Couverture de DS_353

Article de revue

Comment devient-on policier ? 1982-2003. Évolutions sociodémographiques et motivations plurielles

Pages 281 à 312

Notes

  • [*]
    Nous tenons à remercier Philippe Coulangeon pour la relecture de cet article. Nous avons tous trois rédigé le rapport dont est issue cette recherche.
  • [1]
    Plus les policiers avancent dans la carrière, plus ils sont tentés d’invoquer le hasard dans leur choix. En 1992, ils étaient 2,3% à faire ce choix. Dix ans plus tard, ils sont 13,5%.
  • [2]
    [http://www.cesdip.fr/spip.php?article318].
  • [3]
    Pour un grand nombre de questions, on n’a pas adopté la même formulation que dans l’enquête dite « Interface » (Hauser, Masingue, 1983) portant sur l’ensemble des policiers et dans l’enquête de D. Monjardet (1992-2004).
  • [4]
    Étant donné les limites d’âge au concours et la très faible proportion de cas dérogatoires, on a considéré qu’à tel âge correspondait une période de recrutement donnée. Il va sans dire que dans le cas des plus anciens, on perd ceux qui ont entre-temps démissionné, mais ce pourcentage, s’il n’est guère rendu public par l’institution policière, reste faible si l’on se fie aux enquêtes qualitatives que l’on a pu mener. L’institution fait tout pour éviter la démission de ses agents de police (aux habilitations si particulières, soumis au secret professionnel) en leur proposant des postes plus adéquats.
  • [5]
    Ces deux termes, issus de l’enquête « Interface » ont été repris par D. Monjardet et C. Gorgeon (ibid., 1992).
  • [6]
    On a fait une analyse des correspondances multiples sur les différentes réponses données à cette question et elle fait apparaître une seule différenciation nette entre ceux qui ont exprimé deux choix et ceux qui n’en expriment qu’un seul. On n’a donc pas retenu cette méthode.
  • [7]
    Cette méthode statistique est un outil de classification de type probabiliste, plus robuste que d’autres outils similaires car il permet de choisir le nombre de classes à l’aide de tests statistiques qui mesurent la qualité d’ajustement du modèle à la réalité observée. De ce point de vue, il se différencie des autres algorithmes de classification basés davantage sur l’interprétation intuitive que sur l’examen des paramètres calculés. Chacune des classes identifiées par l’analyse des classes latentes est constituée d’individus qui présentent des probabilités très proches d’avoir répondu de manière similaire à l’ensemble des questions posées, autrement dit, de suivre des « schémas de réponses » très similaires.
  • [8]
    On a réalisé une régression multinomiale à partir de ces conceptions du métier et son analyse donne lieu à un article sur les idéologies policières en cours de soumission dans la Revue française de sociologie.
  • [9]
    Le recrutement parmi les fils de militaires au grade d’officier oscille entre 39% et 46% (Coton, 2008).

1 Devient-on policier par hasard ? Ça s’est fait comme ça ; c’est mon voisin de palier qui m’a dit de poser un dossier, c’est le premier concours que j’ai eu – toutes ces formules, loin d’être résiduelles, font partie de la présentation de soi qu’adopte une partie des policiers. Est-ce parce qu’il est plus convenable pour un certain type de policier s’adressant à des sociologues de mettre en avant une forme de détachement ou son manque de motivation vis-à-vis du « vil métier de châtier » ? La formule est en tout cas à ce point récurrente que D. Monjardet, dans son enquête longitudinale (Monjardet, Gorgeon, 1992-2004) sur une promotion de gardien de la paix, en a fait une modalité à part entière dans une question sur les raisons d’entrer dans la police.

2 Mais l’argument du hasard, passé sous les fourches caudines du questionnaire fermé ou de l’entretien, s’avère un choix minoritaire [1], supplanté par d’autres arguments qui confèrent au dit « hasard » une tout autre valeur, soit que le policier était en quête d’un emploi de fonctionnaire, soit qu’il découvre qu’il avait finalement des accointances pour le métier. Le « hasard » constitue par conséquent une réponse commode pour esquiver brièvement la question de l’entrée dans le métier. La police est de fait une profession établie, impliquant forte identification entre son travail et le soi (Hughes, 1996), à travers l’apprentissage d’un savoir spécialisé, une licence exclusive d’exercer l’usage de la contrainte physique en ultime recours, un mandat qui autorise certains écarts. S’ensuit une opération d’étiquetage qui classe celles et ceux qui s’engagent dans la profession.

3 Devenir policier dans la police nationale, comme devenir enseignant à l’éducation nationale ou devenir médecin, étant donné le processus de sélection et la réputation de ces métiers n’a par conséquent rien de fortuit, provisoire et neutre. Devenir policier, c’est occuper un emploi de la fonction publique qui se traduit à la fois sur le plan matériel et symbolique par un changement d’état (Bourdieu, 1989). À ceci s’ajoute que la police n’est pas un fonctionnaire comme les autres en raison des pouvoirs juridiques extraordinaires qui sont conférés aux policiers et de l’échelle de prestige du métier qui oscille entre sale boulot (Hughes, 1996) et héroïsation si l’on en croit le succès du genre policier en matière de fiction. Les policiers sont ainsi sommés de justifier pourquoi ils ont eu la (bonne ou mauvaise) idée d’entrer dans la police. C’est un récit « obligé » dans tous les sens du terme, exigé par l’institution professionnelle qui pose la question des motivations à l’oral du concours et en école de police. Les proches non-policiers et les moins proches sont aussi avides d’avoir un éclairage sur le choix du métier policier. Cette chaîne de curiosité sociale conduit les policiers à exposer un discours rodé, énoncé en maintes occasions que l’on a étudié par ailleurs de manière qualitative et dans une perspective de comparaison entre les sexes (Pruvost, 2007, 2008).

4 Dans le cadre d’une enquête sociodémographique sur les conditions de vie et d’emploi des policiers, on a apporté un complément d’enquête quantitative à cette investigation sur les motivations alléguées par les policiers en réduisant à dix modalités les différents arguments énoncés par les policiers en entretien. L’argument du hasard a été volontairement omis afin de contraindre les policiers à donner un sens à leur trajectoire : entrent-ils dans la police par réalisme, par goût de l’aventure, pour rendre service ou par rigorisme ?

5 Disposant, parmi les 75 questions du questionnaire, d’informations sociodémographiques sur le sexe, l’âge, le grade, le service actuellement occupé, l’origine sociale des deux parents, la présence d’« un » policier dans la famille proche ou éloignée, le niveau de diplôme, le type d’étude, l’âge de la vocation, on s’est livré à une double enquête sur un effectif de 5015 policiers de tout grade et de tout service : le profil des policiers recrutés a-t-il changé en vingt ans ? En quoi ce profil, toutes choses égales par ailleurs, a-t-il une incidence sur le contenu de la vocation policière ?

Dans le cadre du programme de recherche de l’Institut des Hautes Études de la Sécurité Intérieure, on a envoyé en 2003 un questionnaire à un échantillon probabiliste de 10000 policiers de tout grade et de toutes directions (Sécurité publique, Police judiciaire, Compagnie républicaine de sécurité, Police aux frontières, Renseignements généraux, Préfecture de police) pour un effectif total de 140000 policiers. Ont été exclus de l’échantillon les élèves, la direction de surveillance de territoire, les effectifs de Roissy, les policiers travaillant au ministère, les DOM TOM. Le taux de réponse (53%) est élevé pour une enquête par correspondance : 5336 questionnaires ont été retournés, 5221 ont été exploitables.
Ce bon taux de réponse tient pour partie à la discipline policière, mais aussi au mode de passation du questionnaire : on a procédé au tirage aléatoire – non pas d’individus – mais d’un échantillon représentatif de 87 services (suivant par direction de police la répartition des services selon leur taille). De cette façon, l’anonymat des réponses a été préservé et l’enquête a bénéficié d’une dynamique collective, puisque les policiers de tout grade sur un même site répondaient dans le même temps au questionnaire.
Les 5221 policiers qui ont répondu à l’enquête sont représentatifs de la population totale, en terme de sexe, de service et grade, pour le grade inférieur et le plus nombreux de gardiens de la paix et la hiérarchie médiane des officiers. Ce n’est pas le cas des commissaires. On les a donc écartés de l’analyse.
L’analyse présentée ici porte sur 5 015 policiers de par les réponses manquantes observées à des variables employées dans la modélisation.
Ayant procédé dans le texte à une analyse détaillée des tris croisés et des tableaux de régression, la majorité d’entre eux n’ont pas été insérés pour éviter toute redondance. L’ensemble des tableaux se trouve en accès libre en annexe électronique [2].
Comme les résultats statistiques obtenus sont venus conforter les résultats quantitatifs d’une enquête menée antérieurement et parallèlement, ont été mobilisés quelques extraits des 128 récits de carrière réalisés dans le cadre d’une enquête sur la féminisation de la police avec deux tiers de femmes et un tiers d’hommes (Pruvost, 2007).

Les évolutions sociodémographiques depuis les années 1980

6 En vingt ans, le profil des policiers recrutés a-t-il changé ? Faute de pouvoir comparer termes à termes avec deux enquêtes précédentes [3], on a distingué trois générations au sein de notre effectif, les moins de 36 ans, théoriquement [4] recrutés dans les années 1990- 2000 (N = 2301), les 36-45 ans, recrutés dans les années 1980-1990 (N = 1351) et les plus de 45 ans, recrutés dans les années 1970-1980 (N = 1360), en faisant au sein de chaque génération des distinctions entre le corps de commandement (les officiers) et le corps d’encadrement et d’application qui comprend les gardiens de la paix et les brigadiers que l’on a qualifiés, par commodité « gardiens de la paix ».

7 Afin de limiter les aléas d’une partition qui, à une année près, met un individu dans une génération ou dans une autre, on comparera seulement les deux catégories extrêmes (les plus jeunes et les plus anciens), sachant qu’il est difficile de dissocier ici les effets d’âge dus au vieillissement des effets de génération qui ne peuvent être approchés que par une enquête longitudinale.

L’origine sociale

8 Comme en 1982, la structuration de la police en trois corps correspond à une échelle hiérarchique : les commissaires sont à la tête du commissariat, les officiers constituent la hiérarchie intermédiaire et les gardiens de la paix un corps d’exécution. Ces trois grades suivent une structuration en classes sociales (supérieure, moyenne, populaire), illustrant une formule toute faite qu’aiment à répéter les policiers pour signifier qu’ils ne constituent pas un groupe à part : « chez nous, il y a de tout – il y a toute la société ».

9 Si la stratification en grade recouvre d’une décennie à l’autre une stratification en classe, est-elle pour autant semblable ? La distinction de trois classes d’âge dans notre échantillon révèle une baisse très significative de la proportion de fils d’ouvriers entre les policiers de moins de 36 ans et les plus de 45 ans (cf. tableau n° 1 en annexe électronique), que ce soit au grade d’officier ou de gardien de la paix. En revanche, la proportion de mère ouvrière est semblable (autour de 6% pour les officiers et de 13% pour les gardiens de la paix, quelle que soit la classe d’âge). Que l’on trouve une moindre proportion de fils d’agriculteurs et d’agricultrices, n’a rien d’étonnant, étant donné la baisse considérable de cette PCS depuis vingt ans.

