Notes
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[1]
En l’occurrence, par la loi no 2002-1138, dite Perben 1 et par la loi no 2004-204 du 9 mars 2004, dite Perben 2. Nous évoquons plus loin l’une et l’autre de ces réformes.
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[2]
Concrètement, cette compétition est rendue possible par la publication des statistiques des juridictions auxquelles ont accès tous les magistrats et sur lesquelles les procureurs, chefs de parquet, peuvent mettre plus ou moins l’accent dans les consignes données à leurs subordonnés. Cette concurrence est aujourd’hui encore facilitée par la possibilité d’un accès permanent aux statistiques par juridiction par le biais de l’intranet du ministère de la Justice, les différentes juridictions étant classées en quatre catégories en fonction de leur taille. Chaque magistrat peut alors y trouver le classement de sa propre juridiction par rapport aux autres.
-
[3]
Pour davantage de précisions sur le dispositif méthodologique, on pourra lire le rapport de l’étude Douillet et al., 2015.
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[4]
Pour être plus précis, le nombre de CPV était trop faible pour que l’on puisse traiter seule cette procédure. Il fallait donc la regrouper avec une autre procédure présentant des traits analogues. Parmi les critères entrant en ligne de compte, l’existence d’un déferrement pour les CPV aurait pu justifier qu’on les regroupe avec les CI. Le critère de la sévérité de la peine place les CPV entre la procédure de comparution immédiate et les COPJ. Enfin, le critère de non-immédiateté du jugement incite plutôt à regrouper les CPV avec les COPJ plutôt qu’avec les CI. En somme, il y a nécessairement une part d’arbitraire dans ce classement. En définitive, nous avons fait le choix de regrouper les CPV avec les COPJ, considérant important le critère de non-immédiateté du jugement. Certes, les délais de jugement des CPV sont plus courts que ceux des COPJ, mais nous avons considéré ici que l’existence du délai, commun avec les COPJ, constituait un critère justifiant ce regroupement plutôt qu’avec les CI.
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[5]
La notion de « garanties de représentation » désigne tout élément permettant de justifier qu’un prévenu se présentera bien devant le tribunal en cas de convocation. En conséquence, le fait de pouvoir prouver que l’on dispose d’une adresse fixe, ce qui est plus rare pour les individus sans domicile fixe et pour les étrangers non-résidents en France ou étant en situation irrégulière, réduit les chances de passer en comparution immédiate grâce à cette « garantie de représentation » (Aubusson de Cavarlay, 1985 ; Faget, 2008).
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[6]
Pour être tout à fait exact, l’organisation du tribunal de Lille connaît de premières évolutions après le vote de la loi Perben 2 pour enfin se fixer à partir du début de l’année 2005 sur le modèle organisationnel existant au moins jusqu’à la fin des années 2000.
L’organisation qui existe dans la seconde partie de l’année 2004 est donc un modèle organisationnel hybride entre celui qui existe auparavant et celui qui suit à partir de l’année suivante. -
[7]
Nous pouvons rejeter l’hypothèse d’indépendance entre le jour du jugement et les propriétés sociales des prévenus (p < 0,01).
-
[8]
Ici : p > 0,2.
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[9]
Ici : p > 0,2.
-
[10]
On y passe d’une moyenne annuelle de 1129 comparutions immédiates de 2000 à 2003 à 1070 entre 2005 et 2009.
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[11]
Notons que cette estimation doit être relativement fiable si l’on considère que, pour les autres procédures, pour lesquelles nous disposons des données réelles, de telles estimations théoriques donneraient globalement des estimations assez satisfaisantes.
-
[12]
Nous rapportons la part des comparutions immédiates pour les prévenus déjà condamnés à la part des comparutions immédiates pour les prévenus jamais condamnés.
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[13]
Précisons cependant qu’en dépit d’une nette tendance à la hausse, on observe deux creux, en 2006 et en 2009, dont l’explication peut résider à la fois dans des spécificités propres à ces années comme à des biais de notre échantillon.
Introduction
1 En conclusion d’un article publié en 2010 dans la revue Politiques et management public, Alain-Gérard Cohen, inspecteur général des finances, affirme alors que « gérer l’État au plus près d’une entreprise, n’est ni une prise de position idéologique, ni un vœu pieux. C’est avant tout une question de bon sens, qu’aucun régime politique ne peut vraiment refuser ». Il poursuit : « Qui peut sérieusement contester, surtout dans les temps difficiles qui sont les nôtres, qu’il n’est pas possible de faire n’importe quoi avec l’argent des contribuables ou celui des donneurs et qu’un minimum de règles qui inspirent la gestion privée doit s’imposer à l’État. » (Cohen, 2010, 108). Présentée ainsi, la nécessité d’importer les méthodes du privé à l’État peut difficilement apparaître autrement que comme une évidence.
2 C’est de la manière de poser la question du développement des outils de la nouvelle gestion publique que naît cette interprétation. En posant la question en des termes uniquement techniques et pragmatiques, A.-G. Cohen, à l’instar de nombre des promoteurs de la doctrine, contribue à l’euphémisation des enjeux politiques (Vigour, 2006) en présentant l’importation des méthodes managériales du privé sous les atours du plus évident bon sens. L’objet de cet article est précisément de questionner, à travers l’exemple de la justice pénale et de la pratique des comparutions immédiates en particulier, les impensés d’une conception uniquement axée sur le registre technique de réformes dont les conséquences dépassent la seule question de sa capacité à atteindre les objectifs qui lui sont assignés en étudiant ses effets dans l’orientation des mis en cause et, ce faisant, sur les destinées pénales des individus.
3 Généralement présentée comme une réponse aux problèmes usuellement associés à la bureaucratie (rigidité, manque d’efficacité, etc.), notamment par l’introduction de méthodes « managériales » issues du secteur privé dans l’optique de transformations internes (organisationnelles, culturelles et identitaires) des services (Bezes, 2009), la nouvelle gestion publique se caractérise notamment par la mesure et la rétribution de supposées performances et par l’attention portée à la satisfaction d’une « clientèle », mais demeure cependant une doctrine protéiforme (Peters, 1996) pouvant désigner des réalités concrètes très différentes.
4 En matière de justice, l’émergence de cette doctrine s’est notamment focalisée sur une critique de la lenteur de l’institution. Longtemps considérées comme les garantes de la qualité de la justice, la lenteur et la précaution ont ainsi progressivement perdu de leur valeur pour être de plus en plus fréquemment perçues comme faisant partie des principales causes d’éventuels dysfonctionnements judiciaires (Vauchez, Willemez, 2007). La rapidité des décisions est désormais justifiée au principe selon lequel « rapprocher autant que possible le temps de la sanction de celui de l’infraction […] permettrait de rendre apparente la préoccupation affichée par la justice pour les victimes » (Bastard et al., 2015, 272) quand la lenteur de la justice contribuerait à la perte de légitimité et de sens des décisions auprès des justiciables (Brunet, 1998 ; Bastard, Mouhanna, 2007). Articulée à une seconde critique de l’« impunité » dont feraient l’objet certains délinquants, la mise en cause de la lenteur judiciaire a amené à faire de la procédure de comparution immédiate, qui garantit pouvoir de coercition et célérité, un outil central de la « modernisation » de l’institution judiciaire.
5 La procédure de comparution immédiate se caractérise d’abord par sa rapidité puisqu’elle permet en principe le jugement d’un individu immédiatement après sa garde à vue. Elle présente également une spécificité légale coercitive puisqu’elle est la seule procédure qui permette le placement sous mandat de dépôt, c’est-à-dire l’incarcération immédiate, quelle que soit la durée de l’emprisonnement ferme prononcé. Ces spécificités expliquent dès lors que la procédure ait été largement encouragée par les différents ministères de la Justice au début des années 2000 et par des réformes législatives visant à en favoriser le recours [1] et qui ont été justifiées par la lutte contre l’impunité ou contre la lenteur de l’institution. En conséquence, la procédure a connu une croissance très importante au début des années 2000 : alors que la statistique du ministère de la Justice relève 31695 comparutions immédiates en 2001, elle en compte 46601 pour l’année 2005, ce qui correspond à une croissance de 47 %.
6 Après avoir rapidement présenté les travaux existants sur la nouvelle gestion publique afin de rendre compte de l’intérêt de notre propre perspective, nous reviendrons ensuite sur le développement d’une logique concurrentielle entre les juridictions (par le truchement de leurs magistrats) laquelle est le produit de l’émergence de principes gestionnaires concevant les pratiques des agents de l’État en termes de « performances ». Le développement du recours aux données statistiques de l’activité des juridictions, conçues comme instruments de mesure de l’efficacité des juridictions, a eu pour conséquence de déplacer l’attention des magistrats vers le résultat statistique comme constituant un enjeu essentiel. En conséquence, les objectifs prioritaires du ministère de la Justice font l’objet d’une attention particulière ce qui engendre une dynamique concurrentielle entre juridictions qui se matérialise par le fait que chaque magistrat fait en sorte que sa juridiction présente des « résultats » proches de ceux des juridictions qui présentent les plus avantageux. En matière de comparution immédiate, cela a abouti à une augmentation globale du volume de comparutions immédiates qui a été alimentée en premier lieu par les juridictions qui recouraient le moins à cette procédure. Ceci a deux conséquences principales. D’abord, le recours aux comparutions immédiates a tendu vers une homogénéisation des usages entre les différentes juridictions. Ensuite, cela a impliqué de profondes réorganisations judiciaires, ce qui s’est souvent concrétisé par la création d’audiences dédiées aux comparutions immédiates au cours des années 2000 ou tout au moins par des transformations de l’organisation de ces audiences.
