registre de critique du dispositif mis en place à « Parssis », à la fois le plus représenté et le plus multiforme. Celui-ci insiste sur l’articulation conflictuelle entre logiques d’action des corps de direction et de surveillance qui se cristallisent, plus qu’ils n’émergent, à travers le fonctionnement du comité.

70 Ce dernier registre souligne une caractéristique importante du fonctionnement des différents comités que j’ai pu observer et qui est fortement représentée, à « Parssis », dans la critique interne : la manière dont ceux-ci dotent le chef d’établissement d’un levier d’intervention supplémentaire, via les représentants des détenus, dans le détail de l’organisation du quotidien en détention. Si certains y voient une influence illégitime au nom d’un laxisme supposé, d’autres mettent en avant les conflits entre cette forme d’influence et les pratiques sur lesquelles repose le maintien de l’ordre en détention.

71 Selon Guy Lemire et Marion Vacheret (Lemire, Vacheret, 2007, 96) « le directeur de prison omnipotent est devenu une figure légendaire, une espèce en voie de disparition ». Les causes de cette disparition sont à trouver dans la professionnalisation et la managérialisation de ce corps, ou encore l’illustration d’un modèle « polycentrique » de gestion carcérale, fondé sur les relations entre groupes d’intérêts en présence (Combessie, 2000 ; Stastny, Tyrnauer, 1982). Si ce constat est valide, l’analyse du fonctionnement du comité de « Parssis » invite à penser les rapports complexes entre un réinvestissement, par la direction, de la fabrique « au jour le jour » des règles de la vie quotidienne en établissement ou, ce qui revêt la même importance pratique, de la production d’une information « officielle » et les logiques professionnelles du corps de surveillance. Cette critique suggère alors la manière dont une participation institutionnalisée des personnes détenues est pensée comme susceptible de remettre en cause les formes d’adaptation dans l’application de la règle sur lesquelles repose la production de l’ordre en détention (Benguigui et al., 1994). Elle constitue, de ce fait, l’une des principales dimensions des résistances internes à l’Administration pénitentiaire par rapport à l’expérimentation contemporaine.

72 Cependant, l’opposition entre personnels de direction et de surveillance, si elle peut effectivement bloquer ou, dans une moindre mesure, influencer les discussions en comité, ne représente qu’une partie des sources de critique ou de contestation de l’expérimentation à « Parssis ».

73 La remise en cause la plus frontale viendra en effet de l’équipe de direction elle-même. Un nouveau chef d’établissement entre en fonction en 2011. Si, en entretien, celui-ci m’explique avoir eu régulièrement recours à des pratiques informelles de consultation des personnes détenues, la publicité des réunions et l’élection de leurs représentants par les détenus constituent, à ces yeux, des ajouts inutiles et nuisibles, révélateurs d’une simple opération d’« autopromotion ». Quelques mois après un mouvement collectif des prisonniers en avril 2012, en septembre, il reprend la main sur le dispositif et évince son directeur adjoint. Le nouveau responsable du centre de détention reprend donc le comité en aménageant son fonctionnement dans le sens d’une limitation de sa publicité, néanmoins réintroduite progressivement l’année suivante, à un groupe plus limité d’acteurs « internes » à la détention.

74 Si elle exprime bien un clivage idéologique et des logiques professionnelles distinctes, la critique des comités expérimentaux invite également à intégrer à la réflexion l’environnement institutionnel dans lequel ces conflits s’inscrivent. Le rapport-bilan de l’expérimentation reste, dans un premier temps, confidentiel et ne fait pas l’objet d’une communication par la DAP. Il ne leur sera accessible qu’à la veille de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive [23]. Le décret issu de l’expérimentation ne sortira que trois ans après la fin de celle-ci, sans référence à un quelconque « droit d’expression collective des personnes détenues » et décrivant un fonctionnement des comités a minima, sur le strict périmètre de l’article 29 de la loi pénitentiaire. L’entreprise de légitimation du COPIL s’achève donc sur ce que ses membres m’ont présenté alternativement comme une « défaite » liée au retrait du soutien de la DAP à l’expérimentation ou comme un « premier pas », dont la traduction matérielle dans le quotidien carcéral est, pour le moins, incertaine.