10 Autre élément qui change d’une génération à l’autre, c’est l’augmentation du nombre de policiers avec un père et une mère employés, dans des professions intermédiaires, la multiplication par deux du nombre d’enfants de cadres (par quatre pour les mères cadres) et la division par deux du nombre de mères au foyer, et ce, à tous les grades. Il y a donc une hausse générale de l’origine sociale des policiers par rapport aux années 1980, hausse qui correspond tout à fait à la revalorisation salariale et statutaire dont les policiers ont bénéficié en vingt ans.

11 Cette hausse étant significative à la fois au grade d’officier et au grade de gardien de la paix, la stratification en classe sociale se maintient, avec un déplacement vers le haut : on trouve toujours deux fois plus d’enfants d’ouvriers et trois fois moins d’enfants de cadres, chez les gardiens de la paix et chez les officiers, toutes générations confondues.

12 Il faut noter que la féminisation de la police n’a pas perturbé cette stratification en classe sociale : les gardiennes de la paix sont issues des mêmes catégories sociales que leurs collègues masculins (cf. tableau n2 en annexe électronique). Elles n’ajoutent pas à la particularité d’être femme dans un métier d’homme, celle d’être des déclassées. Les femmes officiers sont en revanche issues de classes sociales légèrement plus élevées que leurs homologues masculins, notamment au regard de la profession de leur mère, plus souvent dans des professions intermédiaires (19,5%) que les hommes (14,2%) et moins femmes au foyer que pour leurs homologues masculins (31% contre 42,2%). S’il s’agit là d’un phénomène plus classique de sursélection des femmes dans les métiers atypiques, il n’est néanmoins pas massif.

13 En termes d’origine sociale, un autre résultat très stable depuis vingt ans et quel que soit le sexe doit enfin être mentionné : le métier est loin d’attirer uniquement des catégories urbaines (région parisienne ou grandes villes), alors qu’il s’agira de leur principal lieu d’exercice. Ainsi en 1982, 30% des policiers avaient passé la majeure partie de leur enfance à la campagne, 20% dans une petite ville. En 2003, ils sont 26,7% à venir de la campagne, 27,2% d’une petite ville (cf. tableaux n° 3 et 4 en annexe électronique).

Niveau et type d’étude

14 En lien avec la hausse générale de l’origine sociale des policiers, l’autre évolution marquante entre 1982 et 2003 concerne le niveau d’études qui a augmenté pour l’ensemble des policiers, au delà de l’augmentation des diplômes requis pour avoir le concours. En 2003, le baccalauréat n’était pas indispensable pour passer le concours de gardien de la paix et pour les officiers, il fallait un niveau DEUG. 63% des gardiens de la paix ont le bac en 2003 contre 4% en 1982. La moitié des officiers a un niveau équivalent ou supérieur à BAC+2, alors qu’ils n’étaient que 18% et 15% au grade d’inspecteur et d’officier de paix en 1982. Évolution notable, 26% d’entre eux ont une licence et une maîtrise (cf. tableau n° 5 en annexe électronique). Cette élévation du niveau des diplômes des policiers est souhaitée par l’institution qui depuis trente ans œuvre en faveur de la professionnalisation en obligeant les gardiens de la paix à passer le baccalauréat pendant leur formation, en obligeant désormais les commissaires à avoir un master et les officiers, à avoir une licence.

15 L’effet pervers de cette hausse générale des diplômes, c’est la frustration des gardiens de la paix, quand ils se rendent compte, une fois en service, qu’ils ne peuvent pas matériellement passer le concours d’officier (impliquant une scolarité loin de leur domicile) et que les places sont chères dans les brigades d’élite. Ils découvrent aussi qu’une partie de leurs missions ne correspond pas à leur niveau d’études et que les officiers nouvellement recrutés ont parfois les mêmes diplômes qu’eux pour un salaire et un niveau de responsabilité plus élevés. Cette nouvelle génération de gardiens de la paix déclassés, parce que surdiplômés, n’est pas sans inquiéter les dirigeants policiers sur l’avenir du commandement d’« exécutants » qui se considèrent de moins en moins comme tels. La tendance va en s’accentuant puisqu’il est question de réduire drastiquement le nombre d’officiers au profit de gardiens de la paix qui seraient massivement habilités à être officiers de police judiciaire – habilitation leur ouvrant la voie, entre autres, au droit de perquisition et de garde à vue.

16 Du point de vue de l’élévation générale du niveau de diplôme, la féminisation a eu un effet d’entraînement : comme dans d’autres professions, les femmes sont très largement surdiplômées. Si elles ne se distinguent pas des gardiens de la paix hommes, en termes d’origine sociale, elles les surpassent en termes de niveau d’étude : 27,1% d’entre elles ont un DEUG et au-delà contre 16,7% parmi leurs homologues masculins. La différence est encore plus accentuée entre hommes et femmes officiers, tout en maintenant les écarts avec les gardiens de la paix des deux sexes.

17 Le contenu des études a évolué en même temps que le niveau de diplôme : les policiers font de plus en plus d’études de droit au grade d’officier et au grade de gardien de la paix (cf. tableau n° 6 en annexe électronique) : si les jeunes officiers sont majoritairement juristes (à hauteur de 71,8% pour les officiers de moins de 35 ans), les jeunes gardiens de la paix qui ont fait des études de droit sont minoritaires (18,1% d’entre eux). Ainsi quand les « anciens » déplorent le monolithisme croissant des jeunes, ils visent principalement les officiers. Les gardiens de la paix ont bien davantage fait des études sportives (pour 30% d’entre eux), et presque autant d’études « scientifiques » (à hauteur de 16,6%) que de droit. Un élément de recrutement ne s’est pas modifié en vingt ans : la majorité des gardiens de la paix, quelle que soit la génération, a fait des études techniques et commerciales. Dans la mesure où le concours n’a longtemps exigé aucun diplôme et reste fondé sur des épreuves générales, il est normal qu’il n’y ait pas de polarisation des gardiens de la paix sur un type d’études.

18 La féminisation de la profession reproduit-elle ces tendances (cf. tableau n° 7 en annexe électronique) ? Les femmes font davantage d’études de droit que leurs homologues masculins (62,1% des femmes contre 46,4% des hommes officiers, 20,6% des femmes gardiens de la paix contre 10,8% des hommes gardiens de la paix). Étant donné la sursélection dont elles font l’objet, les femmes ont tout intérêt à faire des études de droit dont elles savent qu’elles leur seront utiles pour avoir les concours de police.

19 On retiendra qu’à la différence d’autres professions établies (Hughes, 1996) qui veillent à ce que la spécialisation commence assez tôt (études scientifiques pour les médecins ou études juridiques pour les avocats), les policiers, quel que soit le grade, restent issus de parcours assez divers. Mais quand les anciens partiront à la retraite et si la tendance se confirme, le nombre de juristes augmentera.

Expérience professionnelle antérieure

20 On devient de moins en moins policier à la suite d’un passage par le secteur privé et de plus en plus à la suite de ses études universitaires, quel que soit le grade (cf. tableau n° 8 en annexe électronique). Ainsi 73,6% des officiers et 41,6% des gardiens de la paix de moins de 36 ans étaient étudiants avant d’entrer dans la police contre 42,1% et 5,7% de leurs homologues plus anciens. Ouvriers en usine, peintres en bâtiment et vendeurs de machines agricoles reconvertis se font de plus en plus rares dans la profession. Cette situation n’est pas sans faire débat : les anciens déplorent le manque de maturité des jeunes recrues, qui, pour ne pas avoir vécu une expérience professionnelle antérieure (en dehors de petits « jobs »), n’arrivent pas à prendre la mesure des avantages mais aussi des coûts du métier, encore moins à comprendre la situation de certaines catégories sociales auxquelles ils ont affaire.

21 Une autre évolution importante invalide une idée reçue et ce, dès les années 1980 : alors qu’après-guerre jusque dans les années 1970, un passage dans l’armée constituait une voix d’entrée dans la police, elle ne concerne désormais plus les officiers qu’à la marge (autour de 3%) et reste une expérience professionnelle minoritaire pour les gardiens de la paix (autour de 10%), quelle que soit la classe d’âge. Il y a donc peu de passerelles entre métiers d’ordre.

22 Ce résultat doit être modéré par l’incidence du service militaire dans le choix du métier : 11% des officiers et 23,4% des gardiens de la paix ont pensé à entrer dans la police en faisant leur service militaire (cf. supra, tableau n° 17 en annexe électronique). Mais de quel service militaire s’agit-il ? L’enquête ne permet pas de le savoir. Jusqu’en 2000, les jeunes garçons pouvaient en effet faire leur service en tant que policier auxiliaire ou gendarme auxiliaire. Cette année de service militaire dans la police ou la gendarmerie constituait une forme de pré-embauche et leur permettait de bénéficier de concours spécifiques. La création de ces statuts explique pourquoi en 1982, selon l’enquête Interface, ils n’étaient en effet que 20% à avoir eu l’idée d’entrer dans la police pendant leur service militaire et pourquoi en 2003, ce taux s’élève à 27,1%.

23 Une autre idée reçue sur la police est battue en brèche : la police serait un choix par défaut, dans l’urgence de trouver un emploi. Or, très minoritaires sont les policiers (officiers et gardiens de la paix, jeunes ou anciens, hommes ou femmes) à avoir fait l’expérience du chômage avant d’entrer dans la police (cf. tableau n° 9 en annexe électronique).

Entrer dans la police : une entreprise familiale ?

24 La police est un métier d’arme et la question de l’héritage social se pose. Au rebours de ce que l’on observe dans l’armée, un stéréotype doit être immédiatement dissipé concernant la police : la part des enfants de policier et de militaire est faible et ce, à tous les grades et fait remarquable, à part égale pour les deux sexes. Seulement 10,9% d’entre eux et 10,7% d’entre elles ont un père policier et 5,6% d’entre eux et 5,8% d’entre elles, un père militaire (cf. tableau n° 2 en annexe électronique). À la différence des enseignants qui communiquent leur métier à leurs enfants, seulement un dixième des policiers opère cette transmission. Ce résultat se maintient depuis bientôt trente ans : en 1982, 17% des policiers avaient un père policier ou militaire. En 2003, ils sont 16,4%.

25 Si l’on entre dans le détail des grades, on se rend compte que ce résultat vaut surtout pour les gardiens de la paix et que dans le cas des officiers, la baisse s’accentue (cf. tableau n° 1 en annexe électronique). Seulement 3,7% et 2,4% des officiers de moins de 36 ans ont un père dans la police et dans l’armée contre 13,6% et 8% parmi leurs homologues de plus de 45 ans. Comment expliquer cette désaffection, alors même que le métier s’est valorisé à tous égards ? Est-ce un effet du désenchantement policier et de la crise d’autorité que connaissent les institutions ? Force est de constater que la police attire de moins en moins les enfants de policiers qui ont fait des études et qui ont à leur disposition toute une panoplie de métiers, réputés moins pénibles et plus prestigieux. Il est très significatif que seulement 1,3% de notre échantillon ait un fils ou une fille dans la police. Ce défaut de transmission en ligne directe, que ce soit par les ascendants ou aux descendants, rend compte du déficit de vocation qui touche la profession. La grande majorité des enfants de policiers, alors même qu’il est possible de monter en grade, n’a pas envie d’exercer le métier de ses parents.

26 C’est un autre résultat très important de notre enquête sociodémographique qui rompt avec le stéréotype de l’entrée dans les métiers masculins sous l’influence paternelle : les femmes ne sont pas plus filles de policiers ou de militaires que leurs homologues masculins. À la différence des militaires, les dynasties de « flics » sont finalement rares. Lorsqu’elles sont mises en exergue dans certaines trajectoires médiatiques, elles ne sont en fait pas représentatives du recrutement policier, féminin ou masculin.

27 Si la filiation paternelle constitue un phénomène minoritaire, en revanche, le fait d’avoir « un » policier dans la famille joue de manière plus importante puisque 44,2% des officiers et gardiens de la paix ont au moins un membre de sa famille proche ou éloignée dans la profession (cf. tableau n° 10 en annexe électronique). Leur seule présence, sans qu’elle soit nécessairement incitative, comme le montrent les entretiens, suffit à inscrire le métier policier dans le champ des possibles. La mauvaise réputation du métier ou la crainte qu’il suscite sont appréhendées sous un autre jour du fait même de côtoyer un membre de la famille qui exerce un tel métier.

28 Reste cependant le résultat majoritaire, quel que soit le sexe : 60,4% des officiers et 52,6% gardiens de la paix n’ont aucun membre de leur famille dans la police et cette tendance s’accentue pour les jeunes générations et ce, à tous les grades (cf. tableau n° 11 en annexe électronique).

29 Est-ce à dire que les parents, pour être plus nombreux à ne pas avoir de policier dans la famille, sont indifférents au métier ? Les parents sont favorables à l’entrée de leur enfant dans la police. Le phénomène est massif, quels que soient le grade, le sexe et les classes d’âge (cf. tableaux n° 12 et 13 en annexe électronique). Les pères soutiennent leur fils, à hauteur de 83,4%, et les mères, dans une moindre mesure, à hauteur de 76%, pour des raisons tout à fait « genrées ». En entretien, il est davantage précisé que la mère a davantage peur que le père de voir son enfant s’engager dans une profession à risque. Quant aux filles, elles sont légèrement moins soutenues par leur père que les fils (à hauteur de 76,5%), et très légèrement plus soutenues par leur mère (à hauteur de 79,1%). Dans tous les cas, l’assentiment parental est déterminant pour les trois quarts des policiers, en contribuant à légitimer le choix d’un tel métier. Et cet assentiment ne repose pas sur l’appartenance majoritaire à la fonction publique puisque seulement 38,4% des officiers et 34% des gardiens de la paix ont un père et/ou une mère fonctionnaire.

La naissance de la vocation

30 L’allongement des études et l’entrée plus tardive sur le marché de l’emploi depuis vingt ans ont eu pour corollaire de rendre le choix du métier police moins précoce, aussi bien pour les officiers que les gardiens de la paix (cf. tableau n° 14 en annexe électronique) : 52,7% des policiers de 46 ans et plus choisissaient ce métier avant le lycée contre 38,7% des moins de 36 ans. Inversement, 50,5% des policiers de moins de 36 ans ont pensé à entrer dans la police après le lycée contre 20,3% des plus de 45 ans. Le métier policier serait-il en passe de ne plus être un rêve d’enfant, mais un choix rationnel en fonction des études accomplies et du marché de l’emploi ? C’est du moins le cas pour les gardiens de la paix hommes qui sont les plus nombreux (les deux tiers) à choisir tardivement la police.

31 Le détail par sexe révèle qu’il y a une proportion équivalente de naissance de la vocation (autour de 50%) avant ou après 18 ans au grade d’officier, qu’ils soient hommes ou femmes, ainsi que pour les gardiennes de la paix. C’est en soi un résultat important : la moitié de femmes policiers n’a pas attendu d’être sur les bancs de l’université pour découvrir l’existence du métier possible et l’inscrire dans la liste des métiers possibles. Le fait que les femmes policiers soient surdiplômées montre bien que ce choix, fût-il précoce, est consolidé par des études longues en vue de la réussite au concours (cf. tableau n° 15 en annexe électronique).

32 Dans tous les cas, le choix du métier policier n’est pas un choix hasardeux, puisque la majorité des policiers (65,5%), quel que soient le sexe et le grade, que ce soit plus après 45 ans ou avant 36 ans, a passé exclusivement des concours de police. C’est bien la preuve que les futurs policiers n’avaient en tête qu’un seul métier de la fonction publique au moment où ils candidataient (cf. tableau n° 15 en annexe électronique).

Les motivations initiales

33 Les enquêtes quantitatives sur la police l’ont déjà montré : s’opère une ligne de partage entre des policiers entrés dans le métier par vocation, légèrement plus majoritaires et d’autres, par réalisme, autour de 45%. C’est déjà un résultat qui avait été mis en évidence par l’enquête « Interface » et « Cohorte ».

34 D’une génération à l’autre, le métier policier reste attractif par sa seule vertu d’appartenir à la fonction publique pour les gardiens de la paix : 52% des plus de 45 ans et 45,1% des moins de 36 ans choisissent d’entrer dans la police pour la sécurité de l’emploi. Même si la baisse est notable, presque un gardien de la paix sur deux a bien à l’esprit qu’entrer dans la police, c’est accéder au statut de fonctionnaire. Ce n’est plus le cas des officiers : alors que 23,2% des 46 ans et plus faisaient ce choix réaliste, il ne concerne plus que 7,4% des moins de 36 ans. Cette différence entre grades renvoie à la différence de réputation en termes de fonctions policières, de facilité de concours. Rappelons que le concours de gardien de la paix est le mieux payé de la fonction publique eu égard au peu de diplômes exigés.

35 On trouve parmi les anciens et parmi les jeunes la même proportion de policiers à considérer le métier comme hors du commun (autour de 16%) – preuve que le métier ne s’est pas banalisé. Quant à la part de policiers qui entrent dans le métier par souci de rendre service, elle demeure stable d’une génération à l’autre : environ 18% des officiers et gardiens de la paix sont motivés par le fait d’exercer un métier de contact, 25% des gardiens de la paix par le fait d’être utile aux autres (avec une hausse pour les officiers).

36 Seules trois modalités permettent d’opposer clairement les générations, quel que soit le grade : le salaire est deux fois plus attractif pour les 46 ans et plus (19,9%) que pour les policiers de moins de 36 ans (11%) et la différence est encore plus accentuée pour les officiers. Les policiers les plus jeunes sont plus motivés par le fait de faire respecter l’ordre et la loi que les anciens. Est-ce parce que leurs souvenirs de la formation qui serine ce précepte sont plus frais ?

37 Autre évolution importante depuis les années 1980, la perspective d’exercer un métier « qui bouge » suscite deux fois plus de vocation : 40,6% des moins de 36 ans sont devenus policiers pour faire un métier où l’on bouge contre 22,9% des 46 ans et plus. Il est bien entendu complexe de démêler ce qui relève de la position du policier (en début, en milieu ou en fin de carrière) et de ses effets rétroactifs sur ses motivations premières. On peut faire l’hypothèse que plus le policier vieillit, moins il est enclin, peut-être, à considérer rétrospectivement qu’il a choisi ce métier par goût de l’action. Ne pouvant vérifier ce phénomène, on se contentera de signaler que pour les trois générations, on constate la même ligne de partage entre « vocationnels » et « réalistes » [5], les plus jeunes affirmant une plus grande vocation que les anciens, même si la vocation reste pour toutes les générations majoritaires.

38 Quant à la distinction selon le sexe (cf. tableau n° 17 en annexe électronique), elle joue différemment selon le grade : les femmes officiers sont deux fois moins nombreuses que leurs homologues masculins à entrer dans la police pour être fonctionnaires et deux fois plus nombreuses que ces derniers à vouloir exercer un métier qui bouge, un métier utile, un métier de contact, pour faire respecter l’ordre et la loi.

Tableau n° 16

Les motivations initiales selon les classes d’âge

Officiers (%) Gpx (%) Tous grades (%)
Ce qui vous a incité à être policier
Choix réaliste
Le salaire
La sécurité de l’emploi
Choix aventurier
Faire un métier où l’on bouge
Faire un métier hors du commun
Les romans/séries/films policiers
Choix missionnaire
Faire un métier utile
Faire respecter l’ordre et la loi
Faire un métier de contact
Choix rigoriste
Le commandement
Parce qu’on est respecté
Ensemble*
N
< 35 36-45 46 et +
2,5 4,1 11,6
7,4 23,2 24,1
42,3 35,3 32,5
30,7 32,8 27,3
13,5 5 2,8
37,4 34,4 27,7
30,1 22,4 18,1
21,5 18,7 18,5
4,3 5,8 5,2
0 0 0,8
163 241 249
<35 36-45 46 et +
11,7 17,9 22,4
45,1 50,2 52
40,6 23,9 20,2
14,9 14 12,2
2,6 1,7 0,5
25,5 25,3 24,3
26,3 24,1 18,3
17 17,6 19
0,8 0,3 1,2
0,2 0,6 0,8
2120 1088 1078
<35 36-45 46 et +
11 15,2 19,9
42,2 44,7 46
40,6 26,5 22,9
16,3 17,8 15,7
3,4 2,4 1
26,4 26,9 25,2
26,7 23,5 18,2
17,3 17,8 18,8
1,1 1,5 2,2
0,2 0,5 0,8
2301 1351 1360
figure im1

Les motivations initiales selon les classes d’âge

*Ce tableau réunissant les réponses positives à des questions distinctes, la somme des colonnes ne peut pas être égale à 100%.

39 Comparativement, l’écart entre hommes et femmes au grade de gardien de la paix est moindre. 43,6% des femmes entrent dans la police pour la sécurité de l’emploi, alors même qu’elles auraient pu choisir un autre concours de la fonction publique. Elles ne sont pas significativement plus motivées que les hommes par le fait d’exercer un métier hors du commun. Elles n’entrent par ailleurs pas davantage que les hommes dans la police par vocation altruiste (pour exercer un métier utile et de contact). Comme les femmes officiers, elles sont légèrement plus inspirées par le fait d’exercer un métier qui bouge et qui impose le respect de l’ordre et de la loi.

40 D’une manière générale, les femmes entrent davantage dans la police par vocation. C’est aussi le cas des officiers, indépendamment du sexe, par rapport aux gardiens de la paix.

41 De l’évolution sociodémographique des policiers depuis vingt ans, on retiendra les points suivants : la police reste stratifiée en classes sociales selon les grades, elle recrute toujours aussi peu d’enfants de policiers et toujours autant de policiers qui n’ont pas grandi dans les grandes villes et banlieues et la vocation reste la voie d’entrée majoritaire dans le métier. Les jeunes policiers recrutés sont en revanche plus diplômés, surtout les femmes, et issus de classes sociales supérieures à leurs aînés, leur environnement familial proche est légèrement moins policier. Alors que les gardiennes de la paix à bien des égards se rapprochent des hommes, les femmes officiers constituent le groupe le plus distinct : elles sont légèrement déclassées tant du point de vue du diplôme que de l’origine sociale et bien plus vocationnelles.

Les raisons d’entrer dans la police, toutes choses égales par ailleurs

42 Après avoir établi le profil des officiers et gardiens de la paix recrutés, on a poussé plus loin l’investigation en procédant à un raisonnement « toutes choses égales par ailleurs » : quelles sont les variables sociodémographiques qui pèsent sur les raisons d’entrer dans la police ? Sont-elles distinctes selon que l’on est animé par des motivations réalistes, par une vocation aventurière, par une vocation missionnaire ou par une vocation rigoriste ?

43 La sociologie de la police (comme une partie de la sociologie des professions) s’intéresse davantage à la formation et à la socialisation professionnelle. Plus rares sont les enquêtes sur la vocation et ses ressorts, précédant l’entrée dans le métier relevant de la socialisation primaire. La sociologie anglo-saxonne a délaissé l’exploration des trajectoires qui conduisent à opter pour la police, à quelques exceptions près (McNamara, 1967 ; Van Maanen 1977 ; Fielding, 1988 ; Chan 2003). Quant à la sociologie francophone de la police, elle dispose des données statistiques (Monjardet, Gorgeon, 1992-2004 ; Alain, 2004 ; Alain, Baril, 2005) mais elle n’en a pas fait un objet de recherche à part entière. La vocation n’intéresse qu’en tant qu’elle constitue un indicateur de la conception de la police (préventive, répressive, notamment).

44 Les régressions logistiques qu’on a menées à partir des vocations policières nous ont permis de proposer deux nouveaux questionnements, en inscrivant, d’une part, dans une même modélisation, l’expérience préalable des policiers et leur conception du métier, et en comparant, d’autre part, les policiers mus par une vocation univoque aux policiers oscillant entre deux types de vocations.

Des voies d’entrée plurielles

45

J’ai une maîtrise de science éco et à cause de la loi Debré, j’ai dû interrompre mes études, parce qu’il y a eu des manifs. J’ai passé tous les concours administratifs qui payent le plus, puis la police. J’étais motivé par le truc. Ça m’intéressait (…). À l’époque, il n’y avait pas d’information, vous entriez dans la police comme ça, je ne savais même pas si j’étais en tenue. À l’époque, c’était Maigret. La police, pourquoi pas ? Il n’y avait pas d’info au ministère de l’Intérieur. (…). Papa était directeur financier d’une boîte, il était cadre supérieur et maman était femme au foyer. J’avais fait 68, mes parents étaient très surpris. Je suis rentré en science-éco à Nanterre et on en a profité, on n’a rien fait. Mes copains et mes parents ont été très surpris. Que faire d’autres après science-éco ? Cadre bancaire ? Assurances ? Fonctionnaire. Je ne voulais pas être assis dans un bureau (M. Commandor, Commandant, environ 50 ans).

46 Cet extrait d’entretien, issu d’une enquête antérieure qui comparait trajectoires masculines et féminines dans la police, menée par entretiens (Pruvost, 2007) montre bien l’enchevêtrement des causes : ce commandant recruté en 1973 met d’abord en avant des raisons conjoncturelles et socioéconomiques (la loi Debré, la nécessité de trouver un emploi). Il évoque ensuite son attrait pour la figure mythique du policier – en dehors de toute influence familiale et amicale. Si l’on retraduit ces arguments dans les termes de notre questionnaire, cet officier cumule des arguments à la fois réalistes et aventuriers.

47 C’est pourquoi dès la conception de notre questionnaire, on a complexifié le modèle binaire des vocationnels et des réalistes en subdivisant tout d’abord la catégorie des vocationnels en trois (aventuriers, missionnaires et rigoristes) et en proposant ensuite deux choix possibles parmi la liste d’arguments proposés, à classer par ordre d’importance. Ce dispositif a permis d’isoler, pour ne prendre que cet exemple, les « réalistes purs et durs » (autrement dit les policiers qui n’ont mis qu’un seul choix ou deux choix relevant de la même catégorie) et les « réalistes aventuriers », soit ceux qui ont mis en premier un choix réaliste et en second, un choix aventurier.

48 Le double choix présente l’avantage de définir une propension à choisir tel ou tel mode d’entrée - qui permet de réunir tous les individus qui ont opté pour une catégorie réaliste, aventurière, missionnaire ou rigoriste, que ce soit en choix 1 ou en choix 2. Pour ce faire, on a procédé à une dichotomisation de la question en transformant le choix pour telle ou telle modalité en question oui/non (cf. tableau n° 16).

49 La lecture croisée de ces tableaux permet de mieux définir chaque motivation l’une par rapport à l’autre, ainsi que l’argument le plus plébiscité au sein de chaque catégorie de motivation [6].

Tableau n° 17

Combinaison des choix n° 1 et n° 2

Premier choix Deuxième choix
Réaliste : 39% (1938)
Aventuriers : 31% (1564)
Missionnaires : 19% (975)
Rigoristes : 10% (490)
Non réponse : 1% (48)
• Réaliste : 24% (467)
• Pas de second choix : 17% (338)
= Purs et durs : 41%
• Aventuriers : 23% (449)
• Missionnaires : 22% (431)
• Rigoristes : 13% (253)
• Aventuriers : 227 (15%)
• Pas de second choix : 282 (18%)
= Purs et durs : 33%
• Missionnaires : 33% (510)
• Rigoristes : 18% (285)
• Réalistes : 17% (260)
• Missionnaires : 17% (168)
• Pas de second choix : 22% (218)
= Purs et durs : 39%
• Aventuriers : 18% (179)
• Rigoristes : 24% (232)
• Réalistes : 18% (178)
• Rigoristes : 4% (18)
• Pas de second choix : 25% (121)
= Purs et durs : 29%
• Aventuriers : 28% (139)
• Missionnaires : 26% (125)
• Réalistes : 18% (87)
figure im2

Combinaison des choix n° 1 et n° 2

Les entrées réalistes

50 Le choix réaliste ne concerne qu’un peu plus du tiers des policiers (39% d’entre eux). C’est la catégorie qui comporte cependant le plus de « purs et durs » (comparativement aux aventuriers, missionnaires et rigoristes) : 41% des policiers utilitaristes ne formulent qu’un seul choix ou se trouvent à la fois intéressés par le fait d’intégrer la fonction publique et d’avoir un bon salaire. Si l’on entre dans le détail du contenu de la motivation réaliste, il apparaît que le salaire est bien moins attractif que le statut de fonctionnaire, puisque seulement 14,5% des policiers ont mentionné le salaire en premier ou en second choix.

51 La majorité des policiers utilitaristes (59%) est animée d’intentions plurielles, ajoutant aux considérations matérielles un attrait pour le contenu même du métier : 23% des réalistes avancent en second choix un argument aventurier, 22% d’entre eux, un argument missionnaire et seulement 13% d’entre eux, un argument rigoriste. Il faut préciser que la relation inverse ne se vérifie pas : 82% des aventuriers, missionnaires et rigoristes préfèrent inscrire majoritairement un autre choix vocationnel en second choix plutôt qu’un choix réaliste. En bref, on entre bien moins dans la police par pur réalisme que par pure vocation.

Les entrées aventurières

52 Parmi les choix vocationnels, la catégorie la plus citée par les policiers est celle de l’aventure. Elle comprend un tiers d’aventuriers « purs et durs » (33%), qui ont formulé soit un seul choix dans cette catégorie, soit affirmé à la fois vouloir « faire un métier où l’on bouge » et/ou « un métier hors du commun » et/ou sous l’influence des fictions policières. Dans la police, cette vocation exclusive renvoie au stéréotype, bien répandu dans les commissariats du « cow-boy » « tout feu tout flamme » qui rêve de course-poursuite : Moi, je voulais arrêter les bandits (Mme Brigadam, brigadier, 31 ans, Sécurité publique).

53 Cette conception aventurière de la vocation se combine plus fréquemment avec des intentions missionnaires : un tiers des aventuriers (33%) penche en effet en second choix pour l’exercice d’un métier utile et de contact, révélant que ce rêve d’action se combine avec des visées altruistes, comme en témoigne cet extrait d’entretien : Moi, je ne voulais pas travailler derrière un guichet. Je voulais jouer aux gendarmes et aux voleurs. Sauver la veuve et l’orphelin. Je voulais être pompier (M. Gardif, gardien de la paix, 30 ans, SP). Moins nombreux sont ceux qui combinent le goût de l’action avec des intentions rigoristes. L’association avec des intentions réalistes est également assez faible (17%). Il y a de fait une certaine antinomie entre vouloir entrer dans la police par aventure et par nécessité socioéconomique.

54 En ce qui concerne le contenu assigné au métier d’aventure, on remarque que l’influence des fictions policières est négligeable, citée seulement au total par 2,5% de l’ensemble des policiers. 16,5% d’entre eux avance l’idée qu’il leur plaisait d’exercer un métier hors du commun. Ce qui importe avant tout aux aventuriers, c’est d’exercer « un métier où l’on bouge » (pour 32% de l’effectif). Ce souhait revient souvent en entretien, formulé de la manière suivante : je ne voulais pas travailler assis dans un bureau ; Je voulais travailler dehors.

Les entrées missionnaires

55 La motivation missionnaire est choisie par 19% des policiers en premier choix : elle comporte davantage de « purs et durs » (39%) que pour les vocations aventurières et rigoristes. Les policiers tentés par le métier parce qu’il s’agit d’un « métier de contact » et d’un « métier utile » font preuve d’une vocation plus univoque.

56 Il faut noter que le second choix le plus fréquent pour les missionnaires est le choix rigoriste (24%), éclairant d’un jour plus ferme la vocation missionnaire : il s’agirait d’être utile, en contact avec les gens dans le but de faire respecter l’ordre et la loi – et moins par goût de l’aventure (18%) ou par nécessité socioéconomique (18%).

57 Le lien entre vocation missionnaire et vocation rigoriste est confirmé par la distribution des voix de l’ensemble des policiers sur les deux modalités qui ont servi à constituer la catégorie missionnaire : 26,2% des policiers affirment vouloir « faire un métier utile » contre 17,8% d’entre eux qui entendent « faire un métier de contact ». La dimension de service public l’emporte sur la dimension relationnelle.

Les entrées rigoristes

58 La motivation rigoriste constitue une catégorie indécise à tous points de vue : c’est la voie d’entrée la plus minoritaire, concernant seulement 10% de l’effectif en premier choix. C’est celle qui comporte le moins de purs et durs (29% des rigoristes). C’est du coup celle qui se combine le plus avec d’autres motivations : l’esprit d’aventure (28%), suivi de près par le sens du service (26%), montrant bien que ce type de motivation n’est avancé que parce qu’il est couplé avec d’autres.

59 La modalité qui recueille le plus de suffrages dans la catégorie rigoriste est de fait une formule assez large : 24,3% des policiers ont au moins cité une fois qu’ils souhaitaient entrer dans la police « pour faire respecter l’ordre et la loi ». Or, cette formule toute faite, répétée en école de police, constitue le cœur du métier. Quelqu’un qui n’aime pas l’ordre, la loi, l’obéissance, le respect, il ne faut pas qu’il soit flic, explique Mlle Offélec (élève lieutenant, 27 ans).

60 Le souhait de faire respecter l’ordre peut néanmoins être interprété en des sens très divers. Les deux autres modalités qui vont dans le sens du rigorisme ne permettent pas de circonscrire plus sûrement l’« ordre » et la « loi » visés car seulement 0,5% et 1,5% des policiers disent au moins une fois avoir choisi le métier « parce qu’on est respecté » et « pour le commandement ». Le métier policier n’est par conséquent pas directement choisi pour la figure d’autorité qu’il incarne. Ainsi, les rigoristes veulent majoritairement faire respecter l’ordre et la loi, en partie par goût de l’action, en partie à des fins missionnaires.

61 De la combinaison de ces motivations initiales, on retiendra trois points importants : se faire respecter, apprécier la position de commandement, se déclarer influencé par les fictions policières constituent des arguments très marginaux pour entrer dans la police, réduisant à sept arguments pertinents sur les dix proposés et dessinant plus précisément les contours des catégories réalistes, aventurières, missionnaires et rigoristes. Seulement un tiers des policiers, quelle que soit sa motivation initiale, a une opinion univoque sur ses raisons de choisir un tel métier. La majorité des policiers combine deux motivations principales, le plus souvent relevant de la vocation pour le métier, plutôt que du réalisme. N’émerge cependant aucune combinaison majoritaire et réciproque. Ce résultat nous a incités à ne pas construire de nouvelles catégories (du type, les aventuriers missionnaires) et à ne pas classer les policiers proprement dits, dont les raisons d’entrer dans le métier sont multiples, mais plutôt les propensions à avoir opté pour tel choix, qu’il soit ou non associé à un autre.

Modélisation et description des variables introduites

62 Reste à savoir, toutes choses égales par ailleurs, l’incidence des variables sociodémographiques sur la propension à être réaliste, aventurier, missionnaire ou rigoriste (que ce soit en premier ou en second choix). Afin de consolider les résultats obtenus, on a comparé la même régression logistique auprès des « purs et durs » de chaque catégorie.

63 On a tout d’abord procédé, pour chacun des types de vocation définis, à une modélisation « emboîtée » afin d’identifier de manière précise les effets propres des différents indicateurs utilisés. Le principal apport des modèles emboîtés est de tester la persistance des effets propres observés lorsque de nouvelles variables de contrôle sont mobilisées. En effet, une ou plusieurs des variables explicatives initialement employées peuvent dissimuler des effets structurels portés par des indicateurs non encore utilisés dans l’équation de modélisation. On a ainsi introduit, dans un premier temps, une liste restreinte d’indicateurs sociodémographiques : le sexe, l’âge regroupé en tranches, le grade et le service.

64 On a complété ensuite, lors d’une deuxième modélisation, la liste des variables indépendantes par une série d’indicateurs supplémentaires : le type d’agglomération urbaine de résidence durant l’enfance, l’expérience professionnelle avant l’entrée dans la police, le type d’études, le niveau du diplôme atteint, la profession des parents, l’origine policière de l’entourage proche et éloigné, la précocité du choix du métier.

65 On a ajouté au modèle une dernière variable : la conception plus ou moins répressive du métier afin d’établir un lien avec le type de vocation revendiqué.

Cette dernière variable d’ordre idéologique, contrairement aux autres variables indépendantes présentes telles quelles dans le questionnaire, est une variable synthétique, construite à partir d’une analyse des classes latentes [7] qui permet de classer les policiers selon leur conception du métier à partir des opinions exprimées dans quatre questions dont les interrelations ont été étudiées et quantifiées, à savoir : la mission première du policier (arrêter les délinquants, faire respecter la loi, secourir les personnes en danger, protéger les institutions républicaines, prévenir la délinquance) ; la question de la collaboration (avec les parents, les gendarmes, les magistrats, les partenaires de la société civile) ; les causes de la délinquance (due à la pauvreté et au chômage, au manque d’encadrement de la famille et de l’école, au manque de sanction de la justice et au manque de place en prison, à l’économie parallèle, au fait qu’on en parle trop dans les films et les médias), aux catégories envers lesquelles la police doit être vigilante (les jeunes, les extrémistes, les immigrés, les truands et le monde de la prostitution, la drogue, les automobilistes).

66 À partir des modalités ci-dessus, ont émergé trois catégories exclusives (cf. tableau n° 18 en annexe électronique) : les répressifs (45%), les préventifs (10%) et un groupe intermédiaire de policier, qualifié de médians (45%), dont l’attitude, moins tranchée, semble plus proche de la doxa policière [8].

67 Ce qui donne le tableau de régression suivant (on a mis en caractère gras la modalité de référence) :

Tableau n° 19

Les variables incluses dans le modèle emboîté de régression

Modèle réduit
Sexe
Âge
Grade
Service
Homme
Femme
36-45 ans
< = 35 ans
46 ans et +
Gardien de la paix
Commandant, capitaine, lieutenant
Brigadier
Autre
SP
PJ
RG
CRS
PAF
DFPN
Variables ajoutées pour le modèle complet
Enfance - Paris et banlieue, grande ville
exclusivement
Enfance – petite ville exclusivement
Enfance – à la campagne exclusivement
Enfance – hors métropole exclusivement
Emploi avant police ?
A connu le chômage ?
Autres emplois
Emploi sécurité/armée
Emploi santé/éducation/social ?
Passage d’autres concours
Profession du père
Non
Oui
Non
Oui
Non
Oui
Non
Oui
Non
Oui
Non
Oui
Non
Oui
Non
Oui
Non
Oui
Oui, dans la police
Oui, dans la police et autres secteurs
Ouvrier
Agriculteur
Employé
Commerçant artisan
figure im3

Les variables incluses dans le modèle emboîté de régression

Tableau n° 19

Les variables incluses dans le modèle emboîté de régression (suite)

Variables ajoutées pour le modèle complet (suite)
Profession du père (suite)
Profession de la mère
Diplôme
Vocation pour le métier
Famille dans la police
Études techniques et commerciales
Études de droit
Études sciences
Études lettres et sciences humaines
Études sport et autres
Conception de la police
Profession intermédiaire
Cadre supérieur
Policier
Militaire
Inconnu
Ouvrière
Agricultrice
Employée
Commerçante artisane
Profession intermédiaire
Cadre supérieur
Policière
Militaire
Mère au foyer
Mère inconnue
Inférieur au bac
BAC
DEUG BTS
Licence et plus
Tout petit, au lycée
Après lycée/université/plusieurs emplois
Durant service militaire
Personne
Famille proche
Belle-famille/éloignée
Non
Oui
Non
Oui
Non
Oui
Non
Oui
Non
Oui
Médians
Répressifs
Préventifs
figure im4

Les variables incluses dans le modèle emboîté de régression (suite)

68 Ce modèle emboîté de régression a été appliqué à deux effectifs pour chaque catégorie de motivation : les policiers qui ont choisi telle motivation en premier ou en second choix (la propension) puis ceux qui ont fait un choix exclusif, unique ou relevant de la même catégorie (les « purs et durs »).

Les ressorts de la vocation, toutes choses égales par ailleurs (cf. tableau n° 20 en annexe)

Le réalisme

69 L’appartenance de sexe constitue une variable déterminante : elle résiste à l’introduction des variables sociodémographiques et valant pour la propension réaliste comme pour les réalistes « purs et durs ». Être une femme diminue ainsi les chances d’entrer dans la police par réalisme.

70 Le jeune âge (avoir moins de 36 ans) a également un effet répulsif, mais uniquement sur les réalistes « purs et durs ». Car, dès que l’on teste cette variable sur la propension au réalisme et que l’on introduit d’autres variables au modèle simple de la position professionnelle, l’effet négatif du jeune âge disparaît – signe que dans le fait d’avancer parmi d’autres raisons l’attrait pour la fonction publique touche plus largement toutes les générations et non pas les anciens qui, il faut le noter, dans aucun des modèles ne se caractérisent par une préférence pour le réalisme.

71 L’incidence de la direction dans laquelle le fonctionnaire de police est affecté au moment de la passation du questionnaire est complexe à évaluer car les directions de police ne sont pas toujours choisies par les policiers qui peuvent en outre avoir changé de direction au cours de leur carrière. La régression révèle néanmoins des résultats tout à fait intéressants et significatifs : quand on se trouve en police judiciaire (PJ), on a moins de chance de trouver des policiers entrés par réalisme, c’est l’inverse pour les policiers des compagnies républicaines de sécurité (CRS) et de la police aux frontières (PAF) pour qui les arguments socioéconomiques ont une incidence. Ces effets différenciés selon le service renvoient ici à une hiérarchie de prestige entre polices « nobles » (la PJ étant la reine des polices) et polices de maintien de l’ordre et de contrôle des populations qui semblent accueillir des policiers à faible vocation. Notons que lorsque l’on restreint l’analyse aux réalistes « purs et durs », seule l’appartenance à la PAF demeure significative, révélant ici une autre hiérarchie, entre CRS et PAF qui se confirmera dans le cas du mode d’entrée aventurier.

72 Par rapport au service dont les effets ne résistent pas tous, le grade a en revanche une importance considérable, aussi bien pour la propension à être réaliste que pour les réalistes purs et durs : l’effet du grade résiste au contrôle des autres variables sociodémographiques, comme c’était le cas pour la variable du sexe. Plus on appartient au grade d’officier et de brigadier, moins on entre dans la police par réalisme. Il n’est pas surprenant que les gardiens de la paix, moins gradés et moins diplômés, soient deux fois plus nombreux à avancer des arguments socioéconomiques par rapport à leurs supérieurs hiérarchiques. D’une manière générale, le rêve d’être fonctionnaire est plus fréquent parmi les personnes les plus démunies socialement ou culturellement (Singly, Thélot, 1988, 31).

73 Cet effet du grade est confirmé par l’effet de l’origine sociale (grade et CSP du père et de la mère étant liés) : par rapport aux policiers qui ont un père ouvrier, ceux qui ont un père employé, dans des professions intermédiaires et cadres supérieurs sont moins tentés par un tel emploi dans la fonction publique. Inversement, avoir une mère au foyer favorise l’entrée réaliste. Pour le cas des réalistes « purs et durs », ne subsiste qu’un seul effet : plus les policiers ont un père cadre, moins ils ont de chance d’opter pour la police pour des arguments socioéconomiques.

74 Une autre CSP a un effet négatif à la fois sur la propension à être réaliste et le réalisme pur et dur. Il s’agit de l’origine militaire du père. Ce phénomène peut s’expliquer par la concurrence directe qu’exerce l’armée en matière de recrutement par défaut. Les enfants de militaires n’entrent pas dans la police pour des raisons socioéconomiques, sinon ils choisiraient l’armée. À l’inverse, le fait d’avoir dans la famille proche un policier (père et/ ou mère, frère, sœur, grands-parents) peut conduire à entrer dans la police par réalisme, ce qui veut dire que ce qui se transmet, ce n’est pas la vocation policière, mais l’emploi. Même si cet effet disparaît pour les « purs et durs », cela permet en tout cas d’expliquer un phénomène observé en entretien : des enfants de policiers peuvent affirmer qu’ils entrent dans la police par hasard, faute de mieux, leurs études n’étant pas très concluantes.

75 Associé au grade et à l’origine sociale, l’augmentation du niveau de diplôme (notamment à partir du DEUG) pèse de manière tout à fait cohérente, c’est-à-dire défavorablement sur le mode d’entrée réaliste (que ce soit en choix 1 et/ou 2 ou en choix pur et dur) – signe de la solidité de cette variable. Le contenu de la formation antérieure a également une incidence : les policiers qui ont fait des études de droit et de science, ainsi que ceux qui ont travaillé préalablement dans les métiers de la sécurité et l’armée, d’autre part, ne sont pas prédisposés à entrer dans la police par réalisme. Inversement, avoir connu une expérience de chômage et avoir passé d’autres concours en même temps que les concours de police, constituent des signes d’adhésion aux motivations réalistes, qu’elle soit ou non « pure et dure ».

76 Il est enfin très important de signaler qu’entrer dans la police pour la sécurité de l’emploi et le salaire, autrement dit sans vocation pour le métier policier, n’a aucune incidence sur le fait de défendre une conception répressive ou préventive dans la police. Ce résultat invite à considérer que le recrutement de policiers entrés par réalisme permet de maintenir une forme d’ouverture idéologique – ouverture prise dans le sens d’absence de prédisposition à une idéologie répressive ou préventive. C’est l’avis d’une commissaire que nous avons interrogée : C’est quand même un métier de répression… Vous imaginez, vous, une police avec que des gens qui ont la vocation ? Il faut être policier par hasard, c’est mieux pour la République (Mme Incomeled, commissaire, 49 ans, direction générale de la police nationale).

L’aventure

77 Alors que dans la voie d’entrée réaliste, le sexe a un effet significatif, cet effet disparaît avec l’introduction des variables de contrôle pour les aventuriers, qu’ils soient ou non « purs et durs » (alors même que les tris croisés font apparaître que les femmes optent davantage pour cette vocation).

78 En revanche, résiste l’effet du jeune âge : les moins de 36 ans sont plus enclins à choisir le métier par goût de l’aventure. Ce résultat peut être un effet du vieillissement, jouant sur la remémoration de ses motivations initiales, autant qu’un effet générationnel. Est-ce parce que depuis les années 1970, le niveau de diplôme ayant augmenté, il s’agit moins d’un métier choisi davantage par vocation ? L’opposition entre « anciens » et « jeunes » reste en tout cas récurrente dans les entretiens policiers : Quand on sort d’école, on veut casser du voyou et on est galvanisé. Puis vous redescendez sur terre. Les anciens disent : calmos (M. Caper, capitaine, 38 ans). Un résultat vient brouiller ce stéréotype : dans le cas des aventuriers « purs et durs », les effets d’âge s’inversent, quand on ajoute les variables de contrôle sociodémographiques : ce sont au contraire les plus de 45 ans qui se déclarent aventuriers, rendant difficile l’analyse du phénomène.

79 Si l’on s’en tient aux variables de base (sexe, âge, grade, service), l’effet le plus marquant est dès lors celui du grade : plus les policiers montent en grade, plus ils sont enclins à avoir choisi le métier par goût de l’aventure, que ce soit en choix exclusif ou en choix 1 et/ou 2. Ce résultat est tout à fait cohérent avec l’effet négatif des hauts grades sur la voie d’entrée réaliste : plus on monte dans la hiérarchie policière, plus on est diplômé et plus on a le choix en termes de métier. Si l’on se prête au jeu sélectif du concours d’officier (ou d’inspecteur et d’officier de paix avant 1995), c’est par vocation. Ce qui est intéressant, c’est qu’il s’agisse d’une vocation pour l’action (et non comme on le verra, missionnaire). Cet effet du grade joue aussi également au sein du corps d’encadrement et d’application : les gardiens de la paix qui ont réussi le concours interne de brigadier se trouvent être davantage enclins, par rapport aux simples gardiens de la paix, à marquer une propension pour l’aventure, mais l’effet du grade, pour les brigadiers disparaît pour les aventuriers « purs et durs », alors qu’il valait pour les deux catégories aventurières dans le cas des officiers.

80 En miroir inversé des effets constatés pour les catégories réalistes, l’appartenance à la police judiciaire a un effet positif sur la propension aventurière, tandis que l’appartenance à la police aux frontières a un effet négatif. Mais là encore, ces effets disparaissent dès que l’on restreint l’analyse aux « purs et durs » qui ne se caractérisent par aucune appartenance privilégiée à l’une ou l’autre des directions de police.

81 Toutes choses égales par ailleurs, l’origine sociale élevée des policiers a une incidence forte puisqu’elle joue à la fois pour les « purs et durs » et pour la propension aventurière : les enfants de pères cadres supérieurs, par rapport aux fils d’ouvriers, ont plus de chance de choisir ce type de vocation. Ce résultat ne doit cependant pas conduire à faire une équation entre origine sociale élevée et choix aventurier, car si l’on s’en tient à la propension aventurière, avoir un père employé ou dans des professions intermédiaires est également déterminant. Et quand on s’intéresse uniquement aux aventuriers « purs et durs », il apparaît qu’avoir des parents commerçants et artisans et un père inconnu augmente les chances d’entrer dans la police par goût de l’aventure. Ce dernier point est très important car cet effet joue de manière inverse pour les réalistes « purs et durs » pour qui le fait d’avoir un père inconnu diminue les chances d’entrée dans la police, consolidant par contraste le lien entre une vocation aventurière radicale et le fait de ne pas connaître son père. On est tenté ici de faire une analogie avec un phénomène bien répertorié pour les filles qui s’engagent dans des métiers d’homme, celui du garçon manquant (Daune-Richard, Marry, 1990) : dans les filières atypiques, on remarque une plus forte proportion de filles avec un père/frère absent ou défaillant. Si on enlève ici la dimension sexuée du phénomène pour ne retenir que l’engagement dans un métier d’homme, on peut se risquer à formuler le même type d’hypothèse en l’élargissant aux deux sexes.

82 Ce résultat nous conduit à tester les effets de l’héritage policier : les enfants qui ont eu un père policier ont de fait plus de chance d’être des aventuriers « purs et durs », mais résultat contradictoire, cet effet s’inverse quand on étend l’investigation à d’autres membres de la famille proche (grands-parents, frères et sœurs). Quant aux policiers qui ont fait un choix aventurier non exclusif, ils ne se caractérisent par aucune influence particulière en termes d’origine policière directe ou éloignée, comme s’il valait mieux ne pas être trop immergé dans la profession pour croire que le métier policier est un métier d’action. Ce résultat vient confirmer le résultat obtenu pour la propension réaliste : le fait d’avoir un père dans la profession, loin de susciter la vocation, incitait à choisir la police en tant qu’emploi.

83 En termes d’étude, de diplôme et d’expérience professionnelle préalable, on retrouve le principe d’opposition avec les réalistes, avec la même cohérence entre position hiérarchique plus élevée, niveau et type d’étude : avoir le DEUG et au-delà, plus particulièrement à la suite d’études scientifiques, le fait de ne pas avoir connu une expérience de chômage, d’avoir passé seulement les concours de police, jouent favorablement dans le mode d’entrée aventurier. Ces effets disparaissent pour les aventuriers « purs et durs » pour qui émerge une autre variable déterminante : avoir fait du droit.

84 Dans tous les cas, l’origine géographique des policiers a son importance : avoir passé son enfance à Paris, en banlieue ou dans une grande ville pèse favorablement sur les vocations aventurières.

85 Il est très significatif de constater qu’il y a un lien solide entre ce type de vocation, qu’elle soit ou non exclusive, du reste, et un rapport répressif au métier, confirmant tout à fait le lien entre la figure du policier « cow-boy » et la défense d’un usage dur du métier, lui permettant d’être dans des actions spectaculaires d’arrestation notamment. Cette corrélation entre vocation aventurière et idéologie répressive conforte la piste que D. Monjardet avait tracée : les policiers qui considèrent que la mission première de la police est de pourchasser des criminels ont une conception fermée du métier. Notre enquête révèle que ce lien se fait en amont et se trouve à la source de la vocation.

Le sens du service

86 Premier constat qui permet de sortir des stéréotypes, formulés communément par les policiers hommes (du type : « les femmes, c’est bien pour l’accueil du public ») : les femmes n’entrent pas davantage que les hommes dans la police, en vue d’être utile aux autres et d’exercer un métier de contact. L’appartenance de sexe ne pèse d’aucun poids, y compris pour les missionnaires « purs et durs ». Le temps des pionnières (recrutées dans les années 1930-1950 comme assistantes de police avec un diplôme d’assistante sociale ou d’infirmière) est bel et bien révolu.

87 À l’inverse de ce qui se passe pour les motivations réalistes et aventurières, l’appartenance de grade ne joue pas non plus, et ce, pour aucun des modèles. Quant au jeune âge, il ne joue défavorablement que pour les missionnaires « purs et durs » qui ne recrutent pas parmi la jeune génération.

88 Une seule variable professionnelle joue aussi bien pour la propension missionnaire et les missionnaires « purs et durs » : l’appartenance aux CRS diminue les chances d’avoir dans tous les cas une vocation orientée du côté de l’aide et du contact. En dehors de ce résultat qui confirme que le recrutement de CRS se fait parmi des policiers qui n’ont vraiment pas la vocation (qu’elle soit aventurière ou missionnaire), il faut noter qu’aucun autre service ne se distingue particulièrement.

89 En ce qui concerne l’origine géographique : avoir passé une partie de son enfance en dehors de la métropole diminue les chances d’être animé d’au moins une intention missionnaire, mais cet effet ne se vérifie pas sur les missionnaires « purs et durs ». Ce résultat est difficile à interpréter : dans notre enquête, ne peuvent être séparés les enfants de métropolitains qui ont passé leur jeunesse hors de France des enfants non métropolitains d’origine étrangère ou des DOM TOM. On y reviendra, à propos de l’effet positif que le fait d’avoir passé une partie de sa jeunesse hors de France a sur la vocation rigoriste.

90 En ce qui concerne l’origine sociale, être issu d’un père cadre augmente les chances d’être missionnaire « pur et dur », mais cela ne se vérifie pas sur le choix non exclusif. Avoir ou non un père ou de la famille proche ou éloignée dans la police est par ailleurs sans incidence.

91 En lien avec l’absence d’effet du grade, disposer de diplômes supérieurs au bac ne pèse d’aucun poids. Seul le fait d’être bachelier compte pour l’appartenance à la catégorie des missionnaires « purs et durs ». Ce qui invite à penser que les missionnaires radicaux, sans être des « sans diplômes » ne sont ni sur-diplômés, ni sous-diplômés, déjouant ici l’effet attendu des hauts diplômes sur le sens du service public.

92 Les missionnaires ne se distinguent pas non plus particulièrement par leur expérience préalable : avoir eu une expérience de chômage, avoir travaillé dans le secteur de la santé, de l’éducation ou du travail social ont un effet nul.

93 En résumé, il y a peu de variables déterminantes pour la voie d’entrée missionnaire et encore moins de variables communes à la propension missionnaire et aux missionnaires « purs et durs », à l’exception d’une variable de position professionnelle : les policiers entrés dans la police pour être utile et le contact ont moins de chance d’être dans les CRS. Une seule autre variable se vérifie dans tous les cas : la voie d’entrée missionnaire a un effet répulsif sur la défense d’une conception répressive de la police, alors que cette conception a un effet positif sur la vocation aventurière. Ces résultats valent aussi bien pour les « purs et durs » – preuve qu’il s’agit bien de corrélations solides, donnant des pistes sur les effets durables de la vocation policière sur la conception du métier.

Le rigorisme

94 Le rigorisme se caractérise par le fait de présenter très peu de variables déterminantes, que ce soit pour la propension rigoriste ou le rigorisme « pur et dur ». Ainsi le grade, l’appartenance à une quelconque direction de police, le niveau de diplôme, la profession des parents, le fait d’avoir de la famille dans la police ou pas, sont sans effet.

95 Une seule variable pèse à la fois sur le choix rigoriste non exclusif et les rigoristes « purs et durs » : les rigoristes ont plus de chance d’avoir eu l’idée du métier pendant le service militaire plutôt que précocement.

96 Trois autres variables sociodémographiques pèsent, mais uniquement sur la propension rigoriste : le fait d’être une femme, loin d’avoir un effet négatif, a un effet positif sur le choix rigoriste, infirmant le stéréotype féminin du pacifisme et renforçant le résultat précédent d’une absence de corrélation avec la vocation altruiste. Affirmer que l’on est entré dans la police pour faire respecter l’ordre et la loi correspond en fait à un autre stéréotype féminin, celui de la discipline et de l’hyper-conformisme : rien de moins étonnant, finalement que les femmes policiers, soucieuses de s’intégrer dans ce métier d’homme, adoptent la formule la plus canonique pour définir leur vocation policière.

97 On pourrait faire la même analyse pour l’effet positif joué par le fait d’avoir passé la plus grande partie de son enfance en dehors de la France métropolitaine : cette expérience partagée par une minorité de policiers (qu’ils soient Pieds-noirs, enfants de békés, Antillais ou issus de l’immigration) renforce les motivations rigoristes, par volonté de ne pas se démarquer du reste du groupe, confortant ici l’effet négatif de cette variable sur la vocation missionnaire.

98 Un dernier élément est déterminant : sans surprise, le fait d’avoir fait des études de droit incite à vouloir entrer dans la police pour précisément faire respecter l’ordre et la loi.

99 Mais ces trois effets (sexe, enfance hors métropole, étude de droit) disparaissent pour les rigoristes « purs et durs » au profit de deux autres variables, qui concernent la situation préalable à l’embauche dans la police : ne pas avoir eu une expérience de chômage et ne pas avoir eu d’emploi avant d’entrer dans la police renforcent la motivation rigoriste, tandis qu’avoir fait des études techniques et commerciales la diminue. En forçant le trait, on peut considérer que les rigoristes purs et durs se recrutent auprès d’une population encore sous influence scolaire, tout à fait encline à opter pour un métier d’ordre qui fait respecter la loi.

100 La vocation rigoriste conduit-elle pour autant à prôner une conception répressive du métier, comme on pourrait s’y attendre ? Tel n’est pas le cas. La vocation rigoriste, telle que nous l’avons construite tout au moins, est une coquille vide qui n’est corrélée à aucune conception particulière sur la police, comme on l’avait constaté pour la vocation réaliste : rien de plus abstrait, finalement, que de vouloir faire « respecter l’ordre et la loi ».

101 En conclusion, notre enquête montre l’intérêt d’une approche sociodémographique pour faire un état des lieux des évolutions du recrutement policier, mais aussi pour déterminer ce qui prédispose à embrasser un tel métier. La socialisation professionnelle, aussi efficace soit-elle dès la formation et la prise de fonction, comme l’ont très bien montré les enquêtes longitudinales de D. Monjardet et de M. Alain, ne s’imprime pas sur une pâte vierge, remodelée à un point tel que le profil initial des candidats n’aurait pas d’importance. Dans le même temps, il ne faut pas surestimer l’incidence de l’ensemble des variables sociodémographiques mobilisées.

102 La comparaison du recrutement selon les générations permet d’établir les constantes suivantes, quel que soient le sexe et le grade : très majoritaires sont les parents de policiers soutenant le choix de métier de leur enfant, mais très minoritaires sont les enfants de policier ou de militaire (10%). Plus nombreux sont même les policiers à ne pas avoir de policier dans la famille proche ou éloignée (55,8%) et cette tendance à n’avoir aucune accointance familiale avec la police s’accentue pour les jeunes générations.

103 Ce premier cadrage permet d’aller à l’encontre de l’idée reçue d’une transmission majoritaire de ce métier d’arme par héritage, avec une socialisation précoce au métier, à la différence de ce qui se passe dans l’armée de métier. [9] Le choix du métier policier se fait de plus en plus tardivement, en lien avec la hausse générale des diplômes. L’âge de ce choix professionnel n’a en outre aucune incidence sur la vocation, qu’elle soit réaliste, aventurière, missionnaire ou rigoriste.

104 Quant à l’effet d’avoir un père policier ou un policier dans la famille, toutes choses égales par ailleurs, il est nul pour les missionnaires et rigoristes et joue de manière non intuitive dans les deux autres catégories de motivations : il vaut mieux ne pas avoir un père policier pour entrer dans la police par goût de l’aventure et inversement, avoir un père policier pour entrer dans la police par réalisme. On retiendra le fait massif : les familles policières ne constituent pas un vivier pour les vocations policières. C’est l’emploi qui se transmet.

105 Deuxième stéréotype invalidé par notre enquête, les femmes, toutes choses égales par ailleurs, n’entrent pas dans la police, davantage que les hommes pour faire un métier utile ou un métier de contact ou un métier d’aventure. Elles sont même plus enclines à avoir une vocation rigoriste. Le seul élément attendu qui est confirmé ici, c’est qu’elles sont moins disposées que les hommes à entrer dans la police pour être fonctionnaire.

106 Un troisième stéréotype (celui de l’ancien entré dans la police faute de mieux) n’est pas ici vérifié : les plus de 46 ans ne constituent pas particulièrement un groupe à part en termes de vocation. En revanche, les plus jeunes se distinguent en ce qu’ils ont moins tendance à être réalistes « purs et durs », moins missionnaires « purs et durs » et à l’inverse, plus aventuriers, corroborant ici l’image du « cow-boy » dont on ne saurait dire s’il correspond au stéréotype du jeune policier ou à une jeune génération, nourrie de films d’action.

107 Quant au lieu où les policiers ont passé leur enfance, il pèse contre toute attente assez peu ou très diversement : venir d’une petite ville ou de la campagne est sans effet. Avoir passé son enfance à Paris, en banlieue et dans une grande ville ne concerne que les aventuriers. Quant à l’enfance passée en dehors de la métropole, elle infléchit à la fois la propension à être missionnaire et rigoriste, tout en restant difficile à interpréter.

108 D’autres résultats plus attendus sont en revanche confirmés par notre enquête : de tous les services d’affectation, l’appartenance aux CRS est celle qui a le plus d’incidence sur le plus de catégories de vocations, jouant tantôt négativement (pour les aventuriers et les missionnaires), tantôt positivement (pour les réalistes, avec l’appartenance à la PAF). La singularité des CRS par rapport aux autres directions de police conduit à considérer la spécificité du recrutement des compagnies républicaines de sécurité.

109 Autre résultat assez prévisible : plus on monte en grade, plus on est d’une origine sociale élevée, plus on est diplômé, moins on entre dans la police par réalisme et plus on y entre par goût de l’aventure. Les entrées missionnaires et rigoristes sont par contre indépendantes du grade, de la PCS du père et du niveau de diplôme (à l’exception des missionnaires « purs et durs » qui ont plus de chances d’avoir seulement le bac).

110 Le secteur professionnel exercé antérieurement n’a pas d’importance en tant que tel (sauf dans le cas des réalistes pour qui importe le fait d’avoir travaillé dans le secteur de la sécurité et de l’armée). En revanche, avoir connu le chômage a une incidence : positive sur la vocation réaliste et négative sur les vocations aventurières et rigoristes.

111 Le contenu des études réalisées ne compte pas, à l’exception, comme on pouvait s’y attendre, des études de droit qui constituent un creuset pour la naissance de la vocation policière, sans en déterminer, au demeurant, le contenu, puisque faire des études de droit pèse aussi bien sur la vocation aventurière, que rigoriste et missionnaire.

112 Il faut enfin mentionner la forte significativité de la conception répressive du rôle de la police. On observe ainsi une corrélation négative entre la défense d’une conception répressive du métier policier et la voie d’entrée missionnaire. Inversement, on remarque une corrélation positive avec l’entrée aventurière. Dans les deux cas, la corrélation vaut aussi pour les « purs et durs » - preuve de la solidité de l’effet. Ce résultat révèle que motivation initiale et idéologie policière sont cohérentes, nous invitant à explorer les effets durables de la socialisation primaire sur la socialisation professionnelle.


Annexes

113 Les tableaux n° 1, n° 2, n° 3, n° 4, n° 5, n° 6, n° 7, n° 8, n° 9, n° 10, n° 11, n° 12, n° 13, n° 14, n° 15, n° 18 se trouvent sur le site suivant en annexe électronique : [http://www.cesdip.fr/spip.php?article318].

Tableau n° 20

Les ressorts de la vocation, toutes choses égales par ailleurs

Variable
Sexe
Homme
Femme
Âge
36 à 45 ans
< = 35 ans
46 ans et plus
Grade
Gpx
Commandant, capitaine, lieutenant
Brigadier
Autre
Service
SP PPSP PU
PJ PPPJ
RG PPRG
CRS
PAF
DFPN
Enfance – IdF ou grande ville exclusif
Non
Oui
Réalistes
(1)
A B
- 7*** -8***
- 11*** n.s.
n.s. n.s.
- 33*** -23***
- 9*** -8***
- 41*** -27***
- 13*** -13***
n.s. n.s.
9*** 9***
12*** 12***
n.s. n.s.
n.s.
Réalistes
purs et durs (2)
A B
- 11*** -13***
- 19*** -6**
9*** n.s.
- 40*** -25***
- 10*** -8***
- 51*** -29**
n.s. n.s.
n.s.. n.s.
6*** 9***
9*** 10***
n.s. n.s.
n.s.
Aventuriers
A B
n.s. n.s.
17*** 8***
- 7*** n.s.
21*** 12***
6*** 4**
35*** 28***
14*** 10***
n.s. n.s.
n.s. 3*
- 12*** -7***
8** 9**
4**
Aventuriers
purs et durs
A B
n.s. n.s.
6*** n.s.
n.s. 2**
17*** 3**
n.s. n.s.
27*** 6**
8** 2*
n.s. n.s.
n.s. n.s.
n.s. n.s.
n.s. n.s.
2**
Missionnaires
A B
n.s. n.s.
n.s. n.s.
n.s. n.s.
2*** 1*
n.s. n.s.
n.s. n.s.
n.s. n.s.
n.s. n.s.
- 2*** -2***
n.s. n.s.
n.s. n.s.
- 1*
Missionnaires
purs et durs
A B
n.s. n.s.
- 7** -10**
6** 10**
7* n.s.
n.s. n.s.
n.s. n.s.
n.s. n.s.
n.s. n.s.
- 14** -15**
n.s. n.s.
n.s. n.s.
n.s.
Rigoristes
A B
2** 2**
1** n.s.
- 2** -2**
3*** 2**
2** 1*
4* n.s.
– –
- 3*** -3***
- 5*** -5**
n.s. n.s.
n.s. n.s.
n.s.
Rigoristes
purs et durs
A B
n.s. n.s.
n.s. n.s..
n.s. n.s.
n.s. n.s..
n.s. n.s.
n.s. n.s.
– –
- 12** -13**
n.s. n.s.
n.s. n.s.
n.s. n.s.
10*
figure im5

Les ressorts de la vocation, toutes choses égales par ailleurs

Tableau n° 20

Les ressorts de la vocation, toutes choses égales par ailleurs (suite)

Réalistes
(1)
Réalistes
purs et durs (2)
Aventuriers Aventuriers
purs et durs
Missionnaires Missionnaires
purs et durs
Rigoristes Rigoristes
purs et durs
Variable
Enfance – petite ville exclusif
Non
Oui
Enfance – campagne exclusif
Non
Oui
Enfance – hors métropole exclusif
Non
Oui
Expérience professionnelle avant la police ?
Non
Oui
Expérience du chômage ?
Non
Oui
Expérience prof. dans l’industrie ou autre ?
Non
Oui
Expérience prof. dans le domaine sécuritaire ?
Non
Oui
Expérience prof. dans le domaine social ?
Non
Oui
Autres concours
Oui, dans la police
Oui, police et autres secteurs
A B
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
12***
n.s.
- 8**
n.s.
10***
A B
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
- 7*
- 11**
- 10*
10***
A B
n.s.
n.s.
- 6*
n.s.
- 5*
n.s.
n.s.
n.s.
- 3**
A B
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
- 2*
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
A B
n.s.
- 1*
- 2***
n.s.
n.s.
1*
n.s.
n.s.
- 1**
A B
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
- 5*
A B
n.s.
n.s.
5***
n.s.
n.s.
n.s.
4***
n.s.
- 1*
A B
n.s.
n.s.
15*
- 8*
- 13**
- 7*
n.s.
n.s.
n.s.
figure im6

Les ressorts de la vocation, toutes choses égales par ailleurs (suite)

Tableau n° 20

Les ressorts de la vocation, toutes choses égales par ailleurs (suite)

Réalistes
(1)
Réalistes
purs et durs (2)
Aventuriers Aventuriers
purs et durs
Missionnaires Missionnaires
purs et durs
Rigoristes Rigoristes
purs et durs
Variable
Profession du père
Ouvrier
Agriculteur
Employé
Commerçant artisan
Profession intermédiaire
Cadre supérieur
Policier
Militaire
Inconnu
Profession de la mère
Ouvrière
Agricultrice
Employée
Commerçante artisane
Profession intermédiaire
Cadre supérieur
Policière
Militaire
Mère au foyer
Mère inconnue
Diplôme
Inférieur au bac
Bac
DEUG BTS
Licence et plus
Vocation pour le métier
Tout petit ou au lycée
Plus tard
Durant le service militaire
A B
n.s.
- 5**
n.s.
- 8***
- 12***
n.s.
- 14***
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
5**
n.s.
n.s.
- 8***
- 18***
- 23***
- 8***
A B
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
- 13***
n.s.
- 12**
- 18**
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
- 8***
- 11***
- 13**
- 23***
- 13***
A B
n.s.
5***
n.s.
5**
9***
n.s.
n.s.
13**
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
5***
8***
6*
11***
3*
A B
n.s.
2*
3*
3**
4**
5**
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
2**
n.s.
A B
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
2*
1***
n.s.
A B
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
11**
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
10**
n.s.
n.s.
6*
11***
A B
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
- 1*
n.s.
n.s.
6***
2**
A B
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
26**
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
8*
figure im7

Les ressorts de la vocation, toutes choses égales par ailleurs (suite)

Tableau n° 20

Les ressorts de la vocation, toutes choses égales par ailleurs (suite)

Variable
Famille dans la police
Personne
Famille proche
Belle-famille/éloignée
Études techniques et commerciales
Non
Oui
Études de droit
Non
Oui
Études en sciences
Non
Oui
Études lettres et sciences humaines
Non
Oui
Études sport et autres
Non
Oui
Clusters
Médians
Répressifs
Préventifs
Fréquence de la situation de référence
N
Réalistes
(1)
A B
7**
n.s.
n.s.
- 11***
- 6**
n.s.
n.s
n.s.
n.s.
59 67
2464 2464
Réalistes
purs et durs (2)
A B
n.s.
n.s.
n.s.
- 8**
- 8**
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
22 41
805 805
Aventuriers
A B
n.s.
3*
3*
n.s.
5**
n.s.
3*
5***
n.s.
36 22
2331 2331
Aventuriers
purs et durs
A B
- 2**
- 1*
n.s.
2**
n.s.
n.s.
n.s.
2***
n.s.
7 6
509 509
Missionnaires
A B
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
- 1***
n.s.
40 40
2041 2041
Missionnaires
purs et durs
A B
n.s.
- 6*
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
- 6**
n.s.
8 7
386 386
Rigoristes
A B
n.s.
n.s.
n.s.
2**
1
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
23 17
1260 1260
Rigoristes
purs et durs
A B
n.s.
n.s.
- 7**
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
n.s.
3 7
139 139
figure im8

Les ressorts de la vocation, toutes choses égales par ailleurs (suite)

(1) population délimitée par le choix soit en réponse 1, soit en réponse 2 = population élargie
(2) population délimitée par le choix en réponse unique ou double choix = les « purs et durs »
modèle a : modèle avec un nombre réduit de variables explicatives
modèle 2 : modèle avec le nombre complet de variables explicatives.

114 Lecture : pour les individus correspondant à la situation de référence, la probabilité d’avoir effectué un choix utilitariste est égale à

equation im9
soit, en occurrence, equation im10 c’est-à-dire, exprimé en pourcentage, 59%, soit la fréquence de la situation de référence. les autres valeurs exprimées dans la colonne des effets marginaux correspondent aux écarts par rapport à la situation de référence. Ainsi, pour les femmes, la probabilité modélisée vaut,
equation im11
soit 7%. les étoiles indiquent le degré de significativité statistique : *** correspond à p < 0.005, ** correspond à p < 0.05, * correspond à p < 0.1 : n.s. signifie paramètre statistiquement non-significatif.

Bibliographie

Bibliographie

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Notes

  • [*]
    Nous tenons à remercier Philippe Coulangeon pour la relecture de cet article. Nous avons tous trois rédigé le rapport dont est issue cette recherche.
  • [1]
    Plus les policiers avancent dans la carrière, plus ils sont tentés d’invoquer le hasard dans leur choix. En 1992, ils étaient 2,3% à faire ce choix. Dix ans plus tard, ils sont 13,5%.
  • [2]
    [http://www.cesdip.fr/spip.php?article318].
  • [3]
    Pour un grand nombre de questions, on n’a pas adopté la même formulation que dans l’enquête dite « Interface » (Hauser, Masingue, 1983) portant sur l’ensemble des policiers et dans l’enquête de D. Monjardet (1992-2004).
  • [4]
    Étant donné les limites d’âge au concours et la très faible proportion de cas dérogatoires, on a considéré qu’à tel âge correspondait une période de recrutement donnée. Il va sans dire que dans le cas des plus anciens, on perd ceux qui ont entre-temps démissionné, mais ce pourcentage, s’il n’est guère rendu public par l’institution policière, reste faible si l’on se fie aux enquêtes qualitatives que l’on a pu mener. L’institution fait tout pour éviter la démission de ses agents de police (aux habilitations si particulières, soumis au secret professionnel) en leur proposant des postes plus adéquats.
  • [5]
    Ces deux termes, issus de l’enquête « Interface » ont été repris par D. Monjardet et C. Gorgeon (ibid., 1992).
  • [6]
    On a fait une analyse des correspondances multiples sur les différentes réponses données à cette question et elle fait apparaître une seule différenciation nette entre ceux qui ont exprimé deux choix et ceux qui n’en expriment qu’un seul. On n’a donc pas retenu cette méthode.
  • [7]
    Cette méthode statistique est un outil de classification de type probabiliste, plus robuste que d’autres outils similaires car il permet de choisir le nombre de classes à l’aide de tests statistiques qui mesurent la qualité d’ajustement du modèle à la réalité observée. De ce point de vue, il se différencie des autres algorithmes de classification basés davantage sur l’interprétation intuitive que sur l’examen des paramètres calculés. Chacune des classes identifiées par l’analyse des classes latentes est constituée d’individus qui présentent des probabilités très proches d’avoir répondu de manière similaire à l’ensemble des questions posées, autrement dit, de suivre des « schémas de réponses » très similaires.
  • [8]
    On a réalisé une régression multinomiale à partir de ces conceptions du métier et son analyse donne lieu à un article sur les idéologies policières en cours de soumission dans la Revue française de sociologie.
  • [9]
    Le recrutement parmi les fils de militaires au grade d’officier oscille entre 39% et 46% (Coton, 2008).
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