7 Nous objectiverons dans une dernière partie les effets de ces transformations organisationnelles d’inspiration gestionnaire sur les profils des prévenus qui sont jugés par ce biais en étudiant dans quelle mesure ces réorganisations ont un impact sur les décisions d’orientation prises par les magistrats du parquet. La doctrine de la nouvelle gestion publique se présente ainsi comme une philosophie « de bon sens », politiquement neutre, et, en conséquence, les éventuels effets indirects induits par ces transformations organisationnelles constituent des impensés. Nous montrerons que la juridiction lilloise transforme l’organisation de ses audiences après le vote de la loi Perben 2 du 9 mars 2004. Le fait de passer d’une organisation où les comparutions immédiates se concentrent les lundis et les vendredis à un autre mode d’organisation qui permet que les comparutions immédiates soient jugées tous les jours de la semaine de manière égale, a pour conséquence de favoriser les poursuites par le biais de cette procédure des prévenus déjà condamnés et de ceux de nationalité étrangère. Or, ceci n’est pas sans enjeu, notamment parce que les peines prononcées en comparution immédiate sont toutes choses étant égales par ailleurs plus sévères (Douillet et al., 2015). Il s’ensuit que certaines populations en particulier voient augmenter leurs risques d’être jugées par une voie procédurale plus répressive.
8 Cette démonstration s’appuie sur deux sources distinctes. D’abord, l’objectivation de la dynamique concurrentielle s’appuie sur la mobilisation et la mise en perspective des statistiques du ministère de la Justice en matière d’activité des juridictions sur la période 2000-2005, lesquelles nous permettent de montrer comment les statistiques d’une juridiction donnée, en tout cas pour celles qui sont jugées prioritaires, tendent à s’aligner sur celles des autres juridictions françaises. Ensuite, nous nous appuyons sur des données statistiques relatives aux poursuites devant le tribunal correctionnel que nous avons produites suite à la collecte de minutes de jugement de la juridiction lilloise sur la période 2000-2009.
9 Ce matériau nous permet de mettre en perspective l’évolution des poursuites constatées à Lille au cours des années 2000 en la resituant en fonction des transformations organisationnelles alors observées. Ces données ont été collectées dans le cadre d’une recherche financée par le GIP Mission droit & justice, laquelle a fait l’objet d’un rapport de recherche publié depuis (Douillet et al., 2015). La manière dont ces deux types de données ont été traités est développée dans chacune des parties correspondantes.
État de l’art : légitimation et effets de la nouvelle gestion publique
10 Encore marginales il y a une dizaine d’années, les recherches qui étudient les relations entre le développement des principes managériaux au sein des administrations et la justice sont aujourd’hui légion. Nous ne prétendons pas ici dresser un état de l’art exhaustif, mais nous ambitionnons de présenter certaines des tendances observables dans l’analyse de l’émergence des principes gestionnaires au sein des administrations concernées par les problématiques de la justice pénale afin de définir notre propre positionnement.
11 Certaines recherches ont porté une attention toute spécifique aux effets de l’introduction d’indicateurs chiffrés visant à mesurer les performances (Bruno, 2008). Pierre Thévenin a par exemple étudié comment l’introduction de ces indicateurs a transformé les usages de la « discrétion policière ». Il souligne que cette nouvelle exigence vient ajouter la prise en compte du « chiffre » à l’opération de police, qui était jadis le moment d’une rencontre entre le droit et les faits (Thévenin, 2016, 180). Concrètement, cela signifie que l’instauration d’un management par le chiffre confisque à l’agent une part de sa discrétion, la comptabilité des décisions entrant désormais en ligne de compte comme critère de détermination de l’opportunité de la décision. Cette approche nous intéresse en ce qu’elle questionne les usages de la comptabilité comme instrument de mesure des performances et de leurs effets. Nous nous inscrivons ici dans ce type de questionnement en montrant dans la partie suivante comment l’introduction d’indicateurs de performance a entraîné les différentes juridictions françaises dans une dynamique concurrentielle engendrant une réorganisation des audiences mais aussi pesant en elle-même dans le choix par le magistrat de l’orientation d’une affaire.
12 Nous avons également porté une attention certaine aux rares recherches qui ont étudié la relation entre nouvelle gestion publique et organisation des tribunaux. Benoît Bastard et Christian Mouhanna ont pour leur part travaillé sur l’émergence et la diffusion de la doctrine du traitement en temps réel des affaires pénales (TTR) au sein des différentes juridictions françaises (Bastard, Mouhanna, 2007). Concrètement, des permanences téléphoniques permettant aux policiers de rendre immédiatement compte d’une affaire ont été mises en place dans chaque parquet de France permettant qu’une affaire fasse l’objet d’une orientation le plus rapidement possible après la commission d’une infraction (Lemesle, Pansier, 1998). B. Bastard et C. Mouhanna ont ainsi montré que les différents parquets français ont été astreints à de profondes réorganisations. Quant aux effets de ces décisions sur les pratiques des magistrats, ils font notamment l’hypothèse que ce type d’organisation favoriserait une standardisation des décisions, laquelle va à l’encontre du principe judiciaire de personnalisation des décisions (Bastard, Mouhanna, 2007), interprétation qui a ensuite été réitérée (Garapon, 2010 ; Gautron, 2014). Notre contribution s’inscrit également dans le prolongement de ce type d’approche à travers l’étude de l’effet de la création d’audiences de comparutions immédiates justifiée au nom d’une rationalisation gestionnaire de l’activité des tribunaux.
13 D’autres recherches ont questionné la manière dont les principes d’ordre judiciaire et juridique s’articulent aux principes gestionnaires et la façon dont ces derniers se légitiment. La plupart des études constatent les incompatibilités existantes entre les uns et les autres comme l’importance croissante prise par les seconds. Il est ainsi attesté que les principes gestionnaires de productivité ont considérablement gagné en légitimité en bénéficiant de l’aura de la « modernité » (Mouhanna, Bastard, 2010). D’autres recherches ont montré que cette légitimation n’a pas été sans résistance et que l’argument managérial ne s’impose qu’à la condition de s’articuler à des arguments juridiques et judiciaires (Dumoulin, Licoppe, 2015 ; Bastard et al., 2015). Loin de s’imposer uniformément et rapidement, la légitimation et l’importation des principes de la nouvelle gestion publique exigent des conditions bien spécifiques au cours d’un processus qui se construit sur le long terme.
14 Dans la continuité de ces travaux, différentes recherches ont étudié le rôle des logiques managériales dans l’euphémisation des enjeux politiques des réformes. Les impératifs de productivité ont ainsi été légitimés par leur présentation sous les atours de la neutralité justifiée au nom de la technicité des outils gestionnaires (Vigour, 2006). Les solutions managériales techniques ont par exemple permis d’apporter des réponses, plus ou moins satisfaisantes, au problème de surpopulation pénitentiaire, aboutissant à l’évacuation de la question du contexte sécuritaire ambiant dans les débats sur cette problématique (Devresse, 2013, 357). Nora El Qadim (2013) fait un constat analogue en montrant comment l’argumentaire managérial contribue à euphémiser la dimension politique du contentieux des étrangers ainsi que la dimension politique de la réforme de la justice administrative. Ici encore, notre contribution s’inscrit dans la lignée de ce type de problématiques puisque l’on vient examiner comment un dispositif présenté et légitimé comme technique vient potentiellement affecter les processus décisionnels et peser de manière différentielle sur les destinées des prévenus.
Les juridictions prises dans la dynamique concurrentielle
15 Comme nous l’avons précisé plus haut, la légitimation croissante des principes de la nouvelle gestion publique s’est notamment traduite par l’introduction d’indicateurs dans la mesure des « performances » des juridictions. Si ces indicateurs ont été institutionnalisés dans le cadre de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), il faut également souligner que l’utilisation de données statistiques dans une optique d’évaluation a précédé cette institutionnalisation qui entérine des transformations paradigmatiques préexistantes plutôt qu’elle serait l’origine même d’une culture de l’évaluation des « performances ».
16 En matière d’indicateur implicite des « performances » des juridictions, le taux de comparutions immédiates s’est imposé dès le début des années 2000 comme l’un des principaux aux côtés du « taux de réponse pénale », qui devient progressivement l’indicateur-phare de l’« efficience » judiciaire (Vauchez, 2008). La raison de l’importance prise par les comparutions immédiates tient d’abord au fait que les critiques portées à l’encontre de la justice s’appuient largement sur une rhétorique mettant en avant sa lenteur supposée (Mouhanna, Bastard, 2010) valorisant de ce fait une procédure qui permet théoriquement de juger un prévenu immédiatement après sa garde à vue. Du point de vue législatif, cette valorisation de la procédure d’urgence justifiera qu’elle soit réformée à deux reprises, d’abord par l’extension de son champ d’application par le biais de la loi Perben 1 du 9 septembre 2002, puis, avec la loi Perben 2 du 9 mars 2004, par l’extension de deux à trois jours du délai de détention provisoire en attente du jugement en comparution immédiate en cas d’impossibilité pour le tribunal de se réunir le jour même.