Conclusion

75 Cette contribution s’est efforcée de présenter un aperçu synthétique des diverses formes de promotion d’une participation des prisonniers et des oppositions et résistances qu’elles génèrent et catalysent. Les deux épisodes historiques qui y sont abordés diffèrent tant au niveau des acteurs et contextes de leur émergence que dans les ambitions et critiques qu’ils ont suscité. Néanmoins, considérés conjointement, ils peuvent permettre, en premier lieu, de replacer l’expérimentation « droit d’expression collective des personnes détenues » dans un processus politique réformateur, lui-même né de la forte contestation qui se développe au début des années 1970 dans les prisons françaises.

76 C’est au sein des mouvements de prisonniers de cette décennie que prend forme la revendication du droit de s’associer, et d’être associé au fonctionnement des prisons. Outil stratégique de collectivisation des résistances, cette revendication est articulée à celles d’un droit à la parole et à la responsabilité que contredit l’expérience carcérale quotidienne. Cependant, en tant que processus d’institutionnalisation d’un mouvement de contestation, elle fait rapidement l’objet de mises en causes refusant notamment la perspective d’une domestication des révoltes. Si les prémices de participation des détenus qui apparaissent, en 1975, dans le discours gouvernemental peuvent être interprétées comme une forme d’adaptation à la conflictualité carcérale de l’époque, elles traduisent également un glissement dans les politiques pénitentiaires dont les effets se prolongent jusqu’à l’expérimentation contemporaine. Elle souligne en effet la valorisation réformatrice de modes de gestion de la détention reposant sur une forme de gouvernement des conduites particulier, à travers ce que Monique Seyler (1980, 140) nomme un « espace de liberté « fonctionnel » destiné à permettre le jeu des mécanismes sociaux intégrateurs qui fonctionnent pour l’ensemble de la société ».

77 Ces premières initiatives administratives constituent ainsi tant une réponse aux stratégies militantes syndicales de prisonniers que l’illustration de l’apparition d’un nouveau « sens commun réformateur » (Vauchez, Willemez, 2007) promouvant des formes de technologie pénitentiaire jugées plus adaptées aux évolutions générales de l’action publique, aux conceptions du sens de la peine et aux évolutions tant du parc pénitentiaire que de la population qui y est incarcérée. Or, tolérée et parfois promue au niveau informel, la participation des personnes détenues cristallise les oppositions dès lors que son institutionnalisation est envisagée.

78 L’expérimentation contemporaine indique bien une évolution institutionnelle se traduisant tant dans l’ordre normatif que dans les registres de légitimation de la prison. Elle prolonge l’héritage réformateur des années 1970 et 1980, tout en en proposant une reformulation. À un premier niveau, elle actualise la croyance réformatrice en la capacité d’un gouvernement carcéral à produire la légitimité de l’ordre en prison [24]. Elle acte également la vigueur d’un registre de critique et de légitimation de la prison fondé sur la réduction de l’arbitraire carcéral et la nécessaire clarification des droits des détenus, que la loi pénitentiaire de 2009 a entendu effectuer.

79 Outre l’historicisation de l’expérimentation contemporaine, l’étude des registres de la promotion et de la critique de formes de participation des personnes détenues est en mesure de renseigner sur les différentes dimensions de la conflictualité liée à son institutionnalisation. Si l’ASPF s’est heurtée à la critique d’une possible domestication des résistances des prisonniers de la part des premiers intéressés, les dénonciations internes de l’expérimentation se centrent sur un éventuel risque sécuritaire, la déstabilisation de l’autorité des surveillants ou encore sur le caractère anecdotique des dispositifs mis en place. Par ailleurs, les rapports de force et logiques professionnelles concurrentes au sein de l’administration sont également largement mis en discours par les personnels pénitentiaires.

80 La première dimension de ces rapports de force peut se lire dans la trajectoire et dans les modalités de l’expérimentation administrative. De fait, celle-ci a fonctionné comme une entreprise de légitimation tournée avant tout vers l’Administration pénitentiaire elle-même, dans une situation de « double contrainte » entre direction administrative et organisations syndicales pénitentiaires.

