Couverture de DS_281

Article de revue

Une mesure de la propension des policiers québécois à dénoncer des comportements dérogatoires, éléments de culture policière et cultures organisationnelles

Pages 3 à 31

Notes

  • [*]
    École Nationale de Police du Québec, Centre d’intégration et de diffusion de la recherche en activités policières. Les opinions exprimées dans cet article n’engagent toutefois que l’auteur.
  • [1]
    Brodeur (1984) se penche de manière systématique sur cet élément dans son analyse des rapports de commissions d’enquête. Le fait demeure toutefois que malgré que ces rapports reconnaissent l’existence des aspects organisationnels de la délinquance policière, le processus même de ces commissions, processus que Brodeur n’hésite pas à qualifier de politique, fait en sorte d’atomiser et d’individualiser la délinquance en occultant la dynamique plus systémique du phénomène.
  • [2]
    Il s’agissait d’un comité interne de la Sûreté du Québec constitué en automne 1995 par le directeur de l’organisation de l’époque, M. Serge Barbeau. Ce comité avait reçu comme mandat de proposer des recommandations précises quant aux corrections à apporter à la suite des impacts négatifs importants de l’affaire Matticks.
  • [3]
    Or, la notion d’infraction est beaucoup plus incertaine dans le domaine du contrôle des appareils d’État que dans celui du contrôle de la masse du corps social. (…) L’appareil d’État est cela même qui dispose du pouvoir de définir les infractions à l’ordre établi. Or, il use de ce pouvoir davantage pour normer ce qui lui est extérieur que pour se limiter lui-même (Brodeur, 1984,344).
  • [4]
    Bellemare (1996,327) fait également état des problèmes connexes suivants : défaut d’exposer au juge qui accorde un mandat de perquisition ou une autorisation d’écoute électronique, tous les faits pertinents, y compris ceux qui contredisent l’inférence proposée. (…) Carences dans la cueillette et la conservation de la preuve, en particulier au niveau des saisies. Problèmes de communication de la preuve à la Couronne (non divulgation, rétention d’information). Ce dernier problème est particulièrement remarquable si l’on sait que depuis l’arrêt Stinchcombe de la Cour suprême du Canada de 1991 (R.C. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326), obligation est désormais faite au ministère public de communiquer l’ensemble des éléments de preuve à la défense. S’il est clair que les procureurs de la couronne connaissent bien maintenant cette disposition, elle rencontre encore des résistances tenaces chez beaucoup de policiers enquêteurs et ce, selon les dires mêmes de procureurs qui enseignent le droit pénal à des policiers enquêteurs québécois. La Sûreté du Québec prenait même la peine de rappeler à ses propres enquêteurs l’importance de cette disposition, dans un bulletin interne publié en février 2003, soit 12 ans après la décision de la Cour suprême.
  • [5]
    L’Australie a connu exactement ce genre de situation dans les années 1980, avec des conséquences particulièrement éprouvantes sur le plan de l’intégrité professionnelle de ses jeunes policiers (Etter, 2001). Certains États d’Australie ont d’ailleurs tenté de corriger la situation en engageant des hommes et des femmes nettement plus mûrs afin, précisément, de conjuguer l’expérience au savoir plus technique.
  • [6]
    Ces thèmes sont : (1) l’attitude générale face à l’emploi de la force, (2) les comportements liés à l’emploi de la force, (3) l’importance accordée au code du silence, (4) l’impact du statut socioéconomique des personnes arrêtées sur l’action des policiers, (5) l’effet des mesures destinées à atténuer les abus d’autorité et, (6) les effets de la police communautaire sur le phénomène de l’abus d’autorité.
  • [7]
    Avant le début de la réforme de janvier 2002, le recensement du ministère de la Sécurité publique faisait état de 126 services de police, dont certains ne comptaient que deux ou trois policiers. La réforme de janvier a forcé les municipalités limitrophes à fusionner leurs services de police de façon à ce que le nombre d’organisations soit ramené à un peu moins de 40. Plusieurs de ces agglomérations ont, par ailleurs, préféré recourir aux services de la Sûreté du Québec, essentiellement en raison de l’offre financière fort alléchante de la part de cette organisation.
  • [8]
    Cette précaution constituait une garantie de coopération, elle-même, d’ailleurs, pas toujours facile à négocier. Ainsi, l’une des trois grandes composantes des organisations policières fit preuve de réticences à un tel point que notre échantillon n’est pas représentatif de la division en trois tiers de l’ensemble. L’une des conditions de participation était que toute publication tirée de ce terrain de recherche ne ferait pas état des différences potentielles entre les réponses données par les policiers des différents services participants; une garantie similaire avait été proposée par Klockars et son équipe (2000,5) ce qui n’empêcha pas, là non plus, certains services de se désister.
  • [9]
    Mais comme Crank et Caldero (2000), de même que Zhao, He et Lovrich (1998) ne manquent pas de le suggérer, les attitudes de ces segments d’une population policière pourraient fort bien représenter le noyau dur des attitudes des policiers en général, ces attitudes pouvant même être encore mieux ancrées chez les policiers plus jeunes. Ces auteurs confirment ainsi les avancées faites par Wilson (1968): (…) within it [le service de police étudié par l’auteur] discretion increases as one moves down the hierarchy (7).
  • [10]
    Van Outrive (1998,20) évoque le terme de moonlighting pour décrire cette situation où un policier, après son quart de travail, loue ses services, parfois revêtu de son uniforme et en portant son arme de service, à une compagnie de sécurité privée.
  • [11]
    Monjardet et Gorgeon (1999) notent, dans le dernier rapport de recherche de l’étude longitudinale portant sur la socialisation professionnelle des policiers, un changement d’attitude qui offre certaines similitudes avec ce que nous avançons ici quant au fait que les policiers n’adhèrent pas tous nécessairement à un ensemble monolithique de valeurs : On avait vu, dans les étapes précédentes, deux mouvements majeurs. En premier lieu s’était constitué un socle d’opinions communes – qu’on avait dénommé les stéréotypes professionnels – et dont on avait noté la faible ampleur. Parallèlement, on observait le maintien et la consolidation d’un très grand pluralisme d’opinions et d’attitudes, qui contrastait fortement avec le discours habituel dans la littérature sur le conformisme et l’homogénéité de la culture professionnelle (3).

I. Introduction

1En prenant acte des conclusions du rapport de la Commission Knapp (1972) et celles, 22 ans plus tard, du rapport de la Commission Mollen (1994), les plus cyniques jugeront que plus le temps passe, plus l’histoire semble se répéter et moins les choses changent. Car, dans un cas comme dans l’autre, les commissaires recommandaient la mise en place de moyens de prévention des comportements déviants chez les policiers du NYPD. Pourtant, en l’espace de ces 22 années, la liste des comportements déviants, voire carrément criminels, que révélaient ces rapports demeure étonnamment similaire. Des choses, cependant, ont changé, notamment au plan de la prise de conscience de l’origine de ce genre de problèmes. Alors qu’au temps de la Commission Knapp, on référait essentiellement au problème de l’existence de pommes pourries qui finissaient par entraîner les collègues, la Commission Mollen, elle, ouvre une porte importante à la notion d’une problématique systémique, où ce sont tout autant les vices de fonctionnement de l’organisation policière qui sont mis en cause [1]. Cette notion, d’ailleurs, revient souvent dans les recommandations du rapport de la Commission Poitras, commission qui s’est penchée pendant deux ans sur les problèmes éthiques et déontologiques qui existaient à la Sûreté du Québec, le plus grand organisme policier de la province, employant plus de 3000 policiers.

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L’impression qui se dégage du manque d’empressement et de diligence de la haute direction de la Sûreté du Québec à prendre les mesures appropriées, c’est qu’on ne voulait pas faire une enquête en profondeur sur l’affaire Matticks. On niait l’importance des problèmes décelés par les membres du comité ad hoc[2].Certains étaient pourtant communs aux enquêtes internes et criminelles. Ils résultaient du retard multidimensionnel qu’accusait la Sûreté du Québec (Poitras, 1998,29).

3Depuis donc maintenant près de dix ans, pour des raisons tout aussi louables que pour d’autres qui apparaissent nettement plus comme un effet de mode (Lipovetsky, 1992), la question de l’éthique est devenue un élément à peu près incontournable de la réflexion sur le fonctionnement des organisations, qu’elles soient publiques ou privées. À cet égard, bien sûr, les organisations policières ne font pas exception. Dans le cas du Québec, cette réflexion s’est déroulée sur fond de bouleversements importants qui ont affecté l’ensemble des organisations policières. Nous pouvons résumer ces dix dernières années de bouleversements en trois séries de phénomènes concomitants :

  1. une succession de commissions d’enquête touchant une ou plusieurs organisations policières de même qu’une série d’investigations touchant les comportements d’un ou de plusieurs policiers;
  2. une succession de réformes des lois et des règlements touchant le travail et la fonction policière;
  3. le remplacement, à l’intérieur d’une très courte période de temps, d’un très grand nombre de policiers expérimentés par des recrues sans ou ayant très peu d’expérience.

