Notes
-
[*]
Université du Littoral-Côte d’Opale.
-
[1]
Par commodité, nous emploierons ici indifféremment les termes d’agent de sécurité et de vigile.
-
[2]
S’appuyant sur une étude présentant de bonnes garanties de fiabilité, ce chiffre précis date de 1999. Il est probable que le total dépasse aujourd’hui les 500.
-
[3]
Le premier département de police du pays fut créé à New York en 1844 sur le modèle londonien de Robert Peel.
-
[4]
Rappelons en effet que si les BIDs existent dans pratiquement toutes les grandes villes du pays, environ 10% d’entre eux se concentrent dans la ville de New York. Pareille concentration s’explique par l’absence de véritable centre-ville à New York; les quartiers commerçants et secteurs d’affaires y forment comme une mosaïque.
-
[5]
Entretien réalisé à New York en 1999 avec un agent de sécurité du Times Square BID employé depuis le début des opérations.
-
[6]
Downtown’s Public Safety Guides have been working to ensure that you’ll never feel alone when you’re Downtown. Stationed around the Downtown Management District, the Guides serve as extra eyes and ears for the Police and act as goodwill ambassadors on behalf of Downtown. Downtown Baltimore Partnership, 2003 ((http :// www. godowntownbaltimore. com/ clean_safe_team. html).
-
[7]
Chiffres communiqués à l’auteur par Dick Dillon et Michael Gerhold du 34 en novembre 1999. th Partnership BID de New York
-
[8]
Ces chiffres ont fait l’objet d’un calcul après consultation par l’auteur des rapports statistiques annuels internes au Times Square BID de New York (1999).
-
[9]
Si nous faisons ici référence à une loi spécifique à l’État de New York, celle-ci est néanmoins tout à fait représentative des textes en vigueur dans la plupart des autres États (New York State Criminal Procedure Law, section 140.30 et 140.40).
-
[10]
Par interpeller, nous entendons ici immobiliser ou détenir un individu jusqu’à l’arrivée de la police sur les lieux. Les Américains parlent de citizen arrest.
-
[11]
Cette comparaison n’a bien évidemment aucune valeur scientifique, elle est uniquement proposée comme élément de grandeur. New York Police Departement, Office of Management Analysis and Planning, Statistical Report – Complaints and Arrests, 1996, non publié.
-
[12]
Sur la base des indications du directeur du service de sécurité et malgré leur statut spécial, les agents de sécurité du MetroTech BID n’auraient effectué qu’une vingtaine d’interpellations entre 1990 et 1999. Entretien avec B. Flanagan, MetroTech BID réalisé à New York (1999).
-
[13]
Entretien téléphonique avec Arthur Sulszberger réalisé le 19 novembre 1999.
-
[14]
When a public safety officer observes a serious crime being committed on his/her post, he should apprehend the person who committed the crime, if this is possible under the existing circumstance. If a Public Safety Officer is uncertain whether he can physically handle the apprehension, he should immediatly request the assistance of his supervisor and other Public Safety personnel by way of his radio, Times Square Business Improvement District, Times Square Business Improvement District Public Safety Bureau Guide, sixième révision, non-publié, 16 octobre 1997, section I p. 1
-
[15]
Trois cartes retournées puis mélangées sont à la base de ce jeu d’observation truqué. Les organisateurs – des individus réputés dangereux et opérant toujours en équipe – n’ont d’autre but que de dépouiller d’une façon ou d’une autre les joueurs naïfs ainsi que les spectateurs rassemblés autour d’eux.
-
[16]
In short, disorder is an instrument of destabilization and neighborhood decline.
-
[17]
Recensements réalisés par l’auteur de manière aléatoire à différentes heures du jour et de la nuit au sein des frontières du Metrotech BID à l’été 1998 et à l’automne 1999.
-
[18]
New York City Police Department (Lee P. Brown), janvier 1991.
-
[19]
Entretien avec Brendan Sexton, (1999).
-
[20]
Nous avons effectué une observation sur le terrain à Times Square pendant 30 minutes (17 h 10 à 17 h 40), le jour du marathon de New York, le 7 novembre 1999. Sur notre parcours nous avons pu rencontrer pas moins de 16 vigiles du BID, mais un seul officier de police à vélo occupé à régler la circulation.
-
[21]
Enquête anonyme réalisée par l’auteur auprès de 10 agents de sécurité du MetroTech BID et de 5 officiers de police en poste MetroTech, à New York, été 1998.
-
[22]
Il s’agit de cinq officiers qui, du fait de leur affectation, étaient en mesure de répondre à cette partie du questionnaire.
-
[23]
Enquête anonyme réalisée par l’auteur auprès de 22 agents de sécurité du Times Square BID, New York, (été 1999).
-
[24]
Real estate associations and corporations desiring to gain absolute control over public spaces have formed their own independent governments or BID’s. […] These organizations act as an unelected and unaccountable shadow government running key areas of the City (Lederman, 1998).
-
[25]
Jusqu’en 1998, Daniel Biederman dirigeait effectivement les BIDs voisins de 34th Street Partnership, Grand Central Partnership et Bryant Park. Suite au conflit qui l’opposa au Maire R. Giuliani, D. Biederman fut contraint à la démission de son poste du Grand Central Partnership.
-
[26]
En règle générale, l’arrêté municipal validant la formation d’un nouveau BID est rejeté si 33,3% ou 51% (en fonction des États) des membres potentiels ont exprimé leur désaccord sous une période de 30 jours après la communication d’un projet détaillé (District Management Plan) à tous les propriétaires, résidents inclus.
-
[27]
Plus récentes mais non publiées, des études de marché réalisés par Hallcrest Systems estiment à 2 millions le nombre d’individus travaillant dans la sécurité privée en 2003 (correspondance avec Bill Cunningham).
-
[28]
Le contrôle n’est effectué qu’à l’échelle de l’État concerné.
-
[29]
Entretien avec Richard Dillon, responsable de la sécurité pour les BIDs de Bryant Park et 34th réalisé à New York le 20 octobre 1999. Partnership
-
[30]
L’auteur a pu assister à l’une de ces rencontres en 1999.
-
[31]
Traduction de l’auteur. Forming districts enables wealthy residents to provide services solely for themselves, deepening the divide between their neighborhoods and poorer areas (Lasdon, Halpern, 1995; Pack, 1992).
-
[32]
In early 1970, GTE was about to move to Connecticut. In fact the whole corporate world was tuning out New York. There was the perception that this was the only place that had any problems. On Johnny Carson every night you could hear jokes about muggings in Central Park. Well we couldn’t move our buildings across the bridge. Our assets are in New York.
-
[33]
Times Square BID, octobre 1998.
-
[34]
Times Square BID, 1999 (d’après les statistiques de police).
-
[35]
Statistiques de police et enquêtes de voisinage à l’appui, cette étude unique en son genre en apportait la démonstration : l’équipe de vigiles de Starrett City (un quartier d’East New York à Brooklyn) est parvenue à maintenir un climat de sécurité dans l’une des circonscriptions policières les plus criminogènes de toute la ville.
-
[36]
Un délit est dit « visible » lorsqu’il est commis sur la voie publique ou dans un lieu dont le mode d’entrée et de sortie peut faire l’objet d’une observation par un officier de police en patrouille. Tous les autres délits, comme par exemple les vols commis dans les bureaux, sont qualifiés de « non visibles ».
-
[37]
Entretien avec le sergent Mariana Murray (1999).
-
[38]
Municipalité de New York, 2003.
-
[39]
À New York, le salaire d’un officier s’élevait à environ 27 dollars de l’heure en 2000 et celle d’un sergent à 34 – une rémunération à laquelle il fallait ajouter 10% du montant total à verser à la municipalité pour frais de dossier. À titre de comparaison, c’est un salaire environ deux fois plus élevé que celui d’un agent de sécurité moyen (New York Police Department, Paid Detail Agreement).
-
[40]
Entretien avec le sergent Mariana Murray, 1999.
-
[41]
Il s’agit généralement de lieux privés accessibles au public.
-
[42]
En 2002, les frais de dossier à payer par les clients ont permis à la municipalité de New York de toucher 431000 dollars.
-
[43]
Entretien avec le sergent Mariana Murray (1999).
-
[44]
Entretien avec Mark Rosen (1999).
1Quiconque se promène aujourd’hui dans les rues des fameux downtown (quartiers d’affaires et secteurs commerçants) de la plupart des grandes villes américaines pourra s’étonner d’apercevoir des agents de sécurité en uniforme équipés de talkie-walkie et parfois même de matraques ou de menottes patrouiller dans les rues. Pareille surprise est légitime : après tout, la sécurité des lieux publics outre-Atlantique n’est-elle pas depuis 150 ans la prérogative des polices municipales ?
2Ces rondes de vigiles [1] constituent en fait la partie la plus visible des dispositifs mis en place au cours des 15 à 20 dernières années par les grands propriétaires de surfaces commerciales constitués en Business Improvement District (BID). Un BID est une structure à but non lucratif dont la vocation est d’assurer la promotion d’un quartier d’affaires ou d’une zone commerçante en offrant des prestations complémentaires aux services municipaux sur un territoire bien délimité, de quelques dizaines à quelques centaines d’îlots. Les BIDs disposent d’un budget annuel dont le montant varie en fonction du quartier et de la surface couverte : de 10000 à 15 millions de dollars. Le financement de ces dispositifs apparus sous une forme embryonnaire à la fin des années 1970 est assuré par le prélèvement d’une taxe spéciale dont doivent s’acquitter tous les propriétaires de surfaces commerciales. Le dernier recensement disponible estimait à 404 leur nombre sur l’ensemble du territoire américain [2], avec une concentration plus marquée dans les États de Californie (73), New York (63), Wisconsin (54), New Jersey (35) et Caroline du Nord (32) (Mitchell, 1999). À ce jour, la majorité des grandes villes américaines possède un ou plusieurs BIDs et la ville de New York peut se targuer d’en réunir le plus grand nombre : pas moins de 44 en 2002, auxquels il convenait d’ajouter 8 autres en phase d’élaboration.
3Tous les BIDs s’attachent à améliorer l’attractivité de leur espace, pour ce faire ils peuvent, suivant les cas, travailler à l’accueil de nouvelles sociétés et enseignes, lancer des campagnes publicitaires, augmenter les possibilités de parking, améliorer le mobilier urbain et de manière plus visible, utiliser leurs équipes de nettoyage pour offrir aux utilisateurs – clients, touristes et employés – un espace accueillant. Ce même objectif a conduit les deux tiers des BIDs à faire de la sécurité l’une de leurs grandes priorités (Jerry Mitchell, 1999) et en règle générale, tous ceux dont le budget annuel est supérieur ou égal à 750.000 dollars se sont dotés de leur propre équipe de vigiles. À Atlanta, par exemple, 50 agents de sécurité s’attachent à rendre l’hyper-centre plus sûr. À Philadelphie on peut en dénombrer 45 dans le secteur d’affaires et 35 dans le quartier universitaire. À Manhattan, à Brooklyn et dans le Bronx, entre 350 et 400 agents de sécurité patrouillent ainsi les trottoirs et les squares des quartiers les plus stratégiques pour le compte du secteur privé. La contribution des BIDs à la sécurité de leur territoire ne prend pas seulement la forme de rondes de vigiles : certaines de ces structures participent également à l’amélioration de l’éclairage public, à l’installation d’un système de vidéosurveillance ou encore à la création d’un service d’aide aux sans-abri (Vindevogel, 1999).