81 À un second niveau, ces rapports de force s’expriment dans les articulations entre pratiques quotidiennes de gestion de la prison et gestion participative de la détention. Comme je l’ai souligné à partir de l’exemple de l’installation d’un comité de détenus au centre de détention de « Parssis », la dénonciation sur le registre idéologique et conservateur de l’expérimentation s’articule à une série d’évolutions plus larges, qu’il s’agisse de la supposée « européanisation des prisons » ou de la managérialisation de leur gestion. Plus particulièrement, la critique de l’expérimentation met en avant le rôle de logiques professionnelles concurrentes propres aux différents corps de l’Administration pénitentiaire dans le rejet de formes institutionnalisées de participation des personnes détenues. De fait, en 1975 comme aujourd’hui, l’histoire des pratiques pénitentiaires de participation des personnes détenues comme celle des projets visant à institutionnaliser ces pratiques, est avant tout celle des directeurs d’établissement.

82 Il aura peu été question, dans cette contribution, de l’expérience par les personnes détenues de formes concrètes de participation en prison. L’intérêt de l’approche proposée ici, centrée sur la promotion militante et institutionnelle d’une réforme ou d’une subversion des logiques carcérales, réside dans sa capacité à informer sur l’articulation entre projets réformateurs et subversifs prenant la participation des détenus comme enjeu. Or, à l’exception des conflits suscités par l’émergence de l’ASPF, le rôle central de la contestation interne à l’Administration pénitentiaire constitue un préalable à la compréhension du déroulement de l’expérimentation. À plusieurs égards, l’ellipse de l’expérience par les prisonniers de cette participation dans les analyses présentées fait écho au peu de poids qu’elle semble avoir eu sur les résultats du processus expérimental.

83 En 1975, Phyllis Jo Baunach et Thomas O. Murton (Baunach, Murton, 1975, xi) affirmaient que « l’idée qu’un directeur puisse partager le pouvoir décisionnaire avec le personnel et/ou les détenus est rejetée sans plus d’examen. C’est compréhensible, dans la mesure où la démocratisation de cette institution reviendrait, en fait, à la détruire ». Cette affirmation rend compte de la constance d’une opposition interne à l’Administration pénitentiaire française quant à l’institutionnalisation de formes de participation des personnes détenues. Mais, comme cet article s’est efforcé de le montrer, cette participation est également promue, et contestée, comme forme de « gouvernementalisation » de la prison (Chantraine, 2006), et de la question carcérale. Ses conséquences sont, de fait, attendues ou dénoncées tant dans le domaine des relations de pouvoir entre gardiens et gardés qu’au sein même de l’Administration pénitentiaire. ■