1. Les commissions d’enquête et les enquêtes spécifiques

4À partir de la fin des années 1980 et au travers des années 1990, le monde policier québécois a vu ses fondements et ses pratiques remises en question par une succession de rapports de commissions d’enquête et de rapports d’enquête spécifiques. Nous pouvons évoquer, dans le second cas, ces trois exemples ayant fait l’objet d’une importante couverture médiatique :

  • L’affaire Griffin, en 1990 : un policier du service de police de la ville de Montréal, Allan Gosset, fait feu sur un jeune homme de race noire dans le stationnement du poste de police. Le jeune Griffin venait d’être arrêté par ce policier en rapport avec un vol par effraction; l’enquête montra que le policier avait confondu l’identité du suspect réel avec celle de Griffin. Le policier fut finalement acquitté (on plaida le coup de feu involontaire). Cette affaire causa une forte vague de protestation parmi la communauté noire de Montréal et mena à l’institution d’un lobby particulièrement actif contre les violences policières.
  • L’affaire Barnabé, en 1993 : Barnabé, un sans-abri de Montréal, fut brutalement intercepté à la porte d’un bar, alors qu’il y menait tapage et grabuge. Une fois amené en cellule au poste de police, Barnabé fut laissé inconscient et sans soin pendant une période suffisamment longue pour qu’il ne se relève jamais de son coma. Ironiquement, le frère de Barnabé était lui-même policier à la retraite.
  • L’affaire Ferraro, en 1995 : Ferraro, un homme âgé de 66 ans souffrant de problèmes psychiatriques et habitant chez sa sœur est, un soir, pris d’agitations et de comportements violents. Sa sœur, craignant le pire, le laisse seul et appelle la police de chez son neveu. Les patrouilleurs, une fois sur place, tentent de calmer Ferraro, mais rien n’y fait; comme les policiers pensent que l’individu pourrait attenter à ses jours, leur superviseur décide de recourir aux services de l’escouade tactique (leSWAT). Les policiers spécialisés vont tenter de raisonner Ferraro, qui répond en leur projetant un objet contondant; un des policiers de l’escouade fait alors feu sur Ferraro, à très courte distance, en utilisant des projectiles de plastique, réputés non-mortels. Les projectiles, en percutant le thorax de Ferraro, lui briseront les côtes et causeront son décès par arrêt cardio-respiratoire.

5Les commissions d’enquête, quant à elles, se sont penchées sur des vices de pratique et de fonctionnement non pas tant d’une unité en particulier, mais de l’ensemble d’un service de police, voire de plusieurs comme dans le cas de la Commission Bellemare, en 1996. Brodeur (1984) analyse les travaux de onze commissions d’enquête qui se sont échelonnées de 1894 à 1966 au Québec; en considérant le processus de la commission d’enquête sous l’angle politique, Brodeur ne manque pas de remarquer à quel point le produit de ces commissions tient généralement plus de l’ordre des souhaits que de celui des redressements concrets (342) [3]. À la lumière des arguments avancés par Brodeur, il est alors peu surprenant de constater que les gouvernements ont continué sans relâche à user de ce procédé lorsque des scandales éclaboussaient l’une ou l’autre des composantes policières au Québec. Parmi les principales et plus récentes commissions d’enquête, notons :

  • La Commission Keable (1981): cette commission d’enquête, dirigée par le procureur de la Couronne Jean Keable, s’est penchée sur les activités des grands services de police lors des événements d’octobre 1970 et de ceux qui ont suivi cette période trouble au Québec. Les événements d’octobre 1970 mirent en relief les activités du Front de Libération du Québec (FLQ); ce mouvement clandestin devint à cette époque l’objet de toutes les attentions après avoir enlevé et séquestré l’ambassadeur de la Grande-Bre-tagne, James Cross, de même qu’un ministre du cabinet libéral alors en place à Québec, Pierre Laporte. Lorsque ce dernier fut trouvé mort dans le coffre d’une voiture abandonnée, le gouvernement fédéral décréta alors, pour la première fois en temps de paix, la Loi des mesures de guerre. Cette loi confère aux forces de l’ordre, qu’elles soient militaires ou policières, des pouvoirs d’arrestation et de détention sans commune mesure avec ceux qui leur sont normalement dévolus; c’est ainsi que plus de 400 citoyens du Québec furent appréhendés et séquestrés sans mandat et sans accusation pendant parfois plus d’un mois, et libérés sans même savoir ce qui leur était reproché. Dix ans plus tard, des documents internes révélés par le biais des lois d’accès à l’information démontrèrent que certaines méthodes et tactiques employées par les organisations policières fédérales, provinciales et municipales n’avaient pas grand-chose à envier à celles que l’on attribue plus généralement aux pires régimes dictatoriaux. En octobre 1970, par exemple, la police savait, par le biais d’informateurs infiltrés au sein du mouvement, ce que le FLQ planifiait. Or, au lieu d’intervenir afin de prévenir ces actions, la police décida de laisser aller afin, apprend-on des conclusions du rapport de la Commission Keable, de protéger ces indicateurs (1981,215). Il fut également démontré que la Gendarmerie Royale du Canada (GRC) et le service de police de la ville de Montréal et ce, après les événements d’octobre, commirent des méfaits d’incendies et de vols de façon à pouvoir mieux accuser ensuite le FLQ. Le résultat probablement le plus probant de cette enquête fut de remettre en question la pertinence, pour la police, de se mêler étroitement d’activités politiques, fussent-elles en marge des activités politiques plus traditionnelles. Mais si, depuis la publication de ce rapport, il semble bien que les organisations policières jouent de ce côté avec nettement plus de prudence qu’elles ne le faisaient, ce sont, depuis, les méthodes d’enquête utilisées qui ont fait et font encore l’objet de révélations embarrassantes; des faits mis à jour à la fin des années 1980 et pendant les années 1990 vont mener coup sur coup à trois commissions d’enquête successives, la Commission Malouf en 1994, la Commission Bellemarre en 1996 et la Commission Poitras, en 1998.
  • La Commission Malouf (1994): c’est après une série d’événements où des policiers du service de police de la ville de Montréal abusèrent clairement de leur autorité et de leur pouvoir de recourir à la force que le gouvernement du Québec commanda une enquête approfondie sur l’administration de ce service au juge Albert Malouf. Le rapport de la Commission montre comment cette organisation éprouvait des difficultés à évaluer et à superviser les jeunes recrues, qui se trouvaient ainsi dans des situations où la transition entre le cadre théorique qu’ils connaissaient et sa mise en application en situation réelle se faisait très mal. Malgré les recommandations du rapport à l’effet d’améliorer l’encadrement et la supervision des jeunes policiers, nous allons voir plus bas que d’autres difficultés ont fait en sorte que ces recommandations aient été plus ou moins appliquées à Montréal.
  • La Commission Bellemarre (1996): une suite de cafouillages importants en matière d’enquêtes criminelles, qui ont généralement entraîné des non-lieux, poussa le gouvernement du Québec à confier au juge Jacques Bellemare le mandat d’étudier les pratiques d’enquête criminelle au sein des plus grandes organisations policières québécoises. Le commissaire Bellemare notera, en conclusion du rapport, à quel point le processus d’enquête criminelle apparaît marqué par une improvisation généralisée et une réticence importante de la part des enquêteurs à divulguer l’ensemble des éléments de preuves de même que leur réticence à considérer des faits exculpatoires avant de procéder à l’arrestation (Bellemare, 1996,327) [4]. Ces conclusions et les recommandations émises afin de corriger la situation n’empêcheront cependant pas la plus grande organisation policière québécoise de se mettre, presque au moment même de la publication du rapport de la Commission Bellemare, sous les feux des projecteurs à cause, cette fois aussi, des conséquences d’une enquête qui échouera en cour. Dans ce cas précis, ce sont tout autant certaines méthodes d’enquête qu’un climat plutôt malsain dans l’organisation qui pousseront le gouvernement à former une autre commission d’enquête, chargée de faire enquête sur la Sûreté du Québec, plus communément appelée Commission Poitras.
  • La Commission Poitras (1998): le 30 décembre 1998, après deux ans de travaux et des dépenses de 20 millions de dollars, le juge Lawrence Poitras remettait au gouvernement un volumineux rapport de près de 3000 pages. L’affaire qui allait entraîner la mise sur pied de cette commission était, pourtant, relativement banale; il s’agit de l’affaire Matticks. Matticks était un trafiquant à la tête d’un réseau bien implanté à Montréal et qui assurait l’entrée de grandes quantités de drogue par le port de la ville. Alors que l’enquête tardait à aboutir, les enquêteurs chargés du dossier en vinrent à forger des preuves incriminantes. La chose fut révélée en cour et, bien sûr, Matticks et son clan bénéficièrent d’un non-lieu. Le déroulement de cet événement fit l’objet d’une enquête de la part du service des affaires internes de la Sûreté du Québec; or, c’est à ce point de l’histoire que sera révélé au grand public le climat assez particulier qui régnait au sein de l’organisation. Des enquêteurs des affaires internes firent l’objet de pressions et de menaces à peine voilées de la part des policiers impliqués, de près ou de loin, dans l’affaire Matticks. Les manœuvres élaborées pour tenter de minimiser l’impact de ces révélations finirent par échouer, le directeur Serge Barbeau dut démissionner et, pour la première fois dans l’histoire des organisations policières québécoises, un gestionnaire civil fut nommé pour le remplacer pendant et après la tenue des audiences de la Commission Poitras. Le rapport de la Commission contient pas moins de 175 recommandations, dont certaines sont particulièrement lourdes de conséquences pour l’organisation; on y évoque, notamment, le fait qu’un policier soupçonnant une conduite corrompue de la part d’un ou de plusieurs de ses collègues, puisse en avertir les autorités compétentes sans faire l’objet de menaces ou de pressions. D’autres recommandations vont dans le sens de celles du rapport de la Commission Bellemare, soit de recommander une hausse considérable des exigences de formation pour accéder à la fonction d’enquêteur. Mais ce sont sans doute les recommandations émises à l’endroit du gouvernement qui vont avoir le plus de conséquences : on suggère à la législature de revoir les lois régissant le travail et l’organisation policière à travers tout le territoire québécois.