Une concurrence fonction du nombre de concurrents et de leur niveau de « performance »
17 Au-delà de ces réformes législatives, sur lesquelles nous revenons plus loin, il faut également souligner que l’encouragement au recours aux comparutions immédiates a été associé à des incitations via des circulaires ministérielles mais aussi à travers la mise en concurrence des juridictions qui favorise une inflation du recours à la procédure, spécialement là où on n’y recourait peu. Il s’ensuit une croissance plus ou moins généralisée des comparutions immédiates et tout particulièrement dans les juridictions où l’on y recourait peu, dans une tendance vers l’homogénéisation des taux de comparutions immédiates des différentes juridictions. S’il existe une tendance à l’homogénéisation, de fortes disparités demeurent encore, et la pression exercée sur les juridictions quant à leur usage des comparutions immédiates a été variable dans l’espace et dans le temps. Dans le cadre de cette « compétition pour les comparutions immédiates », il faut en effet distinguer ce qui relève d’une concurrence nationale et ce qui relève de la concurrence interne au ressort de la cour d’appel [2].
18 Au niveau de la concurrence nationale, on trouve un premier élément d’explication aux variations différenciées dans l’accroissement du recours à la procédure d’urgence selon les juridictions. La comparaison à l’échelle nationale se faisant par groupes de juridictions classées selon leurs tailles respectives, les magistrats d’une juridiction donnée ne font pas l’objet d’une même pression selon le nombre de leurs « concurrents » et les « résultats » que ces derniers présentent. C’est en partie pour cette raison que la pression est moins forte dans les plus grandes juridictions. En effet, dans celles-ci, les taux de comparution immédiate sont élevés, dès le début des années 2000, et les écarts entre les juridictions sont faibles. Or, dans cette « compétition », c’est moins le fait d’être la plus performante des juridictions qui constitue l’objectif que d’être à peu près à la hauteur des juridictions les plus performantes : en conséquence, de faibles contrastes incitent peu au développement des comparutions immédiates et favorisent une stagnation.
19 Inversement, dans les tribunaux de taille plus modeste, la plupart des juridictions recourent peu aux comparutions immédiates, mais il existe aussi de forts contrastes. Par exemple, en 2001, 9 % des affaires poursuivies devant le tribunal correctionnel à Saint-Omer sont des comparutions immédiates quand cette proportion n’est que de 0,4 % à Saint-Dié dont le volume d’activité est pourtant similaire. Dans ce contexte, la concurrence entre juridictions impose une forte pression dans les juridictions dont les taux sont les plus faibles, les incitant à de fortes augmentations.
20 Ensuite, l’évolution du nombre de comparutions immédiates initiée dans une juridiction est également étroitement dépendante de ses homologues dans sa cour d’appel ce qui peut s’expliquer en premier lieu par le fait que les différents procureurs généraux donnent des consignes similaires aux juridictions du ressort de leur cour d’appel. Les observations réalisées en juridiction montrent en outre que les magistrats portent une attention particulière aux statistiques de leur propre cour d’appel, ce qui contribue à alimenter une concurrence entre les différentes juridictions locales.
21 Ici réside une seconde explication aux pressions différenciées qui s’imposent aux juridictions. Ainsi, plus une cour d’appel compte un nombre élevé de juridictions, plus ses magistrats sont incités à développer les comparutions immédiates. La comparaison du recours aux comparutions immédiates selon le nombre de juridictions de la cour d’appel sur la période de forte croissance du recours à la procédure (entre 2001 et 2005) montre que les juridictions qui sont composées de une à trois juridictions (soit celles qui connaissent le moins de concurrents) sont celles qui connaissent les plus faibles croissances de la procédure. Les cours d’appel qui ont entre six et huit juridictions (soit le second groupe de cours d’appel en termes de nombre de concurrents) connaissent la croissance la plus importante.
22 Les juridictions qui sont incluses dans des cours d’appel regroupant plus de huit juridictions (soit celles qui ont le plus de concurrents) se situent cependant seulement à la troisième place des quatre groupes de juridictions, ce qui semble a priori contredire notre hypothèse. Ceci étant, comme nous l’avons indiqué, un nombre important de concurrents n’est pas une condition suffisante pour entraîner le développement des comparutions immédiates. Il faut également que ces concurrents réalisent de meilleures « performances ». Or, le groupe des cours d’appel regroupant plus de huit juridictions est composé de nombre de grandes juridictions qui connaissent déjà un niveau élevé de comparutions immédiates en 2001, dont celles de Paris et de Bobigny, les deux « meilleures » en la matière. En ôtant la cour d’appel de Paris, dont la concurrence interne pousse davantage à une stagnation du recours aux comparutions immédiates, la croissance du recours à la procédure sur la période s’établit alors à 55,7 % sur la période 2001-2005.
Comparutions immédiates selon le nombre de juridictions par cour d’appel (2001-2005)
Nombre de TGI par cour d’appel | 2001 | 2002 | 2003 | 2004 | 2005 | Croissance (2001-2005) |
1à3 | 1702 | 2035 | 1998 | 1816 | 1799 | 5,7 % |
4 ou 5 | 8124 | 10285 | 11042 | 11685 | 12847 | 58,1 % |
6à8 | 6873 | 8703 | 9845 | 10730 | 11806 | 71,8 % |
9 et + | 14852 | 17063 | 18919 | 18680 | 19932 | 34,2 % |
Comparutions immédiates selon le nombre de juridictions par cour d’appel (2001-2005)
23 Il faut enfin souligner que la concurrence interne à une cour d’appel est plus forte avec les juridictions de taille comparable. Nous faisons ici l’hypothèse que cette concurrence est d’autant plus forte dans les cours d’appel dont les juridictions présentent des morphologies comparables car l’hétérogénéité rend plus difficile la comparaison et, ce faisant, le sentiment de mise en concurrence qui est au principe même de la pression effective au développement de la procédure. Cette dimension concurrentielle n’est bien sûr que l’une des multiples dimensions qui entrent en ligne de compte dans la définition d’une politique pénale, les procureurs n’ayant pas en permanence les yeux rivés sur leurs « performances ». Il s’agit pourtant d’un élément que tous ont en tête, et qu’ils mettent régulièrement en avant lors des cérémonies des vœux qui ont lieu dans tous les tribunaux au début de chaque année civile.
Objectivation de la dynamique concurrentielle : le cas de la cour d’appel de Douai
24 Afin d’illustrer notre interprétation, nous avons constitué un modèle qui vise à objectiver la « compétitivité » de chacune des juridictions en fonction de leurs concurrents. Partant de ces différentes considérations, nous avons constitué un indicateur synthétique de concurrence prenant en compte : i) la concurrence entre les juridictions de taille équivalente au niveau national ; ii) la concurrence entre l’ensemble des juridictions d’une même cour d’appel ; iii) la concurrence entre les juridictions de taille équivalente au sein d’une même cour d’appel. Pour les deux premières dimensions, chaque juridiction s’est vue attribuer un indice de compétitivité en matière de comparutions immédiates calculé suivant la formule suivante : part des comparutions immédiates sur l’ensemble des affaires poursuivies devant le tribunal correctionnel/part des CI de la juridiction médiane du groupe de référence. La mesure de la troisième dimension est plus complexe, notamment parce qu’elle implique un nombre très réduit de juridictions comparées. Il se pose ainsi par exemple la question des juridictions de Lyon et de Lille, sans juridiction réellement comparable au sein de leurs cours d’appel respectives. Dans ce cas, nous leur avons attribué un indice de 1. Dans le cas où seulement deux juridictions seraient très proches, cas de figure très fréquent, l’indice est calculé en rapportant le taux de comparutions immédiates d’une des juridictions sur celui de son concurrent.
25 Le modèle que nous produisons ici repose sur les données statistiques fournies par le ministère de la Justice en matière d’activité des juridictions. Il est possible d’émettre des doutes quant à la fiabilité de ces données, mais, même dans cette hypothèse, ceci n’invaliderait aucunement la pertinence de notre analyse. En effet, ce que nous analysons ici est la manière dont la mobilisation de ces statistiques peut influencer les pratiques décisionnelles des magistrats et, ce faisant, les statistiques elles-mêmes. Quand bien même ces statistiques auraient été faussées, ce sont celles-ci qui sont connues des magistrats et, ce faisant, qui influencent potentiellement leurs décisions.
26 La pertinence du modèle dépend de sa validité empirique. Différents modèles, lesquels font varier l’importance respective des trois indices qui composent l’indice synthétique, ont alors été testés. Dans tous les cas, l’indice synthétique apparaît imparfait en ce qui concerne les très grandes juridictions puisque les résultats produits tendent à surévaluer leur compétitivité telle que nous l’avons définie. Le modèle qui correspond le mieux à la réalité consiste à attribuer un coefficient au premier indice (relatif à la concurrence des juridictions de taille équivalente au niveau national) en le multipliant par trois, à lui additionner les deux autres indices, puis à diviser le tout par cinq. L’indice synthétique est alors composé pour 60 % par le premier indice, suggérant une importance particulière de la concurrence entre juridictions de taille équivalente au niveau national.
27 Suivant cette démarche, on a pu dresser un schéma (Figure 1) pour le cas de la cour d’appel de Douai.
28 Les juridictions que nous étudions présentent une assez large variété de configurations locales. Schématiquement, Lille et Béthune sont des juridictions de taille suffisamment importante pour permettre de réserver régulièrement des audiences dédiées à la seule procédure de comparution immédiate. Elles se distinguent par le fait que le tribunal lillois se montre plus « compétitif » et qu’on y connaît de ce fait moins de pression à développer les comparutions immédiates qu’à Béthune. La juridiction d’Avesnes est a priori trop petite pour permettre de réserver régulièrement des audiences aux comparutions immédiates même si elle est loin de faire partie des plus petites juridictions. Sa compétitivité demeure modérée, voire faible, par rapport aux juridictions de sa cour d’appel. Enfin, celle d’Hazebrouck constitue une configuration peu propice à un usage conséquent des comparutions immédiates, mais elle subit une pression très forte de la concurrence, ce qui fait qu’elle ressent largement les effets de l’incitation générale à la hausse de l’usage de la procédure. En outre, elle s’inscrit dans une cour d’appel constituée de très nombreuses juridictions et certaines d’entre elles font partie des plus « compétitives » au niveau national (comme celles de Saint-Omer et de Boulogne-sur-Mer), ce qui constitue une incitation à la hausse de l’usage de la procédure. Hazebrouck est ainsi une juridiction qui demeure « compétitive » par rapport aux juridictions de taille équivalente de l’ensemble national. Elle l’est beaucoup moins au sein de sa propre cour d’appel. Parmi les juridictions de la cour d’appel de Douai, Béthune et Avesnes sont les juridictions les plus incitées à utiliser davantage les comparutions immédiates, tandis que celle de Lille se situe dans la situation opposée.
Incitations aux comparutions immédiates selon la taille et la « compétitivité » de la juridiction. Configurations en 2000. Cour d’appel de Douai
5,0
Boulogne
Saint-Omer
2,0
Indicateur de « compétitivité »
Lille
Arras
Dunkerque
Taille ↓ 1,0 Cambrai Taille ↑
Avesnes
Béthune
i Valenciennes
Doua
Hazebrouck
0,5
0,2
781 1563 6250 12500
3125
Compétitivité ↓
Nombre de poursuites devant le tribunal correctionnel
Incitations aux comparutions immédiates selon la taille et la « compétitivité » de la juridiction. Configurations en 2000. Cour d’appel de Douai
29 Parmi les autres juridictions de la cour d’appel, Saint-Omer et Boulogne-sur-Mer s’inscrivent dans des configurations peu propices au développement des comparutions immédiates puisqu’elles apparaissent toutes deux très « compétitives ». À l’inverse, celle de Valenciennes l’est peu et ne fait pas partie des plus petites juridictions, ce qui constitue une configuration favorisant le développement des comparutions immédiates. Entre ces cas opposés, les juridictions d’Arras, Dunkerque et Cambrai présentent des profils intermédiaires.
30 L’évolution des comparutions immédiates dans les différentes juridictions de la cour d’appel apparaît tout à fait concordante avec ce que le modèle que nous avons développé laisse attendre (Tableau II). Les quatre juridictions dont les croissances sont les plus importantes (celles d’Avesnes-sur-Helpe, de Douai, de Valenciennes et d’Hazebrouck) sont celles qui apparaissent les moins compétitives en 2000. Parmi les quatre qui le sont le plus (Saint-Omer, Lille, Arras et Boulogne-sur-Mer), les deux premières connaissent une tendance à la baisse, tandis que les deux suivantes connaissent les hausses les plus limitées. Les trois autres juridictions, celles de Cambrai, Béthune et Dunkerque connaissent de fortes croissances, quoique nettement moins importantes que celles que l’on constate dans les juridictions qui sont les moins compétitives en 2000.
Évolution du recours aux comparutions immédiates dans la cour d’appel de Douai (2000-2005)
Comparutions immédiates dans l’ensemble des poursuites devant le tribunal correctionnel (%) | Croissance du nombre des comparutions immédiates (2000-2005) (%) | ||
2000 | 2005 | ||
Lille | 13,4 | 12,5 | – 6,8 |
Béthune | 4,0 | 6,6 | 66,8 |
Avesnes-sur-Helpe | 2,8 | 9,7 | 250,8 |
Hazebrouck | 0,8 | 4,9 | 485,7 |
Saint-Omer | 4,8 | 4,7 | – 1,8 |
Boulogne-sur-Mer | 10,1 | 13,6 | 32,4 |
Arras | 3,0 | 4,5 | 53,3 |
Dunkerque | 4,6 | 7,1 | 108,0 |
Cambrai | 4,1 | 6,2 | 113,3 |
Valenciennes | 3,9 | 6,8 | 128,8 |
Douai | 2,5 | 5,6 | 200,0 |
Évolution du recours aux comparutions immédiates dans la cour d’appel de Douai (2000-2005)
31 Précisons que la démonstration que nous présentons ici à partir du cas de la cour d’appel de Douai se vérifie également dans la très grande majorité des autres cours d’appel (Léonard, 2014). Encore faut-il souligner que les quelques cas divergents, pour peu que l’on se donne la peine de les étudier en détail, viennent moins contredire le raisonnement général sur l’effet du développement d’une logique concurrentielle entre les juridictions que montrer la complexité des dimensions qui entrent en compte dans l’explication des effets de la concurrence. À ce titre, le modèle théorique que nous avons conçu doit être compris comme synthétisant les principales causes qui structurent la concurrence entre juridictions : les écarts constatés entre ce qui serait attendu du point de vue du modèle théorique et ce que l’on constate en pratique illustrent alors simplement qu’aucun modèle théorique ne saurait expliquer de manière exhaustive l’ensemble des causes qui déterminent le recours aux comparutions immédiates.
32 Au contraire, les résultats constatés à travers la comparaison entre ce qui est attendu suivant le modèle théorique et la réalité des pratiques constatées statistiquement attestent de l’importance prise par les critères pris en compte dans notre indicateur synthétique comme causes des pratiques constatées. Ce qui fait en outre le caractère probant de la démonstration, c’est que le constat de la concordance entre le modèle et la pratique ne se fait pas seulement en observant l’évolution entre un point de départ A (l’année 2000) et un point d’arrivée B (2005), mais qu’il s’observe encore plus précisément en regardant les évolutions année par année : une juridiction très « en retard » à un moment donné tend presque toujours à connaître une forte augmentation l’année suivante ; mais, parallèlement, cela implique que ces évolutions puissent bousculer la hiérarchie entre les juridictions. Et, presque toujours là aussi, c’est de cette nouvelle hiérarchie que vont dépendre les évolutions constatées l’année suivante. Ceci contribue alors à une dynamique inflationniste presque généralisée et qui ne prend fin que quand les différences de « résultats » entre les « compétiteurs » ne sont plus perçus ou quand cette « compétition », pour une raison ou pour une autre, n’est plus valorisée. En l’occurrence, si la compétition pour les comparutions immédiates ne s’arrête pas brusquement après 2005, celle-ci se ralentit alors considérablement.
33 Quoi qu’il en soit, les comparutions immédiates ont connu une croissance d’ampleur dans la première partie des années 2000 que traduit mal la statistique qui montre une augmentation de 47 % à l’échelle nationale. Cette (très relative) faiblesse de l’augmentation de la procédure trouve son explication dans le fait que les grandes juridictions, celles qui dictent la tendance générale en raison du volume qu’elles traitent, les ont peu augmentées : en revanche, entre 2000 et 2006, l’usage de la procédure a été multiplié par trois dans les petites juridictions qui ont poursuivi entre 830 et 1000 affaires devant le tribunal correctionnel en 2000 (Léonard, 2014, 126). Dans beaucoup de juridictions, la transformation de l’usage des comparutions immédiates a donc été extrêmement importante et a exigé de profondes transformations organisationnelles.
34 L’introduction d’une logique managériale de performance a donc eu pour conséquence d’engendrer une mise en concurrence des juridictions ayant fortement contribué à une croissance globale du recours aux comparutions immédiates. Cette évolution, comme d’autres évolutions concomitantes elles aussi produites par le développement des indicateurs de performance, a impliqué des transformations majeures de l’organisation des différentes juridictions. En effet, la procédure de comparution immédiate est par définition une procédure de jugement qui n’est pas prévue au programme des audiences en amont mais qui est décidée en fonction des besoins. De manière générale, les juridictions ont toutes transformé l’organisation de leurs audiences ainsi que la nature des relations unissant magistrats du parquet et du siège afin de parvenir à leurs objectifs. Dans la partie suivante, nous examinons quelles ont été les conséquences de ces réorganisations sur les destinées pénales des prévenus à travers l’exemple de la juridiction de Lille.
Évolution des orientations procédurales selon les antécédents, la nationalité et la situation professionnelle des prévenus
35 L’étude que nous présentons ici s’appuie sur un matériau d’enquête recueilli dans le cadre d’une recherche sur les comparutions immédiates financée par le Groupement d’intérêt public (GIP) Mission droit & justice. Pour cette recherche, nous avons recueilli les données des minutes de jugements rendus devant le tribunal correctionnel de cinq juridictions de la cour d’appel de Douai (Avesnes-sur-Helpe, Arras, Béthune, Hazebrouck et Lille) sur une période de dix ans (2000-2009). Faute de pouvoir recueillir ces données de manière exhaustive, nous avons procédé à la sélection de trois semaines par an sur la période d’étude. Nous avons ensuite procédé à la numérisation des minutes correspondant aux audiences des semaines sélectionnées. Soulignons que la répartition des procédures par année et par juridiction des données que nous avons recueillies dans le cadre de l’étude s’est révélée très proche de celle des données agrégées auxquelles le ministère de la Justice donne accès. Enfin, après numérisation, les minutes de jugement ont été OCR-isées pour en extraire le contenu textuel. Le texte des minutes a ensuite été analysé syntaxiquement au moyen d’expressions régulières afin de récupérer les renseignements nécessaires à nos analyses [3].
36 À l’issue de ce traitement, nous disposons de données relatives aux jugements concernant 4403 prévenus pour la seule juridiction de Lille. L’essentiel de ces jugements ont pu être intégrés à l’analyse même si les données demeurent lacunaires sur certains aspects, soit en raison d’un défaut d’uniformisation des minutes de jugement (aboutissant à ce que certaines minutes soient moins bien renseignées que d’autres) soit en raison d’un défaut de qualité d’impression des minutes empêchant la reconnaissance de certains caractères par le logiciel de reconnaissance optique.
37 Précisons enfin que ce recueil porte exclusivement sur les jugements rendus devant le tribunal correctionnel et qu’ils ont été distingués par procédure de la manière suivante : comparutions immédiates (CI), convocations par officier de police judiciaire (COPJ), convocations par procès-verbal du procureur (CPV) et citations directes (CD). Pour des raisons pratiques, les COPJ et les CPV ont été regroupées dans l’analyse [4]. Enfin, les comparutions immédiates sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) n’ont pas été intégrées à l’analyse. Outre les difficultés méthodologiques posées par la prise en compte d’une procédure créée en plein milieu de notre période d’étude, le recueil de ces données a tout simplement été rendu impossible par le fait que les minutes des CRPC sont standardisées de manière très différente des minutes correctionnelles habituelles. Nous proposons en fin d’étude une estimation des biais induits par cette carence.
38 À partir de ces minutes de jugements, nous avons procédé à l’étude des effets du changement organisationnel sur les décisions des magistrats et ce faisant sur les destinées pénales des prévenus en deux étapes. Dans un premier temps, nous avons cherché à quantifier l’évolution des orientations des prévenus selon leurs caractéristiques sociales. Cette première étape doit nous permettre de déterminer quelles sont les populations qui ont été touchées par ces évolutions avant toute identification des causes qui l’expliquent. Au cours d’une seconde étape, nous avons cherché à vérifier dans quelle mesure cette évolution est ou non le produit de ces évolutions organisationnelles. Précisons enfin que les raisonnements présentés ici reposent également sur des observations faites au parquet de Lille ainsi que sur des entretiens réalisés avec ces magistrats au cours de l’année 2013.
Augmentation des comparutions immédiates à l’égard des prévenus déjà condamnés et des étrangers
39 Quant au travail d’objectivation de l’évolution des orientations des prévenus selon leurs propriétés sociales, trois critères de distinction ont été retenus. On a d’abord comparé l’évolution des orientations selon que les prévenus ont déjà été condamnés ou non. Il est en effet attesté de longue date que l’existence d’antécédents judiciaires pèse fortement sur les décisions rendues par les magistrats (Lévy, 1984 ; Faget, 2008 ; Gautron, Retière, 2013). Ensuite, nous avons procédé à la comparaison des orientations selon que les prévenus sont français ou étrangers. Là encore, ce choix se justifie au regard de son importance sur les décisions des magistrats (Faget, 2008 ; Léonard, 2014). Enfin, nous comparons ces évolutions selon la situation professionnelle des prévenus. Ce choix s’explique également pour son influence potentielle sur les décisions judiciaires, même si tous les travaux n’aboutissent pas aux mêmes conclusions quant à l’influence de ce critère (Herpin, 1977 ; Aubusson de Cavarlay, 1985 ; Danet, 2013). En outre, le fait que nous portions notre attention en particulier sur la procédure de comparution immédiate justifie que l’on s’y intéresse. La littérature sur la question atteste en effet que les magistrats du parquet font des antécédents judiciaires et de l’absence de « garanties de représentation » [5] des critères primordiaux dans le choix d’une telle orientation (Christin, 2008).
40 En matière d’orientation des affaires selon les antécédents des prévenus, nos données montrent les évolutions suivantes (Tableaux III et IV).
Comparutions immédiates (CI) | Citations directes (CD) | COPJ/CPV | Effectifs | |
2000 | 15 % | 33 % | 53 % | 248 |
2001 | 19 % | 25 % | 56 % | 182 |
2002 | 22 % | 22 % | 57 % | 144 |
2003 | 21 % | 11 % | 68 % | 149 |
2004 | 20 % | 11 % | 69 % | 201 |
2005 | 21 % | 11 % | 67 % | 201 |
2006 | 18 % | 12 % | 70 % | 206 |
2007 | 25 % | 14 % | 61 % | 161 |
2008 | 23 % | 13 % | 64 % | 217 |
2009 | 23 % | 9 % | 68 % | 218 |
Orientation des affaires chez les prévenus jamais condamnés
Comparutions immédiates (CI) | Citations directes (CD) | COPJ/CPV | Effectifs | |
2000 | 5 % | 29 % | 66 % | 274 |
2001 | 10 % | 20 % | 70 % | 190 |
2002 | 11 % | 13 % | 76 % | 151 |
2003 | 10 % | 27 % | 63 % | 127 |
2004 | 8 % | 24 % | 68 % | 202 |
2005 | 5 % | 15 % | 80 % | 176 |
2006 | 8 % | 13 % | 79 % | 125 |
2007 | 7 % | 18 % | 75 % | 112 |
2008 | 5 % | 18 % | 76 % | 76 |
2009 | 14 % | 17 % | 69 % | 130 |
Orientation des affaires chez les prévenus jamais condamnés
41 On constate d’abord une réduction des décisions de citation directe (CD) pour les prévenus déjà condamnés comme pour ceux qui ne l’ont jamais été ce qui s’explique par le déclin général de l’intérêt pour cette orientation procédurale. Le déclin des CD est cependant nettement plus important pour les prévenus déjà condamnés auparavant que pour ceux dont le casier est vierge. Alors que 33 % des prévenus déjà condamnés faisaient l’objet d’une CD à Lille en 2000 et encore plus de 20 % les deux années suivantes, cette proportion descend aux alentours des 10 % à partir de 2003. Chez les prévenus qui n’ont jamais été condamnés, un peu plus de 20 % des prévenus recevaient une CD dans les premières années de la décennie contre environ 15 % les années suivantes.
42 En matière de comparutions immédiates, les prévenus connaissent des évolutions contrastées selon qu’ils aient ou non des antécédents. Ceux qui n’ont jamais été condamnés précédemment sont moins fréquemment orientés en comparution immédiate à la fin de la décennie qu’à son début, même si on constate pour eux une fréquence élevée des orientations en CI en 2009. En revanche, on observe une tendance à la hausse de la fréquence des orientations en CI pour les prévenus qui ont déjà été condamnés. En 2000 et 2001, ce sont environ 15 % d’entre eux qui font l’objet d’une CI, cette proportion s’élevant autour des 20 % les années suivantes pour enfin représenter entre 22 et 25 % des orientations au cours des années 2007, 2008 et 2009.
43 Les orientations en COPJ/CPV connaissent pour leur part une hausse à l’encontre des prévenus qu’ils aient ou non des antécédents, même si l’augmentation apparaît plus forte pour les prévenus qui ont déjà été condamnés auparavant.