Bibliographie

Bibliographie

  • BAKER J. E., 1985, Prisoner participation in prison power, Metuchen (New Jersey) & London, Scarecrow Press.
  • BAUNACH P. J., MURTON T.O., 1975, Shared Decision-Making As a Treatment Technique in Prison Management, Minneapolis, Murton Foundation for Criminal Justice.
  • BENGUIGUI G., CHAUVENET A., ORLIC F., 1994, Les surveillants de prison et la règle, Déviance et société, 18, 3, 275-295.
  • BÉRARD J., CHANTRAINE G., 2013, Bastille Nation : French Penal Politics and the Punitive Turn, Ottawa, Red Quill Books.
  • BERTHIER L., NÉGRON É., PAULIAT H. (Eds.), 2013, La prison, quel(s) droit(s) ? Actes du colloque organisé à Limoges le 7 octobre 2011, Limoges, Presses Universitaires de Limoges.
  • BISHOP N., 2006, La participation des personnes détenues à l’organisation de la vie en détention, Champ pénal, 3 [en ligne].
  • BONNEMAISON G., 1989, La modernisation du service public pénitentiaire, Paris, ministère de la Justice.
  • BOUVAIST G., 2016, Un syndicat pour les détenus allemands, Le Monde Diplomatique, Janvier 2016.
  • BRUNET-LUDET C., 2010, Le droit d’expression collective des personnes détenues, Paris, Direction de l’Administration pénitentiaire.
  • BRUNET-LUDET C., 2012, Bilan de l’expérimentation. De la formalisation du droit d’expression collective des personnes détenues : réalités et perspectives, Paris, Direction de l’Administration pénitentiaire.
  • CÉPÈDE C., FÉVRIER F., 2010, Règles pénitentiaires européennes. De la prescription à la prestation : l’inscription de l’Administration pénitentiaire dans une démarche qualité, Cahiers de la Sécurité de l’Institut National des Hautes Études de la Sécurité et de la Justice, 12, 78-85.
  • CHANTRAINE G., 2006, La prison post-disciplinaire, Déviance et Société, 30, 3, 273-288.
  • CHATBI T., MENENGER N., 2009, À ceux qui se croient libres, Montreuil, L’insomniaque.
  • CHAUVENET A., 2006, Privation de liberté et violence : le despotisme ordinaire en prison, Déviance et société, 30, 3, 373-388.
  • CHEVALLIER J., 2005, Politiques publiques et changement social, Revue française d’administration publique, 115, 3, 383-390.
  • CNCDH 2004, Étude sur les droits de l’homme dans la prison, La Documentation Française.
  • COMBESSIE Ph., 1996, Prisons des villes et des campagnes : étude d’écologie sociale, Paris, Éditions de l’Atelier.
  • COMBESSIE Ph., 2000, L’ouverture des prisons… Jusqu’à quel point ?, in LHUILIER, D., VEIL, C. (Eds.), La prison en changement, Paris, Erès, 66-99.
  • COMITÉ POUR UNE CHARTE DES LIBERTÉS 1976, Liberté, libertés. Réflexion du comité pour une charte des libertés animé par Robert Badinter, Paris, Gallimard.
  • CONSEIL DE L’EUROPE 1973, Résolution (73) 5 du Comité des ministres aux États membres sur l’Ensemble des règles minima pour le traitement des détenus, adoptée le 19 janvier 1973, Strasbourg, Conseil de l’Europe.
  • CONSEIL DE L’EUROPE 2006, Règles pénitentiaires européennes, Strasbourg, Éditions du Conseil de l’Europe.
  • COSYPE 1982, Le Lobby Pénitentiaire, Paris, Syndicat de la Magistrature.