6Pourtant, comme nous allons maintenant le constater, les hommes politiques avaient déjà entrepris par le passé, de multiples réformes dans ce domaine. Or, cet acharnement à vouloir modifier de façon répétée les lois et règlements touchant le travail policier ont pu avoir des conséquences pas nécessairement toutes heureuses pour la profession et l’identité policière au Québec.

2. La succession de réformes réglementaires et législatives

7Ce second phénomène est directement lié au premier; d’une commission d’enquête à l’autre, d’un rapport de coroner à l’autre, les gouvernements ont introduit de nouvelles normes, lois et règlements balisant à la fois les procédures du travail policier et le fonctionnement organisationnel des services policiers. L’actuelle Loi sur la police a été sanctionnée en juin 2000; cette loi intègre pour la première fois deux lois précédentes, la première régissant la fonction policière et l’autre, le découpage des territoires desservis de même que les niveaux de service à offrir. Ces deux dernières lois avaient fait l’objet de modifications plus ou moins substantielles en 1979,1988,1990 et 1996. Dans sa version la plus récente, la Loi sur la police contient deux nouveaux articles, que l’on peut considérer comme directement inspirés de certaines recommandations du Rapport Poitras, les articles 260 et 261 :

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260. « Tout policier doit informer son directeur du comportement d’un autre policier susceptible de constituer une faute disciplinaire ou déontologique touchant la protection des droits ou la sécurité du public ou susceptible de constituer une infraction criminelle. (…) De même, il doit participer ou collaborer à toute enquête relative à un tel comportement.
261. Il est interdit de harceler ou d’intimider un policier, d’exercer ou de menacer d’exercer contre lui des représailles, de faire une tentative ou de conspirer en ce sens au motif :
  1. qu’il a informé ou qu’il entend informer le directeur du service du comportement visé à l’article 260;
  2. qu’il a participé ou collaboré à une enquête relative au comportement visé à l’article 260 (L.R.Q., c. P 13.1)».

9Que ces dispositions aient un impact perceptible sur la culture traditionnelle du silence dans les rangs policiers demeure toutefois à constater; plus de deux ans maintenant après son adoption, l’article 260 n’a fait l’objet que d’une seule citation en cour (Meunier C. Monty, C.S. Montréal 500-05-052318-993,30 mai 2001) et même dans ce cas, on ne fait référence à l’article qu’indirectement, en le comparant avec les règles préexistantes du Common Law. Une chose est cependant évidente : cette succession de modifications législatives a eu comme effet cumulatif d’encadrer toujours un peu plus le travail policier; or, on peut voir poindre là une certaine contradiction. Il y a contradiction, en effet, entre cette volonté de régir et de baliser le travail policier et un discours tenu tout autant par les responsables politiques des affaires policières que par les gestionnaires des organisations policières à l’effet que le travail policier doit tendre vers une professionnalisation, une imputabilité et une responsabilisation sans cesse accrues. Si professionnalisation rime avec la capacité de l’individu de prendre la meilleure décision possible en fonction du contexte, de son éducation et de son expérience, si elle rime également avec la capacité de l’individu d’assumer les conséquences de ses gestes, entourer ce même individu de règles sans cesse plus contraignantes relève d’une certaine incohérence. Au chapitre de la professionnalisation, nul doute que les policiers se situent de nos jours dans une zone passablement trouble. D’une part, la culture policière de base fait encore preuve de beaucoup de réticence à l’égard de l’évaluation externe; or, ce sont des évaluations indépendantes qui assurent au professionnel que son travail porte fruit et qu’il puisse ainsi justifier la marge de manœuvre nécessaire à son intervention. D’autre part, et tout en acceptant très difficilement la mesure de l’atteinte des résultats, la même culture policière de base défend farouchement le principe du pouvoir discrétionnaire du policier, un pouvoir qui n’est somme toute peut-être pas si loin de la marge de manœuvre de l’intervenant social professionnel. Le fait est cependant que le policier est encore formé d’abord comme un technicien ayant à suivre des procédures et des normes qui cohabitent assez mal avec cette tradition discrétionnaire que ses collègues défendent. Comme nous allons maintenant l’explorer, cette situation pourrait entraîner un sentiment d’ambivalence, particulièrement chez des policiers possédant peu d’expérience et qui ne peuvent concrètement compter sur celle de collègues plus âgés, mieux en mesure de jauger de ces difficultés en contexte d’interventions policières plus délicates.

3. Le recrutement massif de policiers inexpérimentés

10Le troisième et dernier phénomène ayant affecté le paysage policier québécois consiste en ceci qu’en raison de difficultés majeures sur le plan des finances publiques, on a pratiquement coupé l’ouverture de postes entre le milieu des années 1970 et une bonne part des années 1980. Au cours des années 1990, on a donc assisté à l’entrée massive de recrues policières afin de combler le départ à la retraite, là aussi massif, d’une partie substantielle de l’effectif policier. Cette situation pose, entre autres problèmes, celui de la supervision. Comme c’est notamment le cas au Service de police de la ville de Montréal (tout près de 4000 policiers), les policiers qui supervisent les recrues ont parfois moins de deux ans d’expérience. Rien d’étonnant alors au fait que ces superviseurs ne donnent en fin de compte qu’une perspective passablement limitée des dilemmes moraux parfois très complexes auxquels un policier a à faire face, compte tenu qu’eux-mêmes ne les ont pas nécessairement vécus [5].

11Ces trois phénomènes mis bout à bout pourraient expliquer une part du climat d’ambivalence qui règne chez beaucoup de policiers à l’égard de leurs devoirs, rôles et responsabilités. Ce climat, en fait, qui perdure maintenant depuis près de 15 ans, a été qualifié de frustration généralisée dans les rangs de la police québécoise. Ainsi, par exemple, le Parlement canadien votait, en 1982, l’établissement de la Charte canadienne des Droits et Libertés, qui imposait dorénavant des critères d’action très stricts pour certains des aspects les plus délicats du travail policier, notamment en terme de pouvoirs d’arrestation. Bien que ce sentiment tend peu à peu à s’estomper de nos jours, il demeure que la Charte a longtemps été considérée par les policiers comme ne favorisant toujours que les criminels (Nadeau, 2002). Au bout du compte, on peut estimer que la myriade de commissions d’enquête, les obligations encadrées par la Charte et la difficulté de pouvoir compter sur l’expérience accumulée ont pu créer un état d’incertitude chez les policiers du Québec. Ce sentiment, comme nous allons maintenant le voir, est susceptible de transparaître dans la culture policière générale de même que dans les attitudes manifestées par les policiers à l’égard de leurs devoirs et de leurs rôles. En conséquence, et comme nous le montrerons plus loin, le complexe isolement/solidarité (Reiner, 1992) demeure encore un élément important de la culture policière au Québec.

II. L’utilisation des sondages d’opinion pour l’exploration des valeurs et de la culture policière

12On considère Milton Rokeach (1971) comme le pionnier de l’étude des attitudes des policiers américains par le biais de sondages. Si le premier objectif de Rokeach et de son équipe consistait essentiellement à mesurer les différences entre les attitudes des policiers et celles de la population en général, au fur et à mesure que ce type d’études étaient réalisées, les chercheurs ont étudié de plus en plus les différences d’attitudes d’une policier à un autre (Caldero, 1997). Par ailleurs, les gestionnaires des organisations policières se sont rendus compte qu’en sondant les policiers de leurs organisations respectives, la planification de changements importants s’en trouvait facilitée; on peut évoquer ici, par exemple, le fait de passer d’une prestation de services plus ou moins classique à l’une ou l’autre des modalités de police communautaire (Greene, Bergman, McLaughlin, 1994). Ces efforts et les résultats obtenus demeurent cependant, de manière générale, inconnus des chercheurs et réservés aux seules fins de prises de décisions administratives, sans compter que ces résultats ne représentent pas nécessairement les attitudes d’échantillons représentatifs stratifiés de la population policière d’un État ou d’une région donnée. C’est précisément à ce genre de problèmes que s’est attaqué Weisburd et son équipe (2000). Dans une recherche visant à connaître les attitudes d’un échantillon représentatif de policiers américains, Weisburd est parvenu à sonder un groupe de 925 policiers répartis de façon aléatoire en 121 différents services de police. L’outil développé dans le cadre de cette étude comporte 92 questions dont 25 d’entre elles (le lecteur pourra prendre connaissance de ces 25 questions en annexe) peuvent faire l’objet de six regroupements touchant divers aspects du problème de l’abus d’autorité par la police [6]. Si les opérations permettant ces regroupements feront l’objet d’un exposé plus détaillé au cours de la section suivante, mentionnons pour l’instant que ces six variables complexes permettent une mesure très fine de divers aspects de la culture policière contemporaine. Plus spécifiquement, il en ressort que les attitudes des répondants quant à la notion d’abus d’autorité sont clairement liées à cette autre dimension importante de la culture policière : le code du silence. Weisburd et al. (2001) ont en effet montré que les répondants qui pensent que les abus d’autorité sont liés à des politiques moins tolérantes sont également ceux qui croient que dans certains cas, ces abus sont acceptables et ne devraient pas faire l’objet d’une dénonciation.

13Si le questionnaire développé par Weisburd permet une compréhension du positionnement culturel des répondants, celui développé indépendamment par Klockars et al. (2000) nous permet de faire avancer cette compréhension d’une manière un peu différente. Ce dernier questionnaire a déjà fait l’objet de plusieurs études de comparaisons internationales (Ivkovich, Klockars, 1995; Klockars, Ivkovich, Harver, Haberfled, 1997; Punch, Huberts, Lamboo, 2000); dans ce cas-ci, on demande aux répondants de jauger 11 scénarios (également présentés en annexe) de comportements dérogatoires selon différentes dimensions. On demande au répondant, en premier lieu, de juger de la gravité du comportement décrit dans le scénario (sur une échelle à cinq point, de « pas du tout grave » à « extrêmement grave »), de la manière dont il croit que ses collègues et son organisation jugeraient le comportement (la même échelle que précédemment). Ensuite, en second lieu, le répondant doit émettre une opinion quant au fait de sanctionner ou non le comportement et jusque dans quelle mesure (il doit également faire la même chose quand à ce qu’il pense que son organisation et ses collègues émettraient en terme de sanction et ce, sur une échelle à 6 points, de « aucunesanction » jusqu’à « destitution »). Finalement, en troisième lieu, on demande au répondant s’il dénoncerait le comportement, sur une échelle à cinq points, allant de « absolument non » à « absolument oui ».

14C’est tout spécifiquement ce dernier aspect qui constitue le point central de notre interrogation. Nous entendons, en combinant les réponses données par un échantillon de policiers québécois aux deux questionnaires combinés, déterminer les facteurs qui vont pousser ou non un répondant à dénoncer les comportements dérogatoires faisant l’objet des 11 scénarios. Nous proposons, à l’instar de Terril et Mastrofski (2002), que les attitudes des policiers en ce qui a trait à leur travail, leurs rôles sociaux et le recours à l’autorité et à la force sont tout aussi dépendantes des circonstances particulières à un événement donné, qu’à des éléments culturels spécifiques au milieu policier. En conséquence, l’expression d’une attitude globale quant au fait de dénoncer ou non des comportements dérogatoires devrait dépendre d’autres éléments culturels que ces deux questionnaires nous permettent d’établir.

III. Éléments de méthodologie : échantillonnage, données recueillies et procédures de construction des variables complexes

1. Méthode d’échantillonnage et niveau de représentativité

15D’après les derniers chiffres colligés par le ministère de la Sécurité publique (Québec, 2001), le Québec compte tout près de 13000 policiers et policières (si l’on tient compte des policiers employés à temps plein et à temps partiel, cette dernière situation étant relativement fréquente dans les plus petites organisations). Ces 13000 policiers sont répartis à peu près également dans trois types d’organisations : la Sûreté du Québec (qui opère essentiellement en milieu rural et qui est également responsable des enquêtes criminelles pour les infractions majeures dont les conséquences affectent tout le territoire québécois), le Service de police de la ville de Montréal et, finalement, un nombre décroissant de services de police municipaux [7]. Comme nous avions garanti la confidentialité des résultats pour chacune des organisations policières participantes, nous ne présentons ici que les résultats agrégés pour toutes ces organisations [8].

16Les deux questionnaires ont tout d’abord été traduits de l’anglais au français et ils ont ensuite été fusionnés en un seul document. Des prétests ont été réalisés auprès de groupes focus de policiers en formation spécialisée à L’École nationale de police du Québec. Après des commentaires de ces participants à l’effet que l’ordre dans lequel les questions apparaissaient laissait trop facilement deviner les thèmes abordés (créant ainsi le risque d’obtenir des réponses ne reflétant pas aussi fidèlement que possible les opinions personnelles des répondants), les questions ont été réorganisées de façon aléatoire. Les items touchant les caractéristiques professionnelles ont évidemment été adaptés aux réalités du contexte québécois.

17Une fois les permissions obtenues, 600 questionnaires ont été distribués aux gestionnaires des organisations participantes; des instructions avaient été également fournies à l’effet de soumettre les questionnaires en respectant autant que possible, les différentes strates de population en fonction des critères de fonctions, de rang et de nombre d’années d’expérience. De ces 600 questionnaires, 455 ont été retournés, nous assurant ainsi d’un taux de réponse de 75,8 pour cent. Pourtant, comme le démontrent les chiffres du tableau I, nous devons reconnaître que l’échantillon respecte assez peu les différentes strates des trois critères initiaux.

Tableau I:

Caractéristiques descriptives comparées de l’échantillon et de la population des policiers

Tableau I:
Tableau I: Caractéristiques descriptives comparées de l’échantillon et de la population des policiers du Québec*. Fonction et grade Pourcentages Pourcentages dans l’échantillon (n) dans la population (n) Patrouilleurs 39,4 (172) 54,7 (7028) Enquêteurs 31,9 (139) 12,3 (1577) Gestionnaires de premier 27,3 (119) 31,3 (4015) niveau et de niveau intermédiaire Gestionnaires de niveau supérieur 1,4 (6) 1,7 (221) Total 100,0 (436) 100,0 (12841) (n manquant=19) Années d’expérience Moins de 6 ans 10,2 (45) 24,1 (3066) Entre 6 et 10 ans 18,3 (81) 19,9 (2527) Entre 11 et 15 ans 27,7 (122) 17,4 (2215) Entre 16 et 20 ans 16,8 (74) 7,9 (1002) Plus de 20 ans 27,0 (119) 30,7 (3905) Total 100,0 (441) 100,0 (12715) (n manquant=14) * Données du recensement de 2001 réalisé par le ministère québécois de la Sécurité publique.

Caractéristiques descriptives comparées de l’échantillon et de la population des policiers

18Nous observons que les enquêteurs sont sur-représentés dans l’échantillon, tout comme il y a sous-représentation de policiers possédant un peu moins d’années d’expérience. Comme il nous serait difficile d’étendre nos résultats à l’ensemble de la population des policiers du Québec, nous nous proposons dès lors d’étudier les mécanismes qui poussent ou non un groupe donné de policiers à dénoncer les comportements dérogatoires. En d’autres termes, nous explorerons aussi exhaustivement que possible, les attitudes et les opinions d’un groupe aléatoire de policiers du Québec, en reconnaissant que ces attitudes seraient un peu plus celles de policiers plus expérimentés et plus en provenance des rangs administratifs et des enquêtes [9].

2. Une brève comparaison entre les attitudes exprimées par les policiers américains et celles exprimées par notre échantillon

19Bien que cet effort de comparaison ne constitue pas comme tel, la principale interrogation de notre étude, un bref survol des attitudes comparées nous donnera l’occasion de mieux comprendre celles de notre propre échantillon tout en contribuant aux travaux déjà réalisés en ce sens. Le tableau II résume ces éléments comparatifs.

20Comme Punch, Huberts et Lamboo (2000,8) l’avaient remarqué, nous constatons également dans notre cas une forte consistance au niveau de l’ordonnancement de la gravité des scénarios présentés aux répondants, et ce, d’un échantillon à l’autre. C’est particulièrement le cas avec les trois derniers scénarios de l’échelle. De plus, et encore une fois tout comme l’avaient noté Punch et al. (2000), nous observons que (1) les répondants sous-esti-ment systématiquement le niveau de gravité qu’ils croient que leurs collègues accordent aux scénarios et que, (2) ils pensent que leur organisation est toujours un peu plus punitive qu’eux-mêmes auraient tendance à l’être. Nous observons cependant que les répondants québécois ont tendance à accorder un peu plus de gravité aux scénarios présentés que leurs collègues américains, comme c’est également le cas de la mesure disciplinaire proposée et de la volonté exprimée de dénoncer les comportements. On note, tout comme l’avaient fait Klockars et al. (1997), une très forte corrélation entre ces trois thèmes : plus un scénario est considéré comme grave, plus les répondants expriment qu’il faudrait le punir sévèrement et plus on a tendance à accepter de le dénoncer.

21On peut remarquer certaines différences un peu particulières dans les réponses données par les deux échantillons; abordons tout d’abord celle qui est la plus facile à expliquer, c’est le cas du premier scénario (Un policier opère sa propre entreprise de vente et d’installation de matériel de sécurité tel systèmes d’alarme, serrures spéciales, etc. Il effectue ce travail dans ses heures libres). On constate, à la lecture des données du tableau II, à quel point les policiers de notre échantillon considèrent le scénario beaucoup plus sévèrement que les répondants américains; or, dans ce cas précis, et comme c’était également le cas en Croatie (Punch et al., 2000,9), le fait est que cette forme de second emploi est rigoureusement interdite par la loi, tandis qu’il s’agit d’un phénomène relativement courant aux États-Unis [10].

tableau im2

22On notera d’autres particularités dans la colonne intitulée « Mesures disciplinaires »; celles-ci, cependant, sont moins facilement explicables que dans le cas précédent. Nous pouvons remarquer que dans les quatre scénarios considérés par les répondants comme étant les moins graves, les répondants québécois ont tendance à être légèrement moins sévères que leurs collèges américains. Or, on observe le phénomène inverse dans les cas de scénarios plus graves (« Vol dans un portefeuille trouvé » et « Camouflage de conduite avec facultés affaiblies »), les policiers québécois étant dans ces deux cas, plus sévères. Étrangement, bien que les répondants québécois soient ici plus sévères, ils ont toutefois moins tendance à dénoncer ces deux comportements. En d’autres termes, tout se passe comme si dans ces deux cas, la conceptualisation de la sévérité de la mesure disciplinaire à donner est moins liée avec la nécessité de dénoncer. Des policiers avec qui nous avons eu l’opportunité de discuter de ces « anomalies » expliquaient qu’il importait pour eux que la mesure disciplinaire soit toujours proportionnelle à la gravité du comportement dérogatoire; quant à la question de la dénonciation, surtout dans les cas plus graves, il s’agissait là de quelque chose d’un peu différent. En effet, pour ces policiers d’expérience, la dénonciation a ceci de néfaste que la chose devient pratiquement toujours publique et finit bien sûr, par faire l’objet de reportages plus ou moins sensationnels. Ces mêmes reportages ternissent l’image de l’ensemble des policiers et il vaudrait donc mieux, en conséquence, que les comportements dérogatoires et les mesures disciplinaires demeurent inconnues du grand public. Bien qu’il soit possible de voir poindre ici une marque de ce que nous avions avancé plus haut quant à l’existence, dans le substrat culturel des policiers québécois, d’un attachement encore très vif à l’esprit de corps et au « code du silence », il demeure que cette recherche n’en est encore qu’au stade exploratoire et que des travaux supplémentaires devront être consacrés à ces questions. Nous nous attacherons, au cours des sections à venir, aux interactions décelables entre les divers items révélés par les réponses des policiers participants.

3. Méthodes de création et signification des variables indépendantes et de la variable dépendante

23Dans l’outil développé par Weisburd et al. (2000), l’échelle des réponses est à quatre points (« Tout à fait d’accord », « D’accord », « Désaccord » et « Tout à fait en désaccord »). Afin d’être en mesure de construire des variables complexes qui combinent plusieurs questions et qui soient traitables par des méthodes statistiques paramétriques (Anderson, 1971), nous avons modifié les échelles de réponse de 1 à 5 (i.e., de « Tout à fait d’accord » qui garde ici la valeur 1 jusqu’à « Tout à fait en désaccord », qui prend la valeur 5; les valeurs intermédiaires ne sont pas étiquetées). Cette transformation n’était pas nécessaire pour la seconde partie du questionnaire, celle qui traite des comportements dérogatoires, les échelles de réponse étant déjà construites de cette manière, ou encore, comme dans le cas des questions numéros quatre et cinq qui touchent aux mesures disciplinaires, de 1 à 6 (voir annexe 3).

24Huit variables indépendantes ont ainsi pu être créées en additionnant les réponses aux diverses questions du sondage qui abordent les huit thèmes. Ainsi, par exemple, la variable indépendante US-FORCE, pour usage de la force, est créée en additionnant les réponses données par chacun des répondants aux trois questions suivantes, ces trois questions ayant toutes la même échelle de réponses, soit de « Tout à fait d’accord » (valeur de 1) à « Tout à fait en désaccord » (valeur de 5):

  • « On ne permet pas à la police d’utiliser autant de force qu’il est souvent nécessaire lors des arrestations ».
  • « Il est parfois acceptable d’utiliser plus de force qu’il n’est légalement permis de le faire afin de contrôler une personne qui s’en prend physiquement à un autre policier ».
  • « Suivre toujours les règlements n’est pas compatible avec faire le travail ».

25Dans ce cas ci, le résultat minimum, pour un répondant qui a répondu aux trois questions constituant le thème US-FORCE, est de 3, tandis que le résultat maximal est de 15. Plus le résultat est élevé et plus le répondant exprime qu’il favorise davantage d’encadrement de l’usage de la force.

26La variable dépendante, DENONC, est construite à partir des mêmes principes généraux. Dans ce cas-ci, en additionnant les 11 réponses à la question « Rapporteriez-vous vous-même un policier de votre service qui se conduirait de la sorte » (cette question revenant à chacun des 11 scénarios de comportement dérogatoire), nous obtenons un résultat minimal de 11 et un résultat maximal de 55. Comme l’échelle de réponse à cette question se situe de « absolument non » (valeur 1) à « absolument oui » (valeur de 5), plus le résultat d’un répondant est élevé, et plus celui-ci exprime qu’il a tendance à dénoncer les comportements dérogatoires.

27Le tableau III résume les données statistiques descriptives de ces huit variables, de même que ces données pour la variable dépendante.

28Plusieurs discussions tenues lors de l’étape préliminaire des groupes focus, étape ayant précédé le terrain comme tel, démontrèrent comment les policiers de ces groupes avaient des attitudes assez disparates quant à l’idée de dénoncer ou non les comportements dérogatoires décrits dans les 11 scénarios de la seconde partie du sondage. Questionnés quant aux raisons qui les pousseraient ou non à le faire, plusieurs participants voulaient en savoir plus sur les circonstances particulières des scénarios décrits. Ainsi, par exemple, dans le cas du scénario n° 4 (Un policier est bien aimé dans la communauté et durant les fêtes, les marchands locaux et propriétaires de restaurants et bars lui montrent leur appréciation pour son dévouement sous forme de dons de nourriture et alcools), on se questionnait sur la valeur des dons, sur le nombre d’années depuis lequel le policier œuvrait dans cette communauté, sur le niveau d’engagement volontaire hors travail témoigné par le policier, etc. Comme les résultats préliminaires à l’analyse du sondage révélaient que des répondants dénonçaient systématiquement, que d’autres ne le faisaient pratiquement jamais et, finalement, que certains démontraient beaucoup de variation, l’idée de créer trois groupes de répondants s’imposa rapidement. Ces trois groupes, nous les nommerons, pour les fins des analyses subséquentes, les « conformistes », les « relativistes » et les « réticents ». La section suivante décrit quelles ont été les méthodes employées afin de déterminer à laquelle de ces trois catégories il était possible d’assigner les répondants.

III. Résultats et discussion

29Une fois l’ensemble des variables complexes créé, l’étape suivante consistait en une série d’analyses bivariées (par corrélations de Pearson) afin d’extraire les variables clairement liées les unes aux autres tout en éliminant les redondances (comme c’est le cas, notamment, de l’âge et du nombre d’années d’expérience; ces deux variables sont si liées qu’elles présentent le risque d’induire de la multicolinéarité dans les équations de régression). Cette procédure permettait l’extraction des huit variables indépendantes dont nous avons discuté la teneur dans la section précédente.

tableau im3

1. Attribution des répondants à l’une ou l’autre des trois catégories de la variable dépendante

30L’opération visant à déterminer les bornes de séparation à l’intérieur de l’échelle des valeurs de la variable dépendante (minimum de 15 et maximum de 55) pour distribuer les répondants selon les trois groupes précédemment identifiés, soit, les conformistes, les relativistes et les réticents, fut réalisée par l’utilisation de la fonction canonique discriminante. Dans notre cas, l’équation statistique n’est pas utilisée pour son potentiel de prédiction, auquel cas nous privilégierons l’équation plus robuste de régression logistique (Hosmer, Lemeshow,2000), mais afin d’établir les valeurs limites d’assignation à l’un ou l’autre des trois groupes aussi objectivement que possible. La première étape consiste d’abord à séparer les valeurs de la variable dépendante en trois groupes égaux, et de procéder ensuite à la première série de fonctions canoniques discriminantes, et de répéter l’opération jusqu’à être en mesure de prédire le mieux possible l’appartenance des répondants à l’un et l’autre des trois groupes, toujours, bien sûr en fonction des huit variables indépendantes. Ainsi, par exemple, certaines équations permettaient de fort bien prédire l’appartenance à un seul des trois groupes, sans permettre de prédire l’appartenance des autres répondants aux deux groupes restant. Le meilleur compromis fut donc établi en fonction des bornes suivantes :

  • les réticents : de la valeur minimale 15 jusqu’à celle de 35, soit 135 répondants (28,2% du total);
  • les relativistes : de la valeur de 36 jusqu’à celle de 42, soit 153 répondants (31,9% du total);
  • les conformistes : de la valeur de 43 jusqu’à la valeur maximale de 55, soit 191 répondants (39,9% du total).

31Le tableau IV résume les principales données statistiques obtenues par le biais des équations de fonctions canoniques discriminantes.

Tableau IV:

Résultats des classifications obtenues à partir de la meilleure équation de fonction

Tableau IV:
Tableau IV: Résultats des classifications obtenues à partir de la meilleure équation de fonction canonique discriminante pour la variable dépendante divisée en trois catégoriesa. Catégories Pourcentages du nombre Lambda de Wilk Statistique F et seuil total des répondants de signification correctement classifiés dans la bonne catégorie (nombre de répondants) Réticents 52,5% (40) Relativistes 86,3% (131) Conformistes 67,2% (58) Statistiques 0,42 139,27* de la fonction 1 pour l’analyse 1 Statistiques 0,94 7,64 de la fonction 2 pour l’analyse 1 a 75,5% du total des répondants ont été correctement classés dans les trois sous-groupes. * Significatif à p <.001.

Résultats des classifications obtenues à partir de la meilleure équation de fonction

32Comme on le constatera, avec tout près de 90% des cas correctement attribués, l’appartenance à la catégorie des relativistes demeure celle des trois qui est la plus facileà prédire. Nous sommes cependant en terrain solide dans le cas des deux autres catégories, si tant est que dans les deux cas, nous sommes en mesure d’attribuer correctement aux bonnes catégories un peu plus de 50% des répondants (52,5% pour les réticents et 67,2% pour les conformistes). Dans la section suivante, nous poursuivrons l’exploration des facteurs prédictifs spécifiques à l’une ou l’autre des trois catégories, considérées, cette fois, de façon indépendante l’une de l’autre par le biais de trois équations de régression logistique.

2. Les réticents, les relativistes et les conformistes

33Trois équations de régression logistiques ont été réalisées; il s’agit ici de mesurer les impacts différenciés des variables indépendantes sur le fait d’appartenir ou non à l’une des trois catégories (les catégories prennent alors, alternativement, la valeur de 1, et les deux autres, de 0). Le tableau V résume les résultats atteints.

Tableau V:

Résultats de trois équations de régression logistique distinctes selon les trois catégories

Tableau V:
Tableau V: Résultats de trois équations de régression logistique distinctes selon les trois catégories de répondants à la variable dépendante DENONC. Statistiques B de Waldpour chaque catégorie (N = 231) Variables indépendantes Les réticents Les relativistes Les conformistes et statistiques des trois (n = 25) (n = 159) (n = 47) équations US-FORCE - 0,24* – 0,22** CODEÉSIL - 0,11 – 0,14 COMPÉPOL - 0,12 0,09 - 0,11 ABUSÉAUT - 0,18* 0,05 0,11 POLÉCOM - 0,14 0,08 0,10 DENONAUT - 0,18*** – 0,16*** PUNITIV - 0,11* - 0,08** 0,28*** EXPERIENC - 0,04 - 0,04* 0,07* R carré de Cox et Snell 0,32 0,08 0,42 R carré de Nagelkerke 0,53 0,11 0,62 * Significatif à p < .05; ** significatif à p < .01; *** significatif à p < .001.

Résultats de trois équations de régression logistique distinctes selon les trois catégories

34De manière peu étonnante, l’équation qui touche la catégorie des relativistes demeure celle où le potentiel prédictif des huit variables indépendantes est le moins élevé. En fait, il s’agit d’un constat peu étonnant en ce sens que les répondants relativistes ne sont tout simplement pas relativistes qu’au seul chapitre de la dénonciation des comportements dérogatoires. Ils le sont également sur au moins les six premiers aspects de la culture policière que nous avons mesurés ici. Dans le cas des deux dernières variables, toutefois, nous observons des relations qui, bien qu’assez faibles, n’en sont pas moins significatives. Sans trop insister sur la faiblesse des coefficients de Wald, on remarquera que dans ces deux cas, la relation est négative. Le sens de cette relation indique, en premier lieu, que les relativistes semblent être des répondants qui démontrent un peu moins de volonté à punir les comportements dérogatoires (la variable PUNITIV). Et, en second lieu, la relation négative entre le fait d’appartenir à la catégorie des relativistes et le nombre d’années d’expérience (EXPERIENC) nous indique que le fait d’avoir un peu moins d’expérience est un facteur qui, bien que faible, contribue de manière significative. Nous pouvons voir là un élément de confirmation de l’idée avancée par Wilson (1968) à l’effet que le respect de la solidarité interne demeure un fait important en première partie de la carrière d’un policier et que ce respect a peu à peu tendance à se diluer au fur et à mesure que la carrière progresse. En un sens, cette notion est indirectement confirmée par le sens, positif, de la relation entre la variable EXPERIENC et le fait d’appartenir à la catégorie des conformistes.

35Pour ce qui est des deux autres catégories, celle des réticents et celle des conformistes, commençons par analyser celles des variables indépendantes qui se démarquent de façon significative dans les deux catégories à la fois. Le premier thème qui émerge ici est l’attitude démontrée par les répondants à l’égard de l’utilisation excessive de la force (la variable US-FORCE). Pour les deux catégories de répondants, cette variable constitue un indice prédictif fort et significatif; on remarquera également que le sens de la relation est inverse d’une catégorie à l’autre. En d’autres termes, si pour les réticents, l’attitude est que l’usage excessif de la force constitue une part acceptable du travail policier, c’est presque exactement l’inverse chez les conformistes. Le fait de penser que les collègues ont ou non tendance à dénoncer les comportements dérogatoires (la variable DENONAUT) peut être compris un peu de la même manière : si l’on est soi-même plus prompt à accepter de dénoncer des comportements dérogatoires, on a également tendance à croire que nos collègues le font aussi, et vice versa.

36Ce phénomène d’image renversée est cependant un peu moins concret dans le cas de la volonté exprimée de punir plus ou moins sévèrement les comportements dérogatoires (la variable PUNITIV) de même que dans le cas de l’attitude des répondants quant à penser que des mesures de formation et de contrôle préviennent leur fréquence (la variable ABUS-AUT). Tous d’abord, les réticents démontrent une attitude plus ambivalente à l’égard de la volonté de punir les comportements dérogatoires que ce n’est le cas chez les conformistes. L’association entre le fait d’appartenir à la catégorie des réticents et celui d’être moins punitif est nettement moins forte que ce n’est le cas chez les conformistes. Dans ce dernier cas, dénonciation et punition vont de pairs plus spontanément. L’interprétation possible irait ici dans le sens de ce que Crank (1998), Dixon (1999) de même que Coady, James, Miller et O’Keefe (2000) ont avancé, dans des contextes différents : les policiers qui pensent appartenir à un milieu spécifique et isolé vont avoir tendance à penser également que les normes et les règles le sont aussi; d’où, alors, une association moins spontanée entre la dénonciation (où plutôt, ici, la non-dénonciation) et la punition. Par contre, la relation assez forte entre cette variable qui traite de la propension à punir et le fait d’appartenir à la catégorie des conformistes (relation indiquée par l’indice statistique B de Wald à 0,28) indique chez ces derniers une cohérence importante en terme de raisonnement. Il y a, après tout, un certain rationnel à associer la dénonciation et la volonté de punir, tandis que l’inverse n’est pas nécessairement aussi important. Les policiers peuvent, d’un côté, se considérer comme faisant partie d’une culture spécifique et un peu isolée ou, d’un autre côté, considérer qu’ils jouent un rôle social où ils doivent mettre en avant des valeurs supérieures de probité et d’éthique du travail.

37Nous remarquons finalement que les réticents expriment une résistance à l’implantation de mesures destinées à obliger la dénonciation des comportements dérogatoires (comme c’est particulièrement le cas au Québec avec la nouvelle loi); il est alors logique de constater que ceux-ci expriment également une réticence à l’endroit de l’implantation de mesure de contrôle et de prévention de ces comportements. Par contre, l’absence de relation significative entre la variable ABUS-AUT et le fait d’appartenir à la catégorie des conformistes pourrait s’expliquer par l’idée que ces répondants pensent que de telles mesures sont déjà en place, qu’il y a déjà suffisamment de formation et de sensibilisation à l’éthique, ou encore, que ces mesures ne constituent pas nécessairement les réponses adéquates à ces problèmes. Si l’on se fie au fait que les policiers conformistes sont également ceux qui ont un peu plus d’expérience, une clé d’explication prend forme : leur expérience, combinée à une connaissance plus approfondie du type de dilemme réellement vécu peut faire en sorte que les conformistes considèrent que la formation et les programmes de prévention sont relativement éloignés des problématiques concrètes et que, au bout du compte, ces initiatives ne changeront pas grand-chose à la donne.

38Il demeure cependant que tout autant dans le cadre de notre étude que de celles dont elle s’inspire (Weisburd et al., 2000; Klockars et al., 2000), les énoncés auxquels sont confrontés les répondants sont hypothétiques. C’est donc dire que le rapport que le répondant entretiendra entre les questions qui lui sont posées et le fondement réel de sa pensée quant à un problème de comportement dérogatoire peut être tout à fait artificiel et ne correspondre que très fortuitement à une situation que le répondant ou l’un de ses collègue aura vécu. C’est là reconnaître implicitement qu’en matière de sondage, et ici, la question déborde très largement le cadre de notre propre questionnement, la preuve de la meilleure adéquation possible entre une opinion exprimée à un sondeur et celle qui est réellement au fond de la pensée d’un répondant reste à faire. Il s’agit là d’un problème auquel sont confrontés les politologues depuis la généralisation de l’utilisation des sondages politiques et, force nous est de nous en tenir ici à la littérature pertinente, un problème encore non résolu (Cloutier, Alain, Irwin, Guay, 1994).

IV. Conclusion

39Nous avons montré, au cours de cette étude, comment les répondants d’un petit échantillon de policiers québécois choisis aléatoirement exprimaient des vues assez différentes quant à leur volonté de dénoncer des comportements dérogatoires. Nous avons également observé à quel point les attitudes s’opposaient, entre les répondants conformistes et les répondants réticents, quant aux attitudes qui touchent l’usage de la force et le fait que les collègues auraient ou non la propension à dénoncer. Nous avons finalement observé aussi que les répondants conformistes sont en général plus en faveur des sanctions, tandis que les répondants réticents sont plus opposés à l’implantation de mesures de prévention et de contrôle visant à diminuer l’apparition de comportements dérogatoires.

40Il demeure toutefois que de telles pistes sont nettement plus difficiles à établir pour ceux des répondants qui se trouvent être entre les deux catégories extrêmes. Dans le cas des répondants relativistes, en effet, nous avons proposé que ceux-ci sont également relativistes quant aux aspects mesurés ici, à l’exception de la volonté de sanctionner et du nombre d’années d’expérience. On remarque ici que ces répondants démontrent un peu moins de volonté à sanctionner tout comme on remarque qu’il s’agit de répondants ayant un peu moins d’expérience. Nous pourrions, à la limite, proposer l’explication un peu cynique voulant que les policiers qui répondent à ce genre de questionnaires vont, avec l’expérience, développer la capacité de répondre « dans le sens attendu ». De façon plus pragmatique, cependant, il appert que les répondants conformistes, parce qu’ils possèdent plus d’années d’expérience, sont plus susceptibles d’occuper des postes de responsabilité et de gestion administrative. Or, la recherche a depuis longtemps démontré que plus un policier s’élevait dans la hiérarchie, moins il avait tendance à adhérer spontanément aux valeurs les plus profondes de la culture policière (Reiner, 1992; Frank, McConkey, Huon, Hesketh, 1995a, 1995b; Manning, Redlinger, 1991). Mais, de manière encore plus pragmatique, il se trouve qu’il s’agit là d’officiers de police qui ont beaucoup moins de contacts avec la population et qui ont également beaucoup moins souvent l’occasion d’exercer certains des devoirs plus traditionnels du patrouilleur. En conséquence, il leur est certainement plus facile de prendre du recul et de mettre en perspective les situations décrites dans les 11 scénarios de comportements dérogatoires. Les résultats que nous avons présentés ici tendent à confirmer l’hypothèse de Reiner (1992) voulant que les policiers n’adhèrent pas tous en bloc aux valeurs spécifiques du monde policier. Dès lors, des efforts supplémentaires devront être consacrés à l’ensemble des étapes de socialisation des jeunes policiers, ce travail ayant été entrepris déjà depuis quelque temps par Monjardet et Gorgeon (1993,1996,1999) [11].

41La question toutefois demeure : les stratégies développées au Québec afin de mieux contrôler et prévenir l’expression de comportements dérogatoires pourront-elles atteindre les objectifs visés ? Le fait est qu’actuellement, ces stratégies sont toutes d’ordre répressif, qu’il s’agisse des articles 260 et 261 de la Loi sur la police, ou encore, de l’existence, depuis 1990, du Bureau du Commissaire à la déontologie policière (un tribunal administratif indépendant des organisations policières qui est responsable du traitement de l’ensemble des plaintes déposées par le public à l’endroit des inconduites policières). En d’autres termes, le comportement éthique peut-il être imposé de force ? Et, dans un même ordre d’idée, peut-on générer des dénonciateurs par la seule force de la loi, surtout au sein d’une culture professionnelle encore assez marquée par l’isolement et le silence ? À cet égard, il est clair que les policiers ne se gênent jamais de dénoncer leur organisation, voire même le ministère dont ils dépendent, tout comme c’est le cas dans d’autres domaines publics ou privés (Perry, 1998). De là, toutefois, à dénoncer publiquement non pas une organisation ou une pratique, mais un individu, surtout qu’il puisse s’agir d’un collègue, constitue un pas que peu de personnes dans très peu de milieux seront prêtes à faire (Snell, 2000), qu’il y ait ou non obligation légale.

42Kennison (2002), tout comme Lewis (1999) montrent à quel point ces mécanismes peuvent engendrer du cynisme et de la suspicion de la part des policiers à l’égard des lois et du public, conséquences d’une telle stratégie unique de coercition. Mais ces conséquences peuvent être encore plus lourdes, comme c’est le cas lorsqu’il se développe, particulièrement chez le jeune policier, un état d’ambivalence tel qu’il se demandera s’il doit bel et bien agir dans une situation qui attend effectivement une action de sa part, craignant d’avoir à faire face à ses responsabilités devant des effets inattendus de son action. Il ne faudrait pas cependant aller jusqu’à penser que les policiers ne dénoncent pas les comportements dérogatoires, nous l’avons confirmé empiriquement plus haut. Des discussions tenues préalablement au terrain de recherche auprès de groupes de policiers, laissaient clairement entrevoir que selon eux, le fait n’est pas essentiellement de dénoncer ou de ne pas dénoncer, mais bien de savoir quelles allaient être les conséquences de la dénonciation sur leur organisation et sur leur métier en général. Nous préconisons donc que les mesures répressives soient combinées à des efforts éducatifs et préventifs auprès des policiers mais également auprès du public, de manière à atténuer autant que faire se peut, le cycle du cynisme entretenu alternativement par le public et par les policiers les uns à l’égard des autres (Frank, McConkey, Huon, Hesketh, 1995b).

43Notre démarche exploratoire laisse poindre, pour terminer, trois pistes de recherche potentielles. En premier lieu, un effort doit être consacré à réaliser la meilleure adéquation possible entre la formation sur le plan des dilemmes éthiques et les dilemmes tels qu’ils sont réellement vécus sur le terrain de tous les jours de l’intervention policière. Frank et al. (1995b), de même que Nadeau (2001), dans des contextes tout à fait différents, montrent en effet à quel point les policiers estiment encore qu’il existe une fracture large entre ce qu’on leur apprend à ce sujet et ce qu’ils vivent par la suite. En second lieu, tout comme Alpert et Macdonald (2001) et Newburn (1999) le suggèrent, la recherche doit s’intéresser aux différentes modalités mises en place au sein des organisations policières pour mettre un frein et contrôler des problèmes tels que l’usage excessif de la force ou l’abus d’autorité. On sait en fait assez peu de choses sur les manières dont différentes structures policières dans différents pays et dans différents contextes d’intervention s’occupent de ces problèmes; des recherches sur ce plan permettraient de dresser un répertoire des pratiques innovatrices en la matière. En troisième lieu, comme nous avons montré que les jeunes policiers semblent être ceux qui se laissent un peu plus facilement imprégner de certains éléments de la culture policière traditionnelle, la recherche pourrait identifier les raisons et la source de ce phénomène et, ce faisant, permettrait de mettre en place des stratégies de remplacement des policiers qui partent en retraite par des recrues d’ores et déjà à un stade plus élevé d’éthique du travail policier.


ANNEXE 1 Questions sur l’abus d’autorité (Weisburd et al., 2000)

44

  • La perception des attitudes générales des policiers québécois et des policiers américains face à l’usage de la force :
    • On ne permet pas à la police d’utiliser autant de force qu’il est souvent nécessaire lors des arrestations.
    • Il est parfois acceptable d’utiliser plus de force qu’il n’est légalement permis de le faire afin de contrôler une personne qui s’en prend physiquement à un autre policier.
    • Suivre toujours les règlements n’est pas compatible avec l’exécution du travail.
  • La perception des attitudes face à l’utilisation de la force dans les services de police chez les policiers québécois et les policiers américains :
    • Les policiers de votre service utilisent plus de force que nécessaire lors des arrestations.
    • Les policiers de votre service répondent à l’abus verbal en ayant recours à la force physique.
  • La perception des policiers québécois et des policiers américains face à l’importance du code du silence dans le travail policier :
    • Le code du silence est une partie essentielle de la confiance mutuelle nécessaire au bon travail policier.
    • Il ne vaut pas le coup, pour le dénonciateur, de dénoncer tout problème.
    • Un policier qui dénonce les agissements d’un collègue risque d’être rejeté des autres policiers.
    • Il est courant pour un policier d’ignorer la conduite incorrecte d’autres policiers.
    • En contexte d’abus d’autorité commis par d’autres policiers, les policiers rapportent toujours les cas de violation criminelle grave.
  • La perception des policiers québécois et des policiers américains face aux impacts de l’attitude, de la race et du statut socio-économique des gens sur le comportement policier :
    • Un policier est plus susceptible d’arrêter une personne qui, selon lui, fait montre d’une mauvaise attitude.
    • Les policiers traitent souvent mieux les Blancs que les personnes issues des minorités visibles.
    • Les policiers sont plus susceptibles de recourir à l’usage de la force à l’endroit de personnes issues de minorités visibles qu’à l’endroit de Blancs dans des situations similaires.
    • Les policiers sont plus susceptibles de recourir à l’usage de la force à l’endroit de personnes pauvres qu’à l’endroit de personnes des classes moyennes dans des situations similaires.
  • La perception des policiers québécois et des policiers américains face au contrôle des abus d’autorité :
    • Votre organisation a pris une position très ferme contre les comportements incorrects de la part des policiers.
    • Les enquêtes sur les agissements incorrects des policiers sont généralement biaisées en faveur des policiers.
    • Si le chef de l’organisation prend une position très ferme contre les abus d’autorité, il peut faire une grande différence pour éviter que les policiers n’abusent de leur autorité.
    • Les bons superviseurs peuvent aider à prévenir les abus d’autorité des policiers.
    • La plupart des situations d’abus d’autorité de la part des policiers pourraient être évitées par des méthodes de supervision plus efficaces.
    • Pensez-vous qu’une formation en éthique permet de prévenir l’abus d’autorité ?
    • Pensez-vous qu’une formation en relations interpersonnelles permet de prévenir l’abus?
    • Pensez-vous qu’une formation en sensibilisation aux diversités culturelles et humaines permet de prévenir l’abus d’autorité ?
  • La perception des policiers québécois et des policiers américains face à l’effet dela police communautaire sur l’abus d’autorité :
    • Pensez-vous que la police de type communautaire a fait augmenter, diminuer ou n’a eu aucun impact sur les problèmes de corruption policière ?
    • Pensez-vous que la police de type communautaire a fait augmenter, diminuer ou n’a eu aucun impact sur le nombre d’incidents impliquant une force excessive de la part de policiers?
    • Pensez-vous que la police de type communautaire a fait augmenter, diminuer ou n’a eu aucun impact sur la gravité des incidents impliquant une force excessive de la part des policiers ?

ANNEXE 2

4511 scénarios de l’étude de Klockars et al. (2000)

46

  1. Un policier opère sa propre entreprise de vente et d’installation de matériel de sécurité tel systèmes d’alarme, serrures spéciales, etc. Il effectue ce travail durant ses heures libres.
  2. Un policier accepte régulièrement des repas gratuits, cigarettes et autres items de peu de valeur des marchands de son secteur de patrouille. Il ne demande pas ces dons et s’assure de ne pas abuser de la générosité de ceux qui lui font ces cadeaux.
  3. Un policier de la route interpelle un conducteur pour excès de vitesse. Le policier accepte un don en argent qui représente la moitié de la contravention en échange de ne pas émettre ladite contravention.
  4. Un policier est bien aimé dans la communauté et durant la période de Noël, les marchands locaux, les propriétaires de restaurants et de bars lui montrent leur appréciation pour son dévouement sous forme de dons de nourriture et alcools.
  5. Un policier découvre une introduction par effraction dans une bijouterie. Les vitres des présentoirs sont brisées et il est apparent que plusieurs items ont été dérobés. Alors qu’il enquête sur les lieux, il subtilise une montre dont la valeur équivaut à deux jours de son salaire. Il inclut la montre dans la liste des items qui ont été volés lors de l’introduction par effraction.
  6. Un policier a une entente avec un carrossier. Il lui réfère les propriétaires de véhicules endommagés lors d’accidents routiers qu’il enquête. Il touche cinq pour cent (5%) de la facture de réparation en commission de la part du carrossier.
  7. Un policier est également un excellent mécanicien. Il est prévu qu’il travaille durant la période de Noël qui approche. Son superviseur lui offre de lui accorder plutôt ces jours en congé, s’il accepte de faire la mise au point de la voiture personnelle du superviseur. Évaluez le comportement du superviseur.
  8. À 2 h du matin, un policier de service conduit son auto-patrouille sur une route déserte.
    Il aperçoit un véhicule qui a fait une sortie de route et qui est embourbé dans un fossé.
    Il s’approche du véhicule et constate que le conducteur n’est pas blessé mais a de toute évidence les facultés affaiblies par l’alcool. Il constate aussi que le conducteur est un policier. Plutôt que de rapporter l’offense, il reconduit le conducteur chez lui.
  9. Un policier trouve un bar dans son secteur de patrouille qui sert encore de l’alcool une demi-heure après l’heure de fermeture obligatoire. Plutôt que de rapporter cette infraction, le policier accepte quelques verres de la part du tenancier.
  10. Deux patrouilleurs à pied surprennent un homme qui tente de s’introduire dans un véhicule. L’homme s’enfuit. Les deux policiers le poursuivent sur deux pâtés de maisons et le rattrapent en le jetant par terre. Une fois le suspect sous contrôle, ils le tabassent de quelques bons coups de poing à l’abdomen en guise de punition pour avoir fui.
  11. Un policier découvre un portefeuille dans un stationnement. Le portefeuille contient l’équivalent d’une journée de salaire du policier. Le policier rapporte le portefeuille comme objet trouvé mais garde l’argent.

ANNEXE 3

47Grille d’analyse de l’étude de Klockars et al. (2000)

481. Comment VOUS-MÊME considérez-vous cette conduite ?
Pas du tout grave… …Extrêmement grave Pas d’opinion/pas de réponse
1 2 3 4 5 6
? ? ? ? ? ?

492. Comment croyez-vous que LA PLUPART DE VOS COLLÈGUES POLICIERS considèrent cette conduite ?
Pas du tout grave… …Extrêmement grave Pas d’opinion/pas de réponse
1 2 3 4 5 6
? ? ? ? ? ?

503. Cette conduite serait-elle considérée comme une transgression de la politique officielle de votre service ?
Absolument non … … Absolument oui Pas d’opinion/pas de réponse
1 2 3 4 5 6
? ? ? ? ? ?

514. Si un policier de votre service était trouvé coupable de cette conduite, quelle mesure disciplinaire croyez-VOUS qu’il DEVRAIT subir ?
Aucune… …Destitution Pas d’opinion/pas de réponse
1 2 3 4 5 6 7
? ? ? ? ? ? ?

525. Si un policier de votre service était trouvé coupable de cette conduite, quelle mesure disciplinaire croyez-VOUS qu’il SUBIRAIT RÉELLEMENT ?
Aucune… …Destitution Pas d’opinion/pas de réponse
1 2 3 4 5 6 7
? ? ? ? ? ? ?

536. Rapporteriez-vous VOUS-MÊME un policier de votre service qui se conduirait de la sorte ?
Absolument non … … Absolument oui Pas d’opinion/pas de réponse
1 2 3 4 5 6
? ? ? ? ? ?

547. Croyez-vous que LA PLUPART DES POLICIERS DE VOTRE SERVICE rapporteraient un collègue policier qui se conduirait de la sorte ?
Absolument non … … Absolument oui Pas d’opinion/pas de réponse
1 2 3 4 5 6
? ? ? ? ? ?

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Mots-clés éditeurs : POLICE AU QUÉBEC, ÉTHIQUE POLICIÈRE, CULTURE ORGANISATIONNELLE, COMPORTE - MENTS DÉROGATOIRES, CONTRÔLE DES DÉVIANCES POLICIÈRES, CULTURE POLICIÈRE

https://doi.org/10.3917/ds.281.0003

Notes

  • [*]
    École Nationale de Police du Québec, Centre d’intégration et de diffusion de la recherche en activités policières. Les opinions exprimées dans cet article n’engagent toutefois que l’auteur.
  • [1]
    Brodeur (1984) se penche de manière systématique sur cet élément dans son analyse des rapports de commissions d’enquête. Le fait demeure toutefois que malgré que ces rapports reconnaissent l’existence des aspects organisationnels de la délinquance policière, le processus même de ces commissions, processus que Brodeur n’hésite pas à qualifier de politique, fait en sorte d’atomiser et d’individualiser la délinquance en occultant la dynamique plus systémique du phénomène.
  • [2]
    Il s’agissait d’un comité interne de la Sûreté du Québec constitué en automne 1995 par le directeur de l’organisation de l’époque, M. Serge Barbeau. Ce comité avait reçu comme mandat de proposer des recommandations précises quant aux corrections à apporter à la suite des impacts négatifs importants de l’affaire Matticks.
  • [3]
    Or, la notion d’infraction est beaucoup plus incertaine dans le domaine du contrôle des appareils d’État que dans celui du contrôle de la masse du corps social. (…) L’appareil d’État est cela même qui dispose du pouvoir de définir les infractions à l’ordre établi. Or, il use de ce pouvoir davantage pour normer ce qui lui est extérieur que pour se limiter lui-même (Brodeur, 1984,344).
  • [4]
    Bellemare (1996,327) fait également état des problèmes connexes suivants : défaut d’exposer au juge qui accorde un mandat de perquisition ou une autorisation d’écoute électronique, tous les faits pertinents, y compris ceux qui contredisent l’inférence proposée. (…) Carences dans la cueillette et la conservation de la preuve, en particulier au niveau des saisies. Problèmes de communication de la preuve à la Couronne (non divulgation, rétention d’information). Ce dernier problème est particulièrement remarquable si l’on sait que depuis l’arrêt Stinchcombe de la Cour suprême du Canada de 1991 (R.C. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326), obligation est désormais faite au ministère public de communiquer l’ensemble des éléments de preuve à la défense. S’il est clair que les procureurs de la couronne connaissent bien maintenant cette disposition, elle rencontre encore des résistances tenaces chez beaucoup de policiers enquêteurs et ce, selon les dires mêmes de procureurs qui enseignent le droit pénal à des policiers enquêteurs québécois. La Sûreté du Québec prenait même la peine de rappeler à ses propres enquêteurs l’importance de cette disposition, dans un bulletin interne publié en février 2003, soit 12 ans après la décision de la Cour suprême.
  • [5]
    L’Australie a connu exactement ce genre de situation dans les années 1980, avec des conséquences particulièrement éprouvantes sur le plan de l’intégrité professionnelle de ses jeunes policiers (Etter, 2001). Certains États d’Australie ont d’ailleurs tenté de corriger la situation en engageant des hommes et des femmes nettement plus mûrs afin, précisément, de conjuguer l’expérience au savoir plus technique.
  • [6]
    Ces thèmes sont : (1) l’attitude générale face à l’emploi de la force, (2) les comportements liés à l’emploi de la force, (3) l’importance accordée au code du silence, (4) l’impact du statut socioéconomique des personnes arrêtées sur l’action des policiers, (5) l’effet des mesures destinées à atténuer les abus d’autorité et, (6) les effets de la police communautaire sur le phénomène de l’abus d’autorité.
  • [7]
    Avant le début de la réforme de janvier 2002, le recensement du ministère de la Sécurité publique faisait état de 126 services de police, dont certains ne comptaient que deux ou trois policiers. La réforme de janvier a forcé les municipalités limitrophes à fusionner leurs services de police de façon à ce que le nombre d’organisations soit ramené à un peu moins de 40. Plusieurs de ces agglomérations ont, par ailleurs, préféré recourir aux services de la Sûreté du Québec, essentiellement en raison de l’offre financière fort alléchante de la part de cette organisation.
  • [8]
    Cette précaution constituait une garantie de coopération, elle-même, d’ailleurs, pas toujours facile à négocier. Ainsi, l’une des trois grandes composantes des organisations policières fit preuve de réticences à un tel point que notre échantillon n’est pas représentatif de la division en trois tiers de l’ensemble. L’une des conditions de participation était que toute publication tirée de ce terrain de recherche ne ferait pas état des différences potentielles entre les réponses données par les policiers des différents services participants; une garantie similaire avait été proposée par Klockars et son équipe (2000,5) ce qui n’empêcha pas, là non plus, certains services de se désister.
  • [9]
    Mais comme Crank et Caldero (2000), de même que Zhao, He et Lovrich (1998) ne manquent pas de le suggérer, les attitudes de ces segments d’une population policière pourraient fort bien représenter le noyau dur des attitudes des policiers en général, ces attitudes pouvant même être encore mieux ancrées chez les policiers plus jeunes. Ces auteurs confirment ainsi les avancées faites par Wilson (1968): (…) within it [le service de police étudié par l’auteur] discretion increases as one moves down the hierarchy (7).
  • [10]
    Van Outrive (1998,20) évoque le terme de moonlighting pour décrire cette situation où un policier, après son quart de travail, loue ses services, parfois revêtu de son uniforme et en portant son arme de service, à une compagnie de sécurité privée.
  • [11]
    Monjardet et Gorgeon (1999) notent, dans le dernier rapport de recherche de l’étude longitudinale portant sur la socialisation professionnelle des policiers, un changement d’attitude qui offre certaines similitudes avec ce que nous avançons ici quant au fait que les policiers n’adhèrent pas tous nécessairement à un ensemble monolithique de valeurs : On avait vu, dans les étapes précédentes, deux mouvements majeurs. En premier lieu s’était constitué un socle d’opinions communes – qu’on avait dénommé les stéréotypes professionnels – et dont on avait noté la faible ampleur. Parallèlement, on observait le maintien et la consolidation d’un très grand pluralisme d’opinions et d’attitudes, qui contrastait fortement avec le discours habituel dans la littérature sur le conformisme et l’homogénéité de la culture professionnelle (3).

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