44 Nous observons également des évolutions au niveau des orientations en fonction de la nationalité (Tableaux V et VI).
Orientation des affaires chez les prévenus de nationalité française
Comparutions immédiates (CI) | Citations directes (CD) | COPJ/CPV | Effectifs | |
2000 | 10 % | 29 % | 61 % | 471 |
2001 | 15 % | 22 % | 63 % | 303 |
2002 | 18 % | 17 % | 66 % | 265 |
2003 | 18 % | 16 % | 66 % | 260 |
2004 | 15 % | 17 % | 68 % | 375 |
2005 | 14 % | 12 % | 74 % | 341 |
2006 | 15 % | 11 % | 75 % | 289 |
2007 | 17 % | 15 % | 69 % | 254 |
2008 | 18 % | 14 % | 68 % | 268 |
2009 | 18 % | 12 % | 71 % | 302 |
Orientation des affaires chez les prévenus de nationalité française
Comparutions immédiates (CI) | Citations directes (CD) | COPJ/CPV | Effectifs | |
2000 | 11 % | 44 % | 44 % | 63 |
2001 | 31 % | 31 % | 38 % | 29 |
2002 | 10 % | 19 % | 71 % | 31 |
2003 | 11 % | 26 % | 63 % | 38 |
2004 | 8 % | 14 % | 78 % | 37 |
2005 | 14 % | 30 % | 56 % | 43 |
2006 | 13 % | 21 % | 67 % | 39 |
2007 | 26 % | 26 % | 47 % | 19 |
2008 | 18 % | 23 % | 59 % | 22 |
2009 | 33 % | 11 % | 56 % | 45 |
45 Les prévenus de nationalité française font plus fréquemment l’objet d’une convocation dans la seconde partie des années 2000 et moins fréquemment de CD. Les orientations en comparution immédiate ne connaissent pas d’évolutions significatives. En revanche, les prévenus de nationalité étrangère font davantage l’objet de comparutions immédiates dans la seconde partie des années 2000 même si l’on observe également une forte proportion d’orientations en comparution immédiate en 2001.
46 On a enfin cherché à objectiver d’éventuelles évolutions des orientations selon que les prévenus ont ou non un emploi (Tableaux VII et VIII).
47 L’évolution concernant les actifs occupés s’observe pour l’essentiel à partir de 2002, les CD devenant moins fréquentes à partir de cette année-là, tandis que les comparutions immédiates et les convocations deviennent légèrement plus fréquentes. L’évolution n’est cependant pas flagrante.
48 Quant aux prévenus qui n’ont pas d’emploi, on ne constate pas d’évolution pour les orientations en comparution immédiate quand les CD deviennent moins fréquentes et les convocations à l’inverse plus fréquentes. Il ne semble pas que les orientations procédurales aient évolué en fonction de la situation professionnelle.
49 À ce stade de l’analyse, nous avons donc démontré que les orientations en comparution immédiate deviennent plus fréquentes à l’égard des prévenus déjà condamnés par la justice et de ceux de nationalité étrangère et nous ne constatons pas d’évolution selon la situation professionnelle. Il faut désormais déterminer les causes de ces évolutions. Les éventuels effets que nous cherchons à identifier ici sont vraisemblablement l’agencement d’un ensemble complexe de facteurs qui s’articulent sans pour autant pouvoir être les uns et les autres précisément datés. Cependant, pour les besoins de l’analyse, nous avons été amenés à déterminer deux périodes distinctes. Le vote de la loi Perben 2 constitue, à bien des égards, le moment charnière des évolutions managériales. D’abord, comme nous l’avons précisé précédemment, le vote de la loi a réformé la procédure de comparution immédiate afin d’en faciliter l’usage. Ensuite, cette loi est également celle qui instaure la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), laquelle offre une nouvelle possibilité procédurale aux magistrats, affectant de ce fait le choix des différentes orientations possibles. De même, différentes circulaires ministérielles entourant le vote de la loi invitent les juridictions à procéder à une rationalisation de l’organisation de leurs audiences. Enfin, et surtout, dans le cas lillois, c’est précisément à cette période que la juridiction lilloise modifie radicalement l’organisation de sa politique en matière de comparution immédiate.
Orientation des affaires chez les prévenus actifs-occupés
Comparutions immédiates (CI) | Citations directes (CD) | COPJ/CPV | Effectifs | |
2000 | 5 % | 32 % | 63 % | 288 |
2001 | 8 % | 22 % | 70 % | 209 |
2002 | 11 % | 12 % | 77 % | 146 |
2003 | 13 % | 18 % | 69 % | 136 |
2004 | 14 % | 22 % | 64 % | 188 |
2005 | 8 % | 16 % | 77 % | 173 |
2006 | 12 % | 12 % | 76 % | 169 |
2007 | 12 % | 17 % | 71 % | 156 |
2008 | 13 % | 16 % | 72 % | 152 |
2009 | 13 % | 16 % | 71 % | 168 |
Orientation des affaires chez les prévenus actifs-occupés
Orientation des affaires chez les prévenus sans emploi
Comparutions immédiates (CI) | Citations directes (CD) | COPJ/CPV | Effectifs | |
2000 | 19 % | 27 % | 54 % | 208 |
2001 | 29 % | 21 % | 50 % | 140 |
2002 | 26 % | 16 % | 58 % | 143 |
2003 | 21 % | 16 % | 63 % | 162 |
2004 | 15 % | 12 % | 73 % | 220 |
2005 | 20 % | 12 % | 68 % | 201 |
2006 | 16 % | 12 % | 72 % | 158 |
2007 | 25 % | 14 % | 61 % | 116 |
2008 | 24 % | 14 % | 62 % | 135 |
2009 | 26 % | 8 % | 66 % | 167 |
Orientation des affaires chez les prévenus sans emploi
La réorganisation des audiences de 2004 au principe de l’évolution des profils des prévenus en comparution immédiate
50 Déjà en 2000, l’organisation existante à Lille permet que l’on puisse juger des prévenus en comparution immédiate tous les jours ouvrables de la semaine, c’est-à-dire du lundi au vendredi. En pratique, les magistrats du parquet ajustent leurs décisions en matière de poursuites en fonction des impératifs concrets de l’organisation du tribunal. Les magistrats du parquet savent que les comparutions immédiates doivent être jugées en priorité les lundis et les vendredis, tandis que les éventuelles comparutions immédiates décidées les mardis, mercredis et jeudis sont rajoutées à d’autres audiences collégiales déjà prévues. Ceci a pour conséquence qu’il y a davantage de comparutions immédiates qui sont jugées les lundis et les vendredis avant la loi Perben 2. Plus d’un quart des CI ont ainsi lieu les lundis et près d’un tiers les vendredis.
51 Ce type d’organisation n’est pas sans incidence sur les décisions qui sont prises puisque les magistrats bénéficient d’une large marge de manœuvre pour décider de comparutions immédiates les lundis et vendredis, ils sont en revanche plus contraints les autres jours de la semaine. En conséquence, ils tendent à restreindre le recours aux comparutions immédiates aux cas de figure qui leurs semblent le plus évidemment devoir relever de cette procédure.
52 Après la loi Perben 2 du 9 mars 2004, l’organisation lilloise est rapidement transformée. Le principe des audiences réservées aux comparutions immédiates tous les jours de la semaine est rapidement entériné [6]. Ceci entraîne une homogénéisation de la répartition du recours aux comparutions immédiates, lesquelles ont désormais lieu chaque jour de la semaine dans d’égales proportions.
Comparutions immédiates selon le jour de la semaine de 2000 au 9 mars 2004
Nombre de comparutions immédiates | Proportion | |
Lundi | 52 | 26,8 % |
Mardi | 27 | 13,9 % |
Mercredi | 24 | 12,3 % |
Jeudi | 28 | 14,4 % |
Vendredi | 63 | 32,5 % |
Comparutions immédiates selon le jour de la semaine de 2000 au 9 mars 2004
Comparutions immédiates selon le jour de la semaine du 10 mars 2004 à 2009
Nombre de comparutions immédiates | Proportion | |
Lundi | 58 | 21,7 % |
Mardi | 44 | 16,5 % |
Mercredi | 52 | 19,5 % |
Jeudi | 60 | 22,5 % |
Vendredi | 53 | 19,9 % |
Comparutions immédiates selon le jour de la semaine du 10 mars 2004 à 2009
53 Pour voir dans quelle mesure ce facteur pèse sur les destinées des mis en cause, nous avons procédé à plusieurs comparaisons. Dans un premier temps, nous comparons les profils des prévenus poursuivis en comparution immédiate avant la loi Perben 2 selon les jours afin de vérifier l’hypothèse d’un effet de l’organisation des audiences d’alors sur les choix des magistrats du parquet. Dans le cas d’un effet de l’organisation sur les orientations, on devrait constater que les prévenus ne présentent pas les mêmes caractéristiques sociales les lundis et vendredis par rapport aux autres jours de la semaine.
54 Les résultats sont compatibles avec l’hypothèse d’un effet de l’organisation des audiences sur la sélection des prévenus. Dans le cas présent, les prévenus français qui ont déjà été condamnés au pénal ainsi que les prévenus de nationalité étrangère représentent une part bien plus élevée des prévenus les mardis, mercredis et jeudis [7]. La limitation des possibilités de recours aux comparutions immédiates les mardis, mercredis et jeudis limite avant tout la possibilité de poursuivre des prévenus de nationalité française qui n’ont jamais été condamnés.
Caractéristiques des prévenus en comparution immédiate
Étrangers | Français déjà condamnés | Français jamais condamnés | Effectif | |
Lundis et vendredis | 12,7 % | 56,4 % | 30,9 % | 110 |
Mardis, mercredis et jeudis | 5,4 % | 78,4 % | 16,2 % | 74 |
Caractéristiques des prévenus en comparution immédiate
Caractéristiques des prévenus en comparution immédiate
Étrangers | Français déjà condamnés | Français jamais condamnés | Effectif | |
Lundis et vendredis | 17,1 % | 68,6 % | 14,9 % | 105 |
Mardis, mercredis et jeudis | 9,7 % | 74,2 % | 16,1 % | 155 |
Caractéristiques des prévenus en comparution immédiate
55 Afin de vérifier qu’il s’agit bien d’un effet de l’organisation, nous procédons à la même comparaison sur la période qui suit la loi du 9 mars 2004 et au cours de laquelle l’organisation est transformée (Tableaux XI et XII).
56 Après la loi Perben 2, on ne constate plus une différence claire dans la sélection des prévenus selon le jour de l’audience. Ainsi, le test de khi 2 ne nous permet pas de rejeter l’hypothèse d’indépendance entre les variables [8] ce qui est cohérent avec l’hypothèse selon laquelle la nouvelle organisation d’après 2004 aurait pour effet d’harmoniser la sélection des prévenus selon le jour.
57 Nous constatons par ailleurs que la distribution des prévenus selon leurs caractéristiques est très proche de celle qu’on constate les mardis, mercredis et jeudis avant la loi Perben même si la proportion des étrangers poursuivis (12,7 %) est similaire à celle constatée les lundis et vendredis. Ici aussi le test de khi 2 ne permet pas de rejeter l’hypothèse d’indépendance [9] ce qui étaye l’interprétation selon laquelle les critères de sélection qui président aux décisions les mardis, mercredis et jeudis avant la loi Perben 2 sont similaires à ceux qui sont mobilisés tous les jours à partir de mars 2004.
58 On constate alors que cette nouvelle organisation bénéficie aux prévenus français dont le casier est vierge, leur part passant de 25 % avant la loi Perben 2 à 15 % après. Inversement, la part des prévenus de nationalité étrangère augmente (de 10 % à 13 %) comme celle des Français qui ont déjà été condamnés (de 65 % à 72 %). La légère décroissance du nombre de comparutions immédiates observée à Lille au cours des années 2000 [10] laisse penser que l’évolution a davantage bénéficié aux prévenus français qui n’ont jamais été condamnés (dont le nombre en comparution immédiate aurait été divisé par près deux) qu’elle n’a pénalisé les prévenus qui ont des antécédents (dont le nombre aurait augmenté d’environ un dixième). L’évaluation de la situation des prévenus de nationalité étrangère est davantage sujette à discussion, notamment parce qu’il s’agit du groupe numériquement le plus réduit, mais il est fort probable qu’il s’agisse du groupe ayant connu la plus importante croissance en comparution immédiate.
59 Soulignons également que l’analyse que nous avons présentée ici ne porte que sur les individus qui ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel et non pas sur l’ensemble des réponses pénales. À ce titre, il est utile de préciser que la réorganisation judiciaire a vraisemblablement des effets qui ne se limitent pas au choix de la procédure parmi des individus poursuivis devant le tribunal correctionnel mais également sur le choix même de poursuivre devant le tribunal correctionnel ou, au contraire, de réaliser une alternative aux poursuites. Sur ce point, faute de connaître les propriétés des individus qui ont fait l’objet d’alternatives aux poursuites, nous nous montrons ici prudent quant à nos interprétations. Toutefois, dans l’hypothèse où la structure des populations mises en cause par la justice n’aurait que faiblement évolué sur la période, l’évolution de la répartition des prévenus selon leurs antécédents peut constituer un indice de cette évolution.
60 La Figure 2 indique que les individus déjà condamnés par la justice représentent une part plus importante des prévenus devant le tribunal correctionnel à la fin de la décennie par rapport à son début. Cette évolution peut être la conséquence d’une augmentation générale des inscriptions aux casiers judiciaires ou d’une évolution des critères de sélection des magistrats du parquet aboutissant à faire des antécédents judiciaires un critère plus important qu’auparavant dans la détermination d’une poursuite devant le tribunal correctionnel ou au contraire d’une alternative aux poursuites.
Répartition des prévenus devant le tribunal correctionnel selon leurs antécédents
80
60
%
40
Prévenus jamais condamnés
20
Prévenus déjà condamnés
0
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009
Répartition des prévenus devant le tribunal correctionnel selon leurs antécédents
Estimation du biais propre à l’absence des données relatives aux CRPC
61 Comme nous l’avons exposé plus haut, il aurait fallu dans l’idéal disposer des données relatives à la procédure de CRPC qui est introduite en 2004 suite à la loi Perben 2. À défaut de pouvoir analyser ici de manière exhaustive les différentes implications de l’absence de ces données, on s’attachera à étudier la manière dont cela pourrait affecter l’un de nos principaux résultats. En l’état, notre analyse montre notamment que les prévenus qui ont des antécédents pénaux connaissent une probabilité plus élevée d’être jugés en comparution immédiate dans la seconde partie de la décennie que dans la première, tandis que l’on constate une évolution inverse pour ceux qui n’ont jamais été condamnés. En somme, l’évolution qui nous apparaît la plus sûrement établie tient à une accentuation de la différence de traitement selon l’existence ou non d’antécédents judiciaires. Le fait qu’on ignore la manière dont les prévenus poursuivis en CRPC se répartissent entre prévenus déjà condamnés ou jamais condamnés est donc nécessairement de nature à affecter ces résultats. Nous cherchons donc ici à estimer dans quelle mesure cette ignorance est préjudiciable à notre interprétation.
62 Dans cette optique, nous avons voulu procéder à une simulation de ce que cela implique suivant deux scenarii. Suivant notre premier scenario, nous faisons l’hypothèse que les prévenus poursuivis en CRPC n’ont aucun antécédent pour les trois-quarts d’entre eux (scenario du « casier vierge majoritaire »). Suivant un second scenario, nous faisons l’hypothèse que les prévenus poursuivis en CRPC ont déjà été condamnés en justice pour les trois-quarts d’entre eux (scenario des « antécédents majoritaires »). Nous aurions pu faire le choix de scenarii plus extrêmes, par exemple parce que l’on aurait pu considérer plausible que la totalité des prévenus poursuivis en CRPC ont déjà été condamnés ou, à l’inverse, que la totalité ne l’ont jamais été. Nous considérons que la réalité se situe plus vraisemblablement entre les deux scenarii au regard de nos observations suivant lesquelles les prévenus des CRPC sont plus ou moins équitablement répartis entre prévenus déjà condamnés et prévenus sans antécédents. En outre, les résultats d’une étude portant sur trois juridictions constataient une proportion de 52,4 % de prévenus déjà condamnés parmi les prévenus (Ancelot, Doriat-Duban, 2010) ce qui est de nature à conforter notre postulat.
63 Nous avons ensuite calculé, pour chacun des deux scenarii, le nombre de prévenus théoriques avec ou sans antécédents parmi les prévenus poursuivis en CRPC, en faisant l’hypothèse que le nombre de CRPC qui ont eu lieu pendant les semaines d’étude était proportionnel à leur part dans l’ensemble des poursuites telle que constatée au niveau d’une année [11]. En sommant ces nombres théoriques de prévenus en CRPC avec les nombres réels constatés sur les autres procédures, on obtient des nombres théoriques par procédure et selon les antécédents incluant les CRPC. Une fois cette opération réalisée, on peut estimer la manière dont se distribuent les prévenus par procédure selon leurs antécédents pour l’un et l’autre des deux scenarii.
64 Faute de pouvoir exposer de manière exhaustive ces résultats, nous présentons ici un indice de sur-orientation en comparution immédiate chez les prévenus déjà condamnés [12] année par année.
65 Les résultats de la simulation incluant une estimation des CRPC indiquent un fort développement de la sur-orientation en comparution immédiate des prévenus ayant des antécédents judiciaires après 2004 pour l’un et l’autre de nos deux scenarii [13]. Ainsi, alors que l’indice moyen s’établit à 2,6 sur la période 2000-2004, il s’élève à 3,55 pour la période 2005-2009 avec le scenario des « antécédents majoritaires » et à 4,55 avec celui du « casier vierge majoritaire ». À condition de s’accorder avec le postulat selon lequel la part des prévenus avec antécédents est comprise entre 25 % et 75 % des prévenus en CRPC, on peut donc en conclure que l’absence de ces données dans notre échantillon ne vient pas contredire les résultats précédemment exposés.
Indice de sur-orientation en comparution immédiate des prévenus déjà condamnés
Indice de sur-orientation en comparution immédiate des prévenus déjà condamnés
Champ : prévenus poursuivis à Lille en CI, CPV, COPJ, CD ou CRPC (2000-2009)66 À l’issue de cette étude, nous constatons donc une évolution de la manière dont le critère des antécédents judiciaires influe sur les destinées des prévenus au cours des années 2000. Il n’est pas nouveau que l’existence de condamnations inscrites au casier judiciaire fonctionne comme un « stigmate » (Goffman, 1975) dans ce sens où il s’agit d’un attribut d’un individu qui, lors des interactions judiciaires, vient le discréditer en remettant en cause la considération ordinairement accordée aux individus qui n’ont jamais été condamnés. Le fait que ce stigmate favorise une orientation en comparution immédiate de celui qui en est porteur est ainsi aussi ancien que la procédure (Lévy, 1985).