  • DIRECTION DE L’ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE 1992, Rapport du groupe de travail de l’Administration pénitentiaire sur l’étude des longues peines et la gestion des longues peines, Paris, SCERI.
  • EDGAR K, SOLOMON E., 2004, Having their say : the work of prisoners’ councils, London, Prison Reform Trust.
  • FAGART T., 1982, Une situation bloquée, Déviance et société, 6, 4, 403-413.
  • FAVARD J., 1981, Le labyrinthe pénitentiaire, Paris, Centurion.
  • FLOCH J., MERMAZ L., 2000, Rapport de la commission d’enquête no 2521 sur la situation dans les prisons françaises, Paris, Assemblée Nationale.
  • FOUCAULT M., 1975, Surveiller et punir : naissance de la prison, Paris, Gallimard.
  • GOLDSMITH-KASINSKY R., 1977, A critique on sharing power in the total institution, Prison Journal, 57, 2, 56-62.
  • GOURGUES G., 2013, Les politiques de démocratie participative, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble.
  • GROUPE D’INFORMATION SUR LES PRISONS 1972, Cahiers de revendications sortis des prisons lors des récentes révoltes, Paris, GIP.
  • HUFF C. R., 1974, Unionization behind the walls : An analytic study of the Ohio Prisoners’ Labor Union movement, Ohio State University, PhD Thesis.
  • LASCOUMES P., 2007, L’usager dans le système de santé : réformateur social ou fiction utile ? Politiques et management public, 25, 2, 129-144.
  • LEMIRE G., VACHERET M., 2007, Anatomie de la prison contemporaine, Montréal, Presses de l’Université de Montréal.
  • MATHIESEN T., 2014, The politics of abolition revisited, New York, Routledge.
  • MILHAUD O., 2015, L’enfermement ou la tentation spatialiste. De « l’action aveugle, mais sûre » des murs des prisons, Annales de géographie, 702-703, 140-162.
  • ORGANISATION DES NATIONS UNIES 1955, Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus, New York, Nations Unies.
  • PICCA G., 1973, Faut-il démocratiser les prisons ?, Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, 4, 927-932.
  • ROSTAING C., 2008, L’expression des détenus : formes, marges, marges de manœuvres et limites, in PAYET P., GIULIANI F., LAFORGUE D. (Eds.), La voix des acteurs faibles. De l’indignité à la reconnaissance, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 121-138.
  • SEYLER M., 1980, La banalisation pénitentiaire ou le vœu d’une réforme impossible, Déviance et société, 4, 2, 131-147.
  • SOULIÉ C., 1995, Liberté sur paroles : contribution à l’histoire du Comité d’action des prisonniers, Bordeaux, Analis.
  • SPIRE J., 1990, La détention à Fresnes durant la guerre d’Algérie, in CARLIER C., SPIRE J., WASSERMAN F. (Eds.), Fresnes, la prison. Les établissements pénitentiaires de Fresnes : 1895-1990, Fresnes, Écomusée de Fresnes, 100-111.
  • STASTNY C., TYRNAUER G., 1982, Who rules the joint ? Changing political culture of maximum-security prisons in America, Lexington, Lexington Books.
  • TIBBS D., 2012, From black power to prison power : The Making of Jones v. North Carolina Prisoners’ Labor Union, New York, Palgrave Macmillan.
  • VAUCHEZ A., WILLEMEZ L., 2007, La justice face à ses réformateurs, Paris, Presses Universitaires de France.