4Ce type de recrutement est bien évidemment l’une des plus récentes illustrations de l’essor du marché de la protection des biens et des personnes outre-Atlantique. Le rôle joué aujourd’hui par le secteur florissant de la sécurité privée est désormais relativement bien connu aux États-Unis : il a fait l’objet de nombreuses études et publications au cours des 20 dernières années. Certains chercheurs se sont ainsi intéressés à ses origines et à son développement tandis que d’autres ont préféré porter l’objet de leur étude aux notions de fonctions ou à ses relations avec les forces de police. La récente immixtion de la sécurité privée dans l’espace public toutefois est loin d’avoir fait l’objet d’une littérature aussi abondante et à ce jour, seuls quelques chercheurs se sont intéressés à la question de la privatisation de la police, (notamment : Pastor, 2003; Benson, 1998; Forst, Manning, 1999).
5L’intervention de la sécurité privée sur l’espace public est à contre-courant de cette évolution historique qui vit les pouvoirs publics assurer une part sans cesse croissante de la sécurité des biens et des personnes dans toutes les grandes villes américaines à partir du milieu du XIXe siècle. D’une certaine manière, elle évoque le retour à un système de surveillance reposant sur les patrouilles de la milice et les rondes de vigiles rémunérés (paid watch) [3] – un dispositif qui, faute d’avoir pu juguler les tensions sociales, ethniques et religieuses stimulées par les profondes mutations économiques et démographiques alors à l’œuvre dans tous les grands centres urbains, avait montré ses propres limites.
6L’immixtion actuelle du secteur privé dans la gestion de la sécurité publique est sans nul doute source de multiples interrogations non seulement aux États-Unis où le phénomène est relativement récent mais sans doute plus encore en dehors des pays d’origine anglo-saxonne où le concept des BIDs est inconnu : les vigiles ainsi recrutés ont-ils vocation à remplacer la police ? Quels pouvoirs les municipalités accordent-elles à ces équipes ? Quelles fonctions assurent-elleset qui en bénéficie ? Des mécanismes de contrôle existent-ils ?
7La question de l’équité, c’est-à-dire de l’égal accès à la sécurité se trouve au cœur de notre sujet. La capacité des quartiers à se protéger de la criminalité et de la délinquance étant déjà très variable – puisque fonction de facteurs sociaux, politiques et financiers – la question centrale n’est pas ici de savoir si cette nouvelle forme de gouvernance urbaine va faire naître une sécurité à deux vitesses mais plutôt de déterminer dans quelle mesure les politiques municipales, sans lesquels les services de sécurité des BIDs n’auraient vu le jour, pourraient contribuer à exacerber des disparités déjà visibles en facilitant l’émergence de polices privées ? Tel sera ici l’objet de notre réflexion.
8Le concept d’une police privée – force dont les agents non assermentés par une quelconque autorité publique se chargent de maintenir l’ordre et de faire appliquer la loi – s’oppose à l’idéal d’équité, ou d’égal accès à la sécurité, sur trois points principaux qu’il conviendra d’examiner ici. Disposant des mêmes pouvoirs que la police publique ou, à défaut, se les appropriant, une police privée n’a pas de compte à rendre aux autorités publiques et ne profite qu’aux clients qui la financent.
9Cette étude est une synthèse d’un travail s’appuyant sur des sources originales rassemblées au cours de plusieurs séjours de recherche réalisés en 1998 et 1999. À chaque fois que possible, les données ont été actualisées et complétées, notamment par le biais d’une correspondance et de la consultation de sites Internet spécialisés. Si des informations ont été rassemblées à l’échelle nationale, les sources les plus spécifiques concernent essentiellement la ville de New Yorkqui offre ici un concentré des principales initiatives ou approches existantes à l’échelle du pays [4].
10Une importante documentation, majoritairement composée de rapports d’activité, d’audits, de statistiques et de rapports internes, fut exploitée grâce au concours des municipalités, des départements de police et des services de sécurité mis en place par les milieux d’affaires. Ce travail d’analyse fut également complété par plus de 70 entretiens (dont 50 environ réalisés à New York) menés auprès d’officiers de police à différents postes de responsabilité, de directeurs de services de sécurité privée intervenant sur la voie publique, d’hommes d’affaires et de vigiles. Des observations sur le terrain, complétées par six séries d’enquêtes anonymes, ont par ailleurs été réalisées avec des agents de sécurité et des officiers de police en patrouille et en formation. Au travers de cette étude de terrain nous avons cherché (1) à comprendre l’origine des lois votées par les États et leurs municipalités pour laisser le secteur privé investir le champ de la sécurité publique, (2) à analyser le rôle joué sur le terrain par les BIDs et leurs équipes de sécurité privées (3) à comprendre la nature des relations entretenues avec les pouvoirs publics et notamment la police (4) et enfin à mesurer l’impact des efforts entrepris.
11À ce jour, la majorité des états américains (plus des 4/5e ) et à leur tour, la plupart de leurs grandes municipalités (quelle que soit leur couleur politique) ont adopté les lois nécessaires à la mise en place de BIDs, favorisant ainsi leur multiplication au cours des 15 dernières années. La visibilité croissante de leurs initiatives a progressivement contribué à susciter beaucoup d’intérêt et de soutien parmi des citadins inquiétés par le déclin tant médiatisé de leurs grands centres urbains. Il n’est d’ailleurs pas rare de voir des quartiers se mobiliser et dupliquer les démarches entreprises à proximité. Les BIDs, toutefois, éveillent aussi certaines craintes, notamment dans les milieux politiques et universitaires. Les critiques formulées à leur égard se sont souvent portées sur leurs services de sécurité, assimilés à des polices privées.
Les objectifs sécuritaires des BIDs
12L’une des critiques les plus régulièrement adressées à l’égard des BIDs est de permettre aux milieux d’affaires d’imposer, par la force si nécessaire, les règles qu’ils estiment justes et appropriées au sein de leur périmètre. Divers éléments symboliques tendent à donner du crédit à cet argument : les uniformes des agents de sécurité ressemblent parfois à s’y méprendre à ceux portés par les fonctionnaires de police (au point, parfois, de tromper quelque temps ces derniers [5] ) et bon nombre de BIDs dotés d’un service de sécurité mesurent leur efficacité en comparant d’une année sur l’autre les statistiques de la criminalité.
13Ces éléments nous conduisent bien logiquement à nous interroger sur le statut de ces agents, sur les objectifs affichés par les BIDs en matière de sécurité et sur les moyens dont ils disposent pour les atteindre.
14Qu’en est-il tout d’abord des intentions affichées par les BIDs dotés d’un service de sécurité ? En leur qualité de spécialistes du marketing, ils communiquent bien logiquement sur leurs activités et leurs initiatives et nous offrent des dizaines de brochures et de sites Internet. La consultation de ces sources ne témoigne nullement d’une quelconque ambition d’imposer par la force leur propre conception de l’ordre au moyen d’une police toute dédiée aux intérêts de leurs membres. Le passage suivant, extrait du site Internet du Downtown Baltimore Partnership, est assez représentatif de la manière dont les BIDs présentent leur objectif en matière de sécurité : Que vous ne vous sentiez jamais seul dans Downtown, telle est la mission des agents d’accueil du quartier. En poste au sein du Downtown Management District, les agents relayent les informations à la police et jouent le rôle d’ambassadeur du quartier [6]. Il convient bien évidemment de dépasser le discours et de vérifier dans quelle mesure celui-ci peut être corroboré par une réalité statistique. La notion de police privée suppose bien logiquement l’usage de pouvoirs de coercition étendus, notamment en matière d’interpellation et d’usage de la force.
15Le nombre d’interpellations pourrait bien constituer ici un critère pertinent; combien sont donc réalisées chaque année par les vigiles des BIDs ? Les BIDs n’étant pas tenus de communiquer ce type de données à une quelconque autorité et leur diffusion demeurant exceptionnelle car sensible, il est très difficile de se faire une idée précise en la matière. Cependant, les statistiques recueillies auprès de plusieurs BIDs dans le cadre de ce travail montrent bien que les agents de sécurité des BIDs font usage d’un pouvoir répressif en procédant à des interpellations. Sur une période de 8 ans (de 1992 à novembre 1999), les agents du 34th Partnership à Midtown Manhattan, par exemple, auraient ainsi réalisé 293 interpellations : 105 pour des faits graves (felony: acte criminel dont l’auteur est passible de la peine de mort ou d’une peine d’emprisonnement dont la durée minimale est stipulée par la loi, généralement un an), 184 pour des faits moins graves (misdemeanor: acte criminel dont l’auteur est passible d’une peine d’emprisonnement dont la durée maximale est stipulée par la loi, généralement un an) et 4 pour des faits mineurs (violations: infractions ne pouvant faire l’objet que d’une amende) [7]. Une analyse des rapports statistiques internes du Times Square BID (New York), révèle que 196 interpellations auraient été effectuées au cours de ses 7 premières années existence (de 1992 à 1998), dont 139 au cours des seules deux premières années. Selon la même source, les agents de ce BID sont intervenus deux fois plus souvent (à 422 reprises) sur la même période pour aider des officiers de police à procéder à des arrestations [8].
16Y a-t-il alors contradiction entre le discours des BIDs et la réalité des chiffres ? Pas nécessairement, car la loi confère aux citoyens américains certains pouvoirs répressifs. Au regard des textes en vigueur [9], les agents de sécurité disposent, comme n’importe quel autre citoyen, du droit et du devoir d’interpeller [10] : 1. l’auteur d’une felony, 2. l’auteur d’une misdemeanor mais à la condition que celle-ci ait été commise en sa présence. Que le citoyen ait un motif valable de croire qu’un délit spécifique ait été commis par un individu précis ne suffit cependant pas pour procéder à une interpellation, l’acte criminel doit avoir effectivement été commis car, dans le cas contraire, la personne peut faire l’objet de poursuites pour arrestation abusive (Alabanese, 1989). Le recours à la force est possible s’il y a des raisons de croire que celle-ci est nécessaire pour procéder à une interpellation ou pour empêcher la fuite du suspect à condition que celui-ci se soit véritablement rendu coupable de l’acte criminel.
17Il faut en convenir, le nombre d’interpellations spécifique au Times Square BID et au 34th Street Partnership apparaît véritablement marginal au regard des quelques 8214 arrestations réalisées au cours de la seule année 1996 par les officiers du commissariat de Midtown North à Manhattan, choisi comme référence ici, car relativement proche par la taille et la nature de l’environnement des deux BIDs nommés plus haut [11]. Ces chiffres s’expliquent de plusieurs manières.
18Comme évoqué supra, l’immense majorité des agents de sécurité des BIDs ne dispose pas des pouvoirs répressifs dont jouissent les officiers de police. À titre d’exemple, sur les 24 BIDs dotés d’une équipe de sécurité à New York, seul le MetroTech BID de Brooklyn emploie des agents non armés bénéficiant d’un statut particulier (Special Patrol Officer ou Special Patrolman) leur conférant, après enquête et autorisation spéciale du département de police, des pouvoirs similaires à ceux d’un officier de police [12]. Si l’on peut bien sûr évoquer l’hypothèse de vigiles s’arrogeant de fait les attributs d’un fonctionnaire de police, dans la réalité, pareille recrue ne pourrait rester longtemps en poste. Les BIDs n’ont aucun intérêt à empiéter sur le mandat policier en s’emparant de pouvoirs dont ils ne disposent pas : outre le risque de se priver du concours de la police locale et de l’indispensable soutien de la municipalité, ils nuiraient gravement à l’image du quartier et de ses propriétaires en donnant le sentiment à l’opinion publique d’avoir créé une force d’occupation. Conscients des risques de confusion, certains BIDs ont d’ailleurs préféré qualifier leurs agents de sécurité d’« ambassadeurs » ou de « représentants » du quartier et d’insister sur la notion de service au public.
19Comme le reconnaissait Arthur Sulszberger, directeur du New York Times et principal « architecte » du Times Square BID, le secteur privé ne disposait pas d’une marge de manœuvre suffisante pour s’attaquer de front au problème de la criminalité [13]. Les BIDs ont donc favorisé une toute autre approche en cherchant à modifier les perceptions et les conditions propices à la multiplication des comportements délinquants en agissant sur des problèmes périphériques comme la saleté des trottoirs, les dégradations de l’environnement, la trop forte concentration des sex-shops et l’absence de contrôle social; autant de facteurs d’insécurité sur lesquels le secteur privé pouvait influer.
20Les services de sécurité des BIDs s’efforcent davantage de compléter l’action policière en assurant une mission de service auprès des usagers, en veillant au respect des règles de civilité et en apaisant les tensions avant qu’elles ne dégénèrent. La contribution des BIDs doit donc plutôt être recherchée dans la gestion de l’ordre que dans la lutte contre la délinquance et la criminalité. Le tableau I présente de manière synthétique les principales interventions réalisées sur la voie publique par les agents de sécurité du Times Square BID entre le 30 mars 1992 et le 31 décembre 1998.
21Présence dissuasive, dialogue et pressions verbales constituent les principales armes utilisées par les agents de sécurité des BIDs dans le cadre de leurs interventions. De nos observations, il ressort que le recours à la force est découragé par tous les responsables des BIDs étudiés dans le cadre de cette recherche. Le manuel de l’agent de sécurité du Times Square BID offre les recommandations suivantes : Lorsqu’un agent de sécurité dans l’exercice de ses fonctions est le témoin d’un crime commis en flagrant délit, il doit alors arrêter l’auteur, si les circonstances le permettent. Si l’agent n’est pas certain d’avoir la capacité physique de procéder à l’arrestation, il doit alors immédiatement solliciter l’aide de son supérieur et des autres agents par radio [14].
22À l’instar du Times Square BID, les BIDs s’efforcent donc d’éliminer les signes visibles d’une absence de contrôle social avec le double espoir de prévenir la délinquance et de rassurer les très nombreux utilisateurs du quartier. Les agents de propreté effacent les graffiti, vident les poubelles et nettoient quotidiennement les trottoirs tandis que les agents de sécurité réduisent les nuisances sonores, découragent les sollicitations trop appuyées des mendiants, interviennent pour faire cesser une querelle avant qu’elle ne dégénère, interrompent les parties de cartes truquées et préviennent la police en cas de délit. Les BIDs travaillent donc à réduire des problèmes que la police, souvent occupée par des affaires plus graves (viols, agressions, etc.), ne traite pas systématiquement.
23Dans certains BIDs équipés de logiciels spécialisés tels Center City District à Philadelphie et Downtown DC à Washington DC, les effectifs sont répartis sur la base d’une analyse de la cartographie de la délinquance locale. C’est bien le champ de la prévention que le secteur privé a majoritairement investi, et c’est là un point positif puisque selon une étude de la National Criminal Justice Commission, seulement 3% des officiers de police américains effectueraient un travail de prévention (Donziger, 1995,162).
Interventions sur la voie publique par les agents de sécurité du Times Square BID du 30 mars 1992 au 31 décembre 1998 [15]
Interventions sur la voie publique par les agents de sécurité du Times Square BID du 30 mars 1992 au 31 décembre 1998 [15]
24Sans nécessairement en avoir conscience, le secteur privé a mis en application les principes de la fameuse théorie du « carreau cassé » (Wilson, Kelling, 1982) bien avant le retentissement qu’on lui connaît depuis le milieu des années 1990. Suivant cette théorie, les mares d’urine, l’accumulation de papiers gras sur les trottoirs et de dégradations sur les façades et le mobilier urbain forment une combinaison d’éléments symptomatiques d’un abandon de l’espace public. Les désordres liés aux comportements produisent le même effet : la concentration d’organisateurs de three card monte, de vendeurs à la sauvette qui opèrent en toute illégalité, de mendiants agressifs ou de prostituées témoignent d’une absence de contrôle. Ces désordres signalent aux délinquants et criminels qu’ils pourront agir avec une certaine impunité tandis qu’ils éveillent chez les autres usagers une inquiétude de nature à leur faire quitter les lieux – des conditions particulièrement favorables à la multiplication des incivilités et des faits de délinquance. Skogan résumait ainsi l’impact produit par ce cercle vicieux sur l’environnement social des quartiers : En résumé, les désordres déstabilisent un quartier et favorisent son déclin [16] (Odubekun, 1993). Pour Wilson et Kelling, si lutter contre la criminalité est essentiel, combattre la peur et le désordre peut l’être encore davantage dans ces quartiers qui ne sont pas encore devenus des zones de non-droit. La théorie du « carreau cassé » fut vérifiée et complétée par les recherches empiriques de Skogan et de Maxfield : s’appuyant sur quelque 13000 enquêtes menées dans une quarantaine de quartiers résidentiels de six grandes villes (Atlanta, Chicago, Houston, Philadelphie, Newark et San Francisco), ils ont non seulement confirmé la relation existant entre désordre et sentiment d’insécurité mais ont aussi identifié un lien de causalité avec la criminalité et le déclin d’un quartier (Skogan, 1990).
25Afin que l’indifférence générale ne produise pas de comportements indésirables, les BIDs bénéficient d’un atout de taille : ils parviennent à maintenir en toutes circonstances des effectifs inchangés sur le terrain – une présence que la police est incapable d’assurer en continu tant la tension entre demande de services et disponibilité des personnels est grande. Une série de 35 « recensements » réalisés au sein du périmètre du BID de MetroTech à Brooklyn pour déterminer le nombre et le type d’agents chargés de la sécurité publique qu’un piéton se déplaçant dans ce quartier à une allure moyenne pouvait apercevoir en 15 minutes montrait que le nombre total d’agents de sécurité (153) aperçus au cours de l’ensemble de ces observations était sensiblement plus élevé que celui de policiers (99) [17].
26À New York, pas moins de 936 événements (visite d’un Chef d’État, grande manifestation, procès très médiatisé, processions religieuses, fêtes nationales, Halloween Parade) avaient nécessité en 1989 un encadrement policier dépassant les capacités d’un commissariat; à chaque fois les effectifs nécessaires étaient ponctionnés parmi les îlotiers en poste dans les différents secteurs et notamment à Times Square [18]. En 1994, lors du jugement des auteurs présumés du premier attentat perpétré contre le World Trade Center (1993), par exemple, les responsables du Times Square BID constatèrent la quasi-disparition des îlotiers habituellement affectés dans le quartier : les dispositifs de protection mis en place autour du tribunal pour prévenir tout incident nécessitaient chaque jour et pendant de nombreuses semaines de très substantiels renforts policiers [19]. Leurs agents de sécurité n’ayant pratiquement jamais à quitter leur poste, les BIDs agissent donc comme un élément stabilisateur dans le dispositif de sécurité locale [20].
27Plus récemment, suite aux attentats du 11 septembre, les grands BIDs étudiés dans le cadre de cette recherche ont été plus que jamais associés à la prévention d’actes terroristes. Le Times Square BID, par exemple, a travaillé au développement d’un réseau d’alerte pour tout le voisinage et fut à l’initiative d’un rapport sur la réduction des opportunités d’attaques : rédigé par un comité spécialement constitué, ses conclusions furent remises au département de police. Les agents de sécurité de ce même BID ont également suivi une formation dispensée par l’unité de lutte anti-terroriste du NYPD pour mieux repérer les agissements suspects et adopter une conduite appropriée en cas de soupçons.
28L’approche choisie par les BIDs pour améliorer les conditions de sécurité explique en bonne partie la coexistence pacifique entre les forces de police et les agents de sécurité. Si des tensions ont pu parfois se faire jour, les observations, enquêtes anonymes et entretiens réalisés dans le cadre de cette recherche à MetroTech (Brooklyn) et à Times Square (Manhattan) auprès des commissariats et des BIDs respectifs de ces deux quartiers montrent bien qu’elles sont plus l’exception que la règle : le climat relève bien plus d’une coopération que d’une rivalité. À une exception près, tous les agents du MetroTech BID interrogés estimaient que leurs collègues policiers avaient une attitude positive à l’égard du programme de sécurité, même si plusieurs (6 sur 10), admettaient néanmoins avoir déjà ressenti de l’hostilité de la part d’un ou de plusieurs officiers de police [21]. Les réponses apportées par les officiers de police aux mêmes questions corroborent point par point ces tendances. Les cinq officiers de police dont nous avons pu utiliser les réponses pour cette partie du questionnaire [22] ont unanimement reconnu en leurs homologues du BID de Metro-Tech des alliés. À Times Square, 11 agents de sécurité qualifiaient leurs relations avec la police locale d’excellentes ou de bonnes, 9 de passables et seulement 2 de mauvaises [23]. Ces deux BIDs nous montrent que la communication d’informations et les contacts sont quotidiens, tout particulièrement au niveau des personnels cadres.
29Parfaitement conscientes du travail accompli par le secteur privé dans ce domaine, les municipalités ont encouragé la formation des BIDs et il n’est pas rare qu’elles soient même directement à l’origine de leur formation (par exemple, Grand Central Partnership à New York).
Une police autonome ?
30La seconde crainte liée à l’existence d’une police privée est l’autonomie dont elle jouit : son caractère privé lui dispense d’avoir des comptes à rendre aux autorités publiques. Voilà une autre source d’inquiétude bien légitime que la multiplication des BIDs a contribué à éveiller.
31Ici et là des voix se sont élevées pour dénoncer la mainmise sur l’espace public par le secteur privé. Dans un article au titre évocateur – « Business Districts Grow at Price of Accountability» (1994) – un journaliste du New York Times, Thomas J. Lueck, s’attaquait aux BIDs critiquant leur influence disproportionnée et leur trop grande indépendance. Robert Lederman, militant new-yorkais et défenseur des artistes de rue, dénonce lui aussi l’émergence d’un État policier codirigé par les milieux d’affaires (a corporate police state). Selon lui, la multiplication des BIDs témoigne d’une véritable entreprise de privatisation de l’espace public par les grandes sociétés et groupes immobiliers de la ville : En quête d’un contrôle absolu des espaces publics, les associations de propriétaires immobiliers et les grandes entreprises ont constitué, par le biais des BIDs, leur propre gouvernement indépendant. […] Ces organismes qui fonctionnent en dehors du processus démocratique comme des gouvernements fantômes, gérent des secteurs entiers de la ville [24] (Lederman, 1998). Sur la côte Ouest où les BIDs se sont également rapidement développés, les critiques sont tout aussi vives, un travailleur social de Los Angeles estimait que les BIDs mettaient en place de véritables petites armées payées par les propriétaires et les milieux d’affaires et opérant à la manière des groupes d’autodéfense (Ehrenreich, 2001).
32La nature privée de ces entités et leur intervention sur l’espace public, il est vrai, font naître des questions fondamentales pour la gestion du maintien de l’ordre : comment les BIDs sont-ils constitués ? Qui est responsable de leur gestion ? Échappent-ils donc à tout contrôle public ? Les agents de sécurité respectent-ils les libertés individuelles ?
33Pour les milieux d’affaires et les propriétaires, l’avantage de cette nouvelle forme de gouvernance urbaine ne réside pas seulement dans les services supplémentaires qu’elle permet ainsi de financer mais aussi dans le contrôle qu’ils exercent sur l’utilisation des recettes prélevées sur leur territoire. Les acteurs économiques en conviennent, cette formule présente l’intérêt majeur d’échapper à la lenteur de l’administration et de contourner ses lourdeurs. Il est vrai, les BIDs peuvent négocier les contrats d’embauche selon les termes qu’ils estiment justes et appropriés, contrairement aux municipalités qui se doivent d’honorer des accords vieux de plusieurs décennies et qui se trouvent bien souvent contraintes de composer avec les syndicats. La nature privée des BIDs leur permet souvent un gain de productivité : les employés qui ne donnent pas satisfaction peuvent être licenciés et inversement ceux qui ont fait leurs preuves sont susceptibles d’être récompensés, ce qui n’est pas le cas des fonctionnaires municipaux. L’un des grands avantages liés à l’emploi d’agents de sécurité est leur présence continue sur le terrain : ils n’ont pas à se précipiter d’une urgence à une autre, ils n’ont pas l’obligation de se rendre au tribunal régulièrement et leurs tâches administratives se réduisent au strict minimum. Enfin, les BIDs bénéficient d’une plus grande flexibilité : les procédures et les règlements administratifs sont moins lourds, moins contraignants ce qui permet de faire bonne place à l’innovation et à l’expérimentation de nouvelles solutions. Sans nul doute, cette adaptabilité a fait le succès des BIDs et a largement contribué à la multiplication rapide de leur nombre. C’est précisément l’argument que développait le républicain Newt Gingrich lorsqu’il présenta élogieusement le concept de BID comme une alternative à l’État-providence.
34Cette liberté d’action a effectivement donné lieu à certaines tensions. Les auteurs d’un audit réalisé en 1995 pour le compte de la municipalité de New York (Cities Within Cities) s’étaient ainsi inquiétés du manque de transparence des BIDs et déploraient un manque de communication avec leurs membres. Leur enquête, menée auprès de 404 propriétaires devant s’acquitter de la taxe spéciale, montrait que 50% des personnes interrogées affirmaient n’avoir jamais reçu d’information de leur BID. En 1997-1998, à New York, plusieurs responsables politiques dont l’ancien maire Rudolph Giuliani et les sénateurs Manfred Ohrenstein et Franz Leichter s’étaient inquiétés de voir autant de responsabilités dans les mains d’un seul homme – Daniel Biederman – soulignant qu’avec ses trois BIDs et un budget annuel avoisinant les 20 millions de dollars, celui-ci contrôlait une bonne partie de Midtown Manhattan de la 1re à la 10e avenue et de la 30e à la 53e rue [25]. Dans leurs articles, les journalistes avaient d’ailleurs à l’occasion repris le surnom particulièrement évocateur donné à Dan Biederman : the unelected Mayor of Midtown.
35Même si elle varie en fonction des législations propres aux États et aux municipalités, cette liberté d’action dont jouissent les dirigeants de BIDs est loin d’être entière : à divers degrés, en effet, ceux-ci sont assujettis à des mécanismes de contrôle. Leur création est tout d’abord soumise à un vote des propriétaires concernés [26]. Complétées par des arrêtés municipaux, les lois adoptées par chaque État régissent le fonctionnement des BIDs : notamment le processus de mise en place, la désignation de l’organisme gestionnaire, la formule de calcul du prélèvement obligatoire, les fonctions autorisées, le mécanisme de dissolution. Leur formation, leurs limites géographiques, leurs activités et leur budget annuel sont par ailleurs soumis à l’approbation de la municipalité et même s’ils sont minoritaires, des représentants des pouvoirs publics siègent également dans les conseils d’administration des BIDs aux côtés des principaux acteurs de la vie locale (propriétaires immobiliers, hommes d’affaires, commerçants, résidents, représentants politiques, etc.). Après une période de cinq années, la plupart des BIDs doivent aussi obtenir un renouvellement de leur autorisation pour poursuivre leurs activités. À New York, depuis le début des années 1980, une cellule de la municipalité – le Department of Business Services – est spécialement chargée de veiller au respect des réglementations en vigueur. En août 1998, deux fonctionnaires y travaillaient à plein-temps et quatre autres à temps partiel : ils entretenaient un contact presque quotidien avec les BIDs et recevaient de ces derniers un rapport hebdomadaire.
36Au-delà du personnel cadre, cette question de l’autonomie concerne bien évidemment aussi les agents de sécurité sur le terrain. Là encore les sources d’inquiétude sont fondées : la formidable croissance du marché de la protection aux États-Unis et les énormes besoins en personnel de sécurité que celle-ci a suscités ont parfois nuit à la qualité des recrutements.
37Entre 1950 et 1990, la sécurité privée outre-Atlantique bénéficia d’un taux de croissance annuel moyen estimé à 12%. D’après la dernière étude scientifique disponible (Cunningham et al., 1990) et plus précisément selon une estimation calculée à partir du taux de croissance spécifique du secteur, on peut estimer que les Américains ont dépensé en 2000 plus de 100 milliards de dollars en divers services de sécurité privée contre « seulement » 3,5 milliards de dollars en 1970 (Cunningham, 1990). D’après la même source, on compterait aujourd’hui aux États-Unis environ trois employés de sécurité privée (toutes branches confondues) pour chaque officier de police [27]. Même s’il n’est pas encore possible d’avancer des chiffres précis et actualisés à l’échelle nationale, il ne fait aucun doute que les attentats terroristes du 11 septembre 2001 et la menace de nouvelles attaques auront contribué au développement de ce secteur, dont les experts estiment aujourd’hui la croissance annuelle à 10 ou 12% (Perez, 2002).
L’emploi dans la sécurité privée et la police (1970-2000) (estimation en millions de personnes)
L’emploi dans la sécurité privée et la police (1970-2000) (estimation en millions de personnes)
38Les spécialistes du domaine de la sécurité privée connaissent depuis longtemps les problèmes relatifs au recrutement et au manque de formation des agents. Même si la qualité des personnels s’est globalement améliorée au cours des vingt dernières années, des scandales récurrents continuent de nuire à l’image de la profession tout entière. Les agents de sécurité des BIDs ne reçoivent qu’une formation sommaire de quelques dizaines d’heures alors que les officiers de police bénéficient d’une formation de 8 mois à l’académie et d’un stage de 12 mois sur le terrain. Un autre problème majeur provient de l’impossibilité pour les employeurs d’agents de sécurité de demander une vérification du casier judiciaire de leurs recrues à l’échelle nationale [28].
39Les BIDs n’ont pas été épargnés par les dérapages d’agents de sécurité peu scrupuleux, mal formés ou tout simplement incompétents. Dans le domaine de la controverse, c’est sans nul doute le Grand Central Partnership à Midtown Manhattan qui fit l’objet du plus grand scandale. L’affaire éclata suite à la publication d’un article incendiaire dans le New York Times du 14 avril 1995 qui relatait la manière dont les employés de M. Biederman traitaient les sans-abri auxquels ils étaient censés prêter secours. Selon les auteurs d’un audit municipal, c’est au début des années 1990 que remontent les premières plaintes, pour violences, contre les employés de la Grand Central Partnership Social Services Corporation (GCSSC), une cellule d’aide aux défavorisés appartenant au Grand Central Partnership. Selon la même source, la GCSSC faisait l’objet de deux actions en justice à 5 millions de dollars chacune. Dans le premier cas, un client du GCSSC, Todd Field, affirmait avoir été battu puis projeté à travers une vitrine par un employé du GCSSC (il fut gravement blessé) et dans le second, un sans-abri, Clem Riley, se plaignait d’avoir été délibérément ébouillanté par un cuisinier du GCSSC (The Council of the City of New York, 1995). La véracité de ces accusations, toutefois, n’a pas été établie avec certitude; pour Richard Dillon du Grand Central Partnership, elles ont été montées de toutes pièces [29].
40Des procès ont été intentés dans d’autres villes : à Baltimore (en 1994) et à Los Angeles (en 2000) où les sections locales de l’American Civil Liberties Union (ACLU) ont attaqué en justice des BIDs dont les personnels de sécurité auraient porté atteinte aux libertés individuelles des sans-abri. Le jugement fut relativement favorable au Downtown Baltimore Partnership puisque le juge estima qu’aucun des droits garantis par la Constitution n’avait été enfreint par le BID. Pour ce qui est du cas de Los Angeles, aucune décision de justice n’a encore été rendue.
41Ces procès et leur médiatisation suscitent deux commentaires. À l’évidence, les BIDs et leurs agents de sécurité ne sont pas au-dessus des lois. En cas de plainte pour délit, ils font l’objet d’une enquête des services de police et peuvent, le cas échéant, avoir à répondre de leurs actes devant les tribunaux au même titre qu’un citoyen ordinaire. Ensuite, en dénonçant les exactions de quelques vigiles employés par le Grand Central Partnership en 1995, les journalistes du New York Times ont démontré à quel point la presse pouvait justement servir de garde-fou et contribuer à l’amélioration de la qualité des services (Davis, Dadush, 2000).
42Les affaires pénales évoquées plus haut demeurent toutefois anecdotiques. Si l’on peut légitimement s’interroger sur l’ampleur exacte de ces dérives, il reste malheureusement à ce jour totalement impossible de la mesurer scientifiquement : il n’existe ni fichier, ni source permettant d’identifier la fréquence des abus commis par les agents de sécurité des BIDs. Même si elle existait, une liste dénombrant les procès intentés à leur égard ne pourrait être fiable : comme en témoignait l’audit conduit en 1995 par la municipalité de New York, il n’est pas rare de voir les deux parties conclure un accord à l’amiable avec compensation financière pour éviter tous frais de justice (The Council of the City of New York, 1995). Outre leur caractère confidentiel, de pareilles ententes sont par ailleurs de nature à susciter des doutes quant à la véracité de certaines accusations.
43S’il ne fait aucun doute que des abus ont pu être commis ici et là, il est peu probable que ceux-ci aient été fréquents et graves. Il n’est nullement dans l’intérêt des BIDs de tolérer ou pire d’encourager la violation des libertés individuelles ou l’usage de violences au nom de la sécurité publique : ils auraient à supporter toutes les conséquences politiques (mauvaise publicité, perte du soutien de la municipalité) et financières (poursuites judicaires ou dédommagements) d’une telle stratégie.
44Plusieurs BIDs ont adopté à cet égard une approche préventive dont il convient de souligner ici l’originalité. Depuis le début de ses activités dans ce quartier d’affaires de Brooklyn en 1990, le directeur du service de sécurité de MetroTech a décidé de soumettre ses opérations au contrôle de la police. Il a associé les commandants des deux commissariats locaux au comité de sécurité publique qu’il a constitué : une fois par mois, ces derniers sont invités, avec les représentants de quelques-uns des membres du BID, à discuter des problèmes rencontrés, des projets à l’étude et des améliorations à apporter au système de surveillance local [30]. À Philadelphie, dans l’hyper-centre, les élus, responsables policiers et milieux d’affaires ont été bien plus loin encore dans le domaine du partenariat en conjuguant les efforts des fonctionnaires de police avec ceux des agents de sécurité : les deux équipes se trouvent réunies dans un seul et même commissariat et assistent ensemble aux briefings quotidiens de leurs supérieurs. C’est là un moyen d’optimiser la répartition des tâches, la coopération et de limiter au minimum le risque d’abus.
À qui profitent les BIDs ?
45Intéressons-nous maintenant à la troisième source d’inquiétude qu’éveille le concept de police privée : seule une minorité de privilégiés tire tout le bénéfice des démarches entreprises.
46De l’avis de Janet Rothenberg Pack, Professeur en sciences politiques à la Wharton School (Pennsylvanie) et de Doug Lasdon, directeur de l’Urban Justice Center, les BIDs pourraient bien alimenter un sentiment d’injustice et contribuer à accentuer les inégalités : La formation de BIDs permet aux résidents aisés de s’offrir des services dont ils sont seuls à bénéficier; cela accentue le fossé entre quartiers riches et secteurs défavorisés [31].Pour les détracteurs des BIDs, en effet, les lois autorisant les propriétaires d’immeubles de bureaux et de surfaces commerciales à s’unir de la sorte illustrent bien le traitement de faveur accordé par les municipalités aux milieux d’affaires. En autorisant la formation de ces alliances et en contribuant largement à garantir leur financement par le biais d’une taxe spéciale, les élus chercheraient à favoriser les intérêts des plus riches et des plus influents – hommes d’affaires et promoteurs immobiliers – sans se préoccuper de l’intérêt général. Pareil argument est-il fondé ?
47Au cours des trente dernières années, l’insécurité est de plus en plus apparue comme une entrave majeure au développement économique : petits commerces ou grandes sociétés, tous ont dû supporter le poids de ses coûts directs (vols, détériorations, congés maladie, etc.) et indirects (augmentation des polices d’assurance, financement d’équipements et de personnels de sécurité, perte de clientèle, difficultés de recrutement, délocalisations, etc.). Au début des années 1980, la question était déjà source de préoccupation. Une enquête réalisée en 1983 auprès de 47 grandes sociétés implantées à Manhattan nous renseigne utilement sur l’importance relative accordée au problème de l’insécurité par les entrepreneurs à la recherche d’un site où délocaliser leurs services logistiques (voir tableau II). Sur une liste de 19 critères proposés, la sécurité aux abords des locaux arrivait en troisième position après le prix du mètre carré et la fiabilité du réseau électrique. À l’évidence, les chefs d’entreprise se montraient particulièrement soucieux d’offrir à leurs employés, à leurs futures recrues et à leur clientèle un environnement paisible et rassurant.
48Pour bon nombre d’entrepreneurs, les problèmes d’insécurité et toutes les conséquences qu’ils faisaient porter sur la santé économique de leur secteur ne devaient pas demeurer une fatalité : la délocalisation de leurs activités apportait une solution radicale à leurs soucis. Dans la plupart des grandes métropoles américaines, le départ d’un nombre croissant de sociétés vers les banlieues bien plus tranquilles ne manqua pas d’éveiller la plus grande inquiétude, notamment parmi les promoteurs immobiliers. Lewis Rudin à la tête de la Rudin Management Company(aujourd’hui propriétaire et gérante de 23 immeubles résidentiels et de 12 immeubles de bureaux), s’exprimait en ces termes : Au début des années 1970, GTE était sur le point de déménager vers le Connecticut. En fait, c’est le monde des affaires tout entier qui se détournait de New York. Tous les soirs, chez Johnny Carson on entendait les mêmes blagues sur les agressions commises à Central Park. Il nous était tout bonnement impossible de déplacer nos tours de bureaux de l’autre coté du fleuve. C’est à New York que se trouve tout notre parc immobilier [32] (Berman, s.d., 62).
Les critères de sélection utilisés par les chefs d’entreprise dans la recherche d’un site
Les critères de sélection utilisés par les chefs d’entreprise dans la recherche d’un site
49À l’image de Lewis Rudin, les représentants des milieux d’affaires de toutes les grandes villes ont exercé depuis les années 1960 et 1970 une pression considérable auprès de leurs représentants politiques pour qu’une solution soit trouvée au problème de l’insécurité.
50Confrontés à la concurrence grandissante des banlieues et au désengagement fédéral en matière de politique urbaine, les élus municipaux se trouvaient alors confrontés à un terrible dilemme : soit ils amélioraient la qualité des services publics en augmentant la fiscalité ou en empruntant, soit ils équilibraient leur budget en réduisant les dépenses et les nouveaux investissements. Parce que dans ces deux cas de figure, ils courraient le risque d’accroître le mécontentement des contribuables et investisseurs et d’accélérer ainsi leur exode en périphérie, les maires ont été sensibilisés à la nécessité de trouver des solutions alternatives.
51Pour satisfaire les attentes sécuritaires de plus en plus pressantes des acteurs économiques, les pouvoirs publics ont donc voté les textes permettant au secteur privé de former des pôles de ressources en se constituant en Business Improvement District. Le succès remporté par cette formule tient en bonne partie au fait que tous les propriétaires du territoire concerné doivent contribuer au financement des services : la taxe spéciale est prélevée par la municipalité – au même titre que l’impôt foncier – avant d’être reversée au BID. Cette disposition présente l’intérêt majeur de contourner l’épineux problème des freeriders, qualificatif donné à ces membres se refusant à contribuer au financement des prestations alors qu’ils en tirent tous les bénéfices.
52À l’évidence donc, les promoteurs et les membres de ces BIDs sont avant tout animés par un souci financier : la création d’un service de sécurité s’inscrit dans une démarche globale consistant à redorer l’image d’un quartier dont la réputation affecte négativement l’activité économique locale. Si les services de nettoyage et de sécurité sont parmi les plus fréquemment proposés par les BIDs, c’est précisément parce qu’ils sont susceptibles de produire les améliorations les plus immédiatement visibles. Derrière ces coalitions se cachent donc de gigantesques opérations de promotion des espaces : tout ce qui y est entrepris relève du marketing dans le sens le plus large du terme; il s’agit tout à la fois de garder et d’attirer clients, employés et investisseurs. Les BIDs et le travail de fond qu’ils entreprennent pour améliorer l’attractivité de l’environnement constituent aussi un moyen utilisé par les grands propriétaires des surfaces commerciales et des tours de bureaux pour accroître sensiblement la valeur de leurs biens immobiliers et donc celle de leurs revenus fonciers.
53Ces éléments, il faut en convenir, accréditent la thèse d’une politique sécuritaire proche du favoritisme. D’autres considérations, pourtant, sont de nature à apporter un tout autre éclairage. Que sait-on de ces quartiers où opèrent les services de sécurité mis en place par le secteur privé ?
54Contrairement à certaines allégations, les quartiers dans lesquels opèrent les BIDs ne sont pas des espaces déjà surprotégés où la mise en place d’un service de sécurité supplémentaire est superflue. Depuis quelques années, un nombre croissant de BIDs voient le jour dans des quartiers relativement défavorisés et durement touchés par les problèmes urbains; dans le Bronx, par exemple, on en dénombre cinq. Si les quartiers d’affaires et artères commerçantes n’enregistrent certes pas une criminalité violente endémique (celle-ci est généralement très inférieure à celle des quartiers résidentiels défavorisés), la forte fréquentation piétonnière qui les caractérise attire néanmoins de nombreux petits délinquants : voleurs, pickpockets, dealers de drogue, arnaqueurs… et justifie ainsi que ces quartiers bénéficient d’un degré d’attention plus élevé. À titre d’exemple, les statistiques de police spécifiques au quartier de Times Square (tableau III) nous montrent qu’au milieu des années 1980, le quartier des théâtres, situé à la frontière de deux circonscriptions policières, se trouvait manifestement au cœur d’un secteur géographique particulièrement criminogène : en 1985, les commissariats de Midtown North et de Midtown South enregistraient une délinquance de très loin la plus élevée de la ville.
La délinquance à Midtown Manhattan comparée au reste de la ville (année 1985)
La délinquance à Midtown Manhattan comparée au reste de la ville (année 1985)
55Dans leur immense majorité, ensuite, les BIDs et leurs équipes de sécurité travaillent dans des secteurs majoritairement fréquentés par une population exogène et d’origine très variée. On estime par exemple à environ 26 millions le nombre de touristes qui se rendent chaque année à Times Square et une enquête réalisée en 1998 par un institut indépendant démontrait que seuls 8% des personnes interrogées résidaient dans le quartier [33]. Les dispositifs mis en place par le secteur privé ne profitent donc pas seulement à une minorité de richissimes commerçants et propriétaires immobiliers mais contribuent avant tout à la sécurité de tous les usagers sans distinction. En ce sens, les BIDs se distinguent totalement des fameux Common Interest Development (aussi surnommés gated communities), ces espaces résidentiels entièrement privatisés dont l’accès est rigoureusement contrôlé et le périmètre étroitement surveillé.
56Les démarches entreprises par les BIDs pour réduire les problèmes d’insécurité sur leur territoire servent aussi l’intérêt collectif dans le sens où elles s’inscrivent dans les politiques menées par les municipalités pour préserver leurs rentrées fiscales et développer l’investissement. Même à leur modeste échelle, les BIDs travaillent à la transformation d’espaces vitaux à l’économie des grands centres urbains américains; en s’efforçant de rendre leur territoire plus civilisé et plus accueillant, ils contribuent au développement de l’activité économique, au maintien du bassin d’emploi et participent parfois même au retour de la croissance dans des quartiers autrefois durement frappés par les stigmates du déclin. À Times Square, par exemple, les efforts combinés des pouvoirs publics et du secteur privé ont transformé un secteur emblématique du déclin urbain en un pôle économique et touristique majeur, symbole même du renouveau de New York.
57En contribuant à la tranquillité d’esprit de la plupart des usagers qui fréquentent ces quartiers et en permettant aux municipalités de lutter plus efficacement contre la concurrence des pôles économiques périphériques menaçant leur capacité à financer les services publics, les BIDs œuvrent donc aussi pour le bien commun. C’est là bien évidemment la condition préalable à la production d’un service public.
58Si tous les BIDs ne peuvent à l’évidence être aussi efficaces, ceux qui ont été étudiés dans le cadre de cette recherche affichent des résultats impressionnants en matière de chute de la criminalité. À Times Square, par exemple, la délinquance enregistrée au sein du BID aurait chuté de 57% entre 1993 et 1998 [34]; soit une diminution de 9 points supérieure à celle de toute la ville sur la même période. Le Washington DC BID affiche fièrement un taux de réduction de la criminalité à deux chiffres pour chacune des cinq années suivant la naissance du BID (Downtown DC BID, 2002). Mais cet outil de mesure est-il vraiment approprié ?
59Dans la très grande majorité des cas, l’exploitation des statistiques de police apparaît très problématique, voire impossible car ces données ne permettent pas de mesurer le rôle effectivement joué par les BIDs. Outre l’action de la police, il faudrait préalablement pouvoir neutraliser de nombreux facteurs politiques, économiques et sociaux – travail probablement impossible à mener. S’il existe bien une étude scientifique tendant à démontrer l’efficacité d’un service de sécurité privée dans un quartier résidentiel à l’accès non réglementé (voir les travaux empiriques de Walsh, Donovan et McNicholas, 1992), ses conclusions ne sauraient être généralisées aux BIDs qui œuvrent sur des territoires de nature très différente [35]. Par ailleurs, les périmètres des BIDs ne correspondent jamais parfaitement aux frontières des circonscriptions policières ou à celles des secteurs qui la composent et à quelques exceptions près, les commissariats se refusent à communiquer des statistiques personnalisées. Ce type de données ne tient pas compte par ailleurs de l’évolution du taux de signalement des délits, facteur susceptible de modifier considérablement les conclusions de toute analyse, surtout dans la période suivant immédiatement la mise en place d’un nouveau programme de sécurité. Ces chiffres enfin ne permettent pas d’établir la distinction entre les délits « visibles » et les délits « non visibles » [36]; or les agents de sécurité ne peuvent exercer aucune influence sur ces derniers.
60Au-delà de ces considérations, bien sûr, c’est la pertinence même de ce critère d’évaluation – les statistiques de criminalité – qui pose problème. Comme nous l’avons souligné, les dispositifs de sécurité mis en place par les BIDs n’ont pas pour objectif de réduire le nombre de délits à proprement parler mais plutôt de (re) créer un climat sécurisant favorable au bien-être des usagers. Si l’évolution de la fréquentation du quartier est un critère intéressant, il ne permet naturellement pas d’isoler le facteur sécurité. Les BIDs auraient tout intérêt à améliorer l’évaluation de leur impact en recourant à d’autres critères, quelques rares BID comme le Downtown DC BID à Washington s’y sont employés en mesurant l’évolution du sentiment d’insécurité auprès des usagers fréquentant le quartier.
Proportion de personnes se sentant en sécurité dans le centre-ville de Washington DC
Proportion de personnes se sentant en sécurité dans le centre-ville de Washington DC
61Ces résultats semblent positifs puisque le début des opérations (1997) semble coïncider avec une très nette diminution du sentiment d’insécurité dans le quartier. La source n’indiquant cependant pas le nombre de personnes interrogées et ne se référant pas aux années antérieures, il est néanmoins difficile d’accorder une valeur scientifique à cette étude. Ce résultat par ailleurs peut être la conséquence d’autres phénomènes. De futures recherches pourraient s’attacher à mesurer l’évolution du sentiment d’insécurité et celle des désordres avant et après la mise en place d’un programme de sécurité; le nombre de graffiti sur les surfaces des bâtiments pourrait, par exemple, constituer l’un des indicateurs possibles.
62Si un travail de mesure scientifique reste donc à entreprendre, il n’en demeure pas moins que dans de nombreux exemples leur contribution à l’ordre public est indiscutable au point que les frontières du BID sont parfois visibles à l’œil nu tant le contraste est frappant entre les espaces surveillés et nettoyés et ceux qui ne le sont pas. Dans de nombreux BIDs, par ailleurs, le voisinage souligne à quel point les efforts ont porté leurs fruits, les équipes sur le terrain parvenant à transformer l’aspect physique du quartier et à venir à bout de sa mauvaise réputation (Pastor, 2003,92-100). Une enquête de satisfaction réalisée par un organisme indépendant auprès des membres du Times Square BID (responsables locaux, propriétaires, représentants des milieux d’affaires, commerçants et restaurateurs) montrait que sur la base de 564 questionnaires rendus (soit un taux de réponse de 20%) et de 76 entretiens téléphoniques réalisés, une majorité de répondants constatait une amélioration de la propreté (86%), de l’attractivité des lieux (86%) et de la sécurité (80% de jour et 71% de nuit) (Clark, Matire, Bartolomeo, 1996). À MetroTech, un audit de la municipalité témoignait d’un taux de satisfaction en matière de sécurité encore plus élevé (Hevesi, 1998). Plus généralement, l’équipe chargée de réaliser un audit des BIDs pour la municipalité de New York en 1995 reconnaissait que les BIDs avaient produit un impact positif sur de nombreux quartiers de New York (The Council of the City of New York, 1995).
63Les services de sécurité mis en place par les BIDs ne peuvent donc être qualifiés de polices privées : ils n’ambitionnent nullement de se substituer à la police municipale et n’en n’ont d’ailleurs pas les moyens. Comme on l’a souligné ensuite, même s’ils bénéficient d’une certaine autonomie dans la gestion quotidienne de leurs opérations, ils n’échappent pas au contrôle des municipalités, de la police et de leurs membres. Les BIDs participent enfin à la production d’un service public en contribuant à la sécurité de tous les utilisateurs de ces quartiers : employés, clients, touristes, passants sans leur en faire supporter le coût.
64Les risques liés à l’émergence d’une police privée, pourtant, n’en sont pas moins réels. Comme on va s’attacher à le démontrer, un grand nombre de municipalités américaines ont créé les conditions propices au développement d’une sécurité à deux vitesses.
Quand les municipalités louent les services de leurs policiers
65À ce jour, la majorité des départements de police permettent à leurs officiers de travailler en uniforme et avec des pouvoirs inchangés pour le compte d’un employeur extérieur. Ce phénomène est récent : jusqu’à la fin des années 1950, tous les départements de police américains interdisaient formellement à leurs officiers de travailler en uniforme pour un autre employeur que la municipalité. Si la crainte alors officiellement exprimée par les responsables politiques était de voir les milieux policiers servir des intérêts privés au détriment de la notion de service public, d’autres soucis avaient motivé cette posture : ces emplois posaient d’épineuses questions de responsabilité et augmentaient considérablement les risques de corruption. Aujourd’hui, les départements de police permettent non seulement ces pratiques autrefois sévèrement condamnées, mais ils en assurent aussi souvent l’organisation, voire même la promotion. Même si les craintes évoquées précédemment subsistent encore, les réglementations édictées aujourd’hui s’efforcent de les réduire au minimum.
66Il existe aux États-Unis trois types de recrutementde cette sorte; ceux-ci se distinguent par la nature de l’entité qui négocie le contrat; on parle ainsi de officer contract model (négocié par le fonctionnaire lui-même en accord avec la hiérarchie), de union brokerage model (négocié par le syndicat) et de department contract model (négocié par le département de police).
67Jusqu’au printemps 1998, avant que le New York Police Department(NYPD) ne décide de modifier son règlement interne, New York était la dernière grande ville du pays à ne pas encore tolérer de telles pratiques. Désormais, les officiers de police souhaitant travailler en uniforme en dehors de leurs heures de service au sein de leur circonscription d’affectation ou en dehors de celle-ci peuvent en faire la demande à une unité spéciale intégrée au département de police (la Paid Detail Unit). Celle-ci s’occupe de gérer la totalité du processus : elle centralise les offres d’emplois, les candidatures et gère la répartition des personnels [37]. En 2003,22 272 officiers, soit pratiquement la moitié de l’effectif total du NYPD, s’étaient déjà portés volontaires et environ 150 officiers participaient chaque jour au programme (Wasserman, 2003). En 2002,24 400 contrats furent signés pour le compte de quelque 158 commerçants [38].
68Cette formule présente l’intérêt majeur d’éviter certains des problèmes liés au manque de formation et de qualification de nombreux agents de sécurité privée évoqués plus haut car ces fonctionnaires de police bénéficient d’une solide expérience et d’une excellente connaissance de la loi et des procédures. La décision éminemment politique de permettre le recrutement d’officiers de police par un employeur extérieur pourrait pourtant se révéler à terme bien plus lourde de conséquences en terme d’équité que la possibilité donnée aux milieux d’affaires de constituer des équipes de sécurité privée.
69La première différence tient au pouvoir répressif dont disposent ces fonctionnaires recrutés par le secteur privé. Pour un employeur privé soucieux de maintenir sur site un dispositif de surveillance visible, le recrutement d’un officier de police est particulièrement avantageux : ces fonctionnaires participant au programme ne perdent aucun des attributs liés à leur statut et gardent donc le privilège de pouvoir recourir à la force et de procéder à des arrestations chaque fois que cela est nécessaire. Dans ce dernier cas, toutefois, les policiers doivent confier l’individu à un autre officier de la circonscription dans laquelle ils se trouvent ou faire appel à un sergent qui les affectera provisoirement dans la circonscription concernée. Outre l’autorité qu’il exerce, la formation et l’expérience dont bénéficie le policier, c’est aussi sa capacité à mobiliser rapidement d’importants renforts humains et matériels qui font de lui un atout précieux au sein d’une équipe. L’employeur, enfin, ne saurait être tenu pour responsable d’éventuelles blessures provoquées par le fonctionnaire dans le cadre de son emploi secondaire; c’est là, à n’en pas douter, un autre avantage de taille.
70Le Sergent Mariana Murray, responsable de l’unité Paid Detail Unitau New York Police Department, le reconnaissait : de nombreux responsables de services de sécurité privée ont compris les intérêts que comporte ce type de recrutement, même s’il est aussi synonyme de frais plus élevés [39]. S’apercevant que les fonctionnaires de police exerçaient un pouvoir dissuasif plus important que leurs agents de sécurité, plusieurs sociétés commerciales ont même décidé de remplacer leurs vigiles par des officiers de police recrutés par le biais du Paid Detail Unit [40]. À l’échelle nationale, les données rassemblées par Albert J. Reiss à la fin des années 1980, le démontraient déjà, dans la plupart des commissariats, la demande de service de police excédait l’offre en effectifs disponibles (Reiss, 1988).
71Si rien ne justifie que les mesures préventives soient le domaine exclusif de l’État, on peut considérer qu’il en est tout autrement des moyens répressifs. En renonçant à demeurer le seul détenteur du pouvoir répressif, l’autorité publique crée alors les conditions propices au développement d’une sécurité à deux vitesses : elle permet en effet à certaines communautés d’intérêts de se doter pour elles-mêmes d’un appareil répressif dont les autres sont dépourvues.
72Le second risque que fait peser cette possibilité de recrutement tient à la nature des bénéficiaires des services ainsi rendus.
73Dans la majorité des cas, les policiers sont recrutés non pas pour protéger des rues très fréquentées mais pour assurer l’ordre au sein d’établissements privés ou, plus rarement, dans des quartiers résidentiels. À New York, où environ les deux tiers des sollicitations relèvent d’une présence à l’intérieur de bâtiments [41], la quasi-totalité des clients sont des commerces ou des sociétés telsles cinémas Loews, le Rockfeller Center, Macy’s, Toys ‘R’ Us, le New York Times Company, MTV, Sony Music, etc. qui souhaitent bénéficier de la présence dissuasive d’un fonctionnaire de police. Les commerces ne sont pas les seuls autorisés à faire une demande de recrutement : quelques habitants en ont profité tout comme une dizaine de synagogues et un comité de quartier de Brooklyn qui sollicite la présence d’un policier deux jours par semaine. Ce type de protection, on l’aura compris, n’est pas à la portée de toutes les bourses : il ne suffit pas de verser les quelque 30 dollars de rémunération de l’heure, mais il faut aussi prendre en compte le montant de l’assurance en responsabilité civile à laquelle il faut souscrire (un million de dollars) [42]. Dans la plupart des cas, les clients ne réclament pas plus d’un ou deux policiers mais parfois les besoins sont plus conséquents : le Yankee Stadium, par exemple, a déjà sollicité la présence de 29 officiers, deux sergents et un lieutenant [43]. Les règlements internes édictés par chaque département de police limitent le type d’emploi auquel les officiers peuvent avoir accès : en règle générale, ne sont pas permis les postes de nature àcréer un conflit d’intérêt avec la fonction de représentant de la force publique, à porter atteinte au statut ou à la dignité du policier et les postes comportant un risque physique important (Reiss, 1988,2). Certaines villes telles Boston, Houston, Miami et Atlanta ont franchi une étape que New York s’est pour le moment refusée à franchir en autorisant restaurants, bars et discothèques à user de cette possibilité. Ces éléments nous en apportent la preuve, la police américaine peut aussi produire un service privé : ces fonctionnaires détenteurs de pouvoirs répressifs agissent en effet sur les directives d’employeurs soucieux de défendre leurs intérêts particuliers : propriétés (cinéma, commerces, etc.) ou individus (clientèle, personnel, etc.) spécifiques.
74Ces nouvelles dispositions soulèvent certaines questions liées à l’ambiguïté du statut miprivé, mi-public des officiers participant à ce programme. En occupant ainsi un autre emploi, les officiers sont-ils dans un état physique et mental compatibles avec les fonctions qu’ils exercent une fois en service ? Aux yeux du public, l’image des départements de police ne risque-t-elle pas de souffrir de tels arrangements ? Ces recrues agissent-elles comme officiers de police ou davantage comme agents de sécurité ? Quelle influence l’employeur secondaire exerce-t-il sur les officiers qu’il rémunère indirectement ? N’y a-t-il pas là un risque de conflit d’intérêt avec la mission de service public qui est celle du fonctionnaire de police ? Pour Mark Rosen, juriste et enseignant en droit à John Jay College of Criminal Justice (New York), les réponses à ces interrogations demeurent encore relativement floues et elles sont largement fonction des règlements édictés dans chaque municipalité [44]. Dans tous les cas, la portée de ce récent développement peut s’avérer considérable : déjà à la fin des années 1980, dans certains départements de police, le nombre d’officiers en uniforme travaillant pour un employeur extérieur pouvait dépasser le nombre de policiers en service (Reiss, 1988,1).
75Les municipalités américaines ont donc favorisé la naissance d’une police hybride. Celle-ci, nous le croyons, s’apparente bien plus que les BIDs et leurs services de sécurité à une privatisation du maintien de l’ordre en milieu urbain.
76Comment justifier, sinon au moins expliquer, que les municipalités américaines puissent promouvoir les conditions favorables au développement d’un système inégalitaire avec une « sécurité du riche » pour ceux qui en ont les moyens et une « sécurité du pauvre » pour les autres qui ne peuvent compter que sur les pouvoirs publics ? L’intervention d’agents de sécurité privée sur l’espace public et le recrutement de fonctionnaires de police pour la protection d’espaces privés témoignent en fait d’une politique sécuritaire parfaitement cohérente visant à faciliter l’immixtion du secteur privé dans la gestion de la sécurité de son « espace vital ». Cette stratégie est encouragée par la nécessité pour des centaines de municipalités menacées par le déficit de préserver leurs rentrées fiscales et de relancer l’investissement privé. Cette décision, par ailleurs, leur permet de calmer les revendications salariales de leurs fonctionnaires de police sans toutefois grever davantage leur budget de fonctionnement; un audit réalisé en 2002 par l’inspection des services de Washington DC a ainsi révélé que les policiers pouvaient doubler, voire tripler leur salaire grâce à ces emplois.
77Les deux phénomènes analysés ici constituent à l’évidence deux pratiques très éloignées de ce qui existe notamment en France où le rapport à l’État est différent des pays d’origine anglo-saxonne. Ils représentent aussi aux États-Unis une petite révolution dans la gestion du maintien de l’ordre en milieu urbain. Rappelons en effet que dans les années 1960, le système de justice pénale américain tolérait mal que son champ d’action puisse être investi par les citoyens ou la sécurité privée et se refusait à « louer » les services de ses fonctionnaires détenteurs de pouvoirs répressifs. Aujourd’hui, à tous les niveaux – de l’État fédéral aux municipalités – de nombreuses initiatives traduisent le désir des élus et des professionnels de justice de voir tous les acteurs de la société s’engager activement dans la résolution des problèmes de tranquillité publique – le développement du community policing en est une illustration supplémentaire. Cette rupture politique majeure s’explique par l’échec des pouvoirs publics à gérer seul l’accroissement du sentiment d’insécurité – incapacité qui tient autant à des facteurs internes qu’externes – et à satisfaire les exigences croissantes des milieux d’affaires et des citoyens.
78Sur la base de ces récentes évolutions, on est fondé à se demander s’il est aujourd’hui encore pertinent de parler de sécurité privée lorsque des agents interviennent sur la voie publique pour offrir à tous les citoyens une plus grande tranquillité; si un officier de police à qui un cinéma confie la surveillance de son entrée reste véritablement un fonctionnaire au service du public ? S’il y a là matière à débat, c’est parce que le caractère privé ou public de la sécurité est fonction de plusieurs critères parmi lesquels : la source du financement, la nature du prestataire et l’identité des consommateurs ou bénéficiaires. En s’ajoutant notamment au patronage des départements de police par le secteur privé, aux old boys’ network qui lient les anciens policiers reconvertis dans des entreprises de sécurité privée à leurs collègues encore en fonction, les deux phénomènes évoqués ici concourent au « brouillage des frontières » entre police et sécurité privée. On assiste à l’émergence d’une gestion hybride de l’ordre où la sécurité privée peut contribuer à la production d’un service public et la police municipale participer à la production d’un service privé.
79La crise budgétaire que les municipalités américaines traversent en ce début de siècle et le poids que fait peser la lutte anti-terroriste sur les polices des plus grands centres urbains laissent à penser que les phénomènes décrits ici vont s’inscrire dans la durée. La décision du maire de New York, M. Bloomberg, d’autoriser en 2002 les BIDs à voter une augmentation de la taxe spéciale afin d’accroître leur budget de fonctionnement est ici assez symbolique. Ces dispositifs de sécurité font désormais partie intégrante de la qualité du cadre de vie et dans tous les secteurs dits stratégiques, ils sont désormais comme un standard : si améliorer la tranquillité publique ne garantit en rien la prospérité du quartier, en revanche, l’ignorer ou la négliger peut se révéler fatal. La sollicitation des énergies privées aux États-Unis est donc en passe de devenir l’une des caractéristiques permanentes de l’organisation du maintien de l’ordre en milieu urbain.
80En dépit des inquiétudes évoquées dans cet article, la question qui est au cœur de notre réflexion – le degré de protection peut-il être fonction du niveau de richesse ? – ne semble cependant pas constituer aux États-Unis une source de préoccupation majeure. Sans aucun doute la réponse à cette question relève d’un choix de société. Deux écoles de pensée s’opposent sur ce point. La première s’appuie sur une conception égalitaire : la sécurité est alors considérée comme un bien public et doit demeurer à ce titre identique pour tous. D’inspiration beaucoup plus libérale, la seconde s’attache à défendre le droit de chacun à prendre les dispositions nécessaires à assurer sa sécurité comme il l’entend. Cette dernière conception, qui implique que la protection puisse être variable suivant les richesses, est davantage conforme aux spécificités de la culture américaine.
Bibliographie
BIBLIOGRAPHIE
- ALBANESE J., 1989, Private Security and the Public Interest, Great Books Publishing.
- BERMAN A., New York, New York, A Helluva Town, s.l.s.d.
- BENSON B.L., 1998, To Serve and Protect, New York, New York University Press.
- COLL., 1991, Genèse et développements de la sécurité privée, Les Cahiers de la Sécurité Intérieure – numéro spécial sur Le Marché de la Sécurité Privée, Paris, La Documentation Française.
- CUNNINGHAM W.C., et al., 1990, Private Security Trends 1970-2000 – « The Hallcrest Report II », Stoneham, Massachussets, Butterworth-Heinemann.
- DAVIS R. C., DADUSH S., 2000, Balancing public and private accountability : the MetroTech Business Improvement District, in Vera Institute of Justice, The Public Accountability of Private Police, New York, 7-21.
- FORST B., MANNING P., 1999, The Privatization of Police : Two Views, Georgetown University Press.
- EHRENREICH B., « Off My Back », LA Weekly, 18-24 mai 2001.
- JOHNSTON L., 1992, The Rebirth of Private Policing, London, Routledge.
- HOUSTOUN L. Jr., 1997, Business Improvement Districts, Washington, D.C., The Urban Land Institute.
- KELLING G.L., COLES C.M., 1996, Fixing Broken Windows, New York, The Free Press.
- LASDON D., HALPERN S., 30 novembre 1995, When Neighborhoods are Privatized, The New York Times.
- LUECK T.J., 29 nov. 1994, Business Districts Grow at Price of Accountability, The New York Times.
- MITCHELL J., 1999, Business Improvement Districts and Innovative Service Delivery, The Pricewaterhouse Coopers Endowment for The Business of Government.
- ODUBEKUN L.E., 1993, The Vera Institute of Justice Atlas of Crime and Justice in New York City, New York, The Vera Institute of Justice.
- PACK J.R., 1992, BIDs, DIDs, SIDs, SADs. Private Government in America, The Brookings Review.
- PASTOR J.F., 2003, The Privatization of Police in America, Jefferson, North Carolina, McFarland & Co, Inc.
- PEREZ E., 9 avril 2002, Demand for Security Still Promises Profit, The Wall Street Journal.
- POUZOULET C., 2000, New York, New York. Espaces, pouvoir, citoyenneté dans une ville-monde, Paris, Belin.
- REISS A. J., février 1988, Private Employment of Public Police, Issues and Practices, Washington, D.C., National Institute of Justice, U.S. Department of Justice.
- SHEARING C.D., STENNING P.C., 1981, Modern Private Security : Its Growth and Implications, in TONRY, M., MORRIS, N., Eds., Crime and Justice – An Annual Review of Research, Volume 3, Chicago, The University of Chicago Press, 193-245.
- SILVERMAN E., 1999, NYPD Battles Crime – Innovative Strategies in Policing, Boston, Northeastern University Press.
- SKOGAN W., 1990, Disorder and Decline – Crime and the Spiral of Decay in American Neighborhoods, Berkeley, University of California Press.
- STEWART J.K., 1985, Public Safety and Private Police, Public Administration Review, 758-765. The Real War on Crime – The Report of the National Criminal Justice Commission/, 1995, sous la direction de Steven R. DONZIGER, HarperPerennial.
- VINDEVOGEL F., 1999, Coproduire la Sécurité : les Business Imrpovement District à New York et dans quelques grands villes américaines, Sources, 58-78.
- VOURC’H C., MARCUS M., 1996, Police d’Europe et Sécurité Urbaine, Synthèse des travaux de Saragosse du 8 et 9 février 1996, Paris, Forum Européen pour la Sécurité Urbaine.
- WALSH W.F., DONOVAN E.J., McNICHOLAS J.F., 1992, The Starrett Protective Service : Private Policing in an Urban Community, in BOWMAN G.W., HAKIM S., SEIDENSTAT P., Ed., Privatizing the United States Justice System – Police, Adjudication, and Corrections Services from the Private Sector, McFarland & Company, 157-177.
- WASSERMAN J., 10 août 2003, Call’em NYPD Green – Private firms paying uniformed cops for OT shifts, Daily News – City News (journal interne de la Patrolman Benevolent Association of the City Of New York).
- WILSON J.Q., KELLING G.L., 1982, Broken Windows – The Police and Neighborhood Safety, The Atlantic Monthly, p. 29-38.
- SOURCES NON PUBLIÉES
- Ne figurent ici que les principales sources utilisées pour la rédaction de cet article.
- Documents
- Citizens Crime Commission of New York City et Regional Plan Association, juillet 1985, Downtown Safety, Security and Economic Development.
- CLARK, MATIRE, BARTOLOMEO, Inc., 1996, A Study of the Major Constituents of the Times Square BID – Overview.
- Downtown, DC BID, 2002, Annual Report.
- HEVESI A., 1998, Audit Report on the Internal Controls and Operating Practices of the MetroTech Business Improvement District, The Office of the Comptroller City of New York, Bureau of Management Audit.
- LEDERMAN R., 18 novembre 1997, Open Letter to New York City’s BIDs, ARTIST.
New York City Police Department, Paid Detail Agreement.
New York City Police Department (Lee P. Brown), janvier 1991, Policing New York City in the 1990’s, New York City Police Department.
New York City Police Department, 1997, Strategy For Improving Cooperation Between The New York City Police Department & Business Improvement Districts.
The Council of the City of New York, 1995, Cities Within Cities : Business Improvement Districts and the Emergence of the Micropolis, Staff Report to the Finance Committee, The Council of the City of New York.
Times Square BID, octobre 1998, Times Square BID Economic Indicators/Annual Report.
Times Square BID, 3 mars 1999, Times Square : the BID’s First Seven Years.
Times Square BID, 1999, Times Square BID Annual Report 1999.
Times Square BID, Times Square BID Daily Activity Report: vol 1 : 1992-1993; vol 2 : 1993-1994; vol 3 : 1995; vol 4 : 1996; vol 5 : 1997; vol 6 : 1998, vol 7 : 1999.
Times Square BID, 1999, Annual Crime Statistics – 1993-1998. - Entretiens
- 70 entretiens réalisés à New York, Philadelphie et Washington, DC en 1998 et 1999 auprès de dirigeants de BIDs, de directeurs de services de sécurité, d’agents de sécurité, de policiers, de représentants des milieux d’affaires et de membres de BIDs.
- Observations et enquêtes
- Times Square BID
- Participation à deux journées de formation pour quatre nouvelles recrues du service de sécurité du Times Square
BID (semaine de début octobre 1999).
Observation sur le terrain : patrouille pédestre durant 2 journées à Times Square en compagnie de quatre agents de sécurité différents du Times Square BID (21/10/1999 et 11/11/1999).
Enquête auprès d’une vingtaine de commerçants, responsables d’hôtels et de restaurants au sein du périmétre du Times Square BID (1999).
Enquête anonyme menée auprès des agents de sécurité du Times Square BID (1999) – 22 répondants sur 45 agents en poste.
Enquête anonyme menée auprès de 10 d’officiers de police de Midtown North et de Midtown South patrouillant le secteur de Times Square.
Recensements réalisés au sein du Times Square BID pour mesurer le degré de visibilité des divers dispositifs de sécurité (1999). - MetroTech BID
- Recensements au sein du MetroTech BID pour mesurer le degré de visibilité des divers dispositifs de sécurité
(1998 et 1999).
Observation du centre de commandement du service de sécurité du MetroTech BID pendant une journée.
Participation à une réunion du Public Safety Committee de MetroTech (29/09/1999).
Enquête effectuée auprès de 150 passants dans le quartier de MetroTech pour mesurer le degré de visibilité et d’efficacité perçue des équipes de sécurité privée sur le site (été 1998).
Enquête anonyme de 4 îlotiers du commissariat de la 84e circonscrition patrouillant le secteur Frank (été 1998).
Enquête anonyme des agents de sécurité du MetroTech BID (été 1998) – 12 répondants sur 20 agents en poste.
Notes
-
[*]
Université du Littoral-Côte d’Opale.
-
[1]
Par commodité, nous emploierons ici indifféremment les termes d’agent de sécurité et de vigile.
-
[2]
S’appuyant sur une étude présentant de bonnes garanties de fiabilité, ce chiffre précis date de 1999. Il est probable que le total dépasse aujourd’hui les 500.
-
[3]
Le premier département de police du pays fut créé à New York en 1844 sur le modèle londonien de Robert Peel.
-
[4]
Rappelons en effet que si les BIDs existent dans pratiquement toutes les grandes villes du pays, environ 10% d’entre eux se concentrent dans la ville de New York. Pareille concentration s’explique par l’absence de véritable centre-ville à New York; les quartiers commerçants et secteurs d’affaires y forment comme une mosaïque.
-
[5]
Entretien réalisé à New York en 1999 avec un agent de sécurité du Times Square BID employé depuis le début des opérations.
-
[6]
Downtown’s Public Safety Guides have been working to ensure that you’ll never feel alone when you’re Downtown. Stationed around the Downtown Management District, the Guides serve as extra eyes and ears for the Police and act as goodwill ambassadors on behalf of Downtown. Downtown Baltimore Partnership, 2003 ((http :// www. godowntownbaltimore. com/ clean_safe_team. html).
-
[7]
Chiffres communiqués à l’auteur par Dick Dillon et Michael Gerhold du 34 en novembre 1999. th Partnership BID de New York
-
[8]
Ces chiffres ont fait l’objet d’un calcul après consultation par l’auteur des rapports statistiques annuels internes au Times Square BID de New York (1999).
-
[9]
Si nous faisons ici référence à une loi spécifique à l’État de New York, celle-ci est néanmoins tout à fait représentative des textes en vigueur dans la plupart des autres États (New York State Criminal Procedure Law, section 140.30 et 140.40).
-
[10]
Par interpeller, nous entendons ici immobiliser ou détenir un individu jusqu’à l’arrivée de la police sur les lieux. Les Américains parlent de citizen arrest.
-
[11]
Cette comparaison n’a bien évidemment aucune valeur scientifique, elle est uniquement proposée comme élément de grandeur. New York Police Departement, Office of Management Analysis and Planning, Statistical Report – Complaints and Arrests, 1996, non publié.
-
[12]
Sur la base des indications du directeur du service de sécurité et malgré leur statut spécial, les agents de sécurité du MetroTech BID n’auraient effectué qu’une vingtaine d’interpellations entre 1990 et 1999. Entretien avec B. Flanagan, MetroTech BID réalisé à New York (1999).
-
[13]
Entretien téléphonique avec Arthur Sulszberger réalisé le 19 novembre 1999.
-
[14]
When a public safety officer observes a serious crime being committed on his/her post, he should apprehend the person who committed the crime, if this is possible under the existing circumstance. If a Public Safety Officer is uncertain whether he can physically handle the apprehension, he should immediatly request the assistance of his supervisor and other Public Safety personnel by way of his radio, Times Square Business Improvement District, Times Square Business Improvement District Public Safety Bureau Guide, sixième révision, non-publié, 16 octobre 1997, section I p. 1
-
[15]
Trois cartes retournées puis mélangées sont à la base de ce jeu d’observation truqué. Les organisateurs – des individus réputés dangereux et opérant toujours en équipe – n’ont d’autre but que de dépouiller d’une façon ou d’une autre les joueurs naïfs ainsi que les spectateurs rassemblés autour d’eux.
-
[16]
In short, disorder is an instrument of destabilization and neighborhood decline.
-
[17]
Recensements réalisés par l’auteur de manière aléatoire à différentes heures du jour et de la nuit au sein des frontières du Metrotech BID à l’été 1998 et à l’automne 1999.
-
[18]
New York City Police Department (Lee P. Brown), janvier 1991.
-
[19]
Entretien avec Brendan Sexton, (1999).
-
[20]
Nous avons effectué une observation sur le terrain à Times Square pendant 30 minutes (17 h 10 à 17 h 40), le jour du marathon de New York, le 7 novembre 1999. Sur notre parcours nous avons pu rencontrer pas moins de 16 vigiles du BID, mais un seul officier de police à vélo occupé à régler la circulation.
-
[21]
Enquête anonyme réalisée par l’auteur auprès de 10 agents de sécurité du MetroTech BID et de 5 officiers de police en poste MetroTech, à New York, été 1998.
-
[22]
Il s’agit de cinq officiers qui, du fait de leur affectation, étaient en mesure de répondre à cette partie du questionnaire.
-
[23]
Enquête anonyme réalisée par l’auteur auprès de 22 agents de sécurité du Times Square BID, New York, (été 1999).
-
[24]
Real estate associations and corporations desiring to gain absolute control over public spaces have formed their own independent governments or BID’s. […] These organizations act as an unelected and unaccountable shadow government running key areas of the City (Lederman, 1998).
-
[25]
Jusqu’en 1998, Daniel Biederman dirigeait effectivement les BIDs voisins de 34th Street Partnership, Grand Central Partnership et Bryant Park. Suite au conflit qui l’opposa au Maire R. Giuliani, D. Biederman fut contraint à la démission de son poste du Grand Central Partnership.
-
[26]
En règle générale, l’arrêté municipal validant la formation d’un nouveau BID est rejeté si 33,3% ou 51% (en fonction des États) des membres potentiels ont exprimé leur désaccord sous une période de 30 jours après la communication d’un projet détaillé (District Management Plan) à tous les propriétaires, résidents inclus.
-
[27]
Plus récentes mais non publiées, des études de marché réalisés par Hallcrest Systems estiment à 2 millions le nombre d’individus travaillant dans la sécurité privée en 2003 (correspondance avec Bill Cunningham).
-
[28]
Le contrôle n’est effectué qu’à l’échelle de l’État concerné.
-
[29]
Entretien avec Richard Dillon, responsable de la sécurité pour les BIDs de Bryant Park et 34th réalisé à New York le 20 octobre 1999. Partnership
-
[30]
L’auteur a pu assister à l’une de ces rencontres en 1999.
-
[31]
Traduction de l’auteur. Forming districts enables wealthy residents to provide services solely for themselves, deepening the divide between their neighborhoods and poorer areas (Lasdon, Halpern, 1995; Pack, 1992).
-
[32]
In early 1970, GTE was about to move to Connecticut. In fact the whole corporate world was tuning out New York. There was the perception that this was the only place that had any problems. On Johnny Carson every night you could hear jokes about muggings in Central Park. Well we couldn’t move our buildings across the bridge. Our assets are in New York.
-
[33]
Times Square BID, octobre 1998.
-
[34]
Times Square BID, 1999 (d’après les statistiques de police).
-
[35]
Statistiques de police et enquêtes de voisinage à l’appui, cette étude unique en son genre en apportait la démonstration : l’équipe de vigiles de Starrett City (un quartier d’East New York à Brooklyn) est parvenue à maintenir un climat de sécurité dans l’une des circonscriptions policières les plus criminogènes de toute la ville.
-
[36]
Un délit est dit « visible » lorsqu’il est commis sur la voie publique ou dans un lieu dont le mode d’entrée et de sortie peut faire l’objet d’une observation par un officier de police en patrouille. Tous les autres délits, comme par exemple les vols commis dans les bureaux, sont qualifiés de « non visibles ».
-
[37]
Entretien avec le sergent Mariana Murray (1999).
-
[38]
Municipalité de New York, 2003.
-
[39]
À New York, le salaire d’un officier s’élevait à environ 27 dollars de l’heure en 2000 et celle d’un sergent à 34 – une rémunération à laquelle il fallait ajouter 10% du montant total à verser à la municipalité pour frais de dossier. À titre de comparaison, c’est un salaire environ deux fois plus élevé que celui d’un agent de sécurité moyen (New York Police Department, Paid Detail Agreement).
-
[40]
Entretien avec le sergent Mariana Murray, 1999.
-
[41]
Il s’agit généralement de lieux privés accessibles au public.
-
[42]
En 2002, les frais de dossier à payer par les clients ont permis à la municipalité de New York de toucher 431000 dollars.
-
[43]
Entretien avec le sergent Mariana Murray (1999).
-
[44]
Entretien avec Mark Rosen (1999).