67 Ce qui est en revanche propre aux évolutions constatées dans les années 2000, c’est l’intensification de ce stigmate. En effet, après la loi Perben 2 et les réformes organisationnelles qui lui sont concomitantes, on constate que les individus porteurs de ce stigmate ont bien davantage de risques de se voir orientés en comparution immédiate tandis que ce risque se réduit pour ceux qui en sont dénués. Autrement dit, la distinction de traitement en fonction du casier s’accroît dans la seconde partie de la décennie. Comme le « stigmate territorial » (Léonard, 2015), le stigmate pénal prend donc une importance croissante au cours du processus pénal.
68 Enfin, soulignons également que la prise en compte du stigmate pénal ne se limite pas au casier judiciaire stricto sensu mais peut s’étendre à d’autres outils comme, par exemple, le fameux système de traitement des infractions constatées (STIC) des services de police et de gendarmerie (Piazza, 2009). Au niveau judiciaire, on sait par exemple que le logiciel CASSIOPEE, récemment introduit dans les juridictions, est fréquemment utilisé comme un outil d’aide à la décision permettant aux magistrats de connaître les condamnations non encore inscrites aux casiers judiciaires ainsi que les procédures en cours (Douillet et al., 2015). Sans doute serait-il utile d’étudier ces différents outils afin de comprendre leurs effets sur les destinées pénales des mis en cause par la justice française.
Conclusion
69 Si les réformes et expérimentations qualifiées de « managériales » se sont imposées de manière progressive au sein de l’administration judiciaire, la première partie des années 2000 a été concomitante d’évolutions particulièrement importantes. Ces réformes ont été d’ordre législatif, notamment à travers les lois Perben (dont l’ambition d’amélioration de l’efficience de la justice fût explicite) ou la LOLF, ainsi que d’ordre organisationnel. Ces réformes organisationnelles ont pu prendre des formes variées dans les juridictions, notamment en fonction de leurs tailles respectives, mais toutes ont adapté leurs modes d’organisation aux demandes de rationalisation de l’activité des tribunaux.
70 La mise en concurrence des juridictions, à travers l’institutionnalisation d’« indicateurs de performance », a notamment largement contribué à ce que les magistrats fassent en sorte d’adapter l’organisation de leur juridiction de telle manière à permettre d’obtenir des « performances » comparables aux autres juridictions. Cela a notamment eu pour conséquence une tendance à l’homogénéisation des taux de comparutions immédiates des différentes juridictions, celles où la procédure était peu utilisée connaissant presque toujours de très fortes croissances alors que des croissances modérées voire des stagnations se constataient là où on recourait déjà massivement aux comparutions immédiates.
71 Ceci étant, même dans les juridictions où le recours à la procédure n’a pas augmenté, comme à Lille, l’organisation des audiences s’est transformée. À Lille, l’organisation du tribunal lillois en matière de prise en charge des comparutions immédiates se modifie rapidement après le vote de la loi Perben 2 du 9 mars 2004. Auparavant, le mode d’organisation des audiences de CI avait pour particularité d’inciter les magistrats du parquet à concentrer les CI les lundis et les vendredis, les comparutions immédiates pouvant également être jugées du mardi au jeudi mais de manière plus restrictive. Ce type d’organisation permettait aux parquetiers d’avoir une définition plus large des cas de figures auxquels les CI sont adaptées les lundis et vendredis et, inversement, une définition plus restrictive les autres jours et au cours desquels ils réservent alors les comparutions immédiates au cœur de la clientèle pénale de la procédure, c’est-à-dire d’abord les prévenus qui ont déjà des antécédents et les prévenus de nationalité étrangère, plus souvent dépourvus de « garanties de représentation ».
72 L’organisation qui prévaut à partir du milieu de l’année 2004 a été mise en place pour homogénéiser le recours aux comparutions immédiates indépendamment du jour de la semaine. Le produit de cette nouvelle organisation fut un alignement des critères décisionnels qui présidaient pour les mardis, mercredis et jeudis à l’ensemble des jours de la semaine. Par un effet mécanique, les prévenus de nationalité étrangère ainsi que les prévenus déjà condamnés par la justice ont vu leurs chances d’être orientés en comparution immédiate s’accroître à la différence des prévenus dont le casier est vierge et de nationalité française.
73 Au moins dans la juridiction lilloise, les réformes de type managérial, présentées sous les atours du « bon sens » et de la technique ont alors eu des conséquences concrètes sur les destinées pénales des prévenus. Dans le cas présent, ce sont les populations qui avaient déjà auparavant davantage de risques de passer par cette procédure qui voient ce risque encore augmenter davantage. Le constat semble d’autant plus important qu’une étude a déjà montré que cette procédure augmente toutes choses étant égales par ailleurs le risque d’une peine d’emprisonnement ferme.
74 Soulignons enfin qu’il n’est pas impossible que les conséquences des réformes que nous avons évaluées à Lille aboutissent à d’autres conséquences dans d’autres juridictions. Notre analyse, notamment à travers la question de la mise en concurrence des juridictions indique en effet que si ces réformes ont eu des effets importants dans toutes les juridictions, ceux-ci ont vraisemblablement pris des formes très différentes. Il serait alors pertinent de déterminer dans quelle mesure les effets que nous constatons à Lille diffèrent ou, au contraire, sont similaires à ceux que l’on peut observer ailleurs. ■
Bibliographie
Bibliographie
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Notes
-
[1]
En l’occurrence, par la loi no 2002-1138, dite Perben 1 et par la loi no 2004-204 du 9 mars 2004, dite Perben 2. Nous évoquons plus loin l’une et l’autre de ces réformes.
-
[2]
Concrètement, cette compétition est rendue possible par la publication des statistiques des juridictions auxquelles ont accès tous les magistrats et sur lesquelles les procureurs, chefs de parquet, peuvent mettre plus ou moins l’accent dans les consignes données à leurs subordonnés. Cette concurrence est aujourd’hui encore facilitée par la possibilité d’un accès permanent aux statistiques par juridiction par le biais de l’intranet du ministère de la Justice, les différentes juridictions étant classées en quatre catégories en fonction de leur taille. Chaque magistrat peut alors y trouver le classement de sa propre juridiction par rapport aux autres.
-
[3]
Pour davantage de précisions sur le dispositif méthodologique, on pourra lire le rapport de l’étude Douillet et al., 2015.
-
[4]
Pour être plus précis, le nombre de CPV était trop faible pour que l’on puisse traiter seule cette procédure. Il fallait donc la regrouper avec une autre procédure présentant des traits analogues. Parmi les critères entrant en ligne de compte, l’existence d’un déferrement pour les CPV aurait pu justifier qu’on les regroupe avec les CI. Le critère de la sévérité de la peine place les CPV entre la procédure de comparution immédiate et les COPJ. Enfin, le critère de non-immédiateté du jugement incite plutôt à regrouper les CPV avec les COPJ plutôt qu’avec les CI. En somme, il y a nécessairement une part d’arbitraire dans ce classement. En définitive, nous avons fait le choix de regrouper les CPV avec les COPJ, considérant important le critère de non-immédiateté du jugement. Certes, les délais de jugement des CPV sont plus courts que ceux des COPJ, mais nous avons considéré ici que l’existence du délai, commun avec les COPJ, constituait un critère justifiant ce regroupement plutôt qu’avec les CI.
-
[5]
La notion de « garanties de représentation » désigne tout élément permettant de justifier qu’un prévenu se présentera bien devant le tribunal en cas de convocation. En conséquence, le fait de pouvoir prouver que l’on dispose d’une adresse fixe, ce qui est plus rare pour les individus sans domicile fixe et pour les étrangers non-résidents en France ou étant en situation irrégulière, réduit les chances de passer en comparution immédiate grâce à cette « garantie de représentation » (Aubusson de Cavarlay, 1985 ; Faget, 2008).
-
[6]
Pour être tout à fait exact, l’organisation du tribunal de Lille connaît de premières évolutions après le vote de la loi Perben 2 pour enfin se fixer à partir du début de l’année 2005 sur le modèle organisationnel existant au moins jusqu’à la fin des années 2000.
L’organisation qui existe dans la seconde partie de l’année 2004 est donc un modèle organisationnel hybride entre celui qui existe auparavant et celui qui suit à partir de l’année suivante. -
[7]
Nous pouvons rejeter l’hypothèse d’indépendance entre le jour du jugement et les propriétés sociales des prévenus (p < 0,01).
-
[8]
Ici : p > 0,2.
-
[9]
Ici : p > 0,2.
-
[10]
On y passe d’une moyenne annuelle de 1129 comparutions immédiates de 2000 à 2003 à 1070 entre 2005 et 2009.
-
[11]
Notons que cette estimation doit être relativement fiable si l’on considère que, pour les autres procédures, pour lesquelles nous disposons des données réelles, de telles estimations théoriques donneraient globalement des estimations assez satisfaisantes.
-
[12]
Nous rapportons la part des comparutions immédiates pour les prévenus déjà condamnés à la part des comparutions immédiates pour les prévenus jamais condamnés.
-
[13]
Précisons cependant qu’en dépit d’une nette tendance à la hausse, on observe deux creux, en 2006 et en 2009, dont l’explication peut résider à la fois dans des spécificités propres à ces années comme à des biais de notre échantillon.