Mise en ligne 29/03/2018

https://doi.org/10.3917/ds.421.0207

Notes

  • [1]
    Je reprends par ailleurs, dans cet article, l’appellation générale de « comités de détenus » qu’il propose. Celle-ci n’est pas employée par les acteurs de l’expérimentation, chaque dispositif recevant une dénomination choisie au niveau local.
  • [2]
    Sur l’exemple de la guerre d’Algérie et des pratiques de mobilisation qu’elle a pu occasionner, on peut par exemple se référer aux travaux de Juliette Spire (Spire, 1990).
  • [3]
    Les centres de détention sont des établissements pénitentiaires procédant de la classification introduite en 1975. Ils incarcèrent les condamnés à un an ou plus considérés comme présentant de meilleures perspectives de réinsertion.
  • [4]
    Les noms des établissements ont été anonymisés. Cette enquête de terrain a porté sur trois établissements pénitentiaires, sélectionnés en raison de leur type (une maison d’arrêt, un centre de détention, un centre de semi-liberté) et de leur plus ou moins grande proximité par rapport à l’expérimentation nationale.
  • [5]
    L’« affaire Buffet-Bontems », en 1971, désigne la prise d’otage intervenue à la maison centrale de Clairvaux, attribuée à Claude Buffet et Roger Bontems, qui se solde par l’exécution d’un surveillant et d’une infirmière, ainsi que leur condamnation à mort l’année suivante et leur exécution en 1972, leur demande de grâce ayant été rejetée par le président Pompidou.
  • [6]
    Journal des prisonniers, 1973, 7, p. 8.
  • [7]
    In North America, the development of prisoners’ unions was concurrent with the inability of the inmate advisory councils to effect meaningful change within prison institutions.
  • [8]
    Il n’est alors pas question de reconnaître un droit d’expression collective aux personnes détenues.
  • [9]
    Circulaire B.25 du 26 mai 1975.
  • [10]
    Y étaient représentés : l’Autriche, la Belgique, Chypre, le Danemark, la Finlande, la France, l’Irlande, l’Italie, le Japon, le Luxembourg, la Norvège, la Nouvelle-Zélande, les Pays-Bas, le Portugal, la République d’Afrique du Sud, la République Fédérale d’Allemagne, le Royaume-Uni, la Suède, l’ONU et le Conseil de l’Europe.
  • [11]
    Libération, 14 décembre 1982.
  • [12]
    La Coordination syndicale pénale (COSYPE) regroupe, au début des années 1980, plusieurs associations et syndicats actifs dans le champ pénitentiaire, dont la principale étude, Le lobby pénitentiaire (COSYPE, 1982) entend décrypter les causes de l’« immobilisme » carcéral et des rapports de force internes à l’Administration pénitentiaire.
  • [13]
    L’émission est retranscrite dans Le Monde Libertaire du 2 mai 1985.
  • [14]
    Le Monde, 17 février 1986.
  • [15]
    Pour une étude approfondie du fonctionnement effectif de dispositifs similaires et de leur diversité, on peut se reporter à l’étude du Prison Reform Trust réalisée par Kimmett Edgar et Enver Solomon portant sur les prisoners’ councils mis en place dans certaines prisons britanniques (Edgar, Solomon, 2004).
  • [16]
    L’article 27 de la même loi pénitentiaire dispose en effet : « Toute personne condamnée est tenue d’exercer au moins l’une des activités qui lui est proposée ».
  • [17]
    On peut évoquer, entre autres, les lois du 2 janvier et du 4 mars 2002, concernant respectivement les secteurs social et médico-social d’une part, le système de santé d’autre part, et prévoyant notamment la création d’instances de représentation des usagers. Pour une discussion sur les enjeux de la participation des usagers au système de santé, on peut se reporter aux analyses proposées par Pierre Lascoumes (2007).
  • [18]
    Les ERIS, créées en 2003 par Dominique Perben dans la foulée d’une succession de révoltes et tentatives d’évasions qui marquent les premières années de la décennie, constituent une unité d’intervention sollicitée en cas de trouble à l’ordre carcéral ou dans la supervision d’opérations de fouilles générales ou sectorielles d’établissements.
  • [19]
    On retrouve ici l’idée, récurrente dans le discours des personnels pénitentiaires, selon laquelle l’institutionnalisation de la participation des détenus aboutirait, in fine, à renforcer la position de personnes détenues exerçant un pouvoir jugé illégitime sur une partie de la population carcérale.
  • [20]
    Celui-ci regroupe à l’origine 16 membres, trois représentants de l’administration centrale, sept des services déconcentrés et locaux ainsi que six membres extérieurs. Parmi ceux-ci, deux personnes contactées par Cécile Brunet-Ludet en raison de leur implication dans le déploiement de formes de « démocratie sanitaire » dans les champs du travail social et médico-social.
  • [21]
    Cette stratégie d’enrôlement s’étendra, par ailleurs, à l’École nationale de l’administration pénitentiaire, considérée comme un acteur-clé du projet réformateur, puisque chargée de l’enseignement délivré aux cohortes de personnels pénitentiaires, ainsi qu’aux associations du monde prison-justice, sans réel succès dans les deux cas.
  • [22]
    On retrouve parmi ceux-ci deux membres du secours catholique, un membre de l’association gérant l’accueil des familles à l’entrée du centre pénitentiaire, une conseillère d’insertion et de probation, un enseignant, un surveillant et l’une des autres directrices adjointes de l’établissement.
  • [23]
    Organisée les 14 et 15 février 2013 sous l’égide de la garde des Sceaux Christiane Taubira, la conférence de consensus sur la prévention de la récidive entendait proposer, par la mise en commun d’expertises principalement associatives, syndicales, professionnelles et scientifiques, un ensemble de réformes pénales et pénitentiaires.
  • [24]
    On pourrait à ce titre parler de gouvernementalisme, en écho à la notion de spatialisme telle qu’elle a été appliquée aux politiques pénitentiaires par Olivier Milhaud (Milhaud, 2015). Celle-ci désigne la croyance en la capacité d’une configuration spatiale à dépasser les contradictions sociales de la prison, on peut. De manière récurrente, depuis l’émergence d’un discours réformateur sur la prison et plus particulièrement en ce qui concerne l’introduction de formes de participation des personnes détenues en prison, la tentation de replier la question carcérale sur celle du « bon » mode de gouvernement des conduites constitue un élément de permanence.
bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.14.